M. le président. L'amendement n° 13, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer les mots :
ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. L’article 6 prévoit la possibilité de transformer en zone d’attente spéciale « un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres », alors que, en l’état actuel du droit, les zones d’attente s’étendent des points d’embarquement et de débarquement – que le mode de transport soit le bateau, le train ou l’aéronef – aux points de contrôle frontaliers.
En première lecture, M. le rapporteur prétendait qu’une telle délimitation spatiale permettrait aux autorités de « prendre en compte les stratégies qui peuvent être déployées par les réseaux de passeurs ».
Concrètement, l’entrée en vigueur de ces dispositions pourrait avoir pour conséquence de transformer en zones d’attente spéciales des régions entières, telles que le Calaisis ou la côte de la mer du Nord. Une telle extension n’est pas acceptable, car elle s’accompagnerait d’une restriction des droits des étrangers.
Nous proposons de réduire la possibilité de créer ces lieux de privation de liberté en supprimant les mots : « ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Tous ces amendements ayant déjà fait l’objet d’une discussion approfondie tant en commission qu’en séance publique à l’occasion de la première lecture, on me permettra d’être concis.
S’agissant de l’amendement n° 12, je rappellerai simplement que le dispositif de la protection temporaire et la création de zones d’attente ad hoc reposent sur deux fondements juridiques totalement différents. Mieux vaut, pour les étrangers concernés, être placés dans une zone d’attente temporaire, ce qui leur ouvre un certain nombre de droits, notamment celui de demander l’asile, que bénéficier de la protection temporaire, régime bien moins favorable et qui ne peut être mis en œuvre que sur décision du Conseil de l'Union européenne. La commission émet donc un avis défavorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 16, notre collègue Alain Anziani s’est interrogé sur la notion de « nombre exceptionnellement élevé », qu’il juge floue. Or, précisément, la fixation d’un seuil à « au moins dix » ressortissants de pays tiers permettra aux magistrats qui auraient à connaître de recours sur ce point de s’appuyer sur un critère objectif, clair et précis pour trancher. La commission est donc défavorable à cet amendement.
Pour les mêmes raisons, elle émet un avis défavorable sur les amendements nos 15 et 14.
Enfin, concernant l’amendement n° 13, la rédaction actuelle du texte permettra aux autorités de prendre en compte les stratégies qui peuvent être éventuellement déployées par les réseaux de passeurs pour déjouer les dispositifs de contrôle mis en place. C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à l'ensemble de ces amendements. J’ajouterai aux explications données par M. le rapporteur quelques éléments complémentaires.
Je rappelle, tout d’abord, que le régime de la protection temporaire est prévu par une directive communautaire de 2001 et qu’il concerne des situations très particulières, notamment des déplacements de populations lors de conflits armés. Il a été conçu dans le contexte des crises balkaniques.
Sa mise en œuvre, qui relève, comme le disait M. le rapporteur, d’une décision du Conseil de l'Union européenne prise sur proposition de la Commission, est d’ailleurs conditionnée au fait que les étrangers concernés ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine. Les situations visées à l’article 6 n’entrent pas, à l’évidence, dans ce cadre.
Je précise une nouvelle fois que les dispositions de la directive Retour s’appliquent non pas aux zones d’attente, mais à la rétention, dont le régime est différent.
Enfin, madame Khiari, il peut arriver que des migrants se répartissent en plusieurs sous-groupes pour entrer sur notre territoire en différents points distants de moins de dix kilomètres. Ce cas de figure nous semble devoir être pris en compte.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Après le premier alinéa de l’article L. 221-4 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais, compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais. »
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article.
Mme Catherine Tasca. L’article 7 s’inscrit dans le prolongement de l’article 6. Il vise à encadrer le défaut de notification de leurs droits aux migrants se trouvant en zone d’attente.
L’article 7 prévoit que, « en cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais, compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais. » Peut-on faire plus vague ?
Monsieur le ministre, vous venez de nous gratifier d’une explication de texte sur l’application de la directive Retour, en distinguant le droit applicable dans les centres de rétention du droit applicable dans les zones d’attente. J’avoue que, jusqu’à présent, nous n’avions absolument pas perçu cette distinction. En effet, en matière de privation de liberté, la situation des personnes retenues est la même, qu’elles se trouvent dans un centre de rétention ou dans une zone d’attente ad hoc, et leurs droits devraient donc être également identiques.
La directive Retour pose des conditions précises, et fait notamment référence à « une charge lourde et imprévue » pesant « sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire ». Or, si ce critère a été mis de côté s’agissant de l’article 6, ce qui rend plus facile le recours aux zones d’attente, il réapparaît par un extraordinaire tour de passe-passe à l’article 7, pour justifier un éventuel défaut de notification de leurs droits aux migrants.
