M. Jean-Pierre Sueur. Comme l’a excellemment dit à l’instant Richard Yung, nous avons assisté à une sorte de partie de ping-pong entre la majorité du Sénat et la majorité de l’Assemblée nationale, et nous ne sommes convaincus ni par l’une ni par l’autre.
Dans les deux cas, il s’agit de « ratiboiser », certes différemment, l’ambition initiale de M. Accoyer.
Nous sommes donc les seuls à défendre cette ambition initiale, et nous nous tiendrons à cela.
Bien entendu, dans un cas comme dans l’autre, on réduit la portée de la proposition du président de l’Assemblée nationale qui visait, je le rappelle, à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et, surtout, d’évaluation des politiques publiques.
L’Assemblée nationale souhaite limiter l’efficacité du dispositif en réduisant le nombre d’instances intéressées, ainsi que l’autonomie d’action des rapporteurs.
La commission des lois du Sénat poursuit dans la même démarche restrictive : en effet, constatant que le texte de l’Assemblée nationale donne aux instances permanentes de contrôle et d’évaluation des prérogatives plus étendues que celles des rapporteurs des commissions permanentes, elle a préféré procéder à un alignement par le bas plutôt que par le haut. Or nous pensons qu’il faut regarder vers le haut.
La majorité de notre commission préfère procéder à un alignement par le bas, en ramenant les pouvoirs des instances permanentes de contrôle et d’évaluation au niveau des pouvoirs exercés par les commissions permanentes, qui sont plus encadrés, ce que l’Assemblée nationale considère, sans craindre la contradiction, comme étant des restrictions « excessives ».
Les instances permanentes de contrôle et d’évaluation pourront donc seulement demander à l’assemblée à laquelle elles appartiennent, et pour un délai de six mois, de leur attribuer les prérogatives des commissions d’enquête.
Ce nivellement par le bas est, à l’évidence, contraire à l’esprit de la proposition de loi de Bernard Accoyer. Il est d’ailleurs surprenant que les parlementaires de notre majorité, comme de la majorité de l’Assemblée nationale, s’emploient à restreindre les pouvoirs d’évaluation et de contrôle des assemblées qui devraient s’inscrire pourtant dans le prolongement de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, si l’on en croit leurs promoteurs.
En proposant cet amendement, nous souhaitons au contraire un ajustement par le haut, en proposant que toutes les instances de contrôle et d’évaluation soient en capacité d’exercer pleinement leurs prérogatives si elles le jugent opportun.
Il est préférable, si l’on souhaite véritablement revaloriser la mission de contrôle du Parlement, de conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête à toutes les instances que sont les commissions permanentes ou spéciales, ainsi que les instances créées au sein du Parlement ou de l’une de ses deux assemblées, pour contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par MM. Sueur, Collombat et Yung, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
les instances
supprimer le mot :
permanentes
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Cet amendement s’inscrit dans la logique de l’amendement précédent. Nous souhaitons étendre le champ d’application du dispositif aux missions d’information et autres missions non pérennes.
Ces missions d’information organisées par les commissions permanentes permettent à leurs rapporteurs et à leurs membres de se déplacer, en France ou à l’étranger, pour compléter l’information recueillie entre les murs mêmes du Sénat, afin de trouver un éclairage concret et pratique sur les questions qui sont en débat.
Comme on le voit ici, l’information rejoint le contrôle. Ces missions représentent souvent un instrument original du fait qu’elles adoptent le plus souvent des techniques d’investigation inspirées de celles des commissions d’enquête : elles procèdent à des séries d’auditions dont le compte rendu est largement diffusé ; elles effectuent des déplacements et des contrôles sur place.
Il n’existe donc pas de raison de limiter le nombre de structures concernées par la proposition de loi.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par MM. Sueur, Collombat, Yung et Frimat, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
au sein
insérer les mots :
du Parlement ou
La parole est à M. Jean-Claude Frécon.
M. Jean-Claude Frécon. Nous proposons de revenir au texte de la proposition de loi initiale, présentée par le président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer, qui visait les instances, qu’elles soient permanentes ou temporaires, créées au sein du Parlement ou de l’une de ses deux assemblées pour contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. Cette formule recouvre tant les structures propres à l’une ou à l’autre des assemblées que les structures communes aux deux assemblées.
Nous rappelons les termes de l’article 24, premier alinéa, de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». En matière de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, le constituant vise donc bien, explicitement, le Parlement.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par MM. Sueur, Collombat, Yung et Frimat, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. La restriction apportée par les mots « dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une seule commission permanente », a été introduite par l’Assemblée nationale sur proposition de sa commission des finances.
Le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale a approuvé la réduction du périmètre de la proposition en ajoutant : « sans que la disposition perde pour autant de son efficacité ».
Nous ne comprenons pas ce membre de phrase. Le rapporteur de l’Assemblée nationale ne peut pas dire qu’il réduit le champ de la proposition sans que cela perde de l’efficacité. C’est illogique !
Aucune explication pertinente n’a d’ailleurs été avancée au cours des débats. L’Assemblée nationale s’est contentée de mettre en forme, dans l’ordonnance du 17 novembre 1958, la définition qui correspond à son comité d’évaluation et de contrôle et qui est inscrite dans l’article 146-3 de son règlement : « De sa propre initiative ou à la demande d’une commission permanente, le comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques réalise des travaux d’évaluation portant sur des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une seule commission permanente. »
En l’occurrence, notre rapporteur devrait se lever en disant que ce qui vaut pour une assemblée ne vaut pas nécessairement pour l’autre ! Que le règlement de l’Assemblée nationale soit ainsi rédigé, c’est très bien pour elle si telle est sa pensée. Cependant, notre parlement comporte deux assemblées, qui ont des règlements distincts et des pratiques différentes.
Je ne comprends pas pourquoi l’autonomie des chambres ne serait pas respectée, pourquoi le Sénat ne pourrait pas maintenir sa position à cet égard. Nous devons avoir à cœur de la maintenir, dans la perspective d’une autre lecture à l’Assemblée nationale et de la réunion à venir de la commission mixte paritaire.
Pour notre part, nous allons y contribuer, parce que c’est la logique même.
Si l’on souhaite donner au Parlement toute sa place dans ses fonctions de contrôle du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, rien ne justifie de limiter la portée du pouvoir de convocation en audition, identique à celui des commissions permanentes ou spéciales, aux seules instances de contrôle et d’évaluation dotées de compétences transversales.
M. le président. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Sueur, Collombat, Yung et Frimat, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. - Les rapporteurs désignés par les instances permanentes créées au sein de l'une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l'action du Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d'une seule commission permanente disposent, dans les conditions définies à l'alinéa précédent, des prérogatives visées à l'article 6. »
La parole est à M. Jean-Claude Frécon.
M. Jean-Claude Frécon. L’alinéa 5 de l’article 1er ne mentionne pas les co-rapporteurs.
Pourtant, c’est un usage, au moins dans notre assemblée, d’instituer des co-rapporteurs, issus d’un groupe majoritaire et d’un groupe d’opposition. Nous saluons là une bonne pratique parlementaire et une avancée en matière de contrôle démocratique et du droit de l’opposition.
Il arrive que les deux rapporteurs, bien que de bords différents, se rejoignent logiquement sur certains sujets consensuels. Pour autant, la recherche absolue d’un consensus risque d’annihiler les volontés et de faire perdre d’un côté ce que l’on pensait gagner de l’autre.
Si l’on souhaite conférer à la notion de contrôle toute sa plénitude, il convient de faire figurer dans le texte la latitude laissée à chacun des rapporteurs d’agir sans lier la capacité d’action de l’un à la volonté de l’autre.
Les rapporteurs jouent un rôle important en se livrant à un travail préparatoire considérable : ils étudient les textes en vigueur, doivent pouvoir s’entourer de tous les avis qu’ils jugent nécessaires et être en mesure de procéder, de leur propre initiative, à des auditions, s’il y a lieu.
À l’évidence, ils travaillent ensemble chaque fois que c’est possible. En revanche, s’ils n’ont pas une vision consensuelle, il faut les autoriser à procéder chacun de leur côté.
Comme pour tous les amendements présentés aujourd’hui par le groupe socialiste, nous raisonnons par construction et addition, et non par soustraction et suspicion !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Très belle formule !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. L’amendement n° 1 rectifié étend le bénéfice des pouvoirs de contrôle des commissions d’enquête aux commissions permanentes ou spéciales, à toutes les instances de contrôle et d’évaluation temporaires, y compris les missions d’information, ainsi qu’aux structures de contrôle et d’évaluation communes aux deux assemblées. L’ensemble de ces structures auraient donc les pouvoirs d’enquête sur pièces et sur place des commissions d’enquête.
Une telle extension paraît totalement excessive. Elle risquerait de compromettre l’efficacité des dispositifs de contrôle renforcés attribués aux commissions d’enquête et qui doivent être utilisés à bon escient.
La banalisation des pouvoirs des commissions d’enquête ne paraît pas opportune. La commission des lois a retenu un mécanisme plus restreint n’ouvrant le bénéfice de ces prérogatives ni aux organismes bicaméraux régis par des dispositions spécifiques ni aux missions d’information qui sont subordonnées aux commissions permanentes. Le dispositif retenu donne ainsi aux instances permanentes de contrôle la possibilité d’obtenir, pour une période de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête. C’est un alignement sur le régime des commissions permanentes.
En outre, je doute de la constitutionnalité de cet amendement, qui vise à donner à des organes créés par les règlements des assemblées ou par la loi les mêmes pouvoirs que ceux dont disposent les commissions d’enquête, soit des pouvoirs plus étendus que ceux qui sont actuellement attribués aux commissions permanentes.
Le Conseil constitutionnel a estimé que pareille extension ne relève pas du règlement de l’une ou de l’autre des assemblées, mais nécessite une loi. Comme il ne s’agit pas d’une loi organique qui intéresse le Sénat, la loi s’impose aux deux chambres.
La proposition que vous faites, aussi intéressante soit-elle, ne correspond nullement au choix fait par le constituant en 2008.
Elle ne répond pas non plus, contrairement à ce que vous avez dit, au désir de M Accoyer, lequel, comme l’a expliqué M. le ministre tout à l’heure, a voulu faire en sorte de doter le comité d’évaluation des mêmes pouvoirs qu’une commission d’enquête pendant une période de six mois. Tel sera bien le cas, car cela ne soulève aucune difficulté. En réalité, nous donnons satisfaction au président de l’Assemblée nationale en respectant totalement son initiative.
Par ailleurs, vous voulez nous entraîner dans une voie extrêmement périlleuse, qui permettra d’autant moins aux administrations contrôlées de s’y retrouver que vont se succéder la commission permanente, la commission des finances, le comité d’évaluation, etc. Après que chaque organe aura demandé des explications sur pièces et sur place, on finira par ne plus savoir qui décide ! Il faut garder une certaine unité au système actuellement en place.
À ce propos, je remarque, monsieur Sueur, que vous avez distingué l’Assemblée nationale du Sénat, en affirmant que, finalement, ce dernier ne fonctionnait pas si mal !
C’est la raison pour laquelle nous en revenons à la proposition de la commission des lois.
J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 1 rectifié.
Les amendements nos 2, 3, 4 et 5 rectifié, déjà déposés en première lecture et repoussés par le Sénat, ainsi que par l’Assemblée nationale, tendent à étendre aux missions d’information, d’évaluation et de contrôle les pouvoirs qui sont prévus à l’article 1er.
Ces instances étant subordonnées aux commissions permanentes, il paraît complètement irréaliste de vouloir leur confier des pouvoirs identiques à ceux des organes dont ils procèdent.
Quant aux instances bicamérales, elles se réduisent à une seule instance, l’Office d’évaluation des choix scientifiques. En l’occurrence, je ne vois guère comment cette disposition pourrait s’y appliquer.
La commission est également défavorable à la suppression de la restriction introduite par l’Assemblée nationale pour les instances dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une commission permanente.
Enfin, évoquer la liberté des co-rapporteurs me paraît, là encore, irréaliste. Une telle disposition impliquerait l’élaboration de deux, voire trois rapports, selon le nombre de rapporteurs ! Or il est indispensable que les rapporteurs travaillent ensemble !
Pour toutes ces raisons, j’émets également un avis défavorable sur les amendements nos 2, 3, 4 et 5 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement admire la démonstration faite par M. le rapporteur.
Dans la même logique, je veux vous répondre, monsieur Sueur, monsieur Yung et monsieur Frécon, que nous sommes en présence de deux conceptions qui s’opposent.
Il est légitime que vous présentiez la vôtre, et je ne vous en fais pas grief. Mais il est également légitime que nous défendions la nôtre.
La vôtre consiste à vouloir uniformiser et banaliser le fonctionnement des deux chambres du Parlement. C’est aller à l’encontre de la hiérarchie que nous voulons, quant à nous, instaurer dans l’organisation des différentes instances au travers des pouvoirs qui leur sont conférés.
Votre conception ne répond pas aux mêmes exigences et ne procède pas des mêmes méthodes de travail que la nôtre. À nos yeux, l’efficacité ne s’accommode pas de l’uniformisation et de la banalisation, qui tend à donner à toutes les instances parlementaires les mêmes pouvoirs, selon des formes et des modalités de fonctionnement identiques.
Il entend préserver la hiérarchie entre les instances parlementaires de contrôle et d’évaluation, dans l’esprit d’ailleurs de l’ordonnance de 1958, qui a permis de différencier les organes de nos assemblées.
Ce n’est pas pour rien que le constituant a souhaité, par le biais de tous les textes qui ont accompagné la mise en œuvre de la Constitution, établir une hiérarchie entre ces organes dans le cadre de leurs responsabilités respectives et de leurs modalités de fonctionnement.
Je ne rentrerai pas dans le détail des amendements, qui sont tous de même nature, à l’exception du dernier, visant à donner les mêmes pouvoirs aux co-rapporteurs. À cet égard, comme M. le rapporteur l’a excellemment indiqué, un tel dispositif conduirait à demander deux ou plusieurs rapports distincts, ce qui n’est pas l’objectif.
Je crois avoir été, avant même que la Constitution ne permette ce genre d’initiative, lorsque j’étais président de commission à l’Assemblée nationale voilà six ou sept ans, l’un des premiers à créer les rapporteurs de l’exécution de la loi. L’expérience que j’avais mise en œuvre à l’époque a été suivie selon des modalités de fonctionnement propres à favoriser le consensus, et évitant la confusion et la confrontation.
Pour permettre au Parlement de contrôler l’exécution de la loi ou des politiques publiques dans les meilleures conditions, il est essentiel que l’on soit capable, que l’on appartienne à l’opposition ou à la majorité, de parvenir aux mêmes constats et aux mêmes conclusions dans le cadre d’un rapport commun. Sinon, cela signifie qu’on est partisan, auquel cas l’exercice n’est plus de même nature.
Enfin, je tiens à vous remercier, monsieur Sueur, d’avoir voulu soutenir le président Accoyer ! Je lui ferai part, dès demain, de votre énergie pour défendre sa pensée et sa proposition de loi. (Sourires.) Cela étant, je vous rassure, la majorité ne se débrouille pas trop mal pour répondre au désir du président de l’Assemblée nationale. Pour m’être entretenu avec lui tout à l’heure, je crois pouvoir dire qu’il est plutôt satisfait de l’évolution des choses.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les amendements nos 1 rectifié, 2, 3, 4 et 5 rectifié.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 3
Le chapitre II du titre III du livre Ier du code des juridictions financières est complété par un article L. 132-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 132-5. – Au titre de l’assistance au Parlement dans le domaine de l’évaluation des politiques publiques prévue par l’article 47-2 de la Constitution, la Cour des comptes peut être saisie d’une demande d’évaluation d’une politique publique par le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat, de leur propre initiative ou sur proposition d’une commission permanente dans son domaine de compétence ou de toute instance permanente créée au sein d’une des deux assemblées parlementaires pour procéder à l’évaluation de politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une seule commission permanente.
« Les demandes formulées au titre de l’alinéa précédent ne peuvent porter ni sur le suivi et le contrôle de l’exécution des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, ni sur l’évaluation de toute question relative aux finances publiques ou aux finances de la sécurité sociale.
« L’assistance de la Cour des comptes prend la forme d’un rapport. Ce rapport est communiqué à l’autorité qui est à l’origine de la demande, dans un délai qu’elle détermine après consultation du premier président de la Cour des comptes et qui ne peut excéder douze mois à compter de la saisine de la Cour des comptes.
« Le Président de l’Assemblée nationale ou le Président du Sénat, lorsqu’il est à l’initiative de la demande d’assistance de la Cour des comptes, et dans les autres cas la commission permanente ou l’instance permanente à l’origine de la demande d’assistance de la Cour des comptes statue sur la publication du rapport qui lui a été transmis. »
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par MM. Sueur, Collombat, Yung et Frimat, Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après les mots :
Président du Sénat
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
ou par une commission permanente dans son domaine de compétence ou par toute instance créée au sein du Parlement ou de l'une de ses deux assemblées pour procéder à l'évaluation des politiques publiques.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Partisans, comme M. le ministre, de la diversité, nous voudrions élargir les conditions de saisine de la Cour des comptes afin de renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle et d’action du Gouvernement.
Nous souhaiterions, d’une part, supprimer le caractère permanent et la compétence transversale exigés pour les instances d’évaluation telles qu’elles sont mentionnées ici et, d’autre part, permettre aux commissions permanentes de saisir elles-mêmes la Cour des comptes. La commission des finances du Sénat, par exemple, pourrait demander l’appui de la Cour sur tel ou tel travail d’évaluation et de contrôle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet amendement est intéressant, mais il se heurte à une difficulté : il tend à supprimer le filtrage par les présidents des assemblées des demandes d’assistance adressées à la Cour des Comptes en matière d’évaluation des politiques publiques.
Si cet amendement paraît ambitieux pour la mise en œuvre des pouvoirs de contrôle du Parlement, il ne tient malheureusement pas compte des capacités, nécessairement limitées, de la Cour des comptes. (M. Richard Yung lève les bras au ciel.) Une régulation des demandes d’assistance qui seront adressées à la Cour paraît en effet indispensable afin que cette dernière ne soit pas surchargée de demandes qu’elle ne pourrait alors traiter avec la rigueur requise.
Pour cette raison matérielle, je suis obligé d’émettre un avis défavorable sur cet amendement.
M. Richard Yung. C’est dommage !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je le regrette, monsieur Yung. Mais je ne peux engager les finances de l’État en demandant le doublement du nombre de chambres de la Cour des comptes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur le président, je serais très bref, car le Gouvernement est défavorable à cet amendement exactement pour les mêmes raisons que celles que vient d’exposer M. le rapporteur. Je n’ai rien à ajouter.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis étonné de l’argument qui est invoqué.
M. Richard Yung. Et qui est faible, vraiment faible !
M. Jean-Pierre Sueur. Les présidents des commissions du Sénat sont généralement avisés, responsables et compétents ; ils savent aussi gérer les choses avec le sens de l’économie. Selon M. le rapporteur et M. le ministre, permettre aux commissions de demander l’expertise, l’avis, l’appui de la Cour des comptes sans que les présidents des assemblées exercent leur pouvoir de régulation ne pourrait qu’entraîner une inflation des demandes telle qu’il faudrait multiplier le nombre de magistrats de la Cour, sinon l’embouteillage serait considérable.
Mes chers collègues, il me semble que les commissions feront usage de la possibilité qui leur est offerte avec intelligence et en tant que de besoin. L’agenda des présidents des deux chambres du Parlement est très chargé ; malgré cela, M. Accoyer a tout de même réussi à trouver le temps d’élaborer des propositions de loi, ce qui est admirable. Faudrait-il qu’ils aient, en plus, pour ne pas embouteiller la Cour des comptes, à réguler les deux ou trois demandes qui émaneraient des différentes commissions ?
Franchement, chacun voit bien le caractère ad hoc de cette argumentation. Selon nous, il ne faudrait pas donner l’impression de mettre en quelque sorte sous « tutelle » les commissions de nos deux assemblées.
Tel est le sens de notre amendement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Sueur, je comprends votre logique. Je pourrais l’accepter si je ne pouvais trouver des exemples dans différents domaines, mais je ne m’étendrai pas sur ce point.
Je crois bien connaître le fonctionnement des commissions parlementaires : chacune est dans sa thématique et suit sa logique. Par exemple, la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire doit contrôler, si je me souviens bien, quelque quatorze ministères : elle demandera l’assistance de la Cour des comptes pour les questions relatives à ces différents ministères, sans se soucier de ce que fera la commission des affaires sociales, qui, elle aussi, aurait bien des raisons de demander le soutien de la Cour. Ces deux commissions – et ce n’est pas à vous que j’apprendrai comment cela fonctionne, monsieur Sueur – ne pourront savoir si la commission des finances, par exemple, a également fait une demande en ce sens.
La Cour des comptes ne pouvant, compte tenu du personnel dont elle dispose, multiplier les missions d’assistance, il faut donc bien un coordonnateur – ce que vous appelez, monsieur le rapporteur, un filtre –, qui puisse expliquer aux présidents de commission qu’il n’est pas possible de faire droit à leur demande eu égard à l’embouteillage qu’elle pourrait provoquer. Cela s’appelle de l’organisation, monsieur Sueur. Vous êtes vous-même un tenant de l’organisation : c’est un souci qui vous préoccupe, notamment au niveau des collectivités territoriales. Je connais votre compétence dans ce domaine et je sais très bien qu’au fond vous approuvez mes propos.
On ne peut laisser le hasard régir ainsi les institutions de la République et autoriser les commissions à faire appel, à l’envi, à la Cour des comptes sans qu’une autorité veille à ce que la Cour ne soit pas surchargée. Cela relève du bon sens. N’y voyez pas la volonté de m’opposer politiquement à ce que vous proposez, messieurs Sueur, Frécon et Yung. Il s’agit simplement du désir d’organiser de façon apaisée et responsable les institutions de la République.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je tire la conclusion de ce débat que, d’une façon générale, le Parlement n’a pas les moyens de mener sa mission de contrôle, et M. le ministre vient de nous le dire puisqu’il a parlé d’embouteillage. Les commissions ne pourront donc faire qu’une toute petite partie de ce travail. Nous le savons bien d’ailleurs, car c’est ce qui se passe dans la réalité.
J’ajoute que vous mettez ainsi les présidents des deux assemblées dans une position qui ne sera pas toujours très confortable : celle d’arbitrer entre plusieurs demandes de contrôle. Nous leur souhaitons bien du courage !
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons exprimé nos positions non seulement sur l’article 1er, mais également sur l’article 3. À cet égard, je voudrais prolonger la réflexion de M. Yung : il faut être vigilant, car les présidents de nos assemblées vont, en effet, devoir arbitrer. Supposons que la commission des lois, dans sa sagesse, demande une expertise à la Cour des comptes sur les crédits de la direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, et sur l’économie susceptible d’être réalisée si, par exemple, il n’était pas demandé à cette direction de s’intéresser aux cas des journalistes, des membres du cabinet du garde des sceaux ou de certains magistrats…
M. Richard Yung. Vous dites cela vraiment au hasard. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. En effet. (Même mouvement.)
Supposons qu’une autre demande relative à un sujet tout aussi intéressant concernant l’administration de notre pays soit également formulée. Alors, le président de l’assemblée concernée pourrait être amené à exercer un choix entre ces deux demandes. S’il choisit la seconde plutôt que la première, on lui dira qu’il n’a pas voulu qu’une enquête soit menée sur la DCRI ! On mettra donc le président de l’assemblée dans la situation de choisir parfois sur des dossiers sensibles.
Mais je ne m’étendrai pas sur ce point, car notre argumentation suit une autre logique, que nous avons exposée : nous défendons fermement M. Accoyer. Nous regrettons que son ambition ait été quelque peu émoussée par les débats de l'Assemblée nationale et du Sénat. Même s’il ne reste que les représentants du groupe socialiste pour défendre les quelques avancées qui avaient été proposées par Bernard Accoyer, nous répondons présents !
Bien entendu, l’opération qui a consisté à effeuiller quelque peu l’arbre planté par le président de l'Assemblée nationale aboutit au résultat que nous connaissons : au lieu d’une avancée, limitée, c’est un petit pas, mais qui va dans le bon sens. En tant que réformistes conséquents, nous ne pouvons nous y opposer : c'est pourquoi nous ne voterons pas contre la proposition de loi. Mais pour marquer le fait que vous avez tout de même, je le répète, émoussé – le mot est faible ! – l’ambition de départ, nous nous abstiendrons, comme nous l’avons fait lors de la lecture précédente.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)