M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois pour la proposition de loi n° 601.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Laurent Béteille sur l’exécution des décisions de justice, qui nous revient après une première lecture à l’Assemblée nationale, embrasse une triple ambition : premièrement, améliorer l’exécution des décisions de justice ; deuxièmement, moderniser l’organisation et les compétences des juridictions – elle reprend sur ce point certaines préconisations du rapport Guinchard ; troisièmement, actualiser les conditions d’exercice de certaines professions judiciaires et juridiques.
En première lecture, à quatre exceptions près, l’Assemblée nationale a largement validé les dispositions adoptées par le Sénat. Elle a même enrichi le texte, en respectant les principes qui l’animent.
Les principales divergences qui subsistent entre les positions de nos deux assemblées portent sur les points suivants : le rétablissement, à l’article 2, du renforcement de la valeur probante des constats d’huissiers ; l’extension des prérogatives d’accès aux parties communes d’un immeuble dont disposent les huissiers ; l’extension du champ de la procédure participative au divorce ; enfin, la suppression du projet d’intégration des conseils en propriété industrielle au sein de la profession d’avocat, qui vient d’être évoquée par notre collègue Laurent Béteille.
Cependant, en dépit de ces quelques différences, je vous invite dès à présent à réfléchir à la possibilité d’adopter conforme la présente proposition de loi, ses dispositions étant très attendues par les professionnels concernés…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. François Zocchetto, rapporteur. … ainsi que par leurs clients et les usagers du droit.
Je souhaiterais maintenant formuler quelques observations concernant le renforcement des prérogatives reconnues aux huissiers.
L’Assemblée nationale a rétabli l’article 2 de la proposition de loi, adopté par la commission des lois du Sénat, mais supprimé en séance publique, sur l’initiative de notre collègue M. Jacques Mézard. Cet article vise à renforcer la valeur probante des constats d’huissiers. Après réflexion, nous vous proposons d’en rester au texte initial, qui présente toute une série de garanties ; nous y reviendrons ultérieurement.
La possibilité offerte aux huissiers d’accéder non seulement aux boîtes aux lettres et aux dispositifs d’appel des immeubles, mais également aux parties communes, dans le cadre de leurs missions de signification et d’exécution, ne me paraît pas poser de problème, dans la mesure où l’autorisation qui serait donnée serait limitée à la stricte mesure nécessaire pour procéder à ces exécutions ou significations.
Le fait qu’un huissier de justice porteur d’un titre exécutoire puisse obtenir sur le débiteur, sans en faire la demande au parquet, des informations relatives à l’état de son patrimoine immobilier est un ajout de l’Assemblée nationale tout à fait pertinent.
Cependant, monsieur le ministre, je voudrais dès maintenant attirer votre attention sur le problème qui se poserait si le Sénat adoptait conforme le texte de l’Assemblée nationale pour les organismes sociaux, telles les caisses d’allocations familiales, qui se verraient privés de la possibilité d’obtenir directement des informations sur le débiteur et seraient contraints d’avoir recours à des huissiers de justice.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. François Zocchetto, rapporteur. Ce serait considéré comme un retour en arrière. J’indique très clairement que telle n’est pas la volonté du législateur.
Autant nous sommes prêts à faire preuve d’efficacité, autant nous ne souhaitons pas que les huissiers de justice, par ce biais, interviennent systématiquement auprès des organismes sociaux. Nous suggérons au Gouvernement qu’un amendement soit présenté afin de rétablir le plus rapidement possible la situation actuelle. Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous puissiez nous indiquer officiellement quelle solution vous envisagez afin de faire disparaître toute ambiguïté.
J’en viens à l’extension de la procédure participative aux cas de divorce.
