PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
vice-président
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, il y a tout juste un an, notre groupe organisait au Sénat un colloque sur le thème : « Psychiatrie : entre pressions sécuritaires et contraintes économiques, quelle place pour le patient ? »
La richesse des débats que nous avions eus alors m’autorise à affirmer ceci : le texte que nous examinons aujourd’hui n’est pas le texte qu’attendaient les malades et leurs familles, le texte qu’attendaient les médecins, le texte qu’attendaient les magistrats, le texte que nous attendions.
Lancé en novembre 2008 à la suite d’un fait divers, certes tragique, survenu à Saint-Égrève, dans l’Isère, selon la méthode habituelle de l’actuel Président de la République qui consiste à jouer sur l’émotion et les peurs, ce texte possède tous les attributs des lois « émotionnelles », des lois « d’affichage ». Il laisse de côté toutes les questions qu’un vrai projet de loi sur la psychiatrie et la santé mentale aurait dû aborder, pour ne conserver qu’une vision limitée, étriquée, bornée, de l’accompagnement des personnes souffrant de troubles psychiatriques.
Il occulte en effet plusieurs faits essentiels. Si les questions liées aux troubles mentaux sont complexes, si nous ne pouvons taire les difficultés que rencontrent soignants, magistrats, proches, malades, et si les pouvoirs publics, particulièrement les maires, peuvent parfois se sentir démunis, il convient de rappeler quelques évidences.
Selon un rapport de l’IGAS de 2005, seuls 2,7 % des actes violents sont commis par des personnes souffrant de troubles psychiatriques. Notre collègue Guy Lefrand, député UMP, le dit lui-même dans le préambule de son rapport : « Les personnes atteintes de troubles psychiatriques sont douze fois plus victimes d’agressions physiques, cent trente fois plus victimes de vols et ont vingt-cinq ans d’espérance de vie en moins que nos concitoyens. »
La brutalité de ces chiffres, qui démontrent que ces personnes sont bien souvent d’abord des victimes, se double d’une autre réalité : celle de la mise à mal de la psychiatrie publique, qui a notamment enregistré, en vingt ans, la suppression 40 000 lits ! Si l’on y ajoute les suppressions de postes, le recul de la sectorisation, l’abandon de la prévention, on comprend que les personnes les plus malades échappent aux soins. Comme me le disait un président de commission médicale d’établissement, dans l’hôpital psychiatrique public, c’est désormais la « lutte des places » !
Ce texte est-il à la hauteur de ce que nous devons aux personnes atteintes de troubles psychiatriques ?
M. Jean Desessard. Non !
M. Guy Fischer. Évidemment non, mes chers collègues ! Vous l’avez compris, nous pensons que ce texte sécuritaire va totalement à l’encontre de ce que nous sommes en droit d’attendre.
Manquant d’ambition, il est également flou, imprécis, opportuniste... Pour notre part, ce sont les raisons de fond qui nous avaient conduits, malgré certaines avancées réelles introduites par notre rapporteur Muguette Dini, à rejeter ce texte en commission.
Le Gouvernement avait pourtant annoncé la couleur. On nous parlait d’un triple objectif : un objectif de santé, un objectif de défense des libertés individuelles et un objectif de sécurité.
Disons-le clairement : en ce qui concerne l’objectif de santé, nous ne voyons rien. Rien en faveur d’une meilleure prise en charge des malades, rien sur l’ambition de redonner à tous les acteurs du monde psychiatrique – soignants, malades, familles, magistrats – les moyens de soigner et d’accompagner. L’étude d’impact reste, sinon très optimiste, à tout le moins parfaitement irréaliste, surtout dans le contexte de la « révision générale des politiques publiques », qui se traduit par leur réduction tous azimuts. Ce qu’elle préconise en termes de moyens, ce n’est ni plus ni moins qu’un pansement sur une jambe de bois !
C’est pourtant d’une politique cohérente et même d’un sauvetage massif qu’a besoin la médecine psychiatrique française. Le comble, c’est que nous savons tous ce qui est nécessaire : plus de postes, plus de lits, pour un meilleur suivi à l’hôpital ou en dehors. La médecine psychiatrique française mériterait certainement autre chose qu’un jugement à courte vue, motivé par une politique opportuniste.
