Sommaire
Présidence de Mme Monique Papon
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Jean-Paul Virapoullé.
2. Demandes d'avis sur des projets de nomination
3. Dépôt d'un avenant à une convention
4. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
5. Communication du Conseil constitutionnel
6. Immigration, intégration et nationalité. – Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ; François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois.
M. Jean Louis Masson, Mmes Anne-Marie Escoffier, Éliane Assassi, MM. François Zocchetto, Richard Yung, Mmes Catherine Troendle, Bariza Khiari, Alima Boumediene-Thiery, M. Roland Ries.
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
7. Questions cribles thématiques
Mme Évelyne Didier, M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.
MM. Jean Boyer, le secrétaire d'État.
MM. François Fortassin, le secrétaire d'État.
MM. Alain Fouché, le secrétaire d'État.
MM. Roland Courteau, le secrétaire d'État.
MM. Antoine Lefèvre, le secrétaire d'État.
MM. Daniel Raoul, le secrétaire d'État.
MM. Didier Guillaume, le secrétaire d'État.
Suspension et reprise de la séance
8. Décisions du Conseil constitutionnel
9. Immigration, intégration et nationalité. – Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture (Texte de la commission)
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Motion no 3 de M. David Assouline. – MM. David Assouline, François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois ; le ministre, Jean-Pierre Sueur, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
Mme Colette Giudicelli. – Rejet par scrutin public.
Motion no 1 de Mme Éliane Assassi. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le ministre, Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 2 de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
10. Communication relative à un projet de nomination
Suspension et reprise de la séance
11. Immigration, intégration et nationalité. – Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture (Texte de la commission)
Mme Catherine Tasca.
Amendements identiques nos 146 de Mme Éliane Assassi, 179 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 181 rectifié de M. Jacques Mézard. – Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Alima Boumediene-Thiery, Anne-Marie Escoffier, MM. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois ; Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. – Rejet, par scrutin public, des trois amendements.
Amendement n° 4 de M. Richard Yung. – MM. Richard Yung, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 206 rectifié du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur, Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Mme Éliane Assassi.
Adoption de l’article.
Amendements identiques nos 147 de Mme Éliane Assassi et 182 rectifié de M. Jacques Mézard. – Mmes Marie-Agnès Labarre, Anne-Marie Escoffier, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 5 de M. Richard Yung. – MM. Alain Anziani, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 3 bis (suppression maintenue)
Amendements identiques nos 6 de M. Richard Yung et 148 de Mme Éliane Assassi. – Mmes Catherine Tasca, Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 7 de M. Richard Yung. – Mme Bariza Khiari, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 5 ter (suppression maintenue)
Amendement n° 8 de M. Richard Yung. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, le ministre, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Amendement n° 9 de M. Richard Yung. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Mme Catherine Tasca.
Amendements identiques nos 10 de M. Richard Yung, 149 de Mme Éliane Assassi et 183 rectifié de M. Jacques Mézard. – Mmes Bariza Khiari, Éliane Assassi, Anne-Marie Escoffier, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 11 de M. Richard Yung. – MM. Alain Anziani, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 12 de M. Richard Yung. – M. Richard Yung.
Amendement n° 16 de M. Richard Yung. – M. Alain Anziani.
Amendement n° 15 de M. Richard Yung. – Mme Patricia Schillinger.
Amendement n° 14 de M. Richard Yung. – M. Michel Teston.
Amendement n° 13 de M. Richard Yung. – Mme Bariza Khiari.
MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des amendements nos 12, 16, 15, 14 et 13.
Adoption de l’article.
Mme Catherine Tasca.
Amendements identiques nos 17 de M. Richard Yung, 150 de Mme Éliane Assassi et 184 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Richard Yung, Mmes Éliane Assassi, Anne-Marie Escoffier, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 18 de M. Richard Yung. – Mme Bariza Khiari, MM. le rapporteur, le ministre, Alain Anziani. – Rejet.
Amendement n° 19 de M. Richard Yung. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 20 de M. Richard Yung. – MM. Michel Teston, le rapporteur, le ministre, Mme Catherine Tasca. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendements identiques nos 21 de M. Richard Yung et 151 de Mme Éliane Assassi. – M. Richard Yung, Mme Marie-Agnès Labarre, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 216 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 207 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
M. Richard Yung.
Amendement n° 152 de Mme Éliane Assassi. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 22 de M. Richard Yung. – MM. Richard Yung, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 25 de M. Richard Yung. – MM. Roland Courteau, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 23 de M. Richard Yung. – MM. Roland Courteau, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 26 de M. Richard Yung. – MM. Alain Anziani, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 27 de M. Richard Yung. – Mme Catherine Tasca, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 24 de M. Richard Yung. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 28 de M. Richard Yung. – M. Richard Yung. – Retrait.
Adoption de l’article.
Renvoi de la suite de la discussion.
12. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga,
M. Jean-Paul Virapoullé.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Demandes d'avis sur des projets de nomination
Mme la présidente. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre, par lettres en date du 8 avril 2011, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis des commissions du Sénat compétentes, d’une part, en matière d’enseignement et de recherche, sur le projet de nomination de M. Didier Houssin à la présidence du conseil de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, en application de l’article L. 114-3-3 du code de la recherche et de l’article 2 du décret n° 2006-1334 du 3 novembre 2006 modifié, et, d’autre part, en matière d’environnement, sur le projet de nomination de M. Jean-François Dhainaut à la présidence du Haut Conseil des biotechnologies, en application de l’article L. 531-4 du code de l’environnement.
Ces demandes d’avis ont été respectivement transmises à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Acte est donné de cette communication.
3
Dépôt d'un avenant à une convention
Mme la présidente. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, l’avenant à la convention passée avec l’ONERA et relative à l’action « recherche dans le domaine de l’aéronautique », qui a été publiée au Journal officiel du 31 juillet 2010.
Acte est donné du dépôt de ce document.
Il a été transmis à la commission des finances et à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Il sera disponible au bureau de la distribution.
4
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 8 avril 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (n° 2011-116, 2011-117, 2011-18 et 2011-20 QPC).
Acte est donné de ces communications.
5
Communication du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 8 avril, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution :
- le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-139 QPC) ;
- et la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-140 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
6
Immigration, intégration et nationalité
Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (projet n° 357, texte de la commission n° 393, rapport n° 392).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà un peu plus de vingt ans, avec la chute du mur de Berlin, l’est de l’Europe s’ouvrait à la démocratie. Aujourd’hui, c’est au tour des pays du sud de la Méditerranée de s’engager courageusement sur cette voie.
Face à cette situation, nous pourrions, il est vrai, nous contenter d’une posture d’observateur passif.
Nous devons, bien au contraire – et je sais que vous en êtes, comme moi, convaincus, mesdames, messieurs les sénateurs – adopter une attitude responsable.
Être responsable, c’est, bien sûr, apporter tout notre soutien à l’avènement de ces nouveaux régimes.
Être responsable, c’est aussi faire face avec réalisme aux conséquences de ces bouleversements et, en particulier, à la pression migratoire qu’ils engendrent en direction de l’Europe.
C’est aussi notre devoir vis-à-vis de nos voisins méditerranéens qui ont, aujourd’hui plus que jamais, besoin de toutes leurs forces vives pour se construire.
Dans ce contexte d’espoirs et de bouleversements, le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité que je reviens vous présenter prend donc une résonnance toute particulière.
Il constitue notamment une occasion de traiter avec pragmatisme la question de l’immigration clandestine. Nous devons saisir cette opportunité avec résolution et rapidité.
Il nous faut agir avec résolution, en adoptant l’ensemble des mesures que contient un projet de loi entièrement tourné vers l’efficacité républicaine. Concrètes et exclusivement opérationnelles, les dispositions qu’il contient sont toutes indispensables et attendues par les services qui se chargent, jour après jour, de lutter contre l’immigration clandestine.
Il nous faut agir avec rapidité pour permettre la transposition intégrale de la directive communautaire Retour en droit français, et mettre fin à son application partielle, consécutive à l’avis émis par le Conseil d’État le 21 mars dernier. Nous avons pris, sur la transposition de cette directive, le temps du débat parlementaire, et donc de la réflexion démocratique. Nous pouvons dès lors passer à l’action.
La qualité du travail fourni par la commission des lois, tout particulièrement par son président, Jean-Jacques Hyest, et son rapporteur, François-Noël Buffet, en est un bon augure.
Les travaux préparatoires ont, en effet, permis d’opérer avec succès plusieurs rapprochements importants entre la position du Gouvernement et la sensibilité propre de la Haute Assemblée.
Permettez-moi, d’abord, de vous rappeler les grandes priorités de notre politique d’immigration.
Ces priorités découlent tout simplement des deux grands principes qui fondent, depuis 2007, notre politique d’immigration.
Premier principe : tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine, sauf situations particulières.
Second principe : un étranger qui est accueilli légalement sur notre territoire doit être bien accueilli. C’est le sens que nous donnons au concept d’intégration.
Ces priorités se traduisent concrètement, chaque année, par des résultats que nous avons à cœur de vous transmettre. Vous disposez ainsi, depuis quelques jours, du septième rapport du Gouvernement au Parlement sur les orientations de la politique de l’immigration.
Au terme d’un travail minutieux d’agrégation des données, ce document fait notamment ressortir, pour l’année 2009, une baisse de 12 % du regroupement familial, une diminution de 10 % de l’immigration professionnelle, probablement liée à la crise économique, et une hausse de l’immigration étudiante.
Mais, plutôt que de faire un exposé sur des données dont vous disposez d’ores et déjà, je préfère mettre en valeur les priorités du Gouvernement en matière d’immigration.
La première de nos priorités, c’est la lutte contre l’immigration irrégulière.
Vous le savez, depuis 2007, plus de 110 000 personnes ont été éloignées vers leur pays d’origine, et plus de 102 000 autres ont été refoulées à la frontière.
Grâce à la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, entrée en vigueur le 15 mars dernier, nous disposons désormais d’un cadre juridique clair et fiable pour les contrôles d’initiative dans la bande frontalière des vingt kilomètres, ainsi que dans les ports, gares et aéroports ouverts au trafic international.
Je souhaite, par ailleurs, que nous nous assurions de la sécurité juridique de nos procédures d’éloignement. C’est pourquoi M. le garde des sceaux a, sur ma suggestion, diffusé récemment aux procureurs généraux une circulaire incitant les parquets à utiliser plus fréquemment leur pouvoir d’appel suspensif des décisions des juges des libertés et de la détention, même si chaque affaire mérite naturellement un traitement au cas par cas. Cette procédure est le gage d’une meilleure régulation juridique des décisions des JLD, les juges des libertés et de la détention. Le projet de loi soumis à votre examen facilite d’ailleurs la mise en œuvre de cet appel suspensif en accroissant de deux heures le délai ouvert au parquet pour l’exercer.
Il nous appartient aussi de tirer le meilleur parti des possibilités offertes par la technologie. Comme j’ai pu le constater à Nantes en visitant la sous-direction des visas, le déploiement des visas biométriques est désormais une réalité. En 2010, 50 % des visas délivrés par la France étaient des visas biométriques. Il est tout à fait nécessaire que, sur notre territoire, les services de police et de gendarmerie soient en mesure de tirer le bénéfice de ces progrès dans la lutte contre l’immigration irrégulière. C’est pourquoi j’ai décidé que, d’ici au mois de juin, 150 postes d’accès à la base de données « VISABIO » seront installés dans ces services.
La situation constatée actuellement en Italie, sur l’île de Lampedusa, me conforte dans la volonté de mener avec détermination cette action de lutte contre l’immigration irrégulière. Et les résultats sont là : entre le 23 février et le 6 avril derniers, 1 921 ressortissants tunisiens en situation irrégulière ont d’ores et déjà été effectivement éloignés vers la Tunisie ou réadmis en Italie ou dans un autre pays européen.
L’action que nous menons est strictement conforme au droit communautaire et aux conventions bilatérales que nous avons conclues avec nos partenaires. À l’inverse, la France n’accepte pas les pratiques non-coopératives. Des instructions claires ont été données aux préfets et aux services de police et de gendarmerie afin que le respect des règles de Schengen soit scrupuleusement contrôlé.
Je me suis rendu vendredi dernier à Milan pour rencontrer mon homologue italien. Nous nous sommes mis d’accord sur le principe d’une réponse concertée aux problèmes d’immigration clandestine que nous rencontrons depuis plusieurs semaines. Nous sommes convenus, par exemple, d’organiser, dans le cadre de Frontex, des patrouilles communes au large des côtes tunisiennes.
Mais la solution durable contre l’immigration clandestine se trouve, bien sûr, dans un dialogue politique renouvelé avec les pays d’émigration. Nous devons, dans le cadre de l’Union européenne, apporter toute l’aide nécessaire aux pays de la rive sud de la Méditerranée, qui connaissent aujourd’hui une nouvelle ère de liberté. Nous devons les aider à aborder cette phase inédite de leur développement économique. Mais nous devons aussi les convaincre que le règlement des questions migratoires figure au cœur du partenariat que nous souhaitons nouer avec eux. C’est le message que j’ai porté, hier encore, à l’occasion de la réunion des vingt-sept ministres de l’intérieur européens à Luxembourg.
La deuxième de nos priorités, c’est la maîtrise de l’immigration régulière.
Beaucoup a déjà été fait depuis 2007. Le regroupement familial a été réformé : il ne représente plus que 15 000 titres de séjour par an, contre 25 000 avant la réforme. Parallèlement, et vous le verrez en lisant le rapport au Parlement sur les orientations de la politique de l’immigration, l’immigration professionnelle a progressé, même si, en 2009, les effets de la crise économique ont été observés.
Nous devons aujourd’hui nous poser la question d’une nouvelle étape dans la maîtrise de l’immigration légale. C’était le sens de mes propos de la semaine dernière. Et je ferai, dans les prochains jours, des propositions de réduction du nombre de titres de séjour délivrés chaque année.
La troisième de nos priorités, c’est, précisément, l’intégration.
Certains s’interrogent sur les raisons pour lesquelles le Gouvernement tient à maîtriser les flux migratoires. En réalité, nous voulons que notre pays reste fidèle à lui-même, fidèle à ses valeurs, fidèle à la République. Notre capacité à accueillir n’est pas sans limites. La France est un pays ouvert, un pays généreux. Mais si nous voulons éviter les tensions, les préjugés, voire les risques de xénophobie, il faut que les flux migratoires soient maîtrisés, qu’ils restent à la mesure de notre capacité à les accueillir.
Depuis 2003, près de 500 000 personnes ont signé un contrat d’accueil et d’intégration par lequel elles s’engagent à respecter les principes qui régissent notre République et à apprendre le français. Je souhaite que nous nous assurions, et le projet de loi va dans ce sens, que chaque étranger accueilli en France, et à plus forte raison chaque candidat à la naturalisation, dispose d’un niveau suffisant de maîtrise de notre langue.
J’étais ce matin même dans le Val d’Oise, avec Hugues Portelli, pour faire le point sur notre politique d’aide à l’apprentissage du français. J’ai rencontré, à cette occasion, les responsables associatifs de cette action. Je me suis aussi entretenu avec certains des migrants qui font cette démarche d’intégration. Leur exemple le prouve : maîtriser notre langue, c’est bien évidemment trouver plus facilement du travail et avoir plus de prise sur l’éducation de ses enfants.
Enfin, notre quatrième priorité consiste à garantir la soutenabilité de notre système d’asile.
Notre tradition d’accueil des réfugiés politiques est, et restera, une valeur cardinale défendue et protégée par le Gouvernement. Ce sont environ 10 000 réfugiés politiques qui sont accueillis chaque année par la France.
Mais si les procédures d’asile doivent nous permettre d’accueillir des réfugiés politiques, elles n’ont pas vocation à devenir une filière d’immigration permettant aux étrangers de contourner les règles d’entrée en France ! Or nous assistons pourtant, depuis deux ans, à une très nette augmentation des demandes : 20 % en 2008, 12 % en 2009, et 10 % en 2010. Nous devons lutter fermement contre toutes les formes d’abus, lesquels portent en définitive préjudice aux demandeurs de bonne foi, qui méritent une protection de la part de notre pays.
Face à cela, notre stratégie consiste à tout faire pour réduire la durée d’instruction des demandes d’asile. Cette réduction des délais est d’abord la garantie, pour les « véritables » demandeurs d’asile, d’obtenir une réponse dans un délai raisonnable. Mais elle doit aussi permettre d’éviter que, le temps passant, la demande d’asile ne soit détournée.
Dans cet esprit, nous renforçons, dès 2011, les moyens de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA. Grâce à la loi de finances que vous avez votée et aux arbitrages complémentaires qui ont été rendus, depuis, par le Premier ministre, quarante postes sont créés à l’OFPRA et cinquante à la CNDA. Ces moyens supplémentaires permettront de réduire la durée d’instruction des demandes et de passer de la moyenne tout à fait excessive de dix-neuf mois, constatée en 2010, à une moyenne d’environ douze mois, et ce dès la fin de cette année. Le projet de loi apporte par ailleurs des améliorations procédurales qui visent le même objectif.
Il prévoit aussi la création de nouveaux outils au service de cette stratégie d’ensemble, dont le maître mot est l’efficacité. Mais puisque vous avez déjà examiné ce texte une première fois, mesdames, messieurs les sénateurs, je me limiterai à un bref rappel de son contenu.
Tout d’abord, le projet de loi inscrit dans notre droit national les innovations que nous avons promues à l’échelle européenne. Concrètement, il transpose trois directives communautaires. Je souhaite me pencher principalement sur la directive Retour, qui donne un nouveau cadre juridique à notre politique d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Cette directive apporte trois innovations majeures.
Première innovation : la directive Retour pose le principe du « délai de départ volontaire » pour la mise en œuvre des mesures d’éloignement. Ce délai doit être compris entre sept et trente jours. Nous faisons le choix, dans le projet de loi qui vous est soumis, de fixer cette durée à trente jours, par cohérence avec le régime actuel des obligations à quitter le territoire français.
Toutefois, ce délai de départ volontaire peut être refusé si l’étranger concerné représente une menace pour l’ordre public, si un titre de séjour lui a déjà été refusé pour fraude, ou encore s’il existe un risque qu’il tente de se soustraire à l’exécution de la mesure d’éloignement. C’est ce qu’on appelle également le « risque de fuite » ; ce risque est présumé, par exemple, lorsqu’un étranger est entré irrégulièrement sur le territoire et qu’il n’a tenté aucune démarche administrative pour régulariser sa situation. Dans son avis du 21 mars dernier, le Conseil d’État a refusé que le risque de fuite puisse être invoqué par l’administration tant que le projet de loi ne serait pas adopté définitivement. Vos débats d’aujourd’hui, et votre vote, doivent donc permettre de donner toute sa portée à l’application de la directive Retour.
Deuxième innovation : la directive Retour encadre davantage le régime de la rétention administrative, en prévoyant que celle-ci ne se justifie que lorsqu’une mesure moins coercitive s’avère insuffisante. C’est pourquoi le projet de loi contient une mesure d’assignation à résidence qui constitue une alternative à la rétention.
Troisième innovation, enfin : la directive Retour crée un dispositif d’interdiction de retour à portée européenne. Cette mesure, qui peut accompagner la mesure d’éloignement, est entourée de nombreuses garanties : elle doit être motivée, elle ne présente aucun caractère systématique, et l’autorité administrative peut en moduler la durée. Je rappelle enfin que, dans une résolution de février 2007, le Sénat s’était prononcé sur ce dispositif, indiquant que l’interdiction de retour « constituerait un message fort de solidarité européenne en matière de lutte contre l’immigration illégale ».
Par ailleurs, le projet de loi propose quelques ajustements juridiques en matière d’intégration et d’accès à la nationalité.
Cela signifie, d’abord, que l’on facilite l’accès à la nationalité française aux étrangers manifestant un parcours d’intégration exceptionnel. Pour ces personnes, qui s’accomplissent dans les domaines civique, scientifique, économique, culturel ou sportif, nous proposons de créer une voie d’accès spécifique à la nationalité française en réduisant la condition de résidence de cinq à deux ans.
Cela signifie, ensuite, que l’on s’assure de l’adhésion à nos valeurs de tout étranger demandant à acquérir la nationalité française. Concrètement, le postulant à la naturalisation devra signer une charte des droits et devoirs du citoyen français. Les parlementaires seront associés à la rédaction de cette charte. En outre, la maîtrise de notre langue sera évaluée de manière beaucoup plus objective qu’aujourd’hui, en s’inspirant des référentiels linguistiques européens.
Je voudrais revenir sur un autre volet du texte qui vous est soumis : le renforcement de l’efficacité de nos procédures d’éloignement.
Je pense, d’abord, à la possibilité de créer, en cas de nécessité, des zones d’attente temporaires.
Il s’agit de se préparer à faire face à des situations exceptionnelles, pour que nos services puissent agir dans un cadre clair, juridiquement précis, plutôt que d’improviser au milieu d’un vide juridique. Le 22 janvier 2010, lorsque 123 personnes d’origine kurde ont débarqué de manière inopinée sur une plage de Corse-du-Sud, ce dispositif nous aurait été très utile.
Il ne s’agit pas de créer un régime d’exception, mais bien de donner un cadre juridique clair, celui des zones d’attente, à des situations exceptionnelles. La création de ces zones se fera dans le respect de tous les droits dont bénéficient habituellement les migrants dans les zones d’attente traditionnelles, portuaires ou aéroportuaires. Elle sera d’ailleurs limitée, dans le temps, à une durée maximale de vingt-six jours, une mesure que M. le rapporteur de la commission des lois a souhaité introduire dans le texte.
Je pense, ensuite, à l’allongement de la durée maximale de la rétention administrative de trente-deux à quarante-cinq jours. Cette mesure tient compte de deux réalités.
Première réalité : la limite de trente-deux jours constitue un frein à la conclusion des accords de réadmission, négociés au niveau communautaire.
Deuxième réalité : l’allongement de la durée maximale de rétention administrative doit permettre d’accroître le nombre de laissez-passer consulaires délivrés. En effet, le nombre de jours nécessaires à l’obtention de ce laissez-passer est souvent supérieur à trente-deux : c’est le cas, par exemple, de la Chine, pour laquelle le délai moyen de délivrance de ce document s’élève à trente-cinq jours, ou du Mali, pour lequel ce délai moyen est de trente-huit jours.
Lorsque l’on sait que l’absence de délivrance du laissez-passer consulaire représente la première cause d’échec des procédures d’éloignement – 34 % des cas en 2009 –, l’utilité de l’allongement de la durée maximale de rétention administrative ne fait plus de doute. J’ajoute que cet allongement apparaît raisonnable : avec une durée de quarante-cinq jours, la France conservera la durée de rétention la plus faible d’Europe.
Depuis que vous l’avez adopté en première lecture, le texte a évolué, mesdames, messieurs les sénateurs.
Principale évolution du texte, le Gouvernement a fait le choix de privilégier les mesures efficaces sur les mesures symboliques.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
M. Claude Guéant, ministre. C’est dans cet esprit que nous avons accepté de ne plus faire figurer la mesure relative à la déchéance de nationalité, qui avait fait l’objet de quelques critiques au sein de cette assemblée. Elle n’était, au demeurant, que l’une des 75 mesures prévues par le projet de loi.
M. David Assouline. Mais la seule citée dans le discours de Grenoble !
M. Claude Guéant, ministre. Notre choix est un signe, s’il en est, de l’attention que le Gouvernement accorde aux positions exprimées par le Sénat.
La commission des lois a, elle-même, apporté une contribution significative au texte en discussion.
Je l’ai dit, le travail mené conjointement par son rapporteur et le Gouvernement a permis de dégager des positions communes sur plusieurs sujets. Je pense, en particulier, au statut des zones d’attente temporaires, à l’incrimination pénale du mariage fondé sur une fraude aux sentiments, ou encore à la lutte contre le travail des étrangers sans titre.
Je voudrais également saluer la démarche du président de la commission des lois du Sénat, Jean-Jacques Hyest, et de son rapporteur, François-Noël Buffet, qui ont pris l’initiative de clarifier la rédaction de l’article 17 ter relatif aux étrangers malades.
Notre objectif est clair. Nous voulons simplement éviter que l’assurance maladie française ne porte la responsabilité de financer les carences des systèmes de protection sociale des autres pays. Nous voulons appliquer à la lettre la loi du 11 mai 1998, mais nous récusons l’interprétation qu’en a faite le Conseil d’État depuis avril 2010. Je reconnais, toutefois, que la rédaction qui vous était proposée en première lecture était sans doute ambiguë.
La rédaction suggérée par le rapporteur et le président de la commission des lois est indiscutablement meilleure : elle est beaucoup plus claire, et opère une ouverture en permettant à l’autorité administrative de prendre en compte des « circonstances exceptionnelles et humanitaires » tirées de la situation personnelle du demandeur pour décider de délivrer le titre, et ce même si les critères ne sont pas remplis.
Ouvrir ainsi les possibilités d’attribution du titre revient à faire œuvre salutaire. Je crois que, ce faisant, nous sommes parvenus à un équilibre acceptable par tous et je vous annonce, d’emblée, que le Gouvernement soutiendra l’amendement de MM. Hyest et Buffet.
Je voudrais, pour conclure, vous dire quelques mots de la réforme du contentieux de l’éloignement.
La commission des lois a validé le principe de la réforme visant à rétablir l’ordre logique des interventions respectives des juges administratif et judiciaire. Je tiens à saluer cette position. Le Gouvernement est convaincu que cette réforme est une bonne réforme. Elle apportera plus de sécurité juridique, assurera une meilleure administration de la justice et ne porte nullement atteinte aux droits des étrangers.
Il demeure toutefois une nuance entre la position du Gouvernement et celle de la commission des lois. Celle-ci limite à quatre jours le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention, alors que le projet du Gouvernement prévoyait un délai de cinq jours. En réalité, ce délai correspond au temps nécessaire pour que le juge administratif puisse se prononcer sur le recours déposé par l’étranger.
Dans l’esprit du Gouvernement, ces cinq jours se décomposent de la manière suivante : quarante-huit heures pour que l’étranger dépose son recours devant le juge administratif, et soixante-douze heures pour que celui-ci statue. Il y aurait donc deux manières de passer de cinq jours à quatre jours.
Première option : réduire de vingt-quatre heures le délai de recours. Cette option ne paraît pas raisonnable, car elle constitue un retour en arrière au regard de l’expression des droits des étrangers concernés. De surcroît, elle présente un fort risque d’inconstitutionnalité, car elle porte atteinte au principe du droit à un recours effectif.
Seconde option : réduire de vingt-quatre heures le temps imparti au juge pour statuer, lequel disposerait alors non plus de soixante-douze heures, mais seulement de quarante-huit heures. Aux yeux du Gouvernement, cette hypothèse n’est pas pleinement satisfaisante, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, compte tenu du volume que représente le contentieux des étrangers, le respect du délai de soixante-douze heures par les juges administratifs nécessite déjà, à l’heure actuelle, des efforts importants.
Or il faut bien avoir conscience que le projet de loi dont nous débattons aura pour conséquence d’accroître de façon mécanique le nombre de recours devant le juge administratif : à partir du moment où celui-ci sera le premier juge appelé à se prononcer, il est inévitable que davantage d’étrangers souhaiteront le solliciter. Aujourd’hui, seule une mesure d’éloignement sur six est contestée devant le juge administratif, probablement parce que beaucoup d’étrangers anticipent qu’ils seront d’abord présentés au juge des libertés, et que c’est donc devant ce dernier qu’ils devront faire valoir leurs arguments.
En outre, le projet de loi contient plusieurs innovations sur ce point : d’une part, le juge administratif est le seul juge compétent pour contrôler l’interdiction de retour ; d’autre part, une voie de recours accélérée est créée, devant lui, sur la légalité du placement en rétention. Ces mesures devraient normalement conduire les étrangers à saisir plus fréquemment le juge administratif.
Par ailleurs, chacune de ces requêtes sera elle-même plus complexe à juger, car elle portera sur un nombre de décisions administratives plus élevé qu’auparavant.
En effet, le projet de loi crée l’interdiction de retour, impose au préfet de prendre une décision sur l’octroi ou non du délai de départ volontaire et amène le juge administratif à se prononcer plus systématiquement sur la légalité du placement en rétention. Au total, le juge administratif n’aura pas moins de cinq décisions administratives à juger lorsqu’il sera saisi.
Il lui sera donc très difficile de se prononcer en quarante-huit heures, au lieu des soixante-douze heures actuelles. Dans ces conditions, le juge administratif risque de se prononcer hors délai, ce qui réduirait à néant notre stratégie visant à ce qu’il statue avant le juge judiciaire.
Permettez-moi d’ajouter une considération d’ordre pratique, mesdames, messieurs les sénateurs : réduire le délai de jugement à quarante-huit heures reviendrait, pour un recours déposé le vendredi, à imposer au juge de statuer pendant le week-end, ce qui n’est pas une pratique susceptible de favoriser la sérénité du jugement.
De même, le système des quatre jours poserait d’autres problèmes d’organisation, très concrets mais très difficiles à résoudre. Compte tenu d’un délai de jugement très contraint, le tribunal administratif organiserait son audience quelques heures seulement avant que le juge des libertés et de la détention ne statue. Si ces deux juges ne siègent pas dans la même ville, il sera difficile de présenter l’étranger devant eux dans des conditions matériellement satisfaisantes.
Pour l’ensemble de ces raisons, les vice-présidents du Conseil d’État successifs se sont explicitement prononcés, en leur qualité de président du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel – et non relativement à la compétence juridictionnelle du Conseil d’État –, en 2003 et en 2006, en faveur d’un délai de jugement de soixante-douze heures.
Je voudrais aussi souligner que le report à cinq jours de l’intervention du juge des libertés et de la détention ne constitue pas une atteinte excessive au droit de l’étranger à être présenté à un juge. Même après la réforme, la France n’aurait rien à envier, en termes de droit des étrangers à un recours effectif, à ses principaux partenaires européens. Il faut bien sûr limiter les comparaisons aux pays dont le système repose, comme celui de la France, sur un dualisme juridictionnel ; ces questions seront sans doute évoquées au cours des débats. En tous les cas, la France continuera à se présenter dans d’excellentes conditions par rapport à ses partenaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, aux yeux du Gouvernement, le report à cinq jours de l’intervention du juge des libertés et de la détention constitue une réforme proportionnée aux objectifs poursuivis, à savoir renforcer la sécurité juridique des procédures et assurer une meilleure administration de la justice. C’est cette option que le Gouvernement vous demande de bien vouloir retenir.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éléments dont je souhaitais vous faire part cet après-midi.
Au travers du présent projet de loi, l’objectif du Gouvernement est simple et clair : apporter des réponses républicaines, concrètes et opérationnelles aux défis auxquels notre politique d’immigration est aujourd’hui confrontée.
Car nous n’avons qu’une ambition : mener une politique d’immigration qui soit ferme à l’endroit de celles et ceux qui ne respectent pas la loi de la République, mais aussi humaine,…
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai ! Elle est inhumaine !
M. Claude Guéant, ministre. … c’est-à-dire respectueuse des droits et de la dignité des personnes, et accueillante pour les étrangers auxquels nous délivrons une autorisation de séjour.
C’est à cette condition que nous parviendrons à consolider l’équilibre de notre communauté nationale et notre cohésion sociale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui la deuxième lecture du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, qui nous a été transmis par nos collègues de l’Assemblée nationale le 15 mars dernier.
Je vous propose tout d’abord d’évoquer en quelques mots les points sur lesquels nous sommes parvenus, à ce stade, à un accord avec les députés ; ils sont nombreux et concernent quelques-uns des aspects essentiels de la réforme.
Tout d’abord, la transposition des mesures d’éloignement prévues par la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive Retour, a fait l’objet d’un accord entre nos deux assemblées. Rappelons qu’elle substitue aux dispositifs actuels relatifs à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière une mesure unique d’obligation de quitter le territoire français, communément dénommée OQTF.
Cette OQTF sera, dans chaque cas, assortie ou non d’un délai de départ volontaire, selon des critères précis dont la commission des lois du Sénat a souhaité qu’ils soient énumérés de manière limitative, comme nous l’avions d’ailleurs décidé en première lecture.
Je pense que la simplification apportée par cette réforme est une bonne chose, tant pour nos administrations, qui se trouvent actuellement confrontées à des choix difficiles du seul fait d’un manque de clarté des dispositions du code des étrangers, que pour les citoyens et pour les étrangers eux-mêmes, qui seront ainsi mieux à même de comprendre le sens et la portée des décisions qui seront prises à leur encontre.
Je note par ailleurs que les députés ont accepté de revenir, comme nous l’avions souhaité, à une interdiction de retour, non pas automatique, mais décidée par le préfet en tenant compte de manière approfondie de la situation personnelle de l’étranger et de ses liens éventuels avec notre pays.
Les deux assemblées ont également trouvé un accord sur les dispositions introduites par le Gouvernement pour assurer une transposition plus fidèle de la directive Libre circulation : il sera désormais inscrit expressément dans le code des étrangers que seule une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française » pourra justifier qu’un ressortissant communautaire soit éloigné de notre territoire.
Il est également précisé que l’autorité administrative devra tenir le plus grand compte de la situation de l’intéressé avant de prononcer une telle mesure. Voilà qui, de notre point de vue, devrait enfin apaiser le débat relatif aux garanties dont bénéficieraient ou non les ressortissants bulgares ou roumains.
Nous avons par ailleurs trouvé un accord sur une partie du dispositif relatif aux zones d’attente ad hoc. Celles-ci permettront de prendre en charge dans de bonnes conditions des arrivées de groupes de personnes en dehors des points de passage frontaliers, en les faisant bénéficier des droits afférents aux zones d’attente ordinaires. Subsistent cependant sur ce sujet quelques divergences avec l’Assemblée nationale, que nous évoquerons dans quelques instants.
Sur les dispositions destinées à renforcer les conditions dans lesquelles l’assimilation de l’étranger à la communauté française est appréciée, les députés ont, en deuxième lecture, ajouté des éléments relatifs à l’évaluation de la connaissance de l’histoire, de la culture et de la société françaises.
Sur ce point, la commission des lois a inséré des précisions indispensables pour assurer la plus grande équité entre les personnes. En particulier, il est nécessaire que les connaissances continuent à être appréciées, comme le prévoit le code civil, selon la condition de chaque personne qui demande à être naturalisée.
En ce qui concerne, par ailleurs, la disposition très débattue relative à la déchéance de nationalité, l’Assemblée nationale, qui l’avait adoptée en première lecture, s’est ralliée, en deuxième lecture, à la position du Sénat, qui l’avait supprimée en séance publique.
Enfin, la plupart des dispositions relatives à la législation du travail et aux poursuites contre les employeurs d’étrangers sans titre font partie des points d’accord, à quelques exceptions près.
Je me réjouis d’ailleurs que nos travaux sur ce sujet se soient déroulés de manière relativement consensuelle.
J’en viens maintenant aux principaux points sur lesquels la commission a exprimé un désaccord avec le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Ce n’est pas l’usage à cette tribune, mais, avant de poursuivre, je souhaiterais faire une petite mise au point qui me paraît importante pour le Sénat.
En effet, je regrette que les députés aient souvent rejeté, sans la moindre explication, des modifications que nous avions apportées dans le seul souci d’améliorer la qualité du texte qui nous était soumis. Je regrette encore plus que l’on ait opposé nos travaux à ceux de la « représentation nationale », comme l’a fait à plusieurs reprises le rapporteur pour l’Assemblée nationale du présent projet de loi. Cela ne me semble pas vraiment digne de l’esprit du bicamérisme qui nous anime, mes chers collègues. (Applaudissements sur diverses travées.)
M. Jacques Gautier. Très bien !
Mme Bariza Khiari. Bravo !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Après tout, nous sommes tous, députés et sénateurs, élus au suffrage universel.
Il me semblait important de faire ce rappel.
Mme Jacqueline Gourault. En effet !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Pour en revenir au texte, nous avons d’abord estimé qu’il convenait de mieux définir les zones d’attente ad hoc. En effet, le texte issu de l’Assemblée nationale permettrait de créer des zones d’attente ad hoc à caractère pérenne, ce qui ne correspond ni à l’intention initiale du Gouvernement ni à l’idée que l’on peut se faire d’un dispositif temporaire destiné à répondre à des situations exceptionnelles.
La commission a donc adopté un amendement qui permet de préserver le caractère exceptionnel du dispositif en fixant une durée maximale de vingt-six jours, qui correspond à celle du maintien en zone d’attente ordinaire.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a adopté en séance publique un amendement supprimant le principe de l’acquisition automatique de la nationalité française à dix-huit ans pour les enfants nés en France de parents étrangers et ayant leur résidence habituelle en France.
Or une telle disposition constitue une mesure nouvelle sans lien direct avec une disposition du texte en discussion, puisqu’elle concerne l’acquisition automatique de la nationalité française, et non la naturalisation ou l’acquisition par déclaration. De ce fait, elle ne satisfait pas à la règle de l’entonnoir et présente un risque d’inconstitutionnalité. Dura lex, sed lex ! C’est pourquoi, sans même s’être prononcée sur le fond, la commission l’a écartée.
Elle a également rejeté la modification des dispositions en vigueur relatives au séjour des étrangers gravement malades. Toutefois, et parce qu’il nous semble légitime de vouloir revenir à l’état du droit qui prévalait antérieurement à la jurisprudence excessivement libérale du Conseil d’État, nous avons ce matin adopté en commission un amendement visant à clarifier la rédaction de l’article 17 ter, en nous efforçant de tenir compte des souhaits de chacun. Cette nouvelle rédaction préserve notre volonté de prendre en compte des considérations humanitaires, en permettant aux étrangers les plus gravement malades de séjourner sur notre territoire, tout en affirmant un principe de fermeté, afin d’éviter que le dispositif ne fasse l’objet d’abus qui ne correspondraient pas à l’usage que nous souhaitons lui attribuer.
En ce qui concerne l’incrimination des « mariages gris », les députés n’ont pas suivi le Sénat, qui avait replacé celle-ci dans le cadre du droit et de l’échelle des peines en vigueur. La commission a donc rétabli la rédaction votée par le Sénat en première lecture.
S’agissant du droit d’asile, la commission des lois a également exprimé son désaccord avec l’Assemblée nationale sur certaines dispositions.
Ce droit constitue tant une tradition nationale qu’une obligation constitutionnelle et conventionnelle. Il faut par conséquent préserver son effectivité. C’est pourquoi la commission est à nouveau revenue sur la suppression pure et simple de l’aide juridictionnelle en procédure de réexamen, de manière à ce que seules soient concernées les personnes qui ont pu faire leur demande dans de bonnes conditions, c’est-à-dire après avoir été précédemment entendues par l’OFPRA ainsi que par la CNDA, assistées par un avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle.
Enfin et surtout, le débat reste ouvert sur la difficile question du contentieux des mesures d’éloignement.
Au délai de cinq jours pendant lequel le juge des libertés et de la détention peut être saisi par le préfet pour prolonger la rétention administrative, la commission des lois a préféré, sur proposition de son président, Jean-Jacques Hyest, un délai de quatre jours. Bien qu’il n’ait pas été expressément validé par le Conseil constitutionnel, ce laps de temps est déjà en vigueur pour les zones d’attente. Le risque de censure semble donc moindre, d’autant que la commission vous proposera également de prévoir que le juge administratif doive se prononcer sur les décisions prises par le préfet à l’encontre de l’étranger dans le même délai de quatre jours.
Sera ainsi préservé l’objectif de clarification des procédures juridictionnelles. Comme l’a réaffirmé le rapport Mazeaud, il est absolument nécessaire et constitue le sens même de cette réforme.
Voici tracés, mes chers collègues, les grands axes des modifications adoptées par la commission des lois pour la seconde lecture du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi, très large, qui concerne les conditions de séjour des étrangers sur notre territoire, tend à apporter un certain nombre de réponses à de vrais problèmes.
Cela étant, je regrette très vivement qu’il n’aille pas assez loin sur certains points. L’immigration pose en effet à l’ensemble de notre société des difficultés qui me conduisent, ainsi qu’un grand nombre de nos concitoyens, à souhaiter une plus grande fermeté. Les récents résultats des élections cantonales, notamment, montrent que les Français qui se lèvent tous les matins pour aller travailler désireraient que, à un moment donné, la société française tienne plus compte des problèmes des personnes qui habitent en France que de ceux des étrangers qui, malgré nos lois, veulent venir sur notre territoire.
Mme Éliane Assassi. Scandaleux !
M. Jean Louis Masson. Pour ma part, et bien que je souscrive à certaines de ses dispositions, je ne partage pas totalement l’état d’esprit qui a présidé au dépôt du présent projet de loi. En effet, l’on assiste actuellement à une sorte d’instrumentalisation à des fins politiques ou politiciennes d’un certain nombre de problèmes qui mériteraient d’être traités plus sérieusement, dans le sens d’un assouplissement ou d’un durcissement.
Chaque année sont adoptés un ou deux textes sur la délinquance ou l’immigration. Nos concitoyens commencent à en avoir par-dessus la tête ! En présence de vraies difficultés, on sort un lapin du chapeau, on lance une idée. Le meilleur exemple en est la proposition de déchéance de la nationalité française : cette mesure n’aurait concerné qu’une ou deux personnes tous les cinq ou dix ans, et n’aurait donc strictement servi à rien. Il aurait mieux valu prendre des mesures un peu plus coercitives. En réalité, on a secoué le lapin pour faire croire à nos concitoyens que l’on faisait quelque chose…
M. Jean-Louis Carrère. C’est un grand théoricien ! (Sourires.)
M. Jean Louis Masson. C’est tout le problème de l’action du Gouvernement et du Président de la République depuis quelques années qui est posé.
