Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui la deuxième lecture du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, qui avait suscité de nombreux débats lors de son premier passage dans l’hémicycle.
Comme nous l’avions compris en première lecture, l’objectif de ce texte est de poursuivre la voie engagée en 2007, en s’adaptant aux évolutions européennes et en trouvant de nouveaux moyens pour lutter contre des filières en constante évolution. Cet objectif est essentiel, car il s’inscrit au cœur du pacte républicain et consolide l’indispensable cohésion sociale de la nation.
Si la France a une longue tradition d’accueil et d’intégration, il est important cependant de continuer à lutter contre l’immigration irrégulière Cette tradition d’hospitalité ne l’en oblige pas moins à rester une terre d’intégration où l’immigration puisse être choisie.
À l’heure où beaucoup d’inquiétudes se font jour en matière d’immigration,…
M. David Assouline. C’est vous qui en parlez !
Mme Catherine Troendle. … comment pourrions-nous être aveugles au point d’ignorer l’actualité internationale, tout particulièrement au sud de la Méditerranée, face aux côtes européennes ? Celle-ci nous dicte de persévérer dans la voie de la politique d’immigration choisie, menée depuis 2007, et de renforcer encore nos dispositifs.
Agir, telle est l’ambition du texte que nous examinons et qui résume parfaitement les deux piliers de la politique conduite par la France. Cette politique repose, d’une part, sur l’amélioration de l’accueil et de l’intégration des ressortissants étrangers entrant et vivant en France grâce, notamment, à la mise en place d’une carte bleue européenne, dont il faut se féliciter, et, d’autre part, sur la lutte contre l’immigration irrégulière, qui porte précisément atteinte à la capacité d’intégration de la France.
Je tiens à cet instant à saluer le travail minutieux et équilibré du rapporteur, François-Noël Buffet, qui nous a permis de trouver, au-delà de nos divergences partisanes, les outils nécessaires à la réalisation des objectifs fixés, répondant en cela à un principe clair : rechercher l’intégration des étrangers en situation légale et lutter contre l’immigration irrégulière.
Nous le savons tous, mes chers collègues, les flux migratoires ont changé et il est indispensable de trouver des réponses législatives adaptées aux nouvelles problématiques. Comme tous les pays du monde, la France a le droit de choisir qui elle veut et qui elle peut accueillir sur son territoire : nous ne demandons ni plus ni moins que l’application de la règle qui prévaut dans tous les pays.
Tout étranger en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d’origine, sauf cas particulier, notamment humanitaire, politique, sanitaire ou social, qui exige, dès lors, un examen individualisé.
Un étranger accueilli légalement sur notre territoire a, pour l’essentiel, les mêmes droits économiques et sociaux que les Français. La France entend conduire une politique migratoire non seulement humaine et fidèle à sa tradition d’accueil, mais également ferme dans sa lutte contre l’immigration clandestine.
Contrairement à ce qui a souvent été dénoncé par l’opposition, ce texte est nécessaire, d’abord pour transposer trois directives européennes, ensuite pour répondre à une évolution de la société.
Le présent projet de loi s’inscrit donc dans la logique européenne, en permettant la transposition de trois directives communautaires. Il participe ainsi à la construction progressive d’une politique européenne de l’immigration et de l’asile, qui vient en complément de l’espace de libre circulation issu des accords de Schengen. Ces trois textes ont une incidence sur le droit national. La directive Sanctions renforce l’arsenal juridique destiné à lutter contre le travail illégal d’étrangers sans titre de séjour. La directive Carte bleue européenne conduit à créer un nouveau titre de séjour, sans remettre en cause les principales règles de l’admission au séjour des travailleurs salariés. Enfin, la directive Retour impose d’adapter le droit national en raison d’une nouvelle approche du droit de l’éloignement des étrangers.
Nos voisins européens mènent des politiques d’immigration en phase avec le droit européen. La France doit impérativement s’y conformer en transposant ces directives.