L’usage qui est fait de ce critère est absolument contestable. Encore une fois, ce sont la lettre et l’esprit de la directive Retour qui sont outrepassés, alors que celle-ci est déjà elle-même très restrictive.
On ne peut pas dire en même temps que l’on crée des zones d’attente ad hoc parce que les centres de rétention ordinaires ne sont pas en mesure de faire face à l’arrivée de ces nouveaux migrants et que ce n’est pas le même droit qui s’applique dans ces deux types de lieux !
Vous nous répétez suffisamment que l’administration, qu’il s’agisse du ministère de l’intérieur ou de celui de la justice, dispose de tous les moyens nécessaires à la mise en œuvre de votre politique. Comment, dès lors, comprendre la volonté du Gouvernement d’introduire pareil article ?
En réalité, l’article 7, comme le précédent, témoigne que le Gouvernement renonce à garantir le respect des droits et libertés individuels dans ces zones. À ce titre, je trouve véritablement malsaine son obsession de restreindre les droits des étrangers à l’occasion de l’examen de chaque nouveau projet de loi sur l’immigration.
Qu’il s’agisse des délais ou de la notification des droits, nous constatons que ces zones d’attente « nomades » constitueront de fait des zones de non-droit pour les étrangers.
En matière de libertés publiques, les dispositifs exorbitants du droit commun doivent toujours nous alerter, c’est pourquoi nous combattons ce projet de loi.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous reveniez sur la distinction formelle que vous faites entre le droit applicable dans les centres de rétention et le droit applicable dans les zones d’attente.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 17 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 150 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 184 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 17.
M. Richard Yung. Les dispositions de l’article 7 visent à assouplir encore davantage les conditions dans lesquelles s’effectue la notification de leurs droits aux étrangers maintenus en zone d’attente.
Certes, cette démarche est plus difficile quand le nombre de personnes concernées est élevé. Il est notamment ardu de trouver suffisamment d’interprètes.
Cela étant, nous considérons que la rédaction présentée est trop large et imprécise. Ainsi, aucun délai pour procéder à la notification des droits n’est fixé.
En outre, nous pensons que ce flou cache la volonté de priver les juges de la possibilité de remettre en cause des décisions pour défaut de notification des droits dans les délais.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 150.
Mme Éliane Assassi. Non contents de prévoir la possibilité de créer de multiples zones d’attente ad hoc en fonction des besoins, vous portez atteinte aux maigres droits conférés aux étrangers concernés dès lors qu’ils s’y trouveront en « nombre important ».
Ainsi, leur information dans une langue qu’ils comprennent sur leurs droits à demander l’assistance d’un interprète ou d’un médecin, de communiquer avec un conseil ou toute personne de leur choix et de quitter à tout moment la zone d’attente pour toute destination située hors de France ne sera plus assurée qu’en fonction du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles !
Déjà, la loi de 2003 relative à la maîtrise de l’immigration avait substitué à la notion d’information « immédiate » celle d’information « dans les meilleurs délais ». Il s’agit ici de franchir un nouveau pas dans la même direction, afin de restreindre les possibilités d’invalidation de procédure de maintien en zone d’attente par le juge judiciaire et de permettre à l’autorité administrative de mener ladite procédure comme bon lui semble.
Parce que l’administration ne saurait manquer à l’impératif de notification immédiate des droits par tous les moyens nécessaires, y compris en termes d’effectifs, nous ne pouvons accepter cet article, qui limite sa responsabilité au détriment de la garantie des droits fondamentaux des étrangers.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l'amendement n° 184 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. L’article 7 est la conséquence fâcheuse de l’article 6, puisqu’il tend à autoriser que la notification et l’exercice des droits des personnes retenues dans les zones d’attente puissent être retardés pour n’intervenir que « dans les meilleurs délais », dans des circonstances particulières et « compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles ».
En d’autres termes, c’est faire dépendre l’exercice de garanties essentielles relevant du niveau constitutionnel de modalités d’organisation de l’administration elle-même.
Les termes employés sont fort imprécis et me paraissent peu acceptables. Je rappelle que le Conseil constitutionnel avait, en 2003, validé un dispositif comparable comportant la notification des droits dans les meilleurs délais, mais en précisant que cela devait être justifié par des raisons objectives, ce que ne prévoit pas le présent texte.
La notification de leurs droits aux personnes privées de liberté est une garantie essentielle de niveau constitutionnel, qui s’inscrit au cœur du contrôle exercé par le juge. En prévoyant que cette notification des droits se fera dans les meilleurs délais possibles, l’article 7 vise à rendre régulières des mesures de privation de liberté non assorties de cette garantie et à tarir ainsi indûment le contentieux, pour des motifs tenant simplement à la régulation des flux migratoires.
