M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. La démocratie n’est pas un article d’exportation. (M. Bruno Sido sourit.) C’est à chaque peuple qu’il revient de se l’approprier.
La France ne doit pas oublier qu’elle ne fait pas partie en premier lieu de la famille des nations occidentales. Elle fait d’abord partie de la grande famille des nations humaines. Elle se doit donc de respecter l’indépendance et le droit à l’autodétermination de chaque peuple. La résolution 1973, oui, mais rien que la résolution 1973 ! Ce n’est pas seulement l’intérêt de la démocratie dans le monde arabe et celui, bien compris, à long terme, de la Libye. C’est aussi l’intérêt de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur de nombreuses travées de l’UMP. – M. Jean Arthuis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, dès vendredi, j’ai demandé, au nom de mon groupe, une réunion du Parlement pour débattre de l’intervention militaire de notre pays en Libye.
Aujourd’hui, elle est de droit de par la Constitution, mais, une nouvelle fois, je ne peux que regretter qu’à la différence d’autres pays l’exécutif puisse décider une telle intervention avant que les représentants du peuple en soient informés et, en conséquence, sans leur accord. Au regard des très importantes conséquences à attendre d’une telle décision, le débat préalable du Parlement serait légitime et, à mon sens, très utile.
Depuis des mois, le monde arabe est en ébullition, les peuples dans de nombreux pays de la région se soulèvent contre leurs dictateurs. Si les conditions sont différentes d’un pays à l’autre, les exigences de démocratie et de justice sont partout présentes. À n’en pas douter, ces mouvements sont de grande portée.
Le moins que l’on puisse dire est que le pouvoir en France, comme d’ailleurs dans les autres pays européens, a été pris à contrepied par les révolutions tunisienne et égyptienne, lui qui a soutenu jusqu’au dernier moment l’ami Ben Ali ou qui avait fait de l’ami égyptien Moubarak le vice-président de l’Union pour la Méditerranée.
Alors, aujourd’hui, soudaine prise de conscience de la dictature libyenne, des exactions de Kadhafi contre son peuple, lui qui a été reçu ostensiblement avec tous les honneurs voilà deux ans à Paris ? Ou défense des intérêts pétroliers de Total comme de BP pour la Grande-Bretagne ? Ou opération de promotion, dont il a bien besoin, du président de la République sur la scène internationale ?
Attention danger !
Présentées aux opinions publiques comme indispensables pour protéger les populations, promouvoir la démocratie, juguler le terrorisme, repousser l’islamisme, au prix parfois de manipulations mensongères, les interventions militaires des Occidentaux, notamment en Irak et en Afghanistan, nous ont montrés, s’il en était besoin, les souffrances qui en ont découlé pour les populations, les incapacités à résoudre les problèmes des peuples concernés, a fortiori à instaurer la démocratie.
Le soulèvement populaire en Libye a besoin de soutien contre la répression sanglante déclenchée par Kadhafi. Cela, nous en sommes convaincus. Nous avons d’ailleurs constaté que les insurgés, s’ils demandent de l’aide, veulent contrôler les moyens de leur libération et ses suites. Ont-ils, en revanche, sollicité une telle intervention militaire extérieure ?
Les sénateurs communistes estiment absolument nécessaire que la communauté internationale se préoccupe de la protection des populations civiles, en Libye comme d’ailleurs partout où elles sont, hélas ! menacées. Au Yémen, à Bahreïn, en Côte d’Ivoire, et peut-être demain dans de nombreux pays qui essaient de secouer le joug qui les étouffe.
La question est : comment les aider ? Et là, il est légitime de s’interroger.
Monsieur le Premier ministre, les dispositions rendues possibles par la résolution 1970 du Conseil de sécurité le 26 février ont-elles été mises en œuvre avec détermination ? Je pense à la saisine de la Cour pénale internationale, à l’embargo sur les armes, au gel des avoirs libyens ou à l’embargo sur le pétrole. C’est une question !
Pourquoi les offres de médiations internationales ont-elles été refusées ?
Pourquoi n’a-t-on pas encouragé les efforts de l’Union africaine par une solution pacifique ?
