M. Yves Daudigny. Excellent !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Les auteurs de la motion invoquent l’exception d’irrecevabilité, mais nous estimons qu’il n’existe aucun élément permettant de douter de la constitutionnalité des dispositions du projet de loi. Nous le réaffirmons, la réforme est conforme non seulement à la Constitution, mais aussi à tous les grands principes issus du Préambule de 1946, dont nous n’avons pas tout à fait la même lecture.
Comme nous l’avons rappelé au cours de la discussion générale, cette réforme est précisément conçue pour pérenniser le système de retraite par répartition, auquel nos concitoyens sont particulièrement attachés. Ne rien faire serait irresponsable au regard des générations à venir. La mise en œuvre de la réforme qui nous est présentée est la condition même de la préservation de cet héritage historique.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. Monsieur Cazeau, notre projet de loi est tout à fait recevable, car il vise à consolider notre système de retraite par répartition.
Vous prétendez en outre que notre projet de réforme n’est qu’un écran de fumée et n’est pas accepté, mais vous n’osez pas regarder les choses en face. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Christiane Demontès. Vous non plus !
M. Éric Woerth, ministre. D’ailleurs, jamais vous n’avez proposé de réforme des retraites. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Vous avez toujours évité de réformer quoi que ce soit dans ce domaine. Sans doute nous expliquerez-vous, au cours du débat, les raisons d’une telle attitude. Vous vous êtes bornés à créer le Comité d’orientation des retraites,…
Mme Christiane Demontès. C’était un début !
M. Éric Woerth, ministre. … outil certes utile, mais dont l’instauration ne constitue pas une réforme des retraites ! Quant à la création du Fonds de réserve des retraites, il s’agissait juste de mettre un peu d’argent de côté pour l’avenir. Mais, aujourd’hui, quand nous proposons d’utiliser cet argent précisément pour financer les retraites, vous nous le reprochez ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Par ailleurs, vous affirmez que ce sont les salariés qui paient. Or, en réalité, c’est l’ensemble des actifs, c’est-à-dire les salariés, certes, mais aussi les commerçants, les membres des professions libérales, les agriculteurs, bref l’ensemble des travailleurs. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Christiane Demontès. Ce sont aussi les salariés !
M. Guy Fischer. Qui paie les retraites des agriculteurs ?
M. Éric Woerth, ministre. Je vous rappelle que notre système de retraite repose sur la répartition, et non sur la capitalisation, contrairement à ce que vous semblez croire ! Cela signifie que, par définition, les actifs paient les pensions des retraités. Il est donc naturel que la réforme d’un tel système porte essentiellement sur les actifs, salariés ou non.
Mme Annie David. Et les actifs financiers ?
M. Éric Woerth, ministre. À côté du système par répartition, il y a le financement de la solidarité, notamment avec le Fonds de solidarité vieillesse. Les recettes supplémentaires prévues servent à financer la solidarité. Ne confondez pas les choses !
Enfin, il s’agirait pour vous d’une réforme « comptable ». Le grand mot est lâché ! Les déficits ne vous concernent peut-être pas, mais on ne peut maintenir un système de protection sociale qui en produise sans cesse, en faisant mine d’ignorer les problèmes. Est-ce promouvoir une réforme comptable que d’essayer de prendre en compte la dimension financière des choses ? Il y va de la sauvegarde, de la pérennité des systèmes sociaux ! Un système social en déficit n’est pas durable. En matière de retraites, votre attitude revient à accepter de mettre à la charge des générations futures les efforts que vous n’aurez pas eu le courage de vous imposer ! C’est évidemment tout à fait inacceptable ! Les générations futures n’ont pas à supporter des charges que nous aurions été incapables d’assumer. Cette réforme permettra au fond de conserver la solidarité entre les générations, qui est la clé d’un système par répartition.
Est-il juste de taxer les jeunes, les actifs, les emplois, comme vous le proposez ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Est-il approprié de prélever 40 milliards d’euros sur un pays qui sort d’une crise ? Est-ce la bonne manière d’agir ?
Mme Patricia Schillinger. N’importe quoi !
M. Éric Woerth, ministre. En réalité, cela aggraverait le chômage, le pouvoir d’achat serait réduit et finalement le financement des retraites se trouverait encore plus compromis.
Mme Patricia Schillinger. On vous enregistre ! On en reparlera dans deux ans !
M. Éric Woerth, ministre. Est-il juste de mettre en face de dépenses certaines, comme les retraites, de fausses recettes, comme les 40 milliards d’euros que vous prévoyez dans votre projet ?
Vous n’êtes pas à l’aise sur la question des retraites, et vous ne l’avez jamais été ! Vous essayez sans cesse de contourner le problème, notamment en déposant cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. Les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG voteront en faveur de cette motion d’irrecevabilité. Ils considèrent en effet, monsieur le ministre, que votre réforme s’inscrit dans la stricte continuité de la politique antisociale menée depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.
Nous avons été nombreux à le dire, mais vous refusez de l’entendre, comme vous refusez d’entendre les organisations syndicales et les millions de manifestants qui, depuis le début du mois de septembre, vous le répètent : cette réforme est inefficace et profondément injuste.
Monsieur le ministre, vous avez osé nous dire, en présentant votre projet de loi, que vous aviez créé un nouveau droit social. J’ai pensé, à cet instant, à l’ensemble des mesures de dérégulation que vous avez prises et qui ont affaibli les salariés, jusqu’à tout leur retirer, y compris la possibilité de consacrer leurs dimanches à la famille et à la vie non professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
En réalité, vous visiez la disposition découlant de votre conception erronée de la pénibilité. En fait, en concédant un droit aux salariés déjà atteints d’une incapacité, fût-elle de 10 %, vous consentez simplement à prendre acte de l’invalidité de certains salariés.
De la même manière, vous avez tenté de justifier votre refus de prendre les deux seules mesures efficaces et utiles permettant d’éviter aux femmes de percevoir des pensions bien trop faibles pour pouvoir vivre dignement.
La première, c’est prévoir une sanction immédiate, par une majoration des cotisations sociales de l’ordre de 10 %, contre les entreprises qui ne respectent pas le principe de l’égalité salariale entre hommes et femmes ; la seconde, c’est instaurer une stricte limitation, dans les entreprises, du recours aux contrats d’intérim à temps partiel ou fragmenté, qui concernent d’abord et avant tout les femmes.
Vous devez supprimer les exonérations de cotisations générales voulues par François Fillon en 2003 et qui, de l’avis même de la Cour des comptes, permettent aux employeurs de bénéficier d’importantes réductions de cotisations sociales à la seule condition qu’ils continuent de sous-payer leurs salariés !
Quant aux modifications des bornes d’âge, elles démontrent en réalité que les propositions formulées par ce gouvernement consistent exclusivement à exiger des salariés des efforts inacceptables. En effet, il est un débat que vous voulez par-dessus tout éviter : celui du financement. C’est pour cette raison que vous avez saboté la négociation avec les organisations syndicales, en érigeant comme non négociables le report de l’âge de départ à la retraite et l’allongement de la durée de cotisation.
Lorsqu’il s’est agi de sauver les banques, vous avez su trouver les milliards nécessaires. Mais pour sauver le droit de nos concitoyens à bénéficier d’une retraite à 60 ans, à taux plein et en bonne santé, la seule solution que vous préconisez consiste à exiger des salariés qu’ils sacrifient deux ans de leur vie.
Les femmes, les personnes handicapées, les jeunes qui peinent à trouver un premier emploi de qualité et rémunérateur méritent pourtant qu’on leur ouvre enfin un avenir qui soit source d’épanouissement.
Hier déjà, ils étaient des millions, chaque année plus nombreux, à peiner pour boucler leurs fins de mois, à craindre pour leur avenir. Avec ce projet de réforme, ils se rendent compte que ce gouvernement les considère comme quantité négligeable face aux intérêts d’une minorité de privilégiés et au diktat des agences de notation, qui pilotent en réalité cette réforme. Qu’importe que celle-ci conduise à paupériser encore plus les retraités. Qu’importe qu’elle entraîne, comme en 1993, une réduction des pensions.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous n’entendez pas ce qui monte du plus profond de notre pays, puisque vous n’entendez pas l’exigence d’une société plus juste et solidaire qui enfle et s’exprime avec force au fil des grèves et des manifestations, le groupe CRC-SPG, par son vote, entend relayer la voix de l’immense majorité de nos concitoyens, qui juge votre réforme irrecevable et la considère comme un recul historique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.
M. Claude Domeizel. Monsieur le ministre, vous avez lancé nombre de flèches, en particulier contre les sénateurs socialistes. C’est là votre seule méthode. Nous serions mal à l’aise, dites-vous ? C’est vous qui l’êtes ! Vous n’avez pas d’autre argument que l’attaque. Vous êtes même allé jusqu’à dire à l’un de nos collègues qu’il n’était pas au niveau…
Monsieur le ministre, vous prétendez que la gauche n’a jamais rien fait en matière de réforme des retraites. Je vous rappelle que le gouvernement de M. Jospin a créé le Conseil d’orientation des retraites, dont vous reconnaissez l’utilité. Nous avons aussi créé et alimenté le Fonds de réserve des retraites, que pour votre part vous avez laissé vivoter. Aujourd’hui, vous nous expliquez qu’il faut utiliser tout de suite ce fonds, au motif que son encours, qui devait atteindre 150 milliards d’euros en 2020, ne sera dans le meilleur des cas que de 20 milliards d’euros à cette échéance… Avouez que c’est tout de même là un raisonnement surprenant !
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, tous les progrès sociaux qu’a connus ce pays, sans exception, ont été obtenus par la gauche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Quant aux régressions sociales, elles sont toutes l’œuvre de la droite.
Telles sont, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, les raisons pour lesquelles nous voterons cette motion. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 55, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 2 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n°497.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites (n° 734, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Annie David, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous présentons cette motion tendant à opposer la question préalable afin que le Sénat puisse constater et décider que, pour de très nombreuses raisons, il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen du projet de loi portant réforme des retraites. Le rassemblement qui s’est tenu ce midi devant le Sénat ne fait que nous conforter dans notre position.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous devriez écouter ce que les salariés, actifs ou demandeurs d’emploi, les retraités, mais aussi les étudiantes et les étudiants vous crient : ils et elles ne veulent pas de votre réforme ; ils et elles veulent une réforme qui renforce notre système de retraite par répartition en lui apportant de nouvelles recettes, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.
Il n’y a pas lieu de débattre de ce texte, puisque votre projet de réforme est injuste, brutal et inefficace. Il constitue un coup de poignard porté aux droits sociaux.
Votre réforme est tout d’abord injuste, car ce sont les salariés, déjà durement touchés par la crise, notamment les femmes, qui vont la payer au prix fort, à hauteur de 22,6 milliards d’euros, soit plus de 85 % de son coût, alors que, dans le même temps, le capital sera à peine mis à contribution, à concurrence de 4,4 milliards d’euros seulement.
Pourtant, les profits des groupes du CAC 40 ont bondi de 85 % au cours du second semestre de 2010, le résultat net atteignant quelque 41,5 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires de 631 milliards d’euros. J’ai l’impression que nos entreprises ont surmonté la crise !
Votre réforme est brutale, car elle entraînera sur huit années seulement une dégringolade de 16 % du taux de remplacement. Elle est la plus brutale d’Europe !
Votre réforme est enfin inefficace, car elle ne permettra nullement, contrairement à ce que vous prétendez, de résorber les déficits que vous dénoncez. Elle ne comporte aucune solution pérenne, puisque, de l’aveu même de ses auteurs, un nouveau chantier devra être ouvert dès 2018, c’est-à-dire demain, et il manquera encore, à cette date, près de 4 milliards d’euros à la CNAV.
Guy Fischer a brillamment exposé tous ces éléments lors de son intervention dans la discussion générale. J’insisterai donc, pour ma part, sur les arguments que vous mettez en avant pour nous faire croire qu’il n’y aurait pas d’autre solution que celle que vous voulez imposer !
Vous prétendez tout d’abord qu’il y a un problème démographique. « Nous vivons de plus en plus vieux, dites-vous, il est donc inévitable que nous travaillions plus longtemps. » Certes, nous vivons plus longtemps ; certes, nous sommes plus nombreux ; mais je ne vois pas, monsieur le ministre, où se situe le problème ! Vous devriez plutôt vous réjouir de cette augmentation de la durée de vie ! En tout cas, parler d’une espérance de vie de 120 ans, c’est ignorer, ou feindre d’ignorer, que l’espérance de vie en bonne santé est de 64 ans pour les femmes et de 62 ans pour les hommes, et, parmi ceux-ci, de 59 ans seulement pour les ouvriers.
De plus, une récente étude fait état de la régression de cette espérance de vie en bonne santé. En effet, si la prévalence des maladies infectieuses diminue, d’autres maladies, chroniques, se développent, notamment celles qui sont dues aux nouvelles habitudes de vie. D’après les scientifiques, l’augmentation actuelle de l’espérance de vie à la naissance se rapporte essentiellement aux personnes nées au début du xxe siècle et va ralentir.
Par ailleurs, monsieur le ministre, si les progrès de la science et l’amélioration des conditions de travail – celles-ci ont d’ailleurs eu plutôt tendance à se détériorer ces dernières années, avec les conséquences que l’on constate – ont permis un allongement de la durée de vie, ils ont également contribué à une augmentation de la productivité. En effet, un salarié produit aujourd’hui cinq fois plus qu’en 1960, et des projections, dont vous vous gardez bien de faire état, montrent que cette productivité doublera d’ici à 2050. Où va donc toute cette richesse produite ? En tout cas, elle ne rémunère pas le travail, sinon nos caisses de protection sociale se porteraient mieux !
En outre, vous entendez faire travailler les salariés jusqu’à 62 ans, mais vous savez pertinemment que six sur dix sont déjà hors de l’emploi au moment de la retraite ! Les seniors sont en effet écartés de l’emploi à 58 ans et demi en moyenne.
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Annie David. Il y a donc un fossé entre le discours des hommes politiques, des confédérations syndicales et du patronat sur le vieillissement actif et la réalité au sein des entreprises, ce que dénoncent le sociologue Xavier Gaullier et Guillaume Huyez-Levrat, chercheur au Centre d’étude de l’emploi, en évoquant respectivement un « consensus paradoxal » et un « faux consensus ». Dans le même temps, 23 % de nos jeunes actifs de moins de 24 ans sont à la recherche d’un emploi…
Enfin, vous omettez de nous parler du taux de natalité français, le plus élevé d’Europe.
Par conséquent, justifier une réforme de notre système de retraite par des raisons démographiques ne résiste pas à l’analyse et repose sur un argument obsolète. D’ailleurs, certains présentent déjà votre position sur ce point comme une erreur stratégique, rappelant celle de l’état-major de l’armée française avant la Seconde Guerre mondiale, lequel croyait aux vertus de la ligne Maginot, sans voir que l’environnement avait changé depuis le précédent conflit.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme Annie David. Il ne s’agit donc pas d’un problème de démographie, mais bien d’un problème de plein emploi ! C’est dans la voie du plein emploi, sans précarité ni temps partiel subi, justement rémunéré – la question est bien celle de la valeur que vous accordez au travail, et donc de sa rémunération –, avec un parcours professionnel sans rupture, qu’il faut chercher la solution au manque de cotisations sociales dont souffre notre système de retraite par répartition ! Dans cette perspective, il convient d’instaurer enfin cette sécurité sociale de l’emploi que nous préconisons depuis de nombreuses années, prenant en compte les années d’études, de formation professionnelle et de rupture involontaire du travail.
Vous n’avez pas voulu prendre en compte ces propositions et vous n’y avez pas répondu : voilà une première raison pour laquelle il n’y a pas lieu de débattre ce soir de votre texte !
Une autre raison de ne pas débattre tient au fait que, à aucun moment, vous ne vous posez la question de la conservation et de la consolidation de notre système de retraite par répartition grâce au recours à d’autres ressources.
La seule solution que vous avancez est le recul de l’âge légal de départ à la retraite et l’allongement à quarante et une années et demie de la durée de cotisation. Jamais, jusqu’à présent, vous n’avez voulu admettre que le déficit de notre système de retraite est avant tout dû au système capitaliste, qui détourne toujours plus de richesses produites de la rémunération du travail vers celle du capital ! Sous couvert de réduire le déficit, le Gouvernement, qui s’exonère au passage de sa responsabilité en la matière, s’attaque au régime des retraites, alors que la dette de la sécurité sociale représente 8 % de la dette publique, soit 1,5 % du PIB, et la part du système de retraite seulement 0,7 % de celui-ci ! Il y a bien d’autres dépenses fiscales auxquelles vous pourriez vous attaquer, mais vous faites le choix délibéré de vous en prendre au monde du travail, à celles et à ceux qui créent les richesses dont bénéficient vos amis, tout en sachant que cela n’aura qu’une incidence marginale sur le déficit public. S’attaquer à ce qui creuse vraiment le déficit, à savoir le chômage, le bouclier fiscal, les multiples exonérations, aurait eu plus de sens.
Ainsi, après avoir agité l’épouvantail de la démographie, vous brandissez celui du déficit public, mais plus personne n’est dupe ! En effet, au cours de ces vingt dernières années, nous avons assisté à un doublement de la richesse nationale, alors que, dans le même temps, la rémunération du travail a progressé moins vite. Comme cela a été rappelé tout à l’heure, 10 % de la richesse créée est détourné de la rémunération du travail vers celle du capital ! Cela représente huit fois le déficit de la CNAV…
C’est donc un vrai débat sur la répartition des richesses et le financement de nos retraites qui aurait dû s’ouvrir. Nous souhaitons une discussion en profondeur sur les choix de société, et nous combattons ceux que vous entendez nous imposer au travers de cette réforme. Car, derrière les retraites, c’est la place du travail, du temps libéré dans la vie, de la répartition des richesses, des travailleurs et des retraités, à qui il n’est reconnu que le droit d’exister dans la subordination aux exigences du capital, qui est en jeu !
Il n’y a pas lieu de débattre, car le Gouvernement aurait dû mettre sur la table l’ensemble des questions qui doivent être résolues et l’ensemble des réponses qui peuvent y être apportées. C’était d’ailleurs le sens du rendez-vous de 2012. Le Président Sarkozy le rappelait encore récemment : « Je n’ai pas mandat pour réformer la retraite. » Cela ne figurait donc pas dans son programme. En revanche, la réforme du système de retraite était bel et bien inscrite dans le programme du MEDEF, intitulé « Changer d’ère » ; ce programme, nous voyons bien que vous l’appliquez consciencieusement, texte après texte. Au final, la seule parole que vous défendez, au travers de tous vos projets, est celle du MEDEF, au point que nous savons maintenant qui gouverne véritablement notre pays. Oui, nous avons un Président et un Gouvernement qui agissent, en tout, comme les VRP du patronat. Cela est tout particulièrement vrai de ce projet de loi !
En effet, tout le titre V ter est consacré à l’épargne retraite. Vous faites ainsi un pas supplémentaire vers la mise en place d’un système de retraite par capitalisation. Tout est prêt pour la migration. Les pensions du système par répartition deviennent dérisoires ou inatteignables. La faillite que vous organisez est accompagnée d’une promotion de la capitalisation. Nous assistons donc à une privatisation des retraites et au partage d’un très juteux marché sur lequel vos amis, banquiers et assureurs, lorgnent depuis longtemps. Pensez donc, l’« or gris » représente un énorme marché de 230 milliards à 275 milliards d’euros chaque année, qui est encore appelé à grossir. Ces 230 milliards d’euros, qui échappaient encore aux marchés, vous leur livrez sur un plateau d’argent avec ce texte, et ce sans aucune négociation.
Il n’y a pas lieu de débattre, enfin, car la démocratie sociale a été bafouée, une fois encore. Je ne reviendrai pas sur le texte que nous avons examiné hier après-midi, relatif au dialogue social dans les TPE, mais je constate que vous avez une façon particulière de pratiquer ce dialogue social, monsieur le ministre.
En effet, ce texte a été présenté par le Gouvernement au début de l’été, sans qu’aucune réelle négociation avec les partenaires sociaux n’ait eu lieu. Certes, pour sauver les apparences et pouvoir communiquer sur vos échanges avec eux, vous avez organisé quelques rencontres. Mais quelle était la feuille de route ? Ah oui : ne pas remettre en cause les modifications des bornes d’âge projetées ni l’allongement du nombre d’années de cotisation ! À cette fin, vous leur avez adressé un courrier, le 24 août, dans lequel vous précisiez les seuls points sur lesquels vous accepteriez d’éventuelles améliorations : la question des polypensionnés, les carrières longues et le sujet, hautement sensible, de la pénibilité. Pourtant, le 24 juin, plus de 2 millions de manifestants vous avaient déjà fait connaître leur exigence de voir s’ouvrir de vraies négociations sur l’ensemble des questions posées en matière de retraite.
Or, nous le savons, sur la pénibilité, par exemple, des négociations étaient en cours depuis cinq ans. Elles faisaient suite à la précédente réforme des retraites. Chacun se souvient en effet que c’est sous condition de la tenue de telles négociations, prévues à l’article 12 du texte, que, en 2003, l’un des partenaires sociaux avait accepté l’idée de l’allongement de la durée de cotisation…
Vous ne pouvez donc pas, au détour d’un texte sur les retraites, porter, une fois encore, la seule parole du MEDEF et introduire sa seule vision, individualisée, de la pénibilité ! Car vous le savez bien, ce que le MEDEF refuse, c’est de reconnaître la pénibilité différée. Vous adoptez cette ligne en imposant au salarié de prouver, à partir d’un avis médical et d’une invalidité déclarée, le lien entre celle-ci et son travail ! C’est inadmissible, et c’est ce que nous contestons : non, monsieur le ministre, votre individualisation de l’invalidité n’est pas un progrès social !
En outre, au cours du débat à l’Assemblée nationale, vous avez de nouveau bafoué les partenaires sociaux en faisant adopter un amendement réformant en profondeur la médecine du travail ! Il s’agit, là encore, d’un cavalier gouvernemental ! Après la remise en cause des prud’hommes, cet après midi, nous assistons à une réforme en profondeur de la médecine du travail sans qu’aucun accord n’ait été trouvé sur ce dossier ! Et pour cause : malgré tous vos propos rassurants sur leur métier, je doute que les médecins du travail puissent exercer en toute indépendance selon des objectifs qu’ils n’auront pas définis.
De plus, les quelques mesures relatives à l’emploi sont tout à fait injustes, qu’il s’agisse du traitement des inégalités que subissent les femmes en matière de pensions – Isabelle Pasquet a donné tout à l’heure une démonstration claire sur ce point – ou des seniors – je rappelle à ce propos le diagnostic, posé par des chercheurs, d’un « consensus paradoxal » ou d’un « faux consensus », auquel vous ne répondez que par de nouvelles exonérations, qui contribuent au déficit que vous prétendez vouloir combler !
Quant à notre jeunesse, elle est la grande oubliée de votre réforme, ce que nous ne pouvons accepter !
Ainsi, vous le voyez, le manque de démocratie sociale est flagrant. Il vous faut donc remettre votre ouvrage sur le métier, car votre texte ne répond à aucun des problèmes que pose notre système de retraite. Il n’assure pas, pour l’avenir, un socle sur lequel la solidarité nationale pourrait s’enraciner.
L’opinion publique ne s’y trompe pas : elle refuse massivement votre projet. Sept Français sur dix ne veulent pas de votre texte et réclament son retrait. Mais vous persistez à nier l’évidence. Malgré vos affirmations et vos dénégations, chaque jour qui passe voit la mobilisation contre votre projet grandir et s’amplifier.
Le premier rôle d’un gouvernement est de chercher à assurer l’intérêt général, et non de se soumettre au diktat d’un seul. La sagesse et l’intelligence, c’est de savoir revoir sa copie quand elle est mauvaise, et il est encore temps de le faire, monsieur le ministre. Écoutez la colère qui monte ! La contestation est grandissante ; si vous y restiez sourd, elle risquerait de vous emporter.
Pour toutes ces raisons, nous demandons au Sénat d’adopter notre motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)