Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Je conclus, madame la présidente.
Aller à l’école est un devoir. M. le Président de la République nous a indiqué, à midi, combien il aurait aimé, s’il en avait eu la possibilité, défendre lui-même ce texte. Malheureusement, ce n’est pas possible (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste.)…
Mme Françoise Cartron et M. Yannick Bodin. C’est dommage !
M. Jean-Louis Lorrain. … et nous y suppléons humblement, par une argumentation solide.
Je souhaite vivement que les travailleurs sociaux, qui me sont chers, adhèrent à la réflexion que nous essayons de mener sans écouter les caricatures, et ce dans le respect de leurs pratiques.
Le droit à l’éducation est un bien, le refuser par négligence est une faute citoyenne ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à la délinquance des jeunes, toutes les institutions concernées par l’éducation des enfants et des adolescents se trouvent remises en cause.
Inéluctablement, l’éducation, l’autorité des parents sont convoquées. Certes, l’école est l’un des principaux lieux où se détecte la délinquance, en même temps qu’elle peut être un puissant levier d’action. Mais l’idée d’une mise sous tutelle des prestations familiales en cas de refus manifeste des parents d’assumer leurs responsabilités en matière d’assiduité scolaire doit être examinée prudemment.
M. Roland Courteau. Effectivement !
M. Serge Lagauche. Il faut éviter la rupture du lien entre l’école, les parents et les élèves, car les mesures financières visant à sanctionner les parents concernés par l’absentéisme scolaire ne peuvent que renforcer l’isolement et la fragilité de ces familles.
Les tensions suscitées risquent de s’exprimer dans de nouvelles formes de rupture et de transgression. Or le basculement de l’absentéisme scolaire dans la délinquance n’est en rien systématique. Celle-ci ne saurait, quoi qu’il en soit, épuiser les politiques qui doivent être menées en direction des familles.
De fait, la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance a abrogé le dispositif de suspension ou de suppression des prestations familiales en cas d’absentéisme. Lors des débats de l’époque, votre majorité estimait avec raison que « son application pouvait se révéler impossible, inefficace ou inéquitable », ce qui a déjà été rappelé à plusieurs reprises.
Plus important encore, cette loi prévoyait l’organisation d’un processus de suivi en cas d’absentéisme : réactivité des établissements, dialogue avec les familles et soutien aux parents qui se sentent démunis. Le décret d’application du 19 février 2004 donnait même la possibilité à l’inspecteur d’académie de proposer un module de soutien à la responsabilité parentale et demandait qu’une commission de suivi de l’assiduité scolaire, regroupant tous les partenaires concernés au niveau local, soit instituée dans chaque département.
Las, de telles dispositions ont fait long feu ! À peine annoncés, et c’est fort regrettable, les modules de soutien et les commissions départementales ont été supprimés avec la mise en place du contrat de responsabilité parentale, qui a connu un succès pour le moins mitigé : vous l’avez reconnu vous-même, monsieur le ministre, il ne fonctionne pas.
Pourquoi ? Il ne s’agit pas de logique partisane, vous le savez bien. De toute évidence, cette mesure se heurte aux réticences clairement exprimées par les conseils généraux, qui considèrent qu’elle va à l’encontre de la confiance à établir dans la démarche d’accompagnement des familles.
En réalité, une seule institution peut légitimement imposer une sanction telle que la suspension ou la suppression des allocations familiales : il s’agit de la justice.
Lorsque les fonctions parentales ne sont plus remplies, risquant d’engendrer des conséquences graves sur les enfants mais également pour autrui, il est du devoir de l’État de redonner un sens à l’autorité de l’adulte. Il revient dès lors au tribunal pour enfants – et à lui seul – d’édicter un rappel à la loi dans le cadre de la protection de l’enfance en danger.
Il sera d’autant plus efficace qu’il sera doublé de la mise en place d’un accompagnement éducatif très intense, au sein duquel une sanction telle que la mise sous tutelle, voire la suspension provisoire des allocations familiales, pourra trouver tout son sens.