À ce titre, je tiens à rappeler que le texte transcrit dans notre droit une partie du pacte européen sur l’immigration et l’asile que le Gouvernement avait fait adopter lors de la présidence française de l’Union européenne, et que nos partenaires avaient approuvé à l’unanimité.
Il fallait éviter deux écueils. Le premier aurait été la position irresponsable – et malheureusement encore dominante au parti socialiste – selon laquelle il faut accueillir tous ceux qui le souhaitent. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Bariza Khiari. On ne dit pas cela !
M. Jean-Pierre Sueur. On n’a jamais dit cela !
M. Richard Yung. Caricature !
M. David Assouline. Vous mentez !
M. François Trucy. On se calme ! Ne vous énervez pas !
M. David Assouline. On ne s’énerve pas, mais on aime les débats sincères !
Mme Catherine Troendle. Le second aurait été de se contenter d’affirmer que l’on ne souhaite plus d’immigration, sans ajouter qu’il faut de la coopération. C’est ce que fait le Front national.
Le Gouvernement a, pour sa part, choisi la bonne voie. C’est pourquoi le groupe UMP se satisfait des propositions qui sont formulées et qui visent à poursuivre cette politique d’immigration choisie et équilibrée, à la fois ferme et généreuse. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Alima Boumediene-Thiery. Surtout généreuse !
Mme Catherine Troendle. Nous nous réjouissons que la navette parlementaire ait déjà permis de trouver de nombreux points d’accord sur le renforcement des exigences relatives à l’intégration, sur la création des zones d’attente ad hoc, sur la réforme des mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière, sur l’amélioration de la lutte contre le travail illégal ou sur la suppression de l’extension de la déchéance de nationalité.
Je souhaite à présent revenir sur les quatre points qui restent aujourd’hui en discussion.
Il s’agit, tout d’abord, de la question des mariages « gris ». Comme l’a rappelé M. le rapporteur, le dispositif que nos collègues députés ont adopté révélait plusieurs difficultés juridiques. La commission des lois a su le replacer dans le cadre du droit positif et de l’échelle des peines en vigueur. Nous avons ainsi souhaité appliquer de manière raisonnable et cohérente les mêmes peines que celles qui sont prévues pour les mariages de complaisance, à savoir cinq ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.
Il s’agit, ensuite, des règles applicables en matière d’accès à la nationalité. L'Assemblée nationale a supprimé le caractère automatique de l’acquisition de la nationalité française des enfants nés en France de parents étrangers, au profit d’une demande volontaire manifestée par une lettre d’intention. Comme l’a souligné le rapporteur, cette mesure est nouvelle et sans lien direct avec le texte que nous avons étudié en première lecture, ce qui représente un risque d’inconstitutionnalité. Nous souhaitons pour notre part maintenir notre modèle d’intégration qui, de ce point de vue, est aujourd’hui équilibré.
Il s’agit, encore, du droit au séjour des étrangers malades. Ce sujet majeur en termes humain et de santé publique a fait l’objet d’un large débat dans cet hémicycle en première lecture. Nous avions alors souhaité supprimer le dispositif qui nous était proposé et qui tendait à restreindre la possibilité de délivrer un titre de séjour à un étranger atteint d’une pathologie particulièrement grave. Les effets en termes de santé publique étaient, il est vrai, trop incertains.
Néanmoins, je souhaite redire au nom du groupe UMP que nous ne pouvons laisser perdurer des situations de détresse si disparates sur notre territoire. Je veux éviter tout malentendu sur ce point. Nous soutenons la proposition du Gouvernement, qui entend confirmer la loi actuelle applicable jusqu’à une récente décision du Conseil d’État qui nous semble véritablement excessive. Il n’est pas question de remettre en cause notre tradition d’accueil des étrangers gravement malades qui viennent en France, alors que, dans leur pays d’origine, ils n’ont pas accès à des soins adaptés. Pour autant, nous avons le devoir, pour nos compatriotes, ainsi que pour ces hommes et ces femmes en grande souffrance, de trouver une solution juridique équilibrée.
Il s’agit, enfin, du contentieux lié au placement en rétention des étrangers en instance d’éloignement et du délai d’intervention du juge des libertés et de la détention dans la procédure administrative. Je m’arrêterai un peu plus longuement sur ce sujet qui a suscité de longues heures d’échanges, aussi bien en commission qu’en séance publique.
Le Gouvernement a lancé judicieusement une réorganisation du contentieux de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Nous soutenons son initiative. Jusqu’à présent, on constatait un enchevêtrement total dans les procédures d’intervention du juge administratif et du juge judiciaire. Monsieur le ministre, vous avez proposé de porter de quarante-huit heures à cinq jours le délai pour l’intervention du juge des libertés et de la détention saisi par le préfet, aux fins de prolongation de la rétention. Ce délai a pu sembler excessif. C’est pourquoi nous avons soutenu la suggestion du président de la commission des lois d’allonger ce délai à quatre jours, ce qui permettrait de mieux concilier les exigences du contrôle de la privation de liberté et celles d’une bonne administration de la justice. Il s’agit ainsi d’éviter, à l’avenir, un nombre trop important d’annulations juridictionnelles imputables à la complexité des procédures.
Vous le voyez, mes chers collègues, nos principes fondamentaux sont respectés. Alors, cessez, pour certains d’entre vous, de faire croire à nos concitoyens que les mesures engagées par le Gouvernement pour notre pays sont dénuées d’humanité ! Nous l’affirmons simplement et clairement : nous ne pourrons laisser faire ceux qui sèment la terreur dans notre pays, alors que notre devoir d’élu est de préserver la sérénité de nos compatriotes. (Protestations indignées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Bariza Khiari. La terreur ?
M. David Assouline. De qui parlez-vous ?
Mme Bariza Khiari. C’est une honte !
Mme Alima Boumediene-Thiery. On n’est pas des terroristes !
Mme Catherine Troendle. C’est parce que ce projet de loi vise l’immigration irrégulière et qu’il ne remet pas en question l’immigration concertée, l’immigration légale, l’immigration choisie, voulue et acceptée, l’immigration synonyme d’intégration et d’acceptation, que le groupe UMP le votera avec conviction. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Nouvelles protestations indignées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. David Assouline. C’est la honte de la République ! On n’est pas au café du commerce ici, on est dans un hémicycle !
Mme Bariza Khiari. La parole raciste est véritablement libérée !
M. David Assouline. Il n’y a plus de différence avec le FN !
M. Philippe Dominati. Arrêtez votre cinéma !
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous retrouvons afin d’examiner ce projet de loi pour la seconde fois. Somme toute, la version actuelle dont nous disposons n’est pas très différente du texte que nous avions discuté la première fois. C’est ce qui explique le nombre de nos amendements.
L’Assemblée nationale est revenue sur l’ensemble des modifications que nous avions, par sagesse, apportées, ainsi que M. le rapporteur l’a souligné à juste titre. Tout juste nos collègues députés ont-ils décidé de supprimer symboliquement la déchéance de nationalité pour nous donner l’impression que nos craintes, nos doutes et nos récriminations légitimes avaient été prises en compte.
Il est vrai que cette mesure ne semble pas avoir porté les fruits électoraux attendus. Aussi pouvons-nous comprendre que vous l’abandonniez sans autre forme de procès : telle est la vie des articles de circonstance. Mais ce n’est pas un unique arbre abattu qui risque de cacher une forêt de reculs du droit des étrangers. Vous laissez de côté un petit jalon dans cette course à l’échalote que vous avez entamée avec le Front national et votre majorité renchérit – nous venons d’en avoir l’illustration avec l’intervention de Mme Troendle qui parle de « terreur » – sur beaucoup d’autres plans.