Par ailleurs, comme Mme Tasca, je m’étonne que la directive Retour ne soit pas applicable aux zones d’attente ad hoc, d’autant que vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que celles-ci avaient pour vocation de faire face à des besoins imprévus et aléatoires ne pouvant être couverts par les centres de rétention… Je vous remercie par avance des précisions que vous voudrez bien nous apporter sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur les amendements de suppression nos 17, 150 et 184 rectifié.
L’article 7 précise les conditions dans lesquelles les étrangers se verront notifier leurs droits. La notion de « meilleurs délais » continuera à être appréciée in concreto, en fonction des circonstances et des difficultés rencontrées, auxquelles l’administration s’adaptera au mieux. Je souligne que la commission a modifié la rédaction de cet article pour la clarifier.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces amendements.
Je confirme que les dispositions de l’article 18 de la directive Retour ne s’appliquent qu’aux centres de rétention : il n’y a aucune équivoque. Alors que les centres de rétention sont situés à l’intérieur du territoire, les zones d’attente relèvent de l’arrivée à la frontière : il s’agit donc de deux régimes juridiques tout à fait différents. Le Gouvernement français n’a pas le pouvoir de modifier une directive de l’Union européenne…
Je rappelle en outre que, dans ces zones d’attente provisoires, les droits des étrangers seront strictement les mêmes que dans les zones d’attente permanentes. Il s’agit, pour le Gouvernement, de répondre avec pragmatisme à des circonstances inattendues et particulières, liées à l’arrivée inopinée, en un lieu qui n’est pas organisé en zone d’attente, d’un nombre significatif d’étrangers voulant pénétrer sur notre territoire. Dans une telle situation, chacun le comprend bien, il faut mettre en œuvre les moyens nécessaires.
Le droit actuel répond très précisément, en termes de garanties juridiques, aux préoccupations des auteurs des amendements. Il prévoit en effet que le juge des libertés et de la détention s’assurera que tous les moyens ont été mis en œuvre pour notifier ses droits à chacun des intéressés dans les meilleurs délais.
Ce dispositif est strictement conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 17, 150 et 184 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer le mot :
important
par les mots :
exceptionnellement élevé
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. La rédaction imprécise de l’alinéa 2 de l’article 7 fait craindre que, en matière de notification des droits, le régime dérogatoire ne devienne la règle.
Les termes : « un nombre important d’étrangers » risquent en effet d’être interprétés de manière abusive par l’administration. Les dispositions prévues à l’article 7 pourraient être mises en œuvre dès lors que le nombre d’étrangers maintenus en zone d’attente sortira de l’ordinaire.
Afin de prévenir un tel risque, nous proposons de reprendre dans la loi les termes de l’article 18 de la directive Retour, qui conditionne l’application des mesures dérogatoires au droit commun à la présence d’« un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, estimant que la notion de « nombre exceptionnellement élevé » risquerait d’être beaucoup trop restrictive. Par ailleurs, la directive Retour n’est pas applicable aux zones d’attente.
Dans tous les cas, il appartiendra à l’administration de faire état des difficultés concrètes rencontrées pour justifier tout délai dans la notification des droits et dans l’exercice de ceux-ci, en fonction des circonstances de l’espèce.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Je voudrais relever un paradoxe.
M. le rapporteur nous a dit, au sujet de l’alinéa 4 de l’article 6, qu’il fallait inscrire dans la loi un seuil précis en termes de nombre d’étrangers arrivant à la frontière, afin de donner un critère objectif aux tribunaux.
Or cette logique ne vaut plus à l’article 7, dont la rédaction fait simplement référence à « un nombre important d’étrangers ». Soyez cohérents !
M. le président. L'amendement n° 19, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - L’article L. 221-5 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le mineur isolé ne peut être éloigné avant d’avoir rencontré l'administrateur ad hoc qui lui a été désigné. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Conformément à l’article L. 221-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, lorsqu’un étranger mineur non accompagné d’un représentant légal qui n’est pas autorisé à entrer en France est placé en zone d’attente, le procureur de la République, saisi par la police de l’air et des frontières, lui désigne sans délai un administrateur ad hoc qui assure sa représentation dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives au maintien en zone d’attente.
Ce dispositif, créé en 2002, connaît de nombreux dysfonctionnements, qui sont préjudiciables aux droits des mineurs étrangers isolés.
Ainsi, l’administrateur ad hoc n’est pas présent au moment de la notification au mineur du refus d’entrée qui lui est opposé et de son placement en zone d’attente.
En outre, il subit souvent une obstruction policière et doit engager une véritable course contre la montre lorsqu’il essaie d’empêcher l’éloignement d’un mineur vers un pays où il serait exposé à des risques.
