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Renvoi pour avis
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 361, 2010-2011), dont la commission des affaires sociales est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
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Urbanisme commercial
Discussion d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à l’urbanisme commercial (proposition n° 558 [2009-2010], texte de la commission n° 181, rapport n° 180).
Demande de réserve
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Pour faciliter le déroulement de nos débats lors de l’examen des amendements, je suis conduit à demander la réserve de l’examen de deux séries d’amendements.
Premièrement, je souhaite réserver la discussion des amendements nos 4, 5, 2 et 3, qui traitent des critères de saisine des commissions départementales d’aménagement commercial, les CDAC.
Cette question est secondaire par rapport à celle, plus fondamentale, de savoir s’il faut conserver les CDAC ou les remplacer par les CRAC, les commissions régionales d’aménagement commercial, comme le prévoit l’article 5 de la présente proposition de loi.
En outre, si nous choisissons de créer les CRAC, la disparition des CDAC sera entérinée à l’article 8 et il n’y aura alors plus lieu de discuter de leurs critères de saisine.
C’est pourquoi je propose de réserver la discussion de ces quatre amendements après l’article 8.
Deuxièmement, je demande la réserve de la discussion des amendements nos 43, 103, 55, 59, 41, 60, ainsi que l’amendement que la commission vient d’adopter qui tendent à modifier l’article 2 relatif à la commission régionale d’aménagement commercial. Il me paraît plus opportun d’en discuter après l’article 5 qui traite, quant à lui, de la commission régionale d’aménagement commercial, laquelle aura à délibérer sur les permis de construire pendant la période transitoire, dans l’attente de l’entrée en vigueur du document d’aménagement commercial.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Avis favorable, madame la présidente.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis plus de trente ans, nombreux sont les législateurs et les ministres à avoir tenté de résoudre l’éternel problème de l’urbanisme commercial. Les lois se sont succédé sans pour autant trouver le bon équilibre entre les grandes surfaces et les petits commerces, entre le centre-ville et la périphérie. Le résultat de ces décennies de législation doit tous nous inciter à la modestie.
Le sujet est complexe compte tenu, comme toujours dans le domaine de l’urbanisme, de la diversité des situations locales. Nous ne devons pas juger la situation du territoire national à l’aune de la réalité des territoires que nous connaissons et de notre expérience d’élus. Tous les maires, quelles que soient les villes dont ils sont les représentants, peuvent dresser le même constat de la multiplication des supermarchés en périphérie et des difficultés d’installation ou de maintien en centre-ville du commerce de proximité. Nous avons tous vu s’implanter des « boîtes à sardines », qui défigurent nos entrées de villes, et fermer des petits commerces dans les centres.
De ce point de vue, nous ne pouvons pas dire que la loi de modernisation de l’économie ait permis une meilleure cohérence urbaine. L’objet de ce texte n’était d’ailleurs pas urbanistique ; il était avant tout économique et commercial. Cette loi a permis d’accroître la concurrence et, comme l’a récemment souligné l’association UFC-Que Choisir, de faire baisser les prix, ce qui était une finalité au regard de la question du pouvoir d’achat.
M. Claude Bérit-Débat. Une question sensible !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. L’aménagement d’un territoire ne peut cependant dépendre de seuls objectifs économiques. Le traitement du commerce comme un secteur « à part » en matière d’urbanisme, nécessitant des autorisations « à part » et des discussions « à part », pose de nombreux problèmes. Les équipements commerciaux sont de grands consommateurs de foncier périurbain, ils génèrent des déplacements importants et sont le plus souvent mal intégrés à leur environnement immédiat.
Il ne s’agit pas uniquement de questions d’architecture ou de plantations paysagères : au-delà de ces deux questions, réelles, la cohérence entre les politiques de transport, d’activité, d’habitat ou encore de commerce est un enjeu majeur. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est favorable au principe qui guide la présente proposition de loi, à savoir le transfert du code de commerce au code de l’urbanisme des autorisations d’ouverture commerciale. Cette mesure devrait permettre aux élus de mieux appréhender la construction de leur territoire dans leurs documents d’urbanisme en intégrant l’ensemble des politiques menées par une ville et que je viens de citer. Bref, les élus doivent disposer dans leurs documents d’urbanisme de l’ensemble des outils qui « font » la ville.