Monsieur le ministre, en tant qu’ancien haut fonctionnaire, rompu à l’exercice de l’écriture, vous connaissez la valeur et le poids des mots, et vos glissements portant sur la croisade, les musulmans et, aujourd'hui, l’immigration légale ne sont pas le fruit du hasard. Tout cela s’apparente à une mise en bouche de ce que sera la prochaine campagne présidentielle. Le migrant et, fait nouveau, le musulman, en seront bien les otages.
Monsieur le ministre, je veux vous mettre en garde, car vous êtes aussi en charge des cultes : passer de la critique de l’immigration illégale à celle des musulmans, c’est changer la nature du débat. Cette diabolisation de l’islam et des musulmans, ces éructations répétées contre une foi et une spiritualité sont indignes de notre conception de la laïcité, d’autant qu’elles ne sont pas de votre seul fait, mais qu’elles émanent aussi de certains membres de votre majorité. À ce rythme-là, l’« Auvergnat » de Brice Hortefeux deviendra bientôt une plaisanterie ordinaire...
Avec le débat opposant laïcité et islam, vous avez cherché à diviser les Français. Or ce débat sur l’islam, ou plutôt contre l’islam, a eu comme résultat de diviser votre majorité. À force de chercher à fabriquer un ennemi de l’intérieur avec le migrant ou le musulman, vous passez à côté des préoccupations des Français, et ils ne sont pas dupes. Vous évitez la question sociale.
Alors, c’est peu dire que la philosophie de ce texte n’a pas changé d’un iota.
Vous criminalisez la présence des étrangers, faisant d’eux des parias, et tendez à restreindre de plus en plus leur possibilité de séjour. Je ne citerai qu’un exemple parmi tant d’autres, le mariage « gris ». Nous connaissions le mariage « blanc », et nous voilà avec ce nouvel OVNI électoral. Le Français, ou plutôt la Française à vous en croire, qui décide d’épouser un étranger serait régulièrement victime d’un marché de dupes. En effet, l’étranger qui convole en sa compagnie ne serait qu’un odieux escroc cherchant davantage à rester sur le sol de notre territoire et à obtenir des papiers par son entremise. Il s’agirait d’un mariage frauduleux, dû à la nature insidieuse de l’étranger qui trompe son conjoint sur la véritable nature de ses sentiments.
Bien sûr, de semblables cas peuvent exister. Ce qui me pose problème, monsieur le ministre, c’est le fait que vous vous saisissiez de trois ou quatre faits divers pour généraliser et aboutir à ce texte qui jette la suspicion sur l’étranger. Cela viole le caractère sacré de la loi, qui n’est plus l’expression de la volonté populaire, mais devient le simple porte-parole de la rubrique des chiens écrasés.
Je souhaite dénoncer à cette tribune le caractère biaisé d’un raisonnement politique qui stigmatise l’immigration illégale, en prétendant conforter l’intégration de l’immigration légale.
Il y a une rupture dans les discours, car vos dernières déclarations, monsieur le ministre, nous invitent à penser que même l’immigration légale ne trouve pas grâce à vos yeux. Vous estimez qu’elle n’apporte rien économiquement, voire qu’elle nous est néfaste.
Faut-il remercier votre collègue Christine Lagarde d’avoir corrigé immédiatement vos propos, qui relèvent du non-sens économique ? Les étrangers ne sont pas responsables du chômage de notre pays. Je ne ferai pas l’insulte de rappeler à l’ancien haut fonctionnaire que vous êtes que, depuis Keynes, on sait que le chômage peut être structurel en cas de mauvaise adaptation du marché du travail aux besoins des acteurs économiques et, souvent également, en raison de l’incapacité des gouvernants à relancer la croissance par des décisions opportunes. Il n’est qu’à lire le récent rapport de la Cour des comptes sur la crise et la situation de la France au regard de celle de ses voisins.
Je me doute que vous ne cherchiez pas à établir une démonstration économique mais que votre principal objectif est politique : essayer de séduire un électorat qui vous fait défaut. Nous savons tous d’où vient la formule « 3 millions d’étrangers, 3 millions de chômeurs ». Reste que cet électorat attend des réponses à des demandes sociales et non un énième discours anti-migration dont il connaît l’inefficacité.
Votre idéologie vous aveugle au point que vous proposez des solutions contre-productives à ce qui ne devient un problème que sous votre action.
Cela est d’autant plus dramatique que cette politique migratoire brouillonne entrave la lisibilité de l’action de la France à l’étranger et, spécifiquement, dans les pays de la rive sud de la Méditerranée. Vous ne pouvez, dans un même mouvement, souhaiter affermir l’Union pour la Méditerranée et fermer les frontières, affirmer l’unité de destin des peuples méditerranéens et recuser le droit de certains peuples de se déplacer. Cette schizophrénie, à l’heure où les pays arabes connaissent un réel essor démocratique, contribue à affaiblir l’image et la portée de la voix de la France auprès de ces peuples. C’est à juste titre que notre pays est accusé de double langage.
Il est désormais prouvé que c’est en favorisant les migrations périodiques – ce qui suppose un contrôle raisonné des frontières – que l’on parvient à avoir une immigration temporaire, dont le pays peut bénéficier économiquement. Pourquoi alors nous proposer une sixième loi sur l’immigration allant encore dans le même sens, vers le mur.
La philosophie qui vous anime n’est perturbée ni par les revers électoraux, ni par les faits, il faut continuer à vilipender l’immigration responsable de tous les maux. Quand donc allez-vous comprendre que vous faites fausse route et que, pour nos concitoyens, l’adversaire n’est ni le migrant ni le musulman, mais le déclassement, voire la misère ?
Vous peignez l’image d’une France qui reçoit chaque année un des nombres de demandes d’asiles les plus forts et que, dans ces circonstances, nous sommes toujours une terre d’accueil. Mais vous savez, comme nous, que ces chiffres sont inexacts. Concernant les demandes, nous sommes effectivement parmi les premiers. Toutefois, ce n’est plus le cas en termes d’accueil, ce qui sous-tend que nous refusons beaucoup de dossiers et même beaucoup trop pour un pays qui se targue d’être la patrie des droits de l’homme.
Nous ne pourrons pas voter un texte qui nie nos valeurs et nos engagements et qui refuse, par idéologie, d’assumer la réalité des faits. Nous le combattrons donc de nouveau, dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, qui nous réunit aujourd’hui, se produit dans un climat particulier, sur lequel je souhaite tout d’abord revenir.
Ce texte, fruit d’une initiative de M. Éric Besson, lorsqu’il exerçait ses fonctions au ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale – ministère qui a aujourd’hui disparu et je m’en réjouis –, avait déjà soulevé en première lecture le mécontentement du Sénat, lequel avait fait en sorte de l’améliorer. Une partie des atteintes, liberticides, contenues dans le texte initial, telles que celles qui avaient été faites au droit au séjour des étrangers malades, ou encore celles qui étaient relatives à l’extension de déchéance de la nationalité française, avaient pu être supprimées au cours de nos débats.
Malheureusement, comme cela arrive de plus en plus souvent, les députés ont de nouveau durci le texte et notre commission a, en partie, rétabli dans sa version plus progressiste celle qui était issue de la première lecture au Sénat.
Monsieur le ministre, les débats en présence de votre prédécesseur, M. Brice Hortefeux, avaient déjà pâti du manque de considération que ce texte témoigne à nos étrangers, et au respect de leurs droits les plus fondamentaux.
Cependant, je m’inquiète de la tournure que nos échanges pourront prendre au regard du contexte nauséabond et xénophobe qui règne à ce sujet depuis plusieurs semaines.
Monsieur le ministre, vous présentez et défendez aujourd’hui ce projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration alors que les propos que vous avez tenus ces derniers jours n’ont eu de cesse de choquer, jusqu’au sein même de votre majorité.
Je m’interroge en effet sur la crédibilité que vous avez, monsieur le ministre, à défendre un projet de loi relatif à l’immigration alors que vous déclariez le 17 mars dernier que « les Français, à force d’immigration incontrôlée, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, de voir des pratiques qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale » et que « les Français veulent que la France reste la France ».
Ces déclarations n’ont pas manqué de faire réagir, jusqu’à Marine Le Pen, qui a indiqué avoir souhaité vous faire délivrer « une carte d’adhérent de prestige » au Front national. Vous tentez, en effet, monsieur le ministre, de faire de la récupération politique en flirtant avec l’électorat d’extrême droite. Les résultats des dernières élections cantonales l’ont pourtant démontré, loin de rapporter des voix à votre majorité, cette attitude ne fait qu’accroître les scores du Front national.
Dans vos différents discours, vous évoquez également les « franco-musulmans ». Étrange concept, qui ferait de nos concitoyens musulmans une catégorie à part de Français, les stigmatisant une nouvelle fois. Après les Français de souche, les Français de papiers, il y aurait, d’une part, les Français athées, agnostiques, chrétiens, juifs, bouddhistes et, d’autre part, les franco-musulmans. Aussi, je vous le demande, monsieur le ministre, qu’est-ce qui justifie cette incompréhensible dichotomie ?
À ce sujet, la semaine dernière, vous avez également déclaré : « En 1905, il y avait très peu de musulmans en France, aujourd’hui il y en a entre 5 et 6 millions. Cet accroissement du nombre de fidèles et un certain nombre de comportements posent problème. » Selon moi, ce sont ces déclarations qui posent problème.
M. Alain Dufaut. Mais non !
Mme Alima Boumediene-Thiery. J’ai l’impression que vos propos nient l’histoire de France et son épisode colonial, quand plusieurs millions de Français étaient musulmans et pour lesquels avait alors été établi un code de l’indigénat. Je ne suis malheureusement pas la seule à m’indigner puisque, au sein même de votre majorité, on vous a reproché des propos islamophobes.
Le Gouvernement, auquel vous appartenez, a d’ailleurs initié un débat inutile sur la laïcité : « laïcité versus Islam ». Je rappelle que, initialement, ce débat devait porter uniquement sur l’Islam et qu’il n’a pris le titre de « débat sur la laïcité » qu’en fin de parcours. En fait, beaucoup de bruit pour rien ou, plutôt, pour stigmatiser une fois de plus la population musulmane de notre pays. Nous vous avions, à ce sujet, signifié notre désaveu.
Vous vous êtes bien gardé, monsieur le ministre, de déclarer quoi que ce soit à l’issue de ce débat. Mais cela n’était guère utile puisque vous nous aviez déjà donné, à ce moment-là, votre vision de la laïcité : « les agents des services publics, évidemment, ne doivent pas porter de signes religieux, manifester une quelconque préférence religieuse » mais « les usagers du service public ne le doivent pas non plus. » Vous proposez ici une bien étrange application de la loi de 1905. Même un député UMP, M. Jean-Pierre Grand, vous a invité, jeudi dernier, à « arrêter de dire n’importe quoi » et à cesser ces propos qui, selon lui, n’ont « rien à voir avec la laïcité mais qui relèvent de l’Inquisition. »
Dès lors, quelle crédibilité avez-vous à défendre aujourd’hui ce texte relatif à l’immigration, dans ce contexte où même les membres de la majorité critiquent, à juste titre, vos interventions, si hasardeuses lorsque vous créez de nouvelles peurs et même des suspicions ?
Vous avez employé le terme « croisade » pour qualifier l’intervention de la France en Libye. Ce n’est pas hors sujet, c’est, au contraire, révélateur.
Par ailleurs, et avant même d’aborder plus en détail le texte qui nous réunit, je dirai également quelques mots sur l’entrée en application, hier, de la loi anti-burqa. Lorsqu’il s’agissait ici même, devant notre assemblée, d’en débattre, nous nous étions, évidemment, au nom des droits de la femme, opposés au port du voile intégral, qui porte les germes de l’exclusion de la femme et de son enfermement physique et psychique. Mais je refusais, déjà à ce moment-là, l’instrumentalisation de cette situation et la stigmatisation qui en découlait.
L’amalgame est rapidement fait avec l’immigration et les étrangers, que vous tentez, monsieur le ministre, d’accuser de tous les maux, engendrant ainsi une suspicion permanente.
Enfin, vous avez également fait part de votre intention de diminuer l’immigration légale, familiale ou salariale. Or, au sein du projet de loi relatif à l’immigration, dont nous allons débattre aujourd’hui, aucune disposition ne consiste pourtant à renforcer les conditions de délivrance des visas de long séjour « conjoint de Français » ou les conditions de regroupement familial. Aucune disposition non plus ne tend à modifier les conditions de délivrance d’un visa de long séjour portant la mention « salarié », ou du titre de séjour temporaire « salarié ».
Dès lors, je m’interroge sur la façon dont vont, dans la pratique, être mises en place vos consignes de diminution de cette immigration légale. Cela signifie-t-il que l’Office Français de l’immigration et de l’intégration et les préfets recevront des consignes, par voie de circulaires, pour diminuer le nombre des regroupements familiaux, y compris pour les dossiers qui répondent pourtant aux conditions légales de ressources et de logement ? Est-ce encore l’arbitraire qui va présider, via une application excessive de la notion floue de « conformité aux principes de la République » ? S’agissant de l’immigration salariale, des consignes similaires seront-elles adressées aux directions départementales de l’emploi et de la formation professionnelle ? Dans les deux cas, allez-vous inviter nos consulats à délivrer moins de visas de long séjour, dans le manque de transparence le plus total ? Si vous décidez, finalement, de recourir au législateur, serons-nous, dans ce cas, amenés à étudier un nouveau et énième projet de loi relatif à l’immigration, alors que l’étude de celui qui nous est aujourd’hui soumis n’est pas encore achevée ?
Tout cela est inquiétant, monsieur le ministre, tout comme ce projet de loi qui, sous le prétexte de transposer des directives communautaires et de mettre la France en conformité avec le droit européen, s’en prend à toutes les branches du droit des étrangers. Ainsi, la mise en place de zones d’attente porte gravement atteinte aux droits des demandeurs d’asile et à ceux des personnes détenues. Ce projet s’en prend également aux droits à une défense effective, au travers de plusieurs dispositions en matière de procédure et de contentieux de l’éloignement.
Par ailleurs, il stigmatise les couples dits « mixtes », en créant une présomption d’escroquerie aux sentiments, qui ne pèse que sur la personne étrangère, suspectée d’épouser un Français uniquement pour obtenir un titre de séjour ou la nationalité française. Au chapitre des suspicions, après le faux étudiant, le faux malade, apparaît ce concept immonde de « mariage gris », contraire à l’article 1er de notre Constitution, qui assure l’égalité de tous devant la loi.
Ensuite, vous réduisez de manière importante les garanties procédurales en vue de faciliter l’éloignement des étrangers « indésirables », au mépris du respect de leurs droits fondamentaux et des libertés individuelles.
Enfin, surtout, vous créez également une véritable mesure de bannissement : l’interdiction de retour sur le territoire, qui a vocation à s’appliquer à tout étranger expulsé et qui sera quasiment impossible à contester.
Nous, les sénatrices et sénateurs écologistes sommes bien sûr indignés par de telles dispositions et nous refuserons de cautionner les atteintes à l’état de droit que comporte ce projet de loi qui criminalise, enferme, bannit, éloigne les étrangers. Nous voterons évidemment contre ce texte anticonstitutionnel, anticonventionnel, qui méprise les droits fondamentaux, dont la liberté de circuler et le droit à la vie familiale, ce qui est pourtant reconnu dans le droit international. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jacques Mézard applaudissent également.)