Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, chères et chers collègues, le premier sentiment que l’on éprouve quand on songe au parcours législatif qu’a connu ce texte, c’est une vive déception et une profonde colère devant l’ampleur du gâchis. Quel rendez-vous manqué avec la démocratie ! C’est affligeant !
Alors que différents membres de ce gouvernement, à commencer par son ministre du travail, n’ont cessé de nous affirmer, la main sur le cœur, que la mise en place d’un dialogue social rénové était leur priorité, dans cette « France d’après » qu’ils appelaient de leurs vœux, au moment où il s’est agi de mettre en musique les paroles et de passer aux actes, rien n’est venu ! Le vide sidéral…
Mais, parallèlement à cette réalité, comme vous ne pouvez pas décemment admettre que ce texte a été vidé de sa substance – n’est ce pas M. Gournac ? –, il faut que vous parveniez à affirmer que c’est une réussite et un beau compromis obtenu en CMP !
Si cela ne portait pas tant à conséquence pour les 4 millions de salariés concernés, nous aurions envie de sourire, et même de rire franchement devant tant de contorsions pour tenter de sauver la face. Une telle pirouette force l’admiration, mais cette comédie est détestable tant il est indéniable que la montagne a accouché d’une souris.
Ce texte est donc vraiment un rendez-vous manqué. Un de plus ! Ici, il s’agit surtout d’un rendez-vous manqué avec le dialogue social, qui laisse en plan ces 4 millions de salariés travaillant dans les très petites entreprises de France : ils ont été trompés !
Il faut se rendre à l’évidence : ces salariés continuent à rester privés de toute représentativité collective dans leur emploi. Il est vrai que ces femmes et ces hommes seront dotés, mais vraiment a minima, du droit constitutionnel de voter pour des représentants syndicaux de leur choix…Du reste, en fait, même ce droit-là, ils et elles ne l’ont pas obtenu puisque l’élection se fera sur sigles syndicaux !
Nous voulons aussi dénoncer la manière dont cette CMP a été organisée. Depuis le mois de juillet, nous demandions à en connaître la date. Or c’est uniquement le mardi 28 septembre, en commission, que nous avons appris qu’elle aurait lieu le 30 septembre, non plus au Sénat, comme c’était prévu initialement, mais à l’Assemblée nationale. Ainsi, du fait de la fixation tardive de la date de cette réunion, nous étions absents des débats en CMP et n’avons pu déposer des amendements pour dénoncer le déni de démocratie auquel nous assistons avec ce texte.
Aussi, monsieur le président, monsieur le ministre, je m’élève énergiquement au nom de mon groupe contre cette asphyxie que vous cherchez à nous infliger et qui ne permet pas de travailler dans de bonnes conditions. Tout est fait pour éviter la contestation et confisquer le débat ; le travail en amont des textes devient impossible.
Il en est de même, d’ailleurs, pour le texte sur les retraites. Le texte de la commission a été disponible le mercredi 29 septembre, tard dans la soirée ; le rapport, quant à lui, est paru vendredi 1er octobre, et la date limite de dépôt des amendements a été fixée au lundi suivant à onze heures.
M. Guy Fischer. Ce n’est pas normal !
Mme Annie David. Malgré le travail rapide et sérieux de la commission – le rapporteur a déposé plus de cent vingt amendements, et nous nous sommes réunis longuement mardi et mercredi dernier pour les examiner –, l’organisation de nos travaux, là encore, n’est pas à la hauteur de cet important débat de société.
La démocratie devient une parodie de démocratie, tout comme votre texte sur le dialogue social est une parodie de texte, qui ne contient aucune avancée en matière de dialogue social dans les TPE. La seule chose qui vous importe, c’est la communication gouvernementale et l’apparence formelle du respect de la loi et de vos engagements. Peu importe que la coquille soit entièrement vide !
J’en viens au caractère tout à fait singulier de la situation. En effet, les deux rapporteurs étaient d’accord, à l’issue de la discussion au Sénat, sur le texte retenu. L’ensemble de l’opposition jugeait possible de trouver un terrain d’entente, compte tenu de la rédaction du projet de loi votée au Sénat, et elle avait été substantiellement allégée au passage.
Toutes les organisations syndicales de salariés se trouvaient dans le même état d’esprit, tout comme l’Union professionnelle artisanale, qui ne représente pas moins de 800 000 entreprises artisanales, ou encore la FNSEA et l’Union nationale des professions libérales, l’UNAPL.
Finalement, les seuls à ne pas être d’accord étaient le MEDEF, CGPME et certains membres influents du groupe majoritaire UMP. Et pourtant, cela aura été suffisant pour faire capoter le texte, quoi qu’en disent certains aujourd’hui.
Au cours de l’examen de ce projet de loi, en particulier lors de son passage devant l’Assemblée nationale, on a vraiment vu à l’œuvre le lobbying du MEDEF et de la CGPME, lobbying qui ne se prive pas de se vanter de sa réussite !
En effet, sans la moindre gêne, la CGPME n’a rien trouvé de mieux que de nous envoyer sa prose, dès le 1er octobre, dès la fin de la CMP, et avant même que ses conclusions ne soient adoptées en séance publique ! Mais il est vrai que les artisans sont appelés à élire leurs représentants et que, à cette occasion, la CGPME aimerait bien prendre quelques parts à l’UPA…
Sans aucune pudeur, donc, la CGPME n’hésite pas à écrire : « Relayée à travers toute la France par le biais de ses unions territoriales, la forte mobilisation de la CGPME a payé. » Il s’agirait, selon elle, de « préserver la qualité des relations humaines au sein des petites entreprises » et de permettre aux TPE « d’échapper à une nouvelle forme de bureaucratie permettant aux syndicats de salariés de se voir attribuer un droit de regard là où ils ne sont pas présents ».
Ces arguments rappellent la vieille idée selon laquelle « chacun est maître dans son foyer ». Chaque employeur d’une TPE ferait ainsi ce qu’il veut dans sa petite structure, et l’État n’aurait pas à y mettre son nez.
Cette idée selon laquelle le droit n’a pas à se mêler de ce qui se passe dans les TPE est très dangereuse. Si le droit s’arrêtait au seuil des foyers et des entreprises sous prétexte qu’elles sont petites, ce serait très grave. Toute une partie de l’histoire du droit est précisément constituée de ces conquêtes où le droit s’applique même dans des lieux cachés, à l’abri des murs. Sans cette entrée du droit dans les propriétés privées, nombre d’infractions n’auraient jamais été connues. Aujourd’hui encore, des femmes seraient battues à mort par leur mari ou compagnon sans que cela soit sanctionné comme un crime.
Le droit est entré dans les fabriques au XIXe siècle, et ce qu’il y a vu était terrible… Ainsi est né le droit du travail. Le droit ne peut pas se contenter de faire confiance à l’aptitude des employeurs et des salariés à tout régler eux-mêmes dans les TPE. Non ! Partout où il existe des inégalités entre les parties, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère. (Très bien ! sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Paul Raoult applaudit.)
On a joué sur la peur, ce terrible et irrationnel ressort humain, que ce gouvernement convoque de plus en plus souvent dans sa politique, notamment dans sa politique sécuritaire. La peur empêche de réfléchir et coupe court à tout dialogue… C’est bien le problème avec ce texte qui était censé faire progresser le dialogue social.
Oui, on a agité la peur, et cela a fonctionné. Les patrons des très petites entreprises qui, au début, avaient bien vu que la version originelle de ce texte était équilibrée et source de dialogue social, sans risque pour eux, ont finalement reculé. Et le Gouvernement, qui prend directement ses ordres du patronat, a dû, lui aussi, reculer.
Sur le fond, comment accepter que le dialogue social puisse, en France, ne concerner qu’une partie des salariés et en exclure ceux des TPE ? Ce n’est ni possible ni souhaitable.
Pour sortir de l’impasse, les rapporteurs ont tenté de trouver un compromis. Mais il est des plus étranges, comme le montre la simple lecture de l’article 4, spécialement de son dernier alinéa, ajouté lors de la CMP.
On a donc tenté d’établir un lien entre le nouveau scrutin et la composition, non pas des commissions nouvelles, l’article 6 étant supprimé, mais des commissions paritaires existantes, qui ne sont pas spécialement dédiées aux très petites entreprises. On a donc supprimé les commissions paritaires territoriales et réduit à néant l’espoir que l’article 6 avait suscité.
Cet espoir avait déjà été malmené, car la proposition d’amendement soutenue par le Gouvernement au cours du passage de ce texte l'Assemblée nationale était bien en deçà des promesses… Lors du débat, vous vous interrogiez, monsieur le ministre : « Que vont faire ces commissions ? Elles ont un pouvoir limité, c’est le moins que l’on puisse dire. Elles peuvent diffuser des bonnes pratiques, dans le domaine professionnel qui est le leur. Elles peuvent appuyer les choses dans le domaine de l’emploi, de la formation, des conditions de travail. Il n’est pas totalement ridicule de penser que, à un moment donné, sur le plan régional, dans le cadre d’un métier, les organisations patronales et les organisations de salariés peuvent se réunir. Il n’y a pas de quoi avoir peur. Elles discuteront de choses qui revêtent un intérêt collectif pour la profession concernée. En outre, cette démarche est facultative… »
Vous voyez, mes chers collègues, le ministre lui-même parlait de peurs qu’il ne fallait pas agiter, de propos qu’il ne fallait pas diaboliser, car cela empêche tout simplement d’en parler !
Vous avez d’ailleurs bien précisé qu’il ne s’agissait pas pour le Gouvernement de « créer, tout d’un coup, une représentation dans les entreprises de moins de onze salariés », avant d’ajouter : « S’il y avait dans le texte du Gouvernement le moindre risque de créer des institutions représentatives du personnel dans les entreprises de moins de onze salariés, il n’y aurait pas de texte du Gouvernement ! »
Malgré tous ces propos, l’article 6 a été supprimé, et ce qui fait enrager, c’est de voir que cette opération de sabotage a réussi alors même que les arguments avancés n’auraient pas dû être audibles.
Comment peut-on dire, comme l’a fait la CGPME, que ces commissions auraient été inutiles, car, dans les TPE, employeur et salariés se parlent directement ? C’est absurde, car l’un n’empêche pas l’autre. Et même si c’est vrai quand tout va bien, c’est précisément là où il n’existe aucune structure que la médiation est utile.
Faut-il rappeler que 80 % environ du contentieux prud’homal correspond à des litiges survenus dans les très petites entreprises ? Ce taux s’explique par l’absence de lieux de discussion dans ces entreprises, contraintes dès lors de se tourner vers la médiation des prud’hommes, seule instance paritaire qui leur est ouverte.
Pourtant, moins de dialogue social, c’est plus de mal-être au travail, plus d’abus sur le lieu du travail. Je renvoie mes collègues qui ont participé à la mission d’information sur le mal-être au travail aux conclusions et propositions que nous avons adoptées à l’unanimité.
Ce texte est l’illustration du fiasco de la démocratie telle qu’elle se pratique en 2010 sous ce gouvernement. Le ton est donné et nous vous faisons confiance pour nier avec la même évidence les injustices criantes que contient votre texte sur votre contre-réforme des retraites.
Si le projet de loi sur les retraites est aussi juste que ce projet de loi sur la démocratie sociale améliore le dialogue social, alors, nous avons fort à craindre que cette réforme des retraites ne signe à plus ou moins long terme la mort de la retraite par répartition !
Pour nous, le compromis dont parlent certains n’en est pas un : c’est un recul, un abandon. C’est pourquoi nous sommes en colère pour les salariés des très petites entreprises.
Sans doute pour ne pas gâcher une belle journée, et peut-être même de bonne foi, vous-même, monsieur le président du Sénat, le 14 septembre, devant le congrès de l’UPA, annonciez à vos hôtes – vous ne vouliez évidemment pas les décourager – qu’ils auraient de bonnes surprises sur ce texte. Les sénateurs vous paraissaient déterminés… Autant que vous les sentiez, comme vous-même, déterminés à propos du projet de loi de réforme des collectivités territoriales !
Autre point de ce texte que nous jugeons scandaleux : l’article 8, qui prévoit que le prochain renouvellement des conseils de prud’hommes aura lieu au plus tard le 31 décembre 2015. Cette disposition qui n’a rien à faire dans ce texte et constitue donc un cavalier législatif y est néanmoins demeurée !
Proroger le mandat des conseillers prud’homaux, c’est se donner du temps pour mettre un terme à cette élection et nommer directement ces juges grâce à l’audience syndicale.
Ainsi, les salariés des TPE, déjà écartés de toute vie démocratique dans leur entreprise, se verront de surcroît privés de droit de vote aux élections prud’homales, seule occasion qu’ils ont encore de voter à une élection professionnelle. Ce nouveau coup bas est en préparation, nous n’en doutons pas.
Ce texte est donc hautement symbolique et témoigne d’un recul tout à fait concret. Plus de 4 millions de salariés sont ainsi trompés : autant de salariés qui vont venir grossir les rangs des mécontents de votre politique de classe.
Décidément, le patronat français, en particulier le patronat du CAC40, n’est pas prêt à ce que s’installent en France les conditions d’un véritable dialogue social.
Ce coup de force du MEDEF et de la CGPME contre l’UPA souligne à quel point la question de la représentativité des organisations patronales en France devient un chantier prioritaire dans notre pays si l’on veut vraiment faire avancer le dialogue social. Mais cette question est plus que taboue en France ; j’espère néanmoins, monsieur le ministre, que nous serons amenés à débattre de ce sujet très prochainement et je pense que l’ensemble des sénateurs et sénatrices de la commission des affaires sociales le souhaitent également.
Je n’ai plus le temps ici de vous rappeler nos débats passés, mais un amendement de notre collègue Alain Gournac, en tant que rapporteur du texte sur la représentativité syndicale, amendement également soutenu par Nicolas About, alors président de la commission des affaires sociales, avait été rejeté à peu de voix près. Sans doute aurons-nous à cœur d’en débattre de nouveau !
Pour conclure, je tiens à vous dire, monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, que les salariés ici trompés vont certainement vous faire savoir, dans les semaines à venir, qu’ils ne veulent pas non plus de votre projet de loi portant réforme des retraites. Les cortèges grossissent, la mobilisation grandit. Nous étions avec eux tout à l’heure. Saurez-vous les entendre, monsieur le ministre ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi s’inscrit dans la démarche engagée par le Gouvernement pour renforcer le rôle des partenaires sociaux et la place de la négociation collective dans l’élaboration de notre droit social, démarche engagée avec la loi de modernisation du dialogue social, une loi que vous aviez voulue, monsieur le président, alors que vous étiez ministre du travail, et que j’eus l’honneur de rapporter au Sénat au début de 2007.
Dix-huit mois après, la loi d’août 2008 réformait enfin profondément les règles de la représentativité syndicale. Elle permettait de dépasser la notion de présomption irréfragable datant de l’après-guerre pour passer à un système fondé sur l’élection, qui conférait ainsi une légitimité réellement plus grande aux représentants syndicaux.
La loi engageait aussi, pour un avenir relativement proche, les TPE. Mais il n’a pas été possible de parvenir à l’accord entre tous les partenaires sociaux qui était le vœu du Gouvernement.
Plusieurs syndicats ont adressé au Gouvernement une lettre commune, qui a servi de base à ce projet de loi. À partir de cette base, les avis des uns et des autres ont été écoutés et pris en compte par le Gouvernement, puis par nous-mêmes, au Sénat, en particulier par notre rapporteur, dans une réelle volonté de respect du dialogue social.
C’est pourquoi le déchaînement des passions qu’a provoqué ce texte m’a plutôt surprise, d’autant qu’aucune des mesures proposées n’était de nature à bouleverser le droit du travail.
Le texte traite tout d’abord et surtout d’une question sur laquelle il était essentiel d’avancer : la mesure de l’audience syndicale dans les TPE. Il s’agit très logiquement de tenir compte de la préférence syndicale des salariés des TPE à partir du moment où les accords négociés, notamment au niveau des branches, leur sont appliqués.
Si aucune disposition ne prenait en compte la voix des salariés des TPE, ce sont toutes les règles de représentativité mises en place par la loi de 2008 qui risquaient de devenir inconstitutionnelles. On l’a dit, les salariés des TPE sont au nombre de 4 millions, représentant près de 20 % des salariés du secteur privé. Il était inimaginable de les exclure.
Le Gouvernement a retenu le principe d’un scrutin sur sigles, qui allie souplesse et simplicité, donnant des droits aux salariés sans contraintes nouvelles pour les petites entreprises.
Même si, en tant qu’élue, cette première approche m’a surprise, je pense sincèrement que les modalités de scrutin retenues par le Gouvernement, c'est-à-dire le vote par correspondance et le vote électronique, pourront s’avérer stimulantes, surtout si ce vote peut s’étaler sur plusieurs jours, donnant ainsi aux salariés une réelle liberté de se décider et de s’exprimer quand ils le souhaitent ou quand ils en ont le temps.
Par ailleurs, la création, à l’article 6, des fameuses commissions paritaires régionales a posé des difficultés. Là encore, j’ai mal compris les polémiques auxquelles ce point a donné lieu, car la création desdites commissions n’a jamais été conçue comme obligatoire.
Je ne vois pas en quoi ces nouvelles commissions paritaires présentaient de graves dangers, tant le dispositif était encadré. Et, contrairement à ce que certains ont voulu faire croire, il ne s’agissait nullement d’introduire, contre la volonté des chefs d’entreprise, des délégués dans les TPE, d’autant qu’un amendement de notre rapporteur précisait qu’elles ne pouvaient être créées sur le plan local : il aurait donc été bien difficile pour les commissions de se pencher sur la situation particulière de telle ou telle entreprise. Au surplus, la commission avait précisé que leurs membres ne pourraient pénétrer dans les locaux d’une entreprise sans l’accord du chef d’entreprise.
Mais ces polémiques sont peut-être nées du fait que certains voulaient, au contraire, étendre les prérogatives des commissions, les rendre obligatoires et imposer des modalités rigides de dialogue social dans des petites entreprises qui n’étaient pas demandeuses. C’est sans doute la raison pour laquelle les députés ont supprimé l’article 6.
Je suis donc heureuse qu’un dialogue ait pu s’établir avant et pendant la réunion de la commission mixte paritaire. J’ai constaté que les rapporteurs s’étaient montrés attentifs aux préoccupations exprimées dans chacune des assemblées et qu’ils ont proposé conjointement un dispositif de compromis. Ce dispositif rend, de surcroît, utile le vote des salariés des TPE puisqu’il déterminera la composition des commissions.
C’est une solution de bon sens, car elle s’appuie sur les structures déjà existantes et permet d’aboutir au but recherché : permettre à des commissions dotées de prérogatives très encadrées de traiter des préoccupations des très petites entreprises. Les partenaires sociaux seront libres de faire ce qu’ils jugent utile : le dispositif est entièrement facultatif.
Comme l’a souligné notre rapporteur, c’est cela le débat parlementaire : parvenir à une solution alors même que les choses étaient mal engagées.
L’avenir nous dira si le fonctionnement des commissions existantes s’en trouve amélioré.
Pour l’heure, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe UMP votera ce projet de loi, qui représente une nouvelle étape vers la rénovation de la démocratie sociale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Guy Fischer. Il vaudrait mieux être sourd que d’entendre ça !
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ce texte issu de la commission mixte paritaire, nous concluons donc l’examen du projet de loi complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi du 20 août 2008. Je précise d’emblée que mon intervention tiendra également lieu d’explication de vote.
Ce texte devait répondre à deux aspects essentiels de la démocratie dans les TPE : la représentativité des salariés et de l’audience syndicale. Or un seul de ces volets a été pris en compte : il s’agit de l’audience des syndicats, mais uniquement – cela a déjà été dit – au regard du sigle, ce qui n’est pas satisfaisant. Il aurait été, bien sûr, préférable que les salariés puissent élire nommément leurs représentants dans les futures négociations.
Quant à la représentativité des salariés, elle fait l’objet d’une prise en compte inadéquate puisque la mise en place des commissions paritaires régionales sur la base de ce scrutin, devenue facultative après le passage devant notre assemblée, n’existe même plus.
Les travaux de la commission mixte paritaire n’ont fait que peu bouger ces lignes. Des amendements ont été déposés à l’article 4. L’un vise à préciser les conditions dans lesquelles peut s’effectuer le vote électronique. Un autre introduit la possibilité que le scrutin se tienne en dehors des heures de travail, ce qui constitue, bien évidemment, une rupture d’égalité entre les salariés des TPE. Enfin, une autre disposition introduit des clauses restrictives à l’exercice des fonctions d’assesseur, de délégué ou de mandataire.
Une fois encore, la majorité s’est inscrite dans la logique du MEDEF. Celui-ci considère en effet que l’élection professionnelle au sein des TPE ne doit pas voir le jour. Le MEDEF estime que l’objet essentiel de la loi du 23 août 2008 est de modifier les critères de représentativité syndicale et non pas d’étendre la tenue obligatoire d’élections professionnelles dans les très petites entreprises. Il refuse aussi la création d’instances représentatives du personnel spécifiques aux TPE.
Ce travail de sape est parfaitement contraire aux intérêts de l’ensemble des acteurs économiques et sociaux. La Banque mondiale ne dit pas autre chose quand elle « estime que la France perd un point de PIB par an à cause du mauvais climat entre les salariés et leur patron, qui entretiennent une grande méfiance ». Faire progresser le dialogue social au sein des TPE, c’est faire aussi progresser la démocratie dans son intégralité. Aux yeux du groupe socialiste, cette question est essentielle et participe de la dignité du salarié.
Rappelons en outre que bien des TPE doivent régler de nombreux points qui nécessitent une structure de dialogue : hygiène et sécurité, évaluation des risques professionnels, conditions de travail, amplitude horaire, travail dominical, emplois saisonniers... Dépourvues de ces structures de dialogue, les victimes sont souvent les salariés, mais aussi les employeurs ; je pense notamment aux entreprises sous-traitantes.
La juste représentativité des salariés, le dialogue social et les structures qui le rendent possible constituent des instruments essentiels à la pérennisation de l’activité. Ne nous y trompons pas : ce dialogue est complémentaire du management. Il est progressivement devenu une condition nécessaire d’une administration performante des ressources de l’entreprise et il est désormais reconnu comme telle. Il permet, en effet, de mieux répondre aux besoins des partenaires de l’entreprise, de favoriser l’initiative et la prise de responsabilités et de mieux prendre en compte les aspirations des salariés. Le président du Cercle des jeunes dirigeants ne dit rien d’autre lorsqu’il déclare : « Les entreprises où le dialogue social est bon résistent mieux, la crise n’a pas d’effet, ou peu… À l’inverse, dans les entreprises où le climat est tendu depuis des années, la crise fait exploser la situation. »
J’en viens, enfin, aux deux dispositions qui font débat.
L’article 6 permettait d’instaurer des commissions paritaires régionales en direction des TPE. Après l’examen du texte par le Sénat, elles étaient devenues facultatives et pourvues de compétences réduites. Mais, non contente d’avoir procédé à cette réduction de la portée de la disposition en question, la majorité a décidé tout simplement de la supprimer. Nous ne pouvons que désapprouver le sabordage de cette timide avancée pour la représentativité de ces quelque 4 millions de salariés. Nous le déplorons d’autant que ce résultat n’est que le produit d’une lutte intestine à l’UMP. Une fois encore, l’intérêt des salariés a été négligé.
De même, nous avions espéré que notre amendement permettant l’ouverture de négociations interprofessionnelles d’ici au 31 décembre 2011 sur la représentation patronale aurait été accepté. Il s’agissait d’une avancée importante, d’une chance pour la démocratie et pour notre économie. Elle aurait permis l’instauration d’une représentativité patronale plus conforme à la réalité. Mais, une fois encore, la majorité s’y est opposée et nous le regrettons vivement
Pour le groupe socialiste, faire vivre la démocratie au sein de nos entreprises, et plus particulièrement au sein de nos TPE, est une nécessité si l’on prétend promouvoir le dialogue social, mais aussi une chance pour l’efficacité économique de notre pays. C’est tout le sens de la responsabilité sociale de l’entreprise. Manifestement, la majorité ne l’entend pas de cette oreille. Elle préfère rester arc-boutée sur une vision passéiste de l’entreprise, lourde de méfiances. Or, en ces temps de crise, c’est dans un climat fait de respect et de mutualisation de toutes les forces que nous parviendrons à relever les défis existants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte relatif au dialogue social dans les très petites entreprises était, à nos yeux, important.
Tout d’abord, ainsi que mes collègues l’ont souligné, il ne concerne pas moins de 4 millions de travailleurs. Ensuite, et surtout, il était l’occasion de faire avancer la démocratie dans le monde du travail en mettant fin à la discrimination dont sont souvent victimes, de droit et de fait, ces salariés.
Malheureusement, le projet de loi a été amputé de la disposition qui aurait pu permettre à des travailleurs qui sont des citoyens dans la cité de devenir également des citoyens dans leur entreprise. Vous l’avez compris, mes chers collègues, je centrerai mon propos sur cette occasion manquée que constitue la suppression de l’article 6 du projet de loi.
Cet article prévoyait en effet de créer des commissions chargées d’apporter une aide en matière de dialogue social dans les entreprises de moins de onze salariés. En juillet dernier, l’Assemblée nationale a supprimé cette avancée, une suppression confirmée, la semaine dernière, par la commission mixte paritaire.
Pourtant, le présent texte constituait à l’évidence une occasion de briser enfin cette logique manichéenne et absurde selon laquelle l’intérêt de l’entreprise et les droits des travailleurs seraient antagonistes.
En d’autres termes, par-delà les conservatismes, la sagesse du législateur ne consistait-elle pas, en l’espèce, à affirmer non seulement que le dialogue social ne s’oppose pas à l’intérêt de l’entreprise, mais qu’il en est, au contraire, l’une des composantes ?
Tel était l’esprit des lois Auroux de 1982, en vertu desquelles, rappelez-vous, « les travailleurs doivent devenir les acteurs du changement dans l’entreprise ».
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire, version minimale du projet de loi, est donc, à nos yeux, un déni de démocratie sociale. Ainsi, à partir de 2012, les salariés auront le droit de désigner tous les quatre ans leur syndicat préféré, mais pas celui d’élire des instances de représentation. Or l’état positif du droit est contraire à deux principes constitutionnels.
D’une part, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». En l’espèce, le principe d’égalité entre les salariés des entreprises de tailles différentes n’est pas respecté du point de vue de leur représentation.
D’autre part, le préambule de la Constitution de 1946 affirme que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » et que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Vous en conviendrez avec moi, le système mis en place par la loi du 20 août 2008 demeure insatisfaisant au regard de cette exigence dans la mesure où aucune représentation du personnel n’est prévue dans les entreprises de moins de onze salariés.
En tant que législateur, nous avions la responsabilité de créer les conditions équilibrées susceptibles d’instaurer une vraie démocratie sociale, fondée sur le principe de l’égalité. Or il est évident que les salariés des très petites entreprises sont moins bien protégés que ceux des entreprises plus importantes : leurs salaires, leur droit à la formation et leurs droits sociaux sont souvent moindres.
L’adoption de l’article 6 du projet de loi était donc l’occasion de corriger ce déséquilibre et de faire droit à la volonté des salariés concernés ; je rappelle que 70 % d’entre eux souhaitent avoir un vrai représentant. À l’évidence, le rendez-vous est manqué.
Pourtant, comme l’avait indiqué le Premier ministre lui-même, l’institution de commissions paritaires n’avait rien de révolutionnaire, d’autant que, après le vote du projet de loi par le Sénat, celles-ci étaient devenues facultatives et avaient des compétences réduites au niveau régional, et non plus local. Il s’agissait simplement de donner une traduction concrète aux engagements pris dans la loi du 20 août 2008, approuvée par les partenaires sociaux. Or celle-ci devient de facto inapplicable. Ce minimum-là nous est refusé dans ce texte.