Dans ces conditions, de nombreux mineurs étrangers isolés sont expulsés sans même avoir pu contester leur placement en zone d’attente, non plus que leur expulsion.
Nous craignons que ces difficultés ne s’accentuent en cas de création d’une zone d’attente spéciale. Ces inquiétudes sont partagées par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui, dans un avis très critique en date du 5 juillet dernier, a affirmé que « du fait de la mobilité des zones d’attente ad hoc, les difficultés rencontrées pour désigner un administrateur ad hoc qualifié dans les meilleurs délais, comme l’exige la loi, vont être démultipliées et la représentation des mineurs risque d’être inexistante ».
Afin de garantir le respect des droits des mineurs étrangers isolés, nous proposons d’insérer un alinéa additionnel, afin de poser le principe que ces mineurs ne pourront pas être éloignés avant d’avoir rencontré un administrateur ad hoc.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, dans la mesure où les dispositions de l’article L. 221-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoient déjà que les mineurs isolés soient assistés par un administrateur ad hoc durant le maintien en zone d’attente. Ce dernier est chargé de faire prévaloir les droits du mineur et doit être désigné sans délai. Peut-être leur nombre est-il insuffisant, mais cette question relève du domaine réglementaire, et non de la loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
J’ajoute que l’octroi du jour franc au mineur placé en zone d’attente est désormais automatique et que ce délai donne précisément le temps d’organiser la rencontre avec l’administrateur ad hoc.
M. le président. L'amendement n° 20, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - L’article L. 221-5 du même code est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’étranger mineur non accompagné d’un représentant légal ne peut être renvoyé dans un pays par lequel il a transité.
« Avant d’éloigner du territoire un mineur non accompagné d’un représentant légal, des démarches doivent être engagées afin de s’assurer qu’il sera remis à un membre de sa famille, à un tuteur désigné ou à des structures d’accueil adéquates dans l’État de retour. »
La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. En l’état actuel du droit, les mineurs étrangers isolés qui ne sont pas admis sur notre territoire peuvent être refoulés à l’issue d’un placement en zone d’attente. Ce régime est dérogatoire au droit commun, la législation française prohibant en effet toutes les formes d’éloignement forcé à l’égard des mineurs, qu’il s’agisse de mesures administratives – expulsion – ou judiciaires –interdiction du territoire français. Les enfants maintenus en zone d’attente sont donc traités comme des étrangers adultes !
Ce dispositif n’a pas d’équivalent dans les États européens qui enregistrent des flux migratoires entrants comparables à ceux que connaît la France. Le Royaume-Uni et l’Allemagne, par exemple, ne recourent pas au placement en zone d’attente pour les mineurs étrangers isolés et ne leur refusent pas non plus l’entrée sur le territoire.
En 2008, sur environ 1 000 mineurs étrangers isolés arrivés à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, 341 ont été expulsés ou ont poursuivi leur voyage vers une autre destination. Cette pratique n’est pas acceptable, car, selon le Conseil d’État, le renvoi d’un mineur étranger isolé vers son pays d’origine peut porter atteinte « à l’intérêt supérieur de l’enfant et [doit] être regardé comme contraire au 1) de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant ».
Par ailleurs, les mineurs étrangers isolés placés en zone d’attente sont parfois éloignés vers des pays où ils n’avaient fait que transiter, sans bénéficier des garanties suffisantes assurant qu’ils ne seront pas exposés à des exactions et qu’ils seront pris en charge à leur arrivée. Ce faisant, les autorités françaises mettent ces enfants en danger.
Une telle pratique est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans un arrêt du 12 octobre 2006, a considéré que la situation d’extrême vulnérabilité doit être déterminante et prédominer sur la qualité d’étranger en séjour illégal.
Soucieux de garantir le respect des droits de l’enfant, nous proposons d’interdire le renvoi des mineurs étrangers isolés placés en zone d’attente dans les pays par lesquels ils ont transité.
Par ailleurs, nous souhaitons laisser aux autorités compétentes le temps d’évaluer sereinement les dangers auxquels les mineurs étrangers isolés risquent d’être confrontés en cas de retour dans le pays où ils ont leur résidence habituelle. En cas d’éloignement, les autorités devraient également s’assurer que la procédure est menée avec l’accord du mineur et prend en considération prioritairement son projet de vie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Les mineurs isolés qui sont maintenus en zone d’attente bénéficient de l’intervention de l’administrateur ad hoc, qui est chargé de faire prévaloir leurs droits.
Je rappelle par ailleurs que les mineurs étrangers isolés présents sur notre territoire ne peuvent être éloignés, quand bien même ils se trouveraient en situation irrégulière. De ce point de vue, les choses sont très claires.
J’ajoute que, aux yeux de la commission, l’adoption d’un tel amendement risquerait de créer un effet de filière.