M. Jean-Louis Carrère. Je le vois bien conseiller à l’Élysée ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean Louis Masson. On assiste parfois, dans une logique politicienne, au dévoiement et à l’instrumentalisation de problèmes qui mériteraient d’être traités au fond.
Pour ma part, et j’insiste sur ce point, je suis partisan d’un durcissement de la loi pour tout ce qui concerne, en particulier, l’immigration. En revanche, je suis radicalement hostile aux continuelles gesticulations politiciennes relatives à la gestion de la France. Le résultat des dernières élections cantonales devrait faire réfléchir un certain nombre de personnes au plus haut niveau de l’État !
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. « Il n’y a aucune raison pour que la mondialisation croissante des échanges et de l’information ne s’étende pas aux mouvements de population. S’ils sont maîtrisés, les flux migratoires seront une richesse pour notre pays. D’ailleurs, la France a toujours été un pays d’immigration et elle doit à cette tradition une large part de son rayonnement intellectuel et politique. » Ainsi s’exprimait, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 janvier 2002, en ouverture de son propos sur le droit d’entrée et de séjour en France des étrangers, le ministre de l’intérieur de l’époque devant les préfets réunis.
Ces propos résonnent en moi, mais peut-être aussi en vous, monsieur le ministre, avec une intensité particulière, en raison des fonctions que nous exercions à l’époque.
Ces propos, tout particulièrement aujourd’hui dans le contexte international troublé que nous connaissons, sont chargés de l’espoir de donner à chaque étranger, dans le respect du principe de dignité, auquel vous savez notre attachement indéfectible, et dans le strict respect de la loi, la juste place qui peut et doit être la sienne.
Forts de notre devise républicaine « liberté, égalité, fraternité », nous sommes nombreux dans cet hémicycle, et peut-être même unanimes, à considérer que l’immigration légale ou régulière doit être accompagnée de tous les outils juridiques garantissant un accueil sur notre territoire.
Nous sommes tout aussi nombreux à refuser les entrées comme les séjours irréguliers, qui font de ces hommes et de ces femmes des non-êtres, des sans-papiers contraints à l’errance.
Nous sommes donc en parfait accord sur les principes. En revanche, monsieur le ministre, tel n’est pas forcément le cas à l’égard de tous les moyens que vous mettez en œuvre.
En préalable à l’examen du présent projet de loi, je voudrais rappeler que, en un peu plus de dix ans, cinq textes successifs ont permis d’améliorer, selon certains, ou de modifier, selon d’autres, le droit existant en matière d’immigration, d’intégration, de nationalité et d’asile, en somme d’entrée et de séjour sur notre territoire.
Ce foisonnement de textes a surtout eu pour vertu de complexifier notre droit au point que seuls les plus éclairés savent retrouver leur chemin dans ce qui est devenu un vrai dédale mêlant la loi aux décrets, aux circulaires, aux instructions et aux recommandations orales.
Le projet de loi que nous examinons en deuxième lecture s’inscrirait-il dans ce labyrinthe ? Certainement pas, si je m’en réfère à la synthèse présentée par le Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.
Les sources principales du présent texte seraient de trois ordres : la transposition de trois directives européennes – directive Retour, directive Carte bleue, directive Sanctions – ; la mise en œuvre des propositions de la commission présidée par Pierre Mazeaud et issues du rapport intitulé Pour une politique d’immigration transparente, simple et solidaire ; enfin, le respect des conclusions du séminaire sur l’identité nationale.
Le projet de loi répondrait essentiellement par six dispositions à ces trois objectifs.
Premièrement, s’agissant de l’entrée sur le territoire, de nouvelles conditions sont prévues pour la création d’une zone d’attente temporaire, afin d’examiner la situation de nouveaux arrivants étrangers à la frontière.
Deuxièmement, serait créé un nouveau titre de séjour, la « carte bleue européenne », nouvel instrument de promotion de l’immigration professionnelle.
Troisièmement, la lutte contre le travail illégal serait renforcée, afin de responsabiliser les employeurs et de leur appliquer, en cas d’emploi d’un étranger sans titre, de nouvelles sanctions administratives.
Quatrièmement, le droit de l’éloignement des étrangers serait révisé : nouvelle décision d’éloignement – l’obligation de quitter le territoire français –, principe du départ volontaire, assignation à résidence et interdiction de retour.
Cinquièmement, les règles relatives au contentieux des étrangers seraient refondues, afin de remettre en ordre l’intervention du juge administratif – légalité de la procédure – et celle du juge judiciaire – prolongation de la mesure de rétention.
Sixièmement enfin, les règles relatives à la nationalité et à l’intégration seraient modifiées pour faciliter l’accès à la nationalité française et responsabiliser davantage les candidats à l’intégration.
Rien, dans la présentation qui est ainsi faite du projet de loi, ne vient heurter les principes que j’ai rappelés. Mais à mieux regarder, à mieux vous entendre, à lire vos écrits, monsieur le ministre, je m’interroge. Ce texte n’a-t-il pas pour objet premier de faire peser tous les efforts sur la lutte contre l’immigration irrégulière ? D’atteindre, voire de dépasser, les objectifs chiffrés fixés dans chaque département à chaque préfet ? Le nouvel outil que constitue ce projet de loi n’a-t-il pas vocation à apporter des réponses concrètes et directement opérationnelles à tous ces dévoiements de la loi imaginés par les professionnels du droit des étrangers qui s’ingénient à trouver des parades à des mesures qu’ils jugent indignes de notre nation ?
Monsieur le ministre, je voudrais en cet instant saluer la raison, celle du président de la commission des lois et du rapporteur, qui ont su contenir bon nombre de dispositions proposées par l’Assemblée nationale qui rompaient avec nos principes républicains.
La commission a, par exemple, refusé de restreindre le droit des étrangers malades atteints de pathologies lourdes à rester sur le territoire français pendant la durée des soins qui doivent leur être prodigués et dont ils n’auraient pas pu bénéficier dans leur pays.
Elle a également tenu à préserver les droits essentiels des demandeurs d’asile en prévoyant, même si cette mesure n’est pas la plus opérante, que le demandeur peut être entendu par la voie de la visioconférence devant la CNDA.
Je veux relever que, même si les solutions apportées par la commission ne me satisfont pas pleinement, elles ont toujours été marquées par la volonté de protéger l’étranger, plus que l’administration, de contentieux dont personne n’ignore ni le poids ni les conséquences.
Il n’en reste pas moins que, pour la majorité des membres du groupe du RDSE – Jacques Mézard s’en expliquera bien mieux que moi ultérieurement, lors de la présentation d’un amendement –, différents points du présent texte ne sont pas acceptables.
Tout d’abord, le fait de porter la durée maximale de la rétention administrative de trente-deux à quarante-cinq jours constitue assurément, selon moi, le moyen pour l’administration d’améliorer son objectif chiffré d’expulsions. Nous savons tous la difficulté que les services administratifs ont rencontrée ou rencontrent encore pour obtenir les laissez-passer consulaires, qui permettent, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, de concrétiser les mesures de reconduite à la frontière. Il sera intéressant d’évaluer le nombre d’expulsions réalisées grâce à l’allongement de treize jours du délai initialement fixé.
Même si la notion de pérennité a fort opportunément été retirée du texte, la création de zones d’attente temporaires reste possible pour une durée maximale de vingt-six jours. Cette solution ne nous semble pas pleinement garantir à l’étranger la possibilité d’exercer ses droits, notamment le droit d’asile, dans les conditions prévues par l’article 18 de la directive Retour.
S’agissant précisément de la transposition de cette directive, transposition au demeurant bien tardive, puisqu’elle devait intervenir, me semble-t-il, à la fin de l’année dernière, l’article 30 du présent projet de loi ne respecte pas la logique du retour volontaire. Il impose, à l’inverse, le placement en rétention administrative ordonné par le préfet dès lors que la mesure d’éloignement ne peut être mise en œuvre immédiatement.
Cet article 30, qui n’envisage comme seule alternative à la rétention que l’assignation à résidence, et qui place ces deux mesures sur le même plan, introduit une nouvelle restriction au droit des étrangers.
Je n’entrerai pas davantage dans le détail des articles qui feront, dans la suite de nos débats, l’objet de propositions d’amendement. Nous nous devons toutefois de rester extrêmement vigilants face à ce qui s’apparente à un durcissement systématique des dispositions existantes, lequel tend in fine à réduire les droits des étrangers, même si la présentation qui en est faite peut paraître empreinte de générosité.
Ainsi en est-il des dispositions relatives à la nationalité et à l’intégration, qui soumettent le candidat à l’une ou l’autre des procédures à un véritable examen auquel nombre de Français de longue date n’aimeraient pas être soumis !
Ainsi en est-il encore des « mariages gris », qui présupposent l’insincérité des intentions matrimoniales des étrangers, alors que le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel la liberté de mariage ne saurait être subordonnée à la légalité du séjour.
Reviendra-t-on, comme on a pu le dire ici ou là, sur l’accueil d’étrangers autorisés à nous apporter, au niveau professionnel, leur compétence, leur talent et leur savoir-faire ?
Reviendra-t-on sur les dispositions relatives au regroupement familial qui, initialement, n’avaient d’autre objet que de permettre à un étranger de vivre normalement une vie de couple ?
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, je veux accorder toute ma confiance à la sagesse du Gouvernement et du Parlement, à la raison, au bon sens et à notre tradition républicaine d’accueil de l’étranger, comme je l’ai rappelé en introduction de mon propos.
Je veux bien croire à la nécessité de maîtriser les flux migratoires, en lien étroit avec les États membres de l’espace Schengen, et de lutter sans faillir contre l’immigration irrégulière, mais je voudrais bien davantage croire à des mesures généreuses, efficaces et confiantes pour assurer aux étrangers que nous accueillons les conditions d’une vie normale et heureuse. Je veux être persuadée qu’un prochain projet de loi – il y en aura sûrement un ! –…
M. David Assouline. Oh non !
Mme Anne-Marie Escoffier. … n’aura d’autres objectifs, monsieur le ministre, que de permettre à ces étrangers de vivre ici, sur notre terre, leur « légende personnelle » ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’actualité nationale et internationale a évolué depuis la première lecture au Sénat de ce projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, à commencer par le remaniement ministériel et le changement du ministre en charge du dossier. Ainsi, ce texte, déposé en son temps par M. Besson, et qui nous a été présenté en séance publique par M. Hortefeux, est aujourd’hui défendu par vous-même, monsieur le ministre, qui en êtes certainement l’auteur réel. Valse des ministres, sans doute, mais idéologie constante !
Quant à elles, les révolutions arabes, qui ont insufflé un grand vent de liberté et de démocratie dans les pays du sud de la Méditerranée, se sont invitées dans le débat sur l’immigration, faisant perdre leur sang-froid à certains membres de l’UMP qui n’ont vu dans ces événements – pourtant historiques et remplis d’espoir pour les peuples – qu’un risque d’invasion migratoire pour la France.
C’est ainsi que nous avons assisté – choqués, je dois dire – à une série de petites phrases lancées tous azimuts par une droite en difficulté électorale partie chasser sur les terres du Front national. La députée UMP Chantal Brunel est allée jusqu’à proposer de remettre les immigrés dans les bateaux ! Les événements tragiques, et malheureusement loin d’être isolés, qui se sont déroulés récemment au large de l’île de Lampedusa sont venus nous confirmer la dangerosité et l’inhumanité de tels propos.
Le Président de la République a lui parlé de « flux migratoires devenus incontrôlables » et d’une « Europe […] en première ligne ». Quant à vous, monsieur le ministre, vous avez insisté sur la nécessité de lutter contre l’immigration irrégulière qui « inquiète » les Français. Vous avez dit aussi, dans la droite ligne de votre prédécesseur, que « Les Français […] ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux ».
De petites phrases en consignes de vote prônant le « ni-ni » – ni front républicain, ni Front national – au second tour des élections cantonales, vous brouillez tous les repères, non seulement dans le but de rallier à vous les voix du Front national, mais aussi de satisfaire l’aile la plus extrême de l’UMP tentée par les sirènes de ce parti.
On a vu les résultats de cette tactique politicienne lors des élections cantonales : l’original est toujours préféré à la copie, même si cette dernière fait tout pour en être la copie conforme ! En réalité, cette stratégie fait le jeu du Front national : Mme Le Pen et son parti vous disent merci tous les jours, car ce sont eux qui ramassent la mise. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
Quant au débat sur l’islam, renommé pudiquement débat sur la laïcité, il n’aurait jamais dû voir le jour. Faut-il rappeler que ce débat a été décrié par les premiers intéressés, à savoir les six principaux responsables de culte en France et qu’il a été critiqué, y compris dans les rangs de l’UMP ?
À l’aune de ce débat, on comprend mieux alors les propos – soufflés par qui ? – du Président de la République sur les rôles respectifs de l’instituteur et du curé, ou encore sur les racines chrétiennes de la France, sans oublier les vôtres, monsieur le ministre, sur la croisade française en Libye... (Protestions sur les travées de l’UMP.)
Plus récemment, comme pour donner le ton au débat sur la laïcité, vous avez déclaré : « Cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème. Il est clair que les prières dans les rues choquent un certain nombre de nos concitoyens ». (M. David Assouline s’exclame.)
Ces déclarations ne sont pas sans nous rappeler celles de M. Hortefeux, pour lesquelles celui-ci a été condamné pour injure raciale. (Nouvelles protestations sur les travées de l’UMP.)
Décidément, en quelques semaines à la tête du ministère de l’intérieur, vous en avez dit plus que M. Hortefeux en plusieurs mois, lequel n’était pourtant pas en reste !
Mais peut-être avons-nous devant nous aujourd’hui l’auteur des petites phrases d’hier ?
Le fiasco du précédent débat lancé sur l’identité nationale, qui n’a fait que libérer la parole raciste dans le pays, aurait dû vous servir de leçon. Tel n’a pas été le cas. Vous vous êtes de nouveau lancés dans une course folle et incontrôlable. Mais il vrai que nous entrons, désormais, dans une période préélectorale, avec en ligne de mire les élections présidentielle et législatives, et avec un Président de la République candidat pour 2012, plus impopulaire que jamais, qui tente de se refaire une santé électorale sur ses thèmes de prédilection, à savoir l’insécurité et l’immigration, comme en 2007 !
Pourquoi s’accrocher au principe de laïcité qui semble moins en danger que d’autres grands principes de notre République tels que l’égalité, la fraternité, la liberté, que vous remettez en cause jour après jour avec vos réformes libérales imposant un modèle de société que nous rejetons : casse de la protection sociale, suppressions de postes et réductions budgétaires dans l’éducation nationale, la justice, la police, la poste, hausse des tarifs de l’énergie, et j’en passe… Là, cela ne vous pose aucun problème ! Là, il n’y a pas de débat !
Monsieur le ministre, la question de fond n’est-elle pas celle des inégalités qui ne permettent pas aux populations, singulièrement celles des quartiers populaires, de bien vivre dans notre société ? Comment, dans ces conditions, assurer le « vivre ensemble » ?
Entre les deux lectures, le Conseil constitutionnel est venu censurer des articles de la LOPPSI 2. Cette censure n’est pas sans incidence sur le texte que nous examinons, puisque certaines dispositions se recoupent entre elles, comme pour mieux entretenir l’amalgame entre insécurité et immigration. Le Conseil constitutionnel a tranché : les audiences relatives aux étrangers ne peuvent être tenues dans les centres de rétention administrative, les CRA. Ainsi, les gens du voyage – les Roms, pour vous ! – installés sur des terrains pour y vivre, ne peuvent être évacués de force sur simple décision préfectorale.
Alors même que les membres du Conseil constitutionnel ne peuvent pas être soupçonnés d’être de farouches adversaires de la droite au pouvoir, leur censure met un frein à la volonté de l’UMP d’inscrire dans la loi son idéologie ultra-sécuritaire et répressive, en rappelant au passage à ses membres quelques principes constitutionnels.
En réalité, le présent texte, comme toute la politique d’immigration du Gouvernement, se réduit à un simple affichage. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
Ce texte idéologique n’a pas vocation à être appliqué, encore moins à être efficace. Le rapporteur de la commission des lois fait d’ailleurs le constat suivant : « À l’heure de la mondialisation et des bouleversements géopolitiques qui affectent des régions proches de l’Europe, l’équilibre entre la nécessité pour la France de maîtriser les phénomènes migratoires et la préservation des principes de notre droit doit être construit et préservé soigneusement. L’efficacité des dispositions portées par le présent projet de loi dépendra pour une large part de leur acceptation par l’ensemble des acteurs de la chaîne administrative et judiciaire. »
La seule efficacité de ces lois réside dans le fait qu’elles nourrissent la xénophobie et l’exclusion au plan national et européen.
L’UMP entretient savamment l’amalgame entre insécurité, islam, immigration et terrorisme alors que les Français sont davantage préoccupés par l’emploi, le pouvoir d’achat et, au-delà, par ce qui se passe en Libye, en Côte d’Ivoire ou encore au Japon.
Les lois en matière d’immigration proposées par l’UMP ne servent qu’à banaliser les idées frontistes et racistes pour des raisons purement électoralistes, à stigmatiser et criminaliser les étrangers et les personnes issues de l’immigration, à créer un climat de peur et de division entre les citoyens, bref à désigner des boucs émissaires, toujours utiles à la droite, surtout en temps de crise économique et sociale.
Avec cette énième loi sur les étrangers depuis que la droite est au pouvoir, on voit bien les limites de cette surenchère répressive et sécuritaire en matière d’immigration, et l’échec du Gouvernement en la matière.
Il ne faut pas oublier non plus que cette politique a un coût financier. J’en veux pour preuve celui de la construction et de l’équipement de salles d’audiences délocalisées dans les centres de rétention administrative, construction à laquelle le Conseil constitutionnel vient de mettre un coup d’arrêt, ou encore l’édification d’un gigantesque CRA au Mesnil-Amelot, véritable machine à expulser pouvant accueillir deux fois cent vingt retenus. Ultramoderne, ce centre, qui devait être inauguré voilà un an, mobilise des fonctionnaires chargés de surveiller des locaux vides ! N’est-ce pas un immense gouffre financier ?
Les retours forcés ou volontaires ont également un coût, tout comme le contrôle des frontières extérieures des États membres de l’Union européenne. L’agence Frontex dispose ainsi pour cette année d’un budget de 88 millions d’euros, mais pour quels résultats ?
En revanche, contrairement à certaines idées reçues, les étrangers versent chaque année 60 milliards d’euros d’impôts et de charges sociales, et reçoivent en contrepartie 48 milliards d’euros d’allocations, ce qui représente une rentrée nette de 12 milliards d’euros pour l’État.
M. David Assouline. Il faut le dire !
Mme Éliane Assassi. Il va sans dire que cette politique a également un coût humain – je pense notamment aux nombreux décès de migrants en mer ou encore aux familles séparées en France.
Votre texte est d’une grande hypocrisie, monsieur le ministre. Après avoir effrayé l’opinion publique sur les dangers d’une invasion imminente d’immigrés, vous voulez lui faire croire que vous avez la solution miracle en présentant des mesures d’affichage idéologiquement dangereuses, à la limite de la constitutionnalité, alors même que vous savez pertinemment que l’Union européenne va avoir besoin d’une main-d’œuvre étrangère pour compenser la baisse de sa population active et combler les besoins structurels du patronat dans le bâtiment, l’agriculture ou encore le secteur tertiaire.
On estime ainsi que, à l’horizon 2040, la France devrait avoir besoin de dix millions d’immigrés pour pallier le vieillissement de sa population. Mais de cela, bien évidemment, vous ne parlez pas !
Vous omettez aussi de dire à nos concitoyens que les migrants sont davantage attirés par des pays comme le Canada ou les États-Unis, lesquels sont beaucoup plus accueillants que les pays européens, où les étrangers sont souvent victimes de discriminations et de racisme.
À titre d’exemple, un rapport du Bureau international du travail, le BIT, de 2007 dresse un tableau très sombre de l’état des discriminations ethno-raciales sur le marché du travail en France. Ainsi, « près de 4 fois sur 5, un candidat à l’embauche d’origine hexagonale ancienne sera préféré à un candidat d’origine maghrébine ou noire africaine, selon une enquête nationale par tests de discrimination conduite en France sous l’égide du BIT ». Ce constat est confirmé par les dossiers traités par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE.
Avec 6,7 millions d’immigrés environ en 2010, la France occupe, selon l’Institut national d’études démographiques, l’INED, le sixième rang mondial des pays accueillant le plus d’immigrés, après les États-Unis, la Russie, l’Allemagne, l’Arabie Saoudite et le Canada.
Par conséquent, c’est un leurre et une mystification de faire croire, d’une part, que nous allons être envahis et, d’autre part, que vous allez tout faire pour éviter cette prétendue invasion.
Mais vous allez encore plus loin, en déclarant vouloir désormais vous attaquer à l’immigration familiale et à celle de travail.
Non seulement vous souhaitez accentuer la logique engagée par les précédentes réformes, qui ont déjà restreint considérablement les conditions du regroupement familial, dont le dispositif est certainement le plus restrictif d’Europe – d’après le Mipex, le Migrant integration policy index, qui évalue les politiques d’intégration dans l’Union européenne, notre pays se situe au vingt-deuxième rang sur vingt-sept ! –, mais vous voulez vous en prendre à l’immigration choisie, celle du travail, pourtant prônée par Nicolas Sarkozy depuis 2005. Il s'agit là d’un revirement de taille, qui vous rapproche encore davantage des thèses du Front national.
S’agissant à présent du texte qui nous revient de l’Assemblée nationale, je regrette vraiment que les députés aient rétabli en deuxième lecture des dispositions que le Sénat avait en première lecture supprimées ou modifiées en les améliorant, réactivant ainsi des mesures dont nous nous serions bien passés. Je pense ici, en particulier, aux dispositions scandaleuses sur les étrangers malades, qui constituent une aberration en termes de santé publique ainsi qu’une atteinte à la dignité humaine et dont je souhaite qu’elles disparaissent définitivement – j’y insiste ! – de ce texte.
Certes, l’Assemblée nationale a fait machine arrière sur la déchéance de la nationalité pour les auteurs de crimes commis contre des personnes dépositaires de l’autorité publique, mais c’était bien là le moins qu’elle pouvait faire ! Cette mesure, à la constitutionnalité douteuse, faisait suite, je le rappelle, au discours ultra-sécuritaire prononcé par Nicolas Sarkozy à Grenoble. Fruit d’une incantation présidentielle, cette mesure n’a pas sa place dans notre législation.
Pour autant, ce recul ne doit pas nous faire oublier que les autres articles de ce texte demeurent dangereux. Souvenons-nous que les députés ont franchi un pas important en deuxième lecture, avec la remise en cause du droit du sol via la suppression du caractère automatique de l’acquisition de la nationalité française à l’âge de dix-huit ans, pourtant en vigueur depuis 1998.
Mes chers collègues, cette mesure n’est pas sans nous rappeler de mauvais souvenirs : je pense à une autre disposition tout aussi choquante, à savoir le recours aux tests ADN pour prouver la filiation dans le cadre du regroupement familial.
La vigilance doit donc rester de mise, me semble-t-il. Quand bien même le Sénat fait mine d’être plus protecteur des droits des étrangers que l’Assemblée nationale, nous ne sommes pas dupes.
Ainsi, s'agissant de l’article 17 ter, sous prétexte de clarification, M. le rapporteur feint d’être moins rigide, alors que, in fine, il réintroduit cette disposition, sans doute dans la perspective d’un éventuel accord avec les députés lors de la réunion de la commission mixte paritaire.
D'ailleurs, quid des futures conclusions de la CMP sur la nationalité ? Qui nous garantit que la remise en cause du droit du sol ne reviendra pas par la porte ? Qui nous assure qu’il n’en ira pas de même, dans certains cas, pour la déchéance de la nationalité ? La menace est d’autant plus sérieuse que le Gouvernement, par la voie d’un amendement fort heureusement rejeté ce matin en commission, s’acharne sur cette mesure.
On le voit : la droite parlementaire dans son ensemble approuve la logique portée par ce projet de loi en matière d’immigration.
Chers collègues de la majorité, vous êtes tous d'accord sur la maîtrise autoritaire des flux migratoires : d'une part, vous renforcez le concept d’immigration choisie, qui est symbolisée par la fameuse carte bleue européenne, et, d'autre part, vous multipliez les dispositions restrictives et répressives à l’encontre de tout étranger, que ce soit avant l’entrée de ce dernier sur le territoire ou, une fois qu’il est présent en France, lors de sa demande de titre de séjour, lors du renouvellement de ce document, lors de son expulsion et, enfin, lors de son bannissement.
Pour l’heure, votre texte, c’est « toujours plus » : plus d’immigration choisie, plus d’obstacles à l’intégration, à l’acquisition de la nationalité française, à la délivrance et au renouvellement des titres de séjour, entre autres !
Vous avez une vision étriquée du monde et de la France, celle d’un pays replié sur lui-même et se réduisant à l’Hexagone. Alors que vous prônez la mondialisation et la libre circulation des capitaux, vous êtes incapables de voir au-delà des frontières quand il s’agit d’êtres humains. Pis, vous agitez le chiffon de l’invasion, ce fantasme européen. (Mme Catherine Troendle s’exclame.)
Vous le savez, nous défendons quant à nous une tout autre conception de l’immigration, que je développerai à l’occasion de la présentation de nos amendements.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les sénateurs du groupe CRC-SPG voteront contre ce condensé de mesures qui, dans la continuité des précédentes lois, visent encore et toujours à nier aux étrangers le droit de vivre en famille, à assimiler l’immigré à un fraudeur, à démanteler le statut des étrangers en rognant les droits de ces derniers et à bafouer le droit d’asile, le tout au mépris de nos principes constitutionnels et de nos engagements internationaux. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis aujourd’hui en deuxième lecture d’un texte qui modifie très sensiblement notre corpus législatif en matière d’immigration.
Je ne reviendrai pas sur les objectifs visés par ce texte – ils ont été clairement exposés par M. le ministre, M. le rapporteur et Mme Escoffier –, sur lesquels existe un certain consensus, me semble-t-il, alors que des divergences profondes apparaissent sur les modalités de ce projet de loi.
En première lecture, le Sénat avait effectué un travail de fond sur l’ensemble des dispositions du texte. À de nombreuses reprises, il avait adopté des positions fortes, allant parfois à l’encontre de ce qui avait été décidé par les députés et des souhaits du Gouvernement.
À cet égard, je tiens à rappeler que le groupe de l’Union centriste a toujours exprimé nettement et unanimement son opposition à la proposition visant à étendre les cas de déchéance de nationalité. Nous avons longuement débattu de cette question en première lecture et le vote du Sénat a été clair.
Monsieur le ministre, nous avons entendu tout à l'heure vos propos pleins d’égards pour le Sénat. Je tiens à saluer la position qui a été retenue sur cette question par les députés, puisque ceux-ci ont entendu nos arguments et renoncé à une mesure qui me paraissait injustifiée.
Malheureusement, si nos collègues députés ont fait preuve de sagesse sur ce point, ils nous ont surpris par un amendement qu’ils ont introduit dans la discussion en deuxième lecture.
L’aménagement législatif dont il est question concerne un sujet qui semblait pourtant faire l’objet d’un consensus républicain : depuis 1889, et à l’exception d’une brève période récente, les enfants qui naissent en France de parents étrangers et qui vivent de façon continue sur le sol national deviennent automatiquement Français à leur majorité, c'est-à-dire, actuellement, à l’âge de dix-huit ans. Cette procédure a permis à de nombreuses personnes de devenir françaises sans que, à ma connaissance, se soit posé le moindre problème.
Je ne veux pas croire qu’il existe un lien entre l’adoption de cet amendement à l’Assemblée nationale et l’abandon de la déchéance de nationalité… Toutefois, force est de constater que ce sont peu ou prou les mêmes parlementaires qui ont porté ces différentes propositions.
Pour notre part, nous sommes persuadés que la modification apportée par les députés est critiquable tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, tout d'abord, dans le cadre d’un examen en deuxième lecture, il est évident que cet aménagement ne respecte pas la règle constitutionnelle dite – l’image est curieuse, mais compréhensible par tous – « de l’entonnoir ». En effet, il s’agit d’une question nouvelle, qui ne peut être rattachée aux dispositions votées en première lecture par le Parlement.
Ce point a d’ailleurs été rappelé clairement par le rapporteur, François-Noël Buffet, au sein de la commission des lois. Sur le fond, les modifications introduites par les députés paraissent inopportunes et injustifiées. Je le répète, si elles étaient votées ou réintroduites, elles remettraient en cause sans raison valable un principe essentiel de notre droit de la nationalité. Notre commission a donc été très bien inspirée de rejeter – à l'unanimité, si ma mémoire est bonne – cette disposition.
Une deuxième question importante pose problème : le contentieux de l’éloignement. Le Gouvernement est parti du constat que celui-ci souffrait aujourd’hui de graves incohérences procédurales. Les praticiens, qu’ils soient magistrats ou avocats, savent bien que la situation en la matière n’est pas satisfaisante, et qu’il convient au plus vite de sortir de l’enchevêtrement qui caractérise ce contentieux.
Pour autant, dès les travaux en commission des lois, le Sénat avait fait part de ses réserves sur le report à cinq jours du délai d’intervention du juge judiciaire.
L’un des motifs de notre inquiétude était qu’un tel délai créait un risque d’inconstitutionnalité. Tout à l'heure, monsieur le ministre, vous nous avez parfaitement expliqué que ce laps de temps comprenait les quarante-huit heures de la saisine et les soixante-douze heures qui seraient nécessaires au juge administratif pour se prononcer. (M. le ministre acquiesce.)
Toutefois, le juge administratif ne peut-il statuer en quarante-huit heures ? Certes, vous avez évoqué le risque d’un encombrement de la juridiction administrative, dès lors que celle-ci aura à se prononcer avant le juge judiciaire, mais nous avons besoin de conforter la constitutionnalité du dispositif que nous allons voter.
Aujourd'hui, nous sommes enclins à suivre les décisions du Conseil constitutionnel, aux termes desquelles le délai de quarante-huit heures respectait la Constitution, à la différence d’une saisine du juge judiciaire après sept jours.
Je conviens avec vous que cette question est entourée d’un certain flou et que le juge constitutionnel aura probablement à se prononcer. Toutefois, dans ces circonstances, la solution proposée par le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest – je salue d’ailleurs son initiative –, visant à ramener à quatre jours ce délai d’intervention du juge des libertés et de la détention, nous semble tout à fait satisfaisante.
Enfin, j’évoquerai la question des étrangers malades, qui a suscité de nombreux débats. Il s'agit de l’article 17 ter du projet de loi, qui a été introduit à l’Assemblée nationale en première lecture et qui est relatif à la carte de séjour « étrangers malades ».
Tout allait bien jusqu’à deux arrêts du Conseil d'État du 7 avril 2010, qui ont fait évoluer la pratique en la matière. Nous convenons que, dès lors que cette jurisprudence existe, nous ne pouvons laisser le droit positif en l’état.
En première lecture, nous avions décidé de rejeter l’article 17 ter, car la commission des lois s’était inquiétée des conséquences sur la santé publique d’une telle modification du droit. Toutefois, nous avions déjà l’idée qu’il ne faudrait pas en rester là, mais chercher d’autres solutions.
Aujourd'hui, M. le rapporteur propose une nouvelle rédaction, qui vise à clarifier le dispositif et à supprimer toute ambiguïté. Toutefois, il s’agit aussi et surtout de permettre, dans certains cas, la prise en compte de circonstances particulières tenant à la situation du demandeur.
En effet, si cette rédaction était retenue, il serait explicitement prévu que l’autorité administrative peut prendre en compte des considérations humanitaires et exceptionnelles pour l’attribution du titre de séjour « étrangers malades », et cela après avoir recueilli l’avis du directeur général de l’agence régionale de santé.
Il s'agit d’une disposition tout à fait pertinente. Nous l’avons adoptée ce matin en commission des lois et je vous incite, mes chers collègues, à en faire de même en séance publique.
En conclusion, je souhaite de nouveau saluer le travail réalisé sur ce texte par François-Noël Buffet. Celui-ci a su écouter chacun et faire progresser la rédaction du projet de loi. Sur des points importants, il est parvenu à nous faire revenir à une position plus raisonnable et davantage en accord avec les principes généraux de notre droit, tout en favorisant une meilleure maîtrise des flux migratoires. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons en seconde lecture ce projet de loi sur l’immigration, dont nous cherchons toujours la légitimité.
Monsieur le ministre, je crois que, comme le célèbre sparadrap du capitaine Haddock dans L’Affaire Tournesol, il vous colle aux doigts et accompagne tous vos mouvements... (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Dans la nouvelle distribution des rôles gouvernementaux, vous incarnez, nous dit-on, le méchant, la tendance autoritaire et répressive de la majorité, celle qui est hostile, pour ainsi dire, à tout ce qui n’est pas berrichon. (Mêmes mouvements.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vrai !
M. Richard Yung. J’imagine que toutes vos déclarations récentes sont parfaitement calibrées. Certains affirment, par allusion à un film célèbre, que vous murmurez à l’oreille des électeurs du Front national. Pour ma part, je pense au contraire que vous dites tout haut ce que le président Sarkozy pense tout bas et vous demande de déclarer : « Les Français ont le sentiment de ne plus être chez eux » ; « L’intégration des immigrés a échoué » ; « L’immigration accroît l’insécurité » ; enfin, la semaine dernière : « Il faut remettre en cause l’immigration légale ».
Puisque vous avez échoué à réguler l’immigration illégale, vous vous attaquez à l’immigration légale et, en son sein, au regroupement familial, la cible la plus facile à atteindre. D’ailleurs, Mme Lagarde, personne avisée, ne s’y est pas trompée, ni Mme Parisot. Le parti socialiste est sur la même ligne que Mme Parisot : c’est tout de même extraordinaire ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Depuis le déclenchement des mouvements révolutionnaires et populaires dans les pays d’Afrique du Nord, de nombreux responsables politiques, à droite et à l’extrême-droite, agitent, dans un réflexe pavlovien, le chiffon rouge de l’immigration, même si le chiffre évoqué, élevé certes, de 20 000 personnes, n’est pas caractéristique d’une invasion.
Tout le monde reconnaît qu’il y a là un problème. Il touche d’abord l’Italie, qui est géographiquement en première ligne, comme l’était la Grèce par rapport au Moyen-Orient.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’entre le gouvernement français et le délicat M. Berlusconi, l’image n’a pas été celle d’une franche coopération, avec pour conséquence des ressortissants libyens, somaliens et tunisiens pris en otages, ballotés de réglementations de mauvaise foi en reconduites permanentes.
Je souligne que ces populations viennent dans nos pays, non pas pour y émigrer ou s’y procurer du travail, mais tout simplement pour fuir un danger et se protéger.
Vous le savez aussi bien que moi, 100 000 ressortissants libyens sont partis en Tunisie, 100 000 en Égypte et peut-être 50 000, l’on ne sait précisément, vers le Sud, dans le Sahara ou du côté de Tombouctou.
Il existe une façon simple de faire face à cet afflux de migrants : l’activation de la protection temporaire prévue par la directive européenne de 2001, qui organise en quelque sorte un partage du « fardeau » entre les États membres. Pourtant, lorsque j’ai évoqué cette idée ici même voilà un an, dans le cadre d’une proposition de résolution, on m’a expliqué qu’elle était on ne peut plus saugrenue et que le problème ne se posait pas.
La vérité, c’est que vous n’avez pas de politique d’immigration. Vous naviguez à vue, selon les événements, et le résultat est un échec patent.
Les chiffres que vient de publier le Secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l’immigration sont éloquents. L’immigration de travail ne représente que 15 % des admissions sur le territoire, alors que l’objectif était de 50 % ; l’immigration familiale a baissé de 10 % ces dernières années ; le nombre de bénéficiaires du droit d’asile a chuté de 30 %, malgré l’augmentation du nombre de demandeurs ; le nombre de sans-papiers, de l’ordre de 400 000 – il est naturellement difficile de l’établir de façon exacte –, est resté constant depuis dix ans ; la régularisation des étrangers intégrés se tarit ; enfin, les étrangers sont poursuivis, contrôlés, contraints à des démarches inutiles qui n’en finissent plus.
Pourtant, le résultat des cantonales est clair, me semble-t-il : les Français ne pensent pas que la priorité soit d’organiser des débats bâclés de trois heures sur la laïcité et sur la place de la religion musulmane.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Chacun fait ce qu’il veut ! Vous, vous avez bâclé un projet en une après-midi !
M. Richard Yung. Je peux parler, monsieur le président ? Ce que je vous dis ne vous plaît pas ? Je le comprends, mais c’est la vérité !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je le répète, vous avez bâclé un projet en une après-midi !
M. David Assouline. On parle du chômage, monsieur Hyest !
M. Richard Yung. Nous avons bien examiné cent quarante amendements en quarante minutes ce matin en commission des lois !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est normal ! Vous proposez de supprimer tous les articles, monsieur Yung ! C’est facile !
M. Richard Yung. Les Français vous ont dit que pour eux, ce qui compte, ce sont les vrais débats, la création d’emplois, le pouvoir d’achat, les inégalités sociales. Mais vous ne l’entendez pas, parce que vous êtes dans une politique uniquement répressive.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous ne voulez rien changer !
M. Richard Yung. Le président de la commission des lois n’est pas content ; il m’interrompt tout le temps !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Mais non ! (Sourires.)
M. David Assouline. Restez gentil, monsieur Hyest ! (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. Poursuivez, monsieur Yung !
M. Richard Yung. Je suis malmené ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.) On bâillonne l’opposition ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. L’opposition doit être responsable, monsieur Yung !
M. Richard Yung. Vous êtes, disais-je, dans une politique uniquement répressive, que ce soit pour la sécurité ou pour l’immigration : peines accrues, allongements de délais, méfiance à l’égard des juges, suspicion généralisée. Cette politique du tout répressif, c’est une politique du tout négatif. Vous avez une vision négative de la société française et des Français ; vous n’êtes porteur ni d’espoir ni d’avenir pour notre pays.
Vous aimez railler le parti socialiste en prétendant qu’il n’aurait pas de propositions sur la question de l’immigration. Vous glosez souvent sur ce thème.
Je pense que vous êtes mal informés. Je vous renvoie aux différents textes que nous avons publiés, y compris un excellent document intitulé « Le changement », publié ce week-end.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah voilà !
M. Richard Yung. Je rappelle les principales propositions – je ne vais pas lire tout le programme… (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh non, surtout pas ! (Sourires.)
M. Richard Yung. Ce serait long, peut-être fastidieux… Mais il y a un programme, il faut le dire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est le programme « Chevènement » ? « Joxe » ? (Nouveaux sourires.)
M. Richard Yung. D’habitude, on dit que les socialistes sont des gens irresponsables, qui causent continuellement, qui ne savent rien faire d’autre que critiquer et proposer des amendements de suppression, mais qui n’ont pas de propositions à faire.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai ! Vous n’avez pratiquement pas de propositions d’amendements !
M. Richard Yung. Eh bien, si, nous en avons ! Nous proposons une politique migratoire mise en œuvre dans une loi de programmation élaborée tous les trois ans en collaboration avec les différents partenaires ; le retour à une politique de régularisation au cas par cas se fondant sur des critères précis – je ne les énumère pas – ; la mise en œuvre d’une politique active et non répressive d’intégration, avec en particulier la délivrance d’une carte de séjour temporaire de trois ans après un an de présence en France ; …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh bien, ma foi !
M. Richard Yung. … un traitement convenable des migrants dans les préfectures et la simplification des procédures pour les conjoints. On sait comment cela se passe : chacun a lu les articles de presse sur la façon dont sont traités les migrants à la préfecture de police de Paris, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oh, ça va !
M. Richard Yung. … où l’on admet dix personnes par jour. Les gens font la queue à partir de dix-huit heures le soir, avec l’espoir pour les dix premiers d’être admis le lendemain matin à huit ou neuf heures.
Mme Bariza Khiari. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Richard Yung. Franchement, quelle image pour notre pays !
Nous proposons également de permettre la mobilité des migrants qui, souvent, basculent dans l’illégalité simplement parce qu’ils ont peur de quitter le territoire.
S’agissant de l’immigration irrégulière, que nous voulons combattre avec la plus grande fermeté, nous proposons une nouvelle organisation des services de police chargés de la lutte contre l’immigration illégale, en particulier de la police aux frontières, la PAF, avec une formation plus poussée des personnels.
Enfin, nous proposons une sévérité accrue contre les employeurs de sans-papiers.
J’en viens au présent projet de loi. Je ne passerai pas en revue chacun de ses articles, mais j’en choisirai certains.
Mon premier choix, point le plus important à nos yeux, concerne la remise en cause des juges.
Nicolas Sarkozy n’aime pas les juges, c’est bien connu. Il considère que les juges des libertés et de la détention remettent en cause sa politique du chiffre, c'est-à-dire les fameux 28 000 éloignements, dont on peut d’ailleurs discuter.