Le Sénat avait exclu la procédure participative pour tout ce qui tenait à l’état des personnes. L’Assemblée nationale a, quant à elle, formellement exclu les matières prud’homales de la procédure participative, et nous sommes bien sûr d’accord sur ce point. Elle a en revanche étendu le champ d’application de la procédure participative aux questions de divorce, que le Sénat n’avait pas cru bon de retenir. Cependant, compte tenu des garanties apportées par l’Assemblée nationale – sur lesquelles nous reviendrons –, je considère que le dispositif peut être utilement envisagé et qu’il est susceptible de diminuer le nombre de divorces contentieux, qui sont toujours douloureux pour les personnes concernées.
Enfin, je ne reviendrai pas sur la suppression de la fusion entre les professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle. À cet égard, je souscris totalement aux propositions de Laurent Béteille, rapporteur du projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées.
Sous le bénéfice de ces observations et de celles qui seront faites lors de l’examen des amendements, je propose au Sénat, au nom de la commission des lois, d’adopter la proposition de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Les textes qui nous sont aujourd'hui soumis ne me réjouissent pas autant que MM. les rapporteurs et M. le garde des sceaux.
Tout d’abord, je m’étonne, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, qu’un projet de loi soit examiné au cours d’une semaine d’initiative parlementaire. Je suppose que le groupe UMP doit tout au Gouvernement et que, de ce fait, il lui cède de son temps.
Ces textes sont de véritables fourre-tout ou, de façon plus littéraire, des sortes d’inventaires à la Prévert, inspirés de façon très partielle, pour ne pas dire très partisane, des rapports Guinchard et Darrois.
En effet, ils ne prévoient rien sur la formation des professionnels du droit. Je suppose donc qu’elle est excellente. Tel est d’ailleurs l’avis qu’a exprimé le président de la commission des lois ce matin. Selon lui, tout va bien dans le meilleur des mondes !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Jean-Pierre Michel. Non seulement ces textes ne contiennent rien sur l’accès au droit, mais ils ne prévoient rien non plus sur l’aide juridictionnelle. Il n’y a plus d’argent, ce n’est donc pas la peine d’en parler… Il le faudra pourtant, monsieur le garde des sceaux, lorsque nous parlerons de la garde à vue.
Ces textes ont donc non pas pour vocation principale d’améliorer le service offert aux justiciables, mais plutôt de servir les intérêts des différentes professions du droit, lesquelles se sont livrées à cette occasion à une véritable lutte corporatiste et fratricide.
Ces textes distribuent de nouvelles compétences aux uns et aux autres, selon la force des lobbies et leur proximité avec le Gouvernement, l’Élysée et le Président de la République lui-même, ou avec tel ou tel parlementaire faisant partie de tel ou tel cabinet d’avocats (M. le président de la commission des lois s’exclame), nonobstant les conflits d’intérêts qui existent : aux uns l’acte d’avocat – il est certes clarifié, j’en conviens –, aux autres pour les calmer – les notaires –, des dispositions relatives à la publicité foncière, la possibilité d’enregistrer les PACS, le recueil du consentement à la procréation médicalement assistée ou à l’adoption. Tout ceci a un sens : c’est la privatisation du droit !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Jean-Pierre Michel. Nous y reviendrons tout à l’heure dans le détail.
Personnellement, je pense que les conflits juridiques doivent être traités par les tribunaux et que toutes les procédures annexes, qu’il s’agisse de la justice populaire au fond des cafés dans les banlieues parisiennes ou des procédures huppées entre cabinets d’avocats respectables, notamment parisiens, ce n’est pas la justice ; ce sont des compromis.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. Je commencerai par évoquer l’acte d’avocat, disposition phare. Il a provoqué un tollé. Nous avons tous reçu des lettres passionnées à ce sujet. Celles que nous avons reçues cette semaine étaient beaucoup plus apaisées, des négociations ayant eu lieu entre-temps.
Pour ma part, je ne comprends pas l’intérêt de l’acte d’avocat. Il est vrai que les particuliers ont de plus en plus tendance à utiliser, pour des contrats simples, des formulaires types qu’ils trouvent sur internet et qui sont souvent de très mauvaise qualité. Je trouve donc très bien qu’un avocat puisse rédiger des contrats simples et y apposer sa signature pour rassurer les parties.
