Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces trois amendements de suppression. En effet, comme vient de l’expliquer M. le rapporteur, l’article 75 est nécessaire.
Je précise simplement que l’application de cette disposition est encadrée. L’utilisation de la procédure prioritaire n’est pas automatique et résulte d’un examen individuel. Cette procédure ne sera d’ailleurs utilisée que si l’étranger dissimule délibérément des informations dans le but de tromper les autorités françaises.
J’ai entendu parler à plusieurs reprises de « procédure expéditive ». Je rappelle que le traitement d’une demande d’asile devant l’OFPRA est actuellement de 145 jours et de 445 jours devant la CNDA. Le projet de loi prévoit donc de permettre de consacrer plus de temps aux demandes qui ne sont pas abusives et de réduire globalement les délais.
Cette disposition ne prive nullement les personnes ni du droit à demander l’asile ni du droit à obtenir une protection, mais elle se limite à aménager les modalités procédurales d’examen de leur demande d’asile en la soumettant à la procédure prioritaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis très surpris par votre déclaration, madame la ministre.
Vous nous expliquez qu’il existe deux procédures, l’une rapide et l’autre plus longue, et qu’il vaut mieux consacrer plus de temps aux demandes qui ne sont pas abusives.
Mais, en ce jour où de nombreux magistrats sont inquiets,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ça y est !
M. Jean-Pierre Sueur. … peut-être serait-il plus sage de ne pas faire de nouvelles déclarations qui posent problèmes. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Mes chers collègues, si vous n’êtes pas d’accord, …
Mme Catherine Procaccia et M. Alain Gournac. Non !
M. Jean-Pierre Sueur. … dites-nous pourquoi !
Si Mme la ministre dit qu’il faut accorder plus de temps aux demandes qui ne sont pas abusives qu’aux demandes abusives, cela signifie que, dès le départ, elle sait que certaines demandes sont abusives. Or quel est justement l’objet de la procédure ? Il est précisément de déterminer si la demande est abusive ou non. C’est d’une totale évidence !
Madame la ministre, si vous dites que, a priori, certaines demandes d’asile sont abusives, contrairement à d’autres, et qu’elles doivent être examinées rapidement, cela signifie que vous les jugez avant même le début de la procédure.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais bien sûr que si ! Mon cher collègue, si vous n’êtes pas d’accord avec moi, expliquez-moi pourquoi. Je serais très heureux de vous entendre.
Madame la ministre, cette déclaration étant particulièrement maladroite, j’espère que vous aurez à cœur de la rectifier !
Je le répète : si l’on considère dès le départ que certaines demandes sont abusives, cela signifie qu’on les a jugées avant de les examiner.
M. François Trucy. On les a appréciées !
M. Jean-Pierre Sueur. Mon cher collègue, alors que l’objet de la procédure est de savoir si une demande d’asile est pertinente, recevable ou abusive, si on dit dès le départ que la procédure accélérée est nécessaire, cela signifie que la demande est déclarée abusive avant même d’avoir été examinée.
M. Christian Cointat. Sophisme !
M. Jean-Pierre Sueur. Il me semble qu’un membre du Gouvernement ne peut pas déclarer que certaines demandes d’asile sont, a priori, avant même leur examen, abusives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 85 rectifié, 233 et 461.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de onze amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 482 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Les articles L. 741-4, L. 742-2, L. 742-4, L. 742-5, L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont abrogés.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, j’aurais aimé que vous me fassiez l’honneur de me répondre et je regrette que ce ne soit pas le cas.
Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont consacré le principe de l’admission au séjour des demandeurs d’asile jusqu’à la décision de la Cour nationale du droit d’asile.
Quatre exceptions à ce principe sont prévues par l’article L.741-4 du CESEDA. Il s’agit, premièrement, des personnes dont la demande d’asile relève de la compétence d’un autre état membre de l’Union européenne en application du règlement Dublin II ; deuxièmement, des personnes originaires d’un pays considéré comme « sûr » ; troisièmement, des personnes qui représentent une menace grave pour la société ; quatrièmement, des personnes dont la demande reposerait sur une fraude délibérée. Cela fait au total beaucoup de monde !