Il fallait donc les empêcher de nuire en leur présentant les étrangers placés en rétention le plus tard possible. D’où le délai porté à cinq jours dans le texte issu de l’Assemblée nationale. Il sera peut-être fixé à quatre jours par le Sénat, mais j’ai compris que le Gouvernement n’y était pas favorable.
Pour notre part, nous pensons que c’est, de toute façon, une mauvaise façon d’aborder la question et qu’elle ne change pas le fond du problème. En effet, au motif que la situation où le retenu voyait d’abord le JLD, puis le juge administratif, était susceptible de créer une confusion, nous passons à la situation où le retenu va voir d’abord le juge administratif et ensuite le JLD. À mon avis, cela ne résout rien.
Le seul avantage d’une telle disposition, c’est qu’elle permettra sans doute d’expulser un certain nombre de migrants avant la fin du délai de cinq jours et sans que ces derniers aient vu de juge.
Le deuxième choix a trait à la précarisation du séjour des étrangers en situation légale.
Les migrants sont contraints de renouveler chaque année leur carte de séjour temporaire. Ils doivent faire face à un durcissement des conditions de délivrance des titres de séjour. Dans ces conditions, à l’évidence, un certain nombre d’entre eux basculent et sont acculés à la clandestinité.
Participe également de cette logique la remise en cause du droit au séjour des étrangers gravement malades. Nous aborderons ce point lors de l’examen de l’article 17 ter.
Le troisième choix porte sur le durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité française.
Nous nous sommes réjouis de la suppression de la disposition relative à la déchéance de nationalité. C’est d’ailleurs le seul résultat positif du débat en seconde lecture à l’Assemblée nationale, qui nous a valu de beaux commentaires de M. Myard et de M. Vanneste.
Reste que l’Assemblée nationale a supprimé les dispositions que nous avions introduites en première lecture. Fondées sur notre expérience, celles-ci visaient à simplifier la procédure de renouvellement des titres d’identité. J’y reviendrai lors de la discussion des articles.
Le quatrième choix est relatif à la stigmatisation des couples binationaux. C’est un thème récurrent, puisqu’on voit bien toutes ces étrangères qui cherchent à obtenir indûment des visas et éventuellement l’accès à la nationalité française dans des conditions discutables, en séduisant nos beaux et jeunes Français ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Cela fait partie des fantasmes.
Enfin, les deux derniers choix concernent la création des zones d’attente – nous y reviendrons – et, point important, le bannissement des étrangers au travers de la création de l’interdiction de retour sur le territoire français.
Nous avons été déçus par la deuxième lecture du texte à l’Assemblée nationale, les députés ayant supprimé à peu près toutes les dispositions que le Sénat, dans sa sagesse, avait introduites, issues non pas seulement des amendements socialistes, mais aussi de ceux de la majorité.
Le rapporteur a repris une partie des amendements du Sénat, et nous comprenons qu’il cherche à faire flotter notre drapeau un peu plus haut.
Toutefois, je dois dire que les propositions de compromis, qui portent tant sur l’article 17 ter relatif aux migrants malades que sur les dispositions concernant les zones d’attente ou le délai de quatre jours, ne nous satisfont pas.
Sur tous ces points, nous déposerons les amendements nous paraissant utiles, même s’ils n’ont pas rencontré beaucoup d’échos en commission des lois ce matin. En tout état de cause, nous sommes déterminés à nous battre pour nos idées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui la deuxième lecture du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, qui avait suscité de nombreux débats lors de son premier passage dans l’hémicycle.
Comme nous l’avions compris en première lecture, l’objectif de ce texte est de poursuivre la voie engagée en 2007, en s’adaptant aux évolutions européennes et en trouvant de nouveaux moyens pour lutter contre des filières en constante évolution. Cet objectif est essentiel, car il s’inscrit au cœur du pacte républicain et consolide l’indispensable cohésion sociale de la nation.
Si la France a une longue tradition d’accueil et d’intégration, il est important cependant de continuer à lutter contre l’immigration irrégulière Cette tradition d’hospitalité ne l’en oblige pas moins à rester une terre d’intégration où l’immigration puisse être choisie.
À l’heure où beaucoup d’inquiétudes se font jour en matière d’immigration,…
M. David Assouline. C’est vous qui en parlez !
Mme Catherine Troendle. … comment pourrions-nous être aveugles au point d’ignorer l’actualité internationale, tout particulièrement au sud de la Méditerranée, face aux côtes européennes ? Celle-ci nous dicte de persévérer dans la voie de la politique d’immigration choisie, menée depuis 2007, et de renforcer encore nos dispositifs.
Agir, telle est l’ambition du texte que nous examinons et qui résume parfaitement les deux piliers de la politique conduite par la France. Cette politique repose, d’une part, sur l’amélioration de l’accueil et de l’intégration des ressortissants étrangers entrant et vivant en France grâce, notamment, à la mise en place d’une carte bleue européenne, dont il faut se féliciter, et, d’autre part, sur la lutte contre l’immigration irrégulière, qui porte précisément atteinte à la capacité d’intégration de la France.
Je tiens à cet instant à saluer le travail minutieux et équilibré du rapporteur, François-Noël Buffet, qui nous a permis de trouver, au-delà de nos divergences partisanes, les outils nécessaires à la réalisation des objectifs fixés, répondant en cela à un principe clair : rechercher l’intégration des étrangers en situation légale et lutter contre l’immigration irrégulière.
Nous le savons tous, mes chers collègues, les flux migratoires ont changé et il est indispensable de trouver des réponses législatives adaptées aux nouvelles problématiques. Comme tous les pays du monde, la France a le droit de choisir qui elle veut et qui elle peut accueillir sur son territoire : nous ne demandons ni plus ni moins que l’application de la règle qui prévaut dans tous les pays.
Tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine, sauf cas particulier, notamment humanitaire, politique, sanitaire ou social, qui exige, dès lors, un examen individualisé.
Un étranger accueilli légalement sur notre territoire a, pour l’essentiel, les mêmes droits économiques et sociaux que les Français. La France entend conduire une politique migratoire non seulement humaine et fidèle à sa tradition d’accueil, mais également ferme dans sa lutte contre l’immigration clandestine.
Contrairement à ce qui a souvent été dénoncé par l’opposition, ce texte est nécessaire, d’abord pour transposer trois directives européennes, ensuite pour répondre à une évolution de la société.
Le présent projet de loi s’inscrit donc dans la logique européenne, en permettant la transposition de trois directives communautaires. Il participe ainsi à la construction progressive d’une politique européenne de l’immigration et de l’asile, qui vient en complément de l’espace de libre circulation issu des accords de Schengen. Ces trois textes ont une incidence sur le droit national. La directive Sanctions renforce l’arsenal juridique destiné à lutter contre le travail illégal d’étrangers sans titre de séjour. La directive Carte bleue européenne conduit à créer un nouveau titre de séjour, sans remettre en cause les principales règles de l’admission au séjour des travailleurs salariés. Enfin, la directive Retour impose d’adapter le droit national en raison d’une nouvelle approche du droit de l’éloignement des étrangers.
Nos voisins européens mènent des politiques d’immigration en phase avec le droit européen. La France doit impérativement s’y conformer en transposant ces directives.
À ce titre, je tiens à rappeler que le texte transcrit dans notre droit une partie du pacte européen sur l’immigration et l’asile que le Gouvernement avait fait adopter lors de la présidence française de l’Union européenne, et que nos partenaires avaient approuvé à l’unanimité.
Il fallait éviter deux écueils. Le premier aurait été la position irresponsable – et malheureusement encore dominante au parti socialiste – selon laquelle il faut accueillir tous ceux qui le souhaitent. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Bariza Khiari. On ne dit pas cela !
M. Jean-Pierre Sueur. On n’a jamais dit cela !
M. Richard Yung. Caricature !
M. David Assouline. Vous mentez !
M. François Trucy. On se calme ! Ne vous énervez pas !
M. David Assouline. On ne s’énerve pas, mais on aime les débats sincères !
Mme Catherine Troendle. Le second aurait été de se contenter d’affirmer que l’on ne souhaite plus d’immigration, sans ajouter qu’il faut de la coopération. C’est ce que fait le Front national.
Le Gouvernement a, pour sa part, choisi la bonne voie. C’est pourquoi le groupe UMP se satisfait des propositions qui sont formulées et qui visent à poursuivre cette politique d’immigration choisie et équilibrée, à la fois ferme et généreuse. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Surtout généreuse !
Mme Catherine Troendle. Nous nous réjouissons que la navette parlementaire ait déjà permis de trouver de nombreux points d’accord sur le renforcement des exigences relatives à l’intégration, sur la création des zones d’attente ad hoc, sur la réforme des mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, sur l’amélioration de la lutte contre le travail illégal ou sur la suppression de l’extension de la déchéance de nationalité.
Je souhaite à présent revenir sur les quatre points qui restent aujourd’hui en discussion.
Il s’agit, tout d’abord, de la question des mariages « gris ». Comme l’a rappelé M. le rapporteur, le dispositif que nos collègues députés ont adopté révélait plusieurs difficultés juridiques. La commission des lois a su le replacer dans le cadre du droit positif et de l’échelle des peines en vigueur. Nous avons ainsi souhaité appliquer de manière raisonnable et cohérente les mêmes peines que celles qui sont prévues pour les mariages de complaisance, à savoir cinq ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
Il s’agit, ensuite, des règles applicables en matière d’accès à la nationalité. L'Assemblée nationale a supprimé le caractère automatique de l’acquisition de la nationalité française des enfants nés en France de parents étrangers, au profit d’une demande volontaire manifestée par une lettre d’intention. Comme l’a souligné le rapporteur, cette mesure est nouvelle et sans lien direct avec le texte que nous avons étudié en première lecture, ce qui représente un risque d’inconstitutionnalité. Nous souhaitons pour notre part maintenir notre modèle d’intégration qui, de ce point de vue, est aujourd’hui équilibré.
Il s’agit, encore, du droit au séjour des étrangers malades. Ce sujet majeur en termes humain et de santé publique a fait l’objet d’un large débat dans cet hémicycle en première lecture. Nous avions alors souhaité supprimer le dispositif qui nous était proposé et qui tendait à restreindre la possibilité de délivrer un titre de séjour à un étranger atteint d’une pathologie particulièrement grave. Les effets en termes de santé publique étaient, il est vrai, trop incertains.
Néanmoins, je souhaite redire au nom du groupe UMP que nous ne pouvons laisser perdurer des situations de détresse si disparates sur notre territoire. Je veux éviter tout malentendu sur ce point. Nous soutenons la proposition du Gouvernement, qui entend confirmer la loi actuelle applicable jusqu’à une récente décision du Conseil d’État qui nous semble véritablement excessive. Il n’est pas question de remettre en cause notre tradition d’accueil des étrangers gravement malades qui viennent en France, alors que, dans leur pays d’origine, ils n’ont pas accès à des soins adaptés. Pour autant, nous avons le devoir, pour nos compatriotes, ainsi que pour ces hommes et ces femmes en grande souffrance, de trouver une solution juridique équilibrée.
Il s’agit, enfin, du contentieux lié au placement en rétention des étrangers en instance d’éloignement et du délai d’intervention du juge des libertés et de la détention dans la procédure administrative. Je m’arrêterai un peu plus longuement sur ce sujet qui a suscité de longues heures d’échanges, aussi bien en commission qu’en séance publique.
Le Gouvernement a lancé judicieusement une réorganisation du contentieux de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Nous soutenons son initiative. Jusqu’à présent, on constatait un enchevêtrement total dans les procédures d’intervention du juge administratif et du juge judiciaire. Monsieur le ministre, vous avez proposé de porter de quarante-huit heures à cinq jours le délai pour l’intervention du juge des libertés et de la détention saisi par le préfet, aux fins de prolongation de la rétention. Ce délai a pu sembler excessif. C’est pourquoi nous avons soutenu la suggestion du président de la commission des lois d’allonger ce délai à quatre jours, ce qui permettrait de mieux concilier les exigences du contrôle de la privation de liberté et celles d’une bonne administration de la justice. Il s’agit ainsi d’éviter, à l’avenir, un nombre trop important d’annulations juridictionnelles imputables à la complexité des procédures.
Vous le voyez, mes chers collègues, nos principes fondamentaux sont respectés. Alors, cessez, pour certains d’entre vous, de faire croire à nos concitoyens que les mesures engagées par le Gouvernement pour notre pays sont dénuées d’humanité ! Nous l’affirmons simplement et clairement : nous ne pourrons laisser faire ceux qui sèment la terreur dans notre pays, alors que notre devoir d’élu est de préserver la sérénité de nos compatriotes. (Protestations indignées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Bariza Khiari. La terreur ?
M. David Assouline. De qui parlez-vous ?
Mme Bariza Khiari. C’est une honte !
Mme Alima Boumediene-Thiery. On n’est pas des terroristes !
Mme Catherine Troendle. C’est parce que ce projet de loi vise l’immigration irrégulière et qu’il ne remet pas en question l’immigration concertée, l’immigration légale, l’immigration choisie, voulue et acceptée, l’immigration synonyme d’intégration et d’acceptation, que le groupe UMP le votera avec conviction. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Nouvelles protestations indignées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. David Assouline. C’est la honte de la République ! On n’est pas au café du commerce ici, on est dans un hémicycle !
Mme Bariza Khiari. La parole raciste est véritablement libérée !
M. David Assouline. Il n’y a plus de différence avec le FN !
M. Philippe Dominati. Arrêtez votre cinéma !
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous retrouvons afin d’examiner ce projet de loi pour la seconde fois. Somme toute, la version actuelle dont nous disposons n’est pas très différente du texte que nous avions discuté la première fois. C’est ce qui explique le nombre de nos amendements.
L’Assemblée nationale est revenue sur l’ensemble des modifications que nous avions, par sagesse, apportées, ainsi que M. le rapporteur l’a souligné à juste titre. Tout juste nos collègues députés ont-ils décidé de supprimer symboliquement la déchéance de nationalité pour nous donner l’impression que nos craintes, nos doutes et nos récriminations légitimes avaient été prises en compte.
Il est vrai que cette mesure ne semble pas avoir porté les fruits électoraux attendus. Aussi pouvons-nous comprendre que vous l’abandonniez sans autre forme de procès : telle est la vie des articles de circonstance. Mais ce n’est pas un unique arbre abattu qui risque de cacher une forêt de reculs du droit des étrangers. Vous laissez de côté un petit jalon dans cette course à l’échalote que vous avez entamée avec le Front national et votre majorité renchérit – nous venons d’en avoir l’illustration avec l’intervention de Mme Troendle qui parle de « terreur » – sur beaucoup d’autres plans.
Monsieur le ministre, en tant qu’ancien haut fonctionnaire, rompu à l’exercice de l’écriture, vous connaissez la valeur et le poids des mots, et vos glissements portant sur la croisade, les musulmans et, aujourd'hui, l’immigration légale ne sont pas le fruit du hasard. Tout cela s’apparente à une mise en bouche de ce que sera la prochaine campagne présidentielle. Le migrant et, fait nouveau, le musulman, en seront bien les otages.
Monsieur le ministre, je veux vous mettre en garde, car vous êtes aussi en charge des cultes : passer de la critique de l’immigration illégale à celle des musulmans, c’est changer la nature du débat. Cette diabolisation de l’islam et des musulmans, ces éructations répétées contre une foi et une spiritualité sont indignes de notre conception de la laïcité, d’autant qu’elles ne sont pas de votre seul fait, mais qu’elles émanent aussi de certains membres de votre majorité. À ce rythme-là, l’« Auvergnat » de Brice Hortefeux deviendra bientôt une plaisanterie ordinaire...
Avec le débat opposant laïcité et islam, vous avez cherché à diviser les Français. Or ce débat sur l’islam, ou plutôt contre l’islam, a eu comme résultat de diviser votre majorité. À force de chercher à fabriquer un ennemi de l’intérieur avec le migrant ou le musulman, vous passez à côté des préoccupations des Français, et ils ne sont pas dupes. Vous évitez la question sociale.
Alors, c’est peu dire que la philosophie de ce texte n’a pas changé d’un iota.
Vous criminalisez la présence des étrangers, faisant d’eux des parias, et tendez à restreindre de plus en plus leur possibilité de séjour. Je ne citerai qu’un exemple parmi tant d’autres, le mariage « gris ». Nous connaissions le mariage « blanc », et nous voilà avec ce nouvel OVNI électoral. Le Français, ou plutôt la Française à vous en croire, qui décide d’épouser un étranger serait régulièrement victime d’un marché de dupes. En effet, l’étranger qui convole en sa compagnie ne serait qu’un odieux escroc cherchant davantage à rester sur le sol de notre territoire et à obtenir des papiers par son entremise. Il s’agirait d’un mariage frauduleux, dû à la nature insidieuse de l’étranger qui trompe son conjoint sur la véritable nature de ses sentiments.
Bien sûr, de semblables cas peuvent exister. Ce qui me pose problème, monsieur le ministre, c’est le fait que vous vous saisissiez de trois ou quatre faits divers pour généraliser et aboutir à ce texte qui jette la suspicion sur l’étranger. Cela viole le caractère sacré de la loi, qui n’est plus l’expression de la volonté populaire, mais devient le simple porte-parole de la rubrique des chiens écrasés.
Je souhaite dénoncer à cette tribune le caractère biaisé d’un raisonnement politique qui stigmatise l’immigration illégale, en prétendant conforter l’intégration de l’immigration légale.
Il y a une rupture dans les discours, car vos dernières déclarations, monsieur le ministre, nous invitent à penser que même l’immigration légale ne trouve pas grâce à vos yeux. Vous estimez qu’elle n’apporte rien économiquement, voire qu’elle nous est néfaste.
Faut-il remercier votre collègue Christine Lagarde d’avoir corrigé immédiatement vos propos, qui relèvent du non-sens économique ? Les étrangers ne sont pas responsables du chômage de notre pays. Je ne ferai pas l’insulte de rappeler à l’ancien haut fonctionnaire que vous êtes que, depuis Keynes, on sait que le chômage peut être structurel en cas de mauvaise adaptation du marché du travail aux besoins des acteurs économiques et, souvent également, en raison de l’incapacité des gouvernants à relancer la croissance par des décisions opportunes. Il n’est qu’à lire le récent rapport de la Cour des comptes sur la crise et la situation de la France au regard de celle de ses voisins.
Je me doute que vous ne cherchiez pas à établir une démonstration économique mais que votre principal objectif est politique : essayer de séduire un électorat qui vous fait défaut. Nous savons tous d’où vient la formule « 3 millions d’étrangers, 3 millions de chômeurs ». Reste que cet électorat attend des réponses à des demandes sociales et non un énième discours anti-migration dont il connaît l’inefficacité.
Votre idéologie vous aveugle au point que vous proposez des solutions contre-productives à ce qui ne devient un problème que sous votre action.
Cela est d’autant plus dramatique que cette politique migratoire brouillonne entrave la lisibilité de l’action de la France à l’étranger et, spécifiquement, dans les pays de la rive sud de la Méditerranée. Vous ne pouvez, dans un même mouvement, souhaiter affermir l’Union pour la Méditerranée et fermer les frontières, affirmer l’unité de destin des peuples méditerranéens et recuser le droit de certains peuples de se déplacer. Cette schizophrénie, à l’heure où les pays arabes connaissent un réel essor démocratique, contribue à affaiblir l’image et la portée de la voix de la France auprès de ces peuples. C’est à juste titre que notre pays est accusé de double langage.
Il est désormais prouvé que c’est en favorisant les migrations périodiques – ce qui suppose un contrôle raisonné des frontières – que l’on parvient à avoir une immigration temporaire, dont le pays peut bénéficier économiquement. Pourquoi alors nous proposer une sixième loi sur l’immigration allant encore dans le même sens, vers le mur.
La philosophie qui vous anime n’est perturbée ni par les revers électoraux, ni par les faits, il faut continuer à vilipender l’immigration responsable de tous les maux. Quand donc allez-vous comprendre que vous faites fausse route et que, pour nos concitoyens, l’adversaire n’est ni le migrant ni le musulman, mais le déclassement, voire la misère ?
Vous peignez l’image d’une France qui reçoit chaque année un des nombres de demandes d’asiles les plus forts et que, dans ces circonstances, nous sommes toujours une terre d’accueil. Mais vous savez, comme nous, que ces chiffres sont inexacts. Concernant les demandes, nous sommes effectivement parmi les premiers. Toutefois, ce n’est plus le cas en termes d’accueil, ce qui sous-tend que nous refusons beaucoup de dossiers et même beaucoup trop pour un pays qui se targue d’être la patrie des droits de l’homme.
Nous ne pourrons pas voter un texte qui nie nos valeurs et nos engagements et qui refuse, par idéologie, d’assumer la réalité des faits. Nous le combattrons donc de nouveau, dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, qui nous réunit aujourd’hui, se produit dans un climat particulier, sur lequel je souhaite tout d’abord revenir.
Ce texte, fruit d’une initiative de M. Éric Besson, lorsqu’il exerçait ses fonctions au ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale – ministère qui a aujourd’hui disparu et je m’en réjouis –, avait déjà soulevé en première lecture le mécontentement du Sénat, lequel avait fait en sorte de l’améliorer. Une partie des atteintes, liberticides, contenues dans le texte initial, telles que celles qui avaient été faites au droit au séjour des étrangers malades, ou encore celles qui étaient relatives à l’extension de déchéance de la nationalité française, avaient pu être supprimées au cours de nos débats.
Malheureusement, comme cela arrive de plus en plus souvent, les députés ont de nouveau durci le texte et notre commission a, en partie, rétabli dans sa version plus progressiste celle qui était issue de la première lecture au Sénat.
Monsieur le ministre, les débats en présence de votre prédécesseur, M. Brice Hortefeux, avaient déjà pâti du manque de considération que ce texte témoigne à nos étrangers, et au respect de leurs droits les plus fondamentaux.
Cependant, je m’inquiète de la tournure que nos échanges pourront prendre au regard du contexte nauséabond et xénophobe qui règne à ce sujet depuis plusieurs semaines.
Monsieur le ministre, vous présentez et défendez aujourd’hui ce projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration alors que les propos que vous avez tenus ces derniers jours n’ont eu de cesse de choquer, jusqu’au sein même de votre majorité.
Je m’interroge en effet sur la crédibilité que vous avez, monsieur le ministre, à défendre un projet de loi relatif à l’immigration alors que vous déclariez le 17 mars dernier que « les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, de voir des pratiques qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale » et que « les Français veulent que la France reste la France ».
Ces déclarations n’ont pas manqué de faire réagir, jusqu’à Marine Le Pen, qui a indiqué avoir souhaité vous faire délivrer « une carte d’adhérent de prestige » au Front national. Vous tentez, en effet, monsieur le ministre, de faire de la récupération politique en flirtant avec l’électorat d’extrême droite. Les résultats des dernières élections cantonales l’ont pourtant démontré, loin de rapporter des voix à votre majorité, cette attitude ne fait qu’accroître les scores du Front national.
Dans vos différents discours, vous évoquez également les « franco-musulmans ». Étrange concept, qui ferait de nos concitoyens musulmans une catégorie à part de Français, les stigmatisant une nouvelle fois. Après les Français de souche, les Français de papiers, il y aurait, d’une part, les Français athées, agnostiques, chrétiens, juifs, bouddhistes et, d’autre part, les franco-musulmans. Aussi, je vous le demande, monsieur le ministre, qu’est-ce qui justifie cette incompréhensible dichotomie ?
À ce sujet, la semaine dernière, vous avez également déclaré : « En 1905, il y avait très peu de musulmans en France, aujourd’hui il y en a entre 5 et 6 millions. Cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème. » Selon moi, ce sont ces déclarations qui posent problème.
M. Alain Dufaut. Mais non !
Mme Alima Boumediene-Thiery. J’ai l’impression que vos propos nient l’histoire de France et son épisode colonial, quand plusieurs millions de Français étaient musulmans et pour lesquels avait alors été établi un code de l’indigénat. Je ne suis malheureusement pas la seule à m’indigner puisque, au sein même de votre majorité, on vous a reproché des propos islamophobes.
Le Gouvernement, auquel vous appartenez, a d’ailleurs initié un débat inutile sur la laïcité : « laïcité versus Islam ». Je rappelle que, initialement, ce débat devait porter uniquement sur l’Islam et qu’il n’a pris le titre de « débat sur la laïcité » qu’en fin de parcours. En fait, beaucoup de bruit pour rien ou, plutôt, pour stigmatiser une fois de plus la population musulmane de notre pays. Nous vous avions, à ce sujet, signifié notre désaveu.
Vous vous êtes bien gardé, monsieur le ministre, de déclarer quoi que ce soit à l’issue de ce débat. Mais cela n’était guère utile puisque vous nous aviez déjà donné, à ce moment-là, votre vision de la laïcité : « les agents des services publics, évidemment, ne doivent pas porter de signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse » mais « les usagers du service public ne le doivent pas non plus. » Vous proposez ici une bien étrange application de la loi de 1905. Même un député UMP, M. Jean-Pierre Grand, vous a invité, jeudi dernier, à « arrêter de dire n’importe quoi » et à cesser ces propos qui, selon lui, n’ont « rien à voir avec la laïcité mais qui relèvent de l’Inquisition. »
Dès lors, quelle crédibilité avez-vous à défendre aujourd’hui ce texte relatif à l’immigration, dans ce contexte où même les membres de la majorité critiquent, à juste titre, vos interventions, si hasardeuses lorsque vous créez de nouvelles peurs et même des suspicions ?
Vous avez employé le terme « croisade » pour qualifier l’intervention de la France en Libye. Ce n’est pas hors sujet, c’est, au contraire, révélateur.
Par ailleurs, et avant même d’aborder plus en détail le texte qui nous réunit, je dirai également quelques mots sur l’entrée en application, hier, de la loi anti-burqa. Lorsqu’il s’agissait ici même, devant notre assemblée, d’en débattre, nous nous étions, évidemment, au nom des droits de la femme, opposés au port du voile intégral, qui porte les germes de l’exclusion de la femme et de son enfermement physique et psychique. Mais je refusais, déjà à ce moment-là, l’instrumentalisation de cette situation et la stigmatisation qui en découlait.
L’amalgame est rapidement fait avec l’immigration et les étrangers, que vous tentez, monsieur le ministre, d’accuser de tous les maux, engendrant ainsi une suspicion permanente.
Enfin, vous avez également fait part de votre intention de diminuer l’immigration légale, familiale ou salariale. Or, au sein du projet de loi relatif à l’immigration, dont nous allons débattre aujourd’hui, aucune disposition ne consiste pourtant à renforcer les conditions de délivrance des visas de long séjour « conjoint de Français » ou les conditions de regroupement familial. Aucune disposition non plus ne tend à modifier les conditions de délivrance d’un visa de long séjour portant la mention « salarié », ou du titre de séjour temporaire « salarié ».
Dès lors, je m’interroge sur la façon dont vont, dans la pratique, être mises en place vos consignes de diminution de cette immigration légale. Cela signifie-t-il que l’Office Français de l’immigration et de l’intégration et les préfets recevront des consignes, par voie de circulaires, pour diminuer le nombre des regroupements familiaux, y compris pour les dossiers qui répondent pourtant aux conditions légales de ressources et de logement ? Est-ce encore l’arbitraire qui va présider, via une application excessive de la notion floue de « conformité aux principes de la République » ? S’agissant de l’immigration salariale, des consignes similaires seront-elles adressées aux directions départementales de l’emploi et de la formation professionnelle ? Dans les deux cas, allez-vous inviter nos consulats à délivrer moins de visas de long séjour, dans le manque de transparence le plus total ? Si vous décidez, finalement, de recourir au législateur, serons-nous, dans ce cas, amenés à étudier un nouveau et énième projet de loi relatif à l’immigration, alors que l’étude de celui qui nous est aujourd’hui soumis n’est pas encore achevée ?
Tout cela est inquiétant, monsieur le ministre, tout comme ce projet de loi qui, sous le prétexte de transposer des directives communautaires et de mettre la France en conformité avec le droit européen, s’en prend à toutes les branches du droit des étrangers. Ainsi, la mise en place de zones d’attente porte gravement atteinte aux droits des demandeurs d’asile et à ceux des personnes détenues. Ce projet s’en prend également aux droits à une défense effective, au travers de plusieurs dispositions en matière de procédure et de contentieux de l’éloignement.
Par ailleurs, il stigmatise les couples dits « mixtes », en créant une présomption d’escroquerie aux sentiments, qui ne pèse que sur la personne étrangère, suspectée d’épouser un Français uniquement pour obtenir un titre de séjour ou la nationalité française. Au chapitre des suspicions, après le faux étudiant, le faux malade, apparaît ce concept immonde de « mariage gris », contraire à l’article 1er de notre Constitution, qui assure l’égalité de tous devant la loi.
Ensuite, vous réduisez de manière importante les garanties procédurales en vue de faciliter l’éloignement des étrangers « indésirables », au mépris du respect de leurs droits fondamentaux et des libertés individuelles.
Enfin, surtout, vous créez également une véritable mesure de bannissement : l’interdiction de retour sur le territoire, qui a vocation à s’appliquer à tout étranger expulsé et qui sera quasiment impossible à contester.
Nous, les sénatrices et sénateurs écologistes sommes bien sûr indignés par de telles dispositions et nous refuserons de cautionner les atteintes à l’état de droit que comporte ce projet de loi qui criminalise, enferme, bannit, éloigne les étrangers. Nous voterons évidemment contre ce texte anticonstitutionnel, anticonventionnel, qui méprise les droits fondamentaux, dont la liberté de circuler et le droit à la vie familiale, ce qui est pourtant reconnu dans le droit international. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jacques Mézard applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi prétend répondre à des exigences européennes. En tant que vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat, j’ai choisi d’axer l’essentiel de mon intervention sur ce point.
En effet, l’objectif affiché du texte est de transposer, dans les délais impartis, trois directives européennes. Outre la directive Retour, relative à l’expulsion des immigrés illégaux et qui aurait dû être transposée depuis le mois de décembre dernier, le texte entend transposer la directive Carte bleue européenne, relative à l’immigration professionnelle hautement qualifiée, et la directive Sanctions, qui tend à pénaliser les employeurs faisant appel aux travailleurs sans papiers.
Je ne peux, dans un premier temps, que me féliciter de ce regain d’intérêt du Gouvernement pour le respect des procédures européennes. Il est vrai qu’au mois de novembre dernier, lors de l’examen de la proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit communautaire, nous transposions encore, sur l’initiative des parlementaires, des directives et des règlements qui auraient dû être appliqués, pour certains, depuis 2004.
Cependant, je m’élève avec force contre cette habitude d’ériger en bouc émissaire l’Union européenne. Je vais donc m’employer, ici, à rappeler les principes de base d’une transposition de directive européenne.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, la directive fixe uniquement l’objectif à atteindre et délègue le choix des solutions aux États membres. Si cette forme législative impose, certes, quelques contraintes, elle préserve, en revanche, contrairement au règlement, de larges espaces de liberté et d’interprétation. Les États membres peuvent notamment conserver leurs législations nationales dites « mieux-disantes ».
L’article 4 de la directive Retour dispose d’ailleurs : « La présente directive s’applique sans préjudice du droit des États membres d’adopter ou de maintenir des dispositions plus favorables pour les personnes auxquelles la présente directive s’applique, à condition que ces dispositions soient compatibles avec la présente directive. »
Or, dans le présent projet de loi, la transposition des directives est biaisée.
Premièrement, le texte ignore notre législation « mieux-disante ». S’agissant de la rétention, par exemple, la directive Retour a fixé une durée maximum de six mois – avec la possibilité de l’allonger à douze mois dans des circonstances bien précises – pour les pays n’ayant pas de délai maximal imposé. Le texte utilise cette disposition pour allonger le délai de rétention des étrangers en France et le porter de trente-deux à quarante-cinq jours.
Deuxièmement, des dispositions facultatives dans la directive sont rendues obligatoires dans le projet de loi, notamment la zone d’attente portative, qui fait office dans le texte européen d’exception en cas de situation d’urgence et tend à devenir la règle dans votre texte de transposition.
Troisièmement, enfin, de nombreuses dispositions étrangères aux directives sont venues s’ajouter au texte, comme la restriction de l’accès au séjour pour les étrangers malades ou les mariages gris qu’évoquait Mme Khiari. Le projet de loi avalise ainsi les amalgames entre les immigrés illégaux, les étrangers en situation légale, les ressortissants de l’Union européenne et les demandeurs du droit d’asile, qui sont aussi les victimes des dispositions transposées.
Monsieur le ministre, l’Europe a, encore une fois, bon dos. Le projet de loi exploite, en fait, toutes les potentialités sécuritaires, mais ignore les garanties des libertés fondamentales qui y sont normalement associées et que l’on retrouve dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Je prendrai un exemple précis : la directive impose aux États membres d’assurer aux étrangers le droit au recours, le droit à l’unité familiale, aux soins médicaux d’urgence et à la scolarisation des enfants mineurs, dans l’attente de l’exécution des mesures d’éloignement.
Or les dispositions du projet de loi en la matière vont à l’encontre de la lettre de cette directive et des autres. Avec l’allongement du délai de saisine du juge des libertés et de la détention, qui passe de quarante-huit heures à cinq jours, l’étranger pourra être laissé cinq jours sans voir aucun juge.
De même, le droit au recours concernant l’obligation de quitter le territoire et l’interdiction de retour sur le territoire français est limité : le juge doit statuer seul en soixante-douze heures, alors qu’une décision réfléchie et collégiale serait pourtant le meilleur moyen d’avoir une justice objective pour une décision qui aura des conséquences graves sur l’étranger, notamment en termes de vie privée et familiale.
Le projet de loi restreint ainsi de manière drastique les droits de la défense des étrangers. La prise en charge des mineurs étrangers n’est pas non plus évoquée dans votre texte quand la directive insiste pourtant sur la prise en compte de « l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Monsieur le ministre, l’Europe, c’est aussi la Cour européenne des droits de l’homme. En tant que maire de Strasbourg, capitale européenne qui défend l’Europe de la paix et des droits de l’homme, et où siège cette Cour, vous savez que je suis particulièrement sensible à cette institution.
L’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose notamment : « Toute personne arrêtée ou détenue [...] doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. » Le projet de loi ne respecte en aucune manière cet article. À mon avis, la Cour ne manquera pas de s’opposer à son application.
Monsieur le ministre, cette Europe que vous cherchez à instrumentaliser sera, en réalité, le dernier rempart contre vos réformes régressives à l’égard du droit des étrangers. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. François Fortassin applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour permettre les derniers préparatifs de la retransmission par Public Sénat et France 3, à dix-sept heures, des questions cribles thématiques sur les problèmes énergétiques.
L’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité reprendra à dix-huit heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
7
questions cribles thématiques
les problèmes énergétiques
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur les problèmes énergétiques.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de Frédéric Taddeï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole.
La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à la suite de l’accident nucléaire majeur qui touche le Japon, le Premier ministre a saisi l’autorité de sûreté nucléaire afin de réaliser une étude de sûreté des installations nucléaires visant à déterminer si des améliorations seraient nécessaires, en France, à la lumière des enseignements tirés de l’accident de Fukushima. Nous appuyons cette initiative et nous resterons vigilants sur la transparence et l’information due au public.
Cela étant dit, la mission telle que définie par le Gouvernement ne nous satisfait pas sur trois points.
Premier point : son objet. Nous demandons que l’audit porte sur toutes les installations nucléaires, y compris les installations militaires.
Deuxième point : les exigences requises en matière de sûreté ne sauraient se limiter aux cinq points énumérés. D’autres aspects doivent être envisagés, comme le vieillissement des matériels et des installations. Je suis particulièrement sensible à cette question au regard des inquiétudes légitimes que suscite la doyenne des centrales non loin de chez moi, la centrale de Fessenheim.
Mais surtout, au-delà des garanties techniques, nous sommes attachés à l’aspect social et managérial de la sûreté nucléaire. Je veux parler de l’organisation du travail, du recours à la sous-traitance et des garanties sociales. Les collectifs de travail, les habitudes de coopérations et la transmission des savoirs sont les fondements de la culture de la sûreté dans une entreprise.
Troisième point : l’étude doit être conduite dans des conditions garantissant la transparence et la publication des résultats avec une expertise contradictoire. Elle doit être menée sur le terrain, en association étroite avec les représentants des salariés, notamment les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ou CHSCT.
Monsieur le secrétaire d’État, nos concitoyens ont le droit de savoir ; l’État a le devoir de les informer. Au regard de ces éléments, êtes-vous prêt à donner une traduction concrète à nos propositions afin que l’étude sur la sûreté concerne l’ensemble des installations nucléaires, que l’aspect social ne soit pas éludé et qu’elle associe de manière large les représentants de la société civile et ceux des travailleurs du secteur concernés.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Marc Daunis. Ah !
M. Charles Gautier. Quel rapport ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Madame Didier, vous me permettrez tout d’abord d’excuser M. le ministre Éric Besson, qui, comme vous le savez, est actuellement aux États-Unis pour préparer le G8 sur le numérique et qui, de surcroît, aura l’occasion, au cours de ce déplacement, de faire le point sur un certain nombre de sujets liés aux questions énergétiques.
Vous avez raison, madame la sénatrice, l’exigence en matière de transparence et de sécurité est absolue dans le domaine du nucléaire. J’ai bien noté que vous vous réjouissiez que le Gouvernement ait annoncé, par la voix du Premier ministre, quatre jours après l’accident de Fukushima, le 15 mars, une revue critique de sûreté des centrales, confiée à l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, concernant les risques principaux, l’inondation, le séisme, la perte des alimentations électriques, la perte du refroidissement et la gestion opérationnelle des situations accidentelles.
Lorsque vous m’interrogez sur la participation des personnels et des représentants de la société civile, vous posez la question de la transparence. À ce sujet, le cahier des charges sera rendu public, de même que les résultats de l’audit sur l’ensemble des installations nucléaires, avec priorité aux centrales, comme cela a d’ores et déjà été dit par le Premier ministre.
Vous posez également la question précise des installations militaires. Il va de soi que la sûreté nucléaire est un sujet essentiel pour le ministre de la défense. Celui-ci veillera à ce que la sécurité de l’ensemble des installations soit vérifiée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour la réplique.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le secrétaire d’État, vos propos confirment simplement les termes de la lettre de mission de l’ASN. En conséquence, je réitère mes questions.
Vous avez confirmé la transparence ; nous verrons ce qu’il en sera. Quant à moi, je vous confirme ma question concernant la transmission, l’aspect social et l’intégration. Il existe en effet un environnement qui favorise ou non la sûreté dans une entreprise, et particulièrement dans le nucléaire.
Je considère que je n’ai pas vraiment obtenu de réponse, mais vous aurez sans doute l’occasion de revenir sur ces points, monsieur le secrétaire d’État.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le secrétaire d’État, permettez que je revienne sur la gestion gouvernementale de la filière photovoltaïque. Elle est dramatique. (M. Jean-Pierre Bel opine.) En effet, ce sont des milliers de projets, privés ou publics, qui ont été sacrifiés parce que le Gouvernement n’a pas eu l’objectivité de prévoir des quotas et des tarifs de rachat pour une durée déterminée. (M. Jean-Pierre Bel opine de nouveau.) Il a changé les règles avec une rétroactivité inacceptable, monsieur le secrétaire d’État, car les projets étaient fondés sur des conditions précises. Sans esprit polémique, je tiens à le dire, il n’y a pas eu de respect des engagements !
M. Jean-Pierre Bel. Absolument !
M. Jean Boyer. Il fallait clarifier les dimensions et les objectifs. Je veux parler en particulier des petits porteurs, lesquels représentent une réalité incontournable de la France rurale qui veut travailler, produire, avancer.
Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, il est trop tard et les dommages causés à de très nombreux porteurs de projets sont graves. Certes, il fallait réguler, mais il ne fallait pas casser une filière en changeant les règles en cours de route !
M. Roland Courteau. Il a raison !
M. Jean Boyer. J’ai dans mon département plusieurs dizaines d’agriculteurs qui, à l’inverse des investisseurs spéculatifs nationaux, ont établi des projets d’installations photovoltaïques sur des bâtiments agricoles. Compte tenu des difficultés du monde agricole, ces projets leur permettaient d’obtenir un complément de revenu nécessaire au maintien de leur activité.
M. Didier Guillaume. Eh oui ! Pour eux, c’est fichu ! On leur a menti !
M. Jean Boyer. Plusieurs d’entre eux avaient déposé leur projet dans les délais. Malgré les baisses successives des tarifs de rachat, ils avaient continué des démarches lourdes et coûteuses, s’élevant à quelque 20 000 euros. La plupart de ces agriculteurs ont engagé toutes leurs économies.
Un sénateur du groupe socialiste. Pour rien !
M. Jean Boyer. Aujourd’hui, après l’arrêté du 12 mars 2011, ils n’ont plus de nouvelles. Bien que leurs dossiers soient complets, ils sont toujours dans une attente insoutenable, monsieur le secrétaire d’État.
M. René-Pierre Signé. C’est l’indifférence !
M. Jean Boyer. Ils le savent, il fallait réguler. Mais il ne fallait pas pour autant casser la filière de ceux qui ont engagé des projets réfléchis et raisonnables.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Boyer. Monsieur le secrétaire d’État, que comptez-vous faire pour redonner un peu d’espoir à ces agriculteurs et à d’autres qui, comme eux, sont en plein désarroi ? Quelle priorité donnez-vous au traitement de ces dossiers et à ces porteurs qui sont devenus – je me permets d’insister, monsieur le secrétaire d’État, car nous sommes assaillis par eux – des victimes innocentes ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Un sénateur du groupe socialiste. C’est un vrai scandale !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. René-Pierre Signé. Il est embarrassé !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement raison… (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) de souligner que le Gouvernement a changé les règles en cours de jeu. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. René-Pierre Signé. Ça avait trop bien commencé !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Mais s’il l’a fait, c’est parce que les objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement ont été très largement dépassés. Or ces objectifs très largement dépassés pesaient sur le consommateur.
M. Roland Courteau. Ce n’était que des projets !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Vous avez raison de vous soucier de tous ceux qui se sont engagés et qui attendent de savoir quelle sera la règle.
Depuis la suspension intervenue, un nouveau dispositif de soutien a été présenté en mars dernier.
M. René-Pierre Signé. Des quotas !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Il prévoit une cible de nouveaux projets de 500 mégawatts par an pour les prochaines années.
Compte tenu des projets entrés en file d’attente avant la suspension, les perspectives de développement pour 2011 et 2012, qui restent soutenues, sont évaluées entre 1 000 et 1 500 mégawatts par an, soit davantage que la quantité installée en 2009 et 2010.
M. Marc Daunis. Vous tuez la filière française !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. La cible annuelle de 500 mégawatts sera réexaminée au milieu de l’année 2012 et pourra être revue à la hausse jusqu’à 800 mégawatts. Sur ces bases, les objectifs du Grenelle de l’environnement seront donc largement dépassés par rapport à la cible initiale.
Pour les projets d’une puissance supérieure à 100 kilowatts crête, qui sont ceux que vous mentionnez, un dispositif d’appel d’offres est en cours de préparation. Le cahier des charges sera élaboré avec la filière dans les prochaines semaines.
Vous avez raison, il sera indispensable de communiquer à l’endroit de tous ceux qui attendent les conditions d’exercice des nouveaux appels d’offres, arrêtées après négociations avec la filière.
M. René-Pierre Signé. Ils seront perdants !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Boyer, pour la réplique.
M. Jean Boyer. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.
Dans la vie, quand on a eu un accident – j’en ai eu un il y a quelques semaines –, il faut en tirer des enseignements pour ne pas refaire le même parcours. Je ne prétends pas avoir de leçon à donner mais tirons ensemble des enseignements pour l’avenir.
En effet, le prix de rachat que vous avez fixé à l’injonction du biogaz issu de la méthanisation semble inférieur au coût de revient de la production d’électricité par biogaz aujourd’hui. Il devrait donc être relevé.
Il me semble indispensable que le Gouvernement ne cherche pas à faire de la communication sur la réussite d’un dispositif mais prenne en compte l’essentiel, à savoir la garantie et la pérennité des projets.
Monsieur le secrétaire d’État, à l’approche de la parution des décrets précisant les modalités d’injonction et les tarifs de rachat, par avance, je vous remercie très sincèrement et avec beaucoup de modestie de tirer les conclusions de la déception du photovoltaïque. Tout le monde préférera des tarifs raisonnables de rachat de biogaz, pourvu qu’ils soient au-dessus du coût de revient et, surtout, que leur stabilité soit garantie.
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. Charles Gautier. Vas-y François !
M. François Fortassin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la catastrophe nucléaire japonaise a provoqué une vive inquiétude chez nos concitoyens, qui ne sont d’ailleurs pas rassurés en apprenant l’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires dont la maintenance sera, en outre, confiée à des sous-traitants.
En conséquence, les énergies renouvelables ont été remises au goût du jour. Un consensus existe dans de nombreux États pour préparer l’avenir énergétique. C’est une bonne chose mais, parfois, le développement de ces énergies se fait au détriment de la logique et du bon sens. On veut imposer un mode, pour ne pas dire une mode, en matière de production énergétique écologique.
S’agissant de l’éthanol et de la biomasse, je m’inquiète des répercussions que leur développement pourrait avoir sur la production alimentaire. Si le Brésil est un pays qui possède de vastes espaces où la production est satisfaisante, il n’en va de même de nos pays européens.
La plupart des énergies renouvelables ne peuvent pas être stockées et, par conséquent, elles ne peuvent pas être produites dans les moments où elles seraient les plus utiles.
Concernant l’éolien, intellectuellement intéressant, cette production d’énergie à partir de la force du vent est loin d’être satisfaisante dans beaucoup de circonstances. Quand il fait très chaud ou très froid, la pression est élevée, il n’y a pas de vent, donc les éoliennes ne fonctionnent pas. Quand les vents sont violents, cela ne fonctionne pas non plus, parce qu’il faut arrêter les éoliennes. Elles sont certainement très judicieuses…
M. René-Pierre Signé. Elles sont capricieuses !
M. François Fortassin. … dans les régions qui se trouvent en bordure de mer, parce que les vents sont réguliers. Mais ce n’est pas le cas dans toutes les régions françaises.
Il en va de même pour le photovoltaïque, qui fonctionne toute l’année mais beaucoup plus en été, alors que les besoins se font surtout sentir au cœur de l’hiver. Le bilan est donc plus que mitigé. Ne faudrait-il pas interdire les équipements au sol alors que des surfaces importantes – je pense aux toitures des bâtiments agricoles ou industriels, ou encore aux parkings très vastes qui jouxtent les centres commerciaux et les entrepôts – pourraient être aménagées avec des installations appropriées ?
L’énergie hydraulique est incontestablement l’énergie renouvelable qui présente le plus d’intérêt, mais elle requiert souvent de très lourds investissements.
Enfin, sachant que la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas, ne serait-il pas nécessaire de réaliser en priorité des économies d’énergie, par exemple en rendant obligatoire l’isolation thermique de tous les logements destinés à la location ?
Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous poser la question suivante : quelle politique le Gouvernement entend-il mener dans les quinze ans à venir pour développer de nouvelles énergies alternatives ? Peut-il nous garantir un avenir de ce côté ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. Jean Boyer applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous soulignez dans votre question l’un des inconvénients majeurs de l’éolien et du photovoltaïque, à savoir leur caractère intermittent.
L’électricité produite par ces deux filières dépend en effet fortement des conditions météorologiques, et elle est parfois « décorrélée » de la demande en électricité.
D’autres sources d’énergie renouvelable permettent toutefois de produire une électricité non intermittente à partir du biogaz, d’énergie hydraulique ou géothermique. Ces filières existent déjà dans notre pays et ont vocation à être développées plus fortement. En particulier, le tarif d’achat de l’électricité produite à partir de biogaz sera revalorisé avant la fin du mois pour accompagner l’essor de la filière méthanisation.
Il n’est cependant ni possible ni souhaitable que notre système électrique repose aujourd’hui exclusivement sur les énergies renouvelables. Pour fonctionner correctement, le système doit en effet disposer de moyens de production à puissance garantie : d’une part, des moyens de production de base – il s’agit de notre parc nucléaire –, d’autre part, de moyens de production de semi-base et de pointe, plus flexible – ce sont principalement des moyens de production hydraulique, mais également de moyens de production thermique, gaz et fioul, afin de répondre instantanément aux évolutions de la demande électrique, par exemple lors des pics de consommation le soir à dix-neuf heures en hiver.
Les énergies renouvelables permettent de diversifier ce bouquet énergétique – vous m’avez interrogé sur la stratégie à adopter ; en voilà un certain nombre d’éléments. Ces énergies contribuent à « décarbonner » notre électricité et à développer des filières industrielles françaises qui ont vocation à rayonner à l’international. Je pense notamment à l’éolien offshore pour lequel, vous le savez, le Président de la République a annoncé un certain nombre de décisions importantes : un appel d’offre de 3 000 mégawatts de capacité installée doit être lancé au mois de mai prochain sur un certain nombre de sites en France.
Vous avez évoqué les biocarburants, en particulier l’éthanol. Il est vrai que le risque de conflit alimentaire existe. C’est pourquoi le Gouvernement met désormais le cap sur ceux de la deuxième génération, qui ne sont pas en concurrence avec l’alimentation.
Pour conclure, j’évoquerai l’isolation thermique.
La nouvelle réglementation thermique pour les bâtiments est parue en 2011 et s’appliquera en 2012. Elle fixe un objectif qui est très ambitieux : 50 kilowattheures par mètre carré et par an.
Voilà quelques éléments précis qui répondent à votre question, monsieur le sénateur.
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin, pour la réplique.
M. François Fortassin. J’ai écouté avec attention le discours incantatoire de M. le secrétaire d’État, de grande qualité sur le plan sémantique ! (Sourires sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Pour autant, je ne suis pas vraiment convaincu, car j’en cherche vainement les lignes directrices.
Le biogaz, soit, mais quelqu’un ici peut-il me dire ce que sera sa production dans une dizaine d’années ? Ensuite, vous avez dit que l’hydraulique répond, par sa souplesse, à un certain nombre d’exigences. Cela, nous le savions déjà ! Dès lors, même s’il est pour moi très agréable d’être ici, j’aurais, à la limite, pu me dispenser de poser cette question. (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. René-Pierre Signé applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je me réjouis que ce débat ait été organisé, car l’accident nucléaire intervenu au Japon suscite des interrogations tout à fait légitimes en France.
Je tiens à rappeler que les règles relatives à la sûreté des centrales nucléaires varient d’un pays à l’autre. Surtout, elles ne sont pas les mêmes en France, au Japon et aux États-Unis.
Aussi, la sûreté de l’exploitation du parc nucléaire d’EDF fait l’objet de nombreux contrôles internes, par EDF, et externes, par l’Autorité de sûreté nucléaire.
Des inspections sont menées sur les sites, de façon programmée ou inopinée. En 2010, plus de 400 contrôles ont été réalisés.
À la suite de ces événements dramatiques, le Gouvernement a demandé à l’ASN de réaliser une étude de la sûreté des installations nucléaires françaises au regard des principales causes de l’accident en cours – séisme, risque d’inondation, perte des alimentations électriques, etc –, ce dont nous nous réjouissons.
Les résultats de cet audit seront connus d’ici à la fin de l’année 2011 et pourront conduire à un plan d’action pour renforcer la sûreté de ces installations.
Ne pensez-vous pas, monsieur le secrétaire d’État, qu’il est urgent de surseoir à la mise en place de la loi NOME, la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, et à l’arbitrage sur le prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique vendu par EDF à ses concurrents, tant que l’on ne connaîtra pas les charges que cette entreprise aura à supporter pour la mise en œuvre rapide de ce plan d’actions ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la France a fait, voilà un demi-siècle, le choix du nucléaire pour la production d’électricité. Ce choix est indissociable d’une exigence absolue en matière de sûreté nucléaire et de transparence. J’ai eu l’occasion de le dire tout à l’heure, en rappelant les décisions qui ont été prises après l’accident de Fukushima.
L’audit de sûreté des réacteurs français, en complément des démarches de sûreté déjà mises en œuvre par les exploitants nucléaires sous le contrôle de l’ASN, est connu de tous, et je ne rappellerai pas tous les points sur lesquels la vigilance doit porter.
Les audits seront menés de manière ouverte et transparente, je l’ai dit, et le Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire y contribuera.
L’ASN rendra ses premières conclusions avant la fin de l’année 2011.
Cette exigence de sûreté et ces travaux, vous avez parfaitement posé le problème, peuvent évidemment amener à se poser des questions sur l’application ou non de la loi NOME.
La loi NOME prévoit que le prix de l’électricité nucléaire vendue par EDF à ses concurrents – « prix de l’ARENH » – permettra de couvrir, sur la durée, les coûts de production de cette électricité, y compris les investissements d’extension de la durée de vie et les coûts de démantèlement.
Un audit est en cours. Il n’y a donc aujourd’hui aucune raison de suspendre la mise en œuvre de cette loi. Éric Besson a d’ailleurs précisé hier qu’une réunion sera organisée rapidement autour du Président de la République pour décider des modalités d’application de la loi, compte tenu de cette situation.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
M. Alain Fouché. Monsieur le secrétaire d’État, je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre conclusion, puisque je souhaite que nous y revenions.
Il me semblerait bienvenu, pour éviter que nos installations nucléaires ne soient l’objet de critiques infondées, que vous continuiez à communiquer au mieux sur les règles qui régissent la sûreté nucléaire en France : son contrôle indépendant et surtout la spécificité française du rehaussement régulier du niveau d’exigence de sûreté imposé par la réglementation aux centrales existantes.
Il s’agit notamment d’expliquer les modalités des visites décennales en rappelant les principes qui régissent le niveau d’exigence de sûreté appliqué aux centrales nucléaires françaises ainsi que son évolution dans le temps.
En effet, certains pays, c’est le cas notamment des États-Unis, autorisent leurs centrales à fonctionner pendant une certaine durée – trente ou quarante ans –, et dans certains cas prolongent cette durée jusqu’à soixante ans à la condition qu’elles satisfassent toujours aux exigences de sûreté fixées lors de leur construction. À l’inverse, en France, le contrôle décennal réalisé par l’ASN permet une réévaluation des exigences autorisant ou non les centrales à poursuivre l’exploitation pour une nouvelle période de dix ans.
Il me paraissait important de rappeler tous ces éléments.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau. (Bravo ! et marques d’encouragement sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Avec la dernière augmentation survenue le lendemain des élections cantonales, les tarifs du gaz se sont envolés : ils ont augmenté de 20 % en un an, et même de 55 % depuis la privatisation de Gaz de France.
M. David Assouline. C’est vrai !
M. Roland Courteau. Dans le même temps, GDF-Suez annonce un résultat net en hausse de 4,6 milliards d’euros, tandis que son conseil d’administration a pris la décision de proposer un dividende, par action, en augmentation.
M. David Assouline. Eh oui !
M. Roland Courteau. Heureux actionnaires, mais malheureux consommateurs ! Je pense plus particulièrement aux 3 millions de ménages qui sont aujourd’hui en situation de très grande précarité énergétique. Je pense également aux 300 000 ménages qui, durant cet hiver, n’ont pu se chauffer.
Au total, voilà un sacré coup de canif…
M. Yvon Collin. Un coup de poignard !
M. Roland Courteau. … au pouvoir d’achat, y compris pour celles et ceux qui ont investi dans les économies d’énergie.
Fort heureusement, l’élection présidentielle approche, et, miracle ! des mesures sont annoncées, mais trop tard et elles sont très insuffisantes.
En fait, le Gouvernement ne manque pas d’air : il gèle le prix du gaz… après l’avoir augmenté de 5 % quatre jours avant, et il annonce une révision de la formule de calcul du prix du gaz… après l’avoir augmenté de 55 % en cinq ans.
MM. Marc Daunis et Didier Guillaume. Et voilà !
M. Roland Courteau. Et tout cela, après avoir lâché au groupe gazier toujours plus de lest pour proposer les tarifs à la Commission de régulation de l’énergie.
M. David Assouline. Il a raison !
M. Roland Courteau. En fait, le prix de l’énergie semble n’être qu’une variable politique d’ajustement : …
M. René-Pierre Signé. C’est de la petite politique !
M. Roland Courteau. … augmentation, une fois les élections cantonales passées, promesses de baisse, dans la perspective de l’élection présidentielle.
Monsieur le secrétaire d’État, GDF-Suez a amélioré ses résultats de 600 millions d’euros en un an.
MM. Guy Fischer et Yvon Collin. Scandaleux !
M. Roland Courteau. Allez-vous donc proposer une baisse des tarifs ? Allons-nous avoir plus de transparence dans les coûts d’approvisionnement de GDF ? Allez-vous « mettre le paquet » en matière d’économies d’énergie ? Bref, que comptez-vous faire contre la précarité énergétique ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. David Assouline. Ça c’est une question !
M. Jean-Jacques Mirassou. Magnifique question !
M. Marc Daunis. Enfin, une vraie question !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, et j’espère que vous ferez de même.
S’agissant de l’énergie, notamment du gaz, vous avez parlé à juste titre des tensions qui pouvaient exister sur les prix des matières premières. C’est précisément la raison pour laquelle le Gouvernement n’est pas resté inactif.
Vous me dites que c’est arrivé trop tard. Je vous rappelle que le tarif social du gaz, c’est cette majorité qui l’a créé ! Le rabais a été revalorisé de 20 % par ce gouvernement ; de la même façon, la suspension de l’application de la revalorisation en juillet 2011 pour recalculer le dispositif – vous avez sans doute oublié de le rappeler, c’est pour cela que je veux donner des éléments précis – permet d’éviter une augmentation des factures de 80 euros. Ce n’est pas rien ! (M. René-Pierre Signé s’exclame.)
M. David Assouline. Tout va bien !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Oh, vous savez, quand c’est difficile et qu’un certain nombre de Françaises et de Français souffrent, loin de moi l’idée de dire que tout va bien. Mais il y a ceux qui critiquent en permanence et ceux qui agissent. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Et agir, ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile, mais c’est, je crois, ce qu’attendent nos compatriotes.
Monsieur le sénateur, vous avez spécifiquement mis en cause GDF-Suez. Je veux tout de même vous rappeler que ce n’est pas sur la branche énergie que GDF-Suez dégage des résultats dans notre pays.
M. Jean-Jacques Mirassou. Un peu tout de même !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. J’ajoute enfin, concernant le gaz, que l’application de la formule tarifaire – j’en ai dit un mot tout à l’heure –, avec cette hausse de 7,5 % qui était normalement prévue en juillet, représentait 80 euros supplémentaires, ce qui n’était pas acceptable.
Si nous avons suspendu l’application de cette formule pour renégocier le contrat de service public de GDF-Suez, c’est parce que nous voulons inscrire dans la durée d’abord une réponse conjoncturelle – le rabais est augmenté pour les plus démunis –, et ensuite une réponse structurelle – se mettre autour de la table pour trouver la bonne réponse à cette question de l’énergie qui est essentielle pour nos compatriotes puisqu’elle représente 8 % de leurs dépenses. J’aurais d’ailleurs peut-être l’occasion de parler du carburant.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour la réplique.
M. Roland Courteau. Le Gouvernement semble découvrir aujourd’hui que les fondamentaux de la formule de calcul sont à revoir. Ce n’est pourtant pas faute de le lui avoir dit et redit ! Monsieur le secrétaire d’État, il vous faudra surtout veiller à ce que le nouveau mécanisme consiste à répercuter non pas uniquement les hausses du prix du gaz, mais aussi les baisses.
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Roland Courteau. Par ailleurs, plus de transparence sur la réalité des coûts d’approvisionnement de GDF-Suez ne nuirait pas.
M. Roland Courteau. Quant aux tarifs sociaux, que vous avez évoqués, le système est à repenser. Les deux tiers des personnes qui sont en droit d’y prétendre n’en bénéficient pas.
De même, le prix du baril peut certes peser, mais la libéralisation ubuesque que vous avez voulue n’a pas fini de faire des ravages.
Enfin, merci de geler les prix du gaz en juillet, j’ai bien dit « en juillet » ! Les gens pourront ainsi se chauffer fortement pendant tout l’été ! (Rires ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. Et en plus, il a de l’humour !
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est à Rozoy-Bellevalle, petite commune de 114 habitants de mon département, l’Aisne, que les sociétés Hess et Toreador ont l’ambition de démarrer la partie axonaise d’un projet de développement, portant sur près de 800 kilomètres carrés d’exploitation d’huile de schiste.
Mes chers collègues, l’huile de schiste est un hydrocarbure liquide non conventionnel, comme le gaz de schiste, que l’on obtient par l’emploi de la technique d’hydrofracturation. Celle-ci est consommatrice d’importantes quantités d’eau associées à des produits chimiques, provoquant des impacts sérieux par dissémination de ceux-ci dans les nappes phréatiques, comme cela d’ailleurs a été mis en évidence lors des exploitations réalisées aux États-Unis et au Canada.
L’autorisation de recherche pour ce permis dit « Permis de Château-Thierry » a été délivrée, à mon sens, dans une grande opacité, en septembre 2009 pour une durée de cinq ans, sans qu’aucune des communes concernées n’ait été seulement informée, ni même consultée et encore moins associée...
Je note cependant que c’est à la suite d’une question écrite que j’ai posée sur ce thème, publiée le 10 mars et dont la réponse est parue le 7 avril dernier, que soudain les présidents et les conseillers des sociétés que j’ai précédemment citées se sont manifestés auprès de l’élu que je suis pour évoquer le calendrier et la technique utilisée.
Les populations, mais aussi l’ensemble de la représentation nationale, s’inquiètent, à juste titre, des risques pour l’environnement et pour la santé. Il suffit de visionner l’impressionnant documentaire Gasland pour s’en convaincre, hélas !
Il n’est pas non plus nécessaire d’énumérer ici les délibérations, décisions, motions, vœux, arrêtés, pris par les collectivités concernées.
Dans sa réponse à ma question écrite, le ministère précise que, après une réunion avec les industriels concernés, le 10 février dernier, il a été décidé conjointement « pour les huiles, de différer le forage des puits après la remise du rapport d’étape et de n’entreprendre aucune fracturation hydraulique avant que les conclusions du rapport final de la mission précitée ne soient tirées ».
À l’heure où le prix du gaz, en raison notamment de notre dépendance vis-à-vis des pays fournisseurs, est trop élevé, alors que le prix du baril de pétrole remonte sensiblement et que le prix du litre d’essence sans plomb 98 s’élève à près de 1,80 euro, il peut paraître néanmoins légitime de s’intéresser à l’exploitation de ces gaz et huiles non conventionnels que la France tient enfermés dans ses sous-sols. Nous pourrions agir efficacement et durablement sur le prix de cette énergie dont les besoins mondiaux vont croissants.
À quelques jours de la publication du rapport d’étape, prévue le 15 avril, de la mission d’inspection du Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et du Conseil général de l’environnement et du développement durable, sur les hydrocarbures de roche mère, je souhaite, monsieur le secrétaire d’État, que vous rassuriez les populations et les élus quant à la totale transparence dont fera preuve le Gouvernement tant sur le potentiel énergétique lié à ces réserves que sur les techniques d’extraction, les aspects économiques, sanitaires et environnementaux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, les hydrocarbures de gaz et huile de schiste sont piégés dans une roche imperméable. Il s’agit de produits dont l’exploitation suppose des techniques non conventionnelles, pour stimuler la roche.
On parle de fracturation hydraulique pour désigner ces techniques qui reposent sur l’injection d’eau, de sable et de produits chimiques.
Vous vous en êtes ému dans une question écrite – vous l’avez rappelé – et vous avez évoqué la position prise par le Gouvernement.
Vous soulignez, dans votre conclusion, l’intérêt d’étudier cette question dans le détail pour voir s’il s’agit d’une opportunité ou pas. Vous rappelez que, à la différence des États-Unis, il n’y a pas aujourd’hui en France ou en Europe d’exploitation de gaz de schiste, mais l’essor particulier de cette exploitation aux États-Unis fait que ce pays n’importe plus de gaz naturel.
Que le Gouvernement se pose la question me paraît, à l’évidence, la moindre des choses.
Il existe, en revanche, trois permis d’exploration, qui peuvent donner lieu à des travaux d’exploration qui suscitent des interrogations, vous l’avez très bien dit. C’est la raison pour laquelle une mission interministérielle a été mise en place, le 4 février dernier, afin d’éclairer le Gouvernement et les élus sur l’ensemble des enjeux liés au gaz et à l’huile de schiste. Cette mission remettra un rapport d’étape dans quelques jours. Cela permettra d’y voir plus clair.
En parallèle, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale a confié aux députés François-Michel Gonnot et Philippe Martin, le 2 mars dernier, la rédaction d’un rapport d’information.
À l’occasion du lancement de la mission, le Gouvernement a réuni, le 10 février dernier, les industriels titulaires de permis d’exploration, qui, vous avez évoqué ce point, ont accepté de n’effectuer aucun forage mettant en œuvre des techniques non conventionnelles. (M. David Assouline s’exclame.) Toutefois, il faut la transparence, vous avez raison.
C’est pourquoi le Gouvernement a accepté la demande d’un examen, en procédure accélérée, de la proposition de loi qui a été déposée à l’Assemblée nationale par Christian Jacob, député de Seine-et-Marne, et la discussion aura lieu le 10 mai. Ces débats permettront d’éclairer la représentation nationale et de faire toute la transparence que vous réclamiez à l’instant dans votre question, monsieur le sénateur.
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse. Il semble effectivement que la transparence soit de mise. Plusieurs propositions de loi ont été déposées à l’Assemblée nationale et au Sénat sur le même sujet. Aussi, nous serons attentifs aux différentes conclusions.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul. (Ah ! Enfin ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Daniel Raoul. Monsieur le secrétaire d’État, la catastrophe de Fukushima soulève évidemment de nombreuses interrogations sur notre politique énergétique. Celle-ci mériterait que l’on y consacre plus que les trois quarts d’heure dédiés à cette séance de questions cribles aux réponses quelque peu « candides » (Sourires.), car ce sont les fondements mêmes de cette politique qu’il nous faut revoir aujourd’hui.
En effet, la dérégulation du secteur énergétique, que ce soit pour l’électricité ou le gaz, met à mal notre souveraineté puisqu’elle contribue au désarmement énergétique de la France. Notre indépendance nationale, qui était le centre de gravité de notre politique énergétique, n’est plus d’actualité puisque l’État se défait de ses leviers d’action, en particulier dans le cadre de la loi NOME.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Daniel Raoul. Et ce alors même que le drame que connaît le Japon devrait inciter le gouvernement actuel à plus de prudence. Par ailleurs, il est « ingénu » (Nouveaux sourires.) de croire que nous pourrions avoir une politique industrielle sans politique énergétique. La privatisation d’EDF va bien à contresens des défis actuels et à venir.
La politique énergétique garantissait aux particuliers et aux entreprises une électricité 30 % moins cher que dans le reste de l’Europe ; ce ne sera plus le cas avec la dérégulation.
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Daniel Raoul. En plus de l’augmentation continue des loyers, les ménages vont donc devoir faire face à celle de leur facture énergétique, qui a été évoquée tout à l’heure. La décision de fixer l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, à un prix compris entre 38 euros et 42 euros par mégawatt va conforter cette tendance. Par ailleurs, la catastrophe va induire un coût supplémentaire découlant d’une demande légitime d’un accroissement de la sûreté des centrales nucléaires.
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, nous souhaiterions savoir quelle est la part du coût de la sûreté des centrales nucléaires dans le coût total de production ? Comment va-t-elle évoluer dans l’ARENH et donc pour le consommateur ?
Nous souhaitons avoir des réponses à ces questions et il faudrait pour le moins surseoir à l’application de la loi NOME.
M. Marc Daunis. Très bien !
M. Martial Bourquin. Excellent !
M. Daniel Raoul. Peut-on encore confier la sûreté et la gestion des centrales nucléaires à des sociétés privées et à des sous-traitants ? Enfin, plus largement, quelle est la ligne générale de votre politique énergétique pour les années à venir ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland Courteau. Il n’y en a pas !
M. David Assouline. Ça, c’est une question !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, sur cette question de l’énergie, vous avez souhaité élargir le débat.
Le pétrole représente 45 % de la consommation énergétique de la France, vingt points de moins qu’en 1973 ; 80 % de la consommation électrique est d’origine nucléaire. Sortir du nucléaire reviendrait à multiplier par deux le prix de l’électricité pour le consommateur.
M. Marc Daunis. Ce n’est pas la question !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. J’imagine que ce n’est pas, à l’évidence, ce que vous souhaitiez proposer à travers la question que vous avez posée.
M. Marc Daunis. Merci !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. La France a aujourd’hui largement diversifié son mix énergétique. Elle a réduit sa dépendance. L’énergie, vous avez évoqué ce point, n’est pas un secteur comme les autres. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement met en place une régulation stricte, avec des obligations européennes, la loi NOME, mais aussi avec les tarifs sociaux, qui, je le rappelle, sont des initiatives dues à cette majorité, et qui n’avaient pas été prises auparavant.
M. Marc Daunis. Ce n’est pas la question !
M. David Assouline. Quel esprit polémique !
M. René-Pierre Signé. Il y a longtemps que vous êtes au pouvoir !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Or la sûreté ne peut être isolée, vous l’avez dit. L’audit est en cours…
M. Jean-Pierre Bel. Répondez aux questions posées !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je réponds parfaitement aux questions posées (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)…
M. Marc Daunis. C’est de la polémique de bas étage !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. … et vous avez un avantage sur moi, vous pourrez vous exprimer de nouveau et me répondre.
Vous avez – et j’ai apprécié – cité Voltaire à deux reprises dans votre question. D’ailleurs, j’ai eu l’occasion de dire tout à l’heure à vos collègues députés à l’Assemblée nationale que ce lapsus, que j’ai pu faire, a un mérite. Vous vous souvenez peut-être que, dans Zadig, l’ange Jesrad disait : …
M. Marc Daunis. Ce n’est pas la question !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. … « Il n’y a point de mal dont il ne naisse un bien ». Or le bien, c’est que vous parlez de Voltaire aujourd’hui dans cet hémicycle. Dois-je vous rappeler que Voltaire, c’était la tolérance incarnée ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. René-Pierre Signé. C’était la critique de l’intolérance !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je pense que cela peut être utile à certains, à un moment où, je le répète, le Gouvernement et la majorité sont engagés dans une politique énergétique qui préserve l’indépendance énergétique de la France et en même temps protège les consommateurs les plus fragiles avec les tarifs sociaux…
M. René-Pierre Signé. Il ne faut pas vous référer à Voltaire !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est du Machaviel !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. … et, notamment avec les décisions de suspension que j’ai rappelées tout à l’heure, l’ensemble des consommateurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. René-Pierre Signé. Voltaire n’aurait pas été à l’UMP !
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul, pour la réplique.
M. Daniel Raoul. Monsieur le secrétaire d’État, il ne m’a pas échappé que Zadig n’était pas l’anagramme d’à gaz…
J’attendais des réponses concernant en particulier l’application de la loi NOME, le prix de l’ARENH et les conséquences pour les consommateurs…
M. Roland Courteau. C’est ça la question !
M. Daniel Raoul. … mais aussi pour notre industrie, qui, je vous le rappelle, bénéficiait certes d’un avantage concurrentiel par rapport à nos voisins, singulièrement les « électro-intensifs ».
Ma seconde question était celle de la sûreté de nos centrales nucléaires. Peut-on confier à la fois la construction et la gestion des centrales nucléaires à des sociétés privées ainsi qu’à des sous-traitants de nos industriels, même nationalisés ?
M. Roland Courteau. Eh oui, c’est la triste réalité !
M. David Assouline. Vous n’avez pas répondu, monsieur le secrétaire d’État !
M. Daniel Raoul. Cela pose réellement des problèmes et vous devriez tenir compte des expériences de Tepco au Japon. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous le savons, la problématique de l’énergie est au cœur de la réflexion de notre société et de nos concitoyens.
Le sommet de Copenhague avait donné lieu à une immense mobilisation, l’ensemble des associations, tous nos concitoyens affirmant ensemble qu’il faut lutter contre le réchauffement climatique et limiter les émissions de gaz à effet de serre. Ce sommet a été une réussite citoyenne mais un fiasco politique.
Aujourd’hui, le prix du litre d’essence augmente de plus en plus et, monsieur le secrétaire d’État, nos concitoyens ne peuvent plus payer des sommes aussi importantes pour se déplacer…
M. Martial Bourquin. C’est vrai !
M. Didier Guillaume. … et ne peuvent pas non plus payer la charge que représente l’isolation de leur logement.
M. René-Pierre Signé. Effectivement !
M. Didier Guillaume. Les accidents pétroliers, comme dans le Golfe du Mexique avec la marée noire, ou les accidents nucléaires, comme Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima, nous montrent que la protection doit être la plus grande possible.
Nos concitoyens s’intéressent à ces questions. L’immense mobilisation contre les explorations et l’exploitation du gaz de schiste a fait reculer le Gouvernement et cette mobilisation a vraiment représenté quelque chose de très important.
Aujourd’hui, nous avons une priorité : réduire notre consommation énergétique, car la meilleure des énergies est celle que l’on ne consomme pas.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Didier Guillaume. Les énergies renouvelables sont-elles toujours une priorité pour le Gouvernement ? Où en est-on du Grenelle de l’environnement si l’on en croit les déclarations des membres de la majorité ? La question qui a été posée voilà quelques instants sur le photovoltaïque est forte. On assiste en effet à la mise à mal de nombreux projets.
Alors que la part des énergies renouvelables doit augmenter dans le bouquet énergétique, qu’en est-il aujourd’hui du nucléaire, monsieur le secrétaire d’État ? Après Fukushima, rien ne sera plus comme avant. Il ne faut ni attiser les peurs ni être derrière le lobby anti ou le lobby pro.
Les Français sont échaudés. On ne leur a pas dit la vérité en 1986, lorsqu’on a prétendu que le nuage de Tchernobyl avait fait demi-tour à la frontière.
Sur le nucléaire, il est nécessaire de s’affranchir d’une vision simpliste et manichéenne. Le nucléaire est l’une des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique. Il permet la réduction du gaz à effet de serre. En revanche, il ne tolère pas les approximations et les incertitudes.
Oui, dans notre bouquet énergétique, la part du nucléaire devra diminuer au profit des énergies renouvelables.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles sont les orientations du Gouvernement concernant le mix énergétique de notre pays ? Êtes-vous favorable à un grand débat sur l’énergie en France ? Pour l’avenir de la planète, il faut que l’ensemble de la société se saisisse de cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Mireille Schurch et M. Guy Fischer applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous me demandez si le Gouvernement est favorable à l’organisation d’un grand débat sur l’énergie ? Or un tel débat a lieu chaque jour, et depuis des semaines maintenant. D’ailleurs, toutes les initiatives, tant parlementaires que gouvernementales, que j’ai annoncées tout à l'heure montrent à quel point on débat, dans notre pays, de la question de l’énergie, et je m’en félicite.
Vous avez évoqué le sommet de Copenhague. Mais je tiens à vous dire que les émissions de gaz à effet de serre sont moindres en France que dans la plupart des pays industrialisés, grâce, précisément, au mix énergétique, sur lequel portait votre conclusion.
Pour répondre à votre question relative aux carburants, sachez que, le 9 mars dernier, j’étais, sur le terrain, avec Christine Lagarde pour annoncer des mesures visant à renforcer les opérations de contrôle et à favoriser la transparence.
Tout d’abord, la mise en place de l’Observatoire des prix et des marges des carburants et du fioul – nous venons d’intégrer ce dernier élément – nous a permis de constater que les professionnels ont strictement respecté leurs engagements, en ne répercutant pas toutes les augmentations liées au prix du pétrole brut.
Ensuite, le Premier ministre a annoncé une revalorisation de 4,6 % du barème kilométrique des frais de voiture et d’essence, une décision que nous assumons. Il s’agit d’une mesure ciblée qu’il importait de prendre en direction des Français qui travaillent et qui roulent. Sont ainsi concernés 5 millions de salariés – 95 % d’entre eux sont modestes dans la mesure où ils sont en dessous de la deuxième tranche d’imposition du barème de l’IRPP –, 600 000 commerçants et artisans et 500 000 professions libérales. De surcroît, la contribution des professionnels du secteur à hauteur de 115 millions d’euros me paraît à la fois juste et efficace.
M. Roland Courteau. Ce n’est pas beaucoup !
M. David Assouline. Que fait Total ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Par ailleurs, concernant votre question précise relative à la rénovation thermique des logements, le programme « Habiter mieux » de l’ANAH, l’Agence nationale de l’habitat, a été doté d’une contribution supplémentaire de 250 millions d’euros, ce qui porte l’enveloppe totale à 1,35 milliard d’euros. Ce sont plus de 300 000 foyers précaires qui bénéficieront de cette mesure.
M. Marc Daunis. Parlons du total, de l’enveloppe globale !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Pour conclure, je reviens sur l’accident de Fukushima, profitant de l’occasion pour répondre à M. Raoul qui a également abordé cette question dans sa réplique.
Ainsi que je l’ai dit voilà quelques instants aux groupes CRC-SPG et UMP, la réponse du Gouvernement en la matière a été immédiate : audit, transparence et sécurité. Car c’est ce que nous devons à nos concitoyens !
M. Jean-Jacques Mirassou. Ben oui !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Pour notre part, nous serons au rendez-vous de la transparence. J’espère qu’il en sera de même pour vous, et ce dans l’esprit de tolérance que j’ai appelé tout à l'heure de mes vœux.
M. David Assouline. Vous êtes devenu un évêque !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Guillaume, pour la réplique.
M. Didier Guillaume. Monsieur le secrétaire d'État, si nous appelons de nos vœux un grand débat sur cette question, c’est parce que, d’après un sondage réalisé la semaine dernière, six Français sur dix se déclarent mal informés sur la production de l’électricité nucléaire en France.
Mme Odette Terrade. Absolument !
M. Didier Guillaume. Ce débat doit dépasser le cercle des avertis, il doit être mis sur la place publique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout à fait !
M. Didier Guillaume. Doivent y participer les associations,…
M. Marc Daunis. Bien sûr !
M. Didier Guillaume. … les élus locaux, les industriels tels que AREVA ou EDF, ainsi que l’ensemble de celles et ceux qui veulent s’exprimer sur le sujet.
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Il a raison !
M. Didier Guillaume. Ce débat citoyen que nous appelons de nos vœux servirait à crédibiliser la démarche du Gouvernement et des acteurs du secteur. En effet, les Français ne veulent plus de ces discours manichéens dont on ne sait s’ils tiennent de la vérité ou de l’enfumage.
Enfin, vous ne nous avez pas fait part, monsieur le secrétaire d'État, de la vision du Gouvernement sur notre mix énergétique.
M. Roland Courteau. Il n’y en a pas !
M. Didier Guillaume. Faut-il, oui ou non, continuer dans le tout-nucléaire, réduire la part du nucléaire, augmenter celle des énergies renouvelables ?
M. René-Pierre Signé. Le Gouvernement hésite !
M. Didier Guillaume. Je pense que les citoyens se saisiront de cette question lors des prochaines échéances électorales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Yvon Collin applaudissent également.)
M. Roland Courteau. Nous aussi !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques consacrées aujourd'hui aux problèmes énergétiques.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Décisions du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettres en date du 12 avril 2011, le texte de deux décisions du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution, d’une part, de la loi organique tendant à l’approbation d’accords entre l’État et les collectivités territoriales de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de Polynésie française et, d’autre part, la loi organique relative à l’élection des députés et des sénateurs.
Acte est donné de cette communication.
9
Immigration, intégration et nationalité
Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture
(Texte de la commission)
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier les orateurs qui ont tenu à s’exprimer, toujours avec conviction.
Je remercie aussi le rapporteur, M. François-Noël Buffet, d’avoir montré que le Gouvernement et votre commission des lois étaient parvenus à de nombreux points d’accord sur ce projet de loi.
Je vais profiter des interventions de chacun pour préciser les intentions du Gouvernement.
Comme l’a rappelé Mme Catherine Troendle dans une analyse lucide, courageuse et parfaitement documentée (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.), le Gouvernement place, depuis l’origine, sa politique d’immigration sous le signe de l’efficacité républicaine.
En 2003, nous avons souhaité disposer d’un cadre juridique pour faire face à la crise rencontrée, à l’époque, par le système d’asile.
En 2003 et en 2007, nous avons souhaité mieux maîtriser le regroupement familial.
Comme l’ont souligné plusieurs d’entre vous, notamment Mme Anne-Marie Escoffier, la situation actuelle des pays de la rive sud de la Méditerranée nous fait aujourd’hui un devoir d’être encore plus efficace dans notre politique migratoire. Cette situation demande que nous agissions dans un esprit de vigilance.
Au lieu de cela, certains – mais je respecte, bien sûr, leurs convictions –, comme Mme Éliane Assassi ou M. Richard Yung, proposent que la France ouvre sans condition ses frontières. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Richard Yung. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce qu’on dit ! C’est de la caricature !
M. Dominique Braye. Puisque vous aimez les référendums, faites-en un ! Vous verrez le résultat !
Mme Éliane Assassi. Vous n’étiez même pas là, monsieur Braye, alors s’il vous plaît !
M. Claude Guéant, ministre. Madame Éliane Assassi, vous dites en particulier que l’Europe devrait accueillir 10 millions de migrants supplémentaires pour compenser les effets du vieillissement démographique !
Mme Éliane Assassi. Ce sont les économistes qui le disent !
M. Claude Guéant, ministre. Je vous laisse assumer la responsabilité de ces propos et je vous invite à aller les expliquer à nos concitoyens.
M. Dominique Braye. Voilà !
M. Claude Guéant, ministre. D’autant que, je le rappelle, la population active de notre pays s’accroît de 100 000 personnes par an, ce qui pose d’ailleurs une interrogation par rapport à l’immigration légale de travail.
Je précise qu’il n’est pas du tout dans l’intention du Gouvernement de mettre un terme à l’immigration de travail ; …
M. Richard Yung. C’est nouveau alors !
M. Claude Guéant, ministre. … il y a des compétences techniques dont nous avons besoin. Mais, avec 2,7 millions de demandeurs d’emploi,...
