compte rendu intégral
Présidence de M. Bernard Frimat
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Bernard Saugey.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Immigration, intégration et nationalité
Suite de la discussion d’un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité (projet n° 27, texte de la commission n° 240, rapport n° 239).
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier du titre III, à l’article 24.
Titre III (suite)
DISPOSITIONS RELATIVES AUX PROCÉDURES ET AU CONTENTIEUX DE L’ÉLOIGNEMENT
Chapitre Ier (suite)
Les décisions d’éloignement et leur mise en œuvre
Article 24
(Non modifié)
À l’article L. 511-3 du même code, les références : « du 2° et du 8° du II » sont remplacées par les références : « du 2° du I et du b du 3° du II ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 162 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L’amendement n° 364 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre, pour présenter l’amendement n° 162.
Mme Marie-Agnès Labarre. Cet amendement vise à supprimer l’article 24 du projet de loi par coordination avec notre amendement de suppression présenté à l’article 23.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 364.
M. Richard Yung. Nous avons déposé cet amendement identique dans la même logique de coordination.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. L’article 24 vise à une simple coordination par rapport à l’article 23. La commission est donc défavorable à ces deux amendements identiques de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. Défavorable également.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 162 et 364.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte les amendements.)
M. le président. En conséquence, l’article 24 est supprimé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La discussion commence bien !
Article 25
Après l’article L. 511-3 du même code, il est inséré un article L. 511-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 511-3-1. – L’autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille, à quitter le territoire français lorsqu’elle constate :
« 1° Qu’il ne justifie plus d’aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ;
« 2° Ou que son séjour est constitutif d’un abus de droit. Constitue un abus de droit le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois ne sont pas remplies. Constitue également un abus de droit le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d’assistance sociale.
« 3° Ou que, pendant la période de trois mois à compter de son entrée en France, son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française.
« L’autorité administrative compétente tient compte de l’ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l’intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine.
« L’étranger dispose, pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d’un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. À titre exceptionnel, l’autorité administrative peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours.
« L’obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel il sera renvoyé en cas d’exécution d’office. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 51 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L’amendement n° 163 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L’amendement n° 365 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Yvon Collin, pour présenter l’amendement n° 51 rectifié.
M. Yvon Collin. L’article 25 du projet de loi transpose la question de l’abus de droit mais de façon contradictoire avec le principe de liberté de circulation des personnes, garanti d’abord par les traités et la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
L’article 35 et le considérant 28 de cette directive évoquent seulement, s’agissant de la notion d’abus de droit, « la fraude, en particulier des mariages blancs ou de toute autre forme d’unions contractées uniquement en vue de bénéficier de la liberté de circulation et de séjour ». Or l’article 25 du projet de loi fait référence, quant à lui, au fait de renouveler les séjours de moins de trois mois dans le but de conserver le droit au séjour, ou au séjour en France dans le but de bénéficier des prestations sociales.
En aucun cas, la directive ne conditionne le droit au court séjour au niveau de prestations sociales du pays d’accueil dont bénéficie l’étranger. Notre droit retient même la logique inverse puisque le Conseil constitutionnel avait jugé, en 1993, qu’un étranger séjournant de façon régulière sur le territoire ne pouvait se voir restreindre l’accès aux prestations sociales.
C’est donc la régularité qui conditionne l’accès aux soins, et non le contraire. Ce principe est repris à l’article L.111-2 du code de l’action sociale et des familles : celui-ci garantit le droit à l’accès aux prestations sociales élémentaires pour les personnes de nationalité étrangère.
Indéniablement, l’article 25 rompt une logique qui fonctionne parfaitement. J’en demande donc, par l’amendement n° 51 rectifié, la suppression.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 163.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dans le domaine de la fiscalité, la notion d’abus de droit renvoie à une procédure de répression exceptionnelle, qui permet à l’administration de sanctionner les « manœuvres » de certains contribuables mettant en œuvre des opérations juridiques dans le seul et unique but de diminuer leur contribution à l’impôt. Mais nous ne vous apprenons rien en la matière, vous êtes parfaitement au courant.
Transposer cette notion dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, pour qualifier un délit exclusif aux étrangers, qui plus est communautaires, est vraiment incompréhensible. Après avoir créé des catégories de Français, voilà que vous allez instaurer des catégories de citoyens européens !
L’orateur précédent l’a souligné, ce n’est pas acceptable ; un ressortissant européen pourra faire l’objet d’une mesure d’éloignement en cas d’« abus d’un court séjour » lorsqu’il multiplie des allers-retours « dans le but de se maintenir sur le territoire » ou s’il constitue « une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale ».
Le refrain est connu : les étrangers ne sont pas là, selon vous, que pour user et abuser de certains avantages. Or nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer que, sur ce point, la législation était déjà, à juste titre, assez restrictive puisque les droits ne sont ouverts qu’à partir d’un certain délai.
En plus de relever d’un préjugé, cette disposition est tout simplement contraire au droit communautaire. C’est ce que la Cour de justice de l’Union européenne a considéré par un arrêt rendu, en 2009, dans le cadre de l’affaire Koller.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 365.
M. Richard Yung. L’article 25 est un « article Roms », et je ne parle évidemment pas de la ville sainte !
Cet article est, d’une certaine façon, la transposition, dans le droit français, de la directive 2004/38/CE. Mais le Gouvernement ne veut pas le dire trop haut ; il le fait discrètement en raison du débat qui a eu lieu l’été dernier, débat initié par la fameuse et infamante circulaire « anti-Roms », publiée en août 2009 et qui a déclenché une polémique avec la Commission européenne, Mme Reding devenant en quelque sorte dans cette affaire l’adversaire de la France. Donc, sans vouloir trop reconnaître ses torts en la matière, le Gouvernement le fait quand même.
Il faut également remarquer que, s’agissant pourtant d’un article qui traite du droit de libre circulation des citoyens de l’Union européenne dans notre pays, il est surtout question d’interdictions. Toutes ces clauses et menaces laissent penser que les autres citoyens de l’Union européenne ne sont pas les bienvenus chez nous. L’approche de l’unification européenne que traduit cet article me laisse pantois.
Bien sûr, me direz-vous, tout le monde n’est pas visé ; ne le sont que les « mauvais », ceux qui veulent obtenir des avantages indus. Mais c’est aux quelque 500 millions de citoyens de l’Union européenne que cela s’adresse. Je trouve donc que la tonalité de l’article est plutôt malvenue.
Nous considérons, quant à nous, que la liberté de circulation des personnes est un sujet essentiel, un aspect fondamental de l’Union européenne et qu’il faut transposer les textes au plus près.
Parmi les problèmes que pose l’article 25, j’en discerne au moins trois principaux.
D’abord, son alinéa 4 définit de manière fortement orientée la notion d’abus de droit sans tenir compte des recommandations de la Commission européenne.
Ensuite, l’alinéa 5 reprend certains éléments de l’article 27 de la directive mais en méconnaît une partie ; je vous renvoie à cet égard à la lecture de cette directive que je tiens à votre disposition.
Enfin, le dernier alinéa laisse entendre qu’un citoyen communautaire pourrait être expulsé sans délai de départ volontaire, ce qui est un cas extrêmement rare prévu par la directive.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 25.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur les trois amendements identiques de suppression de l’article 25, qui prévoit des mesures d’éloignement pouvant être prises à l’encontre des citoyens de l’Union européenne. Dans sa rédaction issue – je le précise – des travaux de la commission, cet article complète la transposition de la directive 2004/38/CE, dite directive Libre circulation.
Point particulier en la matière, la menace à l’encontre de l’ordre public susceptible de justifier une mesure d’éloignement est qualifiée dans les termes mêmes de la directive, de même que les circonstances relatives à la situation personnelle de l’intéressé que l’administration doit prendre en compte avant de prononcer une quelconque mesure d’éloignement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.
Monsieur Collin, vous voulez – cela vaut aussi pour les auteurs des deux autres amendements – supprimer toute possibilité de prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un ressortissant communautaire. Pour ce faire, vous vous appuyez sur la directive de 2004 concernant la libre circulation. Mais une relecture plus attentive de cette directive devrait vous permettre de réaliser qu’en réalité elle contredit très exactement votre argument. L’adhésion d’un État à l’Union européenne n’a jamais signifié et ne signifiera d’ailleurs à mon avis jamais la reconnaissance d’un droit inconditionnel au séjour.
M. Richard Yung. C’est dommage !
M. Brice Hortefeux, ministre. Et les limites – elles existent ! – sont justement précisées dans la directive de 2004, dont l’article 25 du projet de loi achève la transposition.
Ainsi que M. le rapporteur l’a évoqué, il existe deux critères : d’abord, la réserve d’ordre public ; ensuite, la notion de charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale. Je rappelle que la Commission européenne a insisté sur la nécessité de transposer la notion d’abus de droit.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 51 rectifié, 163 et 365.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 52 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
décision motivée
insérer les mots :
indiquant les délais et voies de recours
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 52 rectifié est retiré.
L’amendement n° 366, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
, ou un membre de sa famille
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Nous craignons que la rédaction prévue par l’article 25 n’autorise l’autorité administrative à prononcer une obligation de quitter le territoire français, ou OQTF, à l’encontre d’un ressortissant étranger du seul fait qu’il appartient à la famille d’un migrant ne disposant pas ou plus d’un droit au séjour.
Or, je le rappelle, la directive 2004/38/CE confère des droits non seulement aux ressortissants communautaires, mais également aux membres de leur famille. Il est nécessaire de transposer les dispositions de la directive protégeant ces derniers.
En effet, dans son rapport sur l’application de la directive précitée publié en 2008, la Commission a relevé le fait que certains États membres avaient pris du retard sur ce point : « La transposition concernant les droits des membres de la famille [n’est pas satisfaisante]. Treize états membres n’ont pas transposé correctement. » Mes chers collègues, inutile de vous dire que la France est citée parmi ces treize mauvais élèves !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Contrairement aux craintes des auteurs de l’amendement, la mention du « membre de sa famille » n’a aucunement pour objectif d’éloigner une personne du seul fait qu’elle est membre de la famille d’un migrant ne disposant pas d’un droit au séjour.
Il s’agit, au contraire, de faire bénéficier les membres de la famille du régime plus favorable dont bénéficient les ressortissants communautaires en la matière, comme c’est d’ailleurs déjà le cas en droit positif.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Courteau, si j’ai bien compris, vous souhaitez un régime qui soit protecteur des membres de la famille du ressortissant communautaire. Mais celui que vous proposez précisément de supprimer est en réalité plus protecteur que le droit commun.
Pour prendre un exemple dans le prolongement des propos de M. le rapporteur, quand on parle de membres de la famille d’un ressortissant communautaire, c’est par exemple le conjoint marocain d’un ressortissant allemand. Très concrètement, cela signifie que nous étendons aux ressortissants d’un pays tiers les règles plus favorables qui sont applicables aux ressortissants européens.
Je comprends bien le sens de votre proposition, mais, si elle était adoptée, nous en reviendrions au droit commun, et donc à un régime moins protecteur. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur votre amendement, que vous devriez, me semble-t-il, plutôt retirer.
M. le président. Monsieur Courteau, l’amendement n° 366 est-il maintenu ?
M. Roland Courteau. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 165, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec cet amendement, qui fait suite à notre amendement précédent, nous entendons refuser une disposition posant comme présomption que le ressortissant communautaire qui viendrait en France de manière répétée a pour seul but de se maintenir dans le pays sans remplir les conditions exigées pour les séjours supérieurs à trois mois : cela revient en effet à dire qu’il « abuserait » de son droit à la libre circulation. Voilà de nouveau la notion d’abus de droit !
Pour notre part, nous avons une interprétation différente. Notre droit est conforme à la directive européenne : celle-ci subordonne les droits sociaux à un séjour supérieur à trois mois, mais autorise, sans restrictions, tout ressortissant communautaire à séjourner moins de trois mois. L’alinéa 4 n’a donc rien à faire dans ce projet de loi.
M. le président. L’amendement n° 367, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4, deuxième et troisième phrases
Supprimer ces phrases.
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Les deux dernières phrases de l’alinéa 4 de l’article 25 viennent expliciter la notion d’abus de droit, qui justifierait l’expulsion de ressortissants communautaires et de leurs familles du territoire national. En réalité, sous leur ton neutre, elles visent directement la population Rom.
L’été dernier, le Gouvernement a cru pouvoir faire renaître la figure du voleur de poules et a mené à l’égard de cette population vulnérable une véritable politique du bouc émissaire.
Mais les Français ne se sont pas laissé leurrer par ce discours démagogique qui a été révélé au grand jour lors de la publication de la tristement fameuse circulaire du 5 août 2010, un texte tout à fait discriminatoire puisqu’il désigne expressément les Roms.
Le zèle déployé dans le démantèlement des campements Roms a valu à la France d’être condamnée de toutes parts et est à l’origine des menaces de la Commission européenne d’ouvrir une procédure en manquement à l’encontre de notre pays pour la mauvaise transposition de la directive Libre circulation.
Il semble que le Gouvernement, pour échapper à l’ire des poursuites communautaires et à la foudre d’une amende salée, se soit engagé à transposer de manière plus juste cette directive dans le cadre du projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
La mauvaise transposition de la directive précitée est, en effet, un élément essentiel du dossier, même si c’est bien l’acharnement du Gouvernement face aux Roms qui a provoqué le scandale. En effet, la France n’est pas le seul État de l’Union à pécher par une transposition incomplète, mais c’est le seul qui soit menacé de poursuites par la gardienne des traités communautaires qu’est la Commission.
Les Roms sont tout simplement des ressortissants communautaires et, en tant que tels, ils ont des droits.
Dans la directive de 2004, la notion d’abus de droit, qui nous occupe ici, n’est pas définie et le législateur communautaire s’est limité à citer les mariages de complaisance, c’est-à-dire les mariages blancs, et non les mariages gris, qui sont une invention tout ce qu’il y a de plus nationale, voire nationaliste.
Consciente de l’absence de définition claire et confrontée au problème de la non-transposition en droit national, la Commission européenne a publié en 2009 une communication donnant aux États membres des lignes directrices destinées à améliorer la transposition et l’application de la directive. Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé qu’il incombait à la juridiction nationale d’établir la preuve de l’abus de droit.
Ainsi, tant la Commission de Bruxelles que la Cour de Luxembourg ne conçoivent qu’un examen au cas par cas des accusations d’abus de droit.
Nous demandons donc la suppression des dernières phrases de l’alinéa 4 au motif qu’elles ne sont pas compatibles avec le droit communautaire. Au lieu de se mettre en règle, le Gouvernement, obsédé par sa volonté de bouter les Roms hors de France, continue de malmener la législation européenne au mépris des avertissements de la Commission.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Les deux amendements tendent à supprimer les nouvelles dispositions relatives à l’abus du droit au court séjour.
L’article 14 de la directive de 2004 précise : « Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu à l’article 6 tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. » Cette disposition a été reprise dans l’article 17 A, que nous avons déjà examiné, du projet de loi.
En revanche, il est vrai que la directive ne prévoit pas la possibilité d’éloigner directement les ressortissants communautaires sur ce fondement, mais seulement de manière quelque peu imprécise dans les dispositions de l’article 35.
En outre, il sera, me semble-t-il, difficile de prouver l’abus du droit au court séjour, les personnes concernées n’étant soumises à aucune formalité particulière ou enregistrement pour pouvoir séjourner moins de trois mois.
Il convient de garder à l’esprit qu’une personne qui rentre chez elle après deux mois et trois semaines et qui revient un mois plus tard utilise un droit que lui garantit le droit communautaire. Seule une personne qui effectue des passages répétés de part et d’autre d’une frontière dans un court laps de temps pourrait en tout état de cause être concernée par le présent article.
Par ailleurs, l’abus du système d’aide sociale sera également difficile à prouver.
C’est la raison pour laquelle la commission s’en remet à la sagesse du Sénat sur l’amendement n° 165, ainsi que sur l’amendement n° 367 qui lui est quasiment identique si ce n’est qu’il vise à conserver la notion d’abus de droit tout en supprimant sa qualification. Si l’un d’entre eux devait être adopté, la préférence de la commission irait à l’amendement n° 165.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Monsieur Courteau, je ne mets absolument pas en cause la sincérité de vos propos, mais je voudrais apporter une précision, car il y a, me semble-t-il, une ambigüité. Les institutions européennes, aussi bien la Commission européenne que la Cour de justice de l’Union européenne, n’ont à aucun moment engagé une quelconque procédure de sanction à l’égard de la France à l’occasion des opérations de retours vers la Roumanie de ressortissants roumains en situation irrégulière. Je ne sais pas d’où cette idée est venue, ni comment elle s’est répandue, mais je tenais à rappeler à la Haute Assemblée cette vérité.
Par ailleurs, j’ai ici le tableau, que je tiens à votre disposition, des mesures d’éloignement de citoyens de l’Union européenne prononcées en 2010. Sans vous en donner la lecture exhaustive, je tiens à souligner que, même si ces mesures concernent évidemment surtout les Roumains, elles ne se limitent pas à cette seule nationalité.
Un large éventail de nationalités est concerné. Par ordre décroissant, on trouve dans ce tableau 534 Bulgares, des Polonais, des Lituaniens, des Espagnols, des Italiens, des Britanniques – au nombre de 42 – et, en fin de tableau, avec des chiffres plus modestes, 4 Chypriotes – je les cite, je sais que ce sont vos amis, madame Assassi ! –, puis un Finlandais, un Norvégien, et un Suisse. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Et combien de Belges ?
M. Brice Hortefeux, ministre. S’agissant des amendements, le Gouvernement y est défavorable pour deux raisons. D’une part, comme je l’ai dit tout à l’heure, la notion d’abus de droit est prévue à l’article 35 de la directive de 2004 : il faut donc naturellement en tenir compte. D’autre part, la Commission européenne a elle-même insisté sur la nécessité de préciser cette notion.