Or les personnes relevant de ces quatre exceptions voient leur demande d’asile examinée selon la procédure dite « prioritaire », c’est-à-dire qu’elles ne bénéficient pas d’un droit au séjour, que l’OFPRA statue de manière accélérée sur leur cas et surtout que le recours devant la CNDA n’a pas aujourd'hui d’effet suspensif. L’étranger peut donc être reconduit à la frontière dès que la décision de rejet de l’OFPRA lui a été notifiée ! Je tiens à souligner que, pour l’année 2010, la procédure prioritaire a concerné un quart des demandes.
Par cet amendement, nous proposons de garantir à tous les demandeurs d’asile un titre de séjour, le droit à un recours effectif et le bénéfice des conditions matérielles d’accueil. À cette fin, nous réclamons donc la suppression des quatre exceptions de refus de séjour décrites à l’article L.741-4, car la procédure prioritaire est selon nous inéquitable et injuste. Elle ne garantit pas suffisamment le respect du droit d’asile, si fondamental pour la République française.
Mme la présidente. L'amendement n° 234, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 741-4 du même code est abrogé.
La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Nous estimons, à l’instar de nombreuses instances internationales et européennes, que la procédure dite « prioritaire » ne présente pas les garanties suffisantes et qu’elle ne tient pas compte de la particularité de la situation des demandeurs d’asile.
La Cour européenne des droits de l’homme est actuellement saisie de sept requêtes dirigées contre la France, chacune se fondant sur l’absence de recours systématiquement suspensif devant la CNDA, en violation des articles 3 et 13 de la Convention.
Lors de l’examen en mai 2010 du rapport périodique de la France, le Comité contre la torture des Nations unies a déclaré qu’il n’était « pas convaincu que la procédure prioritaire offre des garanties suffisantes contre un éloignement emportant un risque de torture » et recommandait que la France mette en place un recours suspensif pour ces demandes.
Le Comité des droits de l’homme a considéré en 2008 que la France devrait veiller à ce que la décision de renvoyer un étranger, y compris un demandeur d’asile, soit prise à l’issue d’une procédure équitable qui permette d’exclure effectivement tout risque réel de violations graves des droits de l’homme dont l’intéressé pourrait être victime à son retour, tout en s’assurant qu’il puisse exercer un droit de recours avec effet suspensif.
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a considéré en 2006 que cette procédure était « loin d’offrir les mêmes garanties que la demande d’asile de droit commun » et qu’elle ne laissait « qu’une chance infime aux demandeurs ».
L’Agence des Nations unies pour les réfugiés a pour sa part affirmé que « la procédure prioritaire ne présente pas toutes les garanties requises pour assurer un respect effectif du principe de non-refoulement ».
Enfin, la Cour de cassation a déposé une question préalable de constitutionnalité sur l’absence de recours suspensif en procédure prioritaire, sur laquelle les Sages ne se sont pas encore prononcés.
Compte tenu des condamnations dont cette procédure fait l’objet et alors que les préfectures en font un usage abusif et systématique afin d’atteindre les objectifs chiffrés de reconduite à la frontière du Gouvernement, nous demandons la suppression de l’article L. 741-4 du CESEDA.
Mme la présidente. L'amendement n° 459 rectifié, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - L'article L. 741-4 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 741-4. - Sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l'admission au séjour en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre État en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers, ou d'engagements identiques à ceux prévus par ledit règlement avec d'autres États.
« Les dispositions du présent article ne font pas obstacles au droit souverain de l'État d'accorder l'asile à toute personne qui se trouverait dans ce cas. »
II. - L'article L. 742-2 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 742-2. - Lorsqu'il apparaît, postérieurement à son admission au titre de l'asile, que l'étranger se trouve dans le cas prévu à l'article L. 741-4, le document provisoire de séjour peut être retiré ou son renouvellement refusé. »
III. - L'article L. 742-4 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 742-4. - Dans le cas où l'admission au séjour a été refusée pour le motif mentionné à l'article L. 741-1, l'intéressé n'est pas recevable à saisir la Cour nationale du droit d'asile. »
IV. - Au second alinéa de l'article L. 723-1 du même code, après les mots : « a été refusé ou retiré pour », la fin de cet alinéa est ainsi rédigée : « le motif mentionné à l'article L. 741-4, ou qui se sont vu refuser pour ce motif le renouvellement de ce document. »
La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Mon intervention sera complémentaire de celle de Jean-Pierre Sueur.