M. David Assouline. 4 millions !
M. Claude Guéant, ministre. ... nous pouvons aussi faire quelques actions de formation professionnelle.
J’appelle, du reste, votre attention sur le fait que 24 % des ressortissants extracommunautaires sont demandeurs d’emploi, ce qui incite aussi à la réflexion.
Au Gouvernement, nous considérons que la politique que vous suggérez se ferait au détriment de la cohésion nationale et de notre capacité de bonne intégration des migrants qui sont déjà régulièrement installés sur notre territoire.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Claude Guéant, ministre. Vous dites que vous voulez réguler l’immigration, mais, dans le même temps, vous êtes contre toutes les dispositions qui permettraient cette régulation. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Ils veulent faire gonfler le FN !
M. Claude Guéant, ministre. Puisque j’en suis au rétablissement de quelques vérités (M. René-Pierre Signé s’exclame.), je me permettrai de vous suggérer, mesdames Éliane Assassi, Alima Boumediene-Thiery, lorsque vous estimez opportun de me citer, de le faire exactement au lieu de déformer mes propos, voire de me prêter des propos que je n’ai jamais tenus et qui sont purement et simplement inventés. (M. François Trucy applaudit. – Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Éliane Assassi. Ben voyons !
M. Dominique Braye. C’est leur technique habituelle !
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement propose de faire preuve d’un juste esprit de pragmatisme.
Mme Éliane Assassi. Il faut assumer vos propos !
M. Claude Guéant, ministre. Pragmatisme, quand il s’agit d’augmenter la durée maximale de rétention administrative, qui reste, par ailleurs, la plus basse en Europe. Pragmatisme, quand il s’agit de réorganiser le contentieux de l’éloignement. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.)
Le texte que nous discutons aujourd’hui est bien la traduction de notre politique.
Cette politique, c’est de bien accueillir les étrangers dont nous acceptons le séjour...
M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas ce que vous avez dit hier !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Claude Guéant, ministre. ... qui, somme toute, n’est que la négation de la loi votée par le Parlement de la République. (MM. Alain Dufaut et Dominique Braye applaudissent.)
Et, puisque la politique du Gouvernement est mise en cause, je voudrais en dire quelques mots.
Elle est tout sauf une politique de stigmatisation ou de division.
M. Dominique Braye. Absolument !
Mme Éliane Assassi. Mensonge !
M. Claude Guéant, ministre. C’est tout le contraire ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
La politique du Gouvernement est de reconnaître les problèmes...
M. Dominique Braye. Absolument ! Rocard l’a dit avant nous.
M. Claude Guéant, ministre. ... qui se posent à notre société au lieu de les nier, puis de leur apporter des réponses.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas le problème !
M. Claude Guéant, ministre. Lorsque la majorité organise un débat sur la laïcité, après, du reste, les débats du parti communiste et du parti socialiste sur le même sujet,...
Mme Éliane Assassi. Mais pas à partir de l’islam !
M. Claude Guéant, ministre. ... son objectif est clair : il est de faire en sorte que la France n’oublie pas ce principe fondamental de notre vie sociale, la laïcité,...
M. René-Pierre Signé. Ne nous donnez pas de leçon !
M. Claude Guéant, ministre. ... afin que tous nos compatriotes, quelles que soient leurs croyances, vivent mieux ensemble dans le respect des consciences de chacun.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Claude Guéant, ministre. Les Français attendent de nous une meilleure efficacité dans la mise en œuvre de nos procédures d’éloignement.
Mme Éliane Assassi. C’est pour cela qu’ils votent Front national !
M. Claude Guéant, ministre. J’entends bien les remarques de Mme Anne-Marie Escoffier sur la transposition « bien tardive » de la directive Retour.
À mon tour, je ferai deux observations.
D’abord, ce délai est celui de la procédure parlementaire, gage d’un débat démocratique.
Ensuite, ce délai est partagé par nos différents partenaires européens. La France n’est pas toujours exemplaire dans les transpositions, mais, en l’occurrence, quinze autres États membres de l’Union n’ont pas encore transposé la directive, parmi lesquels l’Allemagne, l’Italie, la Belgique ou les Pays-Bas.
J’entends aussi les remarques de M. Roland Ries. Toutefois, vous me permettrez de dire que les directives européennes n’enlèvent rien à la capacité d’initiative du Gouvernement français, ni, du reste, du Parlement.
M. David Assouline. Sauf que c’est pour limiter les droits !
M. Claude Guéant, ministre. Vous me permettrez d’ajouter que, contrairement à ce que vous assurez, dans le projet qui vous est présenté, la personne placée en rétention administrative a, dès la première heure et pendant un délai de quarante-huit heures, la possibilité de contester sa mise en rétention et l’arrêté de reconduite qui la concerne.
M. Dominique Braye. M. Roland Ries est parti !
M. Claude Guéant, ministre. De plus, ce recours a un effet suspensif sur l’exécution de la décision de reconduite.
Ces points éclaircis, permettez-moi de revenir sur la réforme du contentieux de l’éloignement, particulièrement sur le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention.
Je ne crois pas, le Gouvernement ne croit pas, que cette réforme, attendue, puisse être contestable juridiquement. La commission des lois en convient, puisqu’elle ne revient pas sur le principe même de cette réforme, qui rétablit l’ordre logique des interventions du juge administratif et du juge judiciaire.
À l’exception de plusieurs sénateurs de l’opposition, qui souhaitent l’abandon de cette réforme,...
M. Richard Yung. C’est exact !
M. Claude Guéant, ministre. ... c’est un point qui, je crois, fait consensus. M. François Zocchetto nous a d’ailleurs rappelé l’urgence qu’il y avait à agir pour clarifier une procédure rendue aujourd’hui illisible par « l’enchevêtrement des compétences ». C’est d’ailleurs l’expression qui avait été utilisée dans le rapport de la commission présidée par M. Pierre Mazeaud.
Le débat porte donc surtout sur le délai fixé à l’intervention du juge des libertés et de la détention dans la procédure de placement en rétention et d’éloignement. La commission des lois propose la fixation de ce délai à quatre jours à compter du placement en rétention, plutôt que cinq jours.
Monsieur François Zocchetto, permettez-moi de souligner que, dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel n’a pas indiqué un délai ferme à respecter – vous le savez, puisque vous l’avez rappelé. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.)
M. David Assouline. On n’est pas d’accord !
M. Claude Guéant, ministre. Je note seulement qu’il n’a pas censuré le délai de quatre jours pour le maintien en zone d’attente. En revanche, il a censuré un délai de sept jours pour la rétention en 1980. En l’état, rien n’indique qu’il s’opposerait à une durée de cinq jours. Je souligne que cette proposition a fait l’objet d’un avis favorable du Conseil d’État, qui a validé ce délai.
La réforme que nous proposons ne vise qu’à remettre ce contentieux à l’endroit. D’abord, le juge administratif contrôle la légalité de la mesure d’éloignement et celle du placement en rétention. Ensuite, le juge judiciaire autorise la prolongation de la rétention.
Il n’y a là que de la logique et aucune remise en cause de la compétence du juge judiciaire. Je rappelle d’ailleurs que le recours devant le juge administratif suspend l’exécution de la mesure d’éloignement.
Bien sûr, le Conseil constitutionnel vérifiera, lorsqu’il sera saisi, la conformité de ce texte à une combinaison de principes à valeur constitutionnelle, dont la bonne administration de la justice et la compétence de la juridiction administrative.
Je suis convaincu que son analyse confirmera le fait que notre réforme s’inscrit dans le respect du principe de proportionnalité. Je le disais dans mon propos introductif, les exemples étrangers nous poussent, en tout état de cause, à le penser.
Enfin, le texte que nous examinons confirme la place centrale du principe d’équilibre au sein de notre politique d’immigration.
Grâce à la commission des lois, tout particulièrement grâce au travail de votre rapporteur, nous sommes parvenus à un juste consensus sur la question du séjour des étrangers malades. Comme l’a justement rappelé M. François Zocchetto, le Gouvernement souhaite seulement conserver l’état du droit qui existait depuis 1998 et jusqu’au revirement jurisprudentiel de 2010, qui a été rappelé.
La rédaction proposée par le rapporteur et le président de la commission des lois est indiscutablement plus claire que le texte qui vous avait été soumis par le Gouvernement. Elle fait une ouverture en permettant à l’autorité administrative de prendre en compte des « circonstances humanitaires exceptionnelles » tirées de la situation personnelle du demandeur pour décider l’attribution du titre même si les critères ne sont pas remplis.
Voilà, madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, les premières réponses que je voulais vous apporter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
Mme la présidente. Nous passons à l’examen des trois motions qui ont été déposées sur ce texte.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Assouline, Yung, Sueur et Anziani, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, M. Patient, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 3.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (n° 393, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. David Assouline, auteur de la motion.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, vous avez déclaré la semaine dernière qu’il convient désormais de « s’attaquer » à l’immigration légale. Ces propos, que vous avez confirmés tout à l’heure, éclairent d’un jour nouveau notre discussion sur ce texte.
En effet, lors de nos précédents débats, la ligne que vous et votre majorité défendiez, du moins en apparence, était la suivante : votre sévérité avec les immigrés sans papiers était proportionnelle à votre volonté de faciliter la vie et l’intégration des immigrés légaux. C’était du moins ce que disait M. Hortefeux lorsqu’il se piquait de générosité ! Ce credo était pourtant démenti par les faits, puisque vous n’avez cessé de durcir les conditions d’accueil et de vie des travailleurs étrangers légalement installés en France.
Ce matin, dans le Val-d’Oise, vous avez dit vouloir réduire l’immigration légale pour favoriser l’intégration des étrangers déjà installés. Si vous continuez sur cette voie, vous nous direz demain qu’il faut diminuer le nombre de naturalisations pour permettre aux naturalisés de s’intégrer !
M. Dominique Braye. Vous êtes le roi de l’amalgame !
M. David Assouline. Peut-être même que vous nous expliquerez ensuite qu’il ne faut plus naturaliser du tout pour garder la pureté d’une identité menacée. (M. Dominique Braye s’exclame.) Vous pouvez aller très loin comme cela, puisque c’est le Front national qui dicte maintenant vos orientations !
Je lisais encore tout à l’heure un tract de ce parti, que j’ai laissé sur mon siège. Il condamne la politique de Nicolas Sarkozy concernant l’immigration en suivant cette même logique : l’immigration clandestine ne serait pas tout ; les immigrés légaux ne pourraient plus être intégrés, notamment par le biais du regroupement familial, dans la situation de chômage que connaît notre pays.
M. Dominique Braye. Ils continuent à faire monter le Front national ! Ils n’ont fait que ça !
M. David Assouline. Vous avez obtempéré aux injonctions du Front national, qui, vous le savez, ne s’arrêtera pas en si bonne voie. Si vous continuez sur cette pente, vous briserez toutes les digues ! On ne pourra plus différencier ceux qui défendent la République, comme c’est le cas de tous ceux qui siègent dans cet hémicycle, et ceux qui guident vos orientations.
M. Dominique Braye. Vous la défendez, vous ?
M. David Assouline. Une telle évolution sera certainement de nouveau perceptible au cours de la campagne pour l’élection présidentielle, car elle n’est dictée ni par l’intérêt général ni par celui de notre pays.
Aujourd’hui, vous acceptez les reproches de ce parti et adoptez son analyse, selon laquelle le problème est non seulement lié aux sans-papiers, mais également aux immigrés légaux, trop nombreux. Mais vous le faites au mépris de la réalité. La France accueille 20 000 travailleurs étrangers légaux par an. Est-ce trop ?
M. Dominique Braye. Oui ! Allez voir ce qui se passe au Canada !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous ne sommes pas au Canada !
M. René-Pierre Signé. Monsieur Braye…
M. Dominique Braye. Présent ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. Peut-on soutenir de bonne foi que ces immigrés seraient pour quelque chose dans les problèmes de vie quotidienne et, en particulier, de chômage auxquels sont confrontés les quatre millions de nos concitoyens sans emploi ?
Votre rôle, en tant que ministre de l’intérieur, est de rassurer, protéger et agir pour la sécurité et contre l’explosion de la violence, laquelle n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années. Occupez-vous sérieusement de ce problème, et cessez d’être l’éternel directeur de campagne de l’éternel candidat Nicolas Sarkozy ! Vous êtes ministre de l’intérieur ; il est Président de la République : occupez-vous de la France et de la vie quotidienne de nos concitoyens, qui en ont besoin ! Ils vous l’ont dit lors des dernières élections cantonales. Cessez d’alimenter les polémiques, les divisions et les stigmatisations. Surtout, ne venez pas nous donner des leçons sur la laïcité.
M. Dominique Braye. Mais si !
M. David Assouline. La laïcité repose, dans notre pays, sur un pilier fondamental, l’école.
M. Dominique Braye. Il faut voir ce que vous en avez fait !
M. David Assouline. C’est là que, par la connaissance, on accède à l’esprit critique, à la raison, à l’ascenseur social et à la possibilité de se dépasser, quelles que soient les origines sociales. C’est à l’école que l’on apprend à vivre avec les différences dès le plus jeune âge.
M. Dominique Braye. Quelque 25 % d’analphabètes à 17 ans !
M. David Assouline. Mais vous et votre famille politique n’avez de cesse d’affaiblir l’école publique, en privilégiant, chaque fois que possible, l’école privée !
M. Dominique Braye. C’est la réforme Jospin ! Tout le monde le sait !
M. David Assouline. Dans la vie quotidienne, votre famille politique a toujours combattu la laïcité. Nous n’avons donc aucune leçon à recevoir sur ce sujet.
M. Dominique Braye. Oh si !
M. David Assouline. Nous continuerons à porter fièrement cette valeur fondamentale, qui est à l’opposé de la stigmatisation. La laïcité est l’organisation du vivre-ensemble et de la tolérance dans notre pays.
Tel est donc le contexte qui préside à la deuxième lecture de ce projet de loi.
Toutefois, je vous poserai une question avant d’entrer dans le vif du sujet,…
M. Dominique Braye. Nous n’y sommes pas encore ?
M. David Assouline. … afin que tous nos collègues sachent à quoi s’en tenir quant à la sincérité et la vérité de nos travaux.
Certains d’entre nous vont de nouveau consacrer beaucoup de temps et devoir faire preuve de conviction pour tenter de faire évoluer ce texte, au moins le discuter sincèrement. Or, voilà quelques jours, devant des parlementaires de la majorité, le Premier ministre aurait déclaré,…
M. Dominique Braye. Il a ou il aurait ? Vous inventez !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Calmez-vous, monsieur Braye !
M. David Assouline. … et cela n’a pas été démenti, que le texte de l’Assemblée nationale serait adopté sans modification, quels que soient les travaux menés par le Sénat et les éventuelles modifications apportées.
M. Dominique Braye. Vous inventez encore !
M. David Assouline. Mes chers collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez,…
M. Dominique Braye. Ne nous amalgamez pas !
M. David Assouline. … vous pouvez juger ainsi de la considération et du respect que ce gouvernement manifeste, une nouvelle fois, envers notre assemblée. Nous allons faire semblant, de nouveau, de remplir notre rôle de parlementaire, pour faire croire que le Sénat sert à quelque chose. Pourtant, il a été d’ores et déjà décidé que c’est le texte de l’Assemblée nationale qui sera définitivement adopté.
J’espère que, à droite comme à gauche, nous montrerons, une fois encore, que ce texte peut évoluer. Car chaque fois que les choses se sont passées ainsi, tous les regards se sont alors tournés avec respect vers le Sénat.
Lors de la première lecture, notre assemblée avait tenté, ça et là, d’amender ce texte, qui aurait ainsi moins prêté le flanc aux critiques du Conseil constitutionnel. Je suis très heureux que, sur la question de la déchéance de la nationalité, contre laquelle j’ai tant œuvré, vous ayez fait machine arrière, même si ce n’est pas par conviction. Vous nous disiez à l’époque que nous nous trompions entièrement sur ce sujet. Mais peut-être avez-vous estimé que les dispositions en question ne résisteraient pas à l’examen du Conseil constitutionnel.
Quoi qu’il en soit, cette affaire est derrière nous et j’espère qu’elle ne reviendra pas par la petite porte dans les jours qui viennent. Car rien n’y fait, nos collègues députés de la majorité s’entêtent à vous suivre, monsieur le ministre, dans votre course effrénée et démagogique.
La vraie réponse, en matière de cohésion, devrait pourtant être la fermeté dans l’application des principes de la République et de notre Constitution.
M. Dominique Braye. L’intégration !
M. David Assouline. Ce matin, dans le Val-d’Oise, vous avez évoqué une nécessaire cohésion sociale. Je pense sincèrement que, si l’ensemble des partis républicains affichait la même fermeté pour faire respecter les principes fondamentaux de la République, cette cohésion pourrait trouver un socle, au moment même où nos concitoyens traversent de graves difficultés économiques et sociales.
M. Dominique Braye. Laïcité, intégration !
M. David Assouline. Faut-il vous rappeler le revers majeur que votre gouvernement a déjà subi en s’entêtant à remettre en cause certaines libertés et certains droits constitutionnels ? Je veux parler à l’évidence de la censure ferme et sans appel de la loi LOPPSI 2 par le Conseil constitutionnel, dont nous vous avions d’ailleurs avertis. En doux rêveurs, vous avez considéré que vous respectiez le droit et la Constitution. J’espère que vous suivrez désormais nos conseils, qui peuvent s’avérer utiles pour ne pas subir de tels revers ! (M. Dominique Braye s’exclame.)
Le Conseil constitutionnel a tenu ainsi à rappeler en ces temps sombres des règles élémentaires du cadre républicain, vous enjoignant ainsi à y revenir le plus rapidement possible. Dois-je vous rappeler qu’après avoir défendu bec et ongles ce qui faisait l’axe du discours de Grenoble et constituait la principale nouveauté de ce projet de loi, à savoir la déchéance de la nationalité, vous avez reculé pour ne pas subir le même revers. Faites encore un effort, mes chers collègues, et écoutez-nous plus attentivement aujourd’hui.
Tout d’abord, l’article 2 vise à introduire à l’article 21-24 du code civil un nouvel alinéa qui dispose que l’étranger souhaitant acquérir la nationalité française signe une charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte fera l’objet d’un décret approuvé par le Conseil d’État.
Je suis surpris de voir que l’adhésion aux valeurs de la République puisse faire l’objet d’un contrat. L’adhésion et le contrat reposent en effet sur deux logiques fort différentes. L’adhésion se mesure non pas à un paraphe, mais à une réelle conviction dont le contrat ne peut témoigner.
Toutefois, un point particulier a attiré notre attention en tant que législateur. Le renvoi de la rédaction et de l’approbation de cette charte au pouvoir réglementaire nous semble contraire à l’article 34 de la Constitution. En votant une telle disposition, le Parlement se place en deçà de sa compétence, tandis qu’il méconnaît l’exigence constitutionnelle de clarté et de prévisibilité de la loi.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel est pourtant sans aucune ambiguïté en la matière. Dans sa décision du 15 novembre 2007, celui-ci affirme « qu’il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ; que le plein exercice de cette compétence, ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lui imposent d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques », dans le but de « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur les autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ».
Nous ne voulons pas discuter de cette charte une fois que vous l’aurez écrite, monsieur le ministre, nous voulons en délibérer et la voter, parce qu’elle relève de la loi !
En vertu de l’article 34, nous devons fixer les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens. Pourtant, l’article 2 de ce projet de loi nous invite à nous défausser, au profit du pouvoir réglementaire, de notre responsabilité en matière d’élaboration de cette charte.
Je suppose que l’on arguera du caractère non normatif de celle-ci pour légitimer son renvoi à un décret. Pourtant, c’est bien la signature de la charte qui conditionnera l’accession à la citoyenneté française. Aussi cette charte déterminera-t-elle in fine la nationalité. Dès lors, c’est au Parlement de l’approuver.
Il est vrai que votre gouvernement ne tient guère en estime le Parlement et qu’il tend régulièrement à le considérer comme un simple relais de son action, méprisant sa qualité de colégislateur.
Puisque la Constitution nous le permet encore, je poursuis mon analyse du texte qui nous est proposé.
L’article 6 vise à créer, sans que la directive Retour nous l’impose, des zones d’attente temporaires. Nous avons insisté pour que l’existence de ces zones soit limitée dans le temps. Mais si la version adoptée par l’Assemblée nationale devait effectivement prévaloir, la création de telles zones irait d’emblée à l’encontre de l’article 66 de la Constitution, qui précise que « nul ne peut être arbitrairement détenu ».
Par définition, créer une zone ex nihilo et sans encadrement juridique constitue le premier pas vers une détention arbitraire. Le législateur ne peut donc laisser libre cours au pouvoir réglementaire en la circonstance.
Un dernier point, sur lequel les élus centristes ont marqué leur réprobation, a fait l’objet de longues tractations entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Les articles 30 et 37 du projet de loi prévoient en effet que le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention, pour autoriser le maintien en rétention administrative d’un étranger, sera de quatre jours et non plus de quarante-huit heures. Ainsi, un étranger pourra, pendant un délai de quatre jours minimums, se trouver privé de liberté par l’autorité administrative.
Vous avez prétendu, monsieur le ministre, qu’un délai moindre serait insuffisant, en particulier s’il s’appliquait le week-end. Très franchement, si telle était votre préoccupation, vous auriez proposé un délai de deux jours ouvrables. Mais vous avez retenu ce délai de quatre jours, qui contrevient à la Constitution.
Pourtant, depuis la décision du 9 janvier 1980 jusqu’à la réponse du 26 novembre 2010 à une question préalable de constitutionnalité, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante. Celui-ci considère en effet que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».
Qui pourra croire qu’un allongement semblable constitue un respect patent de cette exigence constitutionnelle ? L’allongement lui-même constitue une entorse forte. Mais si l’on considère la manière dont se déroulent concrètement ces procédures, on comprend le recul considérable que vous opérez en matière de droits des individus.
En effet, dans la majorité des cas, la décision préfectorale de placement en rétention intervient après une période de garde à vue. Les étrangers sont donc privés de recours devant un juge du siège pour une durée non pas de quatre jours, mais bien de cinq à six jours.
Vous le savez, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel a déjà statué sur les périodes de plus de sept jours ; croyez-vous qu’il changera d’avis pour un ou deux jours de moins ?
Le Conseil constitutionnel tient à ce que ce délai soit le plus court possible. En la matière, il n’y a pas à discuter : un délai de quarante-huit heures est plus court qu’un délai de quatre, de cinq ou de six jours, a fortiori quand vous allongez la durée maximale de rétention de trente-deux à quarante-cinq jours, faisant reculer une nouvelle fois le droit des personnes.
Même si cette éventualité demeure envisageable, je ne crois pas que le Conseil constitutionnel validera deux reculs simultanés portant une telle atteinte à la liberté, droit sacré s’il en est. Sa jurisprudence en la matière est constante.
Ainsi, dans sa décision du 20 janvier 1981, il avait estimé que, au-delà de quarante-huit heures, « l’intervention d’un magistrat du siège pour autoriser […] la prolongation de la garde à vue est nécessaire conformément aux dispositions de l’article 66 de la Constitution […] ». On ne saurait être plus clair !
On me répondra qu’une rétention n’est pas une garde à vue ; elle est pourtant également une privation de liberté et il n’est nul besoin d’entrer dans des querelles byzantines pour s’en convaincre.
M. Dominique Braye. C’est bon, on en a assez entendu !
M. David Assouline. Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à ce projet de loi, qui constitue un recul sur les plans constitutionnel et politique, eu égard à ce que doit être notre politique d’accueil et, plus largement, à l’idée que nous nous faisons de la République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Les auteurs de la motion développent deux séries d’arguments à l’appui de leur demande.
Le premier grief d’inconstitutionnalité avancé tiendrait au non-respect de l’article 66 de la Constitution et aux privations de liberté imposées aux étrangers maintenus en zone d’attente ou en rétention administrative.
Sur ce point, il convient de rappeler que l’intervention du juge judiciaire est et restera bien entendu prévue par le texte que nous examinons, conformément aux exigences posées par le Conseil constitutionnel.
Les auteurs de la motion considèrent en outre que l’article 10, qui traduit l’adage « pas de nullité sans grief », remet en cause le droit à exercer un recours effectif devant une juridiction.
Je rappelle à nos collègues que la commission des lois a récrit cet article en se fondant sur l’article 802 du code de procédure pénale, qui est absolument clair et parfaitement conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
Enfin, même si David Assouline n’a pas développé ce point, je tiens à dire que la charte des droits et devoirs du citoyen français est non pas un contrat, mais une déclaration d’intention. Elle vise à manifester par écrit l’adhésion du candidat à la naturalisation aux valeurs essentielles qui fondent notre société.
De surcroît, il s’agit d’une formalité peu contraignante, voire légère, mais dont la portée symbolique est forte. Cela me paraît positif.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Je ne me prononcerai pas sur les arguments de caractère politique qui ont été avancés par M. Assouline. Cela étant, s’agissant des relations avec le Front national, je rappellerai volontiers que ce n’est pas un membre de la majorité présidentielle qui, un jour, a déclaré que le Front national était une chance historique pour le parti socialiste ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations indignées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Frimat. Qui a dit cela ?
M. Richard Yung. Oui, qui ?
M. Alain Anziani. Ce que vous dites là est scandaleux !
M. Dominique Braye. Ils en profitent depuis longtemps !
M. Jean-Jacques Mirassou. Scandaleux !
M. Claude Guéant, ministre. Je me contenterai de compléter les observations formulées par M. le rapporteur.
La proposition de créer une charte des droits et devoirs du citoyen français découle directement de notre texte constitutionnel. À cet égard, le Conseil d’État, saisi de ce projet de loi, n’a formulé aucune observation.
En outre, pour ce qui concerne les zones d’attente temporaires, je m’inscris en faux contre l’affirmation selon laquelle nous proposerions ici un régime juridique nouveau. Il s’agit simplement d’élargir les possibilités légales de créer des zones d’attente permanentes, et ce sans que les droits des étrangers s’en trouvent affectés.
Pour ces raisons, le Gouvernement demande le rejet de cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Bien évidemment, je souscris aux arguments qu’a développés David Assouline. En particulier, il y a quelque chose de très pervers dans la création de ces zones d’attente ; d’un contour mal défini, elles pourront être installées en n’importe quel endroit, tout comme les tribunaux, d’ailleurs, qui pourront être improvisés partout, à côté des centres de rétention, dans les vestibules ou dans les soupentes…
L’économie générale de ce texte est sous-tendue par une conception ad hoc de la procédure judiciaire qui me paraît fort problématique.
Mais, monsieur le ministre, je ne serais pas intervenu si vous n’aviez pas tenu à l’instant les propos qui ont été les vôtres.
M. Dominique Braye. La vérité fait mal ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. De quelle vérité parlez-vous ?
Mme la présidente. Mes chers collègues, M. Sueur a seul la parole !
M. David Assouline. M. Braye n’a cessé de m’interrompre, tout à l’heure !
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, vous constaterez que M. Braye, une fois de plus, se fait le champion de l’interruption à tout propos et hors de propos !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. M. Sueur peut parler : il est orfèvre en la matière !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, puisque c’est la première fois que j’ai l’occasion de m’adresser à vous dans cette enceinte, vous me permettrez de vous dire que je me souviens du temps où vous étiez un excellent préfet de la République française.
M. Dominique Braye. Et maintenant un excellent ministre ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. M. Braye ne m’empêchera pas, madame la présidente, d’aller jusqu’au bout de mon propos.
M. Dominique Braye. Personne ne vous a jamais empêché de parler !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, et toute tentative en ce sens serait vouée à l’échec ! (Sourires.)
Je disais donc, monsieur le ministre, que j’éprouve quelque peine à comprendre les propos que vous tenez depuis quelques semaines – encore cet après-midi – et à faire coïncider cette nouvelle image que vous donnez de vous-même avec celle que je garde de l’excellent préfet de la République que vous étiez. Je trouve vos arguments excessivement politiciens et je ne comprends pas vos provocations, que je désapprouve.
Vous avez bien voulu citer des propos, monsieur le ministre, mais sans en indiquer l’auteur. Peut-être pourrez-vous éclairer le Sénat sur cette question ?
En tout cas, pour nous, le Front national, par ce qu’il représente et par l’idéologie qu’il développe, est un danger pour notre République. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez en convenir clairement plutôt que de tenir des propos ambigus qui donnent sans cesse le sentiment qu’une partie des responsables du parti majoritaire courent après ce mouvement politique.
Comme nous avons pu le constater à l’occasion des élections cantonales, une telle stratégie profite non pas aux démocrates et aux républicains, qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre, tous très attachés aux valeurs de la République, valeurs à dimension universelle, mais bien plutôt au Front national.
M. Dominique Braye. Qui l’a réveillé en le faisant entrer à l’Assemblée nationale ? C’est vous ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Braye, personne à gauche, et singulièrement au parti socialiste, n’a jamais « réveillé » le Front national ! À ceux qui nous font toujours ce procès, je me dois de répondre.
M. Dominique Braye. Et en 1986 ?
M. Jean-Pierre Sueur. J’étais député en 1986…
M. Dominique Braye. Vous auriez dû le rester !
M. Jean-Pierre Sueur. … et j’ai soutenu à cette époque l’introduction de la proportionnelle. Il n’y a rien de plus grotesque que de lier mode de scrutin proportionnel et soutien au Front national !
M. Dominique Braye. Qui a dit que le Front national était une chance historique ? Assumez !
M. David Assouline. Cela frise la diffamation !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur Braye, dans la plupart des démocraties européennes, c’est le mode de scrutin proportionnel qui est en vigueur. Et je préconise, pour ma part, que les députés français soient élus avec une dose de proportionnelle. Vous observerez, d’ailleurs, que beaucoup de nos collègues, au Sénat, sont élus selon ce mode de scrutin.
Dès lors que l’on met en place un mode de scrutin proportionnel, il est logique qu’un certain nombre de forces politiques soient représentées. Pour autant, cela ne signifie pas, parce que l’on soutient le mode de scrutin proportionnel, que l’on souscrit aux thèses du Front national, aux déclarations de ses dirigeants et à leurs œuvres.
Pour conclure, je rappellerai qu’il existe en France un cas de scrutin à la proportionnelle : les élections régionales. Et j’évoquerai les quatre régions de France dans lesquelles l’UMP, qui était alors le RPR, a fait alliance avec le Front national. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) Je me rappelle encore cette manifestation qui a eu lieu dans ma région, à laquelle participaient des socialistes, des communistes, des centristes et, monsieur Braye, des gaullistes, aussi.
M. Dominique Braye. Le Front national n’a jamais servi qu’à vous !
M. Jean-Pierre Sueur. Certains, au sein du RPR, criaient au scandale : M. Michel Sapin allait devenir président de la région ! La subversion était en marche ! Pour conjurer un tel « risque », il fallait s’unir avec le Front national. C’est ce qu’ils ont fait, c’est ce que vous avez fait !
M. Dominique Braye. De toute manière, vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Jean-Pierre Sueur. Je tenais à faire ce rappel, car il ne faut jamais falsifier l’Histoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, devant le nombre de demande d’explications de vote dont je suis saisie, je tiens à rappeler que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement, « la parole peut être accordée pour explication de vote pour une durée n’excédant pas cinq minutes à un représentant de chaque groupe ».
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, je ne dépasserai pas le temps qui m’est imparti ; je veux juste indiquer que nous soutenons évidemment la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qu’ont déposée nos collègues.
Monsieur le ministre, ne nous reprochez pas de tenir un discours politique, alors même que ce projet de loi procède clairement d’une volonté d’affichage politique ! Soutenu par trois ministres successifs – quel privilège ! –, depuis M. Besson, alors ministre notamment de l’identité nationale, jusqu’à vous, ce texte répond à la volonté affichée par le Président de la République – c’est l’affichage de l’affichage ! - d’agiter les peurs, d’attiser les divisions entre les Français « les plus anciens » et les Français « les moins anciens ». Vous avez même créé le concept de « Français d’origine étrangère » pour établir une distinction avec les Français d’origine française, en dépit du flou artistique qui s’attache dans notre pays à une telle notion.
Vous persévérez d’ailleurs dans cette volonté d’affichage, malgré ses effets dévastateurs. En effet, depuis que cette loi a été portée à l’origine par Éric Besson, il s’est passé un certain nombre de choses, des élections locales, notamment. Et on a vu les effets ravageurs de ce discours !
Vous auriez donc pu, à mon avis, sans vous déjuger complètement, abandonner ce projet de loi. Vous en aviez déjà fait beaucoup pour l’affichage, cela suffisait. Mais, non contents de persévérer, vous en rajoutez en distillant le poison de la division et de la peur chez nos concitoyens. Ce faisant, vous cachez le reste de votre politique, qui, c’est un fait, est antisociale pour tous nos concitoyens, quelles que soient leurs origines !
Au-delà de l’affichage politique, cependant, il faut bien constater que ce texte contient un certain nombre de dispositions problématiques, au regard du respect de l’égalité et des droits de la défense de tous les individus, sans distinction d’origine, principes qui, si je ne m’abuse, fondent toujours notre République. Vous auriez du mal à prouver le contraire, monsieur le ministre, raison pour laquelle nous contestons aujourd’hui ce texte et continuerons de le faire au cours du débat, et même après son adoption.
De tout ce qui précède, chers collègues, vous aurez compris que nous approuvons évidemment cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
(M. Bernard Frimat remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Colette Giudicelli, pour explication de vote.
Mme Colette Giudicelli. Il me faudra moins de cinq minutes, monsieur le président, pour répondre à M. Sueur, tout aussi calmement que lui. Je passe sur les grands effets de tribune, sur ces « affreux » de droite qui veulent s’allier au Front national tandis que le parti socialiste, bien évidemment, ne le fera jamais.
M. Richard Yung. Cela, on ne le fait pas !
Mme Colette Giudicelli. Monsieur Sueur, je vais vous faire parvenir un article de Nice Matin. Il y est question de l’une de vos coreligionnaires…
M. David Assouline. Ah ! C’est une religion, maintenant !
Mme Colette Giudicelli. … une candidate socialiste qui s’associe au candidat du Front national et appelle à voter pour un UMP dissident contre l’UMP.
M. David Assouline. Arrêtez vos balivernes !
Mme Colette Giudicelli. Je comprends votre excitation, monsieur Assouline, car, cette candidate, vous la connaissez parfaitement, vous savez exactement de qui il s’agit. Sinon, je vous enverrai, à vous aussi, une copie de l’article. De temps en temps, mieux vaut dire la vérité.
M. Jean-Pierre Sueur. Je l’ai fait, et avec beaucoup de gentillesse !
Mme Colette Giudicelli. Je vais vous faire parvenir cet article, monsieur Sueur, avec moi aussi beaucoup de gentillesse ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. La vérité, cela dérange toujours !
M. le président. Mes chers collègues, laissez M. Braye se taire et laissez parler Mme Giudicelli, qui a la parole et elle seule !
Mme Colette Giudicelli. Comme nous préférons les actes aux discours, nous voterons contre cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. Mes chers collègues, je constate que vous êtes nombreux à vouloir prendre la parole, mais le règlement est clair : sur les motions tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité et la question préalable, il n’autorise qu’une explication de vote par groupe.
M. Dominique Braye. Et c’est bien suffisant !
M. le président. Je précise que, sur le renvoi à la commission, il n’y a pas d’explication de vote.
Je mets aux voix la motion n° 3, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’adoption de la motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, ainsi que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 190 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 150 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (n° 393, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, auteur de la motion.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ai-je besoin de le rappeler ? les normes que contiennent le « bloc constitutionnel » et les traités auxquels la France a souscrit tels la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sont autant de textes qui font partie intégrante du droit positif applicable.
L’application de ces textes donne aux étrangers un socle de garanties minimum et essentiel qu’il est de notre devoir de préserver au nom même de la République.
Certes, nous dira-t-on, un droit des étrangers est possible et permet de prévoir des mesures spécifiques à l’égard de ceux qui ne sont pas nationaux. Mais, mes chers collègues, ne perdons pas de vue que ce droit doit impérativement être concilié avec l’application aux étrangers des droits fondamentaux qu’ils doivent se voir reconnaître !
Pour parler de façon quelque peu abrupte, les étrangers n’en sont pas moins des hommes et doivent donc bénéficier de la reconnaissance et de la garantie des droits inhérents à la nature humaine sans lesquels la dignité de la personne ne saurait être sauvegardée.
Ainsi, ces possibles mesures spécifiques propres aux étrangers ne sauraient fonder n’importe quelle spécificité du statut de ces personnes. Plus précisément, selon le droit communautaire qui vous est si cher, elles doivent être « nécessaires, proportionnées et compatibles avec le respect des droits fondamentaux de la personne humaine ».
Des mesures nécessaires ? Assurément, non ! Le texte que le Gouvernement veut faire adopter est bien autre chose que la « loi de transposition » de textes européens qu’il prétend être.
D’une part, il rassemble des mesures qui vont bien au-delà de ce que commandent les trois directives à transposer, tout en évitant d’intégrer les quelques dispositions un peu favorables aux étrangers que ces directives comportent.
D’autre part, le texte comprend des dispositions modifiant la réglementation dans des champs qui n’ont rien à voir avec ces directives. Il touche aux procédures contentieuses, aux rôles respectifs des juges administratif et judiciaire, à la définition des zones d’attente.
Le Gouvernement a tenté de se placer sur le terrain des chiffres pour faire accepter ses opinions en matière de politique migratoire. Eh bien, ses arguments financiers sont faux !
Premier constat qui balaie vos arguments, aux termes d’une étude très récente de Pôle emploi et du CREDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, 1,5 million de postes seraient disponibles - il s’agirait, pour l’essentiel, de pourvoir des besoins en main-d’œuvre peu qualifiée -, mais on manquerait de candidats. Un chiffre qui vient contredire la politique gouvernementale élitiste de l’immigration choisie !
Deuxième constat, si la France est bien en tête pour les demandes d’asile, elle est, en revanche, bien en queue de peloton, pour ne pas dire la dernière, s’agissant du taux d’admission des demandeurs, une donnée qui vient contredire l’argument selon lequel la France est plus généreuse que ses voisins européens en termes de droit d’asile, ce qui autoriserait que l’on restreigne ce droit essentiel.
Troisième constat, le rapport sur le coût de l’immigration en 2009 fait apparaître un solde positif pour les caisses de l’État de 12 milliards d’euros, une somme qui vient contredire l’argument selon lequel les étrangers sont une charge lourde pour le budget national.
Des mesures proportionnées et compatibles avec le respect des droits fondamentaux de la personne humaine ? Indéniablement, non !
Je l’ai rappelé, la liberté de circulation, le droit au recours, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit d’asile, bénéficient à tous les étrangers sans distinction et sont malheureusement autant de droits bafoués dans ce texte, une fois de trop, par des atteintes répétées au principe d’égalité et à l’interdiction de toute discrimination fondée sur les origines.
Concernant la liberté de circulation, nous avons été condamnés par les plus hautes instances internationales pour cette honteuse politique mise en œuvre par le Gouvernement consistant en une « traque aux Roms ». La réponse à cette condamnation est aujourd’hui inscrite dans le projet de loi, avec les notions de « charges déraisonnables pour le système d’assistance sociale » et d’« abus de droit au court séjour » pour empêcher les Roms de faire des allers et retours, partant du postulat que ces personnes ne sont sur le territoire national que pour profiter des prestations sociales.
La directive de 2004 relative aux droits des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles leur donne le droit de circuler et de séjourner librement. Et si, selon cette même directive, il est possible de restreindre la liberté de circulation et de séjour, ce ne peut être que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. En aucun cas ne peuvent donc être invoquées des raisons économiques.
Concernant le droit au recours en matière de rétention des personnes sans papier, dans le projet de loi initial comme à l’issue des deux lectures à l’Assemblée nationale, il avait été décidé que l’intervention du juge judiciaire serait repoussée à cinq jours. La commission a décidé de retarder l’intervention de ce magistrat à quatre jours. C’est loin d’être suffisant.
Valider l’extension du délai de saisine de quarante-huit heures à quatre ou cinq jours, c’est permettre au juge administratif de statuer sur la légalité de la mesure d’expulsion avant que le juge des libertés et de la détention ne se prononce sur le maintien en rétention.
L’étranger pourra donc être expulsé dans ce délai sans aucun contrôle de la régularité de la procédure, ce qui est contraire à l’article 66 de la Constitution relatif à la détention arbitraire, contraire au droit européen et contraire aux directives que vous prétendez vouloir appliquer.
Cette mesure répond à une sournoise stratégie qui consiste à éloigner le plus rapidement possible. Mais elle est dangereuse, car elle ôtera toute possibilité de contrôle et de sanction sur les pratiques administratives et conduira, de fait, à une forme de déni de justice.
Le juge judiciaire, parce qu’il a le pouvoir de remettre en liberté en cas de vice de procédure, dérange à l’évidence l’exécutif. Ne lui en déplaise, le principe de séparation des pouvoirs demeure encore dans ce pays ! Le Parlement ne peut pas accepter que l’on régresse à ce point sur les libertés fondamentales.
Dans le même registre, nous apprenons que le Conseil constitutionnel, saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité, s’est prononcé la semaine dernière sur la question de l’absence de recours suspensif de la procédure d’asile dite « prioritaire ».