Plutôt que d’adresser des messages négatifs aux familles les plus en difficulté, il nous faut rechercher, selon l’esprit de la loi de 2004, les moyens de contribuer à l’étayage de l’estime de soi des parents, des élèves,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Serge Lagauche. … au travers d’une stratégie de dialogue et de coresponsabilité pour favoriser l’assiduité.
Il appartient à chaque établissement de conduire une réflexion en interne sur les causes de l’absentéisme, et d’en dégager une typologie afin de mettre en place des stratégies adaptées.
Il est apparu qu’un certain nombre de mesures déjà expérimentées sont de nature à réduire efficacement l’absentéisme. Il s’agit en particulier des mesures portant sur les rythmes scolaires, sur l’organisation de la vie scolaire ou visant à renforcer le dialogue entre les élèves et les adultes de la communauté éducative, entre les parents et l’établissement, ou encore par des approches pédagogiques différenciées visant à accroître la motivation des élèves en les aidant à percevoir le sens des apprentissages. Il convient de les généraliser.
Une attention particulière doit être portée à l’équilibre de l’emploi du temps des élèves, qui améliore les conditions de travail scolaire et concourt de fait à une meilleure assiduité. L’accent peut aussi être mis sur l’aménagement et l’animation des lieux de travail. Il s’agit de faire des établissements scolaires des lieux de vie attractifs, permettant de développer à la fois l’autonomie des individus et la cohésion sociale.
On voit dès lors l’intérêt de soutenir et de développer prioritairement des actions d’apprentissage de la citoyenneté et des règles de vie en société dans les établissements scolaires.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Serge Lagauche. Elles seront d’autant plus efficaces qu’elles prendront place non seulement dans une démarche pensée sur la durée de l’année scolaire, mais également dans un plan d’actions intégré et adapté à chaque âge, de la maternelle au lycée.
Ces actions doivent être contractuelles et figurer dans le projet d’établissement : à cet égard, il est important d’y associer étroitement les élèves et les parents d’élèves. Il convient de s’assurer de leur participation à l’élaboration et à la compréhension du règlement intérieur, à la définition des règles de vie collective.
Enfin, une attention particulière doit être portée à la prévention de la rupture scolaire des élèves les plus fragiles en développant, au sein du système éducatif, les meilleures conditions possibles d’apprentissage afin de leur permettre de sortir avec une orientation positive. On veillera aussi à éviter les ruptures pédagogiques entre l’école maternelle, l’école élémentaire et le collège.
Toutefois, pour lutter efficacement contre l’absentéisme scolaire, il convient également d’en examiner les causes sociales. En réalité, l’absentéisme scolaire questionne les fondements mêmes de notre pacte républicain : nombre d’enfants et de parents doutent de l’intérêt de l’école, s’en méfient, voire la rejettent.
Car la première des injustices en France est celle du chômage. Jamais la précarité, l’exclusion, qui touchent d’abord les individus les plus fragilisés, n’ont été si importantes. Cette situation a des effets dévastateurs, en termes de cohésion sociale ou d’insertion et d’intégration.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Serge Lagauche. La société adresse en effet un message destructeur à un quart de ses jeunes, au chômage : elle n’a pas de place pour eux.
Face à la paralysie inquiétante de notre mobilité sociale, à la multiplication des discriminations et donc des inégalités dans l’accès au travail, aux responsabilités, quelles réponses l’école apporte-t-elle ? Loin de corriger les inégalités, elle semble participer de cette logique de « destins », où les plus modestes socialement sont aussi les plus en échec. Comment ne pas douter que l’absentéisme scolaire participe d’un sentiment de résignation ou de contestation violente ?
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Serge Lagauche. Méfiance et rejet envers l’école sont particulièrement forts dans les populations les moins favorisées.
Aussi, plutôt que d’adopter des principes égalitaristes, nous devons concentrer les moyens sur les publics les plus en difficulté. Il faut recourir à des mesures concrètes d’équité en faisant plus pour ceux qui ont moins : donner plus de capital public à ceux qui ont moins de capital personnel.
M. Roland Courteau. Écoutez, monsieur le ministre !
M. Serge Lagauche. Je ne citerai que quelques-unes des mesures les plus urgentes à prendre : la scolarisation des enfants de moins de trois ans dans les zones défavorisées ; la réforme des ZEP, les zones d’éducation prioritaires, qui devraient être beaucoup moins nombreuses, mais dotées de moyens réellement significatifs – elles doivent être recentrées sur les quartiers les plus difficiles et permettre, notamment, une diminution réelle des effectifs de classe – ; la concentration des moyens de soutien sur les élèves en difficulté et dédiés au rattrapage des enfants en difficulté d’apprentissage, en multipliant en particulier les classes relais pour les élèves décrocheurs ; le renforcement du rôle des associations et des collectivités locales assurant l’aide aux devoirs ou développant des activités culturelles et sportives.
M. Roland Courteau. Excellentes propositions !
M. Serge Lagauche. Permettez-moi de conclure sur les actions en faveur de l’aide à la parentalité. On sait qu’elles ont plus de mal à fédérer les familles où les enfants sont collégiens que celles où ils sont des élèves du primaire. La « mallette des parents » est certes généralisée sur l’ensemble du territoire, mais elle arrive trop tard dans la scolarité ! Les actions de formation et d’information à destination des enseignants et des parents, le développement de liens directs entre les écoles primaires, les parents, le tissu associatif et les collectivités locales doivent être mis en place dès les petites classes.
Parallèlement, il faut encourager le développement des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, les REAAP, ou des « maisons des parents ».
Bien évidemment, on ne peut que souhaiter voir se multiplier les démarches visant à offrir des cours aux parents qui ne savent ni lire ni écrire ou simplement maîtrisent mal la langue française, ce qui les met en grande difficulté pour suivre le développement de leur enfant.
Plus largement, des réponses sociales individualisées et moins uniformes doivent être apportées aux familles. Il est nécessaire de prendre en considération les nouveaux modes de vie et l’individualisation croissante des parcours personnels. La modulation et la personnalisation des prestations sociales permettraient de prendre en compte la monoparentalité, les familles recomposées ainsi que les nouvelles formes d’union civile.
Face à l’absentéisme scolaire, aucune réponse à elle seule, aucune institution, ne pourra être efficace. Il faut une démarche mobilisant différentes énergies et s’inscrivant dans la durée, ce qui suppose un minimum de consensus.
L’État, la communauté éducative, les élus locaux et les associations gagneraient à se mettre autour d’une table pour élaborer, loin des postures sécuritaires, une vraie stratégie de lutte contre l’absentéisme scolaire.
Elle pourrait être contractualisée dans chaque académie, par un état des lieux des actions réalisées en mobilisant les REAAP, les maisons des parents, les écoles, les collèges et les collectivités.
Cet état des lieux permettrait de construire un plan d’actions collectives « relation écoles-collèges-familles » sur la base d’un cahier des charges s’inspirant des bonnes pratiques, qui serait décliné dans tous les établissements, en commençant par ceux qui sont situés en zone prioritaire.
Il constituerait un signal fort non pas de lutte contre l’absentéisme et l’échec scolaire, mais de promotion de l’assiduité et de la réussite de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, presque tout a été dit dans l’excellent rapport de notre collègue Jean-Claude Carle, auquel je souscris entièrement.
Permettez-moi néanmoins de faire cinq observations.
Première observation : je souhaite approfondir la notion d’absentéisme scolaire, qui porte en elle une contradiction, ou à tout le moins une anomalie. En effet, l’école de la République est obligatoire, principe reconnu qui suppose par définition qu’aucune absence ne soit admise. Or si l’on se réfère à la loi du 28 mars 1882, toujours en vigueur sur ce point, une franchise, en quelque sorte, de quatre demi-journées d’absence par mois est tolérée, sans que les parents aient besoin de la justifier, et donc paradoxalement intégrée au principe de l’école obligatoire.
Cette disposition, héritée de la société rurale du XIXe siècle qui faisait participer les enfants aux travaux des champs, n’est, à l’évidence, plus adaptée à l’école d’aujourd’hui. Ces quatre demi-journées autorisées représentent tout de même quinze jours dans l’année et sortent donc d’emblée des statistiques officielles de l’absentéisme scolaire, dont la notion ne commence qu’à partir de ce seuil. On reconnaît ainsi que, malgré le principe de l’école obligatoire, l’élève a en quelque sorte le droit de faire deux semaines d’école buissonnière par an, ce qui est loin d’être négligeable. (M. Claude Bérit-Débat s’exclame.) L’absentéisme réel est donc bien plus important que les chiffres qui ont été évoqués tout au long de ce débat.
Par ailleurs, les enseignants n’ont pas forcément la même manière d’appréhender l’absentéisme. Certains le traquent avec rigueur, d’autres l’envisagent avec davantage de souplesse, aussi bien dans le décompte des heures d’absence que dans l’appréciation des justificatifs apportés par les parents. On ne peut exclure, dans certains cas d’élèves particulièrement récalcitrants, un relatif soulagement pour l’enseignant de constater l’absence d’un élément particulièrement perturbateur, soulagement le conduisant à fermer les yeux. (Mme Françoise Cartron proteste.) Cette disparité d’appréciation, et donc de sanctions, selon les établissements opacifie la notion et contribue à rendre très difficile la mise en place d’un dispositif général et uniformisé destiné à sanctionner ces absences.
De fait, il n’est pas aisé pour l’éducation nationale d’être totalement transparente en matière d’absentéisme. D’une part, parce que le phénomène signe un aveu d’échec ; d’autre part, parce que le signalement de l’absentéisme donnant lieu à des sanctions pour les familles n’est pas de nature à conforter les relations de dialogue et de confiance qui devraient naturellement unir parents et enseignants autour de l’enfant.
En conséquence, la notion d’absentéisme scolaire est aussi difficile à évaluer qu’à sanctionner, alors même que l’on sait ce phénomène en secrète mais constante et inquiétante progression.
Deuxième observation : l’absentéisme révèle une forme d’échec familial plus large, qui va bien au-delà de l’élève et de son rapport au savoir et à l’institution scolaire. Il est souvent causé par des carences d’éducation, qui signent une véritable dislocation de la cellule familiale. Un enfant ne « sèche » pas l’école par hasard ; le phénomène traduit souvent un comportement général et un environnement néfastes, propices à sa marginalisation sociale.
Or, si l’école est le lieu d’insertion par excellence, où l’élève peut se révéler et s’épanouir, elle n’a pas vocation à restaurer une structure familiale en péril. C’est pourquoi je regrette qu’à la faveur des lois de décentralisation la logique concernant les collèges et l’action sociale n’ait pas été menée à son terme et que l’on n’ait pas transféré au département la responsabilité des assistantes sociales en milieu scolaire, alors même que le département est une collectivité à vocation sociale.
On déplore aujourd’hui un émiettement des services d’assistantes sociales, avec, d’un côté, les assistantes scolaires qui relèvent de l’éducation nationale, de l’autre, les assistantes sociales relevant du conseil général, elles-mêmes organisées en plusieurs secteurs : le service social familial, le service d’aide sociale à l’enfance, et celui de la protection maternelle et infantile, ou encore les services sociaux communaux ou spécialisés. Dans ce maquis administratif, il est difficile d’identifier les responsabilités et les compétences. Il est, surtout, difficile d’agir de manière efficace pour les familles.
Ces dernières ont besoin d’avoir affaire à un interlocuteur unique. Elles sont donc les premières victimes de cette situation. Au mieux, elles ne s’y retrouvent pas, et l’action publique est illisible. Au pire, elles se jouent des contradictions du système.
Troisième observation : le dispositif mis en place par la loi de 2006 allait intellectuellement dans le bon sens. L’inspecteur d’académie signalait les cas d’absentéisme, et donc les familles concernées, non plus à la CAF, mais au président du conseil général. Il en est de même de la loi de 2007 sur la protection de l’enfance, qui prévoit la mise en place d’une cellule unique de signalement sous l’autorité du président du conseil général.
L’objectif louable de ce système visait à remédier au problème de la multiplicité des travailleurs sociaux et à replacer l’absentéisme dans un cadre plus large, celui de l’action sociale et de la politique familiale.
Hélas ! le dispositif n’a pas fonctionné. Il y a à cela deux raisons : d’une part, les conseils généraux, à quelques exceptions près, ne se sont pas approprié le nouveau dispositif ; d’autre part, l’éducation nationale a sans doute eu le sentiment d’être dépossédée de la gestion de l’absentéisme et craint de ne plus maîtriser les conséquences de son signalement. La présente proposition de loi ne fait, en conséquence, que revenir au système antérieur à celui qui avait été mis en place en 2006.
Quatrième observation : la suppression des allocations familiales, dont l’objectif est de sanctionner financièrement les familles, reste largement théorique. Au titre de la protection de l’enfance, les conseils généraux peuvent et doivent verser des secours dès lors que la sécurité matérielle et morale de l’enfant est menacée. Et je vois mal les centres communaux d’action sociale ignorer les situations les plus difficiles.
Cinquième et dernière observation : je ne saurais trop insister sur l’instabilité juridique néfaste qu’engendrent la succession et l’empilement des dispositifs législatifs destinés à régler le sujet récurrent de l’absentéisme scolaire.
Citons les principaux : la loi du 2 janvier 2004 relative à l’accueil et à la protection de l’enfance supprime la suspension des prestations familiales en cas d’absentéisme scolaire. Deux ans plus tard, la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances désigne le président du conseil général comme acteur de l’absentéisme scolaire : c’est lui qui saisit le directeur de la CAF pour suspendre les allocations familiales des familles d’enfants absentéistes. Enfin, le 5 mars 2007, c’est le maire qui devient le pivot de cette politique de prévention avec la création du conseil des droits et devoirs des familles. Aujourd’hui, avec l’intervention de l’inspecteur d’académie et du directeur de la CAF, la proposition de loi vise à revenir au système antérieur à 2004.
Comment croire à une possible efficacité du système et à une confiance renforcée entre les adultes responsables de l’encadrement de l’enfant devant toutes ces volte-face ? À l’évidence, une telle instabilité juridique place l’éducation nationale en position difficile.
Il ne peut y avoir de solution simple et uniforme. Mais je crois qu’il faut, préalable indispensable, revenir aux fondements de l’obligation scolaire et supprimer les fameuses quatre demi-journées d’absence tolérées, sans aucune justification, instaurées en 1882 par la loi Jules Ferry, et devenues largement obsolètes.
En conclusion, je souhaite replacer ce débat dans une perspective globale. Introduire la suppression des allocations familiales, c’est reconnaître la tâche éducative des familles. Il n’est pas choquant, à mes yeux, de les sanctionner sur le plan financier dès lors que l’absence de coopération est manifeste, d’autant plus que le système proposé est volontairement progressif et fait appel à la responsabilité naturelle des parents. Il tend à rétablir un juste équilibre entre les droits et les devoirs de ces parents. C’est pourquoi il n’y a pas lieu de s’agiter ni de s’indigner faussement sur des mesures qui, si elles ne datent pas d’aujourd’hui, n’ont rien de rétrograde, mais sont tout simplement réalistes. (M. Claude Bérit-Débat s’exclame.)
C’est la raison pour laquelle je voterai ce texte. Je déplore toutefois qu’il ne revienne pas sur l’idée que l’on peut être absent deux jours par mois sans justification et sans qu’officiellement personne s’en inquiète. De ce fait, sa portée se trouve limitée.
S’occuper de l’absentéisme qui va au-delà de ces quatre demi-journées ne me semble pas le meilleur moyen d’éviter de dépasser ce seuil.
Mais je voterai ce texte sans état d’âme parce qu’il réaffirme le principe d’un juste équilibre entre droit et devoir. Et s’il peut constituer un outil de sensibilisation des familles pour renouer le chemin du dialogue et de la responsabilité, je m’en réjouis. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Domeizel.
M. Claude Domeizel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, relevant d’un sursaut « autoritariste », s’intègre parfaitement dans l’avalanche de lois sécuritaires dont nous abreuve actuellement le Gouvernement. Peut-on y voir un lien avec l’approche de l’élection présidentielle ?
M. François Trucy. Non !
M. Claude Domeizel. Tout laisse à penser que c’est le cas.
Cette proposition de loi arrive-t-elle par hasard ? Pas du tout ! Elle était pressentie, disons « téléphonée », puisque, ces derniers mois, elle a été évoquée dans plusieurs discours par le Président de la République, qui a, selon moi, une fâcheuse tendance à faire des raccourcis entre violences urbaines, immigration et, maintenant, absentéisme scolaire.
Il est donc proposé aujourd’hui de rendre encore plus aisées la suspension, puis la suppression des allocations familiales pour les parents dont les enfants sont des habitués de l’école buissonnière.
Je n’ai pas à rappeler ici qu’il est depuis fort longtemps possible de procéder à cette sanction financière toujours difficile à mettre en œuvre. Il est reconnu que les présidents de conseils généraux, de droite comme de gauche, ne l’utilisent pas assez. Pourquoi ? Manifestement pas pour des raisons idéologiques. Toute situation d’absentéisme scolaire relève d’une grande complexité.
Tout laisse à penser qu’après avoir fait une enquête sur les cas qui leur sont soumis, les présidents des conseils généraux se comportent en hommes responsables face à des comportements d’enfants et d’adolescents dont ils ne détiennent pas tous les tenants et les aboutissants. Ils sont conscients que la punition financière infligée aux parents, outre qu’elle n’améliorera pas la problématique en profondeur, pénalisera toute une famille, souvent modeste, et sans discernement.
Croyez-vous sincèrement, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que les inspecteurs d’académie, nouveaux déclencheurs de cette mesure, agiront différemment ? On peut craindre que, en dépit de leurs obligations inhérentes à leur statut de fonctionnaires d’autorité, ils n’éprouvent, pour les mêmes raisons, les mêmes réticences.
Mais alors, si l’inspecteur d’académie ne fait pas mieux que le président du conseil général, à quoi servira la présente loi ?
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
M. Claude Domeizel. Je veux revenir sur le phénomène de l’absentéisme scolaire et sur sa sensible progression. Il me paraît incontournable d’en déchiffrer au préalable les causes. Il est tellement plus facile de taper du poing sur la table que d’essayer de comprendre ! Préoccupées par ce problème, plusieurs associations de parents et d’éducateurs ont proposé une approche plus pédagogique et sociale. Elle passe par le dépistage et un meilleur accompagnement des enfants, comme des parents. Prenons le temps d’évaluer les outils qui existent, tels les médiateurs de réussite, les suivis individualisés de l’élève, ou encore la « mallette des parents ».
Une étude menée par l’Union nationale des associations familiales démontre que chaque cas d’absentéisme est unique et que l’école buissonnière répétée doit être analysée comme un feu clignotant.
Comment expliquer l’absentéisme ? En premier lieu, pour des raisons personnelles. L’adolescent peut ressentir un mal-être en raison de problèmes familiaux ou psychiques, de conflits avec les enseignants, d’une orientation subie plutôt que choisie ou parce qu’il souffre d’une trop forte pression exercée au collège ou au lycée, assortie d’une trop grande exigence de réussite. Il arrive que des élèves soient victimes de phobie scolaire, de racket, de violences ou de moqueries. D’autres ont tout simplement peur d’apprendre. La liste n’est pas exhaustive !
Enfin, ne nous voilons pas la face : par-delà ces raisons personnelles, l’environnement social peut avoir une influence néfaste sur le comportement du jeune face à l’école.
Parmi les raisons très profondes, figurent le chômage et, parfois, l’économie parallèle.
Mme Françoise Cartron. Eh oui !
M. Claude Domeizel. Pourquoi se rendre à l’école tