M. Claude Bérit-Débat. Cela ne change rien !
M. Dominique Braye, rapporteur. Deuxième gros enjeu de nos débats : la question de la typologie des secteurs d’activité commerciale.
Je crois utile, pour comprendre pourquoi cette disposition a été intégrée dans le texte, de retracer le cheminement qui m’a conduit à la proposer.
Comme je l’ai déjà indiqué, les implantations commerciales seront autorisées à l’avenir, comme l’a très bien dit M. le secrétaire d’État, par une décision de conformité du permis de construire avec les documents d’urbanisme. « Décision de conformité », cela signifie que le maire devra se borner à vérifier si le projet qui lui est soumis satisfait aux règles objectives des documents d’urbanisme.
Personnellement, cela me convient, mais à une seule condition : les DAC devront disposer d’outils assez forts pour réguler les implantations commerciales. Sans ces capacités prescriptives fortes, les documents d’aménagement commercial ne seront en effet rien d’autre que des machines à délivrer sans réserve des permis de construire et donc des autorisations d’implantations de commerce. Si nous devions remplacer les CDAC et la CNAC par des DAC du même acabit, l’opération n’aurait aucun intérêt. Je dirai même qu’elle serait plus nuisible que le système actuel dans lequel les élus ont encore un peu la possibilité de se prononcer à travers les CDAC.
En effet, les CDAC, malgré toutes les critiques dont elles font l’objet, restent un lieu qui permet aux élus d’exprimer leurs opinions sur les implantations commerciales et, le cas échéant, de s’opposer à celles qu’ils jugent néfastes pour la structuration de leur territoire. La disparition des CDAC ne doit donc pas se faire sans avoir la garantie que les élus locaux gagneront avec le nouveau régime un meilleur pouvoir de régulation.
Or, après avoir étudié longuement le texte voté par les députés en première lecture, et en accord avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, j’ai bien dû constater que rien, absolument rien, dans la boîte à outils du DAC, ne lui permettait de renforcer le pouvoir de contrôle des élus et d’empêcher la poursuite de la dévitalisation des centres-villes. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé à la commission de l’économie d’encadrer les conditions susceptibles d’être fixées par le DAC. Cet encadrement ne pouvait, si l’on y réfléchit, se faire que selon deux voies.
La première est celle de l’abaissement des seuils de surface. La commission de l’économie a partiellement suivi ce chemin en exprimant, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État – vous voyez que nous avons de nombreux points d’accord –, ces seuils en SHON plutôt qu’en surface de vente, ce qui correspond à une baisse des seuils de 20 % environ.
Je n’ai pas proposé à la commission d’aller plus loin dans cette direction pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, s’il suffisait d’abaisser les seuils pour réguler efficacement les implantations commerciales, cela se saurait. Nous avions des seuils de 300 mètres carrés avant 2008 et notre urbanisme commercial n’en est pas moins dans un état déplorable. Je pense donc que la régulation par les seuils est dans l’ensemble peu efficace.
Ensuite, un abaissement excessif des seuils est contraire au droit européen. Revenir à des seuils de 300 mètres carrés ou de 500 mètres carrés, ce serait clairement, pour l’Europe, franchir la ligne jaune.
Enfin, le relèvement des seuils par la loi LME n’a pas eu que des effets négatifs, au moins pour les centres-villes, chère Élisabeth Lamure. Nous connaissons tous des exemples d’implantations commerciales de moyenne surface en centre-ville qui sont devenues de véritables petites locomotives, continuant ainsi à animer des secteurs urbains qui avaient tendance à péricliter.
Compte tenu des limites inhérentes à la régulation par les seuils de surface, j’ai souhaité proposer une voie alternative, plus novatrice, en l’occurrence une régulation des implantations sur la base d’une typologie des secteurs d’activité commerciale.
Le texte adopté par la commission prévoit que le DAC pourra poser, dans les secteurs périphériques, des règles de localisation différentes selon la catégorie de commerce considérée : alimentation, équipement de la personne, équipement de la maison, loisir-culture. Cet outil permettra aux élus de réserver ou de limiter les secteurs géographiques périphériques aux commerces qui porteraient atteinte à la vitalité des centres-villes.
De toute façon, tout le monde le sait, mes chers collègues, s’installer en périphérie coûte moins cher, car les charges foncières y sont moins importantes, l’accessibilité y est meilleure grâce à la présence de nombreux parkings et les bénéfices sont plus élevés. Ceux qui ne saisiraient pas cette opportunité de s’installer en périphérie seraient donc de très mauvais entrepreneurs. En l’acceptant, ils sont dans leur rôle. Le nôtre, c’est de réguler. En effet, la finalité n’est pas de favoriser le bénéfice de ces commerçants, même s’il doit exister, mais d’éviter que leur activité ne se fasse au détriment des centres-villes.
La disposition en cause, novatrice, a été adoptée à l’unanimité par la commission de l’économie, qui l’a estimée fondamentale.
Cela n’empêche pas certains acteurs, qui voudraient pouvoir continuer à développer de façon totalement anarchique les bâtiments commerciaux, d’émettre à son égard certaines critiques, à mon sens infondées ou exagérées, auxquelles je souhaite répondre.
Certains lui reprochent d’être contraire à la liberté d’établissement. Il y a sur ce sujet beaucoup de confusion. La typologie permet certes, éventuellement, d’interdire l’installation de commerces d’un certain type à tel endroit précis, mais en aucun cas de leur fermer l’accès à la zone de chalandise.
Juridiquement, le seul critère pertinent pour juger du respect de la liberté d’établissement est celui-ci : les contraintes imposées à cette liberté restent-elles proportionnées à l’objectif recherché ? La réponse est sans conteste « oui ».
En effet, l’utilisation de la typologie est purement facultative ; la liberté d’implantation des commerces ne peut être bridée que dans des zones géographiques bien délimitées – les secteurs périphériques déterminés par le DAC – puisque la typologie ne s’applique pas ailleurs ; les contraintes imposées concernent uniquement les commerces d’au moins 1 000 mètres carrés, la typologie ne s’appliquant pas en deçà de ce seuil ; enfin, le renforcement de la régulation en périphérie est compensé par une totale liberté d’implantation dans les centralités urbaines.
La loi concilie donc liberté d’établissement et aménagement du territoire. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, la Commission européenne, consultée sur cette question, n’a pas considéré que la disposition proposée était contraire au droit européen. Elle a même déclaré que le texte qui lui était présenté par Michel Piron, rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, et moi-même était « exemplaire et pouvait servir de modèle à d’autres pays européens ».
Autre élément du débat, le Gouvernement s’inquiète des modalités concrètes de mise en œuvre de cette mesure. Il craint, comme toujours, que certains élus ne détournent la typologie pour en faire un outil de régulation de la concurrence et non d’aménagement du territoire.
On doit rappeler d’abord que rien dans la loi n’autorise les élus à faire la police de la concurrence sur le marché local ni à opérer une discrimination entre les enseignes ou les concepts commerciaux. Le permis de construire, qui sert d’autorisation d’implantation, ne le permet pas.
En outre, il est clair que la typologie n’est pas un outil discrétionnaire. Le DAC devra justifier que les conditions restrictives qu’il pose sont proportionnées aux exigences d’aménagement du territoire qu’il fixe. Le juge y veillera le cas échéant et les SCOT trop malthusiens seront annulés au nom de la liberté de commerce. Des DAC ont d’ores et déjà été annulés en France pour ce motif.
Les travaux préparatoires à l’examen du présent texte montrent sans ambiguïté que le principe qui structure ce dernier est bien de concilier la liberté de commerce et l’aménagement du territoire, et non de subordonner l’un à l’autre. C’est sur ce point fondamental, monsieur le secrétaire d’État, que nos vues divergent avec le Gouvernement. Au nom du pouvoir d’achat de nos concitoyens, au moment où le gaz augmente de 9 %, où les produits de base enregistrent d’importantes hausses de prix, il faudrait laisser les promoteurs commerciaux s’installer où ils veulent, comme ils le souhaitent ; nous pensons pour notre part que la situation dans laquelle se trouve notre pays justifie largement l’instauration d’une certaine régulation.
Avant d’en arriver au contentieux, le texte prévoit cependant plusieurs garde-fous pour empêcher les détournements ou les erreurs de conception des DAC.
Ces garanties sont les suivantes : les commerçants seront associés à l’élaboration de ces documents d’urbanisme, de même, mon cher Gérard Cornu, que les chambres consulaires, qui donneront leur avis, comme le prévoit la procédure normale pour un SCOT ou un PLU. La commission régionale d’aménagement commercial sera consultée pendant l’élaboration du DAC. Il convient d’ajouter le contrôle du préfet avant l’entrée en vigueur du SCOT et des mécanismes de modification simplifiée des DAC qui permettront rapidement de rectifier le tir.
Tous ces arguments montrent que la typologie des secteurs d’activité commerciale constitue un outil à la fois efficace et mesuré.
Je le dis en toute franchise, notamment à vous, monsieur le secrétaire d’État, avec qui j’en ai longuement discuté et avec qui j’entretiens des relations plus que cordiales : si vous êtes en mesure de nous proposer une autre solution qui réponde au problème de l’agonie des centres-villes, nous sommes preneurs ! C’est bien parce que l’implantation commerciale sur notre territoire n’a pas été régulée depuis trente-cinq ans que nous sommes parvenus à une situation aussi anarchique. Restons modestes, mais soyons déterminés et volontaires pour y mettre fin !
Je parle naturellement d’une véritable solution, ce que ne comportent pas les nombreuses propositions que vous nous avez faites jusqu’à ce jour, comme le renforcement du droit de préemption ou la hausse de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, en périphérie, qui sont des outils complémentaires certes intéressants, mais très insuffisants, vous le savez, pour régler la question capitale de la désertification des centres des villes moyennes.
La solution que je préconise n’a sans doute pas que des avantages, mais ne pas la présenter reviendrait, j’en suis persuadé, à faire preuve d’un immobilisme coupable, dont je ne voudrais en aucun cas être coresponsable.
Telle est ma lecture de cette proposition de loi. Je suis convaincu que si l’on ne donne pas au DAC les outils puissants que je vous propose d’adopter – à charge pour les élus de les utiliser à bon escient – l’aménagement du territoire sera une fois de plus, et pour longtemps encore, sacrifié. Dans dix ans, la situation sera toujours la même, faute de nous être dotés des moyens adéquats. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.
M. Jean-Claude Merceron. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le début des années soixante, l’urbanisme commercial a subi une mutation profonde, marquée par deux phénomènes majeurs.
D’une part, le développement du commerce de grande surface a été conforté depuis très longtemps par une forte pression à la baisse sur les prix des produits de consommation courante, notamment dans les secteurs de l’alimentation et de l’habillement.
D’autre part, une conception de l’urbanisme qui consistait à attribuer une fonctionnalité spécifique à chaque quartier de la ville a prévalu. Ce vieux rêve de Le Corbusier, aujourd’hui dépassé, a poussé à la création de zones exclusivement commerciales dans la périphérie des villes.
Succès apparent de cette politique : 70 % du chiffre d’affaires commercial en France est aujourd’hui réalisé en zone périurbaine, contre 30 % en Allemagne.
Mais l’on constate aussi, avec regret, les effets de cette conception irrationnelle de l’urbanisme commercial : dévitalisation de nos centres-villes, érosion des commerces de proximité, implantation anarchique de hangars défigurant le paysage, sans parler des effets sur l’environnement d’une ville dont la séparation entre zones commerciales et zones d’habitation rend indispensable l’usage de la voiture.
Depuis quarante ans se sont donc développées sous nos yeux des « métastases » périurbaines, spécialisées pour les unes dans les commerces de grande surface, et pour les autres dans le logement.
Face à cette situation, nous avons tenté, en vain, depuis la loi Royer et jusqu’à la loi Raffarin de 1996, de contrôler les implantations commerciales.
Mais la tendance s’est inversée, puisque la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a relevé les seuils d’autorisation pour les implantations commerciales, privilégiant ainsi une lecture économique et concurrentielle par rapport à une conception soucieuse d’un aménagement et d’un développement urbains harmonieux et durables.
Le Parlement semble heureusement se réapproprier cette question.
L’excellent rapport du député Charié, décédé depuis lors, dressait un constat à la fois réaliste et accablant de la situation, tout en suggérant des pistes d’amélioration. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs trouvé leur place dans le texte que nous examinons.
L’adoption par le Sénat, à la fin de l’année 2009, de la proposition de loi relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes de notre collègue Jean-Pierre Sueur a en outre permis de souligner la piètre qualité de l’environnement offert par les zones périurbaines. Ce sujet avait ému la Haute Assemblée tout entière.
Je salue aujourd’hui l’initiative du député Patrick Ollier, devenu ministre. Elle doit permettre de redonner à l’urbanisme commercial ses lettres de noblesse.
Le texte qui nous est soumis favorise en effet, par le biais des documents d’aménagement commercial, le développement harmonieux, concerté et prospectif du commerce sur nos territoires, selon des objectifs pertinents : la limitation de l’étalement urbain, la prise en compte des transports collectifs, la diversité commerciale, la revitalisation des centres-villes…
Si ces objectifs sont louables, la proposition de loi issue de l’Assemblée nationale était loin d’être satisfaisante. Je salue donc le travail de la commission, notamment de son rapporteur, notre collègue Dominique Braye, qui a en partie corrigé les insuffisances du texte voté à l’Assemblée nationale.
J’espère encore, monsieur le rapporteur, après la discussion tonique et quelque peu fermée de ce matin en commission, que vous prendrez en considération les propositions des sénateurs centristes.
Dans ce débat sur l’urbanisme commercial, les membres du groupe de l’Union centriste attachent une importance particulière à trois principes majeurs, qui ont dicté les amendements qu’ils ont déposés.
Premièrement, la loi doit être de qualité. Il est inopportun et de toute façon impossible de tout prévoir dans un texte législatif. Plus la loi se perd dans les détails, moins elle est cohérente et applicable en pratique.
À l’inverse, la sécurité juridique, la clarté et, in fine, l’efficacité du texte que nous allons adopter sont essentielles, puisque ce dernier fixe un cadre dans lequel les élus locaux pourront constituer les documents d’aménagement commercial en fonction du contexte local, au terme d’une réflexion qui prendra en compte les besoins des habitants.
Le respect de la liberté des élus locaux est la deuxième valeur que le groupe de l’Union centriste entend défendre.
Respecter les libertés locales est d’autant plus important que l’urbanisme est une compétence essentielle des maires, qu’ils exercent en concertation dans le cadre des intercommunalités. Respecter la liberté de ces élus ne signifie pas pour autant ne rien exiger d’eux. Encore une fois, la loi peut fixer un cadre dans lequel s’exerce cette liberté.
Troisièmement, nous devons nous attacher à poursuivre un aménagement commercial durable. Or ce ne sera le cas que si celui-ci porte sur l’amélioration de l’existant, par opposition à la construction de zones toujours nouvelles, prises sur des espaces naturels et agricoles.
Tant les lois sur le Grenelle de l’environnement que la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche érigent la limitation de la consommation des espaces agricoles en principe de valeur législative. Il est de bon sens que le cadre que nous allons fixer à l’urbanisme commercial réponde à ce même souci.
Cette triple démarche a donc conduit le groupe de l’Union centriste à déposer un certain nombre d’amendements.
Afin d’assurer une perfection juridique au texte que nous allons voter, je vous soumettrai, mes chers collègues, non seulement un amendement rédactionnel, mais aussi des amendements de fond. Je pense en particulier à celui qui tend à ce que les élus fixent les conditions ou prescriptions d’urbanisme dans les zones périurbaines. C’est une condition de l’opposabilité, c’est-à-dire de la portée réglementaire du document d’aménagement commercial.
Si cette proposition n’était pas adoptée, le DAC connaîtrait sans aucun doute le même échec que les schémas départementaux de développement commercial, puisque personne ne pourrait se prévaloir, en cas de recours contre un permis de construire, d’une méconnaissance de ses objectifs ou de ses prescriptions.
Bien entendu, rendre obligatoire la réflexion sur les prescriptions prévues aux alinéas 7 à 9 de l’article 1er, notamment sur celles qui concernent la desserte et la qualité architecturale, ne signifie pas que les élus devront retenir obligatoirement toutes les prescriptions. Ils pourront estimer que l’une d’entre elles n’est pas nécessaire si les contingences locales le justifient.
L’idée clairement exprimée dans l’objet de l’amendement auquel je fais référence est de rendre indispensable la conduite d’une réflexion sur chacune des prescriptions du DAC, faute de quoi nous passerons à côté de l’objectif recherché par les auteurs de la proposition de loi !
Le DAC doit pouvoir en outre être révisé pour s’adapter à nos modes de consommation, marqués aujourd’hui par l’essor des commandes sur Internet livrées à domicile, ou le retour des moyennes surfaces dans les centralités urbaines.
Par ailleurs, afin de garantir le respect de la liberté des élus, il nous a semblé opportun de n’intégrer dans les schémas de cohérence territoriale qu’un cadre laissant aux élus la possibilité de déterminer les implantations commerciales parcelle par parcelle, au travers du plan local d’urbanisme. Ma collègue Valérie Létard, auteur d’un amendement ayant cet objet, aura l’occasion de défendre plus avant cette proposition ultérieurement.
Enfin, en vue de limiter l’étalement urbain, nous avons déposé un amendement visant à privilégier les implantations commerciales dans le tissu urbain existant grâce à la rénovation des quartiers.
Tels sont, mes chers collègues, le sens de la démarche des membres du groupe de l’Union centriste et les points sur lesquels porteront leurs amendements.
Nous soutiendrons la présente proposition de loi si nous obtenons des réponses satisfaisantes aux préoccupations que je viens d’exposer. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré la force de conviction dont M. le rapporteur a fait preuve pour nous vanter les objectifs louables de la présente proposition de loi, les insuffisances de celle-ci, voire ses contradictions, la rendent à nos yeux pour partie inopérante. Cette proposition de loi est en quelque sorte un texte de repentance.
En effet, au début de la législature, la majorité a fortement dérégulé le secteur de la grande distribution en réformant les relations entre fournisseurs et distributeurs, ainsi que les conditions d’implantation des établissements : la loi de modernisation de l’économie de 2008 visait tout simplement à libéraliser le secteur pour faire baisser les prix.
Avant d’aborder la proposition de loi, permettez-moi de revenir quelques instants sur le problème des prix. Depuis un an, les prix d’achat aux producteurs laitiers se sont effondrés, alors que les prix du lait en grande surface n’ont, eux, pas baissé. Il en est de même pour le porc et pour le poulet. Tel est le résultat d’une enquête réalisée dans 140 antennes locales par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir.
L’association a relevé les prix suivants : le porc, acheté 1,34 euro le kilo aux producteurs, est vendu 6,58 euros en rayon ; le poulet, acheté 2,11 euros le kilo, est vendu 11,50 euros aux consommateurs ; le lait, acheté 0,29 euro le litre, est vendu 0,73 euro.
L’association ne s’explique pas ces différentiels importants. Malgré les promesses de la loi LME, nous ne savons toujours pas comment les distributeurs forment leurs prix et quelles sont leurs marges. Entre les mois d’août 2007 et de juillet 2008, les intermédiaires et les distributeurs ont invoqué l’inflation des prix des matières premières agricoles pour justifier leurs hausses de tarifs. Mais nous le savons parfaitement, les grands distributeurs sont bien plus enclins à répercuter les hausses que les baisses des coûts des matières premières !
Cette enquête UFC-Que Choisir excluait les hard discounters. Pourtant, entre 2007 et 2009, mes chers collègues, toutes les enseignes de hard discount se sont étoffées : Lidl a ainsi ouvert 173 nouveaux magasins, Aldi 170, Leader Price 134, ED 108 seulement, soit une légère progression.
Vouloir lever les barrières à l’entrée du marché afin d’intensifier la concurrence entre enseignes au profit des consommateurs était peut-être louable, mais en réalité, comme nous le redoutions, la loi LME a seulement permis l’explosion des surfaces commerciales en France, notre pays étant pourtant déjà l’un des plus pourvus d’Europe.
La majorité applique des solutions dogmatiques, qui se révèlent catastrophiques sur le terrain.
La progression spectaculaire des magasins de hard discount n’a pas rendu possible les baisses de prix escomptées. Vous vous êtes trompés. Je vous propose donc, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, d’engager ce débat avec une certaine humilité. Je pense qu’elle s’impose. Certes, j’ai noté une volonté politique effective sur cette question, mais de réels désaccords subsistent entre nous.
Aujourd’hui, votre objectif de libéralisation des implantations commerciales a été atteint : toute régulation nationale des implantations a été supprimée et les quelques verrous que vous avez consenti à mettre en œuvre en 2008 n’ont pas permis aux élus de juguler l’explosion, parfois complètement anarchique, des mètres carrés dans les zones commerciales.
Pis, le cafouillage dans la production des décrets d’application et des circulaires correspondantes a eu pour effet de laisser les territoires dans le flou pendant plus d’un an, au grand bénéfice des surfaces qui souhaitaient s’agrandir. Résultat : non seulement les constructions se sont multipliées, mais aussi les agrandissements, parfois de manière totalement illégale.
À l’instar de M. le rapporteur, je pense que la législation de l’urbanisme commercial devrait d’abord être un outil urbanistique d’organisation de l’espace pour les collectivités territoriales, ce que n’était pas la loi de modernisation de l’économie.
La proposition de loi de Patrick Ollier que nous examinons aujourd'hui est une tentative de rectifier le tir. Même si nous souscrivons à la démarche, force est de constater que vous n’utilisez malheureusement pas toutes les capacités qu’offrent le droit européen et les textes nationaux pour doter nos territoires des outils les plus performants.
Certes, monsieur le rapporteur, nous avons l’obligation de respecter le droit européen en matière de concurrence et de liberté d’établissement. Celui-ci interdit les procédures d’autorisation des implantations commerciales qui reposeraient uniquement sur des tests économiques. Toutefois, les textes autorisent également la définition de critères d’intérêt général et d’aménagement équilibré du territoire.
Comme d’habitude, la majorité a une vision très restrictive de l’intérêt général et du service ! En effet, depuis 2002, elle interprète les textes européens de la manière la plus libérale qui soit. Pis, mes chers collègues, vous invoquez la liberté d’installation et de concurrence. Pourtant, lorsque des enseignes différentes sont alimentées par une même centrale d’achat, dans les faits, il n’y a pas beaucoup de concurrence ! La proposition de loi contient-elle des mesures relatives à cette question ? Non !
Cette proposition de loi, qui prévoit d’intégrer le droit de l’urbanisme commercial dans le droit commun de l’urbanisme, devrait permettre, en théorie, de simplifier les procédures d’autorisation. Désormais, seul le permis de construire devient nécessaire.
Le texte généralise le document d’aménagement commercial, le fameux DAC, qui serait adossé aux SCOT et, à défaut, aux PLU. Ce document définirait les grandes orientations relatives à l’organisation du commerce.
En apparence, vous redonnez la main aux élus en leur offrant la possibilité, dans certains secteurs, de définir des règles en vue de l’implantation des grandes surfaces de plus de 1 000 mètres carrés. En revanche, partout ailleurs, en particulier dans les centralités des villes, tout reste permis.
Je regrette donc que, à ce stade, les amendements déposés par les membres du groupe socialiste tendant à inscrire dans la proposition de loi les seuls critères introduisant de réels outils de régulation, à savoir l’abaissement du seuil et le principe d’une validation des permis de construire par le président du SCOT, n’aient pas été retenus.
M. Martial Bourquin. Absolument !
M. François Patriat. Pourtant, monsieur le rapporteur, vous êtes sensible à nos arguments, et je vous en sais gré. Nous avons, par exemple, proposé d’abaisser le seuil d’autorisation à 300 mètres carrés. Nous sommes prêts à admettre, comme lors du débat sur la loi LME, un seuil de 500 mètres carrés. Il ne faut pas se réfugier derrière la Commission européenne, comme vous l’avez fait. Vous savez comme moi que la question du seuil ne figure dans aucun texte européen. Il n’existe pas de seuil obligatoire.
Je tiens également à souligner que certaines des dispositions introduites dans le texte par la majorité sénatoriale peuvent avoir des effets pervers, car elles conduiraient à entériner de facto les situations de monopole.
Monsieur le rapporteur, sur votre initiative, dans les secteurs où seront autorisées les surfaces supérieures à 1 000 mètres carrés, les élus pourront distinguer le type de commerce – commerces d’alimentation, d’équipement de la personne, d’équipement de la maison, de loisirs.
Mais, à y regarder de plus près, cette typologie, qui pourrait avoir un sens si les règles locales étaient applicables sur tout le territoire, aurait des effets pervers si elle n’était appliquée qu’à quelques zones commerciales. Ainsi, dans les villes où existent des situations de monopole, personne n’a intérêt à l’implantation d’un concurrent, à part évidemment le consommateur.
Donner la possibilité aux élus d’autoriser l’implantation de tel ou tel type de grande surface revient à les autoriser à interdire certains commerces et, de facto, à permettre aux commerçants et aux lobbies locaux de faire pression lors de l’élaboration du DAC, puis de contester les décisions qui en découleront. Comme l’indique notre collègue Jacques Mézard dans l’objet de l’un de ses amendements, c’est là un facteur de complexité et d’incertitude.
Le problème, vous l’aurez compris, monsieur le rapporteur, c’est que votre typologie ne s’applique pas aux commerces de moins de 1 000 mètres carrés. Partout, les surfaces comprises entre 300 mètres carrés et 999 mètres carrés demeurent libres d’installation. Certes, nous le constaterons lorsque nous examinerons les amendements, certaines choses sont sur le point de changer, des progrès – nous les approuvons – ont été réalisés lors des travaux de la commission.
En l’espèce, le danger réside non pas dans la liberté d’installation, mais dans la capacité des monopoles, quand ils existent, à faire pression sur les élus locaux. Or les monopoles que nous évoquons sont précisément ceux qui refusent obstinément de baisser les prix.
Au risque de me répéter, je rappelle que c’est l’absence de toute régulation en deçà de 1 000 mètres carrés qui a conduit à l’explosion des surfaces intermédiaires à laquelle les élus doivent aujourd’hui faire face. Le risque est que ces enseignes fassent faillite et que les élus se retrouvent avec de nouvelles friches commerciales.
Aujourd’hui, on le constate, ce sont ces surfaces qui se diversifient. Ainsi, par exemple, des hard discounters intermédiaires imposent des conditions de concurrence déraisonnables pour les artisans – boulangers, charcutiers, fleuristes et cavistes – des centres-villes. Après les villages, ce sont les villes moyennes que vous allez vider de leur animation !
Enfin, le texte issu de la commission ne permet pas de résoudre les problèmes posés par la confusion entre autorisation de construire et autorisation d’implantation.
Au vu des pièces demandées pour l’obtention d’un permis de construire, les élus ne peuvent pas disposer de critères sur lesquels s’appuyer afin de décider de l’opportunité ou non d’une implantation commerciale.
C’est la raison essentielle pour laquelle nous présenterons de nouveau en séance les amendements qui ont été rejetés en commission, notamment ceux qui sont relatifs aux seuils et celui qui tend à instaurer le principe d’une validation des permis de construire à vocation commerciale par le président du SCOT.
À l’issue de nos débats, nous tirerons les conclusions qui s’imposent. Si la proposition de loi entérinait la dérégulation introduite par la loi de modernisation de l’économie, si elle confirmait une vision ultralibérale des territoires, si les solutions proposées n’étaient pas suffisantes pour permettre aux centres-villes de retrouver leurs activités, nous ne pourrions pas la voter à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Modification de l’ordre du jour