La question est de savoir si cet acte d’avocat aura un coût.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Jean-Pierre Michel. S’il a un coût, maître Mézard, je ne sais pas comment vous ferez dans votre étude à Aurillac !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce sera gratuit !
M. Jean-Pierre Michel. Cette question est centrale, car la rémunération de cet acte n’a pas été fixée. À cet égard, je partage le point de vue de M. le rapporteur : puisque l’avocat n’a pas de tarifs, il fera ce qu’il voudra.
Or les citoyens qui voudront avoir accès à cette nouvelle disposition, qui peut être intéressante, auront besoin de savoir combien cela leur coûtera ou s’ils pourront, si nécessaire, bénéficier de l’aide juridictionnelle. Sur ces sujets, les textes sont muets. Ce n’est pas la création de l’acte d’avocat qui incitera les justiciables à consulter un professionnel du droit, mais bel et bien le coût d’un tel acte.
En contrepartie, les notaires ont reçu l’assurance que seuls les actes authentiques pourraient donner lieu à la publicité foncière. C’est très bien ! Les règles encadrant la publicité foncière seront inscrites dans le code civil. On leur a également transféré un certain nombre de compétences, ce qui n’est rien d’autre qu’une privatisation ; cela s’appelle comme ça !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Jean-Pierre Michel. Mais si, monsieur le président de la commission des lois !
Je me souviens que, lors de l’examen du projet de loi sur le PACS, les notaires étaient les seules professions qui y étaient un tant soit peu favorables parce qu’ils considéraient, bien entendu, que le PACS devait être enregistré dans leurs études !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Michel. On a tenu bon ; on leur a dit qu’il n’en était pas question.
Le PACS peut être conclu en utilisant une convention type. À cet égard, la Chancellerie a très bien fait son travail, qui plus est très rapidement. Au cours des débats, les rapporteurs ont dit que, si un mariage avait précédé le PACS, s’il y avait des enfants ou des biens, il fallait faire appel à un notaire pour un coût qui, selon les notaires, devait être proche de celui de l’établissement d’un contrat de mariage.
Aujourd'hui, on organise le transfert des compétences des greffiers des tribunaux d’instance en matière d’enregistrement du PACS vers les notaires, pour les PACS faisant l’objet d’une convention par acte authentique. Il y en a qui vont être très satisfaits ! Les greffiers, je n’en sais rien… Il faudra bien déposer cet acte chez les greffiers des tribunaux d’instance. En tout cas, je pense qu’on aurait pu faire autrement.
Nous sommes bien entendu contre ces dispositions, qui auraient mérité un débat plus approfondi. Qu’est-ce qu’un PACS ? Où doit-il être signé ? À la mairie ? Auprès des services de l’état civil ? Aux greffes des tribunaux d’instance ? Les greffes, il est vrai, ont beaucoup de travail. Ils sont assaillis par les notaires, qui veulent savoir s’il existe un PACS ou pas, notamment au moment des successions. Tout cela est exact. Néanmoins, ce sujet méritait mieux que le transfert aux notaires de cette compétence qu’ils réclamaient depuis dix ans et qu’ils ont enfin obtenu, en contrepartie, je suppose, de l’acte d’avocat restreint, en dehors de la publicité foncière.
Bien entendu, nous nous réjouissons, monsieur le rapporteur, que l’amendement de notre collègue Richard Yung, qui n’est malheureusement pas là pour assister à son triomphe aujourd'hui (Sourires), ait été voté par la commission, après de multiples accords, puis désaccords. Nous avons même reçu une lettre du bâtonnier sortant de Paris disant qu’il n’était plus question de fusion…
Les professions d’avocat et de conseil en propriété industrielle ne pourront donc pas fusionner pour l’instant, jusqu’à ce que, peut-être, ils parviennent à un accord sur une autre formule. Sur ce point, nous sommes d’accord.
J’évoquerai maintenant la multipostulation, à laquelle, je le dis d’emblée, nous sommes absolument défavorables. La multipostulation, c’est le mercato.
Une carte judiciaire a été établie, sans véritable concertation, monsieur le garde des sceaux, vous le savez. Des tribunaux seront supprimés le 1er janvier prochain.
J’irai d’ailleurs manifester la semaine prochaine contre la suppression d’un tribunal en Haute-Saône. On ne sait d’ailleurs pas où les magistrats iront se loger. À Vesoul ? Rien n’est prévu sur le plan immobilier. Peu importe ! On suppose que tout ira très bien dans le meilleur des mondes…
La multipostulation est prévue dans deux départements en raison de la suppression du tribunal du Vigan.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Jean-Pierre Michel. Si, la suppression du tribunal de grande instance du Vigan.
M. Jean-Pierre Michel. Oui, du tribunal d’instance. La circonscription des autres TGI a été modifiée. Pourquoi autoriser la multipostulation dans ces deux départements et pas ailleurs, alors que 54 départements, dans lesquels les limites des tribunaux de grande instance ont également été modifiées, pourraient être concernés ?
Nous voterons contre ces dispositions. Le problème qui se pose va bien au-delà de la multipostulation. Le problème est celui de la postulation tout court.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On est d’accord !
M. Jean-Pierre Michel. Posons-le !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous n’avez pas déposé d’amendements sur ce sujet !
M. Jean-Pierre Michel. Mais nous ne sommes pas au Gouvernement, monsieur le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, mais vous êtes législateurs !
M. Jean-Pierre Michel. Lorsque nous serons au Gouvernement, nous ferons notre travail, dans l’intérêt général et non dans celui des professions qui nous seront les plus proches. Je ne parle pas de vous, monsieur le président de la commission, mais des autres…
Enfin, nous regrettons l’absence de dispositions concernant la formation des professionnels du droit. Une véritable modernisation des professions juridiques et judiciaires nécessite une réforme de fond de la formation. La démocratisation de l’accès à ces professions doit être une priorité. Nous avons déposé des amendements à cet égard, mais ils ont été balayés d’un revers de main par M. le rapporteur.
J’en viens maintenant à la proposition de loi relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires, dont notre collègue François Zocchetto est le rapporteur.
Nous restons sur les positions qui étaient les nôtres en première lecture. Permettez-moi de répéter ce que j’ai dit tout à l'heure : pourquoi faudrait-il que le Sénat se couche ?
M. Jacques Mézard. C’est son habitude !
M. Jean-Pierre Michel. Nous restons défavorables à la procédure participative en matière de divorce. Notre collègue Patrice Gélard avait d’ailleurs eu la mauvaise idée de déposer deux amendements sur cette question, il les a vite retirés. Cela a dû le rendre malade ; il n’est pas là aujourd'hui. (Protestations amusées sur les travées de l’UMP.)
Je ne comprends absolument pas l’intérêt de cette procédure. Personne, pas même les éminents avocats que j’ai consultés il y a quelques heures encore, n’a été en mesure de me l’expliquer. Nous souhaitons en revenir au texte du Sénat, car cette procédure est inutile : il y a le divorce par consentement mutuel ; la négociation dans les procédures de divorce…
De même, nous suivrons notre collègue Jacques Mézard concernant les actes d’huissier. Nous resterons fermes sur les positions prises ici en première lecture.
Les objectifs de modernisation et d’efficacité ne doivent pas nous faire oublier qu’une véritable amélioration de notre système consisterait à garantir l’égal accès de tous à la justice. Or tel n’est pas malheureusement ce que prévoit ce texte. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat applaudit.)
Notre vote final dépendra de la discussion des articles et des amendements, en particulier de l’adoption de nos amendements et de ceux du RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 30 juin 2008, le Président de la République adressait une lettre de mission à Me Darrois, qui avait accepté de présider une commission de réflexion « tendant à réformer la profession d’avocat avec, comme objectif, la création d’une grande profession du droit ».
Le diagnostic était parfaitement bien posé dans cette lettre : « Les mutations qui ont bouleversé la profession d’avocat menacent son unité […] : le fossé s’est agrandi entre les différents modes d’exercice de la profession avec, à chaque extrême, les grands cabinets anglo-saxons […] et des avocats menacés de paupérisation, qui assistent dans des conditions difficiles les plus modestes de nos concitoyens. »
Le Président de la République fixait la feuille de route. Il s’agissait de créer « une grande profession du droit […], en conciliant l’indépendance nécessaire à l’exercice des droits de la défense avec les exigences propres à la réalisation de missions d’intérêt général » ; de « favoriser la concurrence et [la] compétitivité interne et internationale, [d’]améliorer la qualité des services rendus au profit de tous les usagers du droit » ; de « faire des propositions de réforme du système d’aide juridictionnelle », dossier cher à M. du Luart.
Cette feuille de route était intéressante. Qu’en est-il advenu ? Aucune réponse n’a été apportée aux deux questions fondamentales posées par le Président de la République. Le texte sur la modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées qui nous est aujourd'hui soumis n’est, comme l’a dit notre collègue Jean-Pierre Michel, que le résultat d’un lamentable marchandage corporatiste entre quatre professions, en aucun cas au profit de tous les usagers du droit, en particulier des plus modestes et des plus faibles d’entre eux. En aucun cas il ne respecte le service public et le service du public.
Oui, le Président de la République avait raison ! L’unité de la profession d’avocat est menacée ; elle n’existe plus !
Le droit des affaires, et souvent l’affairisme, a pris l’avantage sur la défense des citoyens et l’accès au droit.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Jacques Mézard. Les dernières décennies illustrent en France le déclin d’une profession qui n’a pas su se défendre et qui, par conséquent, n’assure plus suffisamment bien la défense des citoyens ! Une profession qui n’a pas su, contrairement par exemple au notariat, se renforcer en assurant ses missions ! Une profession qui, après avoir réussi la fusion avec les avoués en 1972, a subi une fusion calamiteuse avec les conseils juridiques en 1990 ; et ce n’était pas la même majorité ! Une profession qui, en refusant tout numerus clausus, toute adéquation du recrutement aux besoins de la société, ne doit pas s’étonner de voir des milliers et des milliers d’entre ses membres en état de paupérisation, donc de dépendance, ce qui est totalement incompatible avec l’exercice d’un métier où l’indépendance est la condition cardinale d’une défense libre et efficace !
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jacques Mézard. Il suffit de lire le projet de loi et la proposition de loi qui sont soumis à l’examen de notre assemblée pour être convaincus que nous sommes confrontés à un énième patchwork de dispositions diverses, souvent peu cohérentes les unes avec les autres. Cela finit, mes chers collègues, par ressembler à une loi de simplification du droit (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat approuve), c’est-à-dire à tout sauf à une simplification, à tout sauf à une vision d’avenir des professions judiciaires. Monsieur le garde des sceaux, le corporatisme a encore frappé.
Il y a néanmoins un point qui ressort de la volonté de l’exécutif et auquel nous ne pouvons pas souscrire. Il s’agit de la poursuite d’une déjudiciarisation à tout va autour d’un principe simple. Puisque la justice française est sinistrée, confer le classement européen, puisque l’on ne peut pas augmenter significativement ses moyens financiers et humains – ce que nous pouvons comprendre dans le contexte actuel –, on lui retire le maximum de missions. Pratiquement à chaque nouveau texte, ce sont des pans de compétences qui quittent les palais de justice, donc le service public, au détriment du citoyen.
Commençons par examiner ce qui n’est pas dans ces textes, contrairement à la mission donnée par le Président de la République. Vous voyez l’intérêt que je porte aux préconisations du Président de la République, monsieur le garde des sceaux !
M. Jacques Mézard. La réforme de l’aide juridictionnelle est totalement absente. C’était le deuxième point fondamental de la mission.
M. Jacques Mézard. Nous attendons de voir…
Bien plus que le paravent d’une réforme d’affichage, la question de l’aide juridictionnelle, après celle du recrutement des avocats, est au cœur du débat et marginalise toute réforme qui l’omet. Et les modifications du système de la garde à vue le démontreront d’une manière encore plus pertinente.
Était-il bien sérieux de demander à l’un des premiers avocats d’affaires de Paris de « plancher » sur l’aide juridictionnelle et l’accès au droit des moins fortunés ? Que savent-ils, eux et les éminences qui gouvernent les organismes représentatifs des professions judiciaires, de l’accès au droit des démunis, du montant des unités de valeur, de ces avocats qui font plusieurs centaines de kilomètres chaque mois, frais de déplacement non remboursés, pour aller plaider à la cour et recevoir une aumône de quatorze unités de valeur – quand je lis sous la plume de M. le rapporteur Béteille que, en matière de postulation, 1 000 euros ne changent rien, je reste pantois ! –, pour assurer une mission d’assistance « garde à vue » dans une gendarmerie éloignée, pour l’équivalent de deux unités de valeur ?
Quand on a pratiqué cela par éthique, monsieur le garde des sceaux, et que l’on assiste à ce type de débat entouré d’excellences de la République, oui on est convaincu qu’il existe effectivement une France d’en haut et une France d’en bas !
Or la justice, l’accès au droit, c’est d’abord le problème du citoyen dans un pays démocratique, un citoyen qui doit être défendu du mieux possible, quels que soient sa situation de fortune ou son lieu d’habitation. Sur ces deux points, l’écart se creuse, et la réforme de la carte judiciaire a aggravé la situation.
Monsieur le ministre « des libertés » – je sais que vous y êtes attaché comme moi –, à l’évidence, un citoyen modeste confronté, par exemple, à un problème pénal ne sera pas défendu de la même manière qu’un citoyen aisé. Souvent même, il ne sera pas défendu du tout.
Mme Françoise Laborde et M. Yvon Collin. Hélas !
M. Jacques Mézard. Est-ce cela que nous voulons pour notre pays, pour notre justice ? Est-ce digne du grand pays des libertés et des droits de l’homme ?
Il est nécessaire de renforcer les cabinets d’affaires français face aux cabinets anglo-saxons, mais cela ne doit pas occulter toute la réalité de l’autre monde de la justice, qui est le sort, justement, de « M. Tout-le-monde ».
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jacques Mézard. J’ai dit que ces textes correspondaient in fine à un marchandage corporatiste entre les diverses professions. D’ailleurs, à l’instar de notre collègue Jean-Pierre Michel, je constate que leurs représentants sont devenus plus discrets au fil des mois, au-delà des pétitions de principe. La « grande profession du droit », qui est une bonne idée, est jetée aux orties.
Les notaires, « vainqueurs sur le ring », se délectent de constater que le monopole de l’acte authentique – pratiquement de la publicité foncière – leur est garanti. D’ailleurs, je reconnais que c’est plus sécurisant pour le citoyen.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ah ! C’est bien !
M. Jacques Mézard. La création de l’acte d’avocat est surtout à usage de communication interne du Conseil national des barreaux. Les notaires ont obtenu en contrepartie une extension importante de leurs compétences en matière de PACS et d’acte de notoriété dans le cadre, hélas ! d’une déjudiciarisation. Après les changements de régimes matrimoniaux, les adoptions, et j’en passe… cela fait beaucoup en peu de temps. Bravo !
M. Jean-Pierre Sueur. Bravo pour eux !
M. Jacques Mézard. Les avocats, ou plutôt le Conseil national des barreaux, qui ont une fois de plus évité de se poser et de faire poser les questions de fond, cachent la débâcle sous le voile de deux mesures à usage de communication qui changeront peu de chose.
La première mesure est l’acte sous contreseing d’avocat. Il s’agit non pas d’un acte authentique, mais d’un acte sous seing privé contresigné par un avocat. Il suffit de lire les critiques de cette « nouveauté » dans les écrits des autres professions pour savoir que cela ne bouleversera pas les équilibres professionnels. Je dirais que cela ne mangera pas de pain…
Lorsqu’une telle signature existera, elle apportera une garantie au client sur le plan de la responsabilité, ce qui est positif, mais cela ne réglera pas les questions très fréquentes de conflit d’intérêt et l’avocat n’aura malheureusement aucune obligation de contresigner le sous-seing privé.
Or nous savons tous que de très nombreux actes sous seing privé sont établis par des cabinets d’affaires volontairement sans mention du nom du cabinet rédacteur, et ce pour des raisons que nous nous abstiendrons de développer ici.
Cela étant, convenons que cet acte peut être considéré comme non dommageable et positif.
La deuxième mesure est la négociation participative, qui est présentée comme attendue par tous les barreaux de France alors que l’immense majorité des avocats ignorent son existence. Elle est issue de cette volonté de déjudiciarisation. L’avenir montrera son caractère anecdotique dans notre tradition juridique. Son extension aux divorces, auparavant refusée à juste titre par le Sénat, provoquera inéluctablement des difficultés ; nous y reviendrons lors de l’examen des amendements.
Notre groupe est également hostile, sur les conseils avisés de notre collègue Nicolas Alfonsi, à la fusion entre les conseils en propriété industrielle et les avocats.
Revenons aux récompenses destinées aux huissiers, dont je respecte l’activité et les difficultés quotidiennes. Le texte facilite le travail de simplification et certaines procédures d’exécution. Nous y sommes favorables, à l’exception de quelques dispositions relatives à l’information auprès des collectivités locales.
En revanche, nous persistons à considérer que l’article 2 de la proposition de loi, relatif à la force probante des constats d’huissier – cette mesure avait été repoussée par un vote clair du Sénat en première lecture –, est une erreur. J’y reviendrai au cours de la discussion des articles.
Par ailleurs, s’agissant des sociétés de participations financières de professions libérales, nous appelons à la vigilance quant à l’origine des capitaux ; c’est là notre inquiétude.
Je conclurai sur une question qui m’est chère, tant sur la forme que sur le fond. Il s’agit de l’extension de la compétence des experts-comptables, le glissement du chiffre vers le droit grâce à des procédés législatifs peu honorables, sous couvert d’un accord entre le Conseil national des barreaux et les experts-comptables.
Nous demandons la suppression de l’article 21 bis du projet de loi. Non pas que nous soyons opposés à une interprofessionnalité, mais les marchandages entre corporatistes ne sauraient faire avancer cette dernière. Moyennant le silence sur l’acte d’avocat, les experts-comptables auraient obtenu l’existence de l’accompagnement des particuliers « dans leurs démarches déclaratives à finalité fiscale, sociale et administrative ».
Monsieur le garde des sceaux, cet ajout de dernière minute du rapporteur est une manœuvre inacceptable. Contrairement à ce qui est indiqué à la page 90 du rapport, ces aspects n’ont pas été « omis » dans le vote de la loi du 23 juillet 2010 relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services sur les réseaux consulaires. Il était surprenant d’ailleurs qu’ils y figurent.
Devant le Sénat, le 10 juin 2010, nos collègues Nicolas Alfonsi et Raymond Vall sont intervenus en séance publique, au nom de mon groupe, pour défendre notre amendement de suppression. Après concertation avec le rapporteur Gérard Cornu et avec le président de la communication de l’économie, Jean-Paul Emorine, un accord a été trouvé et voté sur les termes « réalisation matérielle de leurs déclarations fiscales ». En foi de quoi, aucun membre de notre groupe n’a voté contre le texte sur les réseaux consulaires. Il est lamentable que l’on bafoue cet engagement quatre mois après.