Au terme de considérants qui ne nous semblent absolument pas convaincants, il a pourtant déclaré cette procédure conforme à la Constitution. Au considérant 9, en particulier, le Conseil motive sa décision en se fondant sur « l’absence de changement de circonstances de nature à remettre en cause la constitutionnalité de cette procédure ». Il fait fi des mises en garde européennes exhortant pourtant la France à introduire, dans sa procédure d’asile prioritaire, un recours suspensif que pourrait exercer tout demandeur d’asile.
Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il validé une loi qui permet de renvoyer de force des demandeurs d’asile dans leur pays, avant même l’examen définitif de leur demande. Cette décision est en contradiction avec le principe d’un droit au recours effectif, en contradiction avec nos propres valeurs.
Seule la Cour européenne des droits de l’homme pourra désormais juger de la compatibilité de l’absence de recours suspensif avec les normes européennes. Elle devrait trancher cette question le 17 mai prochain, à l’occasion de l’examen du cas d’un demandeur d’asile soudanais. Avec les organisations internationales œuvrant pour les droits de l’homme, telles que Amnesty International, nous continuerons à plaider en faveur d’un changement de notre législation sur ce point.
En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée, l’article 21 ter introduit une disposition pénalisant les « mariages gris » fondés sur « une tromperie volontaire sur les sentiments ».
Ce gouvernement n’hésite pas à encadrer pénalement les sentiments, l’intimité des Français et de leurs conjoints. Cela confine au grotesque ! Comment juger les sentiments, l’impalpable ?
Ce faisant, le Gouvernement introduit une exception hallucinante dans le régime juridique du mariage. En effet, la définition de la « tromperie volontaire » équivaut ni plus ni moins à celle du dol, un vice du consentement servant de fondement aux demandes d’annulation de contrats, que l’on a toujours refusé d’appliquer jusqu’à présent à l’institution du mariage et qui trouverait ici une application pénale visant les seuls étrangers.
D’autres dispositions tout aussi inutiles, disproportionnées et intolérables sont prévues dans ce projet de loi.
Je citerai notamment l’augmentation de la durée d’enfermement en centre de rétention, qui peut atteindre quarante-quatre jours, la banalisation du bannissement, les zones d’attente « sac à dos », et ce que je nommerai les tricheries manifestes avec les obligations internationales en matière d’asile.
Mes chers collègues, lors des débats de première lecture, je vous avais demandé, à l’occasion de la présentation d’une motion tendant à opposer la question préalable, de ne pas poursuivre la discussion de ce texte. Philippe Richert m’avait alors rétorqué : « Madame Mathon-Poinat, en demandant que ce projet ne soit pas discuté, vous êtes, je le comprends, dans votre rôle d’opposante ».
Il avait bien tort de restreindre de la sorte notre mission de parlementaires, car il ne s’agit nullement d’une posture, mais de convictions qui dépassent les clivages politiques et sont conformes aux valeurs humanistes que nous portons chacun en nous. Mais peut-être n’est-ce pas le cas de l’autre côté de l’hémicycle ? (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Nous n’avons pas de leçons à recevoir des communistes ! Vous avez 100 millions de morts sur la conscience, pas nous ! Nous sommes plus humanistes que vous...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela suffit ! Taisez-vous !
Mme Catherine Tasca. Cessez de vous en prendre aux communistes !
M. David Assouline. Il faut le faire taire !
M. Dominique Braye. Les communistes ont 100 millions de morts sur la conscience !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous aussi, vous avez soutenu des régimes totalitaires, et vous en soutenez encore aujourd’hui ! Combien de morts avez-vous sur la conscience ? Taisez-vous donc !
M. Dominique Braye. Pas de leçons !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Ce sont des constats, non des leçons...
M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Depuis que ce projet de loi a été présenté, trois ministres se sont succédé devant nous. Chacun a fait assaut de zèle et de surenchère dans les déclarations trompeuses, les discours sécuritaires, anti-immigrés, et les propos xénophobes, le plus zélé en la matière étant M. Guéant, ici présent.
Monsieur le ministre, je ne répéterai pas les propos inadmissibles, idéologiquement et politiquement détestables, que nous avons tous pu lire ou entendre.
M. Dominique Braye. Surtout quand vous les déformez !
Mme Josiane Mathon-Poinat. « Le Front national ne nous sert pas de boussole », dites-vous. Il me semble tout de même que vous cheminez sur les mêmes sentiers et que vous allez dans le même sens ! De tels propos jettent le discrédit sur la classe politique tout entière, et surtout sur le parti politique que vous tentez de représenter.
M. Dominique Braye. Les communistes donnent des leçons de droits de l’homme, maintenant ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Oui, monsieur Braye, je suis fière de défendre ici les droits de l’homme ! Heureusement que nous sommes là...
M. Dominique Braye. On aura tout entendu !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Depuis le début de cette discussion, nos ministres n’ont pas lésiné sur les amalgames, contribuant ainsi à inoculer des idées de peur et de division dans l’opinion publique.
On a pu ainsi relever des amalgames entre étrangers en situation irrégulière et demandeurs d’asile, entre assimilation et intégration, entre immigration et insécurité, entre gens du voyage et Roms. Tous ces amalgames relèvent de la provocation, voire du brouillage politique et sociologique !
Mes chers collègues, il s’agit ici non d’une réforme banale de la réglementation relative aux étrangers, mais d’un tournant à la faveur duquel le Gouvernement instaure des régimes d’exception permanents à l’encontre des étrangers, renonçant au principe d’égalité des êtres humains inscrit dans notre Constitution et dans tous les textes internationaux dont les auteurs n’avaient d’autre but, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que d’interdire le racisme d’État.
Ce sont les fondements même de notre République et de sa Constitution qui sont remis en cause.
En tant que parlementaires libres de nos choix – d’après la Constitution, aucun mandat impératif ne peut nous lier ... –, demandons-nous si cette énième réforme est utile ! Je pense, pour ma part, que nous avons besoin non de ces lois qui renforcent les peurs et les haines xénophobes, mais de politiques ouvertes sur l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Permettez-moi, tout d’abord, d’en revenir aux fondements juridiques de cette motion tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que ce projet de loi vise à renforcer la politique d’intégration en faveur des primo-arrivants et des candidats à l’acquisition de la nationalité française, et la charte des droits et devoirs, en particulier, représente un objectif extrêmement fort.
J’ajoute, sur le fond, que ce texte vise à transposer trois directives que la France a l’obligation d’intégrer dans son droit positif.
La commission émet donc un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de ne pas adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je souhaite aider M. Braye à mettre à jour son dictionnaire des citations. Vous souvenez-vous de celle-ci, mes chers collègues : « Mieux vaut Hitler que le Front populaire ! » ?…
Ensuite, pour répondre à M. Braye sur l’introduction du scrutin proportionnel dans notre système électoral, je rappelle que, lors des élections législatives de 1988 – des élections au scrutin majoritaire ! – le Front national obtint un député, un seul. Il s’agissait en l’occurrence d’une députée, Yann Piat, qui avait remporté l’élection pour une raison simple : le président RPR du conseil général du Var avait déclaré, à l’époque, qu’il préférait voir élu un député du Front national plutôt qu’un député socialiste. Après le retrait des candidats du RPR, cette candidate était donc arrivée en tête dans toutes les circonscriptions du Var, à l’exception de celle de Fréjus, fief de François Léotard.
Il convient donc de recadrer notre discussion ! Il n’est guère utile de nous jeter à la tête des arguments fallacieux, car le sujet qui nous occupe est politiquement grave.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils n’ont pas l’air de trouver cela grave !
M. Pierre-Yves Collombat. Tout n’est pas aussi joyeux que vous semblez le croire, et nous traversons une phase très délicate. Les critiques exprimées par les groupes de gauche à l’encontre de ce texte sont tout à fait justifiées : il ne faut pas tenter le diable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Mézard, Collin, Alfonsi, Baylet et Chevènement, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, d’une motion n°2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (n° 393, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la motion.
M. Jacques Mézard. Je tiens tout d’abord à vous remercier, monsieur le rapporteur, des propos que vous avez tenus : si nous sommes loin de partager toutes vos conclusions, je salue votre rigueur – au sens positif du terme ! –, en particulier vis-à-vis de l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, suffit-il d’accumuler les lois pour résoudre les problèmes ? Notre réponse est non !
Une bonne loi est celle qui n’est pas, chaque année, rectifiée, modifiée.
Une bonne loi est celle qui, par des mesures de bon sens, recueille, à défaut d’une adhésion unanime, un consensus respectueux.
Une bonne loi est celle qui, pour le citoyen, est lisible, compréhensible, et qui simplifie au lieu de compliquer.
Une bonne loi est celle qui est juste pour celui auquel elle est appliquée, qui rassemble et ne provoque pas la rupture.
Monsieur le ministre, la sensibilité politique que vous incarnez assume la responsabilité gouvernementale depuis neuf années. Dans le monde rural, on dirait : « C’est un bail ! ». En tout cas, c’est un temps largement suffisant tant pour mener une politique que pour en tirer le bilan.
On aurait pu penser que les critiques acerbes dirigées, en 2002, contre ceux qui avaient gouverné de 1997 à 2002 conduiraient le Gouvernement, s’agissant de dossiers aussi importants que celui de l’immigration, à prendre des lois fondatrices, et donc à trouver des solutions pratiques visant à remédier aux dérives prétendues.
Qu’en est-il ? Nous nous retrouvons avec un nouveau catalogue législatif, et des chiffres de l’immigration illégale en augmentation.
Nous examinons en effet la sixième loi relative à l’immigration depuis 2002. Avant le présent texte, quatre lois ont substantiellement modifié la politique d’immigration : la loi du 26 novembre 2003 relative – déjà ! - à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité ; la loi du 10 décembre 2003 relative au droit d’asile ; la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration, qui a concrétisé le concept d’immigration choisie ; la loi du 20 novembre 2007 relative – encore ! - à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, dont la mesure emblématique, mais neutralisée de fait, concernait les tests ADN ; c’était l’arbre qui cachait la forêt...
Pourquoi autant de lois sur le même thème ont-elles été présentées depuis 2002, alors qu’une seule, objet peut-être d’une réflexion plus approfondie, aurait suffi à concrétiser votre projet politique ?
La réponse, nous la connaissons tous : c’est un choix de communication politique.
Immigration, identité nationale et sécurité forment une trilogie à vocation médiatique, destinée à entretenir le feu pendant neuf ans. Nous ne pensons pas que ce soit la bonne méthode, et nous ne sommes pourtant pas de ceux qui prônent le laxisme. L’un des nôtres, notre collègue Jean-Pierre Chevènement, l’a démontré par les faits lorsqu’il était ministre de l’intérieur. Vous-même, monsieur le ministre, avez pu en juger dans l’exercice de vos fonctions préfectorales antérieures.
Il est incontestable que la question de l’immigration sera pour longtemps prégnante dans la gouvernance de nos nations du Nord, du fait d’une explosion démographique mondiale incontrôlée, voire favorisée par nombre de traditions religieuses, et des problèmes de la production et de la distribution des ressources énergétiques, des ressources alimentaires et de l’alimentation en eau auxquels est confrontée notre planète ; dans les vingt-cinq ans à venir, probablement 4 milliards d’hommes sur terre seront en situation dite pudiquement de « stress hydrique ». Ne nous étonnons donc pas qu’il y ait de plus en plus de pression en matière d’immigration !
Pour faire face à ces défis, nous considérons pour notre part qu’il convient de définir une politique qui, dépassant la diversité des sensibilités, concilie le respect absolu des droits de l’homme et l’équilibre à la fois sociologique et économique de notre société.
Cette politique doit nécessairement être définie tant sur le plan national que sur le plan européen ; la situation actuelle entre la Tunisie et l’Italie en est une illustration frappante.
Oui, nous persistons à dire que l’intégration signifie le respect par les immigrés des lois de la République laïque, lois qui incluent des devoirs aussi bien que des droits. Ceux qui voudraient entrer en France pour continuer à vivre et à agir selon les lois de leur pays d’origine font, pour nous, fausse route.
Notre République, c’est vrai aussi, ne peut accueillir tous ceux qui frappent à sa porte – ou, surtout, qui passent à travers ! – dans n’importe quelles conditions et pour faire n’importe quoi. Mes chers collègues, nous savons tous, en tant qu’élus de terrain, qu’une politique d’immigration raisonnée et raisonnable impose des choix prospectifs en matière de logement, d’éducation, de formation. Nous savons qu’en matière d’urbanisme et de logement social, la mixité sociale est primordiale. Or, depuis des décennies, sous les gouvernements de différentes sensibilités, ces principes n’ont pas été observés ; ils ne le sont d’ailleurs toujours pas aujourd'hui.
Voilà quelques jours, un reportage d’une des grandes chaînes de télévision françaises montrait un immigré sans papier recevant sa feuille d’impôt sur le revenu…Quelle incohérence ! Et cela continue…
Le dépôt de la présente motion répond à notre souhait que le texte soit renvoyé à la commission, en application de l’article 44 du règlement. À nos yeux, plutôt que cette accumulation de dispositions législatives, un bilan objectif sur le dossier de l’immigration est indispensable, bilan qui, à ce jour, n’a pas réellement été effectué.
Comme vous l’avez indiqué dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, il suffit pour s’en convaincre de se reporter au septième rapport du secrétariat général du Comité interministériel du contrôle de l’immigration au Parlement de mars 2011, rapport que vous avez préfacé vous-même ; nous n’en avons toutefois pas la même interprétation.
Vous y écrivez d’ailleurs : « C’est dans l’application rigoureuse des objectifs de lutte contre l’immigration clandestine que peut vivre la tradition d’accueil et d’intégration de la France ». Nombre d’entre nous pourraient souscrire à ces propos. Il est vrai que nous étions alors au mois de mars et qu’il n’était encore point question de réduire l’immigration légale !
Cependant, le rapport – au demeurant instructif – démontre la difficulté que représente l’évaluation du nombre réel de clandestins ;…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Par définition !
M. Jacques Mézard. … ils seraient, dit-on, entre 200 000 et 400 000 en France. Notre territoire serait pourtant le sixième pays d’accueil, avec 6,7 millions d’immigrés, ce qui n’est pas extraordinaire pour un État qui occupe le cinquième rang des puissances mondiales. Ces chiffres expliquent vraisemblablement le changement soudain de cible, puisqu’est désormais visée aujourd’hui l’immigration légale.
Lorsque le député Éric Ciotti déclare au journal Le Parisien – ses propos ont été publiés dans l’édition du 8 avril –, s’agissant des étrangers, que « [l]a source la plus importante aujourd’hui, c’est très clairement le regroupement familial », c’est la preuve assez surréaliste qu’il s’agit d’une opération médiatique. En effet, le rapport de 2011 sur l’immigration démontre, en page 61, que le nombre des personnes admises au titre du strict regroupement familial est en constante diminution.
M. Richard Yung. C’est exact !
M. Jacques Mézard. Le renvoi à la commission est également rendu nécessaire compte tenu des modifications apportées successivement au projet de loi initial. Citons, par exemple, l’introduction en première lecture à l’Assemblée nationale d’un amendement du Gouvernement sur la déchéance de nationalité et les volte-face qui ont suivi. Nous nous réjouissons que cette disposition ait été supprimée au cours de la navette.
Mes collègues et moi-même avions attiré l’attention en première lecture sur un certain nombre de propositions qui nous paraissaient discutables sur le plan constitutionnel. Chers collègues, souvenez-vous de ce qui s’est passé s’agissant de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite LOPPSI 2 : la décision du Conseil constitutionnel a démontré que nous n’avons pas toujours tort sur les questions de cet ordre…
Le renvoi à la commission se justifie, en outre, par les nombreuses différences d’appréciation que consacrent les textes respectifs de la commission des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale.
Les députés sont en grande partie revenus sur les modifications importantes votées par le Sénat, pour la plupart d’entre elles sur proposition de la commission des lois. Cela a notamment été le cas en matière de délivrance du titre de séjour et d’acquisition de la nationalité française par déclaration.
Les députés ont également supprimé l’acquisition automatique de la nationalité française à dix-huit ans pour les enfants nés en France de parents étrangers et ayant leur résidence habituelle en France. Ils ont aussi supprimé la présomption de nationalité française fondée sur la délivrance d’une carte nationale d’identité.
L’Assemblée nationale a rétabli le dispositif réprimant les « mariages gris » qu’elle avait initialement voté. Mais que dire, en droit, de la notion de « fraude au sentiment » ? Je m’étais d’ailleurs exprimé sur le sujet en première lecture. Une telle notion a un caractère flou et son application pratique posera nombre de problèmes, nous n’en doutons pas !
S’agissant des zones d’attente ad hoc, l’Assemblée nationale est revenue au texte qu’elle avait voté en première lecture : elle a ainsi supprimé la condition de durée, rendant de fait ces zones potentiellement pérennes, ce qui constitue une création tout à fait originale. La notion de « meilleur délai » doit s’apprécier, pour le Sénat, « compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles ». Les députés n’en ont fait qu’une raison parmi d’autres en introduisant, monsieur le président de la commission des lois, l’adverbe « notamment ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas bien !
M. Jacques Mézard. Je ne vous le fais pas dire !
S’agissant du contentieux des mesures d’éloignement, le projet de loi inverse l’ordre d’intervention du juge administratif et du juge judiciaire. Les députés ont rétabli les dispositions qu’ils avaient votées en première lecture, celles du Gouvernement, en prévoyant que le juge des libertés et de la détention interviendra au terme d’un délai de cinq jours pour prolonger la rétention, au lieu du délai de quarante-huit heures voté par le Sénat.
Pour ce qui concerne la procédure suivie devant le juge des libertés et de la détention lorsqu’il est saisi par l’administration pour prolonger la durée du maintien de l’étranger en zone d’attente ou en centre de rétention, l’Assemblée nationale – là aussi, c’est important – a supprimé le régime de purge des nullités introduit par le Sénat et qui n’aurait visé que les nullités formelles tout en supprimant la notion de nullité substantielle, inopérante par nature en matière de privation de liberté.
L’Assemblée a rétabli les dispositions prévoyant qu’aucun nouveau moyen ne pourrait être soulevé pour la première fois en appel des décisions du juge des libertés et de la détention.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais nous parlons du texte de la commission !
M. Jacques Mézard. Oui, monsieur le président de la commission, mais nous pouvons tout de même aussi parler de ce qu’a voté l’Assemblée nationale, car cela nous intéresse !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous demandez le renvoi à la commission, mais celle-ci a travaillé sur tous ces sujets !
M. le président. Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. Je vous remercie, monsieur le président ; il ne faudrait pas que le président de la commission prenne le relais de M. Braye !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas sur le même ton ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. N’allez par réveiller l’ire de M. Braye ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Je salue le travail de notre rapporteur, rigoureux dans le bons sens du terme, ainsi que je l’ai déjà souligné, et tentant d’éviter certains excès, certaines dérives.
C’est ainsi que la commission des lois a souhaité revenir sur les dispositions introduites à nouveau par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, monsieur le président de la commission.
Elle a d’abord à nouveau supprimé les dispositions du projet de loi visant à restreindre la possibilité ouverte à des étrangers malades, atteints de pathologies particulièrement lourdes, de bénéficier d’un titre de séjour pendant le temps nécessaire à leur traitement.
Ensuite, concernant le maintien en rétention des étrangers en instance d’éloignement, elle a tenté de trouver une position intermédiaire avec celle de l’Assemblée nationale en prévoyant que l’intervention du juge des libertés et de la détention aurait lieu dans un délai de quatre jours.
Par ailleurs, elle a rétabli le texte voté en première lecture par le Sénat en matière de « mariages gris ».
Enfin, elle a supprimé les dispositions prévoyant l’exonération des employeurs de bonne foi en matière d’infractions à la législation sur l’emploi des salariés étrangers.
De fait, nombre de dispositions de ce texte vont au-delà des obligations imposées par les trois directives communautaires ici transposées ; vous vous êtes déjà exprimé sur ce point, monsieur le ministre, mais je souhaite y revenir.
L’article 23, qui transpose l’interdiction de retour, impose à l’administration de prononcer une telle mesure, alors que, dans la directive Retour, il n’était question que d’une faculté.
Parallèlement, cet article prévoit huit hypothèses fondant le refus de l’administration d’accorder un délai de départ volontaire, alors que la directive entend au contraire limiter la privation de liberté : « Toute rétention est aussi brève que possible […] ».
De la même façon, l’allongement à quarante-cinq jours de la durée de rétention ou la création de zones d’attente flottantes ne correspondent pas aux dispositions communautaires. Les directives précisent que doit systématiquement être appliqué le droit national plus favorable. Or, en l’espèce, l’effet cliquet joue à rebours.
Que penser in fine de tout cela, d’une politique migratoire qui, depuis 2002, est structurée autour d’un discours et d’actes contradictoires ?
Lors de la conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement, tenue à Rabat les 10 et 11 juillet 2006, le futur Président de la République déclarait : « J’ai la conviction profonde que l’immigration africaine, sous certaines conditions, peut être une chance aussi bien pour l’Europe que pour l’Afrique ». Il fixait également des objectifs, que nous aurions pu partager. Verba volant…
Mes chers collègues, nous considérons que les flux d’immigration doivent être régulés, et ce dans l’intérêt également de ceux que l’on accueille. Nous estimons qu’une politique d’immigration ne peut être menée qu’avec responsabilité et humanisme, dans le respect des droits fondamentaux, et ne doit en aucun cas être instrumentalisée pour servir des buts par trop électoralistes.
La Nation, monsieur le ministre, n’a pas de problème d’identité à résoudre avec elle-même ; elle a besoin, et plus encore dans ces moments de crise extérieure et de doute intérieur, d’être rassurée, de ne pas vivre au quotidien dans la rupture et le conflit.
À nos yeux, le présent projet de loi ne remplit pas un tel objectif. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite purement et simplement à le renvoyer à la commission. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. J’ai précédemment démontré comment, au fil de la navette, entre les deux lectures à l’Assemblée nationale et le texte que présente la commission des lois aujourd’hui, nos travaux ont permis de progresser dans le sens du respect des droits de chacun de façon juste et équilibrée.
L’avis de la commission est par conséquent défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
10
Communication relative à un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et des lois organiques n° 2010-837 et n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a émis un vote favorable – dix-huit voix pour, treize voix contre – pour la reconduction de M. Jean-Paul Bailly à la présidence du conseil d’administration de La Poste.
Acte est donne de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Immigration, intégration et nationalité
Suite de la discussion d'un projet de loi en deuxième lecture
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.
La discussion générale a été close et les trois motions déposées sur ce texte ont été successivement repoussées.
Nous en sommes donc parvenus à la discussion des articles.
Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets et propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence, sont irrecevables les amendements remettant en cause les « conformes » ou les articles additionnels sans relation directe avec les dispositions restant en discussion.
TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA NATIONALITÉ ET À L’INTÉGRATION
Chapitre unique
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Article 2
I. – L’article 21-24 du code civil est ainsi modifié :
1° A Après la deuxième occurrence du mot : « française », sont insérés les mots : «, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’État, » ;
1° Sont ajoutés les mots : « ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« À l’issue du contrôle de son assimilation, l’intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d’État, rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française. »
II. – (Supprimé)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le ministre, l’article 2 ayant fait l’objet de longues discussions en première lecture, je me contenterai ce soir de formuler quelques remarques.
Cet article prévoit le contrôle de l’assimilation de celui qui souhaite acquérir la nationalité française. En contradiction avec l’intitulé même du projet de loi dont nous débattons, qui évoque « l’intégration », le Gouvernement s’obstine à vouloir conserver le terme « assimilation » introduit dans le code civil par la loi du 26 novembre 2003. Cela en dit long sur la philosophie du projet de loi…
Assimiler, c’est vouloir gommer les origines, les cultures, les parcours de vie. C’est penser que « fabriquer de bons Français » oblige les hommes et femmes candidats à l’intégration au sein de la communauté nationale à rompre avec leurs racines, leur histoire, avec tout ce qui, en définitive, fait d’eux des citoyens du monde.
En choisissant ce terme, monsieur le ministre, vous proposez une vision très étriquée de la société, de la citoyenneté, de la République.
Lors de nos débats de première lecture, mon collègue Louis Mermaz relevait la « connotation carnassière » du terme « assimilation », et je partage tout à fait cette lecture.
Derrière le débat sémantique, il y a à l’évidence une divergence de vues, politique et philosophique, sur le rapport à l’étranger et la diversité dans la République.
Ainsi, aux termes de l’article 2, le candidat à la nationalité française sera évalué sur son assimilation et, à l’issue de ce contrôle, devra signer la charte des droits et devoirs du citoyen français.
Sans doute est-il nécessaire de s’assurer que celui qui demande la nationalité française connaît les notions de base utiles à une pratique de la langue lui permettant d’accomplir les formalités essentielles de la vie courante et de progresser rapidement dans la maîtrise de la langue. Encore faudrait-il, monsieur le ministre, que la France soit en mesure de lui offrir les structures d’apprentissage de notre langue. Or, à ce jour et malgré les efforts de nombre d’associations, il est extrêmement difficile pour un étranger de suivre un parcours efficace d’apprentissage du français.
Sans doute l’adhésion des candidats à la nationalité française aux principes de la République est-elle utile en cette période où les valeurs républicaines sont régulièrement bafouées par des déclarations tapageuses qui stigmatisent, accusent et divisent.
On peut surtout s’interroger sur l’extension du champ du contrôle de l’assimilation. Ainsi, si l’on s’en tenait aux dispositions issues de l’Assemblée nationale, ce serait, outre la connaissance suffisante de la langue et des droits et devoirs du citoyen, « la connaissance de l’histoire, de la culture et de la société françaises » dont le candidat à la naturalisation devrait apporter la preuve. Cela reviendrait à soumettre l’étranger à un contrôle des connaissances que nul heureusement n’oserait imposer au citoyen français : quel que soit son niveau en la matière, le citoyen français fait partie intégrante de la Nation.
Ces nouvelles exigences me semblent profondément discriminatoires à l’égard des étrangers qui souhaitent devenir Français.
On le sait bien, sont ici en jeu bien plus le mode de vie, les comportements et l’adhésion aux principes de la République qu’un quelconque bagage et des connaissances. C’est, sans le dire, un mode de sélection catégoriel. C’est pourquoi les membres du groupe socialiste présenteront un amendement tendant à la suppression de l’alinéa 2 de l’article 2.
En tout état de cause, le Parlement, compétent pour ce qui concerne les règles relatives à la nationalité, aux termes de l’article 34 de la Constitution, aurait dû être saisi de ces dispositifs, qui conditionnent l’accès la nationalité. Ce n’est pas le cas. Les modalités du contrôle de l’assimilation du requérant ainsi que le contenu de la charte sont renvoyés à un décret en Conseil d’État. Nous avions pourtant demandé que la charte puisse être annexée au présent projet de loi. Il n’en est rien, ce qui semble plutôt surprenant, ce document ayant simplement pour vocation de rappeler les principes, valeurs et symboles essentiels de la République.
Pour ma part, je trouve quelque peu suspect le manque d’empressement du Gouvernement à nous communiquer cette charte.
Enfin, l’article 2, tel qu’il nous est soumis en séance, a été « allégé ». En effet, le paragraphe II, qui a été ajouté par les députés UMP, sur l’initiative des plus droitiers d’entre eux, pour imposer aux quelque 3 000 jeunes majeurs qui acquièrent automatiquement la nationalité au bénéfice du droit du sol, de demander par écrit un certificat de nationalité, a été supprimé par la commission des lois du Sénat.
Je suis loin d’être convaincue qu’une multiplication des démarches administratives permette de mesurer la réalité de l’intégration des jeunes majeurs récemment naturalisés. Cette conception, en définitive bureaucratique, est assez éloignée de l’idée que nous nous faisons de la manifestation de l’attachement à un pays.
La suppression de cet alinéa par la commission des lois est bienvenue. Je souhaite qu’elle marque un abandon définitif de dispositifs qui ne visent, en réalité, qu’à restreindre l’accès à la nationalité française.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 146 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 179 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
L'amendement n° 181 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 146.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes, nous aussi, opposés au durcissement des conditions de naturalisation que comporte le présent article.
D’ores et déjà, la naturalisation – mais, monsieur le ministre, vous glissez lentement mais sûrement de la « naturalisation » vers l’« assimilation » – est soumise à des conditions d’intégration à la communauté française qui s’apprécient en fonction d’une connaissance suffisante de la langue française ainsi que des droits et devoirs conférés par la nationalité française.
L’article 2 ajoute de nouveaux critères à la naturalisation, et l’on voit bien dans quel esprit. Imposer une connaissance « de l’histoire, de la culture et de la société françaises » est pour le moins étrange. Comment l’évaluer ? Va-t-on faire passer des examens de naturalisation assortis d’un programme de révision ?
Ces critères de connaissance sont d’autre part fortement contestables. Nul ne l’ignore, la connaissance qu’a chacun de l’histoire et de la culture de son pays, notamment, n’est pas uniforme et reflète souvent des inégalités socio-économiques.
De plus, nous contestons vivement l’ajout d’une adhésion aux « principes, valeurs et symboles essentiels de la République française » qui se matérialise par la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen. C’est une notion floue et pour le moins subjective. Ces critères peuvent être nombreux, et chaque individu peut en avoir une conception propre, unique et, par là même, bien trop subjective pour qu’ils puissent fonder un quelconque rejet d’une demande de naturalisation.
On peut encore une fois constater le déni de choix opposé à une personne. Or, pour notre part, nous sommes favorables au libre choix. Chacun sait que la demande de naturalisation française est déposée non par hasard, mais par commodité. En effet, cohabitent sur notre territoire des personnes qui veulent obtenir la nationalité française alors que d’autres ne le souhaitent pas. Désirer acquérir la nationalité française implique que la personne qui le demande s’intègre dans notre pays.
L’article 2 fait indiscutablement peser un soupçon sur l’étranger, dont on suppose qu’il est opposé à des valeurs et à des principes dont seuls les rédacteurs de ce texte savent ce qu’ils sont. Il faudrait faire passer un examen à l’ensemble de la population pour savoir si elle partage les mêmes valeurs, les mêmes idées, les mêmes conceptions de la République. Or nous n’avons pas toujours les mêmes valeurs et nous en sommes, dans cette assemblée, l’exemple criant.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 2.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 179.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise également à supprimer l’article 2 du projet de loi, qui renforce le pouvoir réglementaire en matière de contrôle de l’assimilation des nouveaux Français. Cet article crée une charte des droits et devoirs du citoyen français dépendant entièrement du pouvoir réglementaire.
D’une part, le Parlement ne dispose d’aucun regard sur le contenu de cette charte, qui prévoit un contrôle de l’assimilation des nouveaux Français par naturalisation – le terme « assimilation » résonne toujours curieusement à mes oreilles, tant il me rappelle notamment l’époque coloniale –, et sur les conséquences de son non-respect.
D’autre part, la réactivation de ce concept d’assimilation, qui rappelle cette époque révolue du code civil, est une négation symbolique de la diversité culturelle de la Nation.
Le Gouvernement aurait pu lui préférer la notion d’intégration – présente d’ailleurs dans le titre du projet de loi – ou celle d’insertion, ces deux notions qui lui ont progressivement été substituées. En effet, elles ouvrent la nationalité à la diversité et sont très souvent utilisées dans des intitulés des politiques publiques ou de programmes.
Il est donc proposé au législateur d’ajouter une condition contractuelle obligatoire, sans permettre au Parlement de contrôler la nature de ce contrat, puisque son contenu est totalement mystérieux, laissé à la subjectivité de l’agent instructeur de la préfecture qui, in fine, décidera ou non de la naturalisation !
Le pouvoir de contrôle des décisions de naturalisation sera totalement anéanti puisque les juridictions seront tenues par la loi et le décret.
Enfin, il suffira à l’administration de considérer que le candidat n’a pas adhéré à la charte pour que la décision réponde à la condition de motivation.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l'amendement n° 181 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. Je ne répéterai pas les arguments qu’a développés Mme Tasca, notamment sur l’assimilation et le fait que cette charte soit arrêtée par décret en Conseil d’État.
S’agissant de l’assimilation, je suis d’accord avec les propos qui viennent d’être tenus. Nous nous sommes nous aussi interrogés sur le glissement du terme « intégration », qui est dans le titre du projet de loi, à celui d’« assimilation ».
Concernant le décret, notamment sa forme, c’est effectivement à notre demande – nous le rappelons – qu’il a été précisé qu’il s’agissait non pas d’un décret simple mais d’un décret en Conseil d’État. Cette solution ne va pas aussi loin que nous l’aurions souhaité, car, il est vrai, nous avons le sentiment que le Parlement est quelque peu privé de ses moyens et que le recours à la voie réglementaire ne permettra pas de contrôler la nature de cette charte comme nous aurions pu et dû le faire.
En tout état de cause, j’ai bien retenu les informations données tout à l’heure par notre rapporteur, qui a souligné qu’il s’agissait d’une déclaration actée par le candidat à cette naturalisation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pour que les choses soient bien claires, je tiens à préciser que, dans la notion d’assimilation, il n’y a évidemment aucune idée d’arasement des différences culturelles ou autres. Nous avons déjà beaucoup débattu de ce sujet.
L’avis de la commission est donc défavorable sur ces trois amendements identiques de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre de l’intérieur, de l’outre mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Cette notion d’assimilation est d’ores et déjà présente dans notre code civil, qui prévoit également le contrôle de l’assimilation. Du reste, j’observe que, malgré ce contrôle, nous comptons chaque année plus de 100 000 naturalisations dans notre pays !
De plus, la signature de la charte des droits et devoirs sera certainement accueillie avec faveur par des personnes qui, entrant dans la citoyenneté française, souhaitent montrer leur attachement à ce qui la fonde.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 146, 179 et 181 rectifié, qui tendent à supprimer l’article 2.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 191 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 150 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 4, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. De nombreux propos ont déjà été tenus sur le sujet donc, pour ne pas allonger inutilement les débats, je me contenterai de développer deux points.
Premièrement, tout ce dispositif participe d’une philosophie qui n’est pas la nôtre, consistant à rendre toujours plus difficile l’accès à la nationalité, comme si, au fond, on se méfiait de ceux qui veulent devenir Français, comme si l’on ne voulait pas d’eux. Je ne pense pas que cela soit la bonne approche à adopter.
Deuxièmement, s’il est nécessaire de maîtriser la langue française pour s’intégrer, je constate que cet article ajoute la connaissance de l’histoire et de la culture françaises. J’en déduis qu’il faudra bien connaître la littérature et la philosophie, notamment Voltaire. Notre secrétaire d’État chargé du commerce et de l’artisanat aurait-il pu se qualifier à cet examen ?... (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je rappelle que la liste des critères n’est pas exhaustive. En outre, la commission a souhaité apporter des précisions pour tenir compte des conditions de l’intéressé, de façon à pouvoir répondre à la question qui vient d’être posée par notre collègue Yung.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 206 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rétablir le II dans la rédaction suivante :
II. – L’article 21-7 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « acquiert », sont insérés les mots : « à sa demande » ;
2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Cette demande, qui prend la forme d’une lettre manuscrite à l’appui de la demande de certificat de nationalité, est faite selon des modalités précisées par décret en Conseil d’État. »
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, à travers cet amendement, le Gouvernement propose de rétablir un dispositif qui a été adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture.
Je rappelle que, chaque année, 30 000 jeunes étrangers acquièrent la nationalité française au titre de la naissance et de la résidence en France, ce que l’on appelle communément « le droit du sol ». Parmi eux, 27 000 jeunes demandent à bénéficier de la nationalité par anticipation, à 13 ou 16 ans, selon les cas. Ceux-là, donc, manifestent une volonté.
La question se pose donc pour les 3 000 jeunes majeurs restants, qui ne découvrent souvent leur nationalité française qu'à l’occasion d’une démarche visant à obtenir des documents d'identité. C’est ce public particulier que vise l’amendement proposé par le Gouvernement.
Il paraît équitable que ces personnes, devenues françaises à 18 ans, ne puissent obtenir un certificat de nationalité que dès lors qu'elles en auraient manifesté explicitement l'intention, comme le font les plus jeunes.
Concrètement, cette manifestation de volonté prendrait la forme d’une simple lettre manuscrite, rédigée par l’intéressé lorsqu’il fait la demande d’un certificat de nationalité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement tend à rétablir une disposition qui a été introduite à l’Assemblée nationale en seconde lecture et qui a été supprimée par la commission des lois de la Haute Assemblée.
Sur la forme – et non sur le fond –, c’est une mesure nouvelle, sans lien direct avec une disposition du texte en discussion, puisqu’elle concerne l’acquisition automatique de la nationalité française et non la naturalisation ou l’acquisition par déclaration.
Aussi, cette disposition ne satisfait pas la règle de l’entonnoir, raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Notre groupe suivra M. le rapporteur puisque, avec cet amendement, c’est une évidence, le Gouvernement veut remettre en cause le droit du sol en prenant le prétexte de ces 3 000 jeunes qui ne découvriraient leur nationalité française qu’à l’occasion d’une demande de documents d’identité.
Il nous semble que c’est la porte ouverte à la remise en cause du droit du sol et c’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote sur l’article 2.
Mme Éliane Assassi. Je profiterai de mon explication de vote sur l’article 2, qui porte sur l’intégration, pour évoquer une question qui est chère aux membres du groupe CRC-SPG, et particulièrement à moi : celle de la participation aux élections locales des étrangers résidant en France depuis une longue période.
Plutôt que de résumer l’intégration à la signature d’une charte des droits et des devoirs, il nous paraît plus opportun de développer les moyens réels de l’intégration dans la vie citoyenne du pays dans lequel un étranger réside depuis au moins cinq ans, en autorisant sa participation et son éligibilité aux scrutins municipaux.
Le Parlement européen a d'ailleurs voté le 14 février 1989 une résolution demandant aux pays membres de l’Union européenne d’accorder à l’ensemble des étrangers vivant et travaillant sur leur territoire le droit de vote aux élections locales.
Or la France reste l’un des derniers pays de l’Union à ne pas avoir appliqué cette résolution. Il nous paraît donc urgent de la mettre en œuvre, pour que la vision de l’immigration et de l’intégration de notre pays ne se résume pas aux mesures de défiance et de restriction que porte, malheureusement, ce projet de loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 2 bis
Après le mot : « doit », la fin du dernier alinéa de l’article 21-2 du même code est ainsi rédigée : « également justifier d’une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’État. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 147 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 182 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, pour présenter l’amendement n° 147.
Mme Marie-Agnès Labarre. Cet article tend à durcir les conditions de l’acquisition de la nationalité française en vertu du mariage, alors que celles-ci sont déjà encadrées et contrôlées.
Actuellement, le conjoint d’époux français doit justifier au minimum de quatre ans de vie commune et d’une maîtrise de la langue française que cet article vise à évaluer en fonction de la condition de l’étranger et selon un niveau et des modalités qui restent inconnues, car elles sont renvoyées à un décret.
Or le contexte politique dans lequel évolue aujourd'hui la majorité, caractérisé par la méfiance envers les étrangers et par la banalisation des discours habituellement tenus par le Front national, nous rend plus que méfiants à l’égard de critères inconnus.
Au regard de l’ensemble des mesures véhiculées par ce texte, cette imprécision nous semble révéler uniquement une méfiance envers les mariages mixtes, qui seraient nécessairement entachés de soupçons de fraude, ainsi qu’une volonté de durcissement des conditions d’évaluation de la langue française, pour faire de celles-ci un instrument de régulation de l’immigration.
Nous sommes donc formellement opposés à cet article, les conditions d’acquisition de la nationalité par mariage étant déjà très restrictives et largement contrôlées.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l'amendement n° 182 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. Cet article 2 bis durcit, me semble-t-il, les conditions d’accès à la nationalité française des demandeurs, en l’espèce, les conjoints de ressortissants français dont le niveau de connaissance de la langue française sera évalué selon des modalités une nouvelle fois fixées par le pouvoir réglementaire, et non par le Parlement.
Je dois relever que notre commission a pu au moins rétablir la précision, qui avait été supprimée par l’Assemblée nationale, selon laquelle la maîtrise de la langue française doit s’apprécier en tenant compte de la situation particulière de l’étranger, ce qui nous paraît tout de même tout à fait essentiel.
Sur le délai de l’acquisition de la nationalité française par mariage, qui constitue déjà une procédure lourde et longue, on introduit ici, à l’évidence, un obstacle supplémentaire dans le parcours imposé aux couples mixtes. Or un tel durcissement me paraît quelque peu excessif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je tiens à préciser que la définition des modalités et les conditions d’évaluation de la maîtrise de la langue française par l’étranger relèvent non pas du domaine de la loi, mais de celui du règlement. Le texte du projet de loi fixe uniquement les principes selon lesquels cette évaluation s’effectue, en tenant compte de la situation de l’étranger.
Mes chers collègues, j’attire néanmoins votre attention sur les précisions qui ont été introduites dans le texte et qui donneront tout de même plus d’objectivité aux évaluations actuellement réalisées.
J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Certains voient dans ce texte un durcissement des conditions d’entrée dans la nationalité. Le Gouvernement, pour sa part, considère au contraire qu’il s'agit d’une garantie de bonne intégration et d’une optimisation des chances de réussite dans notre société.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 147 et 182 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Au début de cet article, insérer trois alinéas ainsi rédigés :
Au premier alinéa de l’article 21-2 du même code, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « un ».