Ces préoccupations m’ont amenée, vendredi à Matignon, à émettre des réserves sur la résolution 1973, à laquelle a poussé la France et qui a été adoptée par dix voix pour et cinq abstentions, présentée comme ayant pour seul objectif de protéger les populations civiles, sous l’égide de l’ONU, mais par tous les moyens possibles, ce qui s’est immédiatement révélé source d’interprétations diverses.
Quel est l’objectif réel ? L’instauration d’une zone d’exclusion aérienne ? Celle-ci est-elle réalisée ? Les opérations militaires engagées depuis samedi ne font qu’accroître nos interrogations. Je le déplore, mais c’est ainsi.
Des observateurs ont évoqué un véritable carnage sur la route de Benghazi à Ajdabiya. Qu’en est-il exactement ?
La France reconnaît des bombardements de quatre véhicules blindés de l’armée libyenne, autour de Benghazi, mais aussi l’envoi massif de missiles visant directement Tripoli et une résidence de Kadhafi.
Combien de morts, combien de soldats et de civils tués dans ce qui apparaît clairement être une guerre en Libye ?
Aujourd’hui, de nombreuses réserves sont exprimées. L’Union africaine a refusé de s’associer à l’opération ; la Ligue arabe, associée à l’intervention, conteste l’interprétation de la résolution 1973 ; les pays du Maghreb font part de leurs réticences ; l’Union européenne est divisée, tout comme les opinions publiques des pays européens engagés, y compris la Grande-Bretagne.
Par ailleurs, certains pays demandent le transfert à l’OTAN du commandement de l’opération. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le Premier ministre, que les opérations se font sous le seul commandement américain, lequel les a d’ailleurs baptisées l’« Aube de l’Odyssée » ! Quelle est la position de la France sur cette question ?
Dans les circonstances actuelles, la transparence doit être totale pour que notre peuple et ses représentants aient la vision la plus exacte de la situation en Libye. Pouvez-vous nous fournir des éléments d’information sur le Conseil national de transition ? Quels rôles y jouent les anciens dirigeants kadhafistes ? La coordination est-elle réelle entre les démocrates de Benghazi et les forces armées qui combattent le régime libyen en ce moment même ? La résolution 1973, dans son premier point, demande un cessez-le-feu. Celui-ci doit être respecté par tous, comme le demande l’Union africaine. Comment agir pour permettre dans les faits et en toute transparence le respect de ce cessez-le-feu ?
Monsieur le Premier ministre, la France a-t-elle décidé de protéger les populations civiles, toutes les populations civiles, comme l’exige M. Moussa, dirigeant de la Ligue arabe, ou bien d’éliminer physiquement Kadhafi ?
Tout doit être mis en œuvre aujourd’hui pour faire taire les armes. La logique de guerre et le déploiement considérable de forces ne peuvent rien entraîner de bon. Quand considérerez-vous que l’objectif fixé par la résolution 1973 sera atteint ?
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, il faut stopper cette logique de guerre, qui, sous prétexte d’une aide bien tardive aux aspirations des peuples, présente tous les stigmates d’une « croisade occidentale », selon la formule employée par le ministre de l’intérieur, dans la région.
Enfin, allez-vous porter la voix d’une solution pacifique au Conseil de sécurité qui doit se tenir jeudi, alors que vous qualifiez l’intervention militaire de succès ?
Compte tenu de ces interrogations, vous comprenez, monsieur le Premier ministre, que nous continuions d’émettre des réserves sur l’action décidée par le Président de la République et votre gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Berthou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Gaudin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France est aujourd’hui de nouveau engagée militairement sur la scène internationale. Mes premières pensées, comme celles de l’ensemble des sénateurs du groupe UMP, vont à nos soldats, dont nous connaissons le professionnalisme.
Ce débat est pour nous l’occasion de leur réaffirmer le soutien de la représentation nationale. Il se tient à un moment où la France pèse sur le cours de l’histoire vivante pour défendre un peuple et sa liberté. La parole française a été entendue et suivie par l’ONU. L’initiative du Président de la République, la force de conviction du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, et le travail de notre corps diplomatique ont permis l’adoption de la résolution 1973 par le Conseil des Nations unies le 17 mars dernier.
Grâce au soutien de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de la Ligue arabe, de l’Espagne, de la Norvège, du Danemark, de la Belgique, du Canada et d’autres nations, l’intervention militaire de la coalition doit protéger le peuple libyen face à une répression sanglante et sans limite.
Mes chers collègues, ce « moment français » correspond à l’adresse d’un triple message au monde, à un moment où celui-ci vit une succession de drames et de crises.
C’est, d’abord, l’affirmation de la primauté des principes de liberté.
C’est, ensuite, un moment rare de consensus national, lequel nécessite de faire fi des dissensions partisanes qui animent traditionnellement notre vie politique et dont nous avons tant de mal à nous défaire.
C’est, enfin, un message aux Français, qui sont attachés à la démocratie et sont conscients qu’elle est un privilège à partager avec tous les peuples.
Nos compatriotes suivent les événements du sud de la Méditerranée avec inquiétude et espoir. La déclaration du Gouvernement et ce débat doivent permettre de leur apporter une réponse. Nous sommes réunis cet après-midi dans cet hémicycle afin d’assumer pleinement notre mandat de parlementaire en nous exprimant sur la mise en application de la résolution 1973 sur la crise libyenne.
Ainsi les États peuvent-ils prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les populations et les territoires, y compris Benghazi, qui sont sous la menace d’une attaque des forces de Kadhafi. Concrètement, cette résolution permet la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne.
Pour la France, cela se traduit par l’engagement des forces aériennes et navales et le lancement de l’opération Harmattan. Vous me permettrez, mes chers collègues, de saluer l’action déjà efficace de notre ministre de la défense, Gérard Longuet (Applaudissements sur les travées de l’UMP.), ainsi que la volonté de vérité et de transparence du ministère de la défense à l’égard des Français, grâce à des conférences de presse et points de situation quotidiens. Je souhaite que cette information contribue à renforcer le lien précieux qui unit l’armée et la nation.
Alors que trois jours se sont écoulés depuis le début des opérations militaires françaises en Libye, ce débat est possible, madame la présidente Nicole Borvo Cohen-Seat, grâce à la révision constitutionnelle souhaitée par le Président de la République et qui a été adoptée par le Parlement réuni en Congrès le 21 juillet 2008. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Yves Pozzo di Borgo et Claude Biwer applaudissent également.) Je m’en réjouis devant vous, d’autant que tel ne fut pas le cas en 2001, lors de l’engagement des troupes françaises en Afghanistan. C’est pourquoi je tiens à remercier, au nom du groupe UMP, M. le Premier ministre pour l’organisation de ce débat, qui marquera notre histoire. Sa présence ici consacre la voix internationale de la France au sein de notre Haute Assemblée. (Mme Brigitte Bout applaudit.)
L’heure est venue pour la France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, d’assumer et d’honorer ses responsabilités,…
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Jean-Claude Gaudin. … à un moment où nous sommes témoin de révolutions qui bouleversent non seulement les cartes, mais également l’histoire du monde.
Depuis le mois de décembre dernier, de Tunis au Caire, de Benghazi à Bahreïn, du Maghreb aux portes du Moyen-Orient, les peuples ont rendez-vous avec leurs destins politiques. De l’autre côté des rives de la Méditerranée, où deux siècles auparavant nous avons vécu le même élan de liberté, nous ne pouvons détourner les yeux et demeurer les simples spectateurs de cette soif de liberté, de justice et de développement de toute une génération. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam ainsi que MM. Jacques Blanc et Bernard Fournier applaudissent.)
Bien sûr, le recours à la force militaire est toujours une mauvaise nouvelle, même quand elle est un moindre mal pour préparer la paix. C’est pour cette raison que l’usage de la force militaire par la coalition s’exercera dans le cadre strict de la résolution 1973. C’est à cette condition qu’a été décidé l’engagement des forces armées françaises, que le groupe UMP soutient sans réserve. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Mes chers collègues, il s’agit donc pour la France de mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour protéger, en Libye, les populations civiles contre les attaques des forces de Kadhafi. Durant les dernières quarante-huit heures, la France et ses partenaires britanniques et américains ont assuré la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne dans le secteur de Benghazi, l’objectif étant de protéger la ville et ses habitants contre les vols et les frappes des avions de Kadhafi.
Ces opérations de défense aérienne ont été accompagnées de frappes militaires au sol, conduites par les Américains contre des cibles militaires identifiées susceptibles de menacer la population civile.
Le dispositif comprend également des moyens de reconnaissance, de contrôle aérien, de détection et de ravitaillement. Les moyens militaires français ont pu être déployés grâce une étroite coordination des moyens de la coalition. (M. le ministre de la défense et des anciens combattants opine.)
La participation des forces aériennes britanniques et américaines et la mise à disposition des bases aériennes italiennes sont les signes concrets d’un engagement international et européen dans la crise libyenne.
Si l’engagement des forces militaires doit être encore clarifié en termes de commandement, il ne saurait être question à ce stade d’une intervention terrestre en Libye. Aussi, je forme le vœu que nous ne nous laissions pas piéger par des débats fallacieux. La Libye ne sera pas un autre Irak. Rappelons-nous simplement mais fermement que l’objectif est de protéger le peuple libyen contre les roquettes et missiles de son propre régime. Il n’est pas de notre ressort de décider de l’avenir politique de la nation libyenne, mais en tant que puissance responsable, il nous appartient de l’aider dans l’établissement d’une paix civile qui lui permettra de prendre en main, pleinement et librement, son destin politique.
Pour ce faire, l’Europe ne peut se passer du soutien de la Ligue arabe ni de celui de tous les autres pays du bassin méditerranéen. Aucune résolution de crise ne peut se faire sans la réelle implication des puissances régionales. Les opérations conjointes avec l’aviation du Qatar constituent à ce titre, nous semble-t-il, bien plus qu’un symbole. Certes, depuis lundi matin, nous entendons diverses critiques. Mais ces voix s’élèvent contre nos opérations alors même qu’elles connaissent leurs premiers succès.
Permettez-moi tout de même de regretter devant vous, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, que la diplomatie européenne n’ait pas parlé d’une seule voix. Je partage le sentiment de François Zocchetto sur ce point. Plutôt que des hésitations, un discours clair et commun de l’Union européenne assurerait mieux sa crédibilité, face non seulement au régime de Kadhafi, mais aussi à tous les autres régimes qui foulent au pied les droits de l’homme. Il en reste encore, qui reçoivent d’ailleurs des visites.
Le sommet de Paris pour le soutien au peuple libyen témoigne du profond respect du droit et des institutions internationales du Président de la République. Il est la preuve de sa détermination à permettre au peuple libyen de vivre et de réaliser ses aspirations démocratiques. Celles-ci sont bafouées par un « guide », qui se livre depuis plus d’un mois à une répression meurtrière contre son propre peuple.
Depuis le 15 février dernier, le colonel Kadhafi n’a cessé de sacrifier les droits les plus élémentaires de son peuple à s’exprimer et à disposer de lui-même. Les différentes réunions, de New York à Genève, ont été autant de mains tendues à ce régime pour que cessent les violations des principes auxquels le pays avait pourtant souscrit, en tant que membre non permanent, depuis 2007, du Conseil de sécurité de l’ONU.
La gravité de la résolution 1973 est à la mesure de l’attitude de Kadhafi, qui est prêt à conduire son peuple à la guerre civile et sa nation au suicide. Le vote de cette résolution était loin d’être acquis et la menace d’un veto fort grande. Les télévisions en ont suffisamment parlé pour que nous ayons encore cet épisode en mémoire.
À ce titre, notre groupe se félicite de la pugnacité de notre diplomatie et de l’action de M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Il faut, surtout dans les moments de crises, que des chefs d’État convainquent leurs homologues d’agir ensemble, afin de bâtir un ordre juridique international respectueux de la personne humaine. C’est ce qu’a réussi à faire le Président de la République Nicolas Sarkozy.
Cela irrite peut-être certains, mais c’est la deuxième fois depuis le début de son mandat que le Président de la République, par son initiative et sa force de conviction, joue un rôle majeur dans la solution d’une crise internationale. En 2008, en tant que président en exercice de l’Union européenne, il avait su mobiliser nos partenaires européens pour régler avec la Russie la crise en Géorgie. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)
À peine un mois plus tard survenait une crise financière historique, qui a ébranlé toutes les économies du monde. Dans ce moment critique, le Président de la République a œuvré afin d’éviter l’effondrement du système financier international. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Aujourd’hui, la présidence du G20 et du G8 conférait sans aucun doute à la France et au Président de la République une responsabilité morale particulière dans la mobilisation de l’ONU et des chefs d’État. Mais il fallait aller très vite devant le Conseil de sécurité, il fallait une majorité, mes chers collègues, sans aucun veto. Et il y a eu une majorité et aucun veto n’a été opposé.
Grâce à l’initiative du Président de la République et à son message, la France a été à la hauteur de ses valeurs.
Nous assurons le Président de la République, vous-même, monsieur le Premier ministre, et le Gouvernement de notre confiance et de notre soutien dans ce moment difficile. Et nous le faisons d’autant plus que nous savons bien qu’il faudra tenir bon sur la résolution.
L’avenir appartient à ceux qui ont la mémoire la plus longue.
M. Bruno Sido. Oui !
M. Jean-Claude Gaudin. Nous voulons que l’avenir du peuple libyen s’inscrive dans la mémoire des victoires de la liberté.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, c’est tout le sens du message de soutien des sénateurs UMP au Président de la République, au nom d’une très large majorité des Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Yves Pozzo di Borgo et Claude Biwer applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’insurrection libyenne est le nouveau chapitre de l’histoire de l’émancipation des peuples arabo-musulmans. Cette vague de fond doit conduire à une réflexion approfondie et à une profonde rénovation de notre action dans cette aire géographique et culturelle.
L’intervention française en Libye au titre du volontariat opérationnel prévu par la résolution de l’ONU peut apparaître comme un tournant. Les Nations unies ont, par cette résolution, mis en avant le concept d’intervention pour la protection des populations civiles, notion plus opérationnelle et légitime que celle du « droit d’ingérence » des philosophes mondains des cafés parisiens. Elle s’inscrit dans un vaste mouvement de renouvellement de notre regard sur nos voisins du Sud.
La démocratisation à l’œuvre en Afrique du Nord, dans le Golfe et dans tant d’autres régions encore bouleverse le regard que l’Occident pouvait porter sur les peuples et civilisations de la sphère musulmane.
Depuis des années, notre vision du monde arabo-musulman a été prise en étau entre le spectre des dictatures et celui du terrorisme. Al-Qaïda s’est imposé, pour de nombreux observateurs, lors de la dernière décennie, comme le dernier horizon d’une population opprimée.
Les pays occidentaux, l’Europe, les États-Unis, la France ont joué le jeu du soutien aux régimes autoritaires pour mieux endiguer le péril du terrorisme international, mais aussi pour mieux assurer leur approvisionnement en pétrole et pour tenter de juguler les flux migratoires dans le nord de l’Afrique.
Depuis trois mois, il y a des changements. Les peuples d’Afrique du Nord et de l’arc musulman hors Méditerranée en général ont pris conscience d’une commune aspiration à la liberté.
Ces populations n’étaient pas plus ivres de servitude que les autres. Un nouvel acteur a surgi. La fameuse « rue arabe », connue pour sa virulence, tend à devenir une véritable opinion publique, gage et symbole de maturité pour les sociétés démocratiques.
Le combat du peuple libyen pour la liberté fait écho à notre propre histoire. Il nous a fallu près de deux siècles, en Europe et en France, pour nous orienter vers la démocratie. Ce chemin n’a pas été sans heurts : combien de combats n’avons-nous pas connus dans notre pays pour arriver à cela ?
Les peuples de la sphère arabo-musulmane viennent de démontrer au monde qu’ils étaient engagés sur cette voie. Ces révolutions, en sus de leur brusque déclenchement, partagent un autre point commun : ce sont des révolutions de la mondialisation, et ce à deux titres.
Premièrement, Internet, les médias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont été des outils incontournables pour la réussite des soulèvements en Tunisie, en Égypte et ailleurs. Ces outils ont été déterminants dans le déclenchement de l’insurrection libyenne et dans la mobilisation des insurgés pendant la deuxième quinzaine du mois de février.
Deuxièmement, l’opinion publique arabe s’est levée au nom du « mieux vivre ensemble ». Les révolutions, les insurrections qui se déclenchent et que nous soutenons, notamment en Libye, ne sont pas des révolutions théocratiques ou animées par l’islamisme ; ce sont des révolutions populaires, de peuples qui veulent d’abord bien vivre.
L’engagement de nos forces aériennes en Libye était justifié par l’urgence du péril qui menaçait Benghazi. Personne ne sait quelle sera l’issue du conflit. Rien ne nous assure que le maintien d’une zone d’exclusion aérienne suffira à faire tomber le régime du colonel Kadhafi. Notre mandat issu de la résolution 1973 nous autorise seulement à protéger activement les civils. Cependant, nous savons aujourd’hui que la politique de la canonnière ne suffira plus désormais.
Nous peinons à consolider les institutions démocratiques que nous avons contribué à installer au moyen de la force en Afghanistan et en Irak. Nous peinons, car nous n’avons pas attendu le surgissement d’un espace public autonome et dynamique dans ces sociétés.
La démocratisation culturelle des peuples du sud de la Méditerranée doit nous conduire à une propre révolution culturelle. L’imposition par la voie militaire n’est plus possible. Elle peut même être contre-productive si elle met en péril la survie des populations civiles.
Ce qu’il nous faut maintenant, c’est accompagner l’épanouissement de la démocratie dans ces pays. Les formes de cet accompagnement restent à définir. Il sera principalement civil et de long terme. S’il faut saluer hardiment le courage de nos soldats, nous ne devons pas oublier que notre devoir envers nos voisins du Sud ne se limitera pas à cette intervention militaire.
Le problème immédiat qui se posera sera celui de la répartition des richesses, la question, en somme, de l’équité sociale. Les pays révoltés se ressemblent en tant qu’ils partagent la même injustice. Un cercle étroit de familiers du pouvoir accapare les richesses du territoire…
M. Guy Fischer. Comme en France !
M. Yves Pozzo di Borgo. … et, notamment, les revenus tirés de l’exploitation du pétrole.
Les insurgés sont les enfants du chômage et de la pauvreté. Tant que le problème de la répartition de la richesse ne sera pas résolu, la démocratie ne sera pas encore solidement établie sur l’autre rive de la Méditerranée. C’est, je pense, le premier objectif que nous devrons assigner à notre aide dans les années à venir.
Le partenariat pour la démocratie de l’Europe que vous avez lancé, monsieur le ministre d’État, avec l’aide de la Banque centrale européenne, va dans ce sens.
Enfin, nous ne pouvons plus rester à la merci des surprises de l’Histoire. Le printemps démocratique qui s’ouvre dans le monde arabo-musulman est une chance unique qui nous est offerte pour faire mentir, une bonne fois pour toutes, Samuel Huntington. Il n’y aura pas de conflit de civilisations si nous arrivons à accompagner la transmission de nos valeurs de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’homme dans ces pays qui en ont bien besoin. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la représentation nationale est aujourd’hui invitée à débattre de l’opportunité, des conditions et des objectifs de l’engagement de la France dans les opérations de la coalition internationale qui intervient militairement, en ce moment même, en Libye, sous mandat de l’ONU.
C’est la première fois que nous débattons, dans cette enceinte, de la politique de notre pays dans cette partie du monde depuis que les peuples de Tunisie et d’Égypte ont remis en cause le pouvoir sans partage de ceux qui les écrasaient avec la complicité, tacite ou explicite, de notre pays.
En fait, depuis des mois, notre dialogue a été réduit à sa plus simple expression, limité, du côté de l’opposition, à des demandes d’explications, du côté du Gouvernement, à justifier le comportement de ministres vacanciers, son incompréhensible aveuglement face aux révolutions arabes en Tunisie et en Égypte et le retard avec lequel la France leur a confirmé notre soutien, suscitant ainsi la colère et l’irritation tant des milieux intellectuels que de la rue dans ces pays.
M. Roland Courteau. Eh oui !