M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. J’ai cru comprendre que M. le ministre déposait un sous-amendement pour inscrire dans la loi l’engagement des opérateurs.
M. Hervé Maurey. Ce sont les aléas du direct !
M. le président. C’est sur le sous-amendement que porte le quiproquo. Monsieur Maurey, c’est votre sous-amendement qui conditionne l’avis favorable du Gouvernement à l’amendement no 5 rectifié.
M. Hervé Maurey. Ce n’est pas ce qu’a dit le ministre !
M. Patrick Ollier, ministre. C’est en tout cas ce que je voulais dire. Je suis favorable au sous-amendement no 21 rectifié et à l’amendement no 5 rectifié, modifié par le sous-amendement.
M. Hervé Maurey. Ce que vous avez voulu dire n’est pas ce que j’ai entendu.
Je vais faire preuve de magnanimité en retirant l’amendement n° 22, le ministre nous ayant assuré que les opérateurs avaient pris des engagements. J’espère qu’ils les tiendront !
Je profite de cette occasion pour remercier M. le ministre, qui a la correction – pour ne pas dire la gentillesse ! – d’apporter de vraies réponses sur les amendements. Ce n’est pas toujours le cas : il nous est arrivé récemment de voir, au banc du Gouvernement, un ministre qui se contentait de dire « favorable » ou « défavorable », ce que je trouve un peu court.
M. Roland Courteau. Absolument !
M. le président. L’amendement no 22 est retiré.
Monsieur Maurey, M. le ministre a, dans une vie antérieure, présidé la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale : il comprend donc les soucis des parlementaires ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 21 rectifié.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 3.
L’amendement n° 7, présenté par M. Hérisson, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé : Au deuxième alinéa de l'article L. 121-84-7 du code de la consommation, après les mots : « ne peut facturer au consommateur », sont insérés les mots : «, à l'occasion de la résiliation, ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Cet amendement vise à encadrer les frais de résiliation des abonnements internet et de téléphonie mobile.
Conformément à la préconisation de l’ARCEP, il tend à simplifier les dispositions existantes en prévoyant que les frais d’activation à perception différée sont bien assujettis aux règles encadrant les frais de résiliation classiques. Il précise ainsi que le fournisseur ne peut facturer au consommateur, à l’occasion de la résiliation, que les frais correspondant aux coûts qu’il a effectivement supportés au titre de la résiliation du contrat.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Je vais tenter de répondre, une nouvelle fois, au souhait de M. Maurey en donnant une réponse précise ... Cet amendement permet d’assimiler les frais d’activation à perception différée à des frais de résiliation.
Ces frais d’activation payés au moment de la résiliation échappent au champ d’application de l’article que cet amendement tend à compléter. Cela constitue une difficulté qui a été soulignée par l’ARCEP, dans son rapport de juillet 2010 sur l’article 17 de la loi Chatel du 3 janvier 2008.
Pour ces raisons, le Gouvernement est favorable à cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 3.
L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Teston, Raoul, Guillaume et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À compter du 1er juin 2011, tout téléphone portable mis en vente sur le marché est équipé d'une prise standard pour sa recharge.
Un décret précise la norme technique européenne retenue.
La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. La disposition que nous soutenons dans cet amendement a fait l’objet de nombreuses discussions dans cette enceinte. Je ne reviens pas sur son intérêt pratique. Nous savons tous que les prises des chargeurs des téléphones mobiles d’une même marque ne sont pas toujours compatibles. Il faut mettre un terme à ce gaspillage.
La dernière fois que nous avions défendu un amendement analogue, le Gouvernement nous avait demandé de le retirer en attendant que les négociations entre les constructeurs avancent sur le plan européen. Elles étaient, paraît-il, en cours...
Confiant, le Gouvernement s’était engagé, à l’époque, à mettre la question à l’ordre du jour de tous les conseils des ministres de l’environnement de l’Union européenne. Nos collaborateurs se sont livrés à un exercice de vérification : il en résulte qu’à aucun moment, au cours de l’année 2009, qui a suivi nos discussions, le conseil des ministres n’a été saisi de la question ; la délégation française n’a même pas produit la moindre note sur le sujet. Manifestement, le Gouvernement ne tient pas ses promesses !
Cette disposition n’est pourtant pas très compliquée à mettre en œuvre sur le plan technique, puisque les plus grands constructeurs se sont mis d’accord sur une norme. Pourtant, le chargeur universel n’existe toujours pas !
Depuis, la presse n’a de cesse de faire des annonces en ce sens, mais je vous mets au défi de trouver dans le commerce un seul de ces fameux chargeurs universels.
Si vous tapez les mots « chargeur universel » sur n’importe quel moteur de recherche, vous trouverez un nombre impressionnant d’annonces, certaines prévoyant l’arrivée de ce chargeur dès 2010, d’autres à ’horizon 2012. Un accord a certes été passé avec les constructeurs, mais pour quel résultat ?
L’enjeu est de taille puisque 80 millions de téléphones portables usagés, soit autant de chargeurs, de batteries et de matériels divers de connectique dorment dans nos tiroirs.
C’est pourquoi, avec Michel Teston et Daniel Raoul, nous vous proposons d’agir sans attendre et d’interdire la commercialisation de tous les terminaux qui ne seraient pas dotés d’un chargeur universel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Nous comprenons tout à fait la démarche des auteurs de cet amendement. Il est en effet insupportable de ne pouvoir charger son téléphone qu’avec une prise adaptée.
Il nous semble cependant que la standardisation des chargeurs ne peut être décidée qu’à l’échelle européenne, voire internationale. De plus, il se pourrait que le fait d’imposer une telle norme sur le territoire national ne soit pas compatible avec les exigences communautaires en matière de libre circulation des produits. La commission souhaite entendre l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Votre remarque est frappée au coin du bon sens, monsieur le rapporteur, et je partage votre point de vue.
Je vous ai répondu tout à l’heure, monsieur Teston, lors de la discussion générale. Nous sommes d’accord avec l’objectif que vous visez, mais il ne nous semble pas nécessaire de légiférer pour l’instant.
La Commission européenne a déjà engagé ce travail en invitant les industriels à prendre l’engagement de résoudre le problème de la compatibilité des chargeurs, ce qui nous permet de ne pas devoir légiférer sur ce point.
Premièrement, les principaux fabricants de téléphones portables ont convenu d’uniformiser les unités d’alimentation de téléphones portables au sein de l’Union européenne.
Deuxièmement, cet engagement volontaire a été formalisé par un protocole d’accord remis à la Commission européenne en juin 2009. La décision est donc en cours de formation. La mise en œuvre de cet accord implique l’élaboration ou la modification de normes qui devront assurer la sécurité de ce nouveau chargeur universel et sa compatibilité avec les différents terminaux de téléphone mobile. Un mandat a donc été adressé, en octobre 2009, par la Commission européenne aux organismes de normalisation pour concevoir ces normes. Leur publication est attendue pour le début de 2011, c’est-à-dire dans quelques mois.
Troisièmement, on ne peut pas imaginer que le territoire national soit soumis à des normes particulières incompatibles avec les réglementations européennes et, a fortiori, mondiales. En raison de l’engagement volontaire des fabricants et de la bonne avancée des travaux, il n’est pas nécessaire d’élaborer une réglementation nationale. D’ailleurs, une législation spécifique pourrait être contraire à la directive concernant les équipements hertziens et les équipements terminaux de télécommunications et la reconnaissance mutuelle de leur conformité.
C’est pourquoi, monsieur Courteau, le Gouvernement vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Monsieur Courteau, l'amendement n° 1 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Roland Courteau. Cela fait des années que l’on nous apporte les mêmes réponses.
M. Roland Courteau. Espérons-le ! Nous retirons l’amendement, mais en souhaitant que ce soit bien la dernière fois.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 24 rectifié, présenté par M. Maurey, est ainsi libellé :
Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La mesure de la zone de couverture visée à l'article L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques est faite au niveau de la commune.
Une commune est réputée couverte quand, sur l'ensemble de son territoire, sont offerts au public les services répondant aux obligations de permanence, de qualité et de disponibilité visées aux articles L. 41 et suivants du même code.
Un décret du ministre chargé des communications électroniques fixe les modalités d'application de cet article.
La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Cet amendement revient sur une question que nous avons évoquée au cours de la discussion générale.
Aujourd'hui, une commune est considérée comme couverte par la téléphonie mobile dès lors qu’un point de son territoire est couvert. Cette conception n’est évidemment pas satisfaisante.
Par le présent amendement, nous voulons qu’une commune soit considérée comme couverte que si la totalité de son territoire est effectivement couverte.
Dans un premier temps, j’avais proposé une autre rédaction, envisageant qu’était réputée couverte une commune dont une part substantielle disposait d’une couverture effective. Mais ce texte posait des difficultés et les travaux qui ont eu lieu en commission ce matin m’ont conduit à revenir sur ma rédaction initiale.
Cet amendement n’instaure pas l’obligation de couvrir la totalité du territoire, ce qui serait extrêmement difficile dans l’immédiat. Mais je souhaite que les statistiques, dont on nous a encore abreuvés au cours de cette séance, ne permettent pas de considérer comme couvertes des communes qui, en réalité, ne le sont pas.
Il s’agit d’une opération de transparence, de vérité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Cet amendement, qui a pour objet de ne pas considérer comme couverte par le réseau mobile une commune dont une partie minoritaire du territoire est couverte, est tout à fait pertinent.
Dans sa version modifiée, l’amendement tend à ne considérer comme couvertes que les communes dont tout le territoire est effectivement couvert. Il forme, avec l’amendement n° 25 de notre collègue Bruno Sido, un dispositif complet pour garantir une couverture réellement extensive de notre territoire en matière de téléphonie mobile.
Si ces dispositions étaient adoptées définitivement, le Parlement donnerait aux opérateurs un signal fort, sans ignorer pour autant les contraintes qu’elles engendreraient pour ces derniers.
La commission émet donc un avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Maurey, comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, je ne disconviens pas de l’importance de cette question.
Selon le programme de couverture des zones blanches, une commune est considérée comme couverte si son centre-bourg l’est. Je comprends qu’une telle conception soit source de problèmes pour les habitants d’un hameau isolé. On se heurte cependant à une difficulté. Faut-il prendre en compte la couverture du plus grand nombre de nos concitoyens et celle de la plus grande superficie du territoire ?
Mais votre amendement va bien au-delà du programme de couverture des zones blanches, puisqu’il vise toutes les décisions d’attribution des fréquences prises par l’ARCEP, y compris lorsqu’il s’agit des réseaux par satellite, ce n’est pas très pertinent.
S’agissant de la téléphonie mobile, il conduirait à revoir toutes les obligations de couverture inscrites dans les licences des opérateurs, et pas uniquement celles qui résultent du programme des couvertures des zones blanches, puisque ces obligations ne reposent pas sur une base communale.
Tout le monde entend le signal que vous lancez. Néanmoins, je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement n° 24 rectifié. Je vous propose, en partenariat avec le Gouvernement, de travailler sur ces questions pour définir une approche de la couverture plus satisfaisante et, surtout, moins trompeuse pour les habitants des zones les moins denses.
M. le président. Monsieur Maurey, l'amendement n° 24 rectifié est-il maintenu ? (Sourires.)
M. Hervé Maurey. Je le maintiens, monsieur le président. Je souhaite simplement établir la réalité des choses. Loin de moi l’idée de vouloir une couverture totale et absolue du territoire dès la promulgation de la loi. Mais que l’on cesse de nous fournir des statistiques « pipées », si vous me permettez cette expression quelque peu triviale, et de considérer qu’une commune est couverte si son maire a une accroche au réseau du haut du clocher de sa commune. C’est faux ! Je demande simplement une opération vérité.
M. Jean-Pierre Michel. Tout à fait !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Daniel Marsin, pour explication de vote.
M. Daniel Marsin. Conscient des contraintes horaires, je serai bref.
Monsieur le ministre, vous avez su faire preuve d’écoute et apporter des réponses précises à nos interrogations. Je suis extrêmement heureux que notre travail, qui a été constructif, ait permis d’enrichir le texte et de trouver un équilibre entre les réalités économiques et la nécessité de garantir les droits des consommateurs.
Eu égard à l’ambiance qui a présidé à nos travaux, je souhaite que, lors du vote, s’exprime une belle unanimité. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je veux remercier l’auteur de la proposition de loi et l’ensemble de nos collègues qui ont participé aux travaux de la commission.
Cette proposition de loi vise à réaffirmer certains principes. Un certain nombre d’élus, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, sont très attentifs à l’évolution du monde des télécommunications. Les opérateurs, auxquels le présent texte adresse un signal fort, doivent comprendre que l’on ne peut se contenter de promesses, de reports. La loi a également pour rôle de fixer des règles d’organisation, en particulier en matière d’’aménagement du territoire. Il faut réduire la fracture numérique et permettre à tous nos concitoyens d’avoir accès à la téléphonie mobile, au haut débit, à internet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Je tiens à remercier M. Marsin et ses collègues d’avoir déposé la présente proposition de loi. Je remercie également le Sénat de l’accueil qu’il m’a réservé alors que les télécommunications ne relèvent pas de mon domaine de compétence.
Je puis vous assurer que Frédéric Lefebvre étudiera avec attention la suite qui devra être donnée à ce débat. Il sera très vigilant pour que les objectifs des auteurs de cette proposition de loi soient pris en compte par le Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis du consensus qui s’est exprimé. En définitive, au-delà de nos sensibilités, notre souci commun est de veiller à la protection et à la défense des consommateurs, notamment dans le secteur de la téléphonie mobile. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous remercie tous de l’effort de concision dont vous avez fait preuve, car l’espoir d’achever l’examen de ce texte dans le temps imparti était faible. Cela montre que si l’on veut vraiment réussir, on le peut !
Au nom de la Haute Assemblée, permettez-moi d’adresser à M. Frédéric Lefebvre tous nos vœux de prompt rétablissement et de souhaiter qu’il veille à mettre en musique la proposition de loi de M. Marsin.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Nomination de membres d’un office parlementaire et d’une délégation sénatoriale
M. le président. Je vous rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Pour la délégation sénatoriale à la prospective, la présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, elles ont ratifié, et je proclame MM. Christian Demuynck. et Hervé Maurey membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, MM. Daniel Dubois, Jean-Pierre Leleux Michel Magras, membres de la délégation sénatoriale à la prospective.
8
Modernisation des professions judiciaires et juridiques
Exécution des décisions de justice
Discussion d'un projet de loi et, en deuxième lecture, d’une proposition de loi
(Textes de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de l’UMP, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées (projet n° 602 [2009-2010], texte de la commission n° 132, rapport n° 131), et, en deuxième lecture, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires (proposition n° 601 [2009-2010], texte de la commission n° 130, rapport n° 129).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, adapter les professions du droit aux évolutions économiques et sociales est indispensable au bon fonctionnement de la justice : ce constat a motivé les propositions du rapport de la commission, présidée par Maître Darrois, créée à la demande du Président de la République, et il inspire les dispositions soumises aujourd’hui à votre examen.
Les réformes engagées tant par le projet de modernisation des professions que par la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice et aux conditions d’exercice de certaines professions sont attendues : elles ouvrent de nouvelles perspectives aux professionnels du droit et une sécurité juridique accrue pour nos concitoyens.
Ces textes reposent sur un consensus partagé. Vous partagez, monsieur le rapporteur, cette conviction : la modernisation des professions est nécessaire et les grandes innovations apportées par les deux textes pour y parvenir sont adaptées. Une concertation approfondie entre le Gouvernement, les parlementaires, les présidents des commissions des lois, les rapporteurs et les représentants des professions a eu lieu, et cette concertation a permis d’aboutir à des solutions équilibrées. Le Gouvernement entend bien se tenir à cet accord, tel qu’il a été établi avec l’ensemble des professions.
Il s’agit tout d’abord de moderniser les professions du droit et leurs outils.
Les professionnels du droit sont une garantie pour les justiciables. Leur intervention permet à nos concitoyens de mieux s’orienter dans un univers juridique et judiciaire complexe. Elle est aussi un gage de sécurité juridique.
Parmi les principales innovations que contient ce texte figure l’acte contresigné par un avocat. Il s’agit, en fait, de sécuriser les actes sous seing privé. L’instauration de l’acte contresigné par un avocat est une avancée majeure. Elle est la concrétisation d’une proposition centrale du rapport Darrois et d’un engagement du Président de la République.
Ce nouvel instrument juridique offre une protection renforcée aux actes sous seing privé. Ce contreseing atteste, en effet, que les parties ont reçu l’assistance d’un avocat, qui les a pleinement éclairées. Par ce contreseing, l’avocat engage sa responsabilité.
Je souhaite insister dès maintenant sur un point essentiel : l’acte contresigné par un avocat n’est pas un acte authentique, et il n’a aucune vocation à le remplacer.
Je souhaite ensuite souligner le rôle réaffirmé des notaires en matière immobilière. Le projet conforte le champ d’intervention des notaires en matière immobilière, puisqu’il réaffirme solennellement que seul l’acte authentique permet de procéder aux formalités de publicité foncière. Ce principe sera inscrit dans la loi. Je tiens à rappeler qu’un accord a été trouvé entre les notaires et les avocats à ce sujet. Là aussi, le Gouvernement entend s’y tenir. Par ailleurs, il confie aux notaires une nouvelle mission de service public, qui est de tenir un fichier en matière immobilière.
Il convient ensuite de souligner le rôle essentiel des professions juridiques dans notre société, qui justifie un haut niveau d’exigence.
La confiance de nos concitoyens dans la justice passe aussi par un haut niveau d’exigence vis-à-vis de ses professionnels : l’obligation de formation continue tout au long de la carrière, et le renforcement de l’indépendance des instances disciplinaires en régionalisant la discipline y contribueront, comme le développement de la dématérialisation.
Enfin, le rapprochement des professions doit favoriser leur compétitivité. Chaque profession dispose d’un statut et d’un champ d’intervention différents, et la réforme entend bien préserver ces spécificités. Néanmoins, toutes ces professions sont confrontées à la concurrence de leurs homologues ou de nouveaux acteurs.
L’interprofessionnalité capitalistique, inscrite dans la loi, facilitera le travail en commun, et donnera aux professions les moyens d’une collaboration renforcée.
Votre commission des lois a confirmé ce mouvement en élargissant l’interprofessionnalité capitalistique aux experts-comptables et aux commissaires aux comptes. C’est une bonne chose.
Nous avons également besoin d’une justice plus efficace, et cela nécessite de repenser les rôles de chacun et de clarifier les procédures. Mon ambition est aussi d’œuvrer à une meilleure accessibilité de la justice. Il faut rendre la justice plus lisible pour nos concitoyens. Pour satisfaire cet objectif, nous devons veiller à mettre en place des procédures claires, simples et efficaces.
Il s’agit tout d’abord d’améliorer l’exécution des décisions de justice. La confiance de nos concitoyens en la justice dépend en grande partie de la qualité de l’exécution de décisions de justice, sans laquelle un jugement reste lettre morte.
C’est pourquoi les textes qui vous sont soumis, d’une part, clarifient les règles de compétence entre le tribunal d’instance et le tribunal de grande instance, et, d’autre part, renforcent les huissiers de justice en leur donnant plus de moyens pour exercer leur mission d’exécution.
Il s’agit, d’autre part, de recentrer le juge et le greffier sur les missions juridictionnelles. Les deux textes en discussion aujourd’hui prévoient, à la suite des préconisations du rapport de Serge Guinchard, que des missions actuellement confiées aux greffiers pourront être exécutées par les officiers publics et ministériels que sont les notaires et les huissiers de justice. Par exemple, le notaire pourra procéder directement à l’enregistrement d’un pacte civil de solidarité – PACS – lorsqu’il en a rédigé la convention.
Ce projet de loi vise enfin à renforcer le règlement amiable des conflits. C’est là un autre moyen de rendre la justice plus efficace. Il s’agit d’un enjeu majeur pour nos concitoyens pour lesquels, trop souvent, la voie contentieuse apparaît comme l’unique façon de régler leurs différends.
La création d’une procédure participative favorise ce règlement plus simple et amiable des conflits. II s’agit de promouvoir l’intervention préalable d’un avocat. Par cette procédure, l’avocat invitera les parties à rapprocher leurs positions pour parvenir à un accord amiable.
Le conseil de l’avocat permet de lever des incompréhensions et d’aboutir à une solution acceptable par chacun des protagonistes. Le juge n’interviendrait donc qu’en cas de difficultés persistantes entre eux, sauf, bien sûr, en cas de divorce, qui sera toujours prononcé par un juge.
Mesdames et messieurs les sénateurs, les dispositions soumises à votre examen sont très riches et les avancées nombreuses pour les professions juridiques et judiciaires réglementées. L’élaboration concertée de ces textes confère aux innovations législatives toute leur pertinence et toute leur force pratique. La modernisation, ou les modernisations de notre système judiciaire et juridictionnel s’opèrent dans un souci d’efficacité et, il est important de le rappeler, dans l’intérêt du justiciable. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois pour le projet de loi n° 602.
M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à l’été 2007, j’avais déposé une première proposition de loi sur les frais d’exécution de justice. Il s’agissait d’un article unique, qui permettait au juge de laisser l’intégralité des frais de poursuite à la charge du professionnel dans les litiges ayant trait à la consommation.
C’est à partir de ce texte que j’ai bâti, après de nombreuses consultations, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, déposée en octobre 2008. Il aura donc fallu plus de deux ans – 26 mois exactement – pour que ce texte revienne devant notre assemblée en deuxième lecture. Il faut dire que 15 mois se sont écoulés entre la transmission de la petite loi par le Sénat et l’examen du texte par l’Assemblée nationale en séance publique. Je ne doute pas que la durée de cette réflexion soit garante de la qualité de l’examen, mais qu’on ne nous parle plus de train de sénateur !
La principale ambition de ce texte consiste à améliorer les conditions d’exécution des décisions de justice et je rappelle à cet égard que la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’exécution des décisions de justice est un des éléments d’un procès équitable.
Qui en douterait d’ailleurs, et à quoi servirait de pouvoir faire reconnaître son droit par un juge indépendant, rapide et compétent, si sa décision restait lettre morte ?
À ces deux premières préoccupations consistant à éviter des frais de recouvrement au consommateur et à permettre une meilleure exécution des jugements s’est ajoutée une série de mesures, concernant essentiellement la profession d’huissier de justice mais aussi d’autres professions réglementées, notamment en matière de formation.
En première lecture, François Zocchetto, qui a été l’excellent rapporteur de ce texte, l’a enrichi de plusieurs dispositions parmi lesquelles figure la procédure participative, dont nous dirons quelques mots tout à l’heure. L’Assemblée nationale a ensuite examiné ce texte, et procédé à différents ajouts et retranchements qui, à mon sens, sont positifs.
C’est évidemment le cas du rétablissement de l’article 2, concernant les constats d’huissiers. Ces constats existent, ils sont utilisés par les juges comme par les parties, et j’estime qu’il ne servirait à rien de nier leur existence. Établis par un officier ministériel soumis à une déontologie contrôlée par les pouvoirs publics, ces actes ne peuvent être assimilés à de simples renseignements, comme pourrait l’être le même constat établi par un simple particulier. Il me semble que, là aussi, c’est une question de bon sens.
De même, je pense qu’il faut approuver l’extension de la procédure participative au droit de la famille, dans la mesure où l’homologation judiciaire est réaffirmée suivant les règles du titre VI du Livre 1er du code de procédure civile, relatif au divorce.
Au total, je suis heureux que notre rapporteur propose d’aboutir à un vote conforme du Sénat, qui permettra à cette proposition de loi, dont j’ai la faiblesse de croire qu’elle est attendue par la profession, mais aussi par les justiciables, d’être enfin applicable.
J’en arrive maintenant au projet de loi, dont les objectifs sont complémentaires de ceux de la proposition de loi.
S’il traduit un certain nombre des recommandations formulées par la commission présidée par Me Jean-Michel Darrois, ce projet est aussi le résultat de la concertation conduite par la Chancellerie avec les représentants de chacune des professions concernées, et des équilibres définis entre elles.
Je ne vais pas revenir en détail sur l’architecture du texte que vous venez de nous présenter, monsieur le garde des sceaux. Je rappellerai seulement les deux principales dispositions du texte.
Tout d’abord, une série de dispositions tend à développer l’interprofessionnalité en prenant davantage appui sur des structures capitalistiques et en donnant aux professionnels du droit la possibilité de mieux se défendre face à leurs confrères étrangers. Des avocats, des notaires, des huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires pourront ainsi travailler ensemble au sein d’une structure commune.
Même si cette innovation peut paraître encore modeste par rapport à une interprofessionnalité d’exercice, elle ouvre la voie à une coopération sans bousculer les habitudes fortement ancrées dans nos traditions.
La commission des lois a souhaité étendre cette interprofessionnalité aux professions du chiffre – experts comptables et commissaires aux comptes – et aux conseils en propriété industrielle. Professionnels du droit et du chiffre pourront ainsi offrir, dans la même structure, des services complémentaires, en particulier aux entreprises.
L’article 1er prévoit, conformément à l’une des principales recommandations du rapport de la commission présidée par Me Darrois, la possibilité pour un avocat de contresigner un acte sous seing privé.
Cet acte contresigné aurait, entre les parties, une force probante renforcée, qui ne serait cependant pas celle d’un acte authentique, l’acte contresigné demeurant, juridiquement, un acte sous seing privé. L’apposition de ce contreseing attesterait du conseil fourni par le professionnel et dispenserait de toute mention manuscrite exigée par la loi.
J’en viens aux modifications apportées par la commission des lois. La commission a souhaité confirmer le mouvement de modernisation des professions du droit. Elle a adopté vingt-quatre amendements de votre rapporteur, ainsi que deux amendements de notre excellent collègue Patrice Gélard.
S’agissant tout d’abord de la profession d’avocat, la commission a souhaité appliquer aux avocats des barreaux de Nîmes et Alès la même possibilité de multipostulation qu’aux avocats des barreaux de Bordeaux et de Libourne. Cette possibilité de multipostulation paraît constituer une suite logique de la nouvelle définition de la carte judiciaire, qui a réduit les ressorts des tribunaux de grande instance de Nîmes et de Bordeaux.
Dans le cadre des nouvelles dispositions permettant aux avocats d’intervenir en qualité de mandataire d’un sportif, votre commission a jugé pertinent de préciser que l’avocat peut représenter non seulement un sportif, mais aussi un entraîneur ou un club sportif, pour la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement. Elle a parallèlement renforcé les obligations que devait respecter l’avocat dans le cadre de cette activité en les rapprochant de celles qui pèsent sur les agents sportifs.
La commission a également jugé opportun de réformer le régime des spécialisations dont les avocats peuvent faire mention. Elle a ainsi voulu imposer une véritable vérification de la compétence professionnelle de l’avocat dans sa spécialité. L’établissement d’une liste nationale des avocats titulaires d’une mention de spécialisation, qui devra s’accompagner d’un nouvel arrêté fixant la liste des mentions de spécialisations, améliore l’information du client sur les compétences spécifiques du professionnel dans un secteur du droit.
S’agissant de la profession d’huissier de justice, le règlement déontologique départemental a été supprimé. En effet, il n’est pas nécessaire de continuer à établir des règlements départementaux, qui risquent d’être en contradiction avec le règlement national.
À la demande des représentants de la profession, le mode d’élection des délégués à la Chambre nationale des huissiers de justice est élargi. Nous pensons utile de les faire élire par l’ensemble de la profession et non pas seulement par les bureaux des chambres régionales et départementales.
Il a également été procédé à l’adaptation du fonctionnement de la caisse des prêts des huissiers de justice. Cette caisse aurait ainsi la possibilité d’accorder des prêts aux huissiers de justice en activité, particulièrement aux huissiers salariés, pour l’acquisition d’une étude individuelle ou de parts de celle-ci.
La commission a défini une obligation, pour les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires, d’établir ou de communiquer au Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires une situation financière au terme de chaque exercice, de façon à permettre l’appréciation par le Conseil national de la solvabilité des professionnels. La sécurité de chacun est ainsi renforcée.
La commission est favorable à la mise en place d’un portail électronique national des déclarations de créances. Ce portail permettra de s’informer plus facilement sur l’ensemble des créances pouvant toucher une entreprise en difficulté.
La commission s’est également intéressée aux notaires, en confirmant leurs compétences en matière immobilière. À ce titre, elle a adopté deux mesures : l’une résultant d’un amendement de Patrice Gélard ; l’autre faisant obligation au notaire établissant l’acte portant mutation immobilière d’exercer en France pour que celle-ci puisse être publiée.
Je passe sur les dispositions relatives aux avoués ou aux greffiers des tribunaux de commerce.
J’en viens à la compatibilité entre les professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle, ou CPI, sujet sur lequel nous aurons l’occasion de débattre tout à l'heure.
Lors de l’examen de la proposition de loi, il avait été envisagé, conformément à l’accord qui était intervenu entre le Conseil national des barreaux et les CPI, que les deux professions fusionnent. L’Assemblée nationale a repoussé cette disposition. Nous avons souhaité poursuivre la réflexion en supprimant l’incompatibilité entre les professions de conseil en propriété industrielle et d’avocat. De la sorte, un CPI titulaire d’une maîtrise de droit, d’un certificat d’aptitude à la profession d’avocat, qui aurait rempli toutes les conditions requises pour devenir avocat, pourrait exercer les deux professions et serait soumis aux contrôles déontologiques des deux professions.
L’enjeu n’est pas de faire plaisir aux uns ou aux autres, il est de faire en sorte que notre pays soit attractif sur le plan des juridictions traitant de la propriété industrielle. Dans d’autres pays européens, les professions se sont organisées et rapprochées, et présentent par conséquent une plus grande attractivité qu’en France.
Ce point a pu susciter une certaine hostilité de la part de cabinets d’avocats. Il convient de se demander si, dans cette affaire, on n’a pas tendance à privilégier l’intérêt à court terme de certains particuliers, au détriment de l’attractivité de la France en matière de propriété industrielle.
Voilà les quelques réflexions et observations que je voulais présenter à notre assemblée ce soir. Nous aurons, bien sûr, l’occasion d’en débattre de façon plus approfondie à l’occasion de l’examen des articles.