L’objectif de santé n’est à l’évidence pas satisfait, je le répète. J’en veux pour preuve supplémentaire le titre II, intitulé « suivi des patients ». Dans toutes ses dispositions, il n’est question que de l’encadrement des soins sans consentement, sans que les objectifs de traitement soient abordés.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la pertinence même de l’expression « soins sans consentement », d’autant que, nous le savons, l’absence de consentement du malade est souvent, en particulier en matière psychiatrique, une des causes de l’échec du traitement. Écoutez l’avis du docteur Roger Ferreri, chef de service dans l’Essonne : « On mélange tout, la contrainte n’est pas du soin, c’est une décision de la société. La société a le droit de se protéger, mais lorsque vous mettez quelqu’un dans une chambre d’isolement, vous n’avez pas le droit de penser que c’est pour son bien. »
Mais ce texte vise-t-il véritablement le traitement des malades ? C’est bien ce qui nous conduit à douter de l’objectif « sanitaire » du texte.
En effet, le cœur du projet de loi est à l’évidence l’objectif sécuritaire. L’ordre public serait menacé par ces personnes en souffrance ! Quelle curieuse conception de la maladie psychiatrique que celle qui consiste à considérer les patients comme des fauteurs de troubles en puissance plutôt que comme des malades ! La logique sécuritaire du texte, facilitant l’internement ou la contrainte tout en limitant les droits des personnes souffrant de troubles mentaux, découle pourtant de cette conception de la maladie mentale comme facteur d’atteinte à l’ordre public.
De notre point de vue, l’appréhension de la prise en charge des personnes présentant des troubles psychiatriques sous le seul angle sécuritaire est, vous l’avez compris, non seulement réductrice, mais également inacceptable. L’intervention du préfet se situe dans la droite ligne de cette conception. Sous prétexte de maintien de l’ordre public, nombre de principes gouvernant le régime des libertés des personnes, de nos libertés individuelles, sont battus en brèche.
Je pense, par exemple, à la création d’une période d’observation de 72 heures en hospitalisation complète. S’apparentant à une véritable garde à vue psychiatrique, cette mesure est à la fois inapplicable par son immense flou et, plus encore, profondément contraire à nos principes au regard des libertés individuelles.
On peut s’interroger quant à l’opportunité d’une telle mesure alors que le régime de la garde à vue vient d’être réformé pour en atténuer les abus. De fait, cette mesure ne présente aucune différence de forme avec la garde à vue : elle est aussi arbitraire et, par définition, aussi privative de liberté. Les garanties qui entourent cette période d’observation sont, selon nous, bien trop faibles pour constituer une véritable atténuation du pouvoir du préfet.
Comment imaginer que cette période d’observation de 72 heures puisse être décidée par le préfet sur le fondement d’un motif aussi flou que le « péril imminent » ? Comment accepter que le préfet puisse être quasiment le seul à en juger, le médecin ne servant là que d’auxiliaire de police ?
Votre texte n’est pas assez clair sur les garanties qui entourent cette notion, et nous avons les plus grandes craintes concernant son application concrète. En effet, il prévoit de conférer une autorité exorbitante – peut-être peut-on parler de tous les pouvoirs – au représentant de l’État, et non à un médecin ou à un juge. Sous le couvert de la nécessité de protéger la société, la loi tend à créer un régime d’exception, une situation dans laquelle nos concitoyens atteints de troubles psychiatriques pourraient être internés sans avoir véritablement leur mot à dire.
Dans cette optique, l’intervention du juge des libertés et de la détention semblait positive, même si cet élan de respect des droits fondamentaux n’est évidemment pas sans rapport avec la décision du Conseil constitutionnel. Bien sûr, il faut se satisfaire du fait que l’hospitalisation sans consentement puisse être contestée par la voie judiciaire, même si nous estimons que l’intervention du juge devrait être possible dans un délai plus court.
Toutefois, lorsque nous lisons le projet de loi, nous avons une curieuse impression : celle que votre cabinet, madame la secrétaire d’État, pour ne pas déroger pas au caractère globalement liberticide de ce texte, a encadré cette disposition de sorte que son effet positif soit très limité.
Ainsi, le délai annoncé est bien trop long : deux semaines, c’est inadmissible s'agissant d’une mesure privative de liberté. En matière de droit des étrangers maintenus en rétention, par exemple, et pour évoquer une situation comparable, l’intervention du juge des libertés est obligatoire après quatre jours, puis le président du tribunal de grande instance peut se prononcer après douze jours ; autrement dit, la mesure de rétention est examinée deux fois.
Dans ces conditions, comment imaginer que, lorsqu’il s’agit de cas psychiatriques, le JLD puisse être totalement absent au cours des douze premiers jours d’hospitalisation ?
Le rôle de ce magistrat suscite une deuxième interrogation.
Selon nous, votre texte, madame la secrétaire d'État, ne fait que donner l’illusion que le juge décide. En effet, compte tenu du manque de moyens criant du système judiciaire, qui ne permet pas d’examiner les cas de façon approfondie, il y a fort à parier que la décision du juge reposera sur un consentement présumé en faveur de l’hospitalisation, d’autant que rien ne vient renforcer concrètement les droits des personnes hospitalisées.
De fait, alors que nous aurions pu imaginer que ces « prisonniers psychiatriques » bénéficieraient des avancées récentes de la procédure de garde à vue, rien ne le laisse prévoir ici. À la lecture des dispositions de ce projet de loi qui sont censées garantir la défense des libertés individuelles, nous craignons que cet objectif ne soit hors de portée.
Autre mesure que nous ne pouvons que combattre : la création d’un véritable « casier psychiatrique ». Comment admettre qu’une décision d’hospitalisation puisse être prise sur la base d’antécédents psychiatriques datant de plus de vingt ans ? N’y a-t-il pas là un non-respect flagrant du « droit à l’oubli » ?
Oui, mes chers collègues, là encore, le droit des malades est abandonné et sacrifié à l’objectif sécuritaire. Ces personnes atteintes de troubles psychiatriques, il faut les repérer, les ficher, les suivre, les pister, parce qu’elles sont supposées inguérissables ! Comme le sont sans doute les jeunes un peu agités de nos quartiers, ces jeunes dont certains se proposent de repérer les comportements déviants dès le berceau.
Ce traitement sécuritaire de la maladie psychiatrique le prouve : vous avez imaginé un texte qui enferme, non qui guérit.
Enfin, comment ne pas évoquer votre définition des « soins sans consentement », qui englobent les anciennes hospitalisations d’office et sur demande d’un tiers. Le texte prévoit, et c’est une nouveauté, que ces soins pourront être délivrés à l’hôpital et en ambulatoire. C’est le cœur de votre réforme.
Selon nous, il convient d’être très prudent s'agissant de cette fausse bonne idée qu’est la délivrance des soins à domicile. Certes, le patient quitte un environnement hospitalier et les familles peuvent se sentir rassurées. Néanmoins, une telle solution soulève plusieurs questions : qui assume la responsabilité du malade ? Est-ce la famille ? Qu’en est-il du secret médical ? Comment interviennent les soignants dans ce contexte ? Il n'y a aucune réponse à ces interrogations dans le projet de loi !
Derrière cette mesure, se trouve simplement le problème fondamental que nous avons déjà évoqué : notre médecine psychiatrique, après quarante années d’une remarquable évolution, se délite, se meurt. Nos hôpitaux voient leurs moyens se réduire drastiquement de PLFSS en PLFSS, avec des personnels moins nombreux, plus sollicités, en souffrance eux aussi.
La VAP, la valorisation de l’activité en psychiatrie, le pendant dans ce secteur de la tarification à l’activité, n’a d’autre but que de contraindre à sélectionner les patients. Demain, l’hôpital public choisira-t-il les moins malades, les moins vieux, les moins fous ? Telle est, en tout cas, une fois encore, la réflexion qui m’a été faite à Lyon par un psychiatre.
En clair, cette mesure nous donne l’impression que l’on cherche à se débarrasser à moindre frais d’une population et à en transférer la charge à des familles complètement démunies.
Parce que ce texte ne pose aucunement la question du traitement, cette disposition est très cohérente avec sa logique d’ensemble, celle de la prise en charge du trouble psychiatrique dans sa seule dimension sécuritaire, en oubliant ses aspects thérapeutiques.
Enfin, ce texte nous interpelle par son esprit général, notamment parce qu’on offre au préfet un rôle prépondérant dans le choix de l’encadrement, voire un pouvoir véritablement discrétionnaire puisqu’il peut imposer une réadmission du patient en hôpital psychiatrique en cas de problème lors du parcours de soins.
Oui, madame la secrétaire d'État, même si vous vous en défendez, vous ne considérez la psychiatrie que sous l’angle de l’ordre public. Votre texte condamne et stigmatise les personnes atteintes de troubles mentaux, sous couvert d’en protéger la société. Il banalise un régime d’exception, et c’est très grave !
Nous ne pourrons que citer l’opinion des soignants, par exemple le docteur Hervé Boukobza, porte-parole du Collectif des 39, qui constate avec nous le recul fondamental marqué par ce texte puisqu’il affirme : « La psychiatrie a besoin de soins, de se montrer hospitalière, et non pas d’endosser les habits du carcéral et du tout médicament, comme le sous-tend ce texte de loi. »
C’est non pas de répression, d’enfermement et de contrainte qu’ont besoin d’abord ces personnes, mais d’un accompagnement fondé sur la confiance, de soins et de moyens offerts à leurs soignants.
La psychiatrie mérite une véritable loi-cadre qui définisse ses missions et ses moyens, ces derniers devant être pérennes. En conséquence, nous ne pourrons que voter contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le présent projet de loi, relatif aux soins psychiatriques sans consentement, est un texte intermédiaire entre, d’une part, une simple mise en conformité constitutionnelle de la législation en vigueur, et, d’autre part, une réforme-cadre du droit de la santé mentale. Et c’est bien ce caractère d’entre-deux qui le rend problématique.
En effet, je le rappelle après d’autres, une intervention législative était imposée par la décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 qui, prise sur le fondement d’une question prioritaire de constitutionnalité, a donné au Gouvernement jusqu’au 1er août 2011 pour organiser un recours systématique du juge judiciaire en cas de maintien d’une hospitalisation sans consentement.
Cette décision se comprend bien, l’autorité judiciaire étant constitutionnellement « gardienne de la liberté individuelle ». Ce qui est étonnant, c’est que ce contrôle systématique n’ait pas été prévu plus tôt !
Dans ses considérants, le Conseil constitutionnel établit une distinction entre les conditions de l’hospitalisation, selon qu’il s’agit d’une admission sans consentement ou d’un maintien de l’hospitalisation. Il les estime conformes à la Constitution dans le premier cas, mais pas dans le second.
Ainsi, le texte qui nous est soumis prévoit, d’une part, un contrôle de plein droit, par le juge des libertés et de la détention, des hospitalisations sans consentement avant le quinzième jour lorsque leur durée doit se prolonger au-delà de cette échéance, et, d’autre part, l’intervention de ce magistrat tous les six mois en cas de prolongation.
Le Gouvernement aurait pu se borner à organiser ce contrôle, mais il n’en est rien, puisque l’objet de ce texte n’est pas seulement judiciaire, il s’en faut : le projet de loi comprend également un volet médical, qui réforme en profondeur le système établi jusqu’à présent par la loi du 27 juin 1990.
En effet, l’objectif de ce texte est de remplacer la notion d’« hospitalisation sans consentement » par celle de « soins sans consentement », en développant par conséquent des solutions alternatives à l’hospitalisation complète ; il est aussi de créer une nouvelle procédure d’hospitalisation sans consentement « en cas de péril imminent » pour la santé du malade et une période d’observation de soins de 72 heures ; il est encore de renforcer le suivi des patients réputés les plus difficiles ; il est enfin d’élargir et d’accroître les droits des personnes en soins sans consentement.
La simple énumération de ces mesures, tant médicales que judiciaires, nous permet de nous rendre compte qu’il ne s’agit pas, loin de là, d’un texte à vocation exclusivement sécuritaire, contrairement à ce qui a pu lui être reproché.
Tout en allant bien au-delà de ce qu’imposait la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur le fondement de la question prioritaire de constitutionnalité, le présent texte n’est pas pour autant la grande loi sur la santé mentale préconisée par la commission Couty en 2008 et par l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé en avril 2009.
Dans une telle loi, ce dossier serait abordé sous toutes ses facettes, à savoir la prévention des troubles psychiatriques, l’accès à des soins rapides et adaptés, donc l’offre de soins du point de vue tant de sa quantité que de sa répartition, le suivi de personnalité, la rénovation de l’hospitalisation sans consentement elle-même et l’organisation des soins aux détenus.
Cette loi-cadre, nous l’appelions de nos vœux parce que seule une approche globale nous paraît garantir une réforme cohérente en la matière.
Nous regrettons que ce ne soit pas ce choix qui ait été fait et que l’on ait préféré opter pour un entre-deux. Les difficultés auxquelles nous sommes à présent confrontées sont inhérentes à cette décision ; ce n’est pas un hasard si elles concernent tant le volet médical du projet de loi que son volet judiciaire.
Ce qui est reproché à ce texte, c’est de ne pas aller assez loin dans l’explicitation de ce que seraient ces fameux « soins ambulatoires sans consentement ». Et c’est tout l’enjeu de l’énorme travail réalisé par Muguette Dini avec la commission des affaires sociales. Ses amendements n’ont pas été intégrés au texte, mais ils ont eu le mérite majeur d’avoir mis en lumière l’importante lacune du projet de loi sur ce point. Il s'agit déjà d’un acquis tout à fait considérable à mettre à l’actif de la Haute Assemblée.
En résumé, voilà un texte qui est audacieux sur le plan de la rénovation du système et qui va donc dans le bon sens. La réforme médicale dont il est porteur n’a rien d’anecdotique. Elle présente l’immense avantage de responsabiliser les médecins. Il s'agit aussi d’un texte fondamental sur le plan des droits et libertés, dont le volet judiciaire ne saurait être différé.
Bref, au travers de ce texte, on parvient à un équilibre entre ces trois grands enjeux du dossier que sont la santé, les droits individuels et la sûreté. Toutefois, le projet de loi ne saurait être adopté en l’état, car il est incomplet.
Aussi, mes chers collègues, nous ne sortirons de cette situation – c’est la logique même ! – qu’en comblant les lacunes de ce texte, c’est-à-dire en le poussant un peu plus loin.
À l’évidence, la notion nouvelle de « soins ambulatoires sans consentement » demeure problématique. C’est pourquoi nous soutiendrons l’amendement de clarification et de compromis présenté par notre collègue Alain Milon et sous-amendé par le rapporteur de la commission des affaires sociales, Jean-Louis Lorrain.
Cet amendement tend à préciser que les soins psychiatriques sans consentement sont administrés au moyen de tous les outils thérapeutiques adaptés à l’état du patient et à établir une typologie non plus des formes de soins mais des lieux de soins. Ainsi a-t-il pour objet de distinguer clairement les unités d’hospitalisation à temps plein de ces autres lieux de soins que sont les unités alternatives à l’hospitalisation à temps plein ou les lieux de consultation, les lieux d’activités thérapeutiques ou les lieux de vie habituels du patient.
Les dispositions du sous-amendement du rapporteur de la commission des affaires sociales seront sans doute, elles, de nature à rassurer le corps médical quant au plein maintien de sa liberté de prescription.
Sous réserve de ces modifications d’importance, le groupe de l’Union centriste soutiendra cette réforme, même s’il attend qu’elle soit complétée dans les meilleurs délais pour une rénovation globale du cadre des soins psychiatriques.
Il ne me reste plus qu’à féliciter nos commissions et nos rapporteurs de l’excellence de leur travail, notamment Muguette Dini et Jean-Louis Lorrain, avec tout de même, si vous me le permettez, mes chers collègues, une mention spéciale pour la présidente de la commission des affaires sociales, qui, avec le courage et la détermination que nous lui connaissons, est allée jusqu’au bout de ses convictions. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, en enfermant ce projet de loi dans une approche résolument sécuritaire, le Gouvernement caricature la réponse qu’il entend apporter à une grave question, dont l’étude d’impact nous révèle toute l’ampleur.
En effet, ce document nous rappelle que, en 2005, plus du tiers des Français ont souffert d’au moins un trouble mental dans leur vie. C’est bien la preuve que cette question de santé publique appelait une réponse ambitieuse.
Elle n’est certes pas apportée avec ce texte partisan et confus, même après les modifications qui ont été votées par la majorité à l’Assemblée nationale et qui étaient elles-mêmes en retrait par rapport aux propositions de la commission des affaires sociales de cette chambre, voire de son rapporteur.
Pour notre part, nous souhaitions la grande loi globale de santé mentale dont notre pays a bien besoin. Ce texte aurait amélioré, après vingt ans d’application, la loi du 27 juin 1990, dont l’un des points forts, je le rappelle, a été de consacrer l’hospitalisation libre comme le régime habituel de l’hospitalisation, alors que, auparavant, depuis la loi de 1838, on ne connaissait que les modes de placement sous contrainte.
Aujourd’hui, on nous présente un projet de loi qui est perçu par les milieux professionnels concernés comme d’essence sécuritaire. Doit-on s’en étonner ? Bien sûr que non !
En effet, ce projet de loi est né à la suite d’un fait divers dramatique, qu’a rappelé d'ailleurs notre collègue Guy Fischer. En novembre 2008, dans une rue de Grenoble, un étudiant est tué par un malade mental en fugue d’un établissement de soins. Quelques jours plus tard, le Président de la République annonce un plan de sécurisation des hôpitaux psychiatriques, avec la multiplication des chambres d’isolement, la mise en place de bracelets électroniques, etc.
Le Président de la République exige également une nouvelle loi sur les hospitalisations sans consentement avec, en ligne de mire, non pas la dangerosité d’une infime minorité des malades – du reste, souvent sans soins au moment des faits dramatiques dans lesquels ils sont impliqués –, mais la dangerosité supposée de tous nos concitoyens ayant recours à des soins psychiatriques dans le champ large, divers et complexe de la maladie mentale.
D’une manière générale, ce qui ressort de ce projet de loi, dans sa version initiale, c’est l’idée de garantir la sûreté, non des malades qui, pourtant, en ont légitimement le plus besoin, mais des non-malades en insistant, par exemple, sur les prérogatives du préfet.
En 2006, déjà, le gouvernement dans lequel l’actuel Président de la République était ministre de l’intérieur avait dû renoncer, face à la mobilisation de nos concitoyens, à associer maladie mentale et dangerosité dans la loi sur la prévention de la délinquance. Les malades mentaux étaient, en quelque sorte, assimilés à des délinquants.
Aujourd’hui, avec ce projet de loi, le Gouvernement revient à la charge : la question du trouble à l’ordre public prédomine sur la préoccupation sanitaire et sur celle de la qualité des soins à donner aux malades.
L’ossature de ce projet de loi demeure donc sécuritaire.
Observons, par ailleurs, que le point central du projet de loi qui nous est soumis est celui des soins sans consentement avec, notamment, la création de la notion de soins sans consentement en ambulatoire. Si cette approche est difficile à admettre d’une manière générale dans le champ médical tant il est délicat de vouloir et de pouvoir soigner les personnes sans leur consentement, elle est encore plus délicate en psychiatrie.
En effet, en psychiatrie, outre le recours aux médicaments, fussent-ils très performants, la relation ou l’alliance thérapeutique entre le malade et son thérapeute est essentielle. Elle repose sur la confiance. Il s’agit d’un contrat implicite – et souvent explicite – qui appelle le consentement du patient si l’on recherche effectivement des résultats thérapeutiques. En la matière, l’imposition de soins sans consentement en ambulatoire, prévue par ce projet de loi, pose problème.
Notons également que ce texte était sur le point d’être soumis au Parlement lorsqu’est intervenue la décision rendue le 26 novembre 2010 par le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité visant à qualifier la nature juridique de l’hospitalisation d’un malade sans son consentement. La décision du Conseil constitutionnel dispose que ce type d’hospitalisation est, non une simple mesure de protection, mais une mesure de « détention » par privation, pour la personne concernée, de sa liberté d’aller et de venir, au sens de la Constitution.
Cette décision a donc conduit le Conseil constitutionnel à rappeler au Gouvernement que, s’agissant d’une privation de liberté, les mesures d’hospitalisation sans consentement doivent être soumises au contrôle effectif du juge judiciaire et que, en conséquence, les dispositions de la loi de 1990 ne prévoyant l’intervention de l’autorité judiciaire qu’en cas de demande de sortie du patient rejetée par l’autorité compétente étaient inconstitutionnelles.
Cette décision impose que le juge statue dès lors que la mesure est prolongée au-delà de quinze jours, puis à intervalles réguliers. Demande est donc faite au Gouvernement et au législateur de mettre en conformité notre législation en la matière avant le 1er août 2011.
Remarquons que la brièveté de ce délai n’est pas sans poser des problèmes très pratiques de faisabilité matérielle – manque de magistrats, de personnel, de lieux d’audience adaptés… –, faisabilité sur laquelle le Gouvernement se montre peu loquace.
Cette décision du Conseil constitutionnel est donc venue contrarier le projet de loi « tout-sécuritaire » que le Gouvernement et le Président de la République envisageaient de faire voter au Parlement. La réécriture du projet initial, aussitôt entreprise dans la hâte et la confusion, avec un ersatz de consultation des acteurs concernés – associatifs, professionnels, institutionnels – nous donne une production incrémentale d’un projet de loi où peu d’acteurs s’y retrouvent ; et ce n’est là qu’un euphémisme !
Les auditions conduites nous ont confirmé l’insatisfaction généralisée et, parfois, une opposition frontale audit projet, pour des motifs multiples, pertinents et solides.
Une bonne synthèse de cette insatisfaction se retrouve dans l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, adopté en assemblée plénière le 31 mars 2011.
Ainsi, je retiendrai que, concernant les interrogations sur le régime à venir, celui-ci est loin de faire l’unanimité chez les professionnels, les malades et leurs proches. Leurs inquiétudes, de tous ordres s’agissant de procédures complexes, se focalisent sur la crainte que la réforme ne renforce au-delà de l’indispensable la contrainte pesant sur les malades.
À la différence de nombreux pays, la France a progressivement renoncé à une politique de secteur qui avait suscité de grands espoirs, au profit d’un renforcement du recours à l’hospitalisation ; c’est d’autant plus paradoxal que nous savons l’importance des restructurations budgétaires et que des milliers d’emplois et de lits sont supprimés dans les hôpitaux.
Dans un contexte marqué par une insuffisance de moyens et des difficultés de recrutement des spécialistes médicaux et infirmiers, une concurrence non résolue entre les dépenses exigées pour les établissements et la médecine des secteurs, ce séjour obligatoire en établissement, prévu par le projet de loi, favorise la formule de l’internement.
En outre, le système d’expertise sur lequel reposent tout le jeu des certificats et l’examen par un collège des différentes étapes du nouveau dispositif est jugé par beaucoup très complexe, voire pratiquement inapplicable compte tenu de l’insuffisance des effectifs, et surtout inégalement réparti sur le territoire. D’où la crainte que ce système d’expertise « ne puisse dégager le sort des malades mentaux de l’amalgame qui conduit à privilégier un point de vue sécuritaire, et, pour éviter tout risque, enfermer plutôt que d’organiser les moyens d’un accompagnement. »
L’un des grands dangers de cette loi, c’est de faire passer le sécuritaire avant le thérapeutique. C’est une ineptie que tous les rapports mettent en avant en affirmant, chiffres à l’appui, que ce sont avant tout les personnes souffrant de troubles mentaux qui sont victimes de violences.
De plus, pour beaucoup de professionnels, l’impression s’est fait jour que nous nous dirigeons vers une « judiciarisation » renforcée de la psychiatrie, qu’ils réfutent non sans fondement : les malades mentaux ne sont pas de dangereux délinquants.
À cela s’ajoute le fait que la loi reste bien floue sur la portée réelle, en termes de libertés publiques, de cette innovation que constituent les soins sans consentement en ambulatoire.
Qu’impliquent-ils, en pratique, pour le droit d’aller et venir, pour la protection du domicile, pour les rapports avec les proches et dans d’autres lieux de vie ? Qu’en est-il du libre choix de son médecin par le malade, des actes de la vie courante ? La conséquence d’un refus de se prêter au traitement est-elle le retour ou l’envoi en établissement ? Il est difficile, à la seule lecture du projet, de mesurer les véritables sujétions autres que médicales. Celles-ci doivent être précisées et assorties de garanties.
D’où « le sentiment que la concertation permettant un véritable consensus dans ce domaine très sensible n’est pas allée assez loin et que la concomitance des réformes et des moyens n’est pas réalisée. Le patient sera plus isolé que jamais dans une société hostile et face à une réforme dont il constituera le “ cobaye ”. Plus particulièrement, il ne paraît pas acceptable de retenir des critères comme le passage devant la justice ou dans des unités pour malades difficiles pour imposer à un malade, parce qu’il a eu un épisode critique, un régime juridique plus sévère. Il a droit à ce que l’appréciation de son cas se fasse sur la seule base des nécessités de son traitement et sous la responsabilité de son médecin, qui doit évidemment appréhender tous les problèmes liés à la vie en société de son malade ».
Concernant le contrôle du juge sur les décisions prises sans le consentement du malade, on « se demande si la réforme n’est pas restée au milieu du gué et s’il n’aurait pas été plus opportun de faire intervenir le contrôle du juge dès la décision initiale d’hospitalisation et non pas simplement a posteriori ».
« Même si le Conseil constitutionnel n’est pas allé aussi loin, la question peut légitimement être posée. C’est en effet une solution qui fonctionne apparemment bien dans certains pays qui ont mis en pratique ce recours au juge dans la réponse au problème. Il est d’autre part clair que le sort des intéressés n’est pas facilité par la succession de mesures impliquant des responsabilités successives. On ajoutera que toutes les appréciations reposent évidemment sur des avis médicaux, dont la contestation est malaisée et ce d’autant plus que le juge interviendra alors que le diagnostic et même le traitement seront déjà décidés. Pour écarter cette option pourtant souhaitée par les associations de malades et une partie des magistrats, l’étude d’impact avance l’argument assez théorique qu’il ne serait pas bon que le juge des libertés et de la détention appelé à exercer une fonction de contrôle ait pris position dès l’origine. »
Mais le Conseil constitutionnel a, lui, surtout avancé l’argument de la surcharge de travail des juges, ce qui est prévisible et doit être anticipé sérieusement. Nous pensons que le Gouvernement, pour des raisons d’économies budgétaires, a plutôt été sensible à ce dernier argument. Pour notre part, nous estimons que cet élément ne doit pas déterminer la réponse. À partir du moment où l’on s’engage dans une réforme d’importance, il faut se donner les moyens matériels et humains suffisants pour la mettre en œuvre.
« Dans le même ordre d’idée, il est étonnant que le contrôle du juge ne porte pas sur les soins sans consentement lorsqu’ils sont prescrits en ambulatoire. Le placement des soins ambulatoires hors du contrôle du juge paraît dénué de fondement : il y aurait au contraire grand intérêt à ouvrir au juge ce contentieux particulièrement sensible au regard du respect de la vie privée. »
S’agissant d’un autre point de ce projet de loi, on pourrait aussi imaginer que soit créé un bloc de compétences au profit du juge judiciaire – c’est, du reste, ce qui est proposé par le rapporteur de la commission des lois –, « afin que celui-ci connaisse de l’intégralité du contentieux du soin psychiatrique contraint : la concurrence entre la compétence du juge administratif pour connaître des décisions du directeur de l’établissement et celle du juge judiciaire pour décider du maintien de l’hospitalisation sous contrainte ou de la mainlevée de celle-ci, n’est guère satisfaisante. »
Concernant la mise en œuvre du contrôle juridictionnel, des difficultés pratiques apparaissent à l’évidence. La possibilité d’un recours à la visioconférence pour organiser ces audiences, prévue par le projet, est, par exemple, un point de vive contestation. « Des raisons budgétaires ne sauraient justifier cette pratique hautement critiquable dans un contentieux qui s’adresse à des personnes en situation, souvent, d’extrême fragilité. Le dialogue entre le juge et le patient est rendu difficile, sinon impossible, la place de l’avocat – qui ne pourra se trouver à la fois au tribunal et auprès de son client – lui interdit en toute hypothèse d’exercer sa fonction dans des conditions satisfaisantes. C’est donc l’effectivité même du recours organisé sous forme d’auditions à distance qui est compromise. »
Enfin, beaucoup de professionnels du champ psychiatrique et de nombreux magistrats, ainsi que leurs représentants, se déclarent « des plus préoccupés par la procédure de recours suspensif, à l’initiative du préfet et du directeur de l’établissement d’accueil, qu’instaure le projet de loi, en cas de désaccord avec la décision de mainlevée du juge ». La crainte est « que le principe de précaution n’affecte une fois encore les droits des patients tout en discréditant les pouvoirs et l’autorité du juge ».
À la lumière de ces questionnements, pour ne pas dire de ces inquiétudes, on en vient à la conclusion que ce projet de loi manque de la maturité nécessaire à une réforme convaincante du régime actuel de la prise en charge de la maladie mentale. Il semble que la réflexion ne soit pas aboutie, tant sur la question du contrôle par l’autorité judiciaire de la mesure de contrainte que sur celle de la gestion de la contrainte à l’extérieur de l’hôpital psychiatrique.
Dans cet exercice ultrasensible, qui demande une approche requérant le trébuchet du pharmacien, un esprit de mesure s’impose pour trouver un juste équilibre entre trois dispositifs également prioritaires.
D’abord, un dispositif sanitaire au service des malades. Le patient ne doit pas disparaître derrière sa pathologie. Son parcours ne peut se résumer à un condensé d’existence borné par la médicalisation, nonobstant les avancées dans le domaine des médicaments, et/ou l’enfermement.
Ensuite, un dispositif judiciaire qui garantit les libertés fondamentales de tous les citoyens, a fortiori lorsqu’ils sont en état de faiblesse ou malades.
Enfin, un dispositif de sécurité des personnes garantissant l’ordre public, visant à la protection de la société, et dont doit également bénéficier le malade. Ce dispositif ne doit pas être un « tout-sécuritaire », rejetant la présence des malades mentaux hors de la cité, car abusivement déclarés dangereux par hypothèse. Cela, vous en conviendrez, mes chers collègues, est scandaleux !
Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui ne réalise pas ce juste équilibre.
À défaut de pouvoir intégrer ce texte dans une authentique et grande loi de santé publique toujours en attente, et privé de l’espoir de pouvoir bénéficier des quelques réelles avancées proposées par Mme le rapporteur initial de ce projet devant notre commission des affaires sociales – propositions qui, et je l’en remercie, gommaient plusieurs dispositions particulièrement critiquables et critiquées par l’ensemble des professionnels et associations concernées – puisque son rapport a été rejeté la semaine dernière, notre groupe a déposé de nombreux amendements. Certains de ceux-ci reprennent d’ailleurs quelques amendements pertinents déposés par celle qui était le rapporteur initial, amendements que nous avions approuvés lors de l’examen en commission.
D’autres amendements s’inscrivent dans la même veine que ceux, souvent très justifiés, que défendra le rapporteur pour avis de la commission des lois.
Notre objectif est d’améliorer un texte initial alambiqué, assemblage de procédures complexes, au point d’être souvent contradictoires, et qui, en faisant mine d’afficher le renforcement des garanties des droits des personnes, rendent prépondérantes des décisions administratives dictées par la présomption de dangerosité des malades psychiatriques et non fondées sur l’évaluation médicale des nécessités de soins, ce qui est pour le moins déplorable, voire scandaleux, pour nous comme pour nombre de nos concitoyens et pour la grande majorité des professionnels concernés !
Pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer rapidement, mon groupe votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)