Depuis 1993, les quatre exceptions au principe du droit au séjour pour les demandeurs d’asile prévues par l’article L. 741-4 du CESEDA n’ont cessé de prendre de l’ampleur. En 2010, environ un quart des demandes d’asile ont été examinées selon les modalités prévues par la procédure dite « prioritaire ».
Or cette procédure, qui devrait d’ailleurs plutôt être appelée procédure « accélérée », est profondément injuste et véritablement inéquitable. Le demandeur d’asile placé en procédure prioritaire ne bénéficie pas d’un droit au séjour, mais surtout, et j’insiste sur ce point, il peut être reconduit à la frontière dès que la décision de rejet de sa demande par l’OFPRA lui a été notifiée, car le recours devant la CNDA n’a pas d’effet suspensif. De plus, ce demandeur d’asile n’a pas accès aux centres d’accueil pour demandeurs d’asile, ses droits sociaux et économiques sont minorés.
En conséquence, nous demandons qu’un minimum de personnes soient concernées par cette procédure prioritaire afin de garantir au mieux le respect du droit d’asile. Par ailleurs, nous proposons qu’elle ne s’applique qu’aux personnes relevant du règlement Dublin II.
Cet amendement vise donc à réserver les décisions de refus d’admission au séjour provisoire aux situations dans lesquelles la France n’est pas responsable de l’examen d’une demande d’asile qui lui est présentée, cette dernière relevant de la responsabilité d’un autre État membre de l’Union européenne.
Mme la présidente. L'amendement n° 235 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 741-4 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 741-4. - Sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l'admission au séjour en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre État. »
La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Cet amendement vise à reprendre les dispositions du règlement CE n° 343/2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers.
Ces dispositions ne font pas obstacle au droit souverain de l’État d’accorder l’asile à toute personne qui se trouverait dans ce cas.
Je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement.
Mme la présidente. Les amendements nos 86 rectifié, 236 rectifié et 460 sont identiques.
L'amendement n° 86 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 236 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 460 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Le 4° de l’article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est abrogé.
La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 86 rectifié.
M. Jacques Mézard. Cet amendement a pour objet d’abroger le refus de séjour, lequel est pour nous constitutif d’une exception au principe de l’admission au séjour des demandeurs d’asile, jusqu’à la décision de la Cour nationale du droit d’asile, principe consacré à la fois par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État.
Des exceptions, aujourd’hui au nombre de quatre, ont été introduites depuis 1993 dans notre droit. Elles aboutissent à ce qu’un tiers des demandeurs soient aujourd’hui placés sous le régime de la procédure dite « Dublin II » ou de la procédure prioritaire.
Or le droit à un recours effectif, que nombre d’entre nous n’ont cessé de défendre tout au long de nos débats, exige que soit mis fin à ce traitement inéquitable en abrogeant le refus de séjour.
De plus, ce dispositif donne lieu à une application extrêmement hétérogène sur l’ensemble du territoire, ce qui renforce le caractère tout à fait inégalitaire de la procédure.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous demandons l’abrogation de l’article L. 741-4 du CESEDA.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 236 rectifié.
Mme Éliane Assassi. Il est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour présenter l'amendement n° 460.
M. Ronan Kerdraon. L’article L. 741-4 du CESEDA énonce les conditions dans lesquelles l’admission en France d’un étranger demandant à bénéficier de l’asile peut être refusée. Il s’agit de refuser l’accès au territoire avant même que l’étranger n’ait déposé sa demande.
Le 4° de cet article prévoit que l’admission en France du demandeur d’asile peut être refusée dans trois circonstances : lorsque sa demande repose sur une fraude délibérée – ce qui est normal –, lorsqu’elle constitue un recours abusif aux procédures d’asile, lorsqu’elle n’est présentée qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement prononcée ou imminente.
Nous proposons de supprimer le 4° de l’article L. 741-4 du CESEDA.
En effet, lors de son admission en France pour déposer une demande d’asile, l’étranger est exposé, dès sa première démarche, aux services préfectoraux, lesquels sont guidés par une logique de contrôle.