L’état actuel du droit laisse au maire des marges de manœuvre, mais cela n’est pas suffisant. C’est pourquoi nous souhaitons de ce point de vue procéder à une réorganisation, de concert avec le rapporteur Dominique Braye et son homologue de l’Assemblée nationale, Michel Piron.
Là encore, en fonction des situations locales, les cohérences et les impératifs diffèrent.
Prenons l’exemple de Châlons-en-Champagne où je suis élu. Dans cette ville de 65 000 habitants, nous faisons face à une double problématique : l’équilibre entre le centre-ville et la périphérie – préoccupation commune à l’ensemble des territoires – et, sur la zone de chalandise globale de cette commune, le risque d’évasion commerciale vers d’autres territoires urbains, notamment la ville de Reims qui est située à quarante kilomètres. Nous devons par conséquent développer la périphérie de cette commune pour éviter une évasion commerciale plus lointaine, mais également, en parallèle, maintenir un équilibre entre la périphérie et le centre-ville.
Je prends cet exemple pour ne pas circonscrire le débat à la seule concurrence entre la périphérie et le centre-ville. La problématique est évidemment beaucoup plus complexe que cela : en effet, si nous souhaitons conserver une attractivité territoriale dans certains territoires où existent des phénomènes de « concurrences urbaines », nous devons aussi participer au développement des périphéries.
Par ailleurs, dans l’état actuel du droit, les élus, notamment les maires, disposent d’outils très importants. C’est essentiellement le projet urbain qui permet de tenter d’équilibrer le territoire.
Je cite de nouveau l’exemple de Châlons-en-Champagne. Lorsque nous avons été confrontés à cette question de la concurrence entre le centre-ville, la périphérie et les autres périphéries urbaines, nous avons souhaité mener une action très dynamique en centre-ville, en créant un centre commercial à ciel ouvert, afin de redynamiser le tissu commercial dans cette zone.
Des actions similaires ont été menées par d’autres élus, parmi lesquels figure l’un des auteurs de la présente proposition de loi devenu aujourd’hui ministre des relations avec le Parlement : ce dernier utilise très régulièrement le droit de préemption urbain, dont il a d’ailleurs demandé le renforcement dans le cadre du texte que nous examinons, afin d’organiser le commerce en centre-ville et d’éviter un autre déséquilibre fréquemment observé dans ces zones : la séparation entre le commerce réel d’un coté, et le développement de services de l’autre.
Renforcer les documents d’urbanisme permettra donc d’asseoir les pouvoirs du maire sur une réalité tangible, et le Gouvernement partage pleinement ce souhait du législateur, et plus globalement des élus.
En intégrant l’ensemble des données commerciales dans le code de l’urbanisme, le texte que nous étudions ce soir va dans ce sens. Il s’agit d’une avancée majeure. Selon le Gouvernement, seules des règles d’urbanisme, et non des éléments de nature économique, doivent guider nos choix.
Quelle contradiction devons-nous gérer aujourd’hui ?
D’un coté, il existe un droit commercial lié à la loi de modernisation de l’économie, qui prévoit que l’autorisation commerciale d’ouverture est soumise à l’autorisation de la commission départementale d’aménagement commercial, ou CDAC, avec une possibilité de recours devant la commission nationale d’aménagement commercial, ou CNAC.
De l’autre coté, il existe une autorisation d’urbanisme classique : le permis de construire.
L’objet du présent texte est de transférer l’ensemble des règles concernant les autorisations commerciales dans le seul droit de l’urbanisme.
Je vous rappelle cependant que les règles du droit de l’urbanisme, notamment celles qui sont relatives au permis de construire, résultent d’une décision non pas d’opportunité, mais de conformité.
D’autre part, un document d’urbanisme ne doit pas intégrer des choix économiques ou commerciaux, mais doit être régi par les seules règles d’urbanisme.
Autrement dit, les règles d’urbanisme consistent à autoriser les implantations là où existe une desserte en transport, à les éviter là où sont situées les meilleures terres agricoles du secteur – solution qui, j’en suis sûr, sera accueillie favorablement par la Haute assemblée –, à définir un nombre de places de parking, des voies d’accès, etc.
Tels sont les critères sur lesquels doivent, à mon sens, reposer les autorisations d’urbanisme.
De ce point de vue, j’imagine que chacun – notamment le président de la commission et le rapporteur avec qui j’ai souvent abordé la question – aura compris le sens de notre démarche : pour le Gouvernement, l’introduction d’une typologie soulève un problème. Sur la base de quels éléments peut-on définir si des commerces offrant des équipements de la maison sont nécessaires à tel endroit et si des commerces d’alimentation sont indispensables à tel autre ? Cela ne revient-il pas à introduire dans des documents d’urbanisme des questions économiques et commerciales ?
Je sais qu’il s’agit d’un point de désaccord avec M. le rapporteur. La discussion nous permettra, je l’espère, d’aboutir à un consensus sur ce sujet, même si j’ai le pressentiment que cela ne sera pas aisé.
M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Vous êtes bien renseigné !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Nous aurons évidemment l’occasion d’en discuter de nouveau lors de l’examen des amendements, aussi ne m’attarderai-je pas sur ce sujet dans l’immédiat.
Une autre question importante concerne les surfaces. Lors de la discussion de la loi de modernisation de l’économie, ou loi LME, les débats portant sur les seuils de surface à définir – 300, 500, 1 000 mètres carrés – ont été particulièrement longs. Je sais que de nombreux amendements déposés par des membres de la Haute Assemblée visent à revenir au seuil de 300 mètres carrés ou à retenir le seuil de 500 mètres carrés de surface de vente.
Sur ce point, je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que dans la présente proposition de loi, le seuil de 1 000 mètres carrés de surface de vente cède la place à un seuil correspondant à une notion d’urbanisme, à savoir 1 000 mètres carrés de surface hors œuvre nette, ou SHON. Globalement, cette mesure a pour effet de diminuer la surface de vente.
En outre, il paraît impossible au Gouvernement de revenir aux seuils de 300 ou 500 mètres carrés sans rompre tout l’équilibre existant et encourir la censure de Bruxelles. Si l’on veut y encourager l’implantation de commerces, il faut donner de la souplesse aux centres-villes en matière d’urbanisme. C’est tout le sens de ce texte.
Par ailleurs, un schéma de cohérence territoriale, ou SCOT, n’est probablement pas la bonne échelle pour apprécier l’impact d’une petite construction ; les permis de construire classiques bien instruits suffisent en la matière.
Permettez-moi d’évoquer à présent un autre sujet sur lequel nous avons un désaccord : celui de la période transitoire entre aujourd’hui et l’application de la future loi. Le Gouvernement vous proposera donc quelques modifications par rapport au texte adopté par la commission.
Selon le Gouvernement, tant que les documents d’urbanisme n’ont pas été élaborés et adoptés – deux à trois ans sont nécessaires pour élaborer un document d’aménagement commercial, ou DAC –, le droit positif actuel issu de la loi LME doit continuer à s’appliquer.
Je ne suis pas convaincu, en termes de simplicité et de lisibilité de notre droit, qu’il soit judicieux de faire se succéder une période pendant laquelle les dispositions de la LME seraient applicables, puis une période transitoire pendant laquelle une nouvelle règle aurait cours, et enfin, deux ou trois ans plus tard, une période définitive correspondant à une troisième règle.
Il me semble que la succession de ces trois systèmes, en si peu de temps, serait source d’instabilité. Nous aurons tout loisir d’en discuter dans quelques instants.
Au-delà de ces quelques désaccords, nous devrons évidemment essayer de définir ensemble le bon équilibre, même si le sujet est délicat, au point d’avoir occupé pendant de nombreuses heures le Parlement et le Gouvernement depuis de très nombreuses années. Il nous appartient de trouver une solution équilibrée.
Pour conclure, je tiens à saluer le travail de la commission et de son président, Jean-Paul Emorine. Nous avons travaillé ensemble à de nombreuses reprises sur ce sujet.
Je remercie également, vivement et sincèrement, votre rapporteur, Dominique Braye : après des heures d’auditions, de consultations, de confrontations même, il vous propose aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, de nouvelles solutions pour l’urbanisme commercial. Il n’a pas hésité à traverser les frontières, avec son homologue Michel Piron de l’Assemblée nationale, pour rencontrer la direction générale compétente à Bruxelles et vérifier si le présent texte était compatible avec le droit communautaire.
Je note également les très forts liens qui ont uni les rapporteurs des deux chambres pour tenter d’élaborer un texte ensemble. Je ne vous cache pas que cette entente s’est souvent faite au détriment du Gouvernement,… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau. Cela arrive !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. … mais c’est tout à l’honneur du Parlement, investi de nouvelles prérogatives par la réforme constitutionnelle que nous avons adoptée ensemble et qui renforce ses pouvoirs, que d’user de sa liberté.
Malgré un travail acharné donc, le Gouvernement et la commission ne sont pas parvenus à un accord, fait rare. Ce n’est pas un drame ! Nous tenterons de trouver des voies d’accord au cours de la discussion qui va s’engager. Quoi qu’il en soit, le vote de la Haute assemblée s’imposera, en tout état de cause, à tous.
M. Roland Courteau. Heureusement !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Je vous le répète, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite fondamentalement que l’urbanisme commercial intègre les documents d’urbanisme.
Mais au-delà de la question de l’urbanisme commercial, tout le travail entrepris par le Gouvernement et par les groupes que nous avons constitués avec des représentants de la Haute Assemblée consacré à « l’urbanisme de projet » repose sur l’idée suivante : la France ne peut plus continuer à avoir des urbanismes sectoriels.
En effet, l’habitat est traité dans un cadre spécifique, celui du projet local de l’habitat, ou PLH, tandis que le transport est abordé dans le cadre du plan de déplacement. Le commerce, élément fondamental de la vie de la cité, fait lui l’objet d’un traitement séparé. Ces dispositifs sectoriels coexistent avec un document d’urbanisme, le PLU, le plan local d’urbanisme, ou le SCOT, qui essaie vaguement d’assurer la coordination.
Il nous faut modifier cette situation. Le Gouvernement a commencé cette réforme avec le Grenelle de l’environnement et il poursuit aujourd’hui. D’autres débats concernant les documents d’urbanisme auront lieu devant la Haute Assemblée. Je pense notamment à celui portant sur la superficie pertinente pour organiser les territoires. Sur ce sujet essentiel nous devrons, ensemble, travailler de nouveau.
En conclusion, je vous rappelle la conviction qui guide le Gouvernement dans la présente réforme : l’urbanisme commercial doit devenir une composante essentielle du droit de l’urbanisme. Il nous appartient de définir le bon équilibre pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre incapacité collective, au cours des trente dernières années, à penser de manière cohérente la place du commerce sur nos territoires a produit, reconnaissons-le, un désastre en termes d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
Laideur des entrées de villes, qualifiées à l’étranger « d’entrées de villes à la française », localisations périphériques qui gaspillent le foncier et créent des obligations de déplacement coûteuses et polluantes : les manifestations de ces catastrophes sont nombreuses, mais la pire d’entre elles est certainement la situation de nos petites et moyennes villes, dont le centre se vide de son animation, de façon inexorable au profit des zones périphériques.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Dominique Braye, rapporteur. La difficulté à réaliser une intégration harmonieuse du commerce sur nos territoires, ancienne, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, et l’incapacité que nous avons eue à résoudre ce problème doivent certes, comme vous le préconisez, nous pousser à rester modestes, mais doivent surtout nous contraindre à faire enfin preuve de volonté et de détermination, et à refuser les demi-mesures pour régler ce problème de société qui dégrade profondément la qualité de vie dans un très grand nombre de nos villes, petites et moyennes.
Le texte adopté au mois de décembre dernier par la commission de l’économie peut devenir l’outil dont nous avons besoin pour bâtir enfin une politique de régulation des implantations commerciales ambitieuse, novatrice et efficace. Il y a urgence, et je ne crois pas que le Sénat soit prêt à adopter un texte que l’on aurait vidé de sa substance et qui ne serait pas à la hauteur des enjeux !
Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi la France, qui se targuait autrefois, à défaut de pétrole, d’avoir des idées, serait-elle incapable de régler un problème que de très nombreux pays européens ont résolu depuis fort longtemps ? Allez donc au Danemark ou dans d’autres pays du Nord et vous verrez ce que sont des villes où il fait bon vivre, où l’on peut se déplacer en vélo même quand il pleut et où les commerces, les bureaux et l’habitat ne sont pas séparés.
Je dirai quelques mots pour présenter brièvement la philosophie et le contenu du texte en discussion ce soir.
Il faut avant tout être conscient que le respect du droit européen impose désormais d’abandonner les objectifs de nature économique. Vous le constatez, monsieur le secrétaire d’État, nous trouvons des points d’accord. On ne peut plus aujourd’hui restreindre les implantations commerciales sur la base de « tests économiques » cherchant à apprécier l’impact sur le commerce de l’arrivée de nouveaux concurrents. Il n’est plus possible non plus de discriminer les commerces selon leur format ou leur « concept ». Seules les exigences relevant de l’aménagement du territoire sont recevables.
Encore faut-il que les restrictions à la liberté d’implantation imposées au nom de ces exigences soient non discriminatoires et qu’elles restent proportionnées aux objectifs recherchés. La Commission européenne, qui suit ce dossier de près, sera très sourcilleuse sur toutes ces questions, notamment celle des seuils de surface, mais j’y reviendrai.
En cohérence avec son souci de fonder l’urbanisme commercial exclusivement sur des exigences d’aménagement du territoire et d’urbanisme, la présente proposition de loi réalise l’intégration de l’urbanisme commercial dans le droit commun de l’urbanisme. Désormais, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, une seule autorisation d’urbanisme – le permis de construire, le permis d’aménager ou la déclaration préalable selon la nature du projet – sera nécessaire. Cela permettra une simplification et donc une accélération des procédures d’autorisation.
Pour réaliser cette intégration, le texte s’appuie sur les schémas de cohérence territoriale. Ces derniers devront être complétés dans un délai de trois ans par un document d’aménagement commercial, le DAC, qui sera le volet « commerce » du SCOT. La disposition votée dans le Grenelle de l’environnement, sur l’initiative du président Emorine, qui tend à généraliser les SCOT sur l’ensemble du territoire national, devrait permettre à terme à tous les territoires de disposer d’un outil d’aménagement commercial.
À travers le DAC, le SCOT définira tout d’abord quels sont les objectifs d’aménagement du territoire avec lesquels les implantations commerciales devront être compatibles.
Le DAC délimitera ensuite précisément des secteurs d’implantation.
Dans les centralités urbaines, les implantations, quelle que soit leur surface, seront réglementées par le plan local d’urbanisme sans que le SCOT puisse imposer des prescriptions ou des limitations. En un mot, dans les centralités urbaines ou de quartier, que vous aurez délimitées, mes chers collègues, les installations seront complètement libres, à condition de respecter les règles d’urbanisme. Dans les secteurs périphériques, les implantations commerciales de grande taille pourront être autorisées par le DAC seulement sous réserve de respecter les conditions fixées par ce document. Partout ailleurs, les implantations de plus de mille mètres carrés seront interdites.
Les règles fixées par le DAC s’imposeront ensuite aux demandes d’autorisations individuelles. Lorsqu’il existera un PLU compatible avec le document d’aménagement commercial, le permis de construire sera délivré en conformité avec ce plan. En l’absence de PLU, ou bien s’il existe un PLU qui n’a pas encore été rendu compatible avec le document d’aménagement commercial, celui-ci sera directement opposable aux demandes d’autorisations individuelles. C’est ce cas de figure qui impose, chère Valérie Létard – je le dis pour anticiper la discussion qui aura lieu lors de l’examen des amendements –, que le DAC soit suffisamment précis, notamment dans son zonage. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Enfin, dans la période transitoire au cours de laquelle les DAC seront élaborés, des commissions régionales d’aménagement commercial, les CRAC, devraient donner leur accord préalable à la délivrance des permis de construire pour les implantations de plus de mille mètres carrés. Les critères de décisions de ces CRAC, majoritairement composées d’élus, seront plus stricts que ceux des actuelles CDAC.
Voilà, à grands traits, la logique de ce texte, qui introduit un bouleversement assez profond dans le contrôle des implantations commerciales – la situation dans notre pays le justifie – et qui a un impact fort sur les relations entre les documents d’urbanisme et les procédures de délivrance des autorisations individuelles.
Je veux maintenant dire quelques mots afin de préciser les grands principes qui guideront mes prises de position sur les deux principaux enjeux du texte dont nous allons débattre.
Premier enjeu : le régime de transition. Dans l’attente de la généralisation des DAC, le Gouvernement souhaiterait prolonger les actuelles CDAC plutôt que de créer les CRAC. Or, depuis l’adoption de la loi de modernisation de l’économie, voilà un plus de deux ans, on a vu que plus de 4 millions de mètres carrés d’implantations commerciales ont été autorisés en 2009 et plus de 4,1 millions de mètres carrés en 2010. Ce constat nous impose d’intervenir rapidement. C’est notamment la raison pour laquelle la commission de l’économie estime que la prolongation des CDAC présente des inconvénients majeurs.
En premier lieu, je le rappelle, le principe fondamental du présent texte est d’intégrer l’urbanisme commercial dans le droit de l’urbanisme. Or le maintien des CDAC reviendrait à conserver, pour de nombreuses années encore, la dichotomie entre code de commerce et code de l’urbanisme. Vous avez là le contraire de ce que vous m’avez dit, monsieur le secrétaire d’État. Où est la cohérence de ce texte dont vous avez parlé dans votre intervention si, d’un côté, on claironne qu’il est nécessaire d’intégrer l’urbanisme commercial dans le droit de l’urbanisme et que, de l’autre, on maintient encore pendant au moins cinq ans un régime basé sur le commerce et l’économie et qui, tout le monde le reconnaît, est à bout de souffle ?
M. Dominique Braye, rapporteur. En deuxième lieu, il faut noter que les élus locaux ont beaucoup moins d’influence avec le régime des CDAC qu’avec celui des CRAC. Nous savons que les décisions des CDAC sont maintenant systématiquement contestées en appel devant la CNAC, qui est devenue, selon l’expression totalement banalisée, une véritable « machine à dire oui ».
M. Gérard Cornu. Très bien !
M. Dominique Braye, rapporteur. Il est vrai que les élus ne sont pas représentés en tant que tels dans cette instance. La connaissance des réalités locales de celle-ci est donc forcément très limitée.
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Dominique Braye, rapporteur. Dans les CRAC, en revanche, les élus locaux seront majoritaires pour décider de l’avenir de leurs territoires. Leurs décisions pourront bien sûr être contestées par un juge, mais pas, comme c’est le cas avec la CNAC, par des fonctionnaires ou des personnalités qualifiées sans légitimité élective ni connaissance suffisante des territoires sur lesquels ils ont à se prononcer.
Enfin, les critères de décision des CRAC seront plus stricts que ceux des actuels CDAC. Faire le choix des CRAC, plutôt que des CDAC, c’est donc faire le choix d’un régime transitoire qui ne remet pas à demain la solution des problèmes. Voilà qui évitera d’avoir encore quatre à cinq millions de mètres carrés d’implantations commerciales par an, soit vingt millions de mètres carrés dans les cinq prochaines années. Je tiens à le préciser, parce que cet aspect est important.
Je vais vous donner un exemple. Hier, je suis intervenu lors d’une conférence organisée par l’Institut pour la ville et le commerce. Nous avons constaté que les surfaces commerciales avaient considérablement augmenté ces dix dernières années – de près de 40 % – pendant que les dépenses des ménages progressaient, elles, de 10 % à 15 %. Or certaines enseignes sur les 240 que regroupe Procos, la fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé, je pense à Bricorama – je cite cette marque, bien que je ne sache pas si j’en ai le droit –, ont vu leur chiffre d’affaires stagner depuis dix ans, alors que le nombre d’unités commerciales a considérablement augmenté. En conséquence, les bénéfices de chaque unité ont nettement diminué et certains magasins sont actuellement à la limite de la viabilité économique. Nous voyons donc déjà apparaître des friches commerciales, même dans le secteur du bricolage que tout le monde considérait comme un secteur d’avenir.