Le deuxième alinéa de l’article 21-2 du même code est ainsi rédigé :
« Le délai d’un an est supprimé lorsque naît, avant ou après le mariage, un enfant dont la filiation est établie à l'égard des deux conjoints. »
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Nous proposons de réduire le délai de vie commune qui est exigé pour l’acquisition de la nationalité française par les conjoints de Français.
Si nous étudions l’histoire législative, nous sommes surpris de constater que ce délai double avec chaque nouvelle loi sur le sujet. En 1998, il était d’un an ; en 2003, il passe à deux ans ; en 2006, il est encore une fois multiplié par deux pour atteindre quatre ans !
Naturellement – c’est là que le bât blesse –, ce nouveau doublement intervient sans évaluation ni motivation. À l’évidence, une telle évolution est purement idéologique et ne se justifie en rien. Nous proposons donc de revenir à la législation de 1998, donc de réduire le délai à un an.
En outre, nous souhaitons réserver un dispositif particulier aux conjoints qui ont un enfant, car il est absurde de leur imposer des délais aussi longs. En effet, au fond, ils attestent parfaitement de leur intégration par la naissance même de leur enfant. Ils satisfont donc à toutes les conditions requises pour bénéficier de la nationalité. (M. le ministre manifeste son scepticisme.)
Nous proposons donc qu’aucun délai ne soit exigé des conjoints ayant un enfant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 5 vise à revenir sur l’application de la loi du 24 juillet 2006.
Je formulerai deux observations.
Tout d'abord, je le rappelle, l’allongement dont il est question avait été motivé par une volonté de lutter contre les détournements de procédures, qui étaient nombreux et qu’autorisaient les précédents délais. Il s'agit, me semble-t-il, du point essentiel : les délais actuels de quatre ans et de cinq ans permettent de s’assurer de la réalité de la situation matrimoniale des époux.
Sur ce point, la commission a estimé qu’il n’y avait pas lieu de revenir en arrière.
Ensuite, il convient de rappeler que le séjour des conjoints de Français est aujourd’hui assuré.
En ce qui concerne la seconde partie de l’amendement, qui vise le cas où la naissance d’un enfant commun établirait la réalité de l’intention matrimoniale, je formulerai, là encore, deux observations.
Premièrement, sur la forme, l’amendement, s’il était adopté dans sa rédaction actuelle, écraserait totalement l’alinéa 2 de l’article du code visé, qui prévoit le cas où le couple n’a pas eu une résidence continue en France.
Deuxièmement, la filiation ne saurait constituer une preuve absolue de la réalité de l’intention matrimoniale : elle peut être simulée, voire faire l’objet d’un désaveu ultérieur.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Pour les mêmes raisons que celles que vient d’exposer M. le rapporteur, le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Sans allonger inutilement nos débats, je tiens à réagir aux explications que l’on vient de nous donner. Franchement, c’est n’importe quoi !
L’argument selon lequel, parce que l’on a peur de la fraude, il faudrait quatre ans ou cinq ans pour s’assurer que le mariage correspond à une intention véritable des conjoints ne tient pas. En effet, on le sait bien, il existe déjà des procédures qui permettent de lutter contre les mariages blancs. Il est possible de saisir le tribunal aux fins d’annulation et, dans ce cas de figure, il n’est pas nécessaire d’attendre quatre ou cinq ans.
De grâce, donnez-nous une explication valable, parce que celle-là n’est pas sérieuse !
M. le président. Je mets aux voix l'article 2 bis.
(L'article 2 bis est adopté.)
Article 3 bis
(Suppression maintenue)
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Article 5
(Non modifié)
I A, I et II. – (Non modifiés)
III. – À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 314-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les mots : « de la souscription et » sont remplacés par les mots : «, lorsqu’il a été souscrit, ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 6 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 148 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Catherine Tasca, pour présenter l’amendement n° 6.
Mme Catherine Tasca. Le contrat d’accueil et d’intégration s’adresse aux étrangers admis pour un séjour durable pour la première fois en France. Il est signé pour une durée d’un an renouvelable et comporte diverses obligations : une formation civique, une session d’information sur la vie en France et une formation linguistique.
L’article 5 du projet de loi précise les éléments pouvant être pris en compte pour évaluer le respect ou le non-respect des stipulations du contrat d’accueil et d’intégration par l’étranger.
Parmi les critères proposés, l’assiduité et le sérieux de la participation aux formations civique et linguistique peuvent poser problème, pour des raisons tout simplement matérielles. Par exemple, des horaires non compatibles avec ceux du travail, des difficultés de déplacement et la garde des enfants peuvent constituer autant d’obstacles pour l’étranger volontaire. En 2008, le taux d’abandon ou de report de la formation linguistique était de 30 %, y compris chez des candidats à une intégration sincère.
Le souci d’intégration des étrangers est partagé par tous. Il faut donc tout mettre en œuvre pour que les formations dispensées leur soient accessibles matériellement.
En outre, comment sera évalué de manière objective et homogène sur l’ensemble du territoire le sérieux de la participation aux formations ? À l’évidence, on entre ici dans un domaine très subjectif et dont on peut craindre qu’il n’ouvre le champ à l’arbitraire pour justifier le non-renouvellement des titres de séjour.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 148.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet article doit être supprimé, car il durcit une fois encore les conditions de renouvellement de la carte de séjour des étrangers.
Les primo-arrivants sont tenus de conclure un contrat d’accueil et d’intégration qui se matérialise par le suivi d’une formation civique et éventuellement linguistique.
Le non-respect des obligations du contrat d’accueil est actuellement pris en compte pour le premier renouvellement de la carte de séjour, mais seront désormais précisés les éléments qui motivent le refus du renouvellement : l’absence d’assiduité et de sérieux de l’étranger dans ses formations civique et linguistique, entre autres manquements aux valeurs fondamentales de la République, dont, bien évidemment, nous avons déjà dénoncé toute la subjectivité.
Nous proposons donc la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’article 5 du projet de loi ne crée pas une règle nouvelle : il s'agit seulement d’une explication des cas que peut recouvrir le non-respect des stipulations du contrat d’accueil et d’intégration.
Le manque d’assiduité peut justifier le non-renouvellement du titre de séjour de l’intéressé, c’est une réalité. Toutefois, il faut le rappeler, l’autorité administrative n’a pas de compétence liée en la matière et elle distingue, sous le contrôle du juge, l’absentéisme injustifié de celui qui s’explique par de justes motifs, je tenais à le souligner.
La commission émet donc un avis défavorable sur les amendements identiques nos 6 et 148.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Cet article est important, car il permet à l’autorité administrative de mieux tenir compte du non-respect éventuel des stipulations du contrat lors du renouvellement du titre de séjour, à l’issue du contrat et non pas seulement au premier renouvellement de titre.
En effet, les formations délivrées au titre du contrat d’accueil et d’intégration peuvent se dérouler sur une période d’une durée supérieure à une année. J'ajoute que ce contrôle n’est pas arbitraire, puisque le préfet prend sa décision sur information de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, celui-ci relançant éventuellement la personne qui ferait preuve d’absentéisme.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 et 148.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Avant le II
Insérer trois paragraphes ainsi rédigés :
I bis. - Avant le dernier alinéa du même article, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L'Office français de l'immigration et de l'intégration a une obligation de moyen relative aux formations et aux prestations dispensées dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration. Les formations se déclinent sur tout le territoire. Les modalités de leur organisation tiennent compte des obligations auxquelles sont astreints les signataires du contrat, notamment l'exercice d'un travail, les temps de déplacement ou l'entretien d'enfants à charge. »
I ter. - Après le 13° de l'article L. 6313-1 du code du travail, il est inséré un 14° ainsi rédigé :
« 14° Les actions de formations linguistiques prévues par le contrat d'accueil et d'intégration tel que défini aux articles L. 311-9 à L. 311-9-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. »
I quater. - Au second alinéa de l'article L. 6111-2 du même code, après le mot : « française », sont insérés les mots : « et les formations linguistiques prévues dans le cadre du contrat d'accueil et d'intégration tel que défini aux articles L. 311-9 à L. 311-9-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ».
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Cet amendement traduit notre souhait d’une meilleure organisation, par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, des sessions de formation obligatoires prévues dans le cadre du contrat d’accueil et d’intégration.
Nous demandons donc que l’OFII prenne en compte, dans ses structures et ses modules, les contraintes des publics auxquels il délivre les formations.
Les modalités d’organisation des sessions de formation devront tenir compte des obligations auxquelles sont astreints les signataires du contrat, notamment l’exercice d’un travail ou les temps de déplacement.
Par ailleurs, la maîtrise de la langue française constituant un puissant facteur d’intégration et d’émancipation, nous proposons d’insérer, dans le code du travail, un droit à la formation linguistique spécifique au titre de la formation professionnelle continue pour les étrangers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous avons déjà examiné un amendement identique en première lecture.
En réalité, il complique un peu la situation. En outre, il est largement satisfait par le droit en vigueur et la pratique actuelle de l’OFII.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
En effet, dans le cahier des charges des marchés publics de l’OFII, cette diversification des formations sur des horaires adaptés est déjà prévue.
Par ailleurs, le code du travail prévoit déjà de façon tout à fait explicite que les formations linguistiques peuvent être organisées dans le cadre de la formation professionnelle continue.
M. le président. Je mets aux voix l'article 5.
(L'article 5 est adopté.)
Article 5 ter
(Suppression maintenue)
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L'article 30 du code civil est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La première délivrance d'une carte nationale d'identité ou d'un passeport certifie l'identité et la nationalité de son titulaire. Les mentions relatives à l'identité et à la nationalité inscrites sur ces derniers font foi jusqu'à preuve du contraire par l'administration.
« L'alinéa précédent est applicable aux demandes de renouvellement de carte d'identité et de passeport en cours d'instruction, ainsi qu'aux recours administratifs et contentieux pour lesquels une décision définitive n'est pas encore intervenue. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Chacun connaît cet amendement, et je crois que beaucoup l’apprécient… (Sourires.) J’espère donc qu’il sera voté !
Il a en effet pour objet de mettre fin au véritable marasme administratif lié aux démarches de renouvellement des documents d’identité pour les Français nés à l’étranger.
Ces hommes et ces femmes – nous en connaissons tous pour en recevoir dans nos départements, mes chers collègues – se trouvent confrontés à des situations absurdes et inextricables, lourdes de conséquences sur leur quotidien.
Le Sénat, en première lecture, a reconnu la détresse de ces concitoyens qui désespèrent de fournir la preuve de leur nationalité à l’administration. C’est pourquoi il a adopté la disposition que nous proposons.
J’ai donc confiance, mes chers collègues, certain que vous allez voter à nouveau la mesure que vous avez bien voulu adopter voilà quelque temps. Le contraire serait difficile à expliquer, vous en conviendrez.
Les députés ont, hélas, supprimé ce nouvel article. Le Gouvernement a d’ailleurs dit – ce n’était pas par votre voix, monsieur le ministre – que le problème n’était qu’administratif et qu’il serait réglé par le décret du 18 mai 2010.
Malheureusement, le décret ne règle rien, et vous savez que nous avons déjà entendu de nombreuses promesses à ce sujet.
En 2007, Mme Michelle Alliot-Marie avait adressé une circulaire aux préfets soulignant les difficultés rencontrées par un certain nombre d’usagers et préconisant la simplification. Cette initiative était restée sans effet direct.
Notre collègue Mme Monique Cerisier-ben Guiga avait saisi Mme Rachida Dati, malheureusement sans effet.
En décembre 2009, face à une inertie alarmante, M. Brice Hortefeux, alors ministre de l’intérieur, rappelait, par voie de circulaire, la nécessité de mettre un terme à la pratique de certains services préfectoraux qui demandaient, de façon systématique, la production d’un certificat de nationalité française lors d’un renouvellement de carte nationale d’identité.
Cette attitude, comme le rappelait lui-même M. Hortefeux, et je me permets de le citer, allait « à l’encontre des mesures de simplification qui ont déjà été prises pour éviter de faire peser de trop fortes contraintes sur les demandeurs nés à l’étranger ou nés en France de parents étrangers ». Malheureusement, cela n’a pas eu d’effet.
Le 9 février 2010, M. Hortefeux demandait à nouveau aux services de l’État « de considérer dès à présent, s’agissant du renouvellement des cartes nationales d’identité et des passeports, que suffit à prouver la nationalité française du demandeur la présentation d’une carte nationale d’identité "sécurisée "[…] ».
En résumé, malgré tout ce que je viens de dire, le problème n’est toujours pas réglé, ce qui est très préjudiciable à nos concitoyens nés à l’étranger.
Aussi, par cet amendement, nous vous proposons, mes chers collègues, de revenir à ce que vous avez voté, à ce que nous avons voté, en inversant une bonne fois pour toutes la charge de la preuve afin de laisser à l’administration le soin, ou plutôt la responsabilité, en cas de doute de sa part, de prouver que le doute serait fondé, et non de faire porter par le citoyen la charge de prouver sa nationalité.
Il s’agit d’une mesure de bon sens, simple, pragmatique, qu’à l’avance, je vous remercie vivement, mes chers collègues, de bien vouloir adopter, comme vous l’avez fait en première lecture, afin de soutenir tous ceux de nos concitoyens qui se heurtent à de si grandes difficultés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement reprend le texte d’un amendement adopté par le Sénat en première lecture, contre l’avis de la commission, je le rappelle.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Oui !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission maintient son avis défavorable, et je m’en explique.
Alerté à maintes reprises par les parlementaires, le Gouvernement a publié, le 18 mai 2010, un décret relatif à la simplification de la procédure de délivrance et de renouvellement de la carte nationale d’identité et du passeport, qui prévoit que la présentation d’un passeport ou d’une carte nationale d’identité d’ancienne ou de nouvelle génération est suffisante pour prouver la nationalité du titulaire.
Ce décret a été suivi récemment d’une circulaire rappelant que la demande de production d’un certificat de nationalité ne doit plus constituer qu’une exception, les services compétents devant privilégier la preuve de la nationalité française fondée sur la possession d’état de la qualité de Français, ce qui est, à l’évidence, beaucoup plus favorable aux intéressés.
Compte tenu de ces explications, il me semble que la demande formulée par les auteurs de l’amendement est largement satisfaite par le droit en vigueur.
C’est la raison pour laquelle la commission demande le retrait de cet amendement et, s’il était maintenu, confirmerait son avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
En effet, le décret du 18 mai 2010 et la circulaire citée par M. le rapporteur ont eu des effets. Selon les statistiques du ministère de la justice, on a constaté, depuis l’entrée en vigueur du décret, une baisse de plus de 60 % du nombre de demandes de certificats de nationalité.
Je puis témoigner que, pratiquement, le ministère de l’intérieur ne reçoit plus de plaintes à ce sujet.
Il nous semble que ni la carte nationale d’identité ni le passeport n’ont vocation à constituer un titre de nationalité. Il faut faire très attention à ne pas créer un risque de fraudes documentaires. Or la mesure proposée comporte ce risque.
Je prends un exemple très concret : si une personne vient demander le renouvellement d’une carte nationale d’identité périmée depuis plus de deux ans, l’administration est dans l’incapacité de vérifier l’authenticité du titre, car elle n’a pas le droit de conserver les dossiers personnels plus de douze ans. Dans un tel cas, il me semble tout à fait normal que des pièces complémentaires soient demandées.
M. le président. Monsieur Sueur, l'amendement n° 8 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai bien entendu les explications de M. le rapporteur, qui ne conteste pas le fait que le Sénat a choisi d’adopter cet amendement en première lecture.
Je comprendrais mal que le Sénat se déjuge. Le décret et la circulaire, dont nous avions connaissance, ne suffisent pas à régler le problème au fond.
M. le ministre a indiqué qu’une diminution du nombre des demandes avait été constatée. Pour notre part, nous pouvons cependant témoigner qu’un certain nombre de nos concitoyens n’arrivent toujours pas à faire reconnaître leurs droits, la seule difficulté venant de ce qu’ils sont nés à l’étranger. C’est tout de même très difficile à justifier !
En outre, je ne partage pas les arguments qui ont été exposés. D’ailleurs, dans le débat sur le présent texte, il est récurrent, quasi emblématique, que l’on soupçonne les gens a priori d’être des délinquants. En l’occurrence, on souligne qu’une carte nationale d’identité ou un passeport sont falsifiables. C’est vrai, mais ce n’est pas une raison pour suspecter tout individu se présentant avec sa carte nationale d’identité ou son passeport et affirmant qu’il est français d’être un délinquant potentiel. Où va-t-on, avec un tel raisonnement ?
Le même raisonnement est tenu pour les mariages. Le fait que des personnes veuillent se marier est considéré comme suspect et présentant un risque de supercherie.
Certes, des mesures très lourdes sont prévues dans le code pénal pour réprimer les mariages de complaisance, ceux qui ont lieu pour des raisons n’ayant rien à voir avec la libre volonté des personnes. De même, le code pénal contient, fort heureusement, des mesures pour lutter contre la falsification des passeports et des cartes nationales d’identité.
Mais il ne faut pas a priori considérer que chaque demandeur est un suspect, sauf à vivre dans une société de suspicion !
Cet amendement est donc très important, parce qu’il permet à tous les Français nés à l’étranger et disposant d’un titre, de faire valoir ce dernier.
Si des tricheries apparaissent, nous considérons que les tribunaux doivent en être logiquement saisis et nous demandons que les auteurs soient sévèrement réprimés, car nous ne sommes pas des laxistes.
Il s’agit simplement de prendre des mesures pour simplifier la vie de nos concitoyens, qui ont été nombreux à se plaindre, à écrire aux journaux, à témoigner de cas concrets.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je maintiens cet amendement et j’espère vivement que le Sénat adoptera la même position qu’en première lecture. Je ne comprendrais pas pourquoi il changerait d’avis.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je soutiens cet amendement.
J’ajoute qu’il me semble déceler une contradiction entre les explications données respectivement par la commission et par le Gouvernement.
Selon M. le rapporteur, le décret et la circulaire règlent le problème. Or vous nous dites, monsieur le ministre, que la question n’est pas là : toute personne étant soupçonnée d’avoir pu falsifier ses papiers, il faut lui demander d’autres documents pour pouvoir mener des investigations.
À ce moment-là, je vous objecterais, monsieur le ministre, que toute personne, qu’elle soit née en France ou à l’étranger, de parents français ou étrangers, qui veut faire renouveler un document d’identité est susceptible de présenter des papiers falsifiés. Il faudrait alors qu’elle puisse fournir également d’autres documents. Cela pose un problème : si tout un chacun est susceptible de produire des papiers falsifiés, il faut exiger de tous des documents supplémentaires.
Par conséquent, il n’y a pas de logique dans le refus que vous opposez à cet amendement.
M. le président. En conséquence, l’article 5 ter demeure supprimé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas croyable ! Ils changent d’avis !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La commission n’a pas changé d’avis, madame Borvo Cohen-Seat !
M. Jean-Pierre Sueur. On l’a voté en première lecture ! Je ne comprends pas !
TITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES À L’ENTRÉE ET AU SÉJOUR DES ÉTRANGERS
Chapitre IER
Dispositions relatives à la zone d’attente
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cette division et son intitulé.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Les dispositions du chapitre Ier font partie des mesures autonomes du présent projet de loi. Elles ne sont prescrites par aucune des trois directives déjà mentionnées et sont présentées comme la réponse à un fait divers qui s’est déroulé voilà déjà plus d’un an et qui ne s’est pas reproduit : la découverte d’une centaine de ressortissants syriens d’origine kurde sur le littoral corse.
Rien ne justifie l’assouplissement des conditions de création des zones d’attente, si ce n’est la volonté du Gouvernement d’empêcher l’accès au séjour de migrants qui sont déjà présents sur le territoire français.
En dépit des modifications adoptées à l’Assemblée nationale et en commission, les conditions de création des zones d’attente ad hoc ne sont pas acceptables.
Tout d’abord, le seuil de dix migrants ne correspond pas à la notion d’afflux massif telle qu’elle est définie par le droit communautaire.
En outre, la proposition de notre rapporteur de limiter à vingt-six jours la durée d’existence d’une zone d’attente spéciale peut être interprétée comme un allongement de la durée de maintien en zone d’attente.
Par ailleurs, il est à craindre que des régions très vastes ne soient converties en zones d’attente ad hoc.
Les dispositions du chapitre Ier portent aussi gravement atteinte au droit constitutionnel d’asile. Certes, les personnes placées dans les zones d’attente ad hoc pourraient solliciter l’admission au séjour au titre de l’asile. Cependant, elles seraient soumises à la procédure de l’asile à la frontière, qui consiste en un simple examen de la recevabilité de la demande.
Or, dans son avis du 5 juillet 2010, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNDCH, a rappelé que « cette procédure ne présente toujours pas […] de garanties suffisantes permettant aux demandeurs d’asile d’exercer pleinement leur droit d’asile ».
Je rappelle en effet que, en cas de rejet de leur demande, les candidats à l’asile placés en zone d’attente peuvent être expulsés sous réserve d’un recours suspensif dans le délai de quarante-huit heures auprès du juge administratif, sans qu’ils puissent déposer une demande d’asile auprès de l’OFPRA.
Sachant que, en 2009, seuls 26,8 % des demandeurs d’asile à la frontière ont été autorisés à entrer sur le territoire, il est à craindre que les demandeurs d’asile qui seraient placés en zone d’attente ad hoc ne soient éloignés plus rapidement vers le pays dans lequel ils ont leur résidence habituelle, ce qui peut mettre leur vie en péril.
S’agissant des personnes placées en zone d’attente ad hoc qui ne solliciteraient pas l’asile, elles pourraient se voir notifier un refus d’entrée, exécutoire d’office, sauf si elles demandaient à bénéficier d’un jour franc, sans possibilité alors de solliciter un recours suspensif.
Enfin, les dispositions du chapitre Ier ne sont pas acceptables car des mineurs étrangers isolés pourraient être « enfermés » dans ces zones d’attente spéciales. Or, d’après le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, le placement en zone d’attente est particulièrement inadapté pour les mineurs. La création de zones d’attente risquerait notamment de porter atteinte au droit de ces mineurs à être représentés par un administrateur ad hoc.
Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, de supprimer les dispositions du chapitre Ier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement de suppression, d’autant qu’il vise l’ensemble du chapitre. L’examen des amendements suivants nous donnera l’occasion d’apporter des précisions sur les dispositions de celui-ci.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 6
I. – (Non modifié) L’article L. 221-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le présent titre s’applique également à l’étranger qui arrive en Guyane par la voie fluviale ou terrestre. »
II. – Après le premier alinéa de l’article L. 221-2 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il est manifeste qu’un groupe d’au moins dix étrangers vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres, la zone d’attente s’étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de découverte des intéressés jusqu’au point de passage frontalier le plus proche. »
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article.
Mme Catherine Tasca. Cet article innove en ce qui concerne les zones d’attente.
Projet de loi après projet de loi – et nombreux ont été les textes relatifs à l’immigration au cours de cette mandature –le Gouvernement ajoute de nouveaux dispositifs à ceux qui sont actuellement en vigueur, sans qu’il soit toujours aisé de s’y retrouver. Mais surtout, chaque fois, le Gouvernement s’éloigne un peu plus du droit commun pour multiplier les dispositifs d’exception.
Ainsi, l’article 6 de ce projet de loi tend à instaurer les zones d’attente ad hoc afin de rendre légales des pratiques qui, hier, étaient considérées comme contraires au droit par le juge administratif.
Cet article a pour objet de transposer l’article 18 de la directive Retour, qui pose des conditions très précises à la création de zones d’attente provisoires. Nous ne le répéterons jamais assez, celle-ci n’est autorisée que « lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire ».
En contradiction avec la directive, qui évoque « un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants », le Gouvernement a fixé à « au moins dix » le nombre d’étrangers dont l’arrivée en France « en dehors d’un point de passage frontalier » autorise la constitution d’une zone d’attente d’exception.
Fixer ce seuil à dix personnes semble aussi en contradiction avec la notion de « charge lourde et imprévue » pesant sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire évoquée par la directive. Cette contradiction explique sans doute le silence du projet de loi sur cet élément.
Enfin, le choix de fixer le seuil à ce chiffre permettant le déclenchement du dispositif de la zone d’attente interpelle ceux d’entre nous qui ont défendu la mise en œuvre du mécanisme de protection temporaire pour les réfugiés afghans au mois de février 2010. L’une des conditions nécessaires à la mise en œuvre du mécanisme de protection temporaire était un afflux massif de réfugiés qui puisse mettre en cause le bon fonctionnement des systèmes d’asile. Le Gouvernement nous avait alors répondu que, en dépit du fait que 9 000 Afghans étaient arrivés jusqu’en France au cours du premier semestre de 2009, ce nombre était insuffisant pour justifier le déclenchement de la procédure de protection temporaire.
Hier, on considérait donc que l’arrivée de 9 000 Afghans ne constituait pas un afflux massif : ils étaient trop peu nombreux pour bénéficier de la protection temporaire ; aujourd’hui, l’arrivée d’un groupe de seulement dix étrangers serait suffisante pour justifier la création d’une zone d’attente d’exception ! Il est clair que le Gouvernement a une appréciation très variable de ce que constitue une arrivée importante de migrants, selon qu’il s’agit de leur accorder des droits ou de leur appliquer des règles restrictives…
Non seulement tout lieu du territoire français constitue une zone d’attente potentielle, mais le choix a été fait par le Gouvernement de faciliter au maximum la constitution de ces zones d’attente en optant pour des critères très larges, quitte a être en contradiction avec la directive Retour. La volonté manifeste d’étendre largement le recours à ces zones d’attente marque à la fois une extension des mesures de privation de liberté et un recul du droit commun.
Ce choix me paraît contraire aux principes républicains dont vous dites pourtant faire le cœur de la charte des droits et devoirs du citoyen français que vous souhaitez imposer aux candidats à la nationalité française.
Ces zones d’attente, qui pourront surgir à tout endroit du territoire, compliqueront nécessairement le travail des associations qui apportent leur soutien aux migrants, notamment pour s’assurer du respect du droit d’asile : faut-il y voir une des motivations du dispositif ?
C’est pourquoi nous présenterons un amendement de suppression de l'article 6, ainsi que plusieurs amendements tendant à tout le moins à en récrire l’alinéa 4.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 10 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 149 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 183 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Bariza Khiari, pour présenter l'amendement n° 10.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, cet amendement vient d’être fort bien défendu par ma collègue Catherine Tasca.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 149.
Mme Éliane Assassi. Cet article vise à créer la possibilité d’instaurer une zone d’attente ad hoc en cas d’arrivée sur le territoire français en dehors d’un point de passage frontalier d’un groupe d’au moins dix étrangers.
Les zones d’attente ad hoc sont des espaces juridiques fictifs destinés à accueillir des étrangers présumés ne pas être juridiquement admis à entrer en France malgré leur présence physique sur le sol français.
La création d’une telle zone est une mesure privative de liberté. L’arrivée d’un groupe d’au moins dix étrangers suffirait à la justifier, alors que les zones d’attente ad hoc sont actuellement créées dans les ports, les aéroports, les gares internationales et à proximité des lieux de débarquement en fonction des arrivées des migrants, afin de pouvoir enfermer ces derniers.
L’adoption de cet article aboutira simplement à une réduction des droits des primo-arrivants, au prétexte de lutter contre une prétendue immigration massive. En effet, le régime du séjour irrégulier est plus protecteur que celui de l’entrée irrégulière sur le territoire. C’est pourquoi maintenir ces migrants dans une zone d’attente permet de réduire leurs possibilités d’admission au séjour au titre de l’asile, dans des conditions d’exercice de leurs droits restreintes.
Nous ne sommes donc pas pour la multiplication des zones d’attente, bien au contraire ! Cela nous conduit à demander la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l'amendement n° 183 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. L’institution de zones d’attente ad hoc revêt une signification particulière dans le contexte que nous avons rappelé.
La libre circulation des personnes au sein de l’espace Schengen demeure pourtant un principe essentiel de la construction européenne, qui doit s’appliquer dans le respect absolu du droit d’asile.
Nous rappelons que nous sommes fermement attachés à ce que l’État puisse assurer la maîtrise des flux migratoires, mais dans le respect de la dignité des personnes souhaitant s’établir sur notre territoire.
Or, à l’évidence, les modalités d’institution des zones d’attente transitoires prévues à l’article 6 ne satisfont pas à cette condition, a fortiori quand nos collègues députés suppriment l’ensemble des modifications qu’avait apportées le Sénat et qui ont été fort heureusement réintroduites.
Nous rappelons aussi, à la suite de Mme Tasca, que l’article 18 de la directive Retour, censé être ici transposé, pose un certain nombre de conditions très précises, que ne reprend pas le présent article. Ainsi, la directive fait référence à un nombre « exceptionnellement élevé » d’étrangers, alors que le projet de loi fait mention d’un « groupe d’au moins dix étrangers ». De même, le présent texte ne comporte pas les notions de « charge lourde et imprévue » et de « mesures d’urgence ».
En somme, nous avons le sentiment que seront instituées des zones temporaires quasiment permanentes, pouvant être constituées à tout moment, en n’importe quel point de la frontière ou presque. Cela revient à banaliser la privation de liberté en tant que « mode de gestion ordinaire de l’immigration », comme le notait d’ailleurs la Commission nationale consultative des droits de l'homme dans son avis du 6 janvier dernier.
La rétention en zone d’attente est pourtant un régime de privation de liberté. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 février 1992, l’a clairement indiqué, considérant que conférer « à l’autorité administrative le pouvoir de maintenir durablement un étranger en zone de transit, sans réserver la possibilité pour l’autorité judiciaire d’intervenir dans les meilleurs délais [était] contraire à la Constitution ».
Nous demandons la suppression de l’article 6.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
Le dispositif en question a pour objet de répondre à des situations exceptionnelles. La commission des lois a veillé à ce que l’existence de ces zones d’attente ad hoc soit bien limitée dans le temps. C’est pourquoi la durée de vingt-six jours a été fixée dans le texte, ce qui permet d’apporter une garantie supplémentaire quant au caractère non pérenne de ces zones d’attente.
Enfin, il est important de redire, puisque ce point semble avoir été contesté tout à l’heure, que les migrants concernés bénéficieront de l’ensemble des droits liés aux zones d’attente, notamment celui de demander leur admission sur le territoire français au titre de l’asile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur ces amendements identiques.
Premièrement, cette disposition vise à répondre à des situations concrètes, telles que l’arrivée inopinée en Corse, au mois de janvier 2010, de 123 migrants.
Deuxièmement, je ne vois pas pourquoi le Gouvernement créerait des zones d’attente quand ce n’est pas nécessaire.
Troisièmement, nous n’inventons pas un régime nouveau, le régime des zones d’attente ayant été créé par la loi Quilès du 6 juillet 1992. La disposition proposée vise à adapter ce dispositif au cas d’étrangers qui entrent sur le territoire national en dehors d’un point de passage frontalier.
Il serait assez paradoxal de ne permettre le placement en zone d’attente que des seuls étrangers qui arrivent à la frontière par un point de passage répertorié.
Quatrièmement, le dispositif préserve les droits des migrants, comme M. le rapporteur vient de le dire. Ceux-ci pourront demander l’asile, ainsi que voir un médecin, communiquer avec un avocat ou recourir à un interprète. La commission des lois a d’ailleurs eu l’idée excellente de renforcer ces garanties en fixant une durée maximale de vingt-six jours.
Enfin, je précise à l’adresse de Mme Tasca que la directive Retour ne s’applique pas aux zones d’attente.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 10, 149 et 183 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 2
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Les alinéas 1 et 2 de l’article 6 visent à permettre la création de zones d’attente aux frontières terrestres et fluviales de la Guyane.
Cette disposition a été introduite à l’Assemblée nationale par la voie de l’adoption d’un amendement de M. Christian Estrosi. Son objet est clair : freiner l’immigration en provenance du Brésil et du Surinam.
J’observe que ce dispositif n’a pas, semble-t-il, fait l’objet de la moindre concertation avec les parlementaires de Guyane.
En outre, il s’agit de frontières situées en pleine jungle, longues de quelque 1 200 kilomètres, la Guyane étant séparée du Surinam par le fleuve Maroni et du Brésil par l’Oyapock, à l’Ouest. Comment va-t-on s’y prendre, dans de telles conditions, pour créer une gigantesque zone d’attente comportant des structures d’hébergement assurant des prestations de type hôtelier ? Des questions de bon sens se posent ! À l’évidence, il s’agit d’une mesure surréaliste, qui ne peut prospérer.
D’autres solutions étaient envisageables. On sait que le département de la Guyane, ainsi d’ailleurs que celui de Mayotte, est exposé à une forte pression migratoire, comme en témoigne le dernier rapport sur les orientations de la politique de l’immigration et de l’intégration, qui indique que le nombre d’expulsions d’étrangers entrés illégalement en Guyane a augmenté de 86 % entre 2003 et 2009. Peut-être aurait-il été plus simple de commencer par développer une coopération avec le Brésil et le Surinam, plutôt que de monter une sorte d’« usine à gaz » en pleine jungle !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 12, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier, les articles L. 811-1 à L. 811-8 s’appliquent. »
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Il s’agit d’un amendement d’appel.
Nous proposons, en cas d’afflux massif de migrants, de recourir au mécanisme de la protection temporaire, qui a été instauré par une directive européenne de 2001, plutôt que de créer des zones d’attente ad hoc.
L’attribution de la protection temporaire apporte des garanties aux étrangers, qui se voient délivrer un document provisoire de séjour, assorti, le cas échéant, d’une autorisation provisoire de travail. Le bénéfice de la protection temporaire est accordé pour une période d’un an.
Par ailleurs, l’octroi de la protection temporaire ne préjuge pas la reconnaissance du statut de réfugié. À la fin de la période d’un an, les personnes concernées peuvent rentrer chez elles sans que cela pose de problèmes particuliers.
Alors qu’il est beaucoup question de l’afflux massif de ressortissants tunisiens ou libyens, nous entendons rappeler au Gouvernement l’existence d’un cadre juridique permettant de faire face au problème, à l’échelon européen qui plus est. Nul doute que nos amis Italiens apprécieraient le recours à une telle solution. Mais, pour l’instant, personne n’en parle ; peut-être ne veut-on pas résoudre ce problème…
Mme Éliane Assassi. Peut-être…
M. le président. L’amendement n° 16, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Dans une situation exceptionnelle, lorsqu’il est manifeste qu’un nombre exceptionnellement élevé d’étrangers vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier en un même lieu situé à proximité d’une frontière maritime ou terrestre, la zone d’attente s’étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du de découverte des intéressés jusqu’au point de passage frontalier le plus proche ».
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Le présent projet de loi a notamment pour objet de transposer la directive Retour, dont le paragraphe 1 de l’article 18 dispose que « lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers […] fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire, l’État membre en question peut, aussi longtemps que cette situation exceptionnelle persiste, décider d’accorder pour le contrôle juridictionnel des délais plus longs ».
Mais que faut-il entendre par « un nombre exceptionnellement élevé » de ressortissants de pays tiers ? Le projet de loi apporte une réponse : au moins dix. Or dix est peut-être un nombre élevé – encore que cela soit déjà discutable –, mais certainement pas exceptionnellement élevé !
Vous êtes donc en train de produire un texte qui, manifestement, sera entaché d’inconventionnalité. Nous vous mettons en garde contre ce risque et proposons une rédaction plus respectueuse de la directive.
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Au début de cet alinéa, insérer les mots :
Dans une situation exceptionnelle,
La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. D’après l’exposé des motifs du présent projet de loi, l’assouplissement des conditions de création de zones d’attente vise à répondre à des situations exceptionnelles.
Or les dispositions de l’article 6 ne font pas ressortir le caractère exceptionnel de l’extension de la faculté d’instituer des zones d’attente. Par conséquent, nous proposons de limiter la possibilité de créer des zones d’attente ad hoc, en reprenant dans la loi les termes de la directive Retour, qui conditionne explicitement la prise de mesures dérogatoires au droit commun à l’existence d’une situation exceptionnelle.
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
groupe d’au moins dix
par les mots :
nombre exceptionnellement élevé d’
La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Il est proposé, à l'article 6, de permettre la création d’une zone d’attente en cas d’arrivée sur le territoire en dehors d’un point de passage frontalier d’un groupe d’au moins dix étrangers.
Or cette notion, introduite en première lecture à l’Assemblée nationale, n’a aucun fondement juridique.
Il est en outre paradoxal de vouloir fixer à dix le seuil à partir duquel on peut considérer qu’il y a une arrivée massive d’étrangers sur le territoire alors que, à la fin de 2009, le Gouvernement avait considéré que l’entrée en France de plusieurs centaines de ressortissants afghans ne constituait pas un afflux massif et ne nécessitait donc pas la mise en œuvre des dispositions de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à la protection temporaire.
Afin de surmonter cette contradiction, nous proposons de reprendre dans la loi les termes de l’article 18 de la directive Retour, qui conditionne explicitement la prise de mesures dérogatoires au droit commun à la présence d’« un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers ».
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer les mots :
ou sur un ensemble de lieux distants d'au plus dix kilomètres
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. L’article 6 prévoit la possibilité de transformer en zone d’attente spéciale « un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres », alors que, en l’état actuel du droit, les zones d’attente s’étendent des points d’embarquement et de débarquement – que le mode de transport soit le bateau, le train ou l’aéronef – aux points de contrôle frontaliers.
En première lecture, M. le rapporteur prétendait qu’une telle délimitation spatiale permettrait aux autorités de « prendre en compte les stratégies qui peuvent être déployées par les réseaux de passeurs ».
Concrètement, l’entrée en vigueur de ces dispositions pourrait avoir pour conséquence de transformer en zones d’attente spéciales des régions entières, telles que le Calaisis ou la côte de la mer du Nord. Une telle extension n’est pas acceptable, car elle s’accompagnerait d’une restriction des droits des étrangers.
Nous proposons de réduire la possibilité de créer ces lieux de privation de liberté en supprimant les mots : « ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Tous ces amendements ayant déjà fait l’objet d’une discussion approfondie tant en commission qu’en séance publique à l’occasion de la première lecture, on me permettra d’être concis.
S’agissant de l’amendement n° 12, je rappellerai simplement que le dispositif de la protection temporaire et la création de zones d’attente ad hoc reposent sur deux fondements juridiques totalement différents. Mieux vaut, pour les étrangers concernés, être placés dans une zone d’attente temporaire, ce qui leur ouvre un certain nombre de droits, notamment celui de demander l’asile, que bénéficier de la protection temporaire, régime bien moins favorable et qui ne peut être mis en œuvre que sur décision du Conseil de l'Union européenne. La commission émet donc un avis défavorable.
En ce qui concerne l’amendement n° 16, notre collègue Alain Anziani s’est interrogé sur la notion de « nombre exceptionnellement élevé », qu’il juge floue. Or, précisément, la fixation d’un seuil à « au moins dix » ressortissants de pays tiers permettra aux magistrats qui auraient à connaître de recours sur ce point de s’appuyer sur un critère objectif, clair et précis pour trancher. La commission est donc défavorable à cet amendement.
Pour les mêmes raisons, elle émet un avis défavorable sur les amendements nos 15 et 14.
Enfin, concernant l’amendement n° 13, la rédaction actuelle du texte permettra aux autorités de prendre en compte les stratégies qui peuvent être éventuellement déployées par les réseaux de passeurs pour déjouer les dispositifs de contrôle mis en place. C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à l'ensemble de ces amendements. J’ajouterai aux explications données par M. le rapporteur quelques éléments complémentaires.
Je rappelle, tout d’abord, que le régime de la protection temporaire est prévu par une directive communautaire de 2001 et qu’il concerne des situations très particulières, notamment des déplacements de populations lors de conflits armés. Il a été conçu dans le contexte des crises balkaniques.
Sa mise en œuvre, qui relève, comme le disait M. le rapporteur, d’une décision du Conseil de l'Union européenne prise sur proposition de la Commission, est d’ailleurs conditionnée au fait que les étrangers concernés ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine. Les situations visées à l’article 6 n’entrent pas, à l’évidence, dans ce cadre.
Je précise une nouvelle fois que les dispositions de la directive Retour s’appliquent non pas aux zones d’attente, mais à la rétention, dont le régime est différent.
Enfin, madame Khiari, il peut arriver que des migrants se répartissent en plusieurs sous-groupes pour entrer sur notre territoire en différents points distants de moins de dix kilomètres. Ce cas de figure nous semble devoir être pris en compte.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Après le premier alinéa de l’article L. 221-4 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais, compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais. »
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article.
Mme Catherine Tasca. L’article 7 s’inscrit dans le prolongement de l’article 6. Il vise à encadrer le défaut de notification de leurs droits aux migrants se trouvant en zone d’attente.
L’article 7 prévoit que, « en cas de maintien simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers, la notification des droits mentionnés au premier alinéa s’effectue dans les meilleurs délais, compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles. De même, dans ces mêmes circonstances particulières, les droits notifiés s’exercent dans les meilleurs délais. » Peut-on faire plus vague ?
Monsieur le ministre, vous venez de nous gratifier d’une explication de texte sur l’application de la directive Retour, en distinguant le droit applicable dans les centres de rétention du droit applicable dans les zones d’attente. J’avoue que, jusqu’à présent, nous n’avions absolument pas perçu cette distinction. En effet, en matière de privation de liberté, la situation des personnes retenues est la même, qu’elles se trouvent dans un centre de rétention ou dans une zone d’attente ad hoc, et leurs droits devraient donc être également identiques.
