Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar.
2. Décision du Conseil constitutionnel
3. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
4. Communications du Conseil constitutionnel
5. Engagement de la procédure accélérée sur une proposition de loi
6. Témoignage de solidarité envers le peuple japonais
7. Situation en Libye. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président.
MM. François Fillon, Premier ministre ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
MM. François Zocchetto, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Claude Gaudin, Yves Pozzo di Borgo, Mme Dominique Voynet, M. Aymeri de Montesquiou, Mme Marie-Agnès Labarre.
MM. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes ; Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants.
débat préalable au conseil européen des 24 et 25 mars 2011
MM. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes ; Laurent Wauquiez, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes ; Jean Arthuis, président de la commission des finances ; Gérard César, en remplacement de M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie ; Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances.
M. le ministre.
M. Denis Badré, Mme Fabienne Keller, MM. Roland Courteau, François Marc, Richard Yung, Pierre Bernard-Reymond, Serge Dassault, Adrien Gouteyron, Robert del Picchia, Jacques Blanc.
M. le ministre.
M. le président de la commission des finances.
M. le ministre.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
M. le président. Le procès-verbal de la séance du jeudi 10 mars 2010 a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. J’ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du jeudi 10 mars 2011, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
Acte est donné de cette communication.
3
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du jeudi 17 mars 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (nos 103 QPC, 104 QPC, 105 QPC, 106 QPC et 107 QPC).
Acte est donné de cette communication.
4
Communications du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 11 mars 2011 et le 16 mars 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-127 QPC et 2011-128 QPC).
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 21 mars 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-129 QPC et 2011-130 QPC).
Les textes de ces décisions de renvoi sont disponibles au bureau de la distribution.
Acte est donné de ces communications.
5
Engagement de la procédure accélérée sur une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale.
6
Témoignage de solidarité envers le peuple japonais
M. le président. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l’heure où le peuple japonais subit les conséquences dramatiques d’un séisme d’une rare amplitude, je salue la présence dans la tribune officielle de M. l’ambassadeur du Japon en France, qu’accompagne le président du groupe sénatorial d’amitié France-Japon, M. David Assouline. (M. le Premier ministre, M. le ministre d’État, MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)
À la suite du redoutable enchaînement de catastrophes qui a frappé le Japon, je voudrais exprimer, en notre nom à tous, la solidarité du Sénat avec le peuple japonais.
Nous admirons la dignité, le courage et la détermination avec lesquels les Japonais font face à ces terribles épreuves : des milliers de morts et de disparus, des villes et des villages anéantis, un territoire ravagé, des familles dans l’affliction et l’angoisse, une angoisse qu’accroît encore la situation de la centrale de Fukushima, aujourd'hui théâtre d’actes de dévouement qui forcent le respect.
Nos pensées et notre compassion vont aux familles des victimes, à tous les sinistrés qui sont dans le dénuement et doivent à présent tout reconstruire.
Monsieur l’ambassadeur, la semaine dernière, nous vous avons transmis, en liaison avec le président du groupe d’amitié France-Japon du Sénat, un message de solidarité adressé au Premier ministre et au Président de la Chambre des conseillers du Japon.
Nous formons le vœu que votre grand pays surmonte au plus vite, avec l’aide des pays amis, le drame national auquel il est confronté.
Mes chers collègues, je vous propose, en signe de solidarité et pour montrer combien ce drame nous rapproche aujourd'hui du peuple japonais, d’observer un moment de recueillement. (M. le Premier ministre, M. le ministre d’État, MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence.)
7
Situation en Libye
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat sur les conditions de mise en application de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies sur la situation en Libye.
Cette déclaration et le débat qui suivra constituent d’ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la première application du deuxième alinéa de l’article 35 de notre Constitution.
La mise en œuvre de cette procédure a été décidée à l’issue d’une réunion exceptionnelle sur la situation en Libye qui s’est tenue le vendredi 18 mars, sur votre initiative, monsieur le Premier ministre, et à laquelle j’ai participé, avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ainsi que les présidents des groupes politiques du Sénat ou leurs représentants.
Par une lettre que vous m’avez adressée le samedi 19 mars en fin d’après-midi, vous avez tenu à m’informer que le Gouvernement avait décidé de faire intervenir nos forces armées en Libye pour la mise en œuvre de la résolution de l’Organisation des Nations unies et que vous feriez aujourd’hui une déclaration devant notre assemblée.
Monsieur le Premier ministre, je vous remercie d’avoir répondu à notre demande d’information et de débat.
Votre présence au Sénat, avec M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement, témoignent de la considération que vous portez à l’institution sénatoriale : croyez que nous y sommes particulièrement sensibles.
Au nom du Sénat tout entier, je voudrais également assurer de notre confiance l’ensemble des militaires qui participent à cet engagement international d’opérations aériennes, et aussi navales, destiné à protéger la population libyenne dans le cadre du mandat de l’Organisation des Nations unies.
Je vais d’abord donner la parole à M. le Premier ministre, puis nous entendrons M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Chaque groupe politique pourra ensuite exprimer son point de vue.
M. Alain Juppé, ministre d’État, et M. Gérard Longuet, ministre de la défense, répondront aux orateurs.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, je tiens tout d’abord à m’associer au message de compassion que vous avez adressé à M. l’ambassadeur du Japon et, à travers lui, au peuple japonais.
Le Japon vit une catastrophe majeure, qui nous bouleverse tous. Nous lui avons bien sûr offert notre aide. Plusieurs opérations ont d’ores et déjà été conduites. Mais nous voudrions faire tellement plus !
J’aurai l’occasion, demain soir, à l’ambassade du Japon, devant la communauté japonaise en France, de témoigner à nouveau de l’attention, de l’affection et de la solidarité de notre pays.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, samedi 19 mars, en début d’après midi, les forces aériennes françaises sont entrées en action au-dessus de la Libye.
Conformément à l’article 35, alinéa 2, de la Constitution, tel qu’il résulte de la révision de 2008, j’ai l’honneur d’informer le Sénat des raisons et des conditions de cet engagement.
Depuis le début de cette année 2011, le vent de la démocratie et de la liberté souffle sur le monde arabe.
Le peuple tunisien, puis le peuple égyptien ont renvoyé leurs dirigeants et aboli les régimes autoritaires qui étaient en place depuis la décolonisation.
La Libye est entrée dans le même processus et nous avons tous espéré que l’issue en serait rapide et heureuse.
Malheureusement, le régime de Kadhafi a décidé de noyer dans le sang la révolte qui le menaçait. En deux semaines, les espoirs du peuple libyen se sont transformés en cauchemar.
Jeudi dernier, à Benghazi, ultime refuge de la liberté en Libye, les insurgés paraissaient condamnés à tomber entre les mains des troupes fidèles à Kadhafi et la révolution semblait vivre ses dernières heures.
La France a refusé cette fatalité. Le Président de la République a choisi d’agir. Il a su, avec Alain Juppé, dont je tiens à saluer la détermination, convaincre le Conseil de sécurité des Nations unies de refuser l’inacceptable.
Samedi, sur l’initiative de la France, un sommet de soutien au peuple libyen s’est tenu à Paris pour assurer la mise en œuvre sans délai de la résolution 1973.
L’usage de la force armée dans un conflit interne à un pays arabe dont les structures tribales sont encore prégnantes est une décision lourde. Certains, naturellement, s’interrogent sur ses chances de succès. Le risque existe toujours. Mais les hésitations et les doutes ne seraient-ils pas plus profonds et plus dévastateurs sur le plan moral et politique si nous n’avions rien fait ? Ne seraient-ils pas empreints d’une immense culpabilité si, par prudence et par faiblesse, nous avions assisté les bras croisés à la répression d’une population désarmée ?
Le Président de la République, fidèle aux valeurs qui fondent notre nation, s’est refusé à une telle indignité. Avec le soutien déterminant du Royaume-Uni, il a su faire appel au courage de la communauté internationale et imposer à Kadhafi une épreuve de force.
Pourquoi la France s’est-elle ainsi mobilisée ? Parce que la répression du peuple libyen se nouait sous nos yeux. Parce que cette répression ne doit pas sonner la fin d’une espérance qui transcende les frontières. Toute la région est en effet parcourue par une puissante onde de choc démocratique dont la portée peut se révéler historique.
Même s’ils ont chacun leurs spécificités, ces mouvements révèlent la force des idéaux universels, ces idéaux humanistes trop souvent moqués, trop souvent accusés d’être le privilège de nos vieilles démocraties. Eh bien non ! Ces idéaux sont présents dans les cœurs de tous les peuples. Partout, ils peuvent se dresser et changer l’Histoire.
Ne pas intervenir en Libye, c’était donner un blanc-seing à Kadhafi et à ses séides. C’était signifier à tous ceux qui ont soif de démocratie et de respect des droits de l’homme que les changements en Tunisie et en Égypte n’étaient qu’un feu de paille. C’était constater que le mur de l’oppression reste finalement plus fort que le souffle de la liberté.
Nous ne pouvions accepter ce scénario.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’usage de la force ne s’est pas imposé du jour au lendemain. Il est le résultat d’une longue série d’actions diplomatiques destinées à enrayer la violence.
Dès le début de la crise en Libye, la France a pris plusieurs initiatives : celle d’exiger des sanctions contre le régime libyen aux Nations unies comme au sein de l’Union européenne ; celle d’impliquer la Cour pénale internationale, qui, pour la première fois, a été saisie au tout début d’une crise, à l’unanimité du Conseil de sécurité, pour des actes pouvant relever de crimes contre l’humanité ; celle d’acheminer une aide humanitaire massive à l’hôpital de Benghazi et à la frontière tuniso-libyenne ; celle d’aider au retour des milliers de réfugiés fuyant les combats avec la mise en place d’un pont aérien entre la Tunisie et leur patrie d’origine.
La France s’est battue sans relâche pour convaincre, dans toutes les enceintes internationales comme avec tous ses partenaires occidentaux, arabes et africains : au Conseil de sécurité des Nations unies, qui a adopté une première résolution – la résolution 1970 – dès le 26 février ; lors du Conseil européen du 11 mars, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy et de David Cameron ; lors de la réunion des ministres des affaires étrangères du G8 à Paris, les 14 et 15 mars.
Parallèlement, d’autres organisations régionales se sont aussi mobilisées.
L’Union africaine a souligné la légitimité des aspirations du peuple libyen à la démocratie et à la justice.
Le 12 mars, et ce fut l’un des tournants de la gestion de cette crise, le conseil des ministres de la Ligue des États arabes lançait un appel au Conseil de sécurité demandant à ce dernier d’imposer immédiatement une zone d’exclusion aérienne et d’assurer la protection des populations civiles.
Le secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique a lui-même condamné les violations graves des droits de l’homme et du droit international en Libye.
Tous ces appels pressants de la communauté internationale, tous ces avertissements, toutes ces sanctions, n’ont malheureusement pas fait fléchir la froide détermination du régime libyen. Dès lors, l’emploi de la force devenait la seule solution.
Vis-à-vis des États qui, il y a quelques jours encore, avaient des hésitations sur la nécessité d’une intervention en Libye, nous avons toujours été clairs : en rappelant que le temps et l’inaction jouaient en faveur du régime libyen ; en précisant que toute intervention en Libye devait avoir pour objectif de protéger les populations civiles ; enfin, en conditionnant toute intervention à quatre préalables:
Le premier préalable est un besoin avéré sur le terrain. Qui ne le constate ?
La deuxième est un appui des pays de la région. L’appel de la Ligue arabe nous l’apporte.
La troisième est une base juridique solide. Nous l’avons avec l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, en faveur de laquelle le Président de la République avait lancé un appel solennel la veille du vote. Et M. Alain Juppé a joué un rôle clé en se rendant à New York pour la défendre.
Le dernier préalable est la nécessité d’une action collective. Celle-ci s’est concrétisée samedi après-midi, à Paris, avec la présence de vingt-deux dirigeants de pays européens, nord-américains, arabes et d’organisations internationales et régionales, qui ont réaffirmé leur détermination à agir sur la base de la résolution 1973.
Cette résolution donne aux États souhaitant intervenir dans la crise libyenne une autorisation de recours à la force.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne conduisons pas une guerre contre la Libye : nous menons une opération de protection des populations civiles, une opération de recours légitime à la force, dans le respect de ce qui est prévu au chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Nos objectifs sont précis et strictement conformes notamment aux paragraphes 4 et 6 de la résolution 1973.
Il s’agit de protéger la population libyenne tout en excluant explicitement l’envoi d’une force d’occupation au sol.
Il s’agit de mettre en place une zone d’interdiction aérienne.
Il s’agit de mettre en œuvre l’embargo sur les armes.
Enfin, il s’agit de compléter le régime de sanctions déjà prévu par la résolution 1970.
Le message de la communauté internationale est sans ambiguïté : c’est l’arrêt immédiat des violences ; c’est le retrait des armées libyennes de toutes les zones où elles sont entrées par la force ; c’est le retour de celles-ci dans leurs casernes ; c’est le plein accès de l’assistance humanitaire.
En privant le régime de Kadhafi de sa supériorité militaire, nous voulons offrir au peuple libyen la possibilité de reprendre courage, de définir une stratégie politique et de décider de son avenir.
En effet, il ne nous appartient en aucun cas de nous substituer à lui ! Même si nous appelons au départ de Kadhafi, c’est au peuple libyen et à lui seul qu’il revient de décider de son destin et de ses futurs dirigeants.
C’est dans ce contexte que la France tient à rendre hommage à l’action du Conseil national de transition libyen, que nous avons reconnu comme notre interlocuteur politique et avec lequel nous sommes en relation constante.
C’est dans ce contexte que les forces militaires françaises sont engagées.
Dès le 4 mars, l’armée de l’air française avait entrepris des missions de reconnaissance pour évaluer les capacités de défenses aériennes libyennes et surveiller la progression des forces de Kadhafi. Parallèlement, nos armées se sont préparées à intervenir.
Samedi 19 mars, à l’issue du sommet de Paris, le Président de la République a décidé de lancer les premières missions. Une vingtaine d’avions de combat de l’armée de l’air, accompagnés d’avions ravitailleurs et d’avions de surveillance radar et de guerre électronique, ont alors mené une opération au-dessus de la région de Benghazi avec deux objectifs : stopper l’avance des forces de Kadhafi et commencer à mettre en place la zone d’exclusion aérienne. À dix-sept heures quarante-cinq, nos avions ont détruit plusieurs véhicules blindés et brisé net la progression d’une colonne vers Benghazi.
Depuis, nous n’avons constaté aucun mouvement des forces blindées libyennes vers Benghazi, ce qui montre que cette opération a atteint son premier objectif, à savoir mettre hors de danger cette région menacée.
Quelques heures plus tard, dans la nuit du 19 au 20 mars, les forces américaines et britanniques sont entrées en action avec des missiles de croisière et des bombardiers : ils ont visé des moyens de défense aérienne, des radars, des missiles antiaériens, des avions, dont la destruction est nécessaire à la mise en place de la zone d’exclusion aérienne.
Les opérations aériennes françaises se sont ensuite poursuivies en coordination avec celles des autres pays de la coalition.
Américains, Belges, Britanniques, Canadiens, Danois et Italiens se sont déjà engagés. Dans les prochaines heures, des pays comme le Qatar et les Pays-Bas vont, eux aussi, contribuer aux opérations.
La France engage quotidiennement plus d’une vingtaine d’avions de combat, dont les missions sont planifiées en concertation avec nos alliés.
Depuis ce matin, le groupe aéronaval est opérationnel au large des côtes libyennes.
Les Rafale, Super Étendard et avions radars de la marine seront désormais engagés au plus près, depuis le porte-avions Charles-de-Gaulle.
La zone d’exclusion aérienne est aujourd’hui en place.
Comme le prévoit la résolution 1973, l’action de nos forces aériennes a bien pour objectif la cessation totale des violences et de toutes attaques et exactions contre la population civile libyenne. J’en veux pour preuve le fait que, dimanche, nos avions de combat, n’ayant détecté aucun moyen libyen s’attaquant aux populations civiles, n’ont pas fait usage de leur armement.
Nous appliquons toute la résolution 1973 et rien que la résolution 1973 !
Je rappelle que les actions visant à la mettre en œuvre sont notifiées au préalable aux secrétaires généraux des Nations unies et de la Ligue des États arabes.
C’est le respect plein et entier de cette résolution par le régime de Kadhafi qui conditionnera la suspension des opérations militaires qui ont été engagées. Tel est le message qui a été adressé par le sommet de Paris au colonel Kadhafi.
En cet instant, au nom du Gouvernement, je veux saluer avec vous le dévouement, le professionnalisme et le courage de nos soldats qui participent aux opérations. Leur mandat est légitime et leur mission est noble.
Mesdames, messieurs les sénateurs, de Tunis au Caire, du Caire à Tripoli, nous pressentons qu’une part de l’avenir du monde méditerranéen est en train de se jouer.
La France aspire à un espace méditerranéen pacifique, solidaire, tourné vers le progrès.
Avec l’Union européenne, nous avons proposé un partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée. Ce partenariat marque notre soutien à tous les pays engagés dans les processus de réformes, et il sera accompagné de moyens financiers substantiels, grâce à l’augmentation des capacités d’intervention de la Banque européenne d’investissement.
C’est dans cet esprit que nous appuyons les processus de transition engagés en Égypte et en Tunisie, avec l’objectif d’octroyer à ce pays dès cette année un « statut avancé » dans ses relations avec l’Union européenne.
C’est aussi dans cet esprit que nous avons salué le discours réformateur du roi du Maroc et que nous disons à tous les dirigeants de la région d’écouter les aspirations à la démocratie et à la justice exprimées par leur peuple, d’y répondre de façon pacifique et par le dialogue.
La France souhaite que s’ouvre demain en Méditerranée une nouvelle ère, débarrassée des vieilles scories coloniales et des postures dépassées, une nouvelle ère fondée sur les notions de respect et de dignité, qui verrait la peur et le rejet de l’autre laisser place au partage de valeurs communes.
Cette aspiration concerne aussi le conflit israélo-palestinien, qui ne doit pas être le grand oublié de la transition politique arabe en cours.
En Palestine, en Israël, la colonisation et la violence aveugle continuent d’engendrer des souffrances. Le processus de paix doit être relancé sans tarder.
La France a proposé d’accueillir en juin prochain une nouvelle conférence des donateurs en faveur de la Palestine. Dans le contexte actuel, cette conférence n’a de sens que si elle a une forte dimension politique.
Au moment où le monde arabe s’éveille à la démocratie, 2011 doit être aussi l’année de la création d’un État palestinien vivant en paix et en sécurité à côté d’Israël, dans des frontières sûres et internationalement reconnues.
À l’heure où la France s’engage militairement, à l’heure où nos militaires assument avec courage leur mission, je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, que je peux compter sur votre sens de l’unité nationale.
À Benghazi, le drapeau tricolore a été levé, et ce geste nous place devant nos devoirs.
Je sais que les représentants de la nation sont soucieux de défendre une certaine idée de la France et de la liberté.
Aujourd’hui, il n’y a ni droite ni gauche, mais seulement la République ! La République qui s’engage avec cœur, avec courage, mais aussi avec lucidité et gravité. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, le vent de liberté qui souffle sur le monde arabe a balayé deux dictatures méditerranéennes et ébranlé la troisième.
Pourtant, le despote qui, depuis quarante ans, maintient la Libye sous son joug n’a pas hésité à tirer sur son propre peuple, sous les yeux de la communauté internationale.
Nous ne pouvions rester insensibles aux images et aux témoignages qui font état de la sanglante répression dont se sont rendus coupables Kadhafi et sa clique. Pas davantage nous ne pouvions ignorer l’appel à l’aide que nous adressaient les insurgés qui luttaient contre cette répression avec des armes inégales.
Savoir et ne pas agir eût été, pour les démocraties, se rendre coupable de « non-assistance à nation en danger ». Nous avons trop longtemps fermé les yeux sur les incartades, les foucades et même les crimes du guide libyen, pour continuer à accepter qu’il viole ouvertement les droits de l’homme et s’en fasse gloire.
M. Roland Courteau. Ça, on le savait déjà en 2007 !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Nous nous félicitons que le Président de la République ait, le premier, pris l’initiative d’une action concertée pour mettre un terme à la tragédie libyenne.
Les efforts qu’il a déployés, ainsi que ceux de la diplomatie française, sous votre impulsion, monsieur le ministre d’État, tant auprès de l’Union européenne que de la Ligue arabe et des Nations unies, ont permis de constituer la coalition dont le but immédiat est d’obtenir un cessez-le-feu durable, la fin des exactions perpétuées par Kadhafi et ses partisans et l’établissement en Libye d’une démocratie.
Les premiers coups qui ont été infligés à ses partisans doivent leur faire ressentir qu’ils doivent renoncer à la violence s’ils ne veulent pas subir de très lourdes pertes. Mais, quoi qu’il arrive, Kadhafi et ses complices devront répondre de leurs actes devant leur peuple comme devant la juridiction pénale internationale.
Tant que le dictateur demeurera au pouvoir, le peuple libyen ne jouira d’aucune liberté, d’aucune paix et d’aucune perspective démocratique. La seule issue possible et acceptable est son départ et la fin de son régime. Il s’agit là d’un préalable, car son maintien au pouvoir consacrerait la fin des aspirations des Libyens comme l’impuissance des Nations unies devant la force brutale et l’arbitraire.
Loin d’être, comme il le prétend, un rempart contre l’islamisme, Kadhafi l’exacerbe en faisant des islamistes des martyrs qui s’identifient à la lutte contre l’oppression. Il est en outre paradoxal que celui qui fut en son temps le chef d’un État terroriste se pose en meilleur acteur de la lutte anti-terroriste.
Notre intervention était à tous égards nécessaire, justifiée et légale, mais il est indispensable d’en fixer les limites et d’en évaluer les conséquences.
Nécessaire, l’intervention de la coalition l’était parce que, sans elle, le régime de Tripoli, avec son aviation et ses armes lourdes, aurait rapidement mis fin à la résistance des combattants cyrénaïques. Il avait, au surplus, annoncé une répression sanglante de l’insurrection. C’est le seul domaine dans lequel on pouvait le croire sur parole !
Juste, le soutien que nous apportons au peuple libyen est conforme à nos valeurs comme à nos traditions. Il est fidèle aux dispositions de la Charte des Nations unies, qui proclame les droits des peuples à la liberté, la justice et la tolérance.
Légal enfin, notre concours se fonde sur la résolution 1973 de l’ONU, qui est l’aboutissement des prises de position et de décisions convergentes, que ce soit celles de la Ligue arabe, de l’Union africaine, du secrétariat général de l’Organisation islamique, de l’Union européenne, du G8 et de la résolution 1970 excluant la Libye du Conseil des droits de l’homme.
Le Conseil de la Ligue des États arabes a demandé, le 12 mars dernier, l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne et la création de zones protégées pour assurer la protection des populations libyennes. Cette responsabilité de protection consacrée par la résolution explique et légitime l’action de la coalition. Elle est dans la droite ligne du chapitre VII de la Charte des Nations unies, notamment son article 42, qui prévoit le recours à la force pour le rétablissement de la paix.
D’ores et déjà, nous devons constater, pour nous en féliciter, que l’utilisation des frappes aériennes et navales autorisées par la résolution 1973 a prévenu un massacre annoncé, et brisé l’offensive de Kadhafi sur la Cyrénaïque.
Ces résultats satisfaisants ne doivent pas pour autant occulter les limites de l’action entreprise.
La résolution 1973, dans son paragraphe 4, exclut tout « déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen ». Il en découle que la seule disposition protectrice légale est la mise en place de la zone d’exclusion aérienne, ainsi que, le cas échéant, des frappes ciblées.
L’exemple irakien montre que le maintien de la zone de protection aérienne peut être long et coûteux, car il nécessite des moyens aériens importants. Si les États-Unis décident de limiter leur intervention dans le temps, la responsabilité du respect de cette zone incombera alors aux autres membres de la coalition et son efficacité dépendra de leur cohésion.
La navrante faiblesse de l’Union européenne et l’absence de structures militaires solides en son sein expliquent que, tout naturellement, nombre de nos partenaires se tournent vers l’OTAN quand il s’agit de s’engager dans l’opérationnel.
Nous avons récusé le patronage de l’OTAN avec raison, car il aurait été difficilement accepté par les nations arabes, mais nous sommes conscients des difficultés de la mise en œuvre d’un commandement international, particulièrement dans le cas d’un retrait américain, sans un concours logistique de l’OTAN.
Nous nous employons avec ardeur à ne nous dissocier à aucun moment des États de la Ligue arabe et à maintenir un lien permanent avec eux dans la conduite de nos interventions. Pas plus que les États membres de l’Union européenne, les États arabes ne sont unanimes sur la politique à mener vis-à-vis de la Libye. L’Algérie s’est notamment abstenue lors du vote de la résolution aux Nations unies. Pour des raisons compréhensibles, les États africains voisins de la Libye font preuve d’une grande prudence et l’engagement actif des États arabes provient plutôt des États du golfe Persique.
Mais, parce que la Libye est un État arabe, les nations arabes ne sauraient être indifférentes à son avenir et laisser aux seuls États d’Europe ou d’Amérique du Nord le soin de neutraliser le dictateur libyen ou de l’éliminer. Le devoir de protection à l’égard du peuple libyen est aussi le leur.
Enfin, il sera très difficile aux partisans du Conseil national de transition de mettre fin au régime de Kadhafi et ses soutiens sans l’aide de la communauté internationale ou des États voisins, faute de disposer des moyens militaires suffisants.
Le risque est de voir se mettre en place une partition de fait, chaque camp demeurant retranché dans la zone où il est le mieux implanté. Sans même parler des suites d’un chaos en Libye pour la sécurité de nos approvisionnements énergétiques ou de l’accentuation des flux migratoires vers l’Europe, l’affaiblissement durable de l’État libyen serait une menace grave pour la paix dans cette partie de l’Afrique en raison de sa situation stratégique.
Ce pays ne saurait devenir un nouveau havre pour les islamistes – et donner l’occasion à Al-Qaïda au Maghreb islamique d’étendre son empire – ou un nouvel espace pour tous les trafics, celui de la drogue en particulier.
La France, la première, a reconnu le Conseil national de transition.
Comme vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, il appartient au seul peuple libyen de fixer son destin et de se doter des institutions de son choix.
Même si la résolution des Nations unies ne demande pas le départ de Kadhafi, le maintien de son pouvoir oppresseur est incompatible avec les profonds changements qui s’annoncent dans le monde arabe.
Le soutien au Conseil national de transition implique probablement un blocus total, empêchant Kadhafi d’obtenir des ressources extérieures. Mais l’embargo sur les armes et le gel des avoirs du dictateur et de ses affidés sont-ils suffisants ? Ne faudra-t-il pas recourir à des mesures plus contraignantes pour l’empêcher de trouver de nouvelles ressources ?
Quelle coopération peut-on attendre des pays voisins et de la communauté internationale dans ce domaine ? La Russie et la Chine, qui se sont abstenues lors du vote aux Nations unies, sont-elles prêtes à s’associer à un blocus ?
L’Union européenne et l’ONU ont un rôle majeur à jouer pour aider à la reconstruction des institutions et mener des actions de soutien au peuple libyen, et nous nous réjouissons que vous nous ayez annoncé un soutien important de l’Union européenne et de la France dans ce domaine.
La Libye dispose d’atouts importants : 50 % de sa population est âgée de moins de vingt ans, elle est alphabétisée à 90 % et urbanisée à 85 %. Elle peut compter sur une diaspora susceptible de jouer un rôle important dans la modernisation du pays. C’est également un pays riche de ses immenses ressources énergétiques et qui dispose de 120 milliards de dollars de réserves. Tous ces moyens peuvent être mis au service du développement de l’économie et de la démocratie.
La Libye démocratique doit donc pouvoir compter sur notre soutien.
La France, grâce à l’action du Président de la République et du Gouvernement, grâce à votre force de conviction et à votre expérience, monsieur le ministre d’État, mais aussi à notre diplomatie, grâce à l’engagement courageux de nos forces aériennes et navales, aura œuvré avec promptitude, ardeur et efficacité pour venir en aide à un peuple victime de ses dirigeants.
Comment ne pas éprouver un sentiment de fierté quand ceux à qui nous portons secours nous clament leur reconnaissance et rendent un hommage vibrant à notre action ?
Comment rester insensibles à l’espoir que les peuples arabes mettent dans un avenir plus libre et plus démocratique ? Par quelle fatalité seraient-ils condamnés pour la suite des temps à la dictature et à l’oppression ?
Pourquoi ne rêverions-nous pas d’une Méditerranée qui, loin d’être l’enjeu de conflits sanglants entre les États qui la bordent, serait un océan de paix et un espace de liberté rapprochant l’Europe, l’Asie et l’Afrique ?
Vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre, en nous engageant comme nous l’avons fait, nous avons pris un risque, celui d’un échec, qui laisserait la Libye demeurer une terre de malheur. Mais il y a quelque chose de pire que de prendre un risque : celui de s’exposer, par manque de courage, par indifférence ou par égoïsme, à laisser massacrer un peuple à nos portes, sans lui venir en aide.
C’est l’honneur de la France d’avoir refusé ce parti ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.
La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans les circonstances graves de cette séance particulière, le groupe de l’Union centriste souhaite formuler le plus sobrement possible les observations suivantes.
Mes premiers mots seront pour saluer la clairvoyance et la détermination des dirigeants français : je pense avant tout au Président de la République et à vous-même, monsieur le Premier ministre ; l’un et l’autre, vous avez su jusqu’à présent gérer ce dossier libyen dans un contexte délicat.
Nos opinions publiques sont peu portées à l’engagement militaire. De nombreux pays, y compris des pays voisins, expriment leurs réticences. De surcroît, d’autres conflits sont en cours, notamment en Irak et en Afghanistan. Bref, la situation est complexe.
Mais nos dirigeants, inspirés par les valeurs de la République, le respect des droits de l’homme, l’héritage séculaire de la France, ont eu la volonté et la capacité de passer à l’acte. Ils l’ont fait sans forfanterie, calmement mais fermement, et nous tenions à le souligner.
Nous voulons aussi saluer le travail diplomatique de grande qualité qui a été mené par vous-même, monsieur le ministre d’État, et votre administration, sans oublier celui du ministre de la défense nationale.
Notre diplomatie a été présentée, il n’y a pas si longtemps, comme repliée, déclinante. Nous n’aurions pas su entendre les premiers cris de révolte dans le monde arabe… Nous n’aurions pas su voir ces révolutions en marche de l’autre côté de la Méditerranée…
M. Jean-Pierre Sueur. C’est la réalité !
M. François Zocchetto. En réalité, avec ce dossier libyen, nous avons la démonstration que la diplomatie française est inspirée, dirigée et efficace. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)
Cette intervention était-elle nécessaire ? Oui, bien sûr !
Au-delà de son aspect quasi pagnolesque, avec ses accoutrements et ses foucades,…
M. Roland Courteau. Cela n’a rien à voir avec Pagnol !
M. François Zocchetto. … M. Kadhafi est bien un tyran, qui représente une menace pour sa propre population comme pour la sécurité dans le monde. Il est imprévisible dans ses réactions, avide de richesses, et il se livre au pillage de son propre pays. Il peut même être sanguinaire.
Le régime de M. Kadhafi mérite d’être combattu par les Libyens eux-mêmes. Mais il est des circonstances où ces derniers, qui ne demandent qu’à vivre en paix dans leur pays – un pays dans lequel le monde latin trouve une partie de ses racines –, méritent d’être aidés, et c’est bien à les aider que nous nous employons avec les forces de la coalition.
Certes, l’intervention est difficile, la partie n’est pas simple et un certain nombre de questions se posent aujourd'hui.
Premièrement, les forces de la coalition devaient-elles intervenir rapidement ? À cette question je crois pouvoir d’ores et déjà répondre par l’affirmative, car les voies de la concertation et de la discussion ont été épuisées ces derniers jours.
Par ailleurs, chacun a bien perçu l’urgence extrême pour la population libyenne, au premier chef les habitants de Benghazi et de la Cyrénaïque. Que n’aurions-nous pas entendu, que n’aurions-nous pas dit nous-mêmes, si nous avions attendu ? Chacun sait que les conséquences auraient été dramatiques et irréversibles.
La deuxième question, à laquelle je n’ai pas de réponse immédiate, est celle de la gouvernance de cette opération.
En effet, cette gouvernance ne paraît pas forcément bien établie. Il n’est certes pas judicieux que le commandement soit confié à l’OTAN, mais quelle sera la place des États-Unis dans les prochaines semaines ?
Troisième question : quelle sera l’attitude de la Ligue arabe et de l’Union africaine ? Ces deux organisations ont pris position en faveur de l’intervention, mais il y a eu des critiques concernant le déroulement des opérations. Certains craignent une mise en péril des populations civiles. Nous souhaiterions être rassurés sur ce sujet.
Autre interrogation : que peut-il en être de l’intégrité du territoire libyen et de la stabilité de ce pays dans les prochains mois ?
Enfin, le groupe de l’Union centriste souhaite formuler une remarque sur le rôle de l’Union européenne. Nous regrettons que l’Europe n’ait pas réussi à parler d’une seule voix. Le Conseil européen n’est pas parvenu à un résultat clair. Une position commune n’a pas été élaborée et, finalement, force est de reconnaître l’absence de l’Union européenne en tant que telle dans la coalition.
La France et le Royaume-Uni ont assumé la responsabilité de prendre la tête d’une vaste négociation internationale. Les dirigeants français ont eu le courage de passer à l’acte. Les militaires français sont mobilisés et, à cet instant, nous avons une pensée particulière pour eux, car ils sont directement confrontés aux risques qu’impliquent ces opérations.
Nous ne savons pas, à l’heure actuelle, quelle sera l’issue des opérations militaires. Le sort des Libyens n’est pas encore assuré face à la répression menée par les forces de M. Kadhafi. Mais c’est parce qu’il y va désormais de notre devoir et de notre honneur que le groupe de l’Union centriste se déclare favorable à l’engagement militaire de la France en Libye. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, je tiens tout d’abord à excuser l’absence de Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, qui a subi un gros coup de fatigue, mais qui est maintenant sur la voie du rétablissement. Lui qui avait, la semaine dernière, demandé la convocation du Parlement aurait évidemment grandement apprécié d’être aujourd'hui devant vous, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour participer à ce débat marquant un moment de particulière gravité.
De gravité parce que ce qui est en jeu, c’est la guerre et la paix.
De gravité parce que nos soldats sont engagés dans des opérations périlleuses, au service du peuple libyen, mais aussi d’une certaine idée de la communauté, de la légalité et de la morale internationales. Nos pensées vont aujourd’hui vers nos soldats qui assument cette mission et portent ce message, vers leurs familles et leurs proches, qui attendent leur retour une fois leur mission accomplie.
De gravité, enfin, parce que la situation en Libye nous rappelle, si besoin en était, que nous vivons dans un monde dangereux.
Nous sommes à l’heure de la mondialisation, où toutes les menaces sont liées et où, dans le même temps, les peuples se réveillent pour prendre en main leur destin.
C’est bien dans ce contexte qu’il nous faut apprécier aujourd’hui l’action de la diplomatie française au sein de la communauté internationale, comme l’engagement de nos forces armées sur le terrain.
Monsieur le Premier ministre, je tiens à le dire sans équivoque : le groupe socialiste du Sénat, au nom duquel j’ai l’honneur de m’exprimer aujourd’hui, soutient la philosophie générale qui a conduit, la semaine dernière, à l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Nous soutenons la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne dans le ciel libyen, ainsi que l’adoption des mesures répressives, sous chapitre VII de la Charte des Nations unies, autorisant le recours à la force.
Sans oublier que la résolution 1973 résulte d’une initiative conjointe de la France et du Royaume-Uni, nous nous félicitons du rôle joué par la diplomatie française tout au long du processus de négociation à New York. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Mme Jacqueline Panis. C’est bien que vous le souligniez !
M. Jean-Louis Carrère. Nous nous en félicitons d’autant plus que nous avions demandé, dès le déclenchement de la crise libyenne, une action ferme et résolue.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Louis Carrère. Or, malgré ce que je viens de dire, force est de constater que la réponse de la communauté internationale a tardé.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Louis Carrère. Pendant de longs jours, puis des semaines, nous avons regardé les événements se dérouler. Nous n’avons pas réagi. Nous avons assisté, impuissants, aux massacres déclenchés par le colonel Kadhafi contre ses opposants, contre la population civile, contre son propre peuple. Cette attitude avait au moins un mérite : celui d’une terrible cohérence avec les choix malheureux imposés à la diplomatie française depuis 2007,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. … des choix qui ont vu la patrie des droits de l’homme recevoir en grande pompe l’un des pires tyrans de la planète, au motif officiel qu’il avait fini par libérer des infirmières injustement retenues !
M. Roland Courteau. C’est bien de le rappeler !
M. Jean-Louis Carrère. Et puis, au-delà de ces choix lourds de conséquences pour le prestige de notre pays dans le monde, il y a eu les atermoiements, les hésitations et même les profondes erreurs d’analyse qui ont fait que la France est passée totalement à côté des printemps arabes. Viciée dans son diagnostic, notre approche fut tout aussi erronée dans les réactions face au formidable mouvement de libération qui a gagné la Tunisie, puis l’Égypte.
Ces flottements nous ont coûté cher, et ils ont failli se reproduire dans notre appréhension du dossier libyen, où l’inaction face à la folie meurtrière de Kadhafi nous aurait rendus complices de non-assistance à peuple en danger. (M. Roland Courteau opine.)
Monsieur le Premier ministre, vous le savez, le débat devant la Haute Assemblée tout comme nos travaux en commission des affaires étrangères ont un but, et un seul : permettre le contrôle démocratique, par le Parlement, des choix fondamentaux que le Gouvernement est amené à faire, et qui engagent notre pays tout entier.
C’est dans cet état d’esprit que je souhaite à présent vous demander des précisions sur différents points ou faits, ainsi que des éclaircissements sur notre stratégie et nos objectifs. Car, force est de le constater, bien des choses restent floues en l’état actuel des informations dont nous disposons et nombre de points méritent d’être précisés pour éclairer nos débats et guider notre action.
Qu’en est-il, d’abord, du positionnement exact de la Ligue arabe ?
C’est une question essentielle si nous voulons éviter que les opérations militaires en cours ne soient interprétées comme un affrontement entre les peuples occidentaux et les peuples arabes, entre l’Occident et l’Orient, en un mot, comme un choc des civilisations. Non, non, non, mes chers collègues, nous ne sommes pas à l’initiative d’une nouvelle croisade !
À cet égard, il faut d’ailleurs souligner l’importance de la réunion à Paris, samedi dernier, sous la présidence conjointe de la France et du secrétaire général des Nations unies, des dirigeants de la Ligue des États arabes et de l’Union européenne et des représentants des États-Unis et du Canada.
Nous le savons, et la résolution 1973 le rappelle expressément, la Ligue arabe a elle-même demandé, le 12 mars dernier, l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye. Mais quelle est aujourd’hui la stratégie de la Ligue arabe ?
Sa participation militaire aux opérations en cours est pour le moins modeste, mais comment pourrait-il en être autrement de la part de certains États qui peuvent, eux-mêmes, craindre d’être placés, demain, dans des situations similaires ? Le malaise n’est-il pas plus grand dès lors que seuls le Qatar et les Émirats arabes unis semblent réellement disposés à fournir une contribution militaire ?
Toujours sur le plan politique, comment interpréter, en outre, le relatif flottement dans les déclarations d’Amr Moussa ces derniers jours ?
Je formule de telles interrogations car je suis convaincu que la pleine implication de la Ligue arabe dans les opérations en cours et dans les décisions à venir conditionne en partie la réussite des processus.
Deuxième question, dans le même ordre d’idées : comment évaluer l’attitude de l’Union africaine ?
Là aussi, rien n’est simple, rien n’est évident. En effet, le comité de l’Union africaine sur la Libye a certes réclamé, le dimanche 20 mars, lors de sa réunion à Nouakchott, « la cessation immédiate de toutes les hostilités ». Mais, dans le même temps, il a aussi appelé la communauté internationale « à la retenue » pour éviter « de graves conséquences humanitaires ». Si nous ne pouvons que partager ce souci légitime, devons-nous y voir plus que de simples précautions, une prudence excessive de l’Union africaine à l’égard des opérations en cours ?
Que pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier ministre, au sujet des efforts diplomatiques destinés à consolider l’implication de la Ligue arabe et de l’Union africaine, acteurs régionaux majeurs sans lesquels il n’y aura pas de solution durable et viable aux défis que nous rencontrons ? Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, il est déterminant d’y parvenir !
La France est dans son rôle en choisissant le camp du droit international et en voulant venir en aide à un peuple en danger ! Toutefois, n’oublions pas que, au même moment, et dans un silence international assourdissant, y compris dans le monde arabe, la répression s’abat au Yémen et à Bahreïn. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit également réussir à traiter cette situation.
J’en viens à la question du positionnement de nos partenaires européens et américains.
Une nouvelle fois, monsieur le Premier ministre, l’Union européenne se montre divisée sur un sujet fondamental. Cet état de fait est apparu dès le vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité, au cours duquel nos amis allemands se sont abstenus, rejoignant le Brésil, la Chine, la Fédération de Russie et l’Inde.
Plus profondément, comment ne pas déplorer la manière dont l’Union européenne s’est comportée dans cette affaire ? Absence d’authentiques débats politiques, inadaptation des cadres de planification et d’intervention, inexistence de fait de l’Europe diplomatique et de l’Europe de la défense avec, au final, une gestion franco-britannique se substituant à une approche européenne intégrée : tel est, à ce jour, le bilan européen sur la question libyenne ! Tel est le bilan d’une Europe qui n’a pas su comprendre la profondeur, l’importance, la signification des printemps arabes, et qui n’a pas saisi ces événements historiques pour tendre la main et élaborer une nouvelle approche politique globale à l’égard de l’autre rive de la Méditerranée !
J’ajoute que les États membres de l’Union européenne n’ont pas su élaborer une approche commune sur le rôle et l’implication de l’OTAN dans les opérations libyennes. Le Luxembourg et l’Italie notamment sont allés très loin, en indiquant que l’OTAN était, pour eux, le seul cadre d’action approprié. C’est pourquoi la question de la structure de commandement reste posée.
Monsieur le Premier ministre, que pouvez-vous nous dire sur cette structure de commandement ? Comment s’articulent les prises de décision entre des opérations qui, à ce stade, sont nationales ? Quelle est la part de la France au sein de cette prise de décision qui est coordonnée, d’après ce que nous comprenons, par les quartiers généraux américains de Ramstein et Naples ?
Enfin, et surtout, pouvez-vous nous garantir de manière certaine que ni la France ni nos forces armées ne courent le risque d’être impliquées involontairement par des décisions qui auraient été prises sans notre accord plein et entier ?
En outre, se pose, mes chers collègues, la question des objectifs stratégiques que nous poursuivons. À cet égard, le Parlement doit être informé, monsieur le Premier ministre !
En engageant nos forces armées, poursuivons-nous pour seul objectif la pleine et entière mise en œuvre de la résolution 1973 ? Certes, ce serait déjà bien, mais que ferons-nous une fois les stipulations de cette résolution pleinement effectives ? La France et la coalition ont-elles d’autres buts, au-delà de l’obtention d’un cessez-le-feu protégeant les populations civiles et ouvrant la voie à de possibles négociations ? En particulier, est-il envisagé de mobiliser la communauté internationale contre Kadhafi et son régime, avec, pour objectif ultime, la chute et le changement de ce régime ? Voulons-nous renverser Kadhafi pour installer à sa place un gouvernement issu du Conseil national de transition de Benghazi ? J’ai bien entendu l’intervention de M. le Premier ministre déclarant que ce ne serait l’apanage que du peuple libyen lui-même. Mais où allons-nous, en droit ou en fait ? (M. Dominique Braye s’exclame.) Allons-nous vers une sorte de mise sous tutelle internationale de la Libye ? Au-delà, monsieur le Premier ministre, ne prenons-nous pas le risque de sa partition ?
Enfin, sur qui nous appuyons-nous localement ? Quelles sont les forces locales potentiellement en mesure de contribuer à la réussite des opérations militaires ? Ces forces sont-elles en état d’assurer la continuité de l’État libyen et de garantir une transition démocratique ?
Je veux le dire avec gravité : nous devons connaître le mandat que la France et la communauté internationale souhaitent fixer aux forces engagées. Car de là découle une autre question fondamentale, celle de savoir si nous serons ou non en guerre en Libye !
Si tel était le cas, nos objectifs devraient être clairs, affichés et partagés. Il faudrait d’ailleurs que cette déclaration de guerre soit autorisée par le Parlement, conformément aux dispositions de l’article 35 de notre Constitution. Et ce même si vous avez aujourd’hui fait le choix, monsieur le Premier ministre, de nous convoquer sur le fondement de l’alinéa 2 de cet article, nous interdisant par là même de voter et, ainsi, de démontrer notre détermination et notre soutien à l’action entreprise dans le cadre de l’Organisation des Nations unies.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Pourquoi ce débat sans vote ? Pourquoi vous en privez-vous et pourquoi nous en privez-vous ?
Poser la question de la guerre et de nos objectifs, c’est aussi poser la question de la durée de notre engagement. En effet, de nos objectifs stratégiques découleront naturellement des conséquences à cet égard.
Sur ce point, nous sommes dans une situation paradoxale. L’intervention militaire aura été un peu trop tardive pour avoir un effet dissuasif a priori : elle n’aura pas évité des bains de sang tragiques, ni la mort de victimes innocentes. Dans le même temps, malgré le déséquilibre assez flagrant des forces en présence, rien ne garantit la fin des interventions dans un avenir proche, ni le fait que nous saurons éviter le cauchemar d’un enlisement.
Non, je vous le dis, monsieur le Premier ministre, gauche et droite ne sont pas confondues ! Elles ne le seront jamais (Tant mieux ! sur plusieurs travées de l’UMP.), mais elles peuvent se rejoindre sur certains objectifs.
M. Bruno Sido. Ah bon !
M. Jean-Louis Carrère. La position de notre groupe est sans ambiguïté, et j’espère l’avoir exprimée clairement.
Nous soutenons la résolution 1973, dans son inspiration et dans les actions sur lesquelles elle débouche aujourd’hui, tout en restant très attentifs à l’évolution des opérations militaires.
Nous demandons que les objectifs stratégiques poursuivis soient portés à la connaissance du Parlement et que celui-ci soit informé et associé en temps réel à l’ensemble des décisions qui engagent notre pays.
Nous exhortons, à vos côtés, la communauté internationale à tout mettre en œuvre pour empêcher la mort de victimes innocentes. Il faut interdire aux hommes de main de Kadhafi de poursuivre leurs agissements. Et, sans, naturellement, tout placer sur le même plan, tout doit être mis en œuvre pour éviter des opérations mal calibrées qui conduiraient à ce qu’il est désormais convenu d’appeler, selon une expression atroce, des « dommages collatéraux ». (M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, opine.)
Aujourd'hui, nous devons avoir le souci d’éviter des massacres monstrueux, déclenchés par un dictateur pouvant, à juste titre, estimer qu’il n’a plus grand-chose à perdre. Nous devons porter assistance au peuple libyen menacé des pires représailles. En somme, nous devons créer les conditions permettant aux Libyens de voir le succès de leur résistance et, demain, de prendre leur destin en main en s’engageant eux-mêmes sur les « chemins de la liberté ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Marie-Agnès Labarre et M. Jean Arthuis applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, la décision était difficile. Ce qui était en cause n’était pas un risque imaginaire, comme en Irak en 2003. C’était un risque bien réel : celui de voir un gouvernement s’affirmant lui-même « sans pitié » utiliser tous les moyens de terreur pour faire taire une opposition, comme on l’a vu dans maintes villes libyennes reprises aux insurgés et comme on le voit encore aujourd’hui à Misrata, où les violences ont fait quarante morts et trois cents blessés. Et cela à un moment particulier, vous l’avez souligné, où les aspirations à la démocratie et à la dignité se manifestent avec force dans différents peuples arabes, à commencer par le peuple tunisien, si proche de nous, et par le peuple égyptien, cœur vivant du monde arabe.
Depuis 2005, l’ONU reconnaît à son Conseil de sécurité la « responsabilité de protéger » un peuple sur lequel ses dirigeants commettraient un « crime contre l’humanité ». C’est cette décision qui a été prise par le vote de la résolution 1973, adoptée quand il en était encore temps, le 17 mars dernier, par le Conseil de sécurité des Nations unies et qui est mise en œuvre par la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et plusieurs autres pays volontaires, y compris des pays arabes. Il est important que cette intervention n’apparaisse pas comme celle de l’Occident et encore moins comme celle de l’OTAN.
Voilà une quinzaine de jours, on s’interrogeait dans les gazettes pour savoir si la politique extérieure de la France devait être faite par les diplomates ou par les politiques. On a cru l’affaire tranchée il y a huit jours, quand un philosophe autoproclamé, s’appuyant sur les émotions suscitées par les images, annonça sur le perron de l’Élysée que la France reprenait à son compte le fameux « droit d’ingérence » et rompait avec la règle selon laquelle elle reconnaît des États et non des gouvernements. Heureusement, le ministre d’État a recadré l’expression du Gouvernement (M. le ministre d'État fait un signe de dénégation.), sans toutefois parvenir à dissiper totalement un léger parfum d’aventurisme. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Il est vrai que la diplomatie française se situe sur une ligne de crête : la France, berceau de la Révolution de 1789, a toujours affirmé la souveraineté des peuples. Aussi bien, le « droit » et encore moins le « devoir d’ingérence » n’ont jamais été reconnus par les Nations unies. Seule l’a été la « responsabilité de protéger », sous l’égide du Conseil de sécurité. (M. Jean-Louis Carrère opine.) C’est tout à fait différent, même si, quelquefois, la distinction peut paraître ténue !
La résolution 1973 nous oblige donc. Elle fixe un objectif : la « protection des civils et des zones peuplées par des civils ». Il est vrai qu’elle autorise « tous les moyens nécessaires », à l’exclusion de toute occupation au sol, sous quelque forme que ce soit. L’aviation, la marine sont engagées. Des Français sont au combat. Ils risquent leur vie. À l’instar de tous, je les salue.
Monsieur le Premier ministre, la résolution 1973 pose donc des limites (M. le Premier ministre opine.) qu’il convient d’autant plus de respecter que cinq pays au Conseil de sécurité, et pas des moindres, se sont abstenus : la Chine et la Russie, qui auraient pu utiliser leur droit de veto, l’Inde et le Brésil, deux des plus importants pays émergents, et, enfin, l’Allemagne, notre partenaire privilégié en Europe, ces trois derniers pays dont les autorités, on le sait, souhaitent qu’ils deviennent membres permanents du Conseil de sécurité.
M. Michel Sergent. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. L’attitude du gouvernement de Mme Merkel est quand même préoccupante, il faut le dire. Le couple franco-allemand semble n’exister à ses yeux que dans un seul sens : quand il s’agit d’annoncer la fermeture de sept centrales nucléaires allemandes parmi les plus anciennes, il ne lui paraît pas nécessaire de consulter Paris. En revanche, Paris se croit obligé de soutenir un prétendu « pacte de compétitivité » qui interdit toute relance et nous enferme dans une perspective économique et sociale régressive. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Je passe sur l’attitude des États-Unis, dont le gouvernement, entre le département d’État et le Pentagone, a paru pour le moins partagé et dont le président vient de rappeler que l’engagement restera limité. La responsabilité de la France et celle de la Grande-Bretagne n’en sont que plus grandes. Connaissant votre attachement à cette relation franco-britannique, je suis sûr que vous saurez peser pour que cet axe se maintienne.
Je ne dirai rien de la prise de position du secrétaire général de la Ligue arabe, qui, le 20 mars, a condamné des frappes sur des cibles militaires qu’il paraissait avoir approuvées la veille. Ses propos ont, paraît-il, été mal interprétés. Je m’en réjouis, mais tout cela montre quand même que le terrain n’est pas extrêmement solide.
Monsieur le Premier ministre, ce contexte international doit rester présent à notre esprit.
Bien entendu, les frappes en Libye ne doivent concerner que des cibles militaires et en aucun cas des infrastructures civiles. De surcroît, il faut éviter les dommages collatéraux sur les civils – je reprends l’expression de M. Jean-Louis Carrère –, d’autant plus que c’est la condition de la réussite politique. Civils de tous bords, car la « responsabilité de protéger » est globale et concerne tous les Libyens, comme il est rappelé dans le préambule de la résolution : « réitérant la responsabilité des autorités libyennes de protéger la population libyenne, réaffirmant que les parties au conflit armé ont la responsabilité primordiale de prendre toutes les mesures possibles pour assurer la protection des civils ». J’arrête là ma citation. Elle a tout de même le mérite de la clarté.
À ce stade, deux hypothèses peuvent être formulées : ou bien le régime du colonel Kadhafi s’effondre sous la pression de la contestation populaire et sous le poids de ses propres contradictions. Cette issue est hautement souhaitable. C’est un vœu que vient de réitérer le Président Obama, mais ce n’est qu’un vœu, car cet objectif ne figure pas dans la résolution 1973. On ne peut interpréter l’expression « user de tous les moyens nécessaires » au-delà de ce qu’implique l’objectif de protection des civils, par exemple pour une politique de « regime change », comme disent les Anglo-Saxons, ou de changement de régime, pour ceux qui ne parlent pas l’anglais ! (Merci ! et sourires sur les travées de l’UMP.) J’ai toujours le souci de ne pas instaurer une anglophonie systématique, comme on le constate trop souvent sur nos campus ! (Très bien ! sur les mêmes travées.)
Si regrettable que soit l’hypothèse, on ne peut donc exclure que le colonel Kadhafi parvienne à se maintenir, au moins temporairement, en Tripolitaine et au Fezzan, à la faveur d’un cessez-le-feu que déciderait le Conseil de sécurité des Nations unies. On sait comment on commence une guerre, on sait rarement comment on la termine. L’adage est bien connu !
La Libye est un État fragile. L’intérêt national est de ne pas laisser s’installer un foyer d’anarchie en Afrique du Nord ou en Afrique sahélienne. M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées l’a rappelé très justement. Je ne doute pas que votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, comptable de l’image de la France et de nos intérêts dans le monde, notamment arabe, et particulièrement au Maghreb, ait le souci de faire prévaloir, comme vous l’avez-vous-même déclaré, une interprétation stricte de la résolution 1973. Je vous en rends témoignage.
C’est au peuple libyen, et non à une intervention extérieure, et encore moins à une intervention de l’OTAN, qu’il revient de conquérir la démocratie à laquelle la Libye a droit. Il faut donc respecter à la fois le temps de l’Histoire et la dignité des peuples arabes, dont le destin est lié au nôtre. Rien ne doit être fait qui les dissuade de participer à la mise en œuvre de la résolution 1973.
Mon sentiment est que le colonel Kadhafi ne pourra survivre très longtemps à une défaite avérée. Laissons, s’il le faut, aux peuples arabes le soin d’abréger son pouvoir. Évitons tout ce qui pourrait donner l’impression que nous voulons imposer à la Libye nos choix politiques. Le rôle de la Communauté internationale est de créer les conditions qui permettront au peuple libyen de construire lui-même son avenir ainsi que, monsieur le Premier ministre, vous l’avez clairement précisé à cette tribune.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. La démocratie n’est pas un article d’exportation. (M. Bruno Sido sourit.) C’est à chaque peuple qu’il revient de se l’approprier.
La France ne doit pas oublier qu’elle ne fait pas partie en premier lieu de la famille des nations occidentales. Elle fait d’abord partie de la grande famille des nations humaines. Elle se doit donc de respecter l’indépendance et le droit à l’autodétermination de chaque peuple. La résolution 1973, oui, mais rien que la résolution 1973 ! Ce n’est pas seulement l’intérêt de la démocratie dans le monde arabe et celui, bien compris, à long terme, de la Libye. C’est aussi l’intérêt de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur de nombreuses travées de l’UMP. – M. Jean Arthuis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, dès vendredi, j’ai demandé, au nom de mon groupe, une réunion du Parlement pour débattre de l’intervention militaire de notre pays en Libye.
Aujourd’hui, elle est de droit de par la Constitution, mais, une nouvelle fois, je ne peux que regretter qu’à la différence d’autres pays l’exécutif puisse décider une telle intervention avant que les représentants du peuple en soient informés et, en conséquence, sans leur accord. Au regard des très importantes conséquences à attendre d’une telle décision, le débat préalable du Parlement serait légitime et, à mon sens, très utile.
Depuis des mois, le monde arabe est en ébullition, les peuples dans de nombreux pays de la région se soulèvent contre leurs dictateurs. Si les conditions sont différentes d’un pays à l’autre, les exigences de démocratie et de justice sont partout présentes. À n’en pas douter, ces mouvements sont de grande portée.
Le moins que l’on puisse dire est que le pouvoir en France, comme d’ailleurs dans les autres pays européens, a été pris à contrepied par les révolutions tunisienne et égyptienne, lui qui a soutenu jusqu’au dernier moment l’ami Ben Ali ou qui avait fait de l’ami égyptien Moubarak le vice-président de l’Union pour la Méditerranée.
Alors, aujourd’hui, soudaine prise de conscience de la dictature libyenne, des exactions de Kadhafi contre son peuple, lui qui a été reçu ostensiblement avec tous les honneurs voilà deux ans à Paris ? Ou défense des intérêts pétroliers de Total comme de BP pour la Grande-Bretagne ? Ou opération de promotion, dont il a bien besoin, du président de la République sur la scène internationale ?
Attention danger !
Présentées aux opinions publiques comme indispensables pour protéger les populations, promouvoir la démocratie, juguler le terrorisme, repousser l’islamisme, au prix parfois de manipulations mensongères, les interventions militaires des Occidentaux, notamment en Irak et en Afghanistan, nous ont montrés, s’il en était besoin, les souffrances qui en ont découlé pour les populations, les incapacités à résoudre les problèmes des peuples concernés, a fortiori à instaurer la démocratie.
Le soulèvement populaire en Libye a besoin de soutien contre la répression sanglante déclenchée par Kadhafi. Cela, nous en sommes convaincus. Nous avons d’ailleurs constaté que les insurgés, s’ils demandent de l’aide, veulent contrôler les moyens de leur libération et ses suites. Ont-ils, en revanche, sollicité une telle intervention militaire extérieure ?
Les sénateurs communistes estiment absolument nécessaire que la communauté internationale se préoccupe de la protection des populations civiles, en Libye comme d’ailleurs partout où elles sont, hélas ! menacées. Au Yémen, à Bahreïn, en Côte d’Ivoire, et peut-être demain dans de nombreux pays qui essaient de secouer le joug qui les étouffe.
La question est : comment les aider ? Et là, il est légitime de s’interroger.
Monsieur le Premier ministre, les dispositions rendues possibles par la résolution 1970 du Conseil de sécurité le 26 février ont-elles été mises en œuvre avec détermination ? Je pense à la saisine de la Cour pénale internationale, à l’embargo sur les armes, au gel des avoirs libyens ou à l’embargo sur le pétrole. C’est une question !
Pourquoi les offres de médiations internationales ont-elles été refusées ?
Pourquoi n’a-t-on pas encouragé les efforts de l’Union africaine par une solution pacifique ?
Ces préoccupations m’ont amenée, vendredi à Matignon, à émettre des réserves sur la résolution 1973, à laquelle a poussé la France et qui a été adoptée par dix voix pour et cinq abstentions, présentée comme ayant pour seul objectif de protéger les populations civiles, sous l’égide de l’ONU, mais par tous les moyens possibles, ce qui s’est immédiatement révélé source d’interprétations diverses.
Quel est l’objectif réel ? L’instauration d’une zone d’exclusion aérienne ? Celle-ci est-elle réalisée ? Les opérations militaires engagées depuis samedi ne font qu’accroître nos interrogations. Je le déplore, mais c’est ainsi.
Des observateurs ont évoqué un véritable carnage sur la route de Benghazi à Ajdabiya. Qu’en est-il exactement ?
La France reconnaît des bombardements de quatre véhicules blindés de l’armée libyenne, autour de Benghazi, mais aussi l’envoi massif de missiles visant directement Tripoli et une résidence de Kadhafi.
Combien de morts, combien de soldats et de civils tués dans ce qui apparaît clairement être une guerre en Libye ?
Aujourd’hui, de nombreuses réserves sont exprimées. L’Union africaine a refusé de s’associer à l’opération ; la Ligue arabe, associée à l’intervention, conteste l’interprétation de la résolution 1973 ; les pays du Maghreb font part de leurs réticences ; l’Union européenne est divisée, tout comme les opinions publiques des pays européens engagés, y compris la Grande-Bretagne.
Par ailleurs, certains pays demandent le transfert à l’OTAN du commandement de l’opération. Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le Premier ministre, que les opérations se font sous le seul commandement américain, lequel les a d’ailleurs baptisées l’« Aube de l’Odyssée » ! Quelle est la position de la France sur cette question ?
Dans les circonstances actuelles, la transparence doit être totale pour que notre peuple et ses représentants aient la vision la plus exacte de la situation en Libye. Pouvez-vous nous fournir des éléments d’information sur le Conseil national de transition ? Quels rôles y jouent les anciens dirigeants kadhafistes ? La coordination est-elle réelle entre les démocrates de Benghazi et les forces armées qui combattent le régime libyen en ce moment même ? La résolution 1973, dans son premier point, demande un cessez-le-feu. Celui-ci doit être respecté par tous, comme le demande l’Union africaine. Comment agir pour permettre dans les faits et en toute transparence le respect de ce cessez-le-feu ?
Monsieur le Premier ministre, la France a-t-elle décidé de protéger les populations civiles, toutes les populations civiles, comme l’exige M. Moussa, dirigeant de la Ligue arabe, ou bien d’éliminer physiquement Kadhafi ?
Tout doit être mis en œuvre aujourd’hui pour faire taire les armes. La logique de guerre et le déploiement considérable de forces ne peuvent rien entraîner de bon. Quand considérerez-vous que l’objectif fixé par la résolution 1973 sera atteint ?
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, il faut stopper cette logique de guerre, qui, sous prétexte d’une aide bien tardive aux aspirations des peuples, présente tous les stigmates d’une « croisade occidentale », selon la formule employée par le ministre de l’intérieur, dans la région.
Enfin, allez-vous porter la voix d’une solution pacifique au Conseil de sécurité qui doit se tenir jeudi, alors que vous qualifiez l’intervention militaire de succès ?
Compte tenu de ces interrogations, vous comprenez, monsieur le Premier ministre, que nous continuions d’émettre des réserves sur l’action décidée par le Président de la République et votre gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Berthou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Gaudin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. Jean-Claude Gaudin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France est aujourd’hui de nouveau engagée militairement sur la scène internationale. Mes premières pensées, comme celles de l’ensemble des sénateurs du groupe UMP, vont à nos soldats, dont nous connaissons le professionnalisme.
Ce débat est pour nous l’occasion de leur réaffirmer le soutien de la représentation nationale. Il se tient à un moment où la France pèse sur le cours de l’histoire vivante pour défendre un peuple et sa liberté. La parole française a été entendue et suivie par l’ONU. L’initiative du Président de la République, la force de conviction du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, et le travail de notre corps diplomatique ont permis l’adoption de la résolution 1973 par le Conseil des Nations unies le 17 mars dernier.
Grâce au soutien de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de la Ligue arabe, de l’Espagne, de la Norvège, du Danemark, de la Belgique, du Canada et d’autres nations, l’intervention militaire de la coalition doit protéger le peuple libyen face à une répression sanglante et sans limite.
Mes chers collègues, ce « moment français » correspond à l’adresse d’un triple message au monde, à un moment où celui-ci vit une succession de drames et de crises.
C’est, d’abord, l’affirmation de la primauté des principes de liberté.
C’est, ensuite, un moment rare de consensus national, lequel nécessite de faire fi des dissensions partisanes qui animent traditionnellement notre vie politique et dont nous avons tant de mal à nous défaire.
C’est, enfin, un message aux Français, qui sont attachés à la démocratie et sont conscients qu’elle est un privilège à partager avec tous les peuples.
Nos compatriotes suivent les événements du sud de la Méditerranée avec inquiétude et espoir. La déclaration du Gouvernement et ce débat doivent permettre de leur apporter une réponse. Nous sommes réunis cet après-midi dans cet hémicycle afin d’assumer pleinement notre mandat de parlementaire en nous exprimant sur la mise en application de la résolution 1973 sur la crise libyenne.
Ainsi les États peuvent-ils prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les populations et les territoires, y compris Benghazi, qui sont sous la menace d’une attaque des forces de Kadhafi. Concrètement, cette résolution permet la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne.
Pour la France, cela se traduit par l’engagement des forces aériennes et navales et le lancement de l’opération Harmattan. Vous me permettrez, mes chers collègues, de saluer l’action déjà efficace de notre ministre de la défense, Gérard Longuet (Applaudissements sur les travées de l’UMP.), ainsi que la volonté de vérité et de transparence du ministère de la défense à l’égard des Français, grâce à des conférences de presse et points de situation quotidiens. Je souhaite que cette information contribue à renforcer le lien précieux qui unit l’armée et la nation.
Alors que trois jours se sont écoulés depuis le début des opérations militaires françaises en Libye, ce débat est possible, madame la présidente Nicole Borvo Cohen-Seat, grâce à la révision constitutionnelle souhaitée par le Président de la République et qui a été adoptée par le Parlement réuni en Congrès le 21 juillet 2008. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Yves Pozzo di Borgo et Claude Biwer applaudissent également.) Je m’en réjouis devant vous, d’autant que tel ne fut pas le cas en 2001, lors de l’engagement des troupes françaises en Afghanistan. C’est pourquoi je tiens à remercier, au nom du groupe UMP, M. le Premier ministre pour l’organisation de ce débat, qui marquera notre histoire. Sa présence ici consacre la voix internationale de la France au sein de notre Haute Assemblée. (Mme Brigitte Bout applaudit.)
L’heure est venue pour la France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, d’assumer et d’honorer ses responsabilités,…
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Jean-Claude Gaudin. … à un moment où nous sommes témoin de révolutions qui bouleversent non seulement les cartes, mais également l’histoire du monde.
Depuis le mois de décembre dernier, de Tunis au Caire, de Benghazi à Bahreïn, du Maghreb aux portes du Moyen-Orient, les peuples ont rendez-vous avec leurs destins politiques. De l’autre côté des rives de la Méditerranée, où deux siècles auparavant nous avons vécu le même élan de liberté, nous ne pouvons détourner les yeux et demeurer les simples spectateurs de cette soif de liberté, de justice et de développement de toute une génération. (Mme Joëlle Garriaud-Maylam ainsi que MM. Jacques Blanc et Bernard Fournier applaudissent.)
Bien sûr, le recours à la force militaire est toujours une mauvaise nouvelle, même quand elle est un moindre mal pour préparer la paix. C’est pour cette raison que l’usage de la force militaire par la coalition s’exercera dans le cadre strict de la résolution 1973. C’est à cette condition qu’a été décidé l’engagement des forces armées françaises, que le groupe UMP soutient sans réserve. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Mes chers collègues, il s’agit donc pour la France de mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour protéger, en Libye, les populations civiles contre les attaques des forces de Kadhafi. Durant les dernières quarante-huit heures, la France et ses partenaires britanniques et américains ont assuré la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne dans le secteur de Benghazi, l’objectif étant de protéger la ville et ses habitants contre les vols et les frappes des avions de Kadhafi.
Ces opérations de défense aérienne ont été accompagnées de frappes militaires au sol, conduites par les Américains contre des cibles militaires identifiées susceptibles de menacer la population civile.
Le dispositif comprend également des moyens de reconnaissance, de contrôle aérien, de détection et de ravitaillement. Les moyens militaires français ont pu être déployés grâce une étroite coordination des moyens de la coalition. (M. le ministre de la défense et des anciens combattants opine.)
La participation des forces aériennes britanniques et américaines et la mise à disposition des bases aériennes italiennes sont les signes concrets d’un engagement international et européen dans la crise libyenne.
Si l’engagement des forces militaires doit être encore clarifié en termes de commandement, il ne saurait être question à ce stade d’une intervention terrestre en Libye. Aussi, je forme le vœu que nous ne nous laissions pas piéger par des débats fallacieux. La Libye ne sera pas un autre Irak. Rappelons-nous simplement mais fermement que l’objectif est de protéger le peuple libyen contre les roquettes et missiles de son propre régime. Il n’est pas de notre ressort de décider de l’avenir politique de la nation libyenne, mais en tant que puissance responsable, il nous appartient de l’aider dans l’établissement d’une paix civile qui lui permettra de prendre en main, pleinement et librement, son destin politique.
Pour ce faire, l’Europe ne peut se passer du soutien de la Ligue arabe ni de celui de tous les autres pays du bassin méditerranéen. Aucune résolution de crise ne peut se faire sans la réelle implication des puissances régionales. Les opérations conjointes avec l’aviation du Qatar constituent à ce titre, nous semble-t-il, bien plus qu’un symbole. Certes, depuis lundi matin, nous entendons diverses critiques. Mais ces voix s’élèvent contre nos opérations alors même qu’elles connaissent leurs premiers succès.
Permettez-moi tout de même de regretter devant vous, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, que la diplomatie européenne n’ait pas parlé d’une seule voix. Je partage le sentiment de François Zocchetto sur ce point. Plutôt que des hésitations, un discours clair et commun de l’Union européenne assurerait mieux sa crédibilité, face non seulement au régime de Kadhafi, mais aussi à tous les autres régimes qui foulent au pied les droits de l’homme. Il en reste encore, qui reçoivent d’ailleurs des visites.
Le sommet de Paris pour le soutien au peuple libyen témoigne du profond respect du droit et des institutions internationales du Président de la République. Il est la preuve de sa détermination à permettre au peuple libyen de vivre et de réaliser ses aspirations démocratiques. Celles-ci sont bafouées par un « guide », qui se livre depuis plus d’un mois à une répression meurtrière contre son propre peuple.
Depuis le 15 février dernier, le colonel Kadhafi n’a cessé de sacrifier les droits les plus élémentaires de son peuple à s’exprimer et à disposer de lui-même. Les différentes réunions, de New York à Genève, ont été autant de mains tendues à ce régime pour que cessent les violations des principes auxquels le pays avait pourtant souscrit, en tant que membre non permanent, depuis 2007, du Conseil de sécurité de l’ONU.
La gravité de la résolution 1973 est à la mesure de l’attitude de Kadhafi, qui est prêt à conduire son peuple à la guerre civile et sa nation au suicide. Le vote de cette résolution était loin d’être acquis et la menace d’un veto fort grande. Les télévisions en ont suffisamment parlé pour que nous ayons encore cet épisode en mémoire.
À ce titre, notre groupe se félicite de la pugnacité de notre diplomatie et de l’action de M. Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes. Il faut, surtout dans les moments de crises, que des chefs d’État convainquent leurs homologues d’agir ensemble, afin de bâtir un ordre juridique international respectueux de la personne humaine. C’est ce qu’a réussi à faire le Président de la République Nicolas Sarkozy.
Cela irrite peut-être certains, mais c’est la deuxième fois depuis le début de son mandat que le Président de la République, par son initiative et sa force de conviction, joue un rôle majeur dans la solution d’une crise internationale. En 2008, en tant que président en exercice de l’Union européenne, il avait su mobiliser nos partenaires européens pour régler avec la Russie la crise en Géorgie. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)
À peine un mois plus tard survenait une crise financière historique, qui a ébranlé toutes les économies du monde. Dans ce moment critique, le Président de la République a œuvré afin d’éviter l’effondrement du système financier international. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Aujourd’hui, la présidence du G20 et du G8 conférait sans aucun doute à la France et au Président de la République une responsabilité morale particulière dans la mobilisation de l’ONU et des chefs d’État. Mais il fallait aller très vite devant le Conseil de sécurité, il fallait une majorité, mes chers collègues, sans aucun veto. Et il y a eu une majorité et aucun veto n’a été opposé.
Grâce à l’initiative du Président de la République et à son message, la France a été à la hauteur de ses valeurs.
Nous assurons le Président de la République, vous-même, monsieur le Premier ministre, et le Gouvernement de notre confiance et de notre soutien dans ce moment difficile. Et nous le faisons d’autant plus que nous savons bien qu’il faudra tenir bon sur la résolution.
L’avenir appartient à ceux qui ont la mémoire la plus longue.
M. Bruno Sido. Oui !
M. Jean-Claude Gaudin. Nous voulons que l’avenir du peuple libyen s’inscrive dans la mémoire des victoires de la liberté.
Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, c’est tout le sens du message de soutien des sénateurs UMP au Président de la République, au nom d’une très large majorité des Français. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Yves Pozzo di Borgo et Claude Biwer applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’insurrection libyenne est le nouveau chapitre de l’histoire de l’émancipation des peuples arabo-musulmans. Cette vague de fond doit conduire à une réflexion approfondie et à une profonde rénovation de notre action dans cette aire géographique et culturelle.
L’intervention française en Libye au titre du volontariat opérationnel prévu par la résolution de l’ONU peut apparaître comme un tournant. Les Nations unies ont, par cette résolution, mis en avant le concept d’intervention pour la protection des populations civiles, notion plus opérationnelle et légitime que celle du « droit d’ingérence » des philosophes mondains des cafés parisiens. Elle s’inscrit dans un vaste mouvement de renouvellement de notre regard sur nos voisins du Sud.
La démocratisation à l’œuvre en Afrique du Nord, dans le Golfe et dans tant d’autres régions encore bouleverse le regard que l’Occident pouvait porter sur les peuples et civilisations de la sphère musulmane.
Depuis des années, notre vision du monde arabo-musulman a été prise en étau entre le spectre des dictatures et celui du terrorisme. Al-Qaïda s’est imposé, pour de nombreux observateurs, lors de la dernière décennie, comme le dernier horizon d’une population opprimée.
Les pays occidentaux, l’Europe, les États-Unis, la France ont joué le jeu du soutien aux régimes autoritaires pour mieux endiguer le péril du terrorisme international, mais aussi pour mieux assurer leur approvisionnement en pétrole et pour tenter de juguler les flux migratoires dans le nord de l’Afrique.
Depuis trois mois, il y a des changements. Les peuples d’Afrique du Nord et de l’arc musulman hors Méditerranée en général ont pris conscience d’une commune aspiration à la liberté.
Ces populations n’étaient pas plus ivres de servitude que les autres. Un nouvel acteur a surgi. La fameuse « rue arabe », connue pour sa virulence, tend à devenir une véritable opinion publique, gage et symbole de maturité pour les sociétés démocratiques.
Le combat du peuple libyen pour la liberté fait écho à notre propre histoire. Il nous a fallu près de deux siècles, en Europe et en France, pour nous orienter vers la démocratie. Ce chemin n’a pas été sans heurts : combien de combats n’avons-nous pas connus dans notre pays pour arriver à cela ?
Les peuples de la sphère arabo-musulmane viennent de démontrer au monde qu’ils étaient engagés sur cette voie. Ces révolutions, en sus de leur brusque déclenchement, partagent un autre point commun : ce sont des révolutions de la mondialisation, et ce à deux titres.
Premièrement, Internet, les médias et les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont été des outils incontournables pour la réussite des soulèvements en Tunisie, en Égypte et ailleurs. Ces outils ont été déterminants dans le déclenchement de l’insurrection libyenne et dans la mobilisation des insurgés pendant la deuxième quinzaine du mois de février.
Deuxièmement, l’opinion publique arabe s’est levée au nom du « mieux vivre ensemble ». Les révolutions, les insurrections qui se déclenchent et que nous soutenons, notamment en Libye, ne sont pas des révolutions théocratiques ou animées par l’islamisme ; ce sont des révolutions populaires, de peuples qui veulent d’abord bien vivre.
L’engagement de nos forces aériennes en Libye était justifié par l’urgence du péril qui menaçait Benghazi. Personne ne sait quelle sera l’issue du conflit. Rien ne nous assure que le maintien d’une zone d’exclusion aérienne suffira à faire tomber le régime du colonel Kadhafi. Notre mandat issu de la résolution 1973 nous autorise seulement à protéger activement les civils. Cependant, nous savons aujourd’hui que la politique de la canonnière ne suffira plus désormais.
Nous peinons à consolider les institutions démocratiques que nous avons contribué à installer au moyen de la force en Afghanistan et en Irak. Nous peinons, car nous n’avons pas attendu le surgissement d’un espace public autonome et dynamique dans ces sociétés.
La démocratisation culturelle des peuples du sud de la Méditerranée doit nous conduire à une propre révolution culturelle. L’imposition par la voie militaire n’est plus possible. Elle peut même être contre-productive si elle met en péril la survie des populations civiles.
Ce qu’il nous faut maintenant, c’est accompagner l’épanouissement de la démocratie dans ces pays. Les formes de cet accompagnement restent à définir. Il sera principalement civil et de long terme. S’il faut saluer hardiment le courage de nos soldats, nous ne devons pas oublier que notre devoir envers nos voisins du Sud ne se limitera pas à cette intervention militaire.
Le problème immédiat qui se posera sera celui de la répartition des richesses, la question, en somme, de l’équité sociale. Les pays révoltés se ressemblent en tant qu’ils partagent la même injustice. Un cercle étroit de familiers du pouvoir accapare les richesses du territoire…
M. Guy Fischer. Comme en France !
M. Yves Pozzo di Borgo. … et, notamment, les revenus tirés de l’exploitation du pétrole.
Les insurgés sont les enfants du chômage et de la pauvreté. Tant que le problème de la répartition de la richesse ne sera pas résolu, la démocratie ne sera pas encore solidement établie sur l’autre rive de la Méditerranée. C’est, je pense, le premier objectif que nous devrons assigner à notre aide dans les années à venir.
Le partenariat pour la démocratie de l’Europe que vous avez lancé, monsieur le ministre d’État, avec l’aide de la Banque centrale européenne, va dans ce sens.
Enfin, nous ne pouvons plus rester à la merci des surprises de l’Histoire. Le printemps démocratique qui s’ouvre dans le monde arabo-musulman est une chance unique qui nous est offerte pour faire mentir, une bonne fois pour toutes, Samuel Huntington. Il n’y aura pas de conflit de civilisations si nous arrivons à accompagner la transmission de nos valeurs de liberté, de démocratie et de respect des droits de l’homme dans ces pays qui en ont bien besoin. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la représentation nationale est aujourd’hui invitée à débattre de l’opportunité, des conditions et des objectifs de l’engagement de la France dans les opérations de la coalition internationale qui intervient militairement, en ce moment même, en Libye, sous mandat de l’ONU.
C’est la première fois que nous débattons, dans cette enceinte, de la politique de notre pays dans cette partie du monde depuis que les peuples de Tunisie et d’Égypte ont remis en cause le pouvoir sans partage de ceux qui les écrasaient avec la complicité, tacite ou explicite, de notre pays.
En fait, depuis des mois, notre dialogue a été réduit à sa plus simple expression, limité, du côté de l’opposition, à des demandes d’explications, du côté du Gouvernement, à justifier le comportement de ministres vacanciers, son incompréhensible aveuglement face aux révolutions arabes en Tunisie et en Égypte et le retard avec lequel la France leur a confirmé notre soutien, suscitant ainsi la colère et l’irritation tant des milieux intellectuels que de la rue dans ces pays.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Dominique Voynet. Vous me permettrez de le dire, mais l’ardeur manifestée, la précipitation avec laquelle fut improvisée la reconnaissance du Conseil national de transition libyen suscite, d’une certaine façon, le même malaise, les mêmes questionnements que les retards, tergiversations et ambiguïtés de la période récente. La diplomatie ne s’accommode pas d’impulsions et de coups ; elle suppose de la constance, de la ténacité, de la visibilité à moyen terme, elle suppose du professionnalisme.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Dominique Voynet. Aussi, monsieur le ministre d’État, vous comprendrez que nous soyons plutôt rassurés par votre arrivée à la tête de ce ministère, même si nous ne partageons pas forcément toutes les options du Gouvernement en matière de politique étrangère.
Alors que la révolte populaire dure depuis plusieurs semaines en Libye, alors qu’il était évident, dès le départ, que le régime du tyran se lancerait, à un moment ou à un autre, dans une contre-offensive folle visant à terroriser la population et à semer la mort parmi des opposants insuffisamment armés, il est regrettable qu’il ait fallu si longtemps pour que le Parlement soit sollicité sur la politique du Gouvernement de façon plus large. Il est regrettable que, une fois encore, il soit consulté après l’engagement et non avant.
En réalité, je ne doute pas du vote du Sénat, parce que personne ici ne saurait vous reprocher ce retard. L’essentiel est qu’on ait pu enfin agir. Cela dit, il faudra, dans le calme, revenir sur les raisons qui ont conduit à ce que nous n’ayons aucune discussion de fond depuis l’autocongratulation à laquelle nous avons assisté, médusés, à l’occasion de la farce de la conférence sur l’Union pour la Méditerranée.
Quand même, convenons que nos choix d’hier devront être revisités !
Nos avions bombardent aujourd’hui les bases militaires d’un État que les fabricants français ont largement fourni en armements et pour le principal dirigeant duquel a été déployé, de façon obscène, le tapis rouge lors de sa venue dans notre capitale.
D’ailleurs, il y a quelque chose de profondément étrange dans le fait d’entendre certains, ici, cracher son patronyme en y ajoutant « et sa clique », cependant que, voilà quelques mois encore, on parlait avec dévotion et respect du « président Kadhafi » ou du « colonel Kadhafi ».
M. Roland Courteau. Effectivement !
Mme Dominique Voynet. En fait, il s’agit d’un dictateur remis dans le jeu par le gouvernement français, malgré les attentats de Lockerbie ou la bombe placée dans un avion français, malgré les crimes de masse de juin 1996…
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Dominique Voynet. … et tant d’autres, malgré les innombrables entreprises de déstabilisation dont il s’est rendu coupable d’un point à l’autre de l’Afrique et qui ont causé la mort, ici ou là, de dizaines de nos compatriotes civils et militaires. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
Il s’agit d’un homme redevenu suffisamment fréquentable pour que l’on envisage de faire avec lui du commerce de technologies nucléaires, certes civiles, mais particulièrement sensibles, d’un homme avec lequel on a entretenu des relations intenses, quoique parfois discrètes, dans le but explicite de lui vendre des équipements militaires et des armes, officiellement et moins officiellement.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Dominique Voynet. Je parle avec précaution, monsieur le ministre d’État, pour ne pas subir, dans les jours qui viennent, le sort réservé à Mme Joly.
J’en reviens à la Libye.
Le 17 mars, dans la nuit, le Conseil de sécurité de l’ONU a donc adopté la résolution 1973 qui, exigeant du gouvernement libyen « un cessez-le-feu immédiat », autorise « toutes mesures nécessaires pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque en [Libye], y compris à Benghazi, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen ».
Elle autorise également sous certaines conditions la création sur la Libye d’une « zone d’exclusion aérienne » en vue de « protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque », ainsi que l’application de l’embargo sur les armes et le gel des avoirs du dictateur.
Cette résolution autorise des frappes ciblées ou des interventions militaires aériennes, pas seulement, donc, sur des objectifs aériens, mais également sur des objectifs terrestres.
C’est ce mandat, rien que ce mandat, que nous devons soutenir. Cette décision est historique : elle permet à la gouvernance mondiale de faire un pas de plus dans sa construction ; elle permet aussi de protéger la révolution sociale et démocratique arabe. Mais si ce mandat était outrepassé, cette résolution se retournerait contre ses auteurs, car la légitimité de l’intervention serait aussitôt contestée, tant par les citoyens français que par les peuples arabes et l’opinion mondiale.
Ceux-là mêmes qui l’ont ardemment espérée, qui se sont désespérés à l’idée qu’elle ne serait pas décidée, seraient les premiers à nous reprocher une intervention mal ciblée, au but ambigu, qui conduirait à un désastre humain plus important que celui que cette résolution prétendait éviter.
À cet instant, nous pouvons dire que l’application de la résolution 1973 a d’ores et déjà permis de sauver la population de Benghazi, menacée ouvertement par le colonel Kadhafi, qui s’apprêtait à envahir la ville après l’avoir frappée à l’arme lourde. Ce premier succès, non négligeable, a été obtenu en dépit de la duplicité de l’annonce, non suivie d’effets, d’un cessez-le-feu de la part du dictateur libyen.
Celui-ci, qui tente désespérément de se maintenir au pouvoir, devra répondre devant la Cour pénale internationale des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité que son armée et ses mercenaires ont commis ou commettraient dans les jours et semaines à venir.
À ce stade, cette intervention est fondée en droit aussi bien que du point de vue de la morale. Nous n’avons donc aucune raison d’appeler la France à s’en dégager immédiatement. Et même si nous regrettons les tergiversations successives et les divisions de l’Europe, qu’agacent aussi les volte-face et le jeu parfois personnel de Paris, nous considérons comme nécessaire et incontournable de poursuivre cette opération.
Cependant, nous serons extrêmement attentifs à ce que cette intervention, dont vous prétendez assez vaniteusement prendre la tête, demeure dans des limites précises. Si ces dernières devaient être élargies de façon très significative, il serait nécessaire que les Nations unies l’aient décidé et que la représentation nationale soit à nouveau saisie de cette question.
Quelles sont donc ces limites ?
Il faut que les frappes militaires soient strictement limitées aux nécessités de la protection des populations ; qu’elles n’aient pas comme résultat, par des blessures et des morts civils tragiquement inutiles, de ressouder les rangs, en Libye comme ailleurs, autour du dictateur ; que priorité absolue soit donnée, en matière militaire, à l’équipement et au déploiement de moyens au profit de la résistance intérieure libyenne elle-même ; que les seules formes d’engagement terrestres, s’il devait y en avoir à la frontière de la résolution de l’ONU, soient limitées au soutien logistique de ceux qui agissent auprès des populations dans un but humanitaire et au soutien des migrants aujourd’hui encore en errance sur le sol libyen.
Le conflit oppose une insurrection armée dirigée par le Conseil national de transition à un gouvernement devenu illégitime. Nous devons appuyer et soutenir le CNT, en lui livrant des moyens, y compris militaires, pour se défendre et contre-attaquer. Ce n’est pas à nous de chasser Kadhafi : cela donnerait du grain à moudre à ceux qui taxent cette intervention sous mandat de l’ONU de nouvelle « croisade ». C’est l’une des raisons les plus sérieuses pour lesquelles il est hors de question que le commandement de l’OTAN dirige les opérations.
Évidemment, il ne faut pas négliger le risque de l’enlisement militaire et de la partition de facto du pays. Nous savons quand commence une guerre, nous ne savons jamais comment elle se termine !
La coordination avec la Ligue arabe est indispensable. Si cette dernière sort de la coalition, la question de la légitimité de l’usage de la force devra, bien sûr, être de nouveau posée.
La non-implication des grands pays émergents, des pays africains, de notre partenaire européen le plus solide, c'est-à-dire l’Allemagne, le refus de s’engager des pays de l’ALBA, les prises de position à géométrie variable de la Ligue arabe doivent en effet être pris sérieusement en compte.
Cette intervention ne sera une réussite que si elle respecte scrupuleusement le droit international, y compris celui de la guerre, et les termes de la résolution des Nations unies.
S’il est nécessaire de reconnaître le CNT, il faut aussi admettre que la fiabilité de ses dirigeants peut poser problème. Ce sont le plus souvent d’anciens proches de Kadhafi, tels que l’ancien ministre de l’intérieur, compagnon d’arme du colonel depuis quarante-deux ans, ou l’ancien ministre de la justice, ou encore Mahmoud Jibril Ibrahim al-Wourfalli, ancien ministre du plan et proche du fils de Kadhafi, Saïf al-Islam, chargé des relations avec les firmes et les gouvernements occidentaux.
Vous avez eu raison de pointer la difficulté, l’impossibilité pratique d’identifier des partenaires qui soient expérimentés tout en n’ayant jamais été en relation avec le dictateur. Il n’empêche qu’il faudra probablement veiller à soutenir au moins autant les efforts d’une société civile libyenne désorganisée que ceux des renards expérimentés qui, ayant senti le vent tourner, se seraient reconstitués en quelques semaines une façade présentable.
La France a eu raison de dénoncer la dérive meurtrière du chef de la Jamahiriya – celui-ci, prêt à tout pour se maintenir au pouvoir, a commis des actes absolument horribles contre son peuple –, mais elle l’a longtemps courtisé pour son pétrole.
J’ai évoqué tout à l'heure la question des ventes d’armes. Je n’ai rien dit du pétrole, ni de l’hypocrisie de l’Union européenne et de ses pays membres, notamment l’Italie et la France, qui en sont conjointement responsables et qui ont érigé la Libye du colonel Kadhafi en vigile de la « forteresse Europe ». La rive nord de la Méditerranée n’a pas hésité à lui donner pour mandat de contenir les arrivées de migrants du continent africain qui tentent de rejoindre l’eldorado européen à partir de la Libye.
Voilà encore un sujet qui devra être abordé sans tabou.
Quelles sont donc, je le répète, les limites de cette opération ?
Il faut que le but politique final affiché soit clairement la constitution d’un gouvernement de transition et la tenue d’élections libres, le maintien de l’intégrité territoriale et la réconciliation sans représailles, d’où qu’elles viennent, entre les populations et les différents territoires de la Libye, ainsi que le démantèlement des structures répressives – milices et garde prétorienne – du régime du dictateur.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, je dispose des cinq minutes que M. Carrère n’a pas utilisées tout à l'heure et qu’il m’a offertes.
M. Jean-Louis Carrère. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. M. Carrère est un mutualiste !
M. Aymeri de Montesquiou. Quel galant homme ! (Sourires.)
M. le président. Il aurait été courtois de nous en informer.
Mme Dominique Voynet. Enfin, il est nécessaire qu’aucune modification n’intervienne dans ce délai en ce qui concerne le statut de la propriété et de l’extraction du pétrole, dans aucune partie du sol du pays, et que les compagnies anglaises ou françaises se tiennent à distance respectable de ces gisements.
Monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est probable qu’une majorité de nos concitoyens considèrent aujourd’hui cette intervention comme justifiée.
Toutefois, si nous voulons que cette opération conserve sur la durée le capital de sympathie nécessaire pour que les Libyens eux-mêmes atteignent leurs objectifs, il convient d’en lever les ambiguïtés et de dissiper le halo de suspicion et de défiance né des revirements et volte-face successifs des gouvernements français dans la région.
Monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, il n'y a pas de guerre juste, il n'y a pas de guerre propre. Devoir faire la guerre, devoir s’y résoudre, relève toujours d’un constat d’échec. Des efforts destinés en amont à désamorcer les crises, à réduire les tensions, n’ont pas été déployés, ou pas à temps : voilà ce qui s’est passé en l’occurrence. Et si nous pouvons convenir avec Rony Brauman que « la guerre n’est pas la solution », aucun de nous – il faut l’admettre – ne pouvait accepter que l’on ne fît rien.
J’apprécie et j’approuve les termes qui ont été employés tout à l'heure par François Fillon, évoquant le drame palestinien et la blessure béante que l’injustice faite aux Palestiniens constitue pour nous tous et pour la paix dans toute la région. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Quand ils commencent, personne ne sait jamais par quelles étapes tortueuses passent les processus révolutionnaires, ni où ils s’achèveront.
Ceux qui sont en cours montrent que les peuples arabes ne sont pas condamnés au choix terrible entre différentes catégories de dictatures. Ils aspirent à la liberté et à la démocratie, que celles-ci s’installent en six mois ou en dix ans.
Notre responsabilité à tous est de sortir de la menace de la guerre des civilisations qui, trop longtemps agitée, nous a réduits à l’impuissance. Après le temps de la guerre viendra celui du dialogue, et je m’en réjouis. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre est la pire des solutions, mais elle est aujourd’hui la seule option. Les trop nombreuses victimes de la répression libyenne nous y obligent. Un immobilisme empreint de compassion aurait abouti au final, sous la pression des opinions publiques, à ajouter la guerre au déshonneur.
La France a été un catalyseur indispensable pour sensibiliser la communauté internationale. Grâce à la détermination du Président de la République et du Gouvernement, notre diplomatie a retrouvé la place qu’elle avait acquise lors du débat aux Nations unies sur l’Irak, en mettant en œuvre la mise en garde de Winston Churchill : « Si on discute indéfiniment sur le passé et le présent, on se rendra vite compte qu’on a perdu l’avenir ».
Nous avons convaincu et mobilisé les membres du Conseil de sécurité pour éviter tout vote négatif. On peut regretter que, dans le cadre de l’Union européenne, l’Allemagne, pour des motifs de politique intérieure, soit si peu allante.
En recevant le Comité national de transition de l’opposition libyenne, le Président de la République a su faire preuve à la fois de hardiesse et de clairvoyance, car la venue de cette délégation a entraîné la caution de la Ligue arabe. Or l’implication de cette dernière et de son secrétaire général, Amr Moussa, fut certainement déterminante.
Néanmoins, déjà, les interrogations affluent. La guerre, certes, mais après ? Et, tout d’abord, quels sont nos objectifs ? En effet, nous ne pouvons nous placer dans l’état d’esprit d’un Clemenceau déclarant : « Je fais la guerre, je fais la guerre, je fais la guerre ».
Dès lors, faisons-nous de l’ingérence humanitaire ? Mais où se trouve la séparation entre cette dernière et la participation à une guerre civile ? Où est la frontière entre la répression d’un peuple et une guerre civile dans laquelle s’affrontent un gouvernement hier légitime et une opposition armée s’appuyant sur les droits de l’homme ?
Hélas, les zones d’exclusion aérienne ne suffiront sans doute pas pour arrêter les affrontements interlibyens et demain, peut-être, intertribaux. Les satellites, les avions d’observation permettront-ils d’empêcher l’infiltration de petits groupes se constituant en forces opérationnelles pour lancer une guérilla urbaine dans laquelle l’aviation devient inopérante ? On en viendra à s’interroger sur les troupes au sol.
Nous devrons certainement nous limiter à la résolution 1973, mais celle-ci permettra-t-elle de stabiliser un pays à l’organisation tribale ? En effet, la Libye risque l’éclatement, avec pour cortège, tout d’abord, un flux de réfugiés que les pays de l’Union européenne se repasseront comme un fardeau dont personne ne voudra, puis le spectre d’un nouveau Somaliland, zone à très haut risque, source d’instabilité politique et économique.
Surtout, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, quand pourrons-nous déclarer la guerre finie et les objectifs atteints ? Quand pourrez-vous annoncer que l’intervention, puis l’état d’alerte auront cessé ?
Est-ce l’ONU qui le décidera ? Oui, sans doute. Ou sera-ce la réticence grandissante de la Ligue arabe ? Peut-être.
Lorsque le président Obama déclare que le colonel Kadhafi doit partir, c’est un peu court. Il faut fournir le mode d’emploi !
Confier la gestion du conflit à l’OTAN, comme certains le proposent, nous priverait du soutien de la Ligue arabe et, vraisemblablement, de la participation active, mais symbolique, de l’aviation du Qatar et des Émirats arabes unis. Pour les opinions arabes, malgré l’appui du Conseil de sécurité, nous nous trouverions dans une position comparable à celle des Américains en Irak.
Bien que ses membres s’interrogent sur leur propre avenir, la Ligue arabe ne pouvait cautionner en Libye un régime dont la brutalité répressive horrifiait le monde.
L’effondrement des régimes tunisien, égyptien et, espérons-le, libyen, les manifestations grandissantes au Yémen, à Oman et à Bahreïn, les tentatives de protestation en Syrie et en Arabie Saoudite montrent que tous ces pays, dont chacun était convaincu de la stabilité, sont en mutation.
À supposer que cette intervention se déroule le moins mal possible – en effet, les aléas sont nombreux, et, comme Talleyrand, n’oublions pas que « le pire est toujours sûr » –, quelles en seront les leçons ?
S’il y a déjà une conclusion à tirer de ce conflit, c’est que la France doit intensifier son dialogue avec la Ligue arabe pour comprendre et accompagner l’évolution des États membres. Il serait illusoire et contre-productif de vouloir plaquer sur ces pays nos critères occidentaux. Ne soyons pas péremptoires, oublions toute arrogance.
La France dispose d’un crédit certain auprès de nombreux pays qui constituent cette ligue. Si les mouvements de libération s’accentuent, nous devrons tenter d’éviter aux populations des répressions brutales.
La Ligue arabe, que certains pouvaient considérer comme un agrégat protéiforme sans axe politique majeur hormis l’hostilité à Israël, apparaît désormais comme un partenaire majeur de notre diplomatie.
Convaincre Israël de cesser son injustifiable et dramatique politique de colonisation, contraire au droit international et contraire, sur le long terme, à ses intérêts propres, serait un moyen de renforcer notre dialogue avec la Ligue arabe et la volonté de cette dernière de collaborer.
De même, nous devons entretenir un dialogue étroit avec l’Union africaine.
Ces deux regroupements sont certainement aujourd’hui à l’aube de nombreux bouleversements, dont nous devons veiller à ce qu’ils ne deviennent pas sanglants.
M. Jean-Louis Carrère. Il faut conclure !
M. Aymeri de Montesquiou. Il s'agit d’une orientation essentielle de notre diplomatie, car, au-delà de la défense de nos valeurs humanitaires, nous ne pouvons faire face militairement à d’autres conflits semblables à celui de la Libye. Si nous ne le pouvons militairement, nous n’en sommes pas davantage capables économiquement.
Une grande partie du pétrole mondial…
M. Jean-Louis Carrère. Le mot est lâché !
M. Aymeri de Montesquiou. … provient de cette zone au fort potentiel conflictuel, et la propagation de l’incendie libyen serait cataclysmique pour l’économie mondiale, avec des conséquences sociales désastreuses. Il est de notre responsabilité de la prévenir et d’accompagner ce printemps arabe où les peuples doivent devenir maîtres de leur destin et choisir le régime politique qui leur convient le mieux.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Aymeri de Montesquiou. Nous devions décider et convaincre, en raison des morts déjà trop nombreux. C’est l’honneur des armes françaises de s’être engagées et du Gouvernement d’avoir rallumé dans le regard des populations la reconnaissance et l’espoir que la France joue le rôle que lui confère l’affirmation de ses valeurs.
Monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, soyez assurés que, tant que l’intervention militaire de la France dans le ciel libyen s’inscrit dans les limites fixées par la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, le groupe du RDSE soutiendra votre initiative. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Et c’est très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, la répression de la vague démocratique libyenne par le tyran Kadhafi et l’intervention militaire de la communauté internationale qui en résulte sont des événements d’une extrême complexité ; le moment est trop grave pour que nous puissions nous en sortir avec des schémas simplifiés.
Avant d’aborder la question des opérations militaires en cours, vous me permettrez de revenir sur notre position initiale.
Le Parti de gauche s’est prononcé en faveur d’une résolution de l’ONU encadrant les conditions d’une protection de la population. Deux axes de raisonnement nous ont conduits à prendre cette position.
Premièrement, nous partons du constat qu’une véritable vague démocratique a déferlé contre le régime de Kadhafi. Il s’agit d’un soulèvement du peuple libyen contre un régime tyrannique et oligarchique, comme en Tunisie et en Égypte, mais, à l’inverse de ce qui s’est produit dans ces deux pays, en Libye, le pouvoir a décidé de briser la révolution en menant une véritable offensive armée contre son peuple, opération qui a d’ores et déjà entraîné plusieurs centaines de morts et la fuite de plus de 300 000 personnes.
Cette situation confère une responsabilité importante à la communauté internationale. Il est décisif que la vague révolutionnaire ne soit pas brisée en Libye. Il suffirait en effet que Kadhafi l’emporte pour que se propage le message selon lequel le tyran qui tire le plus longtemps et le plus durement sur son peuple pendant une révolution gagne !
Ce serait alors le signal désastreux d’une victoire de la contre-révolution, et donc la fin du « printemps arabe ».
À ce titre, nous sommes attentifs aux événements en cours au Yémen, à Bahreïn, en Jordanie, en Syrie et dans d’autres pays encore.
Le seul point positif à l’heure actuelle réside dans la nouvelle dynamique insufflée aux soulèvements arabes à la suite de cette intervention militaire. Ainsi, la flamme du « printemps arabe » ne s’est pas éteinte en Libye, comme cela aurait été le cas si Kadhafi l’avait emporté.
Deuxièmement, nous sommes partisans d’un ordre international garanti exclusivement par l’ONU. Cette clause juridico-politique est primordiale.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les relations internationales ne s’inscrivaient pas dans ce cadre. Pendant toute la période de la guerre froide, deux blocs se sont affrontés, en faisant fi de l’ONU, jusqu’à la chute du Mur de Berlin.
Après 1989, les États-Unis ont ouvert la voie à un « nouvel ordre mondial » placé sous leur seul leadership. Cette situation a entraîné de nombreuses guerres illégitimes et impérialistes, comme en Irak ou en Afghanistan.
La décision d’intervenir en Libye est complètement différente, puisqu’elle résulte de l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de sa résolution 1973. C’est donc une bonne nouvelle pour les partisans d’un ordre international légitime, et c’est dans cet esprit que nous approuvons le mandat de l’ONU, s’agissant notamment de la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne qui permet tout à la fois de rééquilibrer les forces au profit de la révolution, de protéger les populations civiles et de démontrer au dictateur libyen – ainsi qu’aux autres dictateurs – la volonté de la communauté internationale de ne pas le laisser massacrer la population de son pays en toute impunité.
Cela étant dit, nous déplorons fortement que la communauté internationale pratique le « deux poids, deux mesures ». En effet, aucune décision n’est prise contre les répressions sanglantes à l’œuvre à Bahreïn et au Yémen. Et ne parlons même pas de l’attitude silencieuse de la communauté internationale lorsqu’il s’agit de Gaza ou de coups d’État en Amérique du Sud ! Ce « deux poids, deux mesures » jette un fort discrédit sur toute décision internationale.
De plus, nous ne sommes pas dupes et savons les intérêts qu’ont certains pays à intervenir, comme l’autocratie du Qatar, qui a négocié auprès des puissances occidentales une impunité pour pouvoir réprimer son peuple.
Enfin, nous avons encore en mémoire l’attitude pitoyable et scandaleuse du Gouvernement face aux révolutions tunisienne et égyptienne.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Marie-Agnès Labarre. Cette attitude était dans la continuité de la complicité du Président de la République et de son gouvernement avec ces dictatures, en particulier celle de Kadhafi, qui, il n’y a pas si longtemps, était encore invité à planter sa tente dans les jardins de l’Élysée…
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Marie-Agnès Labarre. Cette attitude a déshonoré la France et aura des conséquences importantes sur nos liens avec les pays du monde arabe.
À l’heure où je parle, le déroulement des opérations commence à être de plus en plus problématique. Depuis le début, nous regrettons que cette intervention militaire soit menée presque uniquement par des puissances de l’OTAN, de surcroît anciennes puissances coloniales. Il aurait été préférable que la Tunisie et l’Égypte soient davantage associées.
Surtout, nous nous opposons très fortement aux pressions actuelles pour donner le commandement des opérations à l’OTAN. En effet, notre opposition est totale quant à l’intervention directe de l’OTAN, que ce soit à l’échelon des structures de commandement ou à celui de la planification des opérations.
Par ailleurs, si nous soutenons la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne, nous estimons qu’il ne faut pas aller plus loin dans le soutien militaire aux insurgés. Il faut limiter les frappes aériennes à la stricte mise en place de la zone d’exclusion aérienne et ne pas procéder à d’autres opérations militaires aéroportées ou de débarquement, quand bien même ces opérations ne sont pas expressément exclues par la résolution de l’ONU. Ainsi, nous sommes frontalement opposés à tout déploiement d’une force d’occupation étrangère, sous quelque forme que ce soit.
De plus, nous exigeons du Gouvernement qu’au-delà de la séance d’aujourd'hui il nous tienne informés, en tant que membres de la représentation nationale, du déroulement des opérations sur place.
À ce titre, nous déplorons l’absence de vote au Parlement sur la participation de la France à l’intervention militaire.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Il faut relire la Constitution !
Mme Marie-Agnès Labarre. Mes chers collègues, la situation impose une certaine gravité, à l’opposé de la pression belliqueuse qu’exercent certains médias. Le risque d’escalade de la violence est important, et c’est pourquoi le Gouvernement a le devoir de respecter les conditions relatives au déroulement des opérations que j’ai évoquées.
De même, nous ne devons pas perdre de vue l’objectif, qui est de rééquilibrer les forces pour permettre à la révolution libyenne de se débarrasser de son tyran.
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, après avoir informé les présidents des assemblées, les présidents des commissions et les présidents des groupes parlementaires de la décision qu’il allait prendre en fin de semaine dernière, le Gouvernement a organisé ce débat dans la stricte application, je veux le rappeler en préambule, de l’article 35 de la Constitution.
J’ai observé, avec beaucoup de satisfaction, que la politique du Gouvernement recevait de la part de la Haute Assemblée une large approbation, et je remercie tous les orateurs qui se sont exprimés dans ce sens.
J’ai certes noté quelques points de vue divergents.
Ainsi, si j’ai compris les réserves de Mme Borvo Cohen-Seat, j’ai un peu moins bien compris certaines de ses interpellations.
Pourquoi la résolution 1970 n’a-t-elle pas été appliquée ? Pourquoi les tentatives de médiation n’ont-elles pas réussi ? Il y a, madame Borvo Cohen-Seat, une réponse très simple à tout cela : l’obstination de Kadhafi, lequel a en permanence bafoué toutes les résolutions du Conseil de sécurité, y compris la résolution 1973, puisque, après l’adoption de celle-ci, il a annoncé un cessez-le-feu qui était transgressé, en temps réel, sur le terrain, par ses propres troupes !
J’ai relevé aussi la position de Jean-Louis Carrère, qui, après avoir approuvé les orientations générales de notre politique, a énuméré tous les risques et, finalement, toutes les raisons de ne rien faire qu’à ses yeux elles emportaient.
Si nous avions pesé à ce point le pour et le contre la semaine dernière, monsieur Carrère, Benghazi serait sans doute aujourd'hui rayée de la carte ! Vient un moment où il faut prendre des risques et décider ; c’est ce que nous avons tenté de faire, avec, bien sûr, le sens aigu de nos responsabilités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprendrez qu’avant de répondre à vos questions je rende à nos soldats, en plein accord avec mon collègue et ami Gérard Longuet, qui le fera mieux encore que moi, l’hommage qui leur revient. Nos aviateurs et nos marins font preuve d’un professionnalisme, d’un courage et d’un dévouement qui méritent en effet la reconnaissance de la représentation nationale et de la Nation tout entière. (Vifs applaudissements.)
Quelques questions, soulevées à plusieurs reprises, me paraissent revêtir une importance particulière dans ce débat d’une grande gravité.
D’abord, plusieurs orateurs ont insisté sur l’absolue nécessité d’impliquer, dans cette opération, le monde arabe. Nous partageons totalement cette position et, depuis le début, nous avons essayé de la mettre en œuvre.
Cela a été vrai à New York, lors de la préparation puis du vote de la résolution 1973 du Conseil de sécurité. Sans l’implication active du Liban, seul État arabe à siéger au Conseil de sécurité en cette période, nous n’aurions pas atteint cet objectif.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Le Liban nous a beaucoup aidés et le projet de résolution qui a été mis sur la table du Conseil de sécurité l’a été au nom de la France, de la Grande-Bretagne, du Liban et des États-Unis, qui sont venus se joindre à nous.
Nous avons aussi veillé à cette implication du monde arabe lors du sommet de Paris, qui a été un événement de très grande portée. Autour de la table, où étaient représentés les États-Unis, le Canada, un grand nombre de nos partenaires européens, siégeaient non seulement le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, mais aussi les représentants de plusieurs pays arabes : le Maroc, la Jordanie, le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Irak. On peut donc dire que la présence arabe à ce sommet était très forte.
Nous avons poursuivi sur cette ligne en restant en liaison permanente avec M. Moussa. Il a été dit tout à l’heure que celui-ci avait émis un certain nombre de réserves sur la façon dont la résolution 1973 était appliquée ; ces réserves ont été démenties et, aujourd’hui même, la Ligue arabe a tenu, au Caire, une réunion au cours de laquelle elle a confirmé son plein soutien à la mise en œuvre de cette résolution.
Autre exemple de cette volonté d’implication de nos partenaires arabes, des avions du Qatar d’ores et déjà opérationnels, actuellement sur une base de Crète, pourront très prochainement participer à nos opérations.
Au-delà du monde arabe, d’autres soutiens, contrairement à ce que l’on a parfois entendu, se sont manifestés.
J’ai sous les yeux une déclaration du Premier ministre turc exprimant, alors qu’il recevait le Président Obama, son accord sur la nécessité d’une large contribution internationale, dont celle des pays arabes, aux opérations de la coalition en Libye.
Quant à l’Union africaine, institution certes diverse et qui comprend de nombreux pays, je veux simplement insister sur le fait que les deux pays africains qui siègent au Conseil de sécurité, et ce ne sont pas les moindres sur le continent africain, c'est-à-dire l’Afrique du Sud et le Nigeria, ont voté en faveur de la résolution 1973. On peut donc, là aussi, considérer qu’il y a une implication des États africains.
J’en viens – c’est le deuxième point que j’évoquerai – au Conseil national de transition. Mme Voynet, dans une intervention dont j’ai beaucoup apprécié la tonalité (Mme Dominique Voynet sourit), nous a accusés d’avoir improvisé.
Ce n’est pas exact, madame Voynet : des contacts ont été pris, les décisions ont été mûrement réfléchies, et ce n’est pas parce qu’un certain vertige médiatique, né sous l’impulsion de tels ou tels spécialistes de la chose, s’est manifesté qu’il faut parler d’improvisation !
Le Président de la République a reçu les responsables du Conseil national de transition, entretien auquel il était prévu que j’assiste ; étant à Bruxelles, je n’ai pas pu le faire, mais j’ai reçu moi-même ces responsables dans l’après-midi.
C’est donc en toute connaissance de cause que nous avons procédé à cette reconnaissance politique qui, dès le lendemain, le vendredi 11 mars, a été validée par l’ensemble de nos partenaires européens, puisque, dans la déclaration du sommet exceptionnel sur la Libye, figure une phrase dans laquelle le Conseil national de transition est salué comme l’interlocuteur politique valable pour l’Union européenne.
On a par ailleurs reproché à ce conseil de compter dans ses rangs d’anciens ministres du général Kadhafi. Pour ma part, je ne connais pas de révolution où, dans un premier temps, les révolutionnaires n’aient pas été un tant soit peu impliqués dans le régime qui a précédé… Cela a été vrai pour la Révolution française, dans une première étape de son déroulement et, plus généralement, pour toutes les révolutions, y compris à l’Est.
N’utilisons donc pas cet argument pour discréditer le Conseil national de transition. Aujourd’hui, je ne connais pas d’autre interlocuteur qui se soit organisé et manifesté.
« Qui sont ces gens ? », m’a-t-il été demandé à Bruxelles. Eh bien, ces gens, ce sont tout simplement tous ceux qui soutiennent les Libyens en train de se battre pour leur liberté, et pour leur survie à Benghazi, et je crois que nous avons intérêt à continuer à travailler avec eux.
Une troisième question importante, et même décisive, a été plusieurs fois abordée, celle de la chaîne de commandement de l’opération.
La France, dès le départ, a affiché clairement la couleur.
L’OTAN n’est pas l’organisation la mieux appropriée pour piloter politiquement une opération de ce type dans un pays arabe, comme l’a encore redit aujourd'hui la Ligue arabe dans sa réunion du Caire.
Pour nous, l’articulation des responsabilités est claire : c’est une opération sous mandat des Nations unies mise en œuvre par une coalition d’États, qui ne sont pas tous membres de l’OTAN, comme c’est, que je sache, le cas du Qatar et des Émirats arabes unis. Ce sont donc l’ONU et la coalition qui assurent le pilotage politique de l’opération.
Naturellement, à un certain stade, nous aurons besoin de nous appuyer sur la force de planification et sur les capacités opérationnelles de l’OTAN, mais le leadership politique ne sera pas exercé à ce niveau-là.
D’ailleurs, mon homologue britannique William Hague et moi-même sommes en train de constituer un groupe de pilotage politique, dont le nom n’est pas encore déterminé. Ce groupe devrait se réunir cette semaine à Bruxelles, à Londres ou à Paris. Il devrait regrouper les pays intervenant dans l’opération ainsi que des pays arabes, et pourquoi pas des pays africains, ce qui devrait démontrer que la stratégie politique est bien développée à cet échelon-là. Ensuite, je le répète, l’OTAN interviendra en tant que force de planification ou avec ses capacités opérationnelles.
La quatrième question évoquée porte sur le risque d’enlisement. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous aimeriez sans doute que je vous indique dès aujourd’hui la suite des opérations. Vous comprendrez bien que je sois dans l’incapacité en cet instant de répondre à cette attente, faute d’éléments.
En tout cas, nous ne voulons pas nous engager dans une action de longue durée. L’opération aérienne sera limitée dans le temps. Nos amis américains ont déjà fait savoir que telle était leur intention. Nous sommes exactement sur la même ligne.
À plusieurs reprises a été posée la question d’une intervention au sol. Elle me surprend beaucoup. En effet, la résolution 1973 du Conseil de sécurité est absolument formelle : il n’y aura pas d’intervention au sol et pas d’occupation de la Libye. L’opération en cours s’inscrit dans ce cadre-là et ne va pas au-delà.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Alain Juppé, ministre d'État. Je tiens à rappeler qu’il est possible à tout instant au régime de Kadhafi d’arrêter l’intervention militaire organisée sous mandat des Nations unies : il lui suffit d’accepter la résolution 1973, c’est-à-dire de respecter un cessez-le-feu, de retirer ses troupes des positions qu’elles occupent et de laisser les Libyens s’exprimer librement. Dans la minute où le régime de Kadhafi respectera les obligations résultant de la résolution 1973, les opérations militaires cesseront.
Au-delà de cette phase d’intervention, comment pouvons-nous essayer de progresser ? Nous devons bien sûr penser à une initiative de paix. Après avoir été en pointe dans la préparation des sanctions et de l’intervention militaire, le Président de la République prendra, au nom de la France, des initiatives pour favoriser la paix.
Cela signifie non pas se substituer aux Libyens pour mettre en place un « régime de remplacement », mais – telle est d’ailleurs la finalité de la résolution 1973 – créer les conditions qui permettront au peuple libyen de choisir lui-même son destin et son avenir, par un dialogue national impliquant le Conseil national de transition et d’autres forces politiques qui se sépareront de Kadhafi et voudront bien participer à ce processus de reconstruction nationale. Nous les y aiderons, bien entendu, mais sans jamais nous substituer aux Libyens.
La cinquième et dernière question que je souhaite traiter – je ne veux pas être trop long – concerne le rôle de l’Union européenne.
Plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont soutenu que l’Union européenne avait été incapable de faire entendre une position commune. Or ce n’est pas tout à fait exact. L’Union européenne a bien exprimé une position commune très clairement lors du Conseil européen du 11 mars, convoqué à la demande du Président de la République française. Une déclaration a alors été adoptée condamnant le régime libyen et exigeant le respect des résolutions du Conseil de sécurité, la mise en œuvre, voire le renforcement, de sanctions. Il existe donc bel et bien un corps de doctrine commun à l’ensemble des Vingt-Sept.
Il a d’ailleurs été réaffirmé une fois encore hier, à Bruxelles, par le conseil des ministres des affaires étrangères, qui a adopté une déclaration soutenant la résolution 1973 et s’est réjoui des conclusions du sommet de Paris.
L’Union européenne s’est également engagée sur le plan humanitaire. Nous avons pris la décision, dans le cadre de la résolution du Conseil de sécurité, d’être à la manœuvre pour mettre en forme une action humanitaire, en recourant au besoin à des moyens maritimes.
Je veux être complet : malgré une position commune, il n’y a pas unanimité. Au sein des Vingt-Sept, il existe aujourd’hui un clivage à propos de l’utilisation de la force militaire.
Sur ce point, la délégation allemande a marqué son opposition à la mise en œuvre de ce volet de la résolution. Cette prise de position m’a amené, peut-être de façon excessive, à regretter que, dans sa conception actuelle, l’Union européenne se comporte comme une ONG humanitaire. À un moment donné, Gérard Longuet et moi-même devrons bien poser de nouveau la question de savoir si, oui ou non, nous voulons progresser dans la construction d’une politique de sécurité et de défense commune. Vous le savez, c’est le vœu, c’est la conviction de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.) Il est vrai que la crise libyenne ne nous a pas permis d’avancer dans cette direction.
Sur tous les autres points, comme je l’ai déjà indiqué, l’Union européenne a pu trouver des bases d’accord et est mobilisée.
Au-delà de la crise libyenne, elle se mobilisera également pour accompagner le vaste mouvement qui se dessine au sud de la Méditerranée. Hier, j’ai eu un long entretien avec le commissaire chargé de l’élargissement et de la politique de voisinage. L’Union est bien d’accord pour renforcer toute une série de dispositifs techniques, tels la Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat, le fonds de voisinage et un certain nombre de crédits communautaires.
Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’ouvrir une courte parenthèse à propos de la Tunisie et, plus particulièrement, de l’Égypte, car m’étant rendu dans ce dernier pays, j’ai peut-être une meilleure perception de sa situation.
La transition démocratique qui est à l’œuvre dans ces pays va se heurter à un défi majeur : la transition économique, si je puis dire, ou plus simplement la crise économique. En Égypte, les données du problème sont relativement simples, au risque de les caricaturer quelque peu. Dans la vallée du Nil, le taux de fréquentation des hôtels est tombé à 15 %. Or le tourisme est l’une des ressources majeures de l’économie égyptienne : il lui rapporte un milliard de dollars par mois. Dans le même temps, des centaines de milliers de réfugiés rentrent de Libye, où ils travaillaient et d’où ils envoyaient des « remises » importantes pour le fonctionnement de l’économie égyptienne.
Parallèlement, les Égyptiens qui ont fait la révolution veulent en toucher les bénéfices et réclament aux entreprises égyptiennes des augmentations de salaire.
Vous voyez la difficulté à laquelle est aujourd’hui confrontée l’Égypte, menacée par cette crise économique majeure. Si l’Europe ne s’investit pas massivement pour aider le pays à franchir ce cap, le processus de transition démocratique sera compliqué. Sans vouloir envisager un scénario catastrophe, on peut penser que certains mouvements extrémistes qui, aujourd’hui, se sont mis en réserve, pourraient tout à fait exploiter ce type de difficultés. Il en est de même en Tunisie. Voilà pourquoi il nous faut nous investir massivement.
Au-delà du court et du moyen terme, il faut relancer une vision de plus long terme sur le sud de la Méditerranée.
Au risque de surprendre, voire de choquer certains d’entre vous, je répète que l’initiative de l’Union pour la Méditerranée était visionnaire et anticipatrice. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Elle n’a pas fonctionné à cause du blocage dû au processus de paix. Je souscris aux propos des uns et des autres sur l’absolue nécessité de faire pression pour relancer le processus. Aujourd’hui, cela fait partie d’une démarche sur laquelle les Vingt-Sept sont parfaitement en phase et bien décidés à peser sur le cours des choses.
Il faut relancer tous les projets concrets que comporte l’Union pour la Méditerranée : une banque pour la Méditerranée, un office européen de la jeunesse. Organisons ce que l’on appelle parfois des « migrations circulaires ». L’immigration fait peur, parfois avec raison ; il faut contrôler l’immigration clandestine et illégale, mais certaines formes d’immigration sont positives. Ainsi, former dans nos universités des jeunes des pays du Sud qui rentreront ensuite dans leur pays pour le faire profiter de ce qu’ils auront appris chez nous, voilà une forme d’immigration circulaire judicieuse. C’est en quelque sorte un programme « Erasmus euro-méditerranéen » ou un office européen de la jeunesse.
Telle est la nature des projets dont l’Union pour la Méditerranée doit être porteuse et que nous devons relancer.
J’achèverai mon propos en évoquant la diplomatie française, parfois montrée du doigt pour n’avoir pas su prévoir la révolution qui s’est produite. Mais qui l’avait anticipée, mesdames, messieurs les sénateurs ? Que l’on me cite un seul gouvernement ou une seule chancellerie qui, voilà un an, avait prédit la chute de Moubarak ou de Ben Ali…
La diplomatie française, quelque peu secouée par tout cela, mérite l’hommage que je tiens à lui rendre en cet instant. Elle peut être fière du travail accompli, bien sûr sous l’impulsion du Président de la République, sous l’autorité du Premier ministre et de moi-même, mais avec un grand sens de ses responsabilités.
Cette fierté s’accompagne cependant d’un sentiment d’humilité. En effet, le plus dur reste à faire. Il faut gagner la paix. J’ai bien conscience que cela demandera une implication de tous les instants et beaucoup de détermination.
Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de conclure sur une tonalité positive et optimiste : ce qui se passe au sud de la Méditerranée peut être une chance formidable non seulement pour les Arabes de la région, mais également pour la France. Faisons-leur confiance, aidons-les à réussir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense et des anciens combattants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, vos remarques ont essentiellement porté sur les enjeux de politique internationale qui ont préfiguré hier le conflit libyen, qui l’accompagnent aujourd’hui et qui en décideront demain la suite.
Les aspects militaires sont, en apparence, plus clairs. Mais je ne saurais commencer cette courte intervention sans remercier l’ensemble des intervenants qui ont salué l’effort de nos soldats engagés depuis maintenant près d’une semaine sur un théâtre particulièrement singulier et exigeant. Je remercie particulièrement ceux qui l’ont fait avec chaleur, tel Jean-Claude Gaudin, avec conviction, tels Jean-Pierre Chevènement, Jean-Louis Carrère et François Zocchetto. Quant à vous, monsieur le président, vous savez trop combien la position de la France repose in fine sur le professionnalisme, l’engagement, le sérieux, en un mot le civisme de nos soldats pour que j’aie besoin d’insister.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me dois d’attirer l’attention du Sénat sur le fait que si, en apparence, quelques dizaines de pilotes seulement sont engagés, en réalité, l’ensemble de nos forces aériennes sont mobilisées, et tout le territoire national est concerné.
Pour ce qui est du transport, sans lequel la préparation de la base de Solenzara n’aurait pas été possible, il faut citer les bases d’Orléans et d’Évreux.
Pour ce qui est du contrôle aérien, sans lequel le combat est aujourd’hui impossible, je citerai la base d’Avord, dans le Cher, où se trouvent les AWACS.
Pour ce qui est de la logistique, je citerai la base d’Istres, où se trouvent les ravitailleurs C-135, base située dans les Bouches-du-Rhône, un département cher à M. Jean-Claude Gaudin.
Je pense également à la forte implantation des avions de combat dans l’Est - en Lorraine, à Nancy, en Bourgogne, à Dijon, en Champagne-Ardenne, à Saint-Dizier. Je pense encore au Sud, singulièrement au Var, en région PACA, et au port d’attache du Charles-de-Gaulle.
Permettez-moi d’avoir également une pensée pour le travail, dont on n’imagine pas à quel point il est précis et exigeant, des états-majors de l’armée de l’air de Paris ou de Lyon-Mont Verdun.
Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la mobilisation de toutes ces femmes et de tous ces hommes, au service d’une poignée de pilotes équipés de matériels performants, qui assure la réussite de l’opération aérienne. Je tenais, en cet instant, à le rappeler.
Je traiterai uniquement deux questions sous l’angle militaire.
J’évoquerai, premier point, le sens de la résolution 1973.
De très nombreux intervenants, y compris Mme Voynet, que je remercie, ainsi que M. de Montesquiou, nous ont dit, en somme : nous voulons la résolution, toute la résolution, rien que la résolution ! Or, mesdames, messieurs les sénateurs, la signification de cette résolution découle du débat de 2005, quand le Conseil de sécurité des Nations unies a reçu capacité de commander des actions ayant pour objet de protéger des populations civiles menacées par des faits de guerre. C’est bien plus que la zone d’exclusion aérienne.
Aujourd’hui, la ZEA est réalisée. Il est vraisemblable qu’aucun aéronef, aucun hélicoptère, aucun avion de combat gouvernemental de Kadhafi ne peut voler en cet instant. La mission confiée par l’ONU dans le cadre de la résolution 1973 est-elle pour autant accomplie ? Non ! Ce sont toutes les formes de menaces pesant sur les populations civiles qui doivent être impérativement arrêtées par des moyens militaires.
Je prendrai quelques exemples concrets.
Dès samedi, nos avions ont été engagés dans des opérations de tir au sol visant des dispositifs que les moyens modernes de repérage, mais surtout d’analyse et de chaîne de commandement, permettent d’identifier et de neutraliser. Si l’étau sur Benghazi s’est desserré- on peut même dire qu’il est brisé -, c’est bien parce qu’il y a eu des tirs au sol sur des pièces d’artillerie, des chars ou des véhicules blindés.
Nous sommes donc dans une logique qui va bien au-delà de la simple interdiction de survol, une logique où toute agression caractérisée peut faire l’objet d’une frappe, certes aérienne, mais une frappe au sol.
De la même façon, il n’est pas absurde de penser que, dans un pays dont 90 % à 95 % de la population se concentre sur une bande côtière de quelques dizaines de kilomètres de large et de 1 500 kilomètres de long, la marine peut jouer un rôle important. Il s’agit donc, là encore, d’empêcher l’utilisation de la marine kadhafiste pour tourner certaines positions. Je pense à ce qui s’est passé à Misrata, il y a quelques jours, avant notre intervention à Benghazi.
Cette marine a donc vocation à rester dans ses bases, comme les avions ont vocation à rester dans leurs hangars et les chars et pièces d’artillerie dans leurs quartiers. Ceux qui méconnaîtraient cette vocation de stabilité et ne se résigneraient pas pourraient être détruits au sol.
On le voit, bien plus que d’une simple zone d’exclusion aérienne, il s’agit ici d’interdire que des armes de guerre servent à arbitrer un conflit entre citoyens d’un même pays. Telle est la mission confiée à nos soldats, et c’est celle qu’ils accomplissent.
Bien entendu, il s’agit de l’œuvre d’une coalition. Le temps viendra de « débriefer », selon le terme militaire, l’opération. Il est essentiel que se crée une culture de l’action la plus respectueuse possible de l’esprit même de la résolution de 2005, mais ce n’est pas encore acquis dans tous les pays.
Second point, nous sommes dans une guerre de réactivité immédiate. Internet ne se limite pas aux manifestations populaires, culturelles ou artistiques. La « rue arabe », pour reprendre une expression significative et largement adoptée, s’est mobilisée grâce aux nouveaux moyens de communication, le GSM et internet.
Mais les opérations militaires se mènent également en temps réel, ce qui pose en effet la question de la chaîne de commandement.
Nous avons aujourd'hui des moyens d’analyse, d’identification, de décision et de destruction qui fonctionnent en temps réel. Il convient donc que cette considération pour le temps réel soit partagée au sein de la coalition, pour ne pas paralyser, mais au contraire soutenir l’action des combattants, lesquels ont cette capacité de reconnaissance et d’identification en temps réel, afin de leur permettre ensuite de prendre eux-mêmes ou, s’il y a doute, avec un appui extérieur, la décision d’intervenir ou de ne pas intervenir.
De même, si aucun de nos soldats n’est présent au sol, conformément à la résolution 1973, des informations nous parviennent cependant du sol, par le simple fait que les télécommunications fonctionnent et que de très nombreux Libyens s’efforcent, par le biais des réseaux sociaux et d’amitié, de faire passer des messages.
Nous avons donc un besoin absolu de pouvoir procéder à des identifications, à des contrôles. Nous sommes dans un système où la chaîne de la reconnaissance, de l’analyse, de l’identification et, ensuite, de la décision de neutralisation devient extraordinairement difficile.
On nous objectera que, si le conflit se transforme en une guerre civile traditionnelle, nous aurons beau neutraliser les moyens lourds en les maintenant dans leurs quartiers ou leurs bases maritimes, nous ne pourrons rien faire.
Je répondrai que la résolution 1973 repose également sur le principe de l’embargo. Même « légers », les combattants ont besoin d’être nourris et d’être alimentés en provisions. La résolution 1973 vise à combattre une logistique destinée à des combattants agressifs, même si la superficie de la Libye, le triple de celle de la France, permet probablement une certaine porosité…
S’agissant de la chaîne de commandement, les nations de la coalition ont donc à faire preuve collectivement du plus grand réalisme. Le ministre d’État l’a évoqué, la coopération des états-majors sur le plan technique ne doit souffrir qu’une seule règle, celle de l’efficacité au service de la volonté politique.
Nous ne menons pas une guerre de barrettes, d’amour-propre ou d’ego. Nous souhaitons simplement, et je m’exprime au nom des militaires qui mettent en œuvre la politique du Gouvernement, que cette chaîne de commandement soit suffisamment pratique pour tirer totalement parti des moyens modernes dont nous disposons afin d’éviter les excès, les démarches inutiles, les retards, qui seraient tragiques pour telle ou telle population engagée dans un combat.
J’ai toute confiance dans le bon sens des États qui ont voulu cet effort, qui ont voulu cette coalition. La France et la Grande-Bretagne en ont pris l’initiative et ont su entraîner les pays arabes et les pays européens responsables.
Enfin, pour avoir siégé au sein de cette assemblée un certain temps, je sais que mes anciens collègues sénateurs me connaissent comme un homme de tradition, un peu conservateur. (Exclamations ironiques sur plusieurs travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Je me réjouis donc en pensant qu’au pays où s’illustra par le serment de Koufra celui qui n’était encore que le colonel Leclerc, au pays de la victorieuse résistance de Bir Hakeim, nos actions sont autant de petits cailloux blancs sur le chemin de la liberté, celle des Libyens, cette fois, et non la nôtre ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie de vos interventions.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 29 mars 2011 :
À quatorze heures trente :
Élection d’un vice-président du Sénat, en remplacement de M. Jean-Claude Gaudin.
Ordre du jour fixé par le Sénat :
1. Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, de simplification et d’amélioration de la qualité du droit (n° 297, 2010-2011).
Rapport de M. Bernard Saugey, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 341, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 342, 2010-2011).
Avis de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 334, 2010-2011).
De dix-sept heures à dix-sept heures quarante-cinq :
2. Questions cribles thématiques sur le « Grand Paris ».
À dix-huit heures :
3. Suite de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
Le soir et, éventuellement, la nuit :
4. Suite de l’ordre du jour de l’après-midi.
5. Deuxième lecture de la proposition de loi relative au prix du livre numérique (n° 309, 2010-2011).
Rapport de Mme Colette Mélot, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 339, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 340, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART
ANNEXE
Débat préalable au conseil européen des 24 et 25 mars 2011
(La séance est ouverte le mardi 22 mars 2011, à quinze heures dix, salle Clemenceau, sous la présidence de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La séance est ouverte.
Monsieur le ministre, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, ce débat préalable au Conseil européen des 24 et 25 mars prochains se tient sous la forme particulière d’une réunion conjointe de la commission des affaires européennes, de la commission des finances et de la commission de l’économie, car il était prévu que le Sénat ne siégerait pas en séance publique cette semaine en raison des élections cantonales. Il fera l’objet d’un enregistrement et d’un compte rendu intégral publié au Journal officiel.
Ce débat intervient à un moment important du calendrier européen, entre la réunion des chefs d’État ou de Gouvernement de la zone euro du 11 mars et le Conseil européen des 24 et 25 mars.
La réunion du 11 mars a ouvert la voie à des décisions de grande portée : renforcement du FESF, le Fonds européen de stabilité financière, et du futur mécanisme de stabilité, lancement du pacte pour l’euro et début d’une coordination des politiques fiscales. Ces sujets tiendront une grande place dans les travaux du prochain Conseil européen.
Dans le même temps, nous voyons bien que la zone euro reste fragile, notamment parce que la situation en Grèce, en Irlande, au Portugal et en Espagne demeure préoccupante, avec une forte exposition des banques étrangères, en particulier françaises et allemandes.
Monsieur le ministre, c’est donc avec le plus grand intérêt que nous écouterons votre intervention. Je donnerai ensuite la parole à MM. les présidents de la commission des finances et de la commission de l’économie, ainsi qu’à M. le rapporteur général. Après que vous leur aurez répondu, nos collègues pourront intervenir dans la limite du temps qui nous est imparti, sachant qu’une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur la situation en Lybie a été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée, à dix-sept heures.
Vous avez la parole, monsieur le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé des affaires européennes. Je tiens tout d’abord à vous remercier, monsieur le président de la commission des affaires européennes, d’avoir organisé ce débat qui, s’il déroge quelque peu aux habitudes, revêt un grand intérêt, eu égard à l’ordre du jour du prochain Conseil européen. En effet, ce dernier, il ne faut pas s’y tromper, aura une portée historique et marquera incontestablement un changement d’échelle pour la politique européenne, une rupture totale avec la situation antérieure et une affirmation de la volonté de progresser sur la voie de l’intégration communautaire.
Or, il y a six mois encore, nombreux étaient ceux qui considéraient que de telles avancées étaient hors d’atteinte. D’ailleurs, il n’est pas sûr que j’aurais moi-même parié, alors, sur la possibilité d’atteindre certains des résultats auxquels nous sommes parvenus et qui seront entérinés par le Conseil européen.
MM. Bizet et Arthuis le savent, j’ai la conviction que nous avons plus que jamais besoin de l’Europe en cette période de sortie de crise.
À cet égard, je vais essayer de démontrer que les trois sujets sur la table offrent, au-delà des différences d’approche, au-delà des nuances qui existent entre les différents États membres et qu’il serait stupide de nier, autant d’illustrations d’une vraie démarche communautaire, manifestant le retour de l’Europe.
Le premier de ces sujets, sur lequel les avancées sont le plus patentes, recouvre toutes les décisions relatives à la création d’une gouvernance économique de la zone euro.
Sur ce plan, il faut se souvenir que, voilà deux ans, rien n’existait. Disposions-nous d’un fonds destiné à défendre l’euro ? Non ! Existait-il un système de gouvernement économique de la zone ? Aucunement, le sujet était même tabou… Était-il possible d’envisager le moindre travail d’approche en matière de convergence fiscale ? Nullement ! Bien des États membres se seraient alors dressés sur notre chemin. Était-il seulement loisible d’évoquer un renforcement de la coordination entre les dix-sept États de la zone euro ? Sur ce point encore, les difficultés semblaient insurmontables.
Il faut donc bien mesurer tout le chemin qui a été parcouru au terme d’une longue marche, commencée il y a deux ans. Les progrès enregistrés trouvent en partie leur source dans la crise de l’euro, dont l’Europe sort résolument par le haut, grâce à des avancées majeures pour la coordination économique entre les États et la défense de la monnaie commune.
Le volontarisme de la diplomatie française, la détermination du Président de la République et le travail acharné accompli par Christine Lagarde, de concert avec nos partenaires, particulièrement l’Allemagne, ont permis ces avancées, que je vais maintenant détailler.
En premier lieu, nous allons nous doter d’un fonds de stabilité, qui nous permettra de défendre la zone euro dans la durée. Souvenez-vous : lors des débats sur le traité de Maastricht, on s’était demandé ce qui arriverait si l’euro était attaqué. Les modalités de mobilisation de ce fonds de stabilité, qui s’élève à 700 milliards d’euros et permettra de prêter effectivement 500 milliards d’euros avec la meilleure notation possible, ont fait hier l’objet d’un accord précis. C’est une réponse aux spéculateurs qui ont voulu attaquer et fragiliser l’euro : l’euro sortira de la crise plus fort qu’il ne l’était auparavant !
En deuxième lieu, les efforts qui ont été accomplis par la Grèce, dont le Gouvernement a fait preuve d’un sens des responsabilités exemplaire, vont être reconnus. Il est normal que nous envoyions un signal à l’opinion publique grecque, qui a consenti beaucoup de sacrifices. Dans cette perspective, la décision a été prise d’abaisser de cent points de base le taux de refinancement de l’économie grecque : l’Europe ne doit pas se montrer ingrate.
En troisième lieu, un pacte pour l’euro vient consacrer pour la première fois la notion de gouvernement économique européen, pour lequel la France plaide depuis longtemps. Jusqu’à présent, nos partenaires de la zone euro semblaient vivre dans l’illusion qu’une monnaie peut exister en apesanteur, sans être fondée sur une convergence économique et sociale entre les différents États concernés. L’une des leçons de la crise est qu’une monnaie ne peut exister artificiellement : elle doit reposer sur des sous-jacents économiques, sur une détermination des pays qui l’ont adoptée à avancer ensemble. Le pacte pour l’euro permet de franchir ce cap, en mettant en place pour la première fois un véritable gouvernement économique conjoint.
La diplomatie française a œuvré pour que ce pacte soit équilibré. Tel est bien le cas, car il couvre les différents champs, à savoir le nécessaire assainissement de nos dettes et de nos déficits, dont il faut absolument enrayer l’augmentation infernale, et le renforcement de la compétitivité offensive de l’Europe, ce qui suppose d’investir dans la recherche, l’innovation et les infrastructures, ainsi que d’améliorer les passerelles entre la formation des jeunes et l’emploi. Le texte a été considérablement enrichi par rapport à ce qu’il était voilà encore un mois ; la version actuelle est équilibrée, et prévoit même d’associer les partenaires sociaux à la réflexion, point qui me tenait à cœur. Cela n’était pas prévu initialement, mais l’association des partenaires sociaux au gouvernement économique, dans le cadre d’un sommet tripartite, représente elle aussi une avancée très positive.
En quatrième lieu, il a été décidé de travailler sur la convergence fiscale et l’harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés. Qui pouvait croire, il y a encore quelques mois, que nous parviendrions à un tel résultat ? Il s’agit d’une véritable rupture dans l’histoire de la construction européenne. La question de la convergence fiscale n’était pas vraiment inscrite à l’ordre du jour européen, mais elle a été replacée au premier plan. Hier, le commissaire européen chargé de la politique fiscale a affirmé sa détermination à avancer sur ce dossier, afin que des harmonisations puissent intervenir rapidement, sans qu’il faille en passer par d’interminables négociations.
Dans le cadre du pacte pour l’euro, cette démarche s’accompagnera d’ailleurs de toute une réflexion sur les moyens de lutter contre l’évasion fiscale, sur la fiscalité du numérique et sur celle de l’énergie. Sur ces points aussi, le prochain Conseil nous permettra de faire un pas décisif.
Enfin, nous plaidions pour la création d’une taxe sur les transactions financières : le Conseil européen en entérinera le principe, une réflexion sur ce sujet et une étude d’impact devant être menées, afin d’évaluer les conséquences de la mise en place d’une telle taxe.
Tous ces éléments nous permettent de mesurer le chemin parcouru. Il s’agit d’une authentique victoire pour l’Europe et pour notre monnaie commune, d’une étape décisive pour le projet de construction européenne dans son ensemble. Je suis convaincu que, dans l’avenir, elle sera considérée comme un moment clé de l’approfondissement des synergies à l’échelon européen.
Ce travail a été accompli dans un temps très court, grâce à la détermination du couple franco-allemand, qui, n’ayons pas peur de le dire, a été amené à prendre les choses en main. Ainsi, des propositions conjointes ont été mises sur la table par la Chancelière et par le Président de la République. Il a ensuite fallu que les États partenaires puissent se les approprier collectivement. Je tiens à insister sur le fait que M. Van Rompuy a joué un rôle essentiel à cet égard. Il est peut-être des personnalités plus charismatiques et plus médiatiques, mais son sens du dialogue et de l’écoute nous a considérablement aidés à faire émerger un consensus autour de ces propositions. Son action a été déterminante dans cette période de transition.
Ce retour de l’Europe constitue donc, me semble-t-il, un premier motif de fierté.
J’en viens maintenant au deuxième enjeu du Conseil européen des 24 et 25 mars prochain : la refondation de nos relations avec les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Dans cette optique, deux messages complémentaires doivent être délivrés.
Tout d’abord, il importe de répondre à la situation d’urgence que connaît la Libye. Sur ce plan, je crois que nous pouvons être fiers du travail qui a été mené par la diplomatie française, sous l’égide d’Alain Juppé, afin d’éviter un massacre et un bain de sang à Benghazi. Pour autant, je ne nie nullement les différences d’appréciation existant entre les États membres de l’Union européenne, s’agissant notamment des opérations en cours. Certes, dans des domaines aussi importants que la politique étrangère ou la politique de défense, qui touchent à la souveraineté des États, il existe des divergences entre les pays européens, mais cela enlève-t-il toute portée aux avancées obtenues en matière de coopération européenne ? Sûrement pas ! Ainsi, les Européens ont été parmi les premiers à condamner le régime de Kadhafi et à vouloir mettre en place un embargo extrêmement strict sur la fourniture d’armes et de matériels de répression. Ils ont décidé la saisine des avoirs financiers du dirigeant libyen et entendu éviter que l’argent du pétrole puisse servir à financer ses armées. Je pourrais également évoquer la saisine de la Cour pénale internationale, la mise en place d’actions coordonnées au bénéfice des réfugiés et d’opérations humanitaires : toutes ces initiatives ont été portées par l’Union européenne, de façon réellement coordonnée.
Je le répète, certaines différences d’approche ont pu s’exprimer, mais il ne faut pas leur donner une importance excessive : dans l’optique du Conseil européen des 24 et 25 mars prochains, nous sommes parvenus à une déclaration commune par laquelle l’Union européenne soutient sans ambiguïté la mise en œuvre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies. En dépit de nos divergences, nous avons donc su adopter une position globalement commune sur un sujet délicat de politique internationale.
En ce qui concerne la question du partenariat de long terme pour la démocratie et la prospérité partagée au sud de la Méditerranée, l’enjeu est simple : il faut investir dans la démocratie, rapidement, de façon concrète et visible.
Deux jalons de ce nouveau partenariat seront posés par le biais du Conseil européen.
Il s’agit tout d’abord d’une reprogrammation rapide de l’aide financière de l’Union européenne. Chaque pays sera considéré spécifiquement et une prime sera accordée aux États qui se seront vigoureusement engagés dans une phase de transition au cours de la période considérée. Dans cette perspective, nous devons renforcer nos instruments financiers.
S’agissant de la Banque européenne d’investissement, la BEI, près de 150 millions d’euros disponibles au titre des mécanismes de remboursement anticipé ne sont pas mobilisés. Ils peuvent l’être sans fragiliser les assises financières de la BEI. N’attendons pas : ce mécanisme a déjà été utilisé pour l’Europe centrale, il pourrait être transposé sans aucune difficulté au bénéfice des pays de la rive sud de la Méditerranée.
Quant à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la BERD, il faut étudier comment étendre son champ d’action afin qu’elle puisse intervenir aussi sur la rive sud de la Méditerranée.
Enfin, nous proposons la création d’une banque euro-méditerranéenne d’investissement, qui permettrait d’afficher la priorité que nous entendons donner à la rive sud de la Méditerranée. N’oublions jamais cette constante de notre histoire : la France et l’Europe ont été prospères lorsque la Méditerranée était une zone de stabilité et de prospérité, comme l’a très bien montré Fernand Braudel.
La mise en œuvre de cette démarche passe par des projets concrets, tels le plan solaire méditerranéen, l’Office méditerranéen de la jeunesse, les autoroutes de la mer ou encore l’autoroute de l’Ouest, en Tunisie.
N’oublions pas non plus la gestion conjointe des flux migratoires. Une émigration massive ne serait bénéfique ni pour la Tunisie, ni pour l’Europe, ni pour le monde arabe. Cette question doit être envisagée conjointement, de façon responsable, sans antagonismes : nous devons ensemble faire en sorte que les règles régissant l’immigration sur le territoire de l’Union européenne soient respectées.
J’évoquerai enfin la situation au Japon et la problématique de la sûreté nucléaire.
Un Conseil Énergie exceptionnel a été convoqué hier à Bruxelles. Ce sujet a également été abordé lors du Conseil Affaires générales. Je soulignerai d’abord que nous ne partons pas de rien : l’Europe n’a jamais transigé sur les questions de sécurité nucléaire, et elle n’a pas attendu la crise japonaise pour adopter les standards les plus élevés en la matière.
Ainsi, en 2009, sous présidence française, l’Union européenne a adopté une directive rendant contraignants des engagements pris au travers de la convention sur la sûreté nucléaire de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Ce fut la première étape d’un encadrement juridique commun.
Puis, au mois de novembre 2010, une proposition de directive sur la gestion sûre des déchets radioactifs et du combustible usé a été présentée par la Commission européenne.
Enfin, lors du dernier Conseil, qui s’est tenu le 4 février, c’est-à-dire avant le début des événements tragiques que connaît le Japon, nous avons plaidé, je le rappelle, pour que les plus hauts standards de sûreté nucléaire, issus des standards WENRA, soient immédiatement transposés et mis en application. Nous nous étions entretenus de ce sujet avec les membres de la commission des affaires européennes du Sénat.
Nous devons évidemment mener, à l’échelon européen, une action conjointe en matière d’audit et de mise en œuvre des tests de résistance. Personne ne comprendrait que les États membres agissent en ordre dispersé dans ce domaine. La France estime donc qu’il convient de mettre en place un cadre harmonisé en vue de réaliser en toute transparence un audit de chacune de nos centrales à l’aune de ce qui s’est passé au Japon : cet audit devra notamment porter sur les conséquences d’un séisme, d’une inondation, d’une rupture de l’alimentation en électricité, ainsi que sur les capacités de réaction lorsque le processus de refroidissement ne peut plus être maîtrisé. La volonté des États membres d’agir sur ce point dans un cadre européen harmonisé est unanime. Nous pouvons nous appuyer sur nos experts.
Mesdames, messieurs les sénateurs, sur toutes ces questions, quelles que soient les différences d’appréciation entre les États membres, le prochain Conseil aura une importance majeure pour la construction européenne. Il permettra notamment, sur les plans économique et financier, d’opérer un changement de dimension et de répondre à toutes les attaques spéculatives que nous avons subies depuis près de deux ans. Avec ce Conseil, l’Europe est de retour ; elle repasse à l’offensive et assure une vraie protection de son économie et de sa monnaie commune : je crois que nous pouvons en être fiers.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, compte tenu des événements internationaux que vous venez d’évoquer, les principaux sujets qui seront débattus au Conseil européen des 24 et 25 mars ne seront probablement pas ceux que l’on imaginait voilà quelques semaines, lorsque le président de la commission des affaires européennes, M. Jean Bizet, a eu la très bonne idée de proposer à la commission des finances et à la commission de l’économie de s’associer au débat préalable à ce Conseil européen qui sera sans doute essentiel pour l’avenir de la zone euro.
Même si le Japon et la Libye seront légitimement au cœur de toutes les préoccupations, il n’en reste pas moins que ce Conseil devra entériner, à l’échelle des Vingt-Sept, plusieurs décisions très importantes prises par l’Eurogroupe le 11 mars dernier et précisées lors de sa réunion d’hier, portant sur la gouvernance économique, dont on a dit à quel point elle est pour l’heure évanescente, et sur la gouvernance budgétaire de la zone euro, ainsi que sur les outils destinés à assurer la stabilité de celle-ci.
Pour éviter les redondances, nous nous sommes réparti les rôles : le président de la commission de l’économie évoquera le nouvel instrument que constitue le pacte pour l’euro ; le rapporteur général abordera le fonctionnement des mécanismes de soutien aux États en difficulté ; pour ma part, au nom de la commission des finances, je centrerai mon propos sur les aspects liés à la gouvernance budgétaire et au pacte de stabilité, qui reste le « règlement de copropriété » de la monnaie unique.
Je ferai d’abord une observation sur le mécanisme communautaire et le processus de prise de décision.
Si, le 11 mars, un accord est bien intervenu entre les États sur le paquet législatif proposé par la Commission, accord devant aboutir fin juin, ce fut au prix de modifications substantielles des propositions initiales de la Commission, et à l’issue d’une démarche parallèle engagée par la France et l’Allemagne, qui, de la déclaration de Deauville à la présentation du pacte de compétitivité, devenu pacte pour l’euro, ont fait pression pour que l’architecture d’ensemble soit moins fédérale et plus intergouvernementale.
Cette évolution fait l’objet de critiques inhabituellement ouvertes de la part de la Banque centrale européenne. Ma question sera donc simple : les institutions européennes fonctionnent-elles bien ?
S’agissant de la gouvernance, le droit communautaire va nous conduire à revoir notre calendrier et nos procédures. Nous l’avons certes anticipé dans la dernière loi de programmation des finances publiques, mais il serait utile, monsieur le ministre, que vous nous indiquiez précisément ce que le semestre européen changera au calendrier parlementaire.
Par ailleurs, la prochaine révision constitutionnelle permettra de mieux articuler engagements européens et lois financières nationales. La commission des finances milite en ce sens depuis longtemps : c’est donc pour nous un réel motif de satisfaction qu’il puisse être mis un terme à une forme de duplicité, les programmes de stabilité étant adressés à Bruxelles dans une sorte d’allégresse convenue, mais se trouvant systématiquement démentis par la réalité et par nos lois de finances.
Les textes en cours d’examen ne se limitent pas à la procédure. Sur le fond, deux règles me semblent mériter que l’on s’y arrête.
La première de ces règles complète celle du déficit excessif, supérieur à 3 % du produit intérieur brut, et imposera aux États dont l’endettement dépasse 60 % du PIB de réduire celui-ci d’un vingtième par an, sous peine de sanctions. Comment ce dispositif fonctionnera-t-il ? A-t-on anticipé les effets sur la croissance en Europe de la mise en œuvre simultanée de cette règle par tous les États ?
La seconde règle porte sur les sanctions financières. De telles sanctions existent aujourd’hui en théorie, mais elles ne sont pas appliquées. Chacun se souvient de cette « victoire » politique des années 2004 et 2005, quand on avait en quelque sorte, dans une Europe peu regardante, « tordu le cou » au pacte de stabilité et de croissance : au nom du respect de la souveraineté nationale, on avait posé le principe que chaque État membre, notamment la Grèce, était censé présenter des comptes sincères…
Le nouveau dispositif vise à rendre ces sanctions plus opérationnelles et, dans une certaine mesure, plus automatiques, car il faudra réunir une majorité inversée pour les écarter.
À ce sujet, je soulèverai trois questions.
Premièrement, en faisant payer les États en difficulté, ne risque-t-on pas d’aggraver leur situation ?
Deuxièmement, d’un point de vue juridique, M. Pierre Lellouche, alors qu’il était secrétaire d’État chargé des affaires européennes, s’était interrogé sur la conformité aux traités du principe de la majorité inversée : ces doutes juridiques ont-ils été levés, monsieur le ministre ?
Troisièmement, comment le nouveau dispositif, dès lors qu’il ne prévoit pas de sanctions automatiques, permettra-t-il d’éviter les écueils actuels et de faire en sorte que les chefs de Gouvernement osent décider de sanctionner l’un de leurs pairs ?
À ce stade, je suis tenté d’ajouter une quatrième question : au fond, l’Europe pourra-t-elle survivre sans se fédéraliser ?
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de vos réponses.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. Gérard César, en remplacement de M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie.
M. Gérard César, en remplacement de M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. M. Jean-Paul Emorine étant retenu par une réunion avec M. le ministre de la ville, il m’a confié la lourde tâche de le représenter.
Je vous poserai trois questions, monsieur le ministre.
Tout d’abord, le futur règlement européen sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques prévoit le suivi de certaines variables macroéconomiques sur la base d’un tableau de bord d’indicateurs. C’est une disposition utile, car la crise de l’euro que nous traversons a révélé l’insuffisance des indicateurs prévus par le pacte de stabilité et de croissance. Le choix des variables macroéconomiques entrant dans le champ du futur règlement européen sera stratégique.
Or le texte proposé par la Commission est encore assez vague sur ce point. Pourriez-vous donc, monsieur le ministre, nous en dire plus sur ces indicateurs ? En particulier, y aura-t-il un suivi du niveau d’endettement intérieur total des pays européens, prenant en compte à la fois l’endettement public et l’endettement privé ? On sait en effet que les pays européens le plus durement touchés par la crise, notamment l’Espagne ou l’Irlande, affichaient jusqu’en 2008 des performances satisfaisantes en termes de dette et de déficit publics, tout en présentant, sans que la gouvernance de la zone euro les prenne en compte, des bulles d’endettement privé.
Ensuite, le pacte pour l’euro prévoit un suivi de l’évolution conjointe des salaires et de la productivité du travail au travers de ce que l’on appelle le coût unitaire de la main-d’œuvre. Il est indiqué qu’il sera prêté une attention particulière aux mesures visant à assurer que « les coûts évoluent en accord avec la productivité ».
Cette formulation laisse a priori la porte ouverte à des interprétations diverses. Elle s’applique de manière évidente à des pays où les salaires croissent plus vite que la productivité et où, par conséquent, le coût unitaire du travail augmente et la compétitivité-coût diminue. Il ne fait de doute pour personne qu’il s’agit là d’une situation de déséquilibre qui ne peut perdurer.
Le nouveau pacte crée-t-il un outil permanent permettant de se prémunir contre ces politiques économiques nationales non coopératives contre lesquelles, en régime de monnaie unique, il est impossible de se protéger avec l’outil classique des taux de change ?
Enfin, j’aborderai la question de la coordination des politiques fiscales et sociales en Europe.
L’approfondissement de la construction européenne rend de plus en plus illusoire la souveraineté budgétaire et sociale nationale. Les choix collectifs démocratiquement décidés à l’échelon national sont en effet fragilisés : dans un environnement économique totalement ouvert, comme l’est celui du marché européen, une partie des acteurs économiques peuvent migrer d’un territoire à l’autre et jouer ainsi des différences en matière de règles sociales et fiscales existant entre les États membres. Il existe donc un risque de nivellement par le bas pour les États, tels que la France, qui ont les normes les plus élevées.
Monsieur le ministre, dans quelle mesure les progrès de la gouvernance économique en Europe pourraient-ils permettre d’avancer vers une régulation des phénomènes de dumping fiscal ou social ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mes questions sont assez liées à celles qui ont été présentées par Gérard César et, en matière institutionnelle, par Jean Arthuis.
Je concentrerai mon propos sur la crise de l’euro.
Ce sont bien les États membres de la zone euro qui sont spécifiquement visés par les attaques des marchés à l’encontre des titres de dette souveraine. En effet, des États n’appartenant pas à la zone euro peuvent présenter des caractéristiques, en termes de finances publiques, proches de celles des États périphériques de la zone euro, voire plus mauvaises encore, sans pour autant faire l’objet, tant s’en faut, des mêmes attaques.
Il est donc clair que la zone euro doit se défendre. Elle s’est défendue en créant, l’an dernier, le Fonds européen de stabilité financière, et le Parlement, dans la loi de finances rectificative de juin 2010, a autorisé une garantie de l’État aux émissions dudit fonds pour un total de 111 milliards d’euros, cela jusqu’en 2013.
Ce dispositif est provisoire. Il est quantitativement insuffisant pour faire face aux difficultés actuelles, voire aux difficultés prévisibles, des États dits périphériques, d’où les orientations dont M. le ministre nous a fait part et qui devraient être confirmées lors du prochain Conseil européen.
Monsieur le ministre, j’ai plusieurs questions à vous poser sur ce nouveau mécanisme européen de stabilité, ne partageant pas totalement, pour l’heure, l’optimisme que vous avez manifesté.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est le principe de précaution !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. En premier lieu, le mécanisme européen de stabilité suppose-t-il de modifier le traité régissant le fonctionnement de l’Union européenne, et si oui sur quels points ?
En deuxième lieu, dès lors qu’il faudrait procéder à une telle révision, la procédure simplifiée à laquelle il est prévu de recourir nécessite sans doute quelques commentaires. Nous serions heureux de vous entendre sur ce thème.
En troisième lieu, je voudrais m’assurer que les intérêts budgétaires et patrimoniaux de la France sont bien protégés par ce dispositif. En d’autres termes, dans quelle mesure les emprunts contractés par le biais du mécanisme européen de stabilité seront-ils repris dans la dette de chaque État ? À la vérité, c’est une dette que les États de la zone euro vont contracter pour compte commun et pour assurer la solidarité financière dans la zone ; il pourrait sembler logique – je serais heureux de savoir si Eurostat a été consulté sur ce point – que la dette publique de chaque État tienne compte des efforts ainsi réalisés.
Si tel doit être le cas, cela conduit à s’interroger sur la dégradation de nos finances publiques qui résultera paradoxalement de la mise en place du nouveau mécanisme.
Pour ce qui concerne le Fonds européen de stabilité financière, c’est-à-dire le dispositif transitoire, je rappelle que la solution retenue consistait, pour les États, à apporter une garantie aux émissions du Fonds.
Cependant, en écoutant Mme Lagarde, j’ai cru comprendre que, s’agissant du dispositif pérenne, à savoir le mécanisme européen de stabilité, l’orientation retenue consiste à placer au premier plan les engagements en capital, par tranches appelées et par tranches susceptibles d’être appelées.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce sujet et nous indiquer si les engagements en capital seront intégrés au projet de loi de finances rectificative que le Gouvernement prépare opportunément pour le mois de juin prochain ? S’agissant de la part appelée de ces engagements en capital, en résultera-t-il, pour l’année 2011, une dégradation du solde de nos finances publiques ?
Je conclurai mon propos en évoquant, à la suite de Jean Arthuis et de Gérard César, la question des conditionnalités.
De quelles conditionnalités est assortie la mise en jeu du mécanisme de solidarité européen, provisoire ou définitif, en vue d’assurer la continuité financière pour un État de la zone euro ? Par exemple, n’est-il pas indispensable de s’assurer que cet État manifeste un comportement coopératif en matière fiscale ? À cet égard, beaucoup d’entre nous ont été choqués par ce qui s’est passé dans le cas de l’Irlande : en effet, ce pays a bénéficié de la solidarité communautaire, mais s’est jusqu’à présent catégoriquement refusé à adopter une démarche de convergence fiscale, et même à envisager une amorce de politique fiscale coopérative.
Si l’Irlande maintient cette attitude, la France confirmera-t-elle son opposition, exprimée la semaine dernière, à ce que lui soit accordée, comme à la Grèce, une réduction de taux d’intérêt ? Par ailleurs, comment aller plus loin, en s’assurant que la zone euro soit bien dotée d’une gouvernance et tende vers une convergence aussi bien économique que fiscale ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre. Je répondrai tout d’abord à M. Arthuis sur le rôle des institutions.
S’agissant de la construction européenne, il est clair que le traité de Lisbonne permet de dépasser l’affrontement entre approche intergouvernementale et démarche fédéraliste, en distinguant les domaines relevant préférentiellement de l’une ou de l’autre. Il n’y a pas d’opposition entre ces deux perspectives : comme j’ai souvent eu l’occasion de le dire à des parlementaires européens, adopter une méthode intergouvernementale ne revient pas à tourner le dos à l’intérêt général communautaire.
En l’occurrence, monsieur le président de la commission des finances, le choix a en effet été d’obtenir des avancées par le biais d’une démarche intergouvernementale. Il aurait été impossible d’aboutir au même résultat en se fondant sur une approche purement communautaire. Les États membres ont fait leur devoir et ont œuvré dans le sens de l’intérêt général communautaire : nul ne saurait s’en plaindre.
Quant à la Banque centrale européenne, elle a joué son rôle pendant la crise, de façon assez large et pragmatique, notamment en intervenant sur la dette souveraine. Son action a été utile, mais on ne peut lui demander d’aller au-delà, car elle doit garder son impartialité à l’égard des différents États membres ; c’est ce que l’on attend d’elle.
En ce qui concerne les procédures en cas de déficits excessifs, une période transitoire de trois ans a été accordée, pour une unique raison : tous les États membres ayant été secoués par la crise, il s’agit de leur permettre de purger leurs comptes et de solder les erreurs du passé avant d’intégrer le cadre qui a été défini. En d’autres termes, on donne aux États la possibilité de tourner la page d’une crise historique, pour ensuite pouvoir partir sur des bases saines.
Les sanctions seront-elles opérationnelles ? Comme vous l’avez souligné, monsieur le président de la commission des finances, le dilemme est le suivant : d’un côté, le bâton doit être suffisamment dur pour sanctionner efficacement certains comportements ; de l’autre, il ne doit pas l’être trop dans la mesure où il s’abat sur un pays en difficulté. En fait, il faut que la menace de la sanction soit dissuasive. De ce point de vue, les contraintes et les ajustements auxquels ont été soumis la Grèce, le Portugal ou l’Irlande ont tout de même marqué les esprits.
Pour le reste, le mécanisme de sanction permettra de distinguer le cas des États touchés de façon passagère par des crises macroéconomiques qui les dépassent. Par exemple, si le déficit budgétaire de la Finlande s’est élevé au-delà de la limite de 3 % du PIB, c’est seulement parce que l’économie de ce pays dépend étroitement de celle de la Russie, laquelle a subi en 2009-2010 un choc majeur. Pour autant, il n’y a eu ni dérive ni laxisme de la part du gouvernement finlandais.
La situation sera tout autre quand un gouvernement aura été jugé responsable d’un déficit budgétaire excessif. Dans un tel cas, la Commission européenne disposera de vingt jours pour proposer des sanctions, et le Conseil de dix jours pour s’y opposer. Une telle procédure ne pose aucun problème au regard du droit des traités.
M. César a évoqué les déséquilibres macroéconomiques. Ce sujet est encore en discussion, mais il paraît évident que l’endettement privé doit être pris en compte, notamment dans le cas de l’Irlande.
Plus globalement, le paquet législatif – ce que l’on appelle les six mesures de M. Van Rompuy – manifeste la volonté de resserrer les mailles du filet, car on ne peut juger de la santé ou de la stabilité d’une économie sur le seul fondement de l’examen du ratio dette/PIB et du niveau du déficit : une économie ne se réduit pas à cela. Au regard de ces seuls critères, l’économie irlandaise apparaissait très solide, mais elle reposait sur une construction macroéconomique très fragile, notamment en raison de la surexposition du secteur bancaire.
Il sera désormais possible de révéler les déséquilibres macroéconomiques, d’identifier les économies fragiles parce que reposant sur un modèle macroéconomique non soutenable sur la durée.
En ce qui concerne la question du coût unitaire du travail, l’objectif est précisément de dénoncer les politiques nationales non coopératives. Cela étant, soyons lucides : nous ne pouvons, pour notre part, laisser dériver durablement, à coups de promesses illusoires, notre productivité et nos coûts salariaux. De ce point de vue, l’Allemagne a tout de même indiqué la voie de la responsabilité politique et montré que si l’on consent des efforts, on finit par en récolter les fruits.
Pour autant, la France a désormais engagé un réel effort d’assainissement de ses pratiques, notamment en renonçant à donner des « coups de pouce » au SMIC, ce qui avait des effets catastrophiques sur l’emploi des personnes les plus faiblement qualifiées. L’objectif est d’adopter une approche globale afin d’écarter les politiques nationales non coopératives.
La question de la coordination des politiques fiscales et sociales se rattache à cette problématique. L’objectif de M. Van Rompuy est que les États membres prennent chaque année un engagement chiffré sur ce point, qui donnera ensuite lieu à une évaluation. Nous aurons ainsi une vision d’ensemble de la situation de chaque État membre et pourrons mesurer si l’on se dirige ou non vers une convergence.
Monsieur le rapporteur général, une modification du traité de Lisbonne est en effet nécessaire, mais tous les États se sont accordés sur le fait qu’elle devra être limitée et intervenir par la voie de la procédure simplifiée. Certains étaient tentés d’en profiter pour ouvrir la boîte de Pandore et débattre, par exemple, de la prise en compte des retraites dans les déficits et des réformes de transition qui peuvent être menées dans des pays comme la Pologne ou la Hongrie, mais il n’en sera rien. Le Parlement européen se prononcera sur cette question le 23 mars prochain.
S’agissant de la préservation des intérêts patrimoniaux de la France, j’attends de disposer de tous les éléments nécessaires avant de vous apporter une réponse. Il en va de même pour la question des engagements en capital par tranches appelées et susceptibles d’être appelées, qui a constitué un point très important de la négociation d’hier. Excusez-moi, monsieur le rapporteur général, de ne pouvoir vous répondre précisément sur ces points dans l’immédiat.
En ce qui concerne les conditionnalités, il est hors de question d’accepter qu’un État puisse bénéficier de la solidarité de ses partenaires sans apporter de contrepartie. J’évoquerai à cet égard deux cas actuels.
La Grèce, qui s’est vu demander de mettre en œuvre un programme d’ajustement difficile, a rempli ses engagements, notamment en consentant des efforts en matière de rémunération des fonctionnaires ou de régimes de retraite. Il est normal que nous adressions en retour aux Grecs un signal positif, en l’occurrence un abaissement de 100 points de base du taux d’intérêt et des facilités de financement pour permettre à ce pays de sortir le plus rapidement possible la tête de l’eau. Les représentants de la Grèce se sont montrés très satisfaits, hier, de ces mesures.
À l’inverse, nous attendons un geste de l’Irlande. Ainsi, nous avons clairement signifié qu’une convergence des bases de l’impôt sur les sociétés devrait intervenir. Dans le cadre de l’agenda fiscal sera examinée la fameuse question du Double Irish Arrangement, dispositif fiscal qui permet à des sociétés multinationales de soustraire à l’impôt, en les faisant remonter vers des structures irlandaises, une large partie des bénéfices qu’elles réalisent ailleurs dans l’Union européenne. C’est grâce à ce dispositif que Google bénéficie d’un taux moyen d’imposition de 2,6 % ! Il est hors de question que nous laissions subsister ce genre de pratiques, et nous allons porter le fer sur ce point. Du reste, la position de la France et de l’Allemagne a été on ne peut plus claire : aucune facilité ne sera accordée au Gouvernement irlandais si celui-ci ne modifie pas sa position à ce sujet.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le ministre, je reviendrai sur deux points : le semestre européen, d’abord ; l'investissement dans la démocratie au sud de la Méditerranée, ensuite.
Sur le semestre européen, j’ai assisté la semaine dernière, au nom de la commission des finances, de son président et de son rapporteur général, à une réunion très intéressante organisée par la commission économique du Parlement européen rassemblant les représentants des commissions des finances des parlements nationaux de l’Union.
Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure avoir mesuré un changement d’échelle au niveau des travaux du Conseil et, sans doute aussi à mon avis, de ceux de la Commission. Ce changement d’échelle, j’ai senti une très grande volonté de le vivre de la part des législateurs que sont les membres du Parlement européen et des parlements nationaux.
C’était la première fois que je voyais le Parlement européen et les parlements nationaux arriver à dépasser les vieilles rivalités et les vieilles querelles quelque peu secondaires pour essayer d’avancer ensemble sur l’essentiel, en s’efforçant de faire la part des choses. Il y a, d’un côté, le Parlement européen, qui a un rôle fédérateur, voire franchement fédéral lorsqu’il s’agit de l’euro, afin de rapprocher les uns et les autres et de définir les principes d’une coordination des politiques fiscales et budgétaires. Il y a, de l’autre, les parlements nationaux, qui, au niveau interétatique, cherchent à travailler de concert pour parvenir à une telle coordination.
À cet égard, la réunion a permis de rappeler ce que le Parlement européen sait pertinemment : les budgets nationaux sont votés par les parlements nationaux. Si les dettes souveraines s’appellent ainsi, ce n’est pas un hasard : la souveraineté n’appartient pas à l’Union ; les États restent souverains. Lorsqu’il s’est agi de garantir ces dettes, ce sont les parlements nationaux qui ont tranché par un vote.
Tout cela méritait d’être rappelé, cela a été fait. Voilà qui nous permet de partir dans une démarche très constructive et extrêmement claire avec nos différents collègues.
Je me tourne vers le président de la commission des affaires européennes pour souhaiter que la COSAC de Budapest insiste lourdement sur ces sujets. Mieux vaut parler de cela que de la liberté d’expression en Hongrie, point certes important mais qui pourra être traité plus rapidement. Nous avons là de vrais sujets, sur lesquels nous allons pouvoir progresser.
Ce type de réunion à laquelle j’ai assisté a permis de souligner une très grande convergence de vue sur le fond, par-delà les différences qui peuvent exister entre les pays de la zone euro et les autres. Les interventions des Suédois notamment, qui balancent en quelque sorte entre ces deux catégories, ont été très intéressantes. Même si leurs situations économiques, budgétaires et financières ne sont pas les mêmes, tous les pays, ainsi que l'ensemble des groupes politiques ont des opinions convergentes. Je ressens aujourd'hui une capacité à aller de l’avant, et l’on aurait tort de ne pas en profiter.
Cela dit, me tournant maintenant vers le président de la commission des finances, je soulignerai la nécessité de structurer le travail réalisé au niveau européen et à l’échelon national tout au long de ce semestre européen.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est ce que nous allons faire.
M. Denis Badré. Certains parlements nationaux sont décidés à émettre un vote sur ce qui sera transmis à Bruxelles au début du semestre, d’autres non. Il faudra que les différents États s’accordent pour avoir les mêmes procédures et, surtout, pour caler leurs calendriers respectifs et pouvoir ainsi dialoguer. Sinon la réunion que nous avons eue la semaine dernière n’aura été qu’une initiative isolée. Travailler ensemble et en continu est une condition si l’on veut déboucher de manière concrète.
J’en viens au second point, monsieur le ministre : la démocratie et les droits de l’homme au sud de la Méditerranée.
J’ai remis au Premier ministre le rapport qu’il m’avait demandé sur le Conseil de l'Europe, qui vient à point nommé. Lors d’une réunion, qui s’est également déroulée la semaine dernière, de la commission des questions politiques de l’Assemblée du Conseil de l'Europe à Paris, à laquelle était convié le collectif des dirigeants tunisiens actuels, nous avons pu mesurer le rejet a priori de tous les pays du nord de la Méditerranée par nos interlocuteurs du sud, et notamment de la France, il ne faut pas se le cacher, ce qui doit nous inciter à une grande humilité. Ce rejet se manifeste sur le thème bien connu : « Vous ne nous avez pas beaucoup aidés quand nous avions besoin de vous. Votre passé ne plaide pas toujours en votre faveur. »
Il faut à mon sens passer outre. Ces pays font face à de grands défis et ils ont besoin de nous : à nous de leur apporter notre appui, mais sans l’imposer, pour leur permettre d’avancer en leur rappelant que nous sommes à leurs côtés.
Il ne faut pas en rester à l’idée que c’est par habitude ou intérêt que nous les soutenons mais en revenir aux raisons de fond : c’est parce que nous sommes, les uns et les autres, attachés à la démocratie et aux droits de l’homme que nous agissons en ce sens.
Dès lors, je ne vois que des avantages à passer par le Conseil de l'Europe. Tout d’abord, cela permet de « mouiller » la Russie et la Turquie dans l’affaire, ce qui n’est pas inutile par les temps qui courent. Ensuite, cela nous donne la possibilité d’exprimer nos attentes et nos propositions au travers d’un organisme qui, n’étant pas suspect de jouer pour tel ou tel intérêt particulier, a su apporter des instruments concrets et pratiques : je pense à la formule du « partenaire pour la démocratie » ou à la convention de Venise dans le cadre de l’élaboration des Constitutions.
Le moment me semble vraiment venu de s’appuyer sur le Conseil de l'Europe plutôt que de partir tout seuls comme des grands en tête de peloton, au risque de nous retrouver en porte-à-faux, isolés, voire pris à revers et renvoyés « dans nos vingt-deux mètres », sinon plus loin.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à saluer votre volontarisme et à vous remercier de votre engagement dans la préparation de ce Conseil, et ce dans un contexte international particulièrement chahuté.
Je consacrerai mon propos à deux sujets. Le premier concerne la convergence fiscale.
Qu’il me soit permis aujourd'hui de proposer une relecture de l’échec de la mise à jour de la directive sur la fiscalité de l’énergie, engagée au mois de juin dernier, dans le prolongement du débat français sur la taxe carbone.
Voilà une illustration de la difficulté, dans un système qui a plutôt divergé au cours des dernières années, pour devenir dans certains cas un avantage compétitif, d’instaurer de nouveau de la cohérence là où – c’est l’un des paradoxes – la liberté de circulation tant des personnes que des marchandises a contribué à créer un véritable avantage compétitif intra-européen. Nous le constatons tous, vous l’avez vous-même rappelé, les différentiels fiscaux, en affaiblissant notre compétitivité, jouent à peu près systématiquement au détriment de la France.
La convergence fiscale est une belle ambition. Vous la portez avec énergie, volontarisme en proposant des outils pour ce faire, mais elle est loin d’être évidente. Si le prochain Conseil est l’occasion de marquer une étape et d’exprimer une volonté commune, alors ce sera une vraie avancée européenne dans un dispositif qui a plutôt tendance à être « anti-européen », à l’opposé de la nécessaire harmonisation communautaire.
À cet égard, je veux saluer votre volontarisme en faveur de la taxe sur les transactions financières. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas faire un rapprochement avec les événements extrêmement douloureux qui se passent au Japon ?
Je rappelle en effet qu’une telle taxe est censée alimenter la transition vers une économie plus respectueuse des ressources, en particulier des ressources énergétiques. S’il y a quarante-sept centrales au Japon, c’est bien que l’on est aujourd'hui dans un modèle extrêmement consommateur. Si l’on veut migrer vers une économie mondiale moins utilisatrice d’énergie, il faut se doter d’une ressource.
Cette taxe sur les transactions, au-delà de son caractère national, doit surtout constituer une ressource fiscale européenne et planétaire pour favoriser l’application des protocoles, notamment celui de Kyoto, et l’accompagnement des pays émergents et en voie de développement.
Monsieur le ministre, le second sujet que j’évoquerai est, vous me le pardonnerez, très localisé : je veux parler de Strasbourg ! (Sourires.)
Mme Fabienne Keller. Strasbourg, l’« autre » capitale…
Je tiens à saluer le travail réalisé par Denis Badré pour valoriser le Conseil de l'Europe,…
Mme Fabienne Keller. … cette magnifique institution qui a son siège et tient toutes ses réunions à Strasbourg. Les deux thèmes – la démocratie et les droits de l’homme – sur lesquels elle se concentre sont, aujourd'hui, au centre des débats mondiaux.
Le Parlement européen a également son siège à Strasbourg, comme prévu par les traités, même s’il a la fâcheuse habitude de se réunir en commission à Bruxelles. Connaissant votre détermination sur ce sujet également, je vous saurais gré de nous en dire un mot. Mais peut-être le dialogue continuera-t-il en aparté, à l’occasion du sommet consacré à ce thème.
L'Europe a une histoire, elle a plusieurs centres. La présence de l’institution qu’est le Parlement à Strasbourg est liée non pas au hasard, mais à une histoire. Sans m’étendre sur le sujet, je souhaite dire que la distance qui peut être mise entre lui et l’appareil monstrueusement technocratique et plutôt rejeté par nos concitoyens qui se trouve à Bruxelles est de nature à permettre que se développent, à Strasbourg, des débats plus sereins et plus centrés sur les missions essentielles de l'Europe, à savoir construire l’avenir, s’occuper de sa jeunesse, faire évoluer les projets européens dans le sens des attentes de sa population.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de votre engagement envers la capitale européenne, au moment où, comme vous le savez, celle-ci subit des attaques plus mesquines et détournées que jamais.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, vous avez évoqué la refondation de la relation avec les pays du sud de la Méditerranée.
Chacun d’entre nous, ici, ne peut que partager la volonté de faire de la Méditerranée un espace économique attractif, une zone dédiée, notamment, au développement social et à la défense de l'environnement.
À la lumière de ce qui se passe sur la rive sud, plus que jamais – évidemment, personne ne me contredira sur ce point – nous devons accompagner ces peuples dans leur démarche vers la démocratie, pour leur permettre de vivre chez eux, d’y trouver la paix, la liberté et le travail.
Mais il y a selon nous un autre enjeu. Face à la constitution de pôles économiques, technologiques et démographiques à travers le monde, qui rassemblent parfois jusqu’à plus de un milliard d’êtres humains, que pèse l'Europe avec ses 450 millions d’habitants ?
Nous avons donc aussi intérêt à nous rapprocher des pays de la rive sud de la Méditerranée pour relever les défis non seulement de la mondialisation, mais aussi de la concurrence.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, force est de constater que l’Union pour la Méditerranée, l’UPM, n’a pas tenu toutes ses promesses. Les choses n’ont pas été prises par le bon bout. Nous ne parvenons pas à surmonter les blocages entre Israël et les pays voisins. Et nous avons à mon sens trop misé sur les deux piliers du sud de la Méditerranée qu’étaient les présidents Moubarak et Ben Ali.
Cela dit, l'Union européenne ne s’est pas suffisamment intéressée au sud de la Méditerranée jusqu’à aujourd'hui. L’UPM n’a d’ailleurs suscité que peu d’intérêt en Europe du Nord.
Je rappelle qu’il y a en tout et pour tout, sur l'ensemble des pays du sud de la Méditerranée, deux agences de développement : l’allemande et la française. Il nous faut donc, me semble-t-il, réorienter la politique de l'Union européenne en direction de tous ces pays, dans le cadre d’une démarche plus pragmatique. Je souscris aux propos du président Bizet tenus lors d’un débat que nous avions eu, ici même, au Sénat, voilà quelques jours. Il importe de développer des projets concrets et réalisables rapidement : c’est à cette condition que nous obtiendrons l’adhésion des populations, qui n’attendent que cela.
Il peut s’agir de coopération universitaire, de prévention des risques naturels ou technologiques, ou tout simplement de traitement de la pollution en Méditerranée. J’ai moi-même été chargé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques d’une mission sur l’état – catastrophique – de la Méditerranée face aux pollutions dont elle est victime ; j’aurai l’occasion d’y revenir.
M. Simon Sutour. Il y a du travail…
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre, le moment me semble venu de relancer fortement une grande politique méditerranéenne, en pariant sur le fait que le développement de la démocratie dans les pays du Sud va déboucher sur une plus grande coopération interrégionale entre les deux rives.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le ministre, « la page de la crise est tournée » : voilà ce que l’on pouvait lire en titre de certains journaux économiques il y a quelques jours. Par cette formule, ces journaux évoquaient les résultats du CAC 40, la relance des hedge funds, ainsi que toute cette inventivité spéculative que l’on voit de nouveau renaître.
Chacun, ici, en a conscience : tout cela n’est qu’une façade, et la crise, aujourd'hui, se situe bien aux niveaux des monnaies, notamment de l’euro, et de la dette. Dès lors, les mesures annoncées peuvent présenter à nos yeux un certain nombre d’avantages.
Pour ma part, dans le contexte de crise actuel, je peux me réjouir des avancées effectivement obtenues et que vous-même avez soulignées. L’amélioration des conditions de prêt aux pays périphériques, le renforcement de la capacité d’intervention du Fonds européen de stabilité financière et la création du mécanisme européen de stabilité sont autant de progrès dans le fonctionnement de l’Union.
Néanmoins, des questions techniques non négligeables, relatives notamment à la dimension opérationnelle, restent posées. M. le rapporteur général en a évoqué quelques-unes. Nous nous interrogeons nous aussi sur la façon d’obtenir l’unanimité des dix-sept pays de la zone euro pour mettre en œuvre ces décisions.
Le contenu du pacte pour l’euro, tel qu’il a été validé lors du sommet de l’eurozone, pose à nos yeux un certain nombre de questions. Instaurer plus de discipline budgétaire est certes nécessaire, mais pas dans une proportion qui étouffe la croissance. L’excès de mesures d’austérités prévues dans ce pacte, au détriment de mesures de dynamisation économique et de protection sociale, est un réel problème.
En définitive, monsieur le ministre, nous pouvons reprocher à l'Europe de « batailler en défense ». Vous avez évoqué une dimension offensive. Nous avons, nous, le sentiment que, dans cette affaire, elle joue plutôt la défense et n’encourage pas assez la confiance dans l’avenir.
Nous aurions préféré que soit mise en avant une forme de pacte européen pour l’emploi et le progrès social. Il aurait ainsi été possible, en saisissant l’occasion de la nécessaire réponse à la crise, de mettre en œuvre des réformes structurantes utiles et intelligentes pour l’avenir, visant à atteindre une croissance plus forte, une croissance plus juste, une croissance plus verte et mieux financée.
Le fait que l’Europe ne dispose pas, à ce jour, d’un budget digne de ce nom et ne se dote pas de ressources suffisantes constitue un sujet de préoccupation.
Je me félicite, à cet égard, que l’on ait fini par évoquer la création d’une taxe sur les transactions financières, une proposition formulée à l’origine dans nos rangs, mais je tiens à souligner que cette initiative reste timide. Il n’est en effet envisagé, pour l’instant, que d’entamer une réflexion, et non de mettre en œuvre cette mesure. Cette réflexion peut durer des années, voire des décennies, alors même que nous savons combien cette taxe serait profitable. Par ailleurs, les autres modalités financières ne sont pas véritablement envisagées. Ainsi, les euro-obligations sont laissées quelque peu dans l’ombre.
Nous avons le sentiment que ce « pacte pour l’euro » donne lieu à une sorte de troc : en contrepartie de la solidarité dont on a fait preuve à l’égard des pays les plus fragiles, on a généralisé les mesures d’austérité en vue de faire face aux exigences de la défense de l’euro.
J’évoquerai, enfin, un sujet majeur de préoccupation : la régulation financière, qui est à nos yeux trop douce. Il n’est pas certain que l’on ait pris la mesure des besoins de régulation qu’exige le système financier si l’on veut éviter les « rechutes ». Certes, une nouvelle architecture de la régulation financière de l’Union est en train de se dessiner, mais, en dépit de la création d’un Conseil européen du risque systémique, le CERS, les régulateurs nationaux garderont, en pratique, la haute main sur la supervision des principaux métiers de la finance, tels que la banque, l’assurance et les métiers titres.
Il semble que les moyens coercitifs dont dispose le CERS à l’égard des régulateurs nationaux soient limités. Cela illustre, une fois de plus, la faiblesse des capacités d’action dont se dote l’Europe pour homogénéiser la régulation financière. Dans ces conditions, comme par le passé, chaque régulateur national conduira sa propre politique et adoptera ses propres dispositions.
Ma question est simple : comment la France envisage-t-elle de peser pour favoriser une harmonisation accrue en matière de régulation financière ? Les avancées en la matière semblent relativement peu nombreuses. Quelles mesures prendrez-vous pour renforcer l’intégration dans ce domaine ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est M. Richard Yung.
M. Richard Yung. J’ai bien noté que la France avait obtenu deux grandes victoires : une avancée concernant le gouvernement économique européen, et la décision d’intervention en Libye. Vous me permettrez cependant de faire une lecture quelque peu différente de la situation présente, compte tenu de l’attitude de l’Allemagne, selon moi préoccupante.
Nous voyons actuellement se dessiner une nouvelle politique allemande. Nous avons en effet assisté aux changements de cap de Mme Merkel, qui, après avoir été hostile à l’aide aux pays du Sud et à toute forme de gouvernement économique européen, s’y est maintenant convertie.
Vous avouerez que son attitude concernant la Libye est difficilement compréhensible. Pour un pays qui souhaite occuper un siège permanent au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies, c’est tout de même surprenant !
Je ne pense pas que les seules élections dans le Bade-Wurtemberg permettent d’expliquer la position de Mme Merkel. Il est évident qu’elle rencontre des difficultés avec ses alliés politiques. Je pense toutefois que se fait jour, de façon plus profonde, une nouvelle politique allemande, différente de celle qui a prévalu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et qui tend à affirmer et à défendre les seuls intérêts de l’Allemagne. Or nous courons derrière comme des petits chiens... Cela augure mal de l’avenir et de ce que l’on a coutume d’appeler le couple franco-allemand ! Nous risquons en effet de connaître, de ce point de vue, des difficultés de plus en plus nombreuses.
S’agissant du gouvernement économique européen, je ne peux que souscrire aux propos de mon collègue François Marc, car il existe plusieurs éléments positifs, comme le fonds de stabilisation de la zone euro et une certaine convergence fiscale en matière d’impôt sur les sociétés. Force est pourtant de constater que, sur un plan global, du fait de votre vision pessimiste de la France et de l’Europe, de votre jeu « petit bras » et de votre manque de confiance dans notre pays, vous menez une politique de restriction, de contraction de la demande. Par conséquent, comme chez Molière, le malade sera certes guéri, mais il sera mort !
En outre, vous n’opérez pas une appréciation différenciée de la situation des dix-sept États membres. Or les économies de nos pays sont bien différentes, pour diverses raisons tant historiques qu’économiques. Pour notre part, nous plaidons pour une politique ambitieuse et différenciée. Il nous faut combattre les déficits, bien sûr, mais aussi conduire une politique de recherche et développement, une politique d’investissement.
Enfin, cet agenda franco-allemand 2020 n’est ni fait ni à faire, surtout au vu de l’expérience du plan de Barcelone… ou plutôt de Lisbonne ! Tous ces éléments sont préoccupants !
Pouvez-vous nous en dire plus, monsieur le ministre, sur la taxe financière ? Quels seront son assiette et son taux ? Comment sera-t-elle mise en place ?
Je souhaite également vous interroger sur la politique d’immigration, question ô combien importante.
D’aucuns ont agité le drapeau rouge et annoncé le déferlement de hordes d’étrangers venant du Sud. Mme Chantal Brunel voulait « remettre les immigrés dans les bateaux »... Or les chiffres dont nous disposons indiquent que ce problème ne se pose pas.
L’un de vos amis, M. Dominique Paillé – un homme très bien puisqu’il souhaite devenir sénateur représentant les Français de l’étranger ! (sourires) –, président de l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’a dit lui-même : « Il faut arrêter d’agiter des peurs. Il n’y a pas eu d’afflux massif d’immigrés depuis le printemps arabe.»
Vous le savez tout comme nous, les seuls flux de population consécutifs à ces évènements ont concerné la Tunisie et l’Égypte : à peu près 200 000 Libyens ont rejoint ces pays, à hauteur de 100 000 dans l’un, et 100 000 dans l’autre. Quant aux autres Libyens en fuite vers le sud, il est très probable qu’ils courent encore dans le désert.
La France ne pourrait-elle proposer, lors du prochain Conseil, une action de soutien à la Tunisie et à l’Égypte en vue d’aider ces pays, qui ne disposent pas des structures suffisantes pour accueillir tous ces réfugiés, à faire face à cet afflux de population ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond.
M. Pierre Bernard-Reymond. Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à exprimer ma réelle satisfaction. Du point de vue de la seule construction européenne, je pourrais presque m’exclamer, si toutefois je l’osais : Vive la crise !
En ce qui concerne la gouvernance européenne, qui avait été oubliée ou, tout au moins, négligée au moment de la création de l’euro, nous avons franchi des étapes importantes, ce qui était inimaginable il y a de cela seulement trois ans.
Mes premières questions concerneront le Conseil européen des 24 et 25 mars prochain, et les suivantes les éventuelles étapes ultérieures, car il ne saurait être question de stopper cet élan à cette date.
S’agissant de la gouvernance économique, la principale critique que je formulerai, à ce stade, concerne la prise de sanctions dans le cadre du volet correctif du pacte. Pourquoi ne pas avoir adopté le principe de la majorité inversée, comme le préconisait la Commission ? Le Conseil conservait un droit de regard et une possibilité de refuser les sanctions, mais le caractère a priori automatique de celles-ci indiquait que l’on ne voulait plus en revenir aux errements du passé, sous forme de demande de dérogation ou d’arrangement entre États. Cela constituait un message plus fort et plus clair à l’égard des marchés.
J’ai tout de même le sentiment, malgré vos propos, monsieur le ministre, que les États sont encore très pusillanimes lorsqu’il s’agit de lâcher une petite parcelle de souveraineté, et que « l’intergouvernemental » pèse encore de tout son poids.
La réduction de la part de la dette supérieure à 60 % de 1/20e par an représente, pour la France, à peu près 18 milliards à 19 milliards d’euros par an. Des simulations ont-elles été faites par le ministère du budget ? Quels sont les secteurs qui réservent, de ce point de vue, des marges de productivité ?
Pour ce qui est du mécanisme européen de stabilité, le MES, les décisions seront prises par les États membres à l’unanimité. Ces aides seront accordées essentiellement sous forme de prêts, mais pourront revêtir aussi celle d’une souscription directe d’émissions obligataires de l’État défaillant. Est-il également prévu que le MES puisse prêter de l’argent à un État en difficulté pour lui permettre de racheter ses propres obligations, comme cela était envisagé à un moment donné ?
Il a été prévu, par ailleurs, la participation éventuelle de créanciers privés. Dans quelles circonstances pourra-t-elle avoir lieu ? Sous quelle forme ? Sous quelles conditions ?
En ce qui concerne l’Irlande, il me semblerait normal que ce pays accepte les deux principes de base suivants : d’une part, la mise en place d’une assiette commune et, d’autre part, l’inscription dans une fourchette européenne des taux de fiscalité de tous les États membres.
En contrepartie, ne faut-il pas laisser à l’Irlande le temps nécessaire pour mettre en œuvre ces deux règles, qu’elle ne peut visiblement appliquer aujourd’hui pour des raisons politiques et surtout économiques. Il serait par trop contradictoire d’aider l’Irlande tout en lui maintenant la tête sous l’eau !
Sur le pacte pour l’euro, mes questions seront brèves.
S’agit-il d’un document d’orientation et de recommandation, ou bien ces objectifs seront-ils chiffrés et soumis à un calendrier ?
L’élaboration de ce pacte a-t-elle donné lieu à un contact avec les partenaires sociaux ?
Comment la France a-t-elle l’intention de transposer concrètement les règles de discipline budgétaire, qui doivent s’appliquer aussi aux collectivités territoriales ?
Enfin, la France a-t-elle déjà des propositions à faire en ce qui concerne les domaines prioritaires à retenir dans le pacte de l’euro ?
J’en arrive à la seconde partie de mon propos, qui concerne les étapes futures.
La prochaine étape consistera à faire un bilan des décisions que nous avons prises, en particulier sur la régulation. Or, de ce point de vue, le bilan n’est pas satisfaisant ; les bonus refleurissent – M. Barnier lui-même convient qu’il n’a pas été entendu sur ce sujet ! –, les marchés parallèles existent toujours, les paradis fiscaux n’ont pas tous été éliminés, et l’on en vient à se demander si le pouvoir politique et ses conseillers ont vraiment les moyens d’opérer une telle régulation. Il faut savoir, par exemple, que chaque titre fait l’objet de 600 ordres par seconde, dont 99,5 % sont annulés dans les 25 microsecondes qui suivent...
Par ailleurs, où en est-on en matière de lutte contre les CDS spéculatifs et les ventes à découvert ? Il est indispensable que le G20 dresse un bilan de cette situation et prenne, éventuellement, des mesures en conséquence.
Où en sommes-nous, enfin, en termes de « stress tests » des banques ? Comment réagiront les agences de notation si ces tests sont mauvais ? Tous les États se sont-ils bien engagés à recapitaliser les établissements défaillants ?
Pour conclure, j’évoquerai brièvement quelques points qui n’appellent pas nécessairement une réponse approfondie de votre part.
S’agissant de la taxe sur les transactions financières, a-t-on vraiment l’intention d’aller au-delà des déclarations de principe ? Que penser de l’évasion potentielle si cette taxe était mise en œuvre dans la seule zone euro ?
Le budget européen représente environ 1 % du PIB de l’Union européenne : ce pourcentage ne contribue-t-il pas à décrédibiliser l’Europe ? On peut augmenter cette part en transférant certaines dépenses nationales à l’échelon européen et en intégrant davantage certaines politiques, sans pour autant élever globalement le niveau de dépenses actuel.
Par ailleurs, le moment n’est-il pas venu de reconstituer des ressources propres ?
Enfin, monsieur le ministre, pensez-vous à la possibilité d’emprunt donnée à l’Europe ?
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Contrairement à nos collègues, je serai très bref. Je poserai rapidement trois questions, sans faire de commentaires.
Premièrement, en quoi consiste le « pacte pour l’euro » ? Est-ce à dire qu’un effort sera consenti pour faire baisser le cours de l’euro, qui est trop élevé et qui compromet les importations de toute l’Europe ? Ne peut-on pas envisager une dévaluation ?
Deuxièmement, la convergence fiscale, qui est un bon objectif, concerne-t-elle l’ISF ? Nous en aurions bien besoin ! Si l’Union européenne décidait la suppression de ce type d’imposition dans tous les États membres, cela faciliterait bien les choses. Elle l’a d’ailleurs déjà fait pour d’autres impôts.
Troisièmement, où est l’Europe de la défense ? Après la façon dont l’Allemagne s’est complètement désolidarisée de la France pour l’intervention en Libye, je vois mal comment nous pourrions développer une défense européenne à l’avenir. Une part trop importante d’États européens recherchent leurs seuls intérêts.
M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Je remercie M. le ministre de la vigueur de son propos et de son optimisme, qui ne m’étonne pas.
Je m’éloignerai quelque peu de notre sujet de discussion pour poser une question d’ordre institutionnel à laquelle M. le ministre a nécessairement pensé et sur laquelle il pourra nous apporter des réponses. Quel est exactement le rôle du Service européen pour l’action extérieure, monsieur le ministre ?
Vous avez dit voilà quelques instants que nous ne devions pas « hyperboliser » nos différences ; soit. Mais ne pensez-vous pas, compte tenu de l’état de l’Union européenne actuellement – et à cet égard je reprendrai volontiers à mon compte les propos tenus sur le couple franco-allemand ou sur l’UPM par des collègues qui ne sont pourtant pas de mon bord politique –, que la mise en place du service européen a été quelque peu prématurée ?
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Monsieur le ministre, je ne poserai pas de question, nous n’en avons pas le temps. Je ferai simplement deux remarques puisque vous avez dit que vous vouliez être à l’écoute.
Concernant la position de l’Allemagne sur l’intervention en Libye, je crois savoir de bonne source – l’information provient d’une source parlementaire très élevée – que Mme Merkel a été freinée par l’obligation qui lui incombe d’obtenir l’approbation d’un tel engagement par le Parlement.
S’agissant de l’UPM, j’ai eu l’honneur d’assister à l’assemblée parlementaire qu’elle tenait à Rome voilà moins de quinze jours et je dois dire que l’ambiance a totalement changé. Certes, compte tenu de la situation transitoire de leurs régimes respectifs, et notamment faute de Parlement, les Tunisiens et les Égyptiens n’étaient pas représentés, mais toutes les personnes présentes avaient la volonté d’aller de l’avant avec des réalisations concrètes. La banque d’investissement euro-méditerranéenne que chacun aspire à voir naître rapidement était la préoccupation numéro un, après d’autres sujets concrets.
Concernant le problème des relations entre Israël et ses voisins, monsieur le ministre, permettez-moi de vous signaler que le chef de la délégation israélienne et le chef de la délégation palestinienne, l’ancien ministre Majalli Whbee et M. Taysir Qubaa, se sont entretenus en tête à tête dans une petite salle en marge de l’assemblée. Ce n’était peut-être pas la première fois. Toujours est-il que la discussion a dû être assez approfondie car elle a duré une heure. Il y a donc tout de même un espoir.
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le ministre, l’Europe est-elle prête à fournir un effort important pour que soit mis en œuvre un véritable plan Marshall pour la Méditerranée ? En effet, la transition démocratique ne se fera pas sans une évolution économique de l’emploi et des perspectives nouvelles.
Par ailleurs, on ne peut pas accuser la France d’avoir joué « petits bras » s’agissant de la situation en Méditerranée.
M. Robert del Picchia. Absolument !
M. Jacques Blanc. Pour ma part, je suis fier de ce que la France a osé faire. Elle n’est pas restée en arrière ; au contraire, c’est elle qui a « tiré » ses partenaires pour éviter le drame qui menaçait les Libyens.
Réussira-t-elle à surmonter la prise de position de l’Allemagne pour élaborer, par exemple par une action de voisinage, une politique très forte vis-à-vis de la Méditerranée ? Jamais l’Union pour la Méditerranée n’a été aussi nécessaire qu’aujourd'hui. Sur ce plan également, la France a montré qu’elle n’avait pas attendu les événements de ces derniers mois pour penser à la Méditerranée.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre. Je vais tenter de répondre dans le peu de temps dont je dispose aux salves de questions qui m’ont été posées.
Permettez-moi tout d’abord d’apporter un complément d’information sur le mécanisme européen de stabilité. Ce dernier sera doté de 700 milliards d'euros, dont 620 milliards d'euros de garanties et 80 milliards d'euros de capital. Le système est identique à celui que nous avions adopté pour les garanties bancaires : dès lors qu’il s’agit de prêts, le budget de l’État bénéficie d’une contrepartie ; le mécanisme n’a donc aucun impact sur les déficits.
Je tiens à remercier M. Badré de sa question. En effet, le Conseil de l’Europe a un rôle déterminant à jouer s’agissant de l’engagement sur la rive sud de la Méditerranée. Votre rapport, monsieur le sénateur, arrive à point nommé ; nous avons eu l’occasion d’en discuter ensemble.
À la suite des échanges que nous avons eus à ce sujet, j’ai rencontré le secrétaire général du Conseil de l’Europe lors de mon déplacement à Strasbourg. Cette institution mène en ce moment un très beau travail pour se recentrer sur les enjeux démocratiques. Or c’est précisément l’accompagnement dont nous avons besoin sur la rive sud de la Méditerranée. Il serait donc possible de tirer profit de cette complémentarité entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne.
S’agissant du semestre européen – j’anticipe les réflexions qui seront faites –, je ferai remarquer qu’est engagée une véritable petite révolution dans le fonctionnement et la logique parlementaires en matière d’appropriation du budget. Sans vouloir dépasser le cadre de ma fonction, je préciserai simplement que, en termes de calendrier, le rapport sur la croissance sera émis par la Commission en janvier, le retour des parlements nationaux devra être communiqué en avril et la Commission rendra son avis en juillet.
Un tel cadre permet d’avoir une vision commune tout en conservant une certaine souplesse. Chaque État agit non pas seul mais en réfléchissant aux actions des autres membres, dans le cadre d’une réflexion globale sur la croissance européenne. Ainsi, la procédure préserve la souveraineté parlementaire et, en même temps, s’inscrit dans un cadre de réflexion européen. Il me semble que c’est un bon équilibre.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Sur ce point, monsieur le ministre, permettez-moi d’indiquer à nos collègues que, dans la dernière semaine d’avril, nous soumettrons au Sénat un rapport de la commission des finances sur le programme arrêté par le Gouvernement et que, pour la première fois, le Sénat sera appelé à se prononcer par un vote sur ce qu’on appelait hier le programme de stabilité.
La Commission donnera son avis et nous aurons à nous saisir de cet avis dans la dernière semaine du mois de juin, au cours de ce qu’on appelle la « séquence vertueuse », pendant laquelle nous aurons à nous prononcer sur la loi de règlement, le débat d’orientation budgétaire et les indications qui résulteront des travaux conduits à Bruxelles sur le programme pluriannuel de stabilité.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Laurent Wauquiez, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui va être intéressant pour vous – c’est en tout cas mon opinion – sera de travailler avec les parlementaires européens. Incontestablement, vous êtes un levier de l’influence de la France. La capacité du Sénat à être un relais des préoccupations françaises et à faire œuvre de conviction auprès de nos partenaires sera absolument déterminante.
La politique européenne n’est pas le fait du seul Gouvernement : l’enjeu parlementaire est décisif, surtout avec la montée en puissance du Parlement européen. Vous êtes donc tous des acteurs absolument déterminants pour aider la France à faire valoir ses positions et à s’approprier les décisions européennes.
J’en viens aux questions qui ont été soulevées par Fabienne Keller.
En ce qui concerne la convergence fiscale, il est certain que, depuis l’échec que nous avons connu voilà à peine quelques mois en matière de fiscalité sur l’énergie, un véritable changement de donne a eu lieu. L’onde de choc que tout le monde a subie a ouvert les esprits, et nous sommes plutôt optimistes sur les chances d’aboutissement d’une taxe carbone.
Certes, celle-ci ne sera pas évidente à mettre en place ; des problèmes très précis se posent. Nous avons toutefois une vraie opportunité d’y parvenir.
Surtout, nous devons partir d’une conviction simple : nous ne pourrons pas faire fonctionner le marché unique si des distorsions fiscales perdurent. Je ne comprends pas nos collègues anglais, qui plaident à tout va pour le marché unique et qui, dans le même temps, expliquent qu’il peut y avoir des distorsions fiscales. L’un ne peut pas aller avec l’autre.
Nous connaissons leur position, mais nous sommes désormais déterminés à avancer sans eux. Ils l’ont d’ailleurs bien compris et une telle attitude les ennuie fortement, mais nous l’assumons. La convergence fiscale est lancée et nous n’avons pas l’intention d’arrêter ce mouvement.
Concernant la taxe sur la transaction financière, j’ai probablement mal compris ceux d’entre vous qui ont parlé de « jouer petits bras ». Soyons clairs : qui plaidait dans le désert pour la mise en place d’une telle taxe et depuis combien de temps ? Les majorités successives ont plaidé pour ce sujet sans succès, sans susciter la moindre écoute, la moindre attention, dans une vraie solitude. Et qui arrive enfin à obtenir une première avancée dans le cadre d’un Conseil européen ?
Il faut savoir reconnaître les avancées. Vous avez raison de le souligner, Mme Keller : c’est la majorité actuelle qui, pour la première fois, est parvenue à faire inscrire la taxe sur la transaction financière sur l’agenda européen. C’est une avancée très importante et je vous remercie de l’avoir soulignée.
Au sujet de Strasbourg comme siège du Parlement européen, il n’y a aucune ambiguïté : c’est inscrit dans le traité et fait partie des équilibres fondamentaux. Nous saisissons la Cour de justice de l’Union européenne à ce sujet. Ce qui a été fait est inacceptable. Les amendements ont été déposés sous le boisseau, le scrutin a été fait à bulletin secret pour éviter que chacun assume son vote. C’est un coup de canif dans l’équilibre institutionnel et nous devons nous y opposer. Nous devons être offensifs.
Je ferai deux remarques à ce sujet.
Tout d’abord, si on veut supprimer tous les coûts de déplacement relatifs aux travaux des institutions européennes, alors installons-les toutes à Bruxelles ! Est-ce là ce que nous voulons ? Souhaitons-nous une Europe qui concentre tous ses décideurs et ses fonctionnaires dans les mêmes buildings, dans les mêmes quartiers, dans la même capitale ?
Ensuite se pose la question des valeurs sous-jacentes, comme certains d’entre vous l’ont très bien souligné. Strasbourg, c’est l’incarnation de la réconciliation franco-allemande, c’est l’Europe du citoyen, c’est l’Europe des Droits de l’homme. C’est aussi une Europe qui prend ses distances vis-à-vis de la sphère bureaucratique et des lobbies. Je ne suis pas sûr que cette Europe-là soit l’Europe du passé. J’en ai assez que nous la défendions frileusement ; il faut que nous soyons offensifs.
Certains veulent faire des économies ? Très bien ! Aucun problème ! Transférons toutes les institutions à Strasbourg ! Rapatrions tout : le travail des commissions, le travail des sessions. Cela ne présente aucune difficulté pour nous ! (Sourires.) Ce qui crée des problèmes, ce ne sont pas les sessions à Strasbourg, c’est le travail en commission à Bruxelles !
Mme Fabienne Keller et M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Laurent Wauquiez, ministre. D’après le traité, le siège du Parlement européen se trouve à Strasbourg, non à Bruxelles.
Je remercie les parlementaires alsaciens, qui ont totalement soutenu cette position et qui ont fourni un travail conjoint très important sur le sujet.
Mme Fabienne Keller. Merci !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Concernant l’Union pour la Méditerranée – je réponds ici à la remarque de Roland Courteau –, nous devons tirer les leçons de nos échecs. Dans notre conception initiale, nous avons voulu couper l’UPM du sous-jacent européen ; c’était une erreur.
L’UPM fait partie de la politique européenne de voisinage. Elle doit pouvoir s’appuyer sur les instruments de gouvernance européens et les fonds européens. Essayons de remettre ce projet sur le bon chemin. Il reste plus que jamais valide, à condition de rester dans le concret. Je vous rejoins totalement sur ce point. Vous avez d’ailleurs très bien listé les quelques projets évalués en ce moment. Voilà ce sur quoi nous devons travailler.
Monsieur Marc, je suis parfaitement d’accord avec vous, la crise n’est pas derrière nous. Elle le sera définitivement quand nous aurons mis en œuvre tous les outils et que nous serons parvenus à éloigner tous les errements et à reprendre le terrain perdu en termes d’emploi.
Jouons-nous en défense ? Permettez-moi de vous poser une question, monsieur Marc : avez-vous eu en main la dernière version du pacte ? Après avoir entendu vos questions, je pense que non. Le texte ayant varié dans le temps, ce ne serait pas étonnant, et même parfaitement normal. Je demanderai donc à mes services de vous transférer la dernière version pour que vous puissiez en prendre connaissance.
En effet, tous les sujets que vous avez soulevés y sont mentionnés : l’investissement dans les infrastructures, l’investissement dans la recherche et l’innovation, la nécessité d’investir sur la formation et l’adéquation entre formation et emploi, la nécessité de mettre en place des politiques offensives de compétitivité. Cela ne figurait pas dans la version initiale.
M. François Marc. Avec quels financements ?
M. Laurent Wauquiez, ministre. Je vais y venir.
La totalité des efforts à accomplir sont donc listés et nous ne nous situons pas dans une vision étriquée d’une Europe exclusivement préoccupée de ses déficits. La vision adoptée est celle d’une Europe qui investit dans sa compétitivité et dans l’amélioration de son capital humain, de sa formation, de ses infrastructures. De ce point de vue, ce texte est donc véritablement équilibré.
Par ailleurs, monsieur Jung, il ne faut surtout pas confondre Barcelone et Lisbonne. Se sont conclus dans chacune de ces villes des actes très différents. Le processus de Barcelone concerne la politique du Sud et de la Méditerranée ; le processus de Lisbonne a déterminé, quant à lui, l’agenda d’investissement destiné à améliorer la compétitivité de l’Europe.
J’en viens à la nouvelle politique allemande. On ne peut pas reprocher aux Allemands une chose et son contraire, vous l’avez-vous-même souligné avec beaucoup d’honnêteté, monsieur Marc. Il y a six mois, on reprochait aux Allemands de refuser d’être dans le jeu communautaire ; maintenant, on leur reproche d’y être !
Les Allemands ont dû faire des choix et – retenons la leçon – ils ont fait des choix courageux en refusant de mener une politique de père Noël consistant à promettre sans cesse en tirant des traites sur l’avenir et sur les générations futures. Les Allemands ont fait l’effort de mettre au clair leurs finances publiques, collectivement, et de restaurer leur compétitivité.
Ils ont dû choisir : continuer à porter cette politique dans le cadre communautaire ou bien se renfermer dans une vision germano-centrée. Ils ont décidé de jouer la solidarité communautaire, d’affirmer leur confiance dans la défense collective d’une monnaie commune et de croire en la dimension européenne de leur destin.
C’est une belle réponse que les Allemands ont apportée, car ce qu’on leur demande avant tout c’est de payer et de financer des mécanismes de solidarité.
En fait, nous avons un vieux complexe par rapport à l’Allemagne. Mais arrêtons ! Qui a rejoint les positions de qui ? Le gouvernement économique, était-ce une proposition allemande ou française ? S’agissant du fonds de stabilité, il y a un an et demi, l’Allemagne était-elle favorable à une intervention en Grèce ? Non, mais elle a rejoint des positions défendues par la France. Qui a défendu l’idée d’un pacte pour l’Euro au sein de la zone des dix-sept ? C’est la France. La taxe sur la transaction financière offre encore un exemple des avancées promues par la France.
Et quand je dis la France, je l’entends dans le sens le plus républicain du terme, c'est-à-dire en englobant l’ensemble des composantes politiques de notre pays, puisque nous nous sommes parfois retrouvés sur ces sujets.
Ne soyons pas dans l’auto-dénigrement et l’auto-flagellation ! Je le répète, des avancées fortes ont été réalisées, au cours desquelles l’Allemagne a rejoint les positions de la France ! Vous pouvez sans doute me citer des cas où l’inverse s’est produit, et c’est tant mieux !
Ma vision du couple franco-allemand est très simple. Nous avons, chacun, nos intérêts nationaux : nous ne demandons pas à notre pays de renoncer à ses intérêts nationaux ; ne demandons pas à l’Allemagne de renoncer aux siens. Mais nous avons tous les deux, c’est ce qui fait la force du couple franco-allemand, la lucidité de savoir qu’au lieu d’essayer d’imposer à l’autre nos intérêts nationaux il est préférable de dégager une position commune au niveau européen, moteur d’une dynamique positive pour l’un et pour l’autre.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Laurent Wauquiez, ministre. C’est ce qui fait la maturité du couple franco-allemand. Nous ne cherchons pas à défendre nos intérêts nationaux, nos différences ou nos divergences, mais nous cherchons toujours à faire prévaloir un intérêt communautaire construit ensemble.
Non, il n’y a pas une Allemagne germano-centrée ! Mais une Allemagne qui assume les efforts qu’elle a faits. Non, il n’y a pas une France rabougrie ! Mais une France qui plaide et qui fait avancer ses idées. Tout cela est au bénéfice commun et mutuel de l’Europe.
Au sujet de la politique migratoire et de la politique en faveur des réfugiés, je demanderai que l’on vous transmette tous les éléments de nature à vous informer de façon précise.
En la matière, nous n’avons pas attendu : des investissements très importants ont été faits par l’Europe pour que les réfugiés égyptiens en Tunisie et que les réfugiés tunisiens en Égypte fassent l’objet de transferts croisés entre les deux pays. L’Europe a été présente, par une politique de soutien, pour éviter le drame humanitaire qui aurait pu se produire.
Cela dit, il faut distinguer la politique migratoire de la politique des réfugiés. Ce n’est pas le même sujet. Quelles sont nos craintes concernant la politique migratoire ?
La Libye est le cône de déversement de flux migratoires massifs venant d’Afrique, notamment d’Afrique noire. Compte tenu des turbulences et des évolutions actuelles, pouvons-nous compter sur les coopérations nécessaires à la régulation de cette politique migratoire ?
Compte tenu des changements qui sont intervenus en Tunisie, pourrons-nous continuer à travailler et à collaborer avec le nouveau régime pour essayer de réguler l’immigration illégale ?
Vous avez raison, pour l’instant, le pire n’a pas eu lieu, mais c’est que nous avons su anticiper. Au moment où je vous parle, l’opération européenne « Hermès », déployée dans les eaux territoriales entre l’Italie et la Tunisie, veille à nous protéger.
Je crois que par là nous obéissons à un devoir simple : nous veillons à faire respecter nos règles migratoires tout en travaillant pour la démocratie dans ces pays qui ont besoin de nous.
Je pense avoir répondu à l’ensemble des questions posées par M. Pierre Bernard-Reymond.
Je vous dirai simplement, monsieur le sénateur, que le fonds de stabilité peut souscrire des obligations sur le marché primaire mais qu’il ne peut pas les revendre à prix cassé à l’État émetteur, que le pacte pour l’euro fera l’objet d’un calendrier et d’un engagement chiffré. Tout commence maintenant, il faut savoir faire vivre ce pacte.
La régulation financière a donné lieu à des opérations d’encadrement du trading haute fréquence et du shadow banking, auxquels vous avez fait référence. Les retours nous parviendront à travers un rapport de l’OCDE sur les avancées réalisées concernant les paradis fiscaux. Vous le verrez, ces avancées sont nombreuses.
Monsieur Dassault, il s’agit d’un pacte pour une gouvernance économique commune. En ce qui me concerne, je vous invite à poser vos questions au gouverneur de la Banque centrale européenne. Le débat ne peut être qu’intéressant.
Pour l’instant, la convergence fiscale concerne l’impôt sur les sociétés.
À propos de l’Europe de la défense, je vous répondrai qu’il existe certes des différences d’approches au sujet de la Libye, mais que nous devons assumer nos différences ! L’Europe est faite de convergences et de divergences d’approches. Cela ne tue en rien le projet de défense européenne. La meilleure preuve en est que nous œuvrons – j’ai travaillé, hier, très tard, avec mon collègue allemand – pour une relance de la politique européenne de défense à travers le « triangle de Weimar ». Nous ne devons pas abandonner : une difficulté passagère ne saurait enterrer un projet de long terme.
J’en viens aux questions d’ordre institutionnel posées par M. Adrien Gouteyron, qui vient d’un excellent département (Sourires.) et qui connaît parfaitement ces questions de politique étrangère.
Le Service européen pour l’action extérieure, le SEAE…
M. Yves Pozzo di Borgo. Il existe seulement depuis deux mois !
M. Laurent Wauquiez, ministre. Cela explique effectivement très bien la situation : on demande beaucoup au SEAE, dans un domaine très difficile alors qu’il n’a encore qu’une durée de vie très courte.
On lui demande beaucoup dans la mesure où il s’agit d’un domaine qui incarne la souveraineté. N’ayons pas d’exigence excessive à l’égard de ce que peut faire, dans un premier temps, la politique européenne étrangère ! Il ne faut pas demander à l’Europe de sauter deux mètres : elle peut parfois sauter un mètre vingt mais pas deux !
Ayons des ambitions raisonnables ! Ce qu’a fait le SEAE est loin d’être négligeable : saisine du Comité de coordination de la politique internationale de l’environnement, le CCPIE, position commune sur les embargos, saisine des avoirs libyens, position commune lors du dernier Conseil.
Souvenons-nous, au milieu des années quatre-vingt-dix, des difficultés sans nom que nous avons rencontrées lors d’une crise qui se déroulait pourtant au cœur de notre continent !
Du chemin a été parcouru. Certes, l’aboutissement n’est pas complet et le SEAE reste un projet en construction, mais il est toujours valide et se renforce au fil du temps.
J’espère avoir répondu à vos questions, mesdames et messieurs les sénateurs. Messieurs Jacques Blanc et del Picchia, je n’ai rien à ajouter à vos deux interventions, qui ont renforcé mes propos sur le rivage sud de la Méditerranée.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie de ce débat de grande qualité.
Comme vous l’avez dit en préambule, monsieur le ministre, la réunion des chefs d’États de la zone euro du 11 mars et le Conseil européen des 24 et 25 mars feront date. Je suis persuadé que nous assistons en ce moment à l’édification des fondements de la gouvernance économique de l’Union européenne.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures cinquante-cinq.)