Or cette personne a peut-être fui des persécutions ou subi des actes de tortures ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants par des agents de l’État dans son pays d’origine. Dans une situation d’extrême vulnérabilité et alors qu’il est psychologiquement fragilisé, le demandeur a souvent perdu toute confiance dans ceux qui, à ses yeux, représentent l’autorité. Il peut, dans un premier temps, au stade de son admission au séjour, ne pas vouloir ou ne pas pouvoir révéler des informations alors que ses craintes de persécution en cas de retour sont fondées.
Cet amendement vise à ce que les motifs de « fraude délibérée », de « recours abusif » ou de « demande d’asile présentée en vue de faire échec à une mesure d’éloignement » ne puissent plus être invoqués par le préfet pour refuser l’admission en France d’un étranger au titre de l’asile.
(M. Guy Fischer remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. Les amendements nos 16 et 238 rectifié bis sont identiques.
L'amendement n° 16 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
L'amendement n° 238 rectifié bis est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L'article L. 741-4 du même code est ainsi modifié :
1° La deuxième phrase du 2° est ainsi rédigée :
« Un pays est considéré comme tel lorsque, sur la base de la situation légale, de l'application du droit dans le cadre d'un régime démocratique et des circonstances politiques générales, il peut être démontré que, d'une manière générale et uniformément, il n'y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture ni à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants et qu'il n'y a pas de menace en raison de violences dans des situations de conflit armé international ou interne. »
2° Le 4° est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, ne peut être considérée comme un recours abusif ou frauduleux, la demande d'asile présentée par un étranger qui invoque des circonstances susceptibles de lui permettre de se voir reconnaître, le cas échéant, la qualité de réfugié ou la protection subsidiaire. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 16.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit d’un amendement de repli.
Si l’article 75 n’est pas supprimé, au moins sa rédaction devrait permettre la transposition, à l’article L 741-4 du CESEDA, des critères de l’annexe II de la directive européenne 2005/85/CE permettant de fixer la liste des pays d’origine sûrs. Cette liste, vous le savez, mes chers collègues, pose de nombreux problèmes. Elle n’existe pas à l’échelon européen. En outre, les critères sont différents d’un pays à l’autre.
Cette circulaire devait faire l’objet d’une transposition avant le 1er décembre 2007. Nous avons déjà plus de trois ans de retard.
La définition actuellement donnée par la loi ne prend en compte que certains éléments. Ainsi, elle ne prend pas en compte des éléments tels que l’existence d’un conflit armé ou d’une guerre civile. Cela pose un problème.
Conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, il s’agit de circonscrire l’application de la notion de recours frauduleux ou abusif aux seules demandes manifestement dilatoires. Si l’intéressé invoque les éléments permettant de le rattacher à une demande d’asile, il doit être, dans l’attente de l’examen de sa nouvelle demande d’asile, admis au séjour.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 238 rectifié bis.
Mme Éliane Assassi. Il s’agit également d’un amendement de repli par lequel nous souhaitons préciser la notion de « pays sûr ». Il semble impératif de modifier les termes de l’article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et d’introduire dans la loi les critères de l’annexe II de la directive 2005/85/CE – afin de fixer la liste des pays d’origine sûrs – qui aurait dû être transposée avant le 1er décembre 2007.
La définition donnée par la loi ne prend pas en compte certains éléments tels que, comme cela a été dit, l’existence d’un conflit armé.
De surcroît, la jurisprudence du Conseil d’État rappelle qu’il faudrait circonscrire l’application de la notion de recours frauduleux ou abusif aux seules demandes manifestement dilatoires. Si l’intéressé invoque les éléments permettant de le rattacher à une demande d’asile, il doit être admis au séjour.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Les amendements nos 237 rectifié et 477 rectifié bis sont identiques.
L'amendement n° 237 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 477 rectifié bis est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mmes Tasca, Printz et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est ainsi modifié :
1° Après le mot : « office », la fin de la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 722-1 est supprimée ;
2° À la première phrase du 2° de l'article L. 741-4, après le mot : « susmentionnée », la fin de la phrase est supprimée.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 237 rectifié.
Mme Éliane Assassi. Cet amendement n’entre pas en contradiction avec le précédent. Il vise simplement à démontrer que la liste des pays d’origine sûrs devrait être supprimée.
En effet, la présence d’un État sur la liste des pays d’origine sûrs exclut ses ressortissants d’un certain nombre de droits et, surtout, autorise leur renvoi dans leur pays avant même que la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, ait statué sur leur requête. La décision du Conseil d’État du 23 juillet 2010, qui a conduit au retrait de cette liste de l’Arménie, de Madagascar, de la Turquie et, pour les ressortissants de sexe féminin, du Mali, montre toute la difficulté de l’établissement d’une telle liste. Aucun accord communautaire n’a d’ailleurs été possible sur les pays devant être retenus.
Cette liste empêche un grand nombre de ressortissants de ces pays d’être reconnus réfugiés ou de bénéficier de la protection « subsidiaire » car, aujourd’hui, beaucoup de leurs demandes sont rejetées en première instance par l’office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et acceptées seulement au niveau du recours par la Cour nationale du droit d’asile
Ils estiment ainsi que ce principe est contraire au principe de non-discrimination en raison du pays d’origine, et permet de tirer d’une situation générale prévalant dans un État des conséquences qui s’imposent à des situations individuelles.
Pour ces raisons, nous demandons la suppression de cette liste.
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour défendre L'amendement n° 477 rectifié bis.
M. Ronan Kerdraon. Depuis la loi du 10 décembre 2003, le préfet peut refuser d’admettre au séjour des étrangers originaires d’un pays estimé sûr.
En vertu de l’alinéa 2° de l’article L. 741-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, un pays est considéré comme sûr « s’il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
Or, la liste des pays d’origine sûrs, établie à partir des critères précités, est profondément insatisfaisante. Cela a été précédemment rappelé par ma collègue. Pour cette raison, depuis son arrêt du 13 février 2008, le Conseil d’État accepte de contrôler la légalité interne de cette liste.
Dans un récent arrêt du 23 juillet 2010, le Conseil d’État a franchi une étape supplémentaire en invalidant la présence du Mali, de Madagascar, de l’Arménie et de la Turquie dans cette liste. La fréquence des pratiques d’excision, la persécution des opposants au régime ou encore l’instabilité politique et sociale interne de ces États ont été autant de raisons invoquées par la plus haute juridiction administrative.
Aujourd’hui encore, il est possible de s’interroger sur la cohérence et le bien-fondé de cette liste. En effet, comment des pays pratiquant la peine de mort – le Bénin, la Tanzanie, la Mongolie ou le Ghana – peuvent-ils être considérés comme sûrs alors même qu’ils menacent la vie de leurs ressortissants ?
Nous sentons bien que cette liste n’a aucune légitimité en soi. D’ailleurs, à l’échelle communautaire, aucun accord sur l’élaboration d’une telle liste n’a été trouvé. Cette liste sert bien plus les intérêts diplomatiques de la France qu’elle ne protège les demandeurs d’asile. En effet, la « liste des pays d’origine sûrs » permet d’appliquer la procédure prioritaire au demandeur d’asile. Or, cette procédure est une entrave aux droits des demandeurs d’asile.
Dans cette hypothèse, les demandeurs ne bénéficient pas d’un droit au séjour et, s’ils peuvent saisir l’office français de protection des réfugiés et des apatrides, le recours devant la Cour nationale du droit d’asile n’est pas suspensif.
Autrement dit, dès que l’OFPRA a notifié sa décision de rejet, l’étranger peut être expulsé.
En fait, nous percevons parfaitement la logique que sous-tend la liste des « pays d’origine sûrs » : elle permet d’accélérer les reconduites à la frontière, en déclenchant la procédure prioritaire.
Si le zèle du Gouvernement en la matière n’est plus à démontrer, il doit cependant être combattu avec acharnement quand les droits fondamentaux des demandeurs d’asile ne sont pas respectés et qu’il n’existe pas de garanties quant aux risques de persécutions et d’exactions à leur encontre.
Le Gouvernement fait preuve – il faut le dire – d’une hypocrisie honteuse en prétendant protéger la vie et les droits des demandeurs d’asile, tout en déclenchant la procédure prioritaire.
Ainsi, l’amendement que nous proposons vise à supprimer la liste des pays d’origine sûrs, par essence difficile à établir. Les demandeurs d’asile seront alors véritablement protégés, et leurs droits certainement mieux respectés.