La directive Retour pose des conditions précises, et fait notamment référence à « une charge lourde et imprévue » pesant « sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire ». Or, si ce critère a été mis de côté s’agissant de l’article 6, ce qui rend plus facile le recours aux zones d’attente, il réapparaît par un extraordinaire tour de passe-passe à l’article 7, pour justifier un éventuel défaut de notification de leurs droits aux migrants.
L’usage qui est fait de ce critère est absolument contestable. Encore une fois, ce sont la lettre et l’esprit de la directive Retour qui sont outrepassés, alors que celle-ci est déjà elle-même très restrictive.
On ne peut pas dire en même temps que l’on crée des zones d’attente ad hoc parce que les centres de rétention ordinaires ne sont pas en mesure de faire face à l’arrivée de ces nouveaux migrants et que ce n’est pas le même droit qui s’applique dans ces deux types de lieux !
Vous nous répétez suffisamment que l’administration, qu’il s’agisse du ministère de l’intérieur ou de celui de la justice, dispose de tous les moyens nécessaires à la mise en œuvre de votre politique. Comment, dès lors, comprendre la volonté du Gouvernement d’introduire pareil article ?
En réalité, l’article 7, comme le précédent, témoigne que le Gouvernement renonce à garantir le respect des droits et libertés individuels dans ces zones. À ce titre, je trouve véritablement malsaine son obsession de restreindre les droits des étrangers à l’occasion de l’examen de chaque nouveau projet de loi sur l’immigration.
Qu’il s’agisse des délais ou de la notification des droits, nous constatons que ces zones d’attente « nomades » constitueront de fait des zones de non-droit pour les étrangers.
En matière de libertés publiques, les dispositifs exorbitants du droit commun doivent toujours nous alerter, c’est pourquoi nous combattons ce projet de loi.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous reveniez sur la distinction formelle que vous faites entre le droit applicable dans les centres de rétention et le droit applicable dans les zones d’attente.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 17 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 150 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 184 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Tropeano et Vall.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 17.
M. Richard Yung. Les dispositions de l’article 7 visent à assouplir encore davantage les conditions dans lesquelles s’effectue la notification de leurs droits aux étrangers maintenus en zone d’attente.
Certes, cette démarche est plus difficile quand le nombre de personnes concernées est élevé. Il est notamment ardu de trouver suffisamment d’interprètes.
Cela étant, nous considérons que la rédaction présentée est trop large et imprécise. Ainsi, aucun délai pour procéder à la notification des droits n’est fixé.
En outre, nous pensons que ce flou cache la volonté de priver les juges de la possibilité de remettre en cause des décisions pour défaut de notification des droits dans les délais.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 150.
Mme Éliane Assassi. Non contents de prévoir la possibilité de créer de multiples zones d’attente ad hoc en fonction des besoins, vous portez atteinte aux maigres droits conférés aux étrangers concernés dès lors qu’ils s’y trouveront en « nombre important ».
Ainsi, leur information dans une langue qu’ils comprennent sur leurs droits à demander l’assistance d’un interprète ou d’un médecin, de communiquer avec un conseil ou toute personne de leur choix et de quitter à tout moment la zone d’attente pour toute destination située hors de France ne sera plus assurée qu’en fonction du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles !
Déjà, la loi de 2003 relative à la maîtrise de l’immigration avait substitué à la notion d’information « immédiate » celle d’information « dans les meilleurs délais ». Il s’agit ici de franchir un nouveau pas dans la même direction, afin de restreindre les possibilités d’invalidation de procédure de maintien en zone d’attente par le juge judiciaire et de permettre à l’autorité administrative de mener ladite procédure comme bon lui semble.
Parce que l’administration ne saurait manquer à l’impératif de notification immédiate des droits par tous les moyens nécessaires, y compris en termes d’effectifs, nous ne pouvons accepter cet article, qui limite sa responsabilité au détriment de la garantie des droits fondamentaux des étrangers.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour présenter l'amendement n° 184 rectifié.
Mme Anne-Marie Escoffier. L’article 7 est la conséquence fâcheuse de l’article 6, puisqu’il tend à autoriser que la notification et l’exercice des droits des personnes retenues dans les zones d’attente puissent être retardés pour n’intervenir que « dans les meilleurs délais », dans des circonstances particulières et « compte tenu du nombre d’agents de l’autorité administrative et d’interprètes disponibles ».
En d’autres termes, c’est faire dépendre l’exercice de garanties essentielles relevant du niveau constitutionnel de modalités d’organisation de l’administration elle-même.
Les termes employés sont fort imprécis et me paraissent peu acceptables. Je rappelle que le Conseil constitutionnel avait, en 2003, validé un dispositif comparable comportant la notification des droits dans les meilleurs délais, mais en précisant que cela devait être justifié par des raisons objectives, ce que ne prévoit pas le présent texte.
La notification de leurs droits aux personnes privées de liberté est une garantie essentielle de niveau constitutionnel, qui s’inscrit au cœur du contrôle exercé par le juge. En prévoyant que cette notification des droits se fera dans les meilleurs délais possibles, l’article 7 vise à rendre régulières des mesures de privation de liberté non assorties de cette garantie et à tarir ainsi indûment le contentieux, pour des motifs tenant simplement à la régulation des flux migratoires.
Par ailleurs, comme Mme Tasca, je m’étonne que la directive Retour ne soit pas applicable aux zones d’attente ad hoc, d’autant que vous nous avez indiqué, monsieur le ministre, que celles-ci avaient pour vocation de faire face à des besoins imprévus et aléatoires ne pouvant être couverts par les centres de rétention… Je vous remercie par avance des précisions que vous voudrez bien nous apporter sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur les amendements de suppression nos 17, 150 et 184 rectifié.
L’article 7 précise les conditions dans lesquelles les étrangers se verront notifier leurs droits. La notion de « meilleurs délais » continuera à être appréciée in concreto, en fonction des circonstances et des difficultés rencontrées, auxquelles l’administration s’adaptera au mieux. Je souligne que la commission a modifié la rédaction de cet article pour la clarifier.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces amendements.
Je confirme que les dispositions de l’article 18 de la directive Retour ne s’appliquent qu’aux centres de rétention : il n’y a aucune équivoque. Alors que les centres de rétention sont situés à l’intérieur du territoire, les zones d’attente relèvent de l’arrivée à la frontière : il s’agit donc de deux régimes juridiques tout à fait différents. Le Gouvernement français n’a pas le pouvoir de modifier une directive de l’Union européenne…
Je rappelle en outre que, dans ces zones d’attente provisoires, les droits des étrangers seront strictement les mêmes que dans les zones d’attente permanentes. Il s’agit, pour le Gouvernement, de répondre avec pragmatisme à des circonstances inattendues et particulières, liées à l’arrivée inopinée, en un lieu qui n’est pas organisé en zone d’attente, d’un nombre significatif d’étrangers voulant pénétrer sur notre territoire. Dans une telle situation, chacun le comprend bien, il faut mettre en œuvre les moyens nécessaires.
Le droit actuel répond très précisément, en termes de garanties juridiques, aux préoccupations des auteurs des amendements. Il prévoit en effet que le juge des libertés et de la détention s’assurera que tous les moyens ont été mis en œuvre pour notifier ses droits à chacun des intéressés dans les meilleurs délais.
Ce dispositif est strictement conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 17, 150 et 184 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 18, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer le mot :
important
par les mots :
exceptionnellement élevé
La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. La rédaction imprécise de l’alinéa 2 de l’article 7 fait craindre que, en matière de notification des droits, le régime dérogatoire ne devienne la règle.
Les termes : « un nombre important d’étrangers » risquent en effet d’être interprétés de manière abusive par l’administration. Les dispositions prévues à l’article 7 pourraient être mises en œuvre dès lors que le nombre d’étrangers maintenus en zone d’attente sortira de l’ordinaire.
Afin de prévenir un tel risque, nous proposons de reprendre dans la loi les termes de l’article 18 de la directive Retour, qui conditionne l’application des mesures dérogatoires au droit commun à la présence d’« un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, estimant que la notion de « nombre exceptionnellement élevé » risquerait d’être beaucoup trop restrictive. Par ailleurs, la directive Retour n’est pas applicable aux zones d’attente.
Dans tous les cas, il appartiendra à l’administration de faire état des difficultés concrètes rencontrées pour justifier tout délai dans la notification des droits et dans l’exercice de ceux-ci, en fonction des circonstances de l’espèce.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Je voudrais relever un paradoxe.
M. le rapporteur nous a dit, au sujet de l’alinéa 4 de l’article 6, qu’il fallait inscrire dans la loi un seuil précis en termes de nombre d’étrangers arrivant à la frontière, afin de donner un critère objectif aux tribunaux.
Or cette logique ne vaut plus à l’article 7, dont la rédaction fait simplement référence à « un nombre important d’étrangers ». Soyez cohérents !
M. le président. L'amendement n° 19, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - L’article L. 221-5 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le mineur isolé ne peut être éloigné avant d’avoir rencontré l'administrateur ad hoc qui lui a été désigné. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Conformément à l’article L. 221-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, lorsqu’un étranger mineur non accompagné d’un représentant légal qui n’est pas autorisé à entrer en France est placé en zone d’attente, le procureur de la République, saisi par la police de l’air et des frontières, lui désigne sans délai un administrateur ad hoc qui assure sa représentation dans toutes les procédures administratives et juridictionnelles relatives au maintien en zone d’attente.
Ce dispositif, créé en 2002, connaît de nombreux dysfonctionnements, qui sont préjudiciables aux droits des mineurs étrangers isolés.
Ainsi, l’administrateur ad hoc n’est pas présent au moment de la notification au mineur du refus d’entrée qui lui est opposé et de son placement en zone d’attente.
En outre, il subit souvent une obstruction policière et doit engager une véritable course contre la montre lorsqu’il essaie d’empêcher l’éloignement d’un mineur vers un pays où il serait exposé à des risques.
Dans ces conditions, de nombreux mineurs étrangers isolés sont expulsés sans même avoir pu contester leur placement en zone d’attente, non plus que leur expulsion.
Nous craignons que ces difficultés ne s’accentuent en cas de création d’une zone d’attente spéciale. Ces inquiétudes sont partagées par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui, dans un avis très critique en date du 5 juillet dernier, a affirmé que « du fait de la mobilité des zones d’attente ad hoc, les difficultés rencontrées pour désigner un administrateur ad hoc qualifié dans les meilleurs délais, comme l’exige la loi, vont être démultipliées et la représentation des mineurs risque d’être inexistante ».
Afin de garantir le respect des droits des mineurs étrangers isolés, nous proposons d’insérer un alinéa additionnel, afin de poser le principe que ces mineurs ne pourront pas être éloignés avant d’avoir rencontré un administrateur ad hoc.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, dans la mesure où les dispositions de l’article L. 221-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoient déjà que les mineurs isolés soient assistés par un administrateur ad hoc durant le maintien en zone d’attente. Ce dernier est chargé de faire prévaloir les droits du mineur et doit être désigné sans délai. Peut-être leur nombre est-il insuffisant, mais cette question relève du domaine réglementaire, et non de la loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
J’ajoute que l’octroi du jour franc au mineur placé en zone d’attente est désormais automatique et que ce délai donne précisément le temps d’organiser la rencontre avec l’administrateur ad hoc.
M. le président. L'amendement n° 20, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… - L’article L. 221-5 du même code est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’étranger mineur non accompagné d’un représentant légal ne peut être renvoyé dans un pays par lequel il a transité.
« Avant d’éloigner du territoire un mineur non accompagné d’un représentant légal, des démarches doivent être engagées afin de s’assurer qu’il sera remis à un membre de sa famille, à un tuteur désigné ou à des structures d’accueil adéquates dans l’État de retour. »
La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. En l’état actuel du droit, les mineurs étrangers isolés qui ne sont pas admis sur notre territoire peuvent être refoulés à l’issue d’un placement en zone d’attente. Ce régime est dérogatoire au droit commun, la législation française prohibant en effet toutes les formes d’éloignement forcé à l’égard des mineurs, qu’il s’agisse de mesures administratives – expulsion – ou judiciaires –interdiction du territoire français. Les enfants maintenus en zone d’attente sont donc traités comme des étrangers adultes !
Ce dispositif n’a pas d’équivalent dans les États européens qui enregistrent des flux migratoires entrants comparables à ceux que connaît la France. Le Royaume-Uni et l’Allemagne, par exemple, ne recourent pas au placement en zone d’attente pour les mineurs étrangers isolés et ne leur refusent pas non plus l’entrée sur le territoire.
En 2008, sur environ 1 000 mineurs étrangers isolés arrivés à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, 341 ont été expulsés ou ont poursuivi leur voyage vers une autre destination. Cette pratique n’est pas acceptable, car, selon le Conseil d’État, le renvoi d’un mineur étranger isolé vers son pays d’origine peut porter atteinte « à l’intérêt supérieur de l’enfant et [doit] être regardé comme contraire au 1) de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant ».
Par ailleurs, les mineurs étrangers isolés placés en zone d’attente sont parfois éloignés vers des pays où ils n’avaient fait que transiter, sans bénéficier des garanties suffisantes assurant qu’ils ne seront pas exposés à des exactions et qu’ils seront pris en charge à leur arrivée. Ce faisant, les autorités françaises mettent ces enfants en danger.
Une telle pratique est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans un arrêt du 12 octobre 2006, a considéré que la situation d’extrême vulnérabilité doit être déterminante et prédominer sur la qualité d’étranger en séjour illégal.
Soucieux de garantir le respect des droits de l’enfant, nous proposons d’interdire le renvoi des mineurs étrangers isolés placés en zone d’attente dans les pays par lesquels ils ont transité.
Par ailleurs, nous souhaitons laisser aux autorités compétentes le temps d’évaluer sereinement les dangers auxquels les mineurs étrangers isolés risquent d’être confrontés en cas de retour dans le pays où ils ont leur résidence habituelle. En cas d’éloignement, les autorités devraient également s’assurer que la procédure est menée avec l’accord du mineur et prend en considération prioritairement son projet de vie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Les mineurs isolés qui sont maintenus en zone d’attente bénéficient de l’intervention de l’administrateur ad hoc, qui est chargé de faire prévaloir leurs droits.
Je rappelle par ailleurs que les mineurs étrangers isolés présents sur notre territoire ne peuvent être éloignés, quand bien même ils se trouveraient en situation irrégulière. De ce point de vue, les choses sont très claires.
J’ajoute que, aux yeux de la commission, l’adoption d’un tel amendement risquerait de créer un effet de filière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, pour explication de vote.
M. Michel Teston. Nous avons du mal à comprendre l’avis défavorable de la commission et du Gouvernement, puisque notre amendement ne fait que reprendre le dispositif de l’article 10 de la directive Retour, aux termes duquel « avant d’éloigner du territoire d’un État membre un mineur non accompagné, les autorités de cet État membre s’assurent qu’il sera remis à un membre de sa famille, à un tuteur désigné ou à des structures d’accueil adéquates dans l’État de retour ». Comment se fait-il que l’on n’applique pas cette directive, qui nous paraît protectrice des droits des mineurs ?
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Je souhaiterais revenir sur la distinction entre le régime juridique des zones d’attente et celui des centres de rétention.
Je fais confiance, monsieur le ministre, à votre lecture du texte de la directive, mais je tiens à souligner une forme d’incohérence.
Alors que l’un des objets du projet de loi est la transposition de la directive Retour, comment pouvez-vous considérer que celle-ci ne s’applique pas aux zones d’attente ? Vous avez peut-être raison formellement, mais, sur le fond, je vous assure que cette position est très difficilement défendable, d’autant que vous avez indiqué à plusieurs reprises que les droits des étrangers se trouvant dans ces zones d’attente étaient garantis et seraient en fait identiques à ceux des personnes accueillies dans les centres de rétention, même si la directive ne le dit pas explicitement. Il me semble que, dans l’esprit, la directive prévoit que les mêmes droits soient applicables dans les zones d’attente et dans les centres de rétention.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Je répète que la lecture de la directive Retour ne souffre aucune ambiguïté.
M. Teston confond la situation des étrangers placés en zone d’attente avec celle des étrangers en situation de rétention administrative.
Par ailleurs, l’amendement n° 20 n’est pas utile au regard du droit positif existant, puisque les mineurs étrangers isolés sont aujourd’hui traités dans le respect des droits que leur confère le statut de mineur. En effet, ils sont placés sous le couvert du régime général de protection des mineurs. Cette protection incombe à l’autorité judiciaire, et toutes les décisions concernant des mineurs sont prises conformément aux principes de la Convention internationale des droits de l’enfant.
Dans la pratique, le réacheminement est décidé, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, vers le pays d’origine, et non vers le pays de transit. J’ajoute que, généralement, un mineur a des parents dans son pays d’origine.
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Article 10
Après l'article L. 222-7 du même code, il est inséré un article L. 222-8 ainsi rédigé :
« Art. L. 222-8. – En cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d’inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d’une demande d’annulation ou qui relève d’office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 21 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 151 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 21.
M. Richard Yung. L’article 10 prévoit que seules les irrégularités formelles présentant un caractère substantiel, c'est-à-dire graves, et ayant pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger entraînent l’annulation du maintien en zone d’attente.
Sur la forme, ces dispositions ont d’ailleurs quelque peu évolué depuis la première lecture. Notre rapporteur nous propose aujourd’hui de calquer la rédaction de cet article 10 sur celle de l’article 802 du code de procédure pénale.
Nous considérons que cet ajustement ne change rien sur le fond. Ces dispositions relèvent du même esprit que celles dont nous venons de discuter : elles tendent à restreindre le champ du contrôle du juge judiciaire – nous retrouvons cette obsession de limiter la capacité des juges – et s’inscrivent dans la droite ligne des conclusions de la commission Mazeaud, qui évoquaient une « censure juridictionnelle » ; les termes sont forts !
Ces dispositions créent une hiérarchie des causes de nullité de la procédure selon la gravité supposée de leurs conséquences. Selon nous, elles ne sont pas acceptables, car toute irrégularité peut porter atteinte aux droits de l’étranger et le juge judiciaire doit pouvoir la constater.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, pour présenter l'amendement n° 151.
Mme Marie-Agnès Labarre. Cet article tend à neutraliser le pouvoir de contrôle du juge des libertés et de la détention et à affaiblir considérablement les droits des étrangers placés en zone d’attente.
En effet, il précise que la nullité entraînant la fin du maintien d’un étranger en zone d’attente ne peut plus être prononcée que dans les cas où les violations de forme et les inobservations sont substantielles et où elles portent directement atteinte aux droits de l’étranger.
Pourtant, la Cour de cassation estime que, en matière de mesures privatives de liberté – le maintien en zone d’attente en est une –, les irrégularités doivent être considérées avec la plus grande rigueur. Ainsi, en matière de rétention, il n’appartient pas à l’étranger de fournir la preuve du préjudice. C’est le juge qui doit s’assurer que l’intéressé a été pleinement informé de ses droits et a été en mesure de les faire valoir. De plus, toute irrégularité porte potentiellement atteinte aux droits de la personne privée de liberté ; c’est le principe que consacre la Cour de cassation en matière pénale.
Un tel article vise à amoindrir la jurisprudence de la Cour de cassation, qui apporte pourtant les protections nécessaires aux personnes privées de leur liberté. C’est pourquoi nous en demandons la suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements de suppression.
Comme l’a dit tout à l’heure notre collègue Richard Yung, la commission a calqué sa rédaction de l’article 10 sur les dispositions de l’article 802 du code de procédure pénale, pour apporter le maximum de garanties. C’est la raison pour laquelle elle considère qu’il ne convient pas de supprimer cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission. Il ne s’agit, en effet, que de la transcription d’un principe déjà largement appliqué aussi bien en matière civile qu’en matière pénale. Cette règle est conforme à une jurisprudence tout à fait claire de la Cour de cassation, qui exige de vérifier concrètement s’il y a eu atteinte aux droits des étrangers.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21 et 151.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 216, présenté par M. Buffet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
ne peut prononcer la nullité
par les mots :
ne peut prononcer la mainlevée de la mesure de maintien en zone d’attente
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 10, modifié.
(L'article 10 est adopté.)
Article 12
(Supprimé)
M. le président. L'article 12 a été supprimé, mais, par l’amendement n° 207, le Gouvernement propose de le rétablir dans la rédaction suivante :
La section 2 du chapitre II du titre II du livre II du même code est complétée par un article L. 222-6-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 222-6-1. - À peine d'irrecevabilité, prononcée d'office, aucune irrégularité ne peut être soulevée pour la première fois en cause d'appel, à moins que celle-ci soit postérieure à la décision du premier juge. »
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Le présent amendement vise à rétablir l’article 12, qui instaure, dans le contentieux du maintien en zone d’attente, un principe de « purge des nullités » entre la première instance et l’appel. Cela signifie qu’une irrégularité qui n’a pas été soulevée en première instance ne peut pas l’être en appel, sauf si elle est postérieure à la décision du premier juge.
Ce dispositif est strictement conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation. Son champ d’application est limité aux exceptions de procédure et il ne vise donc en aucune façon les exceptions de nullité fondées sur l’inobservation des règles de fond. Celles-ci peuvent toujours être relevées d’office par le juge.
L’utilité d’un tel dispositif semble claire dans un contentieux d’urgence où la loyauté des débats est une exigence et dans lequel il est notoire que les exceptions de nullité sont invoquées de manière systématique devant le juge des libertés et de la détention.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Par cet amendement, le Gouvernement propose de rétablir l’article 12 que la commission avait elle-même supprimé, voulant instaurer un effet dévolutif de la peine. La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Je constate que cet amendement a été rejeté à l’unanimité des présents.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est un vrai succès !
M. le président. L'article 12 demeure supprimé.
Chapitre II
La carte de séjour temporaire portant la mention « carte bleue européenne »
Article 13
(Non modifié)
I. – L’article L. 313-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un 6° ainsi rédigé :
« 6° À l’étranger titulaire d’un contrat de travail visé conformément au 2° de l’article L. 5221-2 du code du travail, d’une durée égale ou supérieure à un an, pour un emploi dont la rémunération annuelle brute est au moins égale à une fois et demie le salaire moyen annuel de référence, et qui est titulaire d’un diplôme sanctionnant au moins trois années d’études supérieures délivré par un établissement d’enseignement supérieur reconnu par l’État dans lequel cet établissement se situe ou qui justifie d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans d’un niveau comparable, sans que lui soit opposable la situation de l’emploi. Un arrêté du ministre chargé de l’immigration fixe chaque année le montant du salaire moyen annuel de référence.
« Elle porte la mention “carte bleue européenne”.
« Par dérogation aux articles L. 311-2 et L. 313-1, cette carte de séjour a une durée de validité maximale de trois ans et est renouvelable. Dans le cas où le contrat de travail est d’une durée égale ou supérieure à un an et inférieure à trois ans, la carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne” est délivrée ou renouvelée pour la durée du contrat de travail.
« Le conjoint, s’il est âgé d’au moins dix-huit ans, et les enfants entrés mineurs en France dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 d’un étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne” bénéficient de plein droit de la carte de séjour mentionnée au 3° de l’article L. 313-11.
« L’étranger qui justifie avoir séjourné au moins dix-huit mois dans un autre État membre de l’Union européenne sous couvert d’une carte bleue européenne délivrée par cet État obtient la carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne”, sous réserve qu’il remplisse les conditions mentionnées au premier alinéa du présent 6° et qu’il en fasse la demande dans le mois qui suit son entrée en France, sans que soit exigé le respect de la condition prévue à l’article L. 311-7.
« Son conjoint et ses enfants tels que définis au quatrième alinéa du présent 6° lorsque la famille était déjà constituée dans l’autre État membre bénéficient de plein droit de la carte de séjour temporaire prévue au 3° de l’article L. 313-11 à condition qu’ils en fassent la demande dans le mois qui suit leur entrée en France, sans que soit exigé le respect de la condition prévue à l’article L. 311-7.
« La carte de séjour accordée conformément aux quatrième et sixième alinéas du présent 6° est renouvelée de plein droit durant la période de validité restant à courir de la “carte bleue européenne”.
« Le conjoint titulaire de la carte de séjour mentionnée au 3° de l’article L. 313-11 bénéficie de plein droit, lorsqu’il justifie d’une durée de résidence de cinq ans, du renouvellement de celle-ci indépendamment de la situation du titulaire de la carte de séjour temporaire portant la mention “carte bleue européenne” au regard du droit de séjour sans qu’il puisse se voir opposer l’absence de lien matrimonial.
« Il en va de même pour les enfants devenus majeurs qui se voient délivrer de plein droit la carte de séjour mentionnée au 3° de l’article L. 313-11 lorsqu’ils justifient d’une durée de résidence de cinq ans. »
II. – (Non modifié)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Cette intervention vaudra également présentation de l’amendement n° 22.
L’article 13 crée une nouvelle carte de séjour temporaire, appelée, de façon d’ailleurs assez ambiguë, « carte bleue européenne ». Cette mesure trouve son origine dans la directive 2009/50/CE du 25 mai 2009, établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’occuper un emploi hautement qualifié.
S’agissant d’une transposition, nous avons essayé d’améliorer le texte qui nous est présenté plutôt que de requérir la suppression de ces dispositions. Telle avait déjà été notre attitude lors de la première lecture, malheureusement nos propositions n’avaient pas eu d’écho, aussi bien dans cet hémicycle qu’à l’Assemblée nationale. Nous prêchons dans le désert…
Pour l’essentiel, nous proposons d’étendre de trois à quatre ans la durée de validité maximale de la carte bleue européenne.
En première lecture, il nous avait été objecté que la durée de validité de la carte précitée était calquée sur celle des titres de séjour portant les mentions « salarié en mission » ou « compétences et talents » et que, par conséquent, dans un souci de cohérence et d’harmonie, la durée de validité de la carte bleue européenne ne pouvait être portée à quatre ans. Mais cet argument tient plus à la forme qu’au fond et ne nous paraît pas pertinent.
Nous rappelons en effet que l’esprit et l’objet de la directive précitée sont de rendre l’Union européenne plus attractive pour les travailleurs hautement qualifiés issus des pays tiers. S’il existe une compétition mondiale, notamment entre l’Europe et les États-Unis, pour attirer une certaine « élite migratoire » – la carte verte américaine offre un droit de résidence de dix ans sans restriction –, cette concurrence existe aussi entre les États membres de l’Union européenne : par exemple, les conditions faites par l’Allemagne à ces travailleurs sont beaucoup plus favorables que celles que leur réserve la France. Il nous semble donc judicieux d’offrir les conditions les plus favorables possibles, dans le cadre fixé par la directive.
Le point 2 de l’article 7 de la directive permet que la durée maximale de la « carte bleue » soit fixée à quatre ans ; nous invitons donc le Sénat à retenir cette durée, pour que notre territoire national soit plus attractif qu’il ne l’est aujourd'hui.
M. le président. L'amendement n° 152, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet article constitue une transposition de la directive 2009/5/CE du 25 mai 2009. Il s’agit de promouvoir une immigration choisie, en sélectionnant, parmi les candidats à l’entrée et au séjour sur le sol européen, ceux qui sont « hautement qualifiés » et qui ont un emploi sur le territoire concerné.
Ce dispositif repose sur l’idée dangereuse que l’immigration aurait un coût pour la société et que ne serait donc admissible que celle qui rapporte, qui renforce la compétitivité et qui limite la fuite des cerveaux vers d’autres pays.
Nous nous opposons à une telle politique, qui distingue les « bons » et les « mauvais » migrants selon des critères prétendument économiques, alors que le seul effet de cette immigration choisie est de créer une discrimination entre migrants. Ce faisant, on cautionne l’idée que l’immigration en général est une menace pour l’emploi et le système social français, alors qu’elle coûte 47,9 milliards d’euros à la France tandis que les immigrés reversent près de 61 milliards d’euros au budget de l’État ! Le solde est donc positif pour celui-ci.
Nous nous opposons à la mise en place de cette carte bleue européenne pour l’admission sur le sol français.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable.
Sur le plan formel, nous avons l’obligation constitutionnelle de transcrire la directive européenne.
Sur le fond, cette disposition permettra d’accroître l’attractivité du territoire européen pour les travailleurs qualifiés.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première et seconde phrases
Remplacer (deux fois) le mot :
trois
par le mot :
quatre
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable : le système existant est cohérent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
enfants
insérer les mots :
majeurs à charge ou
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. L’absence de prise en compte des enfants majeurs à charge parmi les bénéficiaires de la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » va à l’encontre de l’objet de la directive 2009/50/CE, qui est « de faciliter l’admission des travailleurs hautement qualifiés et de leur famille ».
Les critères à remplir afin d’obtenir la carte bleue européenne sont extrêmement sélectifs. En effet, il faut justifier d’un diplôme de l’enseignement supérieur sanctionnant au moins trois années d’études ou de cinq années d’expérience à un poste hautement qualifié. Il faut également disposer d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche ferme pour un emploi hautement qualifié d’une durée d’au moins un an et dont le salaire annuel est au moins égal à une fois et demie le salaire moyen annuel.
Il est donc prévisible qu’il y aura peu d’élus, tout comme pour la carte de séjour portant la mention « compétences et talents ».
Puisque ce dispositif ne concernera qu’un très petit nombre de personnes, il n’y a aucune raison de ne pas permettre aux enfants majeurs se trouvant à leur charge de bénéficier d’une carte de séjour temporaire.
A contrario, l’absence de prise en compte des enfants majeurs à charge risque de décourager certains travailleurs hautement qualifiés de venir en France.
D’ailleurs, en première lecture, la commission des lois de notre assemblée, par la voix de son rapporteur, avait fait part de son inquiétude à cet égard et souligné le bien-fondé de notre amendement. Néanmoins, le Gouvernement avait marqué son opposition, arguant que « les enfants majeurs à charge des titulaires de la carte bleue européenne pourront recevoir un titre de séjour en fonction de leur situation individuelle ».
Cette explication ne saurait nous satisfaire en l’état, tant elle est évasive et néfaste à l’attractivité de la France.
Il convient de rappeler que l’immigration de personnes hautement qualifiées est bénéfique pour le développement de notre économie. Nous devrions donc chercher à attirer un maximum de ces travailleurs diplômés. Dans cette optique, il nous semble essentiel de les accueillir, eux et leurs familles, dans les meilleures conditions possibles.
C’est la raison pour laquelle nous vous proposons, mes chers collègues, d’étendre aux enfants majeurs à charge des titulaires de la carte bleue européenne la possibilité de bénéficier de la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », afin de garantir l’attractivité de notre pays.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Par cohérence, la commission maintient l’avis défavorable qu’elle avait émis lors de la première lecture.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
Le dispositif retenu est suffisant, dans la mesure où ces enfants majeurs pourront recevoir, en fonction de leur situation individuelle, une carte de séjour temporaire portant la mention adaptée : « étudiant », « stagiaire » ou « visiteur ».
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Compléter cet alinéa par deux phrases ainsi rédigées :
Celle-ci est délivrée au plus tard dans les six mois suivant la date de dépôt de la demande. À défaut, un récépissé de demande de titre de séjour est délivré aux membres de la famille.
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Le choix du Gouvernement de ne pas soumettre la famille du titulaire d’une carte bleue européenne à la procédure du regroupement familial, alors que la directive du 25 mai 2009 prévoit non pas une telle exception, mais seulement des aménagements, nous semble aller dans le bon sens.
En effet, permettre aux personnes concernées de s’installer avec leur famille en France sans trop de difficultés ni de complications est de nature à rendre notre pays plus attractif à leurs yeux.
Néanmoins, on peut regretter que se mette en place un système à deux vitesses, avec, d’une part, l’élite migratoire, que représentent les titulaires de la carte bleue européenne, gagnant environ 4 000 euros par mois et bénéficiant de procédures allégées, et, d’autre part, des immigrés moins fortunés, qui doivent patienter des années avant de pouvoir être rejoints par leur conjoint et leurs enfants.
Je tiens également à souligner la situation difficile des couples mixtes. L’attitude soupçonneuse du Gouvernement à leur égard trouve une nouvelle illustration avec l’article 21 ter, relatif aux « mariages gris ». Mais les couples mixtes ont aussi le droit de vivre normalement en famille !
Pour en revenir aux familles des titulaires de la carte bleue européenne, il nous semble important de leur offrir le plus de garanties possible, toujours dans l’optique de rendre la France attractive.
C’est pourquoi nous proposons de préciser que la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale » sera délivrée au conjoint et aux enfants à leur majorité, au plus tard dans les six mois suivant la date de dépôt de la demande.
Il ne s’agit ici que de se conformer de manière plus précise au 4° de l’article 15 de la directive, qui dispose que « les titres de séjour des membres de la famille sont accordés, si les conditions d’un regroupement familial sont remplies, au plus tard dans les six mois suivant la date du dépôt de la demande ».
Vous estimez, monsieur le ministre, que ce délai doit être fixé par voie réglementaire, mais nous demeurons pour notre part persuadés qu’il doit être inscrit dans la loi, eu égard à l’importance des droits qu’ouvre aux immigrés la carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale ».
Enfin, nous proposons que, à défaut de délivrance de ce titre de séjour dans le délai indiqué, un récépissé de la demande soit délivré aux membres de la famille.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, car elle considère que la demande formulée relève non pas du domaine législatif, mais du domaine réglementaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.
Au demeurant, j’indique que la délivrance d’un récépissé à tout étranger admis à déposer une demande de première délivrance ou de renouvellement de titre de séjour est une disposition d’ordre général, qui est déjà prévue par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
M. le président. L'amendement n° 26, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
trois
La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Pour bénéficier de plein droit du renouvellement de sa carte de séjour portant la mention « vie privée et familiale », le conjoint d’un titulaire de la carte bleue européenne devra justifier de cinq ans de résidence sur le territoire.
Concrètement, très peu de conjoints d’un titulaire de la carte bleue européenne pourront bénéficier d’un tel renouvellement. Cette disposition aura finalement pour principal effet d’entraver le renouvellement des cartes de séjour portant la mention « vie privée et familiale » et de faciliter les reconduites à la frontière.
Or il importe de préserver l’équilibre des migrants, qui repose sur la structure familiale. Le dispositif ne favorisera pas non plus l’intégration des immigrés dans la société.
C'est la raison pour laquelle nous proposons de réduire à trois ans la durée de résidence requise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
En effet, le texte prévoit déjà des dispositions en vertu desquelles le conjoint d’un titulaire de la carte bleue européenne a vocation à bénéficier d’un titre de séjour d’une durée de validité égale à celle de cette dernière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à cet amendement. J’ajoute que ce titre de séjour permet à son titulaire d’exercer immédiatement un emploi.
M. le président. L'amendement n° 27, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le conjoint titulaire de la carte de séjour mentionnée au 3° de l'article L. 313-11 bénéficie de plein droit du renouvellement de celle-ci indépendamment de la situation du titulaire de la carte de séjour "carte bleue européenne" au regard du droit de séjour, sans qu'il puisse se voir opposer l'absence de lien matrimonial en cas de rupture de la vie commune consécutive à des violences conjugales.
La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Cet amendement tend à introduire un nouvel alinéa visant à assurer le renouvellement de plein droit de la carte de séjour des conjoints de titulaire de la carte bleue européenne lorsqu’ils sont victimes de violences conjugales. Il aurait fort bien pu être présenté par notre collègue Roland Courteau, dont le travail a fait considérablement avancer la réflexion de la Haute Assemblée sur les violences conjugales.
À cet instant, permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler quelques faits.
En 2008, 156 femmes ont été tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint. En 2009, 305 000 femmes ont déclaré avoir subi des violences physiques ou sexuelles au sein de leur domicile. En 2010, la lutte contre les violences faites aux femmes a été proclamée « grande cause nationale de l’année ». En 2011, nous devons rester vigilants, car les coups continuent malheureusement de pleuvoir…
Les auteurs de cet amendement n’entendent pas se contenter de grandes déclarations d’intention. Ils souhaitent que des mesures concrètes soient prises pour permettre à toutes les victimes de violences conjugales d’échapper à leur agresseur.
En première lecture, il nous a été rétorqué que le droit en vigueur était déjà « très protecteur ». Cependant, je rappelle que le rapporteur a basé son argumentation sur des hypothèses particulières, qui ne répondent en rien à une règle générale.
Par conséquent, nous réclamons la consécration d’une règle simple et générale : ne pas subordonner la première délivrance ou le renouvellement de la carte de séjour temporaire du conjoint de l’étranger titulaire d’une carte bleue européenne à une communauté de vie en cas de violences conjugales. C’est le seul moyen de protéger efficacement les femmes victimes de violences qui souhaitent s’extraire de cette terrible spirale.
De plus, en cas de séparation conjugale pour cause de violences, les conjoints de Français et les conjoints de ressortissant étranger entrés en France dans le cadre du regroupement familial bénéficient déjà de la possibilité de faire renouveler leur carte de séjour. Il s’agit donc simplement d’étendre cette protection administrative aux conjoints de titulaire de la carte bleue européenne.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cette question a déjà été évoquée à plusieurs reprises.
En l’état actuel du droit, le renouvellement du titre de séjour est d’ores et déjà automatique lorsque le conjoint victime de violences conjugales bénéficie d’une ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales.
M. Roland Courteau. C’est exact !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. En dehors de cette hypothèse, le préfet peut accorder le renouvellement du titre de séjour lorsque la vie commune a été rompue du fait de violences conjugales. Enfin, le conjoint aura un droit au séjour autonome à partir de cinq années de résidence.
La commission a donc estimé, comme en première lecture, que le droit général en vigueur était déjà protecteur en la matière. C’est pourquoi elle a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 24, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le calcul de ces cinq années de résidence prend en compte les durées des séjours effectués en France et dans un ou plusieurs autres États membres.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il est prévu que le conjoint d’un titulaire de la carte bleue européenne pouvant justifier de cinq ans de résidence sur le territoire bénéficie de plein droit du renouvellement de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».
Les auteurs de cet amendement proposent que soient pris en compte, dans la durée de cinq de résidence, les séjours effectués non seulement en France, mais également dans d’autres États membres de l’Union européenne. Nous tenons à rappeler que, sur l’initiative du groupe socialiste, le Sénat avait décidé, en première lecture, d’inclure dans le calcul les périodes de résidence sur le territoire des autres États membres de l’Union européenne.
Toutefois, la commission des lois de l’Assemblée nationale est revenue sur cette mesure, rétablissant l’exigence de cinq années de résidence en France exclusivement. Il s’agit d’un net recul, reflétant la vision étriquée qui prédomine à la chambre basse.
Nous souhaitons appeler l’attention sur la logique qui sous-tend notre amendement, certes, mais aussi sur la nécessité d’être cohérents avec le vote que notre assemblée a émis lors de la première lecture.
Il faut souligner que le titre de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » est une carte européenne. La mobilité professionnelle et géographique des travailleurs hautement qualifiés est un objectif clairement affiché par la directive européenne relative à la carte bleue européenne : cette mobilité y est considérée comme un mécanisme essentiel pour améliorer l’efficacité du marché de travail, prévenir les pénuries de main-d’œuvre qualifiée et corriger les déséquilibres régionaux.
Afin de permettre la mobilité au sein de l’Union européenne de ces migrants très qualifiés, il est nécessaire que leur famille puisse les accompagner dans les différents États membres, sans que ce soit à son détriment.
Or, en ne prenant en compte que le séjour sur le territoire national dans le calcul de la durée de résidence nécessaire au renouvellement de plein droit du titre de séjour, on pénalise la famille du titulaire de la carte bleue européenne si celui-ci fait usage de son droit à la mobilité.
Par conséquent, nous vous appelons, mes chers collègues, à confirmer votre vote de la première lecture.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement avait en effet été adopté en première lecture par le Sénat. L’Assemblée nationale a décidé de revenir au texte initial, en insistant sur le fait que le système existant était déjà suffisamment protecteur.
La commission des lois du Sénat a modifié sa position et émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 28, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
… L’article L. 313-10 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur les perspectives de signature et de ratification de la Convention des Nations unies sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille avant le 31 décembre 2011. »
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Il s’agit en quelque sorte d’un amendement d’appel.
Certes, il est plutôt mal vu de demander au Gouvernement la présentation d’un rapport au Parlement, et je peux le comprendre, mais, en l’occurrence, nous estimons qu’une analyse approfondie doit être réalisée.
Je rappelle que la convention de l’ONU sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 1990 et est entrée en vigueur le 1er juillet 2003. Elle a été ratifiée par quarante-deux pays, mais pas par la France, ce qui est assez curieux compte tenu de la vocation universelle de notre pays, s’agissant en particulier du respect des libertés fondamentales, de l’égalité entre migrants et ressortissants du pays, de la garantie d’accès aux soins et à l’éducation…
Dans ces conditions, il nous semble important d’appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité de ratifier cette convention.
Cela étant dit, monsieur le président, je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 28 est retiré.
Je mets aux voix l'article 13.
(L'article 13 est adopté.)
M. le président. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 13 avril 2011, à quatorze heures trente et le soir :
- Suite de la deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (n° 357, 2010-2011).
Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois (n° 392, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 393, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 13 avril 2011, à zéro heure trois.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART