M. le président. Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.
La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans les circonstances graves de cette séance particulière, le groupe de l’Union centriste souhaite formuler le plus sobrement possible les observations suivantes.
Mes premiers mots seront pour saluer la clairvoyance et la détermination des dirigeants français : je pense avant tout au Président de la République et à vous-même, monsieur le Premier ministre ; l’un et l’autre, vous avez su jusqu’à présent gérer ce dossier libyen dans un contexte délicat.
Nos opinions publiques sont peu portées à l’engagement militaire. De nombreux pays, y compris des pays voisins, expriment leurs réticences. De surcroît, d’autres conflits sont en cours, notamment en Irak et en Afghanistan. Bref, la situation est complexe.
Mais nos dirigeants, inspirés par les valeurs de la République, le respect des droits de l’homme, l’héritage séculaire de la France, ont eu la volonté et la capacité de passer à l’acte. Ils l’ont fait sans forfanterie, calmement mais fermement, et nous tenions à le souligner.
Nous voulons aussi saluer le travail diplomatique de grande qualité qui a été mené par vous-même, monsieur le ministre d’État, et votre administration, sans oublier celui du ministre de la défense nationale.
Notre diplomatie a été présentée, il n’y a pas si longtemps, comme repliée, déclinante. Nous n’aurions pas su entendre les premiers cris de révolte dans le monde arabe… Nous n’aurions pas su voir ces révolutions en marche de l’autre côté de la Méditerranée…
M. Jean-Pierre Sueur. C’est la réalité !
M. François Zocchetto. En réalité, avec ce dossier libyen, nous avons la démonstration que la diplomatie française est inspirée, dirigée et efficace. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)
Cette intervention était-elle nécessaire ? Oui, bien sûr !
Au-delà de son aspect quasi pagnolesque, avec ses accoutrements et ses foucades,…
M. Roland Courteau. Cela n’a rien à voir avec Pagnol !
M. François Zocchetto. … M. Kadhafi est bien un tyran, qui représente une menace pour sa propre population comme pour la sécurité dans le monde. Il est imprévisible dans ses réactions, avide de richesses, et il se livre au pillage de son propre pays. Il peut même être sanguinaire.
Le régime de M. Kadhafi mérite d’être combattu par les Libyens eux-mêmes. Mais il est des circonstances où ces derniers, qui ne demandent qu’à vivre en paix dans leur pays – un pays dans lequel le monde latin trouve une partie de ses racines –, méritent d’être aidés, et c’est bien à les aider que nous nous employons avec les forces de la coalition.
Certes, l’intervention est difficile, la partie n’est pas simple et un certain nombre de questions se posent aujourd'hui.
Premièrement, les forces de la coalition devaient-elles intervenir rapidement ? À cette question je crois pouvoir d’ores et déjà répondre par l’affirmative, car les voies de la concertation et de la discussion ont été épuisées ces derniers jours.
Par ailleurs, chacun a bien perçu l’urgence extrême pour la population libyenne, au premier chef les habitants de Benghazi et de la Cyrénaïque. Que n’aurions-nous pas entendu, que n’aurions-nous pas dit nous-mêmes, si nous avions attendu ? Chacun sait que les conséquences auraient été dramatiques et irréversibles.
La deuxième question, à laquelle je n’ai pas de réponse immédiate, est celle de la gouvernance de cette opération.
En effet, cette gouvernance ne paraît pas forcément bien établie. Il n’est certes pas judicieux que le commandement soit confié à l’OTAN, mais quelle sera la place des États-Unis dans les prochaines semaines ?
Troisième question : quelle sera l’attitude de la Ligue arabe et de l’Union africaine ? Ces deux organisations ont pris position en faveur de l’intervention, mais il y a eu des critiques concernant le déroulement des opérations. Certains craignent une mise en péril des populations civiles. Nous souhaiterions être rassurés sur ce sujet.
Autre interrogation : que peut-il en être de l’intégrité du territoire libyen et de la stabilité de ce pays dans les prochains mois ?
Enfin, le groupe de l’Union centriste souhaite formuler une remarque sur le rôle de l’Union européenne. Nous regrettons que l’Europe n’ait pas réussi à parler d’une seule voix. Le Conseil européen n’est pas parvenu à un résultat clair. Une position commune n’a pas été élaborée et, finalement, force est de reconnaître l’absence de l’Union européenne en tant que telle dans la coalition.
La France et le Royaume-Uni ont assumé la responsabilité de prendre la tête d’une vaste négociation internationale. Les dirigeants français ont eu le courage de passer à l’acte. Les militaires français sont mobilisés et, à cet instant, nous avons une pensée particulière pour eux, car ils sont directement confrontés aux risques qu’impliquent ces opérations.
Nous ne savons pas, à l’heure actuelle, quelle sera l’issue des opérations militaires. Le sort des Libyens n’est pas encore assuré face à la répression menée par les forces de M. Kadhafi. Mais c’est parce qu’il y va désormais de notre devoir et de notre honneur que le groupe de l’Union centriste se déclare favorable à l’engagement militaire de la France en Libye. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, je tiens tout d’abord à excuser l’absence de Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, qui a subi un gros coup de fatigue, mais qui est maintenant sur la voie du rétablissement. Lui qui avait, la semaine dernière, demandé la convocation du Parlement aurait évidemment grandement apprécié d’être aujourd'hui devant vous, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour participer à ce débat marquant un moment de particulière gravité.
De gravité parce que ce qui est en jeu, c’est la guerre et la paix.
De gravité parce que nos soldats sont engagés dans des opérations périlleuses, au service du peuple libyen, mais aussi d’une certaine idée de la communauté, de la légalité et de la morale internationales. Nos pensées vont aujourd’hui vers nos soldats qui assument cette mission et portent ce message, vers leurs familles et leurs proches, qui attendent leur retour une fois leur mission accomplie.
De gravité, enfin, parce que la situation en Libye nous rappelle, si besoin en était, que nous vivons dans un monde dangereux.
Nous sommes à l’heure de la mondialisation, où toutes les menaces sont liées et où, dans le même temps, les peuples se réveillent pour prendre en main leur destin.
C’est bien dans ce contexte qu’il nous faut apprécier aujourd’hui l’action de la diplomatie française au sein de la communauté internationale, comme l’engagement de nos forces armées sur le terrain.
Monsieur le Premier ministre, je tiens à le dire sans équivoque : le groupe socialiste du Sénat, au nom duquel j’ai l’honneur de m’exprimer aujourd’hui, soutient la philosophie générale qui a conduit, la semaine dernière, à l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Nous soutenons la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne dans le ciel libyen, ainsi que l’adoption des mesures répressives, sous chapitre VII de la Charte des Nations unies, autorisant le recours à la force.
Sans oublier que la résolution 1973 résulte d’une initiative conjointe de la France et du Royaume-Uni, nous nous félicitons du rôle joué par la diplomatie française tout au long du processus de négociation à New York. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Mme Jacqueline Panis. C’est bien que vous le souligniez !
M. Jean-Louis Carrère. Nous nous en félicitons d’autant plus que nous avions demandé, dès le déclenchement de la crise libyenne, une action ferme et résolue.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Louis Carrère. Or, malgré ce que je viens de dire, force est de constater que la réponse de la communauté internationale a tardé.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Louis Carrère. Pendant de longs jours, puis des semaines, nous avons regardé les événements se dérouler. Nous n’avons pas réagi. Nous avons assisté, impuissants, aux massacres déclenchés par le colonel Kadhafi contre ses opposants, contre la population civile, contre son propre peuple. Cette attitude avait au moins un mérite : celui d’une terrible cohérence avec les choix malheureux imposés à la diplomatie française depuis 2007,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. … des choix qui ont vu la patrie des droits de l’homme recevoir en grande pompe l’un des pires tyrans de la planète, au motif officiel qu’il avait fini par libérer des infirmières injustement retenues !
M. Roland Courteau. C’est bien de le rappeler !
M. Jean-Louis Carrère. Et puis, au-delà de ces choix lourds de conséquences pour le prestige de notre pays dans le monde, il y a eu les atermoiements, les hésitations et même les profondes erreurs d’analyse qui ont fait que la France est passée totalement à côté des printemps arabes. Viciée dans son diagnostic, notre approche fut tout aussi erronée dans les réactions face au formidable mouvement de libération qui a gagné la Tunisie, puis l’Égypte.
Ces flottements nous ont coûté cher, et ils ont failli se reproduire dans notre appréhension du dossier libyen, où l’inaction face à la folie meurtrière de Kadhafi nous aurait rendus complices de non-assistance à peuple en danger. (M. Roland Courteau opine.)
Monsieur le Premier ministre, vous le savez, le débat devant la Haute Assemblée tout comme nos travaux en commission des affaires étrangères ont un but, et un seul : permettre le contrôle démocratique, par le Parlement, des choix fondamentaux que le Gouvernement est amené à faire, et qui engagent notre pays tout entier.
C’est dans cet état d’esprit que je souhaite à présent vous demander des précisions sur différents points ou faits, ainsi que des éclaircissements sur notre stratégie et nos objectifs. Car, force est de le constater, bien des choses restent floues en l’état actuel des informations dont nous disposons et nombre de points méritent d’être précisés pour éclairer nos débats et guider notre action.
Qu’en est-il, d’abord, du positionnement exact de la Ligue arabe ?
C’est une question essentielle si nous voulons éviter que les opérations militaires en cours ne soient interprétées comme un affrontement entre les peuples occidentaux et les peuples arabes, entre l’Occident et l’Orient, en un mot, comme un choc des civilisations. Non, non, non, mes chers collègues, nous ne sommes pas à l’initiative d’une nouvelle croisade !
À cet égard, il faut d’ailleurs souligner l’importance de la réunion à Paris, samedi dernier, sous la présidence conjointe de la France et du secrétaire général des Nations unies, des dirigeants de la Ligue des États arabes et de l’Union européenne et des représentants des États-Unis et du Canada.
Nous le savons, et la résolution 1973 le rappelle expressément, la Ligue arabe a elle-même demandé, le 12 mars dernier, l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye. Mais quelle est aujourd’hui la stratégie de la Ligue arabe ?
Sa participation militaire aux opérations en cours est pour le moins modeste, mais comment pourrait-il en être autrement de la part de certains États qui peuvent, eux-mêmes, craindre d’être placés, demain, dans des situations similaires ? Le malaise n’est-il pas plus grand dès lors que seuls le Qatar et les Émirats arabes unis semblent réellement disposés à fournir une contribution militaire ?
Toujours sur le plan politique, comment interpréter, en outre, le relatif flottement dans les déclarations d’Amr Moussa ces derniers jours ?
Je formule de telles interrogations car je suis convaincu que la pleine implication de la Ligue arabe dans les opérations en cours et dans les décisions à venir conditionne en partie la réussite des processus.
Deuxième question, dans le même ordre d’idées : comment évaluer l’attitude de l’Union africaine ?
Là aussi, rien n’est simple, rien n’est évident. En effet, le comité de l’Union africaine sur la Libye a certes réclamé, le dimanche 20 mars, lors de sa réunion à Nouakchott, « la cessation immédiate de toutes les hostilités ». Mais, dans le même temps, il a aussi appelé la communauté internationale « à la retenue » pour éviter « de graves conséquences humanitaires ». Si nous ne pouvons que partager ce souci légitime, devons-nous y voir plus que de simples précautions, une prudence excessive de l’Union africaine à l’égard des opérations en cours ?
Que pouvez-vous nous dire, monsieur le Premier ministre, au sujet des efforts diplomatiques destinés à consolider l’implication de la Ligue arabe et de l’Union africaine, acteurs régionaux majeurs sans lesquels il n’y aura pas de solution durable et viable aux défis que nous rencontrons ? Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, il est déterminant d’y parvenir !
La France est dans son rôle en choisissant le camp du droit international et en voulant venir en aide à un peuple en danger ! Toutefois, n’oublions pas que, au même moment, et dans un silence international assourdissant, y compris dans le monde arabe, la répression s’abat au Yémen et à Bahreïn. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit également réussir à traiter cette situation.
J’en viens à la question du positionnement de nos partenaires européens et américains.
Une nouvelle fois, monsieur le Premier ministre, l’Union européenne se montre divisée sur un sujet fondamental. Cet état de fait est apparu dès le vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité, au cours duquel nos amis allemands se sont abstenus, rejoignant le Brésil, la Chine, la Fédération de Russie et l’Inde.
Plus profondément, comment ne pas déplorer la manière dont l’Union européenne s’est comportée dans cette affaire ? Absence d’authentiques débats politiques, inadaptation des cadres de planification et d’intervention, inexistence de fait de l’Europe diplomatique et de l’Europe de la défense avec, au final, une gestion franco-britannique se substituant à une approche européenne intégrée : tel est, à ce jour, le bilan européen sur la question libyenne ! Tel est le bilan d’une Europe qui n’a pas su comprendre la profondeur, l’importance, la signification des printemps arabes, et qui n’a pas saisi ces événements historiques pour tendre la main et élaborer une nouvelle approche politique globale à l’égard de l’autre rive de la Méditerranée !
J’ajoute que les États membres de l’Union européenne n’ont pas su élaborer une approche commune sur le rôle et l’implication de l’OTAN dans les opérations libyennes. Le Luxembourg et l’Italie notamment sont allés très loin, en indiquant que l’OTAN était, pour eux, le seul cadre d’action approprié. C’est pourquoi la question de la structure de commandement reste posée.
Monsieur le Premier ministre, que pouvez-vous nous dire sur cette structure de commandement ? Comment s’articulent les prises de décision entre des opérations qui, à ce stade, sont nationales ? Quelle est la part de la France au sein de cette prise de décision qui est coordonnée, d’après ce que nous comprenons, par les quartiers généraux américains de Ramstein et Naples ?
Enfin, et surtout, pouvez-vous nous garantir de manière certaine que ni la France ni nos forces armées ne courent le risque d’être impliquées involontairement par des décisions qui auraient été prises sans notre accord plein et entier ?
En outre, se pose, mes chers collègues, la question des objectifs stratégiques que nous poursuivons. À cet égard, le Parlement doit être informé, monsieur le Premier ministre !
En engageant nos forces armées, poursuivons-nous pour seul objectif la pleine et entière mise en œuvre de la résolution 1973 ? Certes, ce serait déjà bien, mais que ferons-nous une fois les stipulations de cette résolution pleinement effectives ? La France et la coalition ont-elles d’autres buts, au-delà de l’obtention d’un cessez-le-feu protégeant les populations civiles et ouvrant la voie à de possibles négociations ? En particulier, est-il envisagé de mobiliser la communauté internationale contre Kadhafi et son régime, avec, pour objectif ultime, la chute et le changement de ce régime ? Voulons-nous renverser Kadhafi pour installer à sa place un gouvernement issu du Conseil national de transition de Benghazi ? J’ai bien entendu l’intervention de M. le Premier ministre déclarant que ce ne serait l’apanage que du peuple libyen lui-même. Mais où allons-nous, en droit ou en fait ? (M. Dominique Braye s’exclame.) Allons-nous vers une sorte de mise sous tutelle internationale de la Libye ? Au-delà, monsieur le Premier ministre, ne prenons-nous pas le risque de sa partition ?
Enfin, sur qui nous appuyons-nous localement ? Quelles sont les forces locales potentiellement en mesure de contribuer à la réussite des opérations militaires ? Ces forces sont-elles en état d’assurer la continuité de l’État libyen et de garantir une transition démocratique ?
Je veux le dire avec gravité : nous devons connaître le mandat que la France et la communauté internationale souhaitent fixer aux forces engagées. Car de là découle une autre question fondamentale, celle de savoir si nous serons ou non en guerre en Libye !
Si tel était le cas, nos objectifs devraient être clairs, affichés et partagés. Il faudrait d’ailleurs que cette déclaration de guerre soit autorisée par le Parlement, conformément aux dispositions de l’article 35 de notre Constitution. Et ce même si vous avez aujourd’hui fait le choix, monsieur le Premier ministre, de nous convoquer sur le fondement de l’alinéa 2 de cet article, nous interdisant par là même de voter et, ainsi, de démontrer notre détermination et notre soutien à l’action entreprise dans le cadre de l’Organisation des Nations unies.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Pourquoi ce débat sans vote ? Pourquoi vous en privez-vous et pourquoi nous en privez-vous ?
Poser la question de la guerre et de nos objectifs, c’est aussi poser la question de la durée de notre engagement. En effet, de nos objectifs stratégiques découleront naturellement des conséquences à cet égard.
Sur ce point, nous sommes dans une situation paradoxale. L’intervention militaire aura été un peu trop tardive pour avoir un effet dissuasif a priori : elle n’aura pas évité des bains de sang tragiques, ni la mort de victimes innocentes. Dans le même temps, malgré le déséquilibre assez flagrant des forces en présence, rien ne garantit la fin des interventions dans un avenir proche, ni le fait que nous saurons éviter le cauchemar d’un enlisement.
Non, je vous le dis, monsieur le Premier ministre, gauche et droite ne sont pas confondues ! Elles ne le seront jamais (Tant mieux ! sur plusieurs travées de l’UMP.), mais elles peuvent se rejoindre sur certains objectifs.
M. Bruno Sido. Ah bon !
M. Jean-Louis Carrère. La position de notre groupe est sans ambiguïté, et j’espère l’avoir exprimée clairement.
Nous soutenons la résolution 1973, dans son inspiration et dans les actions sur lesquelles elle débouche aujourd’hui, tout en restant très attentifs à l’évolution des opérations militaires.
Nous demandons que les objectifs stratégiques poursuivis soient portés à la connaissance du Parlement et que celui-ci soit informé et associé en temps réel à l’ensemble des décisions qui engagent notre pays.
Nous exhortons, à vos côtés, la communauté internationale à tout mettre en œuvre pour empêcher la mort de victimes innocentes. Il faut interdire aux hommes de main de Kadhafi de poursuivre leurs agissements. Et, sans, naturellement, tout placer sur le même plan, tout doit être mis en œuvre pour éviter des opérations mal calibrées qui conduiraient à ce qu’il est désormais convenu d’appeler, selon une expression atroce, des « dommages collatéraux ». (M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, opine.)
Aujourd'hui, nous devons avoir le souci d’éviter des massacres monstrueux, déclenchés par un dictateur pouvant, à juste titre, estimer qu’il n’a plus grand-chose à perdre. Nous devons porter assistance au peuple libyen menacé des pires représailles. En somme, nous devons créer les conditions permettant aux Libyens de voir le succès de leur résistance et, demain, de prendre leur destin en main en s’engageant eux-mêmes sur les « chemins de la liberté ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Marie-Agnès Labarre et M. Jean Arthuis applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, la décision était difficile. Ce qui était en cause n’était pas un risque imaginaire, comme en Irak en 2003. C’était un risque bien réel : celui de voir un gouvernement s’affirmant lui-même « sans pitié » utiliser tous les moyens de terreur pour faire taire une opposition, comme on l’a vu dans maintes villes libyennes reprises aux insurgés et comme on le voit encore aujourd’hui à Misrata, où les violences ont fait quarante morts et trois cents blessés. Et cela à un moment particulier, vous l’avez souligné, où les aspirations à la démocratie et à la dignité se manifestent avec force dans différents peuples arabes, à commencer par le peuple tunisien, si proche de nous, et par le peuple égyptien, cœur vivant du monde arabe.
Depuis 2005, l’ONU reconnaît à son Conseil de sécurité la « responsabilité de protéger » un peuple sur lequel ses dirigeants commettraient un « crime contre l’humanité ». C’est cette décision qui a été prise par le vote de la résolution 1973, adoptée quand il en était encore temps, le 17 mars dernier, par le Conseil de sécurité des Nations unies et qui est mise en œuvre par la France, la Grande-Bretagne, les États-Unis et plusieurs autres pays volontaires, y compris des pays arabes. Il est important que cette intervention n’apparaisse pas comme celle de l’Occident et encore moins comme celle de l’OTAN.
Voilà une quinzaine de jours, on s’interrogeait dans les gazettes pour savoir si la politique extérieure de la France devait être faite par les diplomates ou par les politiques. On a cru l’affaire tranchée il y a huit jours, quand un philosophe autoproclamé, s’appuyant sur les émotions suscitées par les images, annonça sur le perron de l’Élysée que la France reprenait à son compte le fameux « droit d’ingérence » et rompait avec la règle selon laquelle elle reconnaît des États et non des gouvernements. Heureusement, le ministre d’État a recadré l’expression du Gouvernement (M. le ministre d'État fait un signe de dénégation.), sans toutefois parvenir à dissiper totalement un léger parfum d’aventurisme. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Il est vrai que la diplomatie française se situe sur une ligne de crête : la France, berceau de la Révolution de 1789, a toujours affirmé la souveraineté des peuples. Aussi bien, le « droit » et encore moins le « devoir d’ingérence » n’ont jamais été reconnus par les Nations unies. Seule l’a été la « responsabilité de protéger », sous l’égide du Conseil de sécurité. (M. Jean-Louis Carrère opine.) C’est tout à fait différent, même si, quelquefois, la distinction peut paraître ténue !
La résolution 1973 nous oblige donc. Elle fixe un objectif : la « protection des civils et des zones peuplées par des civils ». Il est vrai qu’elle autorise « tous les moyens nécessaires », à l’exclusion de toute occupation au sol, sous quelque forme que ce soit. L’aviation, la marine sont engagées. Des Français sont au combat. Ils risquent leur vie. À l’instar de tous, je les salue.
Monsieur le Premier ministre, la résolution 1973 pose donc des limites (M. le Premier ministre opine.) qu’il convient d’autant plus de respecter que cinq pays au Conseil de sécurité, et pas des moindres, se sont abstenus : la Chine et la Russie, qui auraient pu utiliser leur droit de veto, l’Inde et le Brésil, deux des plus importants pays émergents, et, enfin, l’Allemagne, notre partenaire privilégié en Europe, ces trois derniers pays dont les autorités, on le sait, souhaitent qu’ils deviennent membres permanents du Conseil de sécurité.
M. Michel Sergent. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. L’attitude du gouvernement de Mme Merkel est quand même préoccupante, il faut le dire. Le couple franco-allemand semble n’exister à ses yeux que dans un seul sens : quand il s’agit d’annoncer la fermeture de sept centrales nucléaires allemandes parmi les plus anciennes, il ne lui paraît pas nécessaire de consulter Paris. En revanche, Paris se croit obligé de soutenir un prétendu « pacte de compétitivité » qui interdit toute relance et nous enferme dans une perspective économique et sociale régressive. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Je passe sur l’attitude des États-Unis, dont le gouvernement, entre le département d’État et le Pentagone, a paru pour le moins partagé et dont le président vient de rappeler que l’engagement restera limité. La responsabilité de la France et celle de la Grande-Bretagne n’en sont que plus grandes. Connaissant votre attachement à cette relation franco-britannique, je suis sûr que vous saurez peser pour que cet axe se maintienne.
Je ne dirai rien de la prise de position du secrétaire général de la Ligue arabe, qui, le 20 mars, a condamné des frappes sur des cibles militaires qu’il paraissait avoir approuvées la veille. Ses propos ont, paraît-il, été mal interprétés. Je m’en réjouis, mais tout cela montre quand même que le terrain n’est pas extrêmement solide.
Monsieur le Premier ministre, ce contexte international doit rester présent à notre esprit.
Bien entendu, les frappes en Libye ne doivent concerner que des cibles militaires et en aucun cas des infrastructures civiles. De surcroît, il faut éviter les dommages collatéraux sur les civils – je reprends l’expression de M. Jean-Louis Carrère –, d’autant plus que c’est la condition de la réussite politique. Civils de tous bords, car la « responsabilité de protéger » est globale et concerne tous les Libyens, comme il est rappelé dans le préambule de la résolution : « réitérant la responsabilité des autorités libyennes de protéger la population libyenne, réaffirmant que les parties au conflit armé ont la responsabilité primordiale de prendre toutes les mesures possibles pour assurer la protection des civils ». J’arrête là ma citation. Elle a tout de même le mérite de la clarté.
À ce stade, deux hypothèses peuvent être formulées : ou bien le régime du colonel Kadhafi s’effondre sous la pression de la contestation populaire et sous le poids de ses propres contradictions. Cette issue est hautement souhaitable. C’est un vœu que vient de réitérer le Président Obama, mais ce n’est qu’un vœu, car cet objectif ne figure pas dans la résolution 1973. On ne peut interpréter l’expression « user de tous les moyens nécessaires » au-delà de ce qu’implique l’objectif de protection des civils, par exemple pour une politique de « regime change », comme disent les Anglo-Saxons, ou de changement de régime, pour ceux qui ne parlent pas l’anglais ! (Merci ! et sourires sur les travées de l’UMP.) J’ai toujours le souci de ne pas instaurer une anglophonie systématique, comme on le constate trop souvent sur nos campus ! (Très bien ! sur les mêmes travées.)
Si regrettable que soit l’hypothèse, on ne peut donc exclure que le colonel Kadhafi parvienne à se maintenir, au moins temporairement, en Tripolitaine et au Fezzan, à la faveur d’un cessez-le-feu que déciderait le Conseil de sécurité des Nations unies. On sait comment on commence une guerre, on sait rarement comment on la termine. L’adage est bien connu !
La Libye est un État fragile. L’intérêt national est de ne pas laisser s’installer un foyer d’anarchie en Afrique du Nord ou en Afrique sahélienne. M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées l’a rappelé très justement. Je ne doute pas que votre gouvernement, monsieur le Premier ministre, comptable de l’image de la France et de nos intérêts dans le monde, notamment arabe, et particulièrement au Maghreb, ait le souci de faire prévaloir, comme vous l’avez-vous-même déclaré, une interprétation stricte de la résolution 1973. Je vous en rends témoignage.
C’est au peuple libyen, et non à une intervention extérieure, et encore moins à une intervention de l’OTAN, qu’il revient de conquérir la démocratie à laquelle la Libye a droit. Il faut donc respecter à la fois le temps de l’Histoire et la dignité des peuples arabes, dont le destin est lié au nôtre. Rien ne doit être fait qui les dissuade de participer à la mise en œuvre de la résolution 1973.
Mon sentiment est que le colonel Kadhafi ne pourra survivre très longtemps à une défaite avérée. Laissons, s’il le faut, aux peuples arabes le soin d’abréger son pouvoir. Évitons tout ce qui pourrait donner l’impression que nous voulons imposer à la Libye nos choix politiques. Le rôle de la Communauté internationale est de créer les conditions qui permettront au peuple libyen de construire lui-même son avenir ainsi que, monsieur le Premier ministre, vous l’avez clairement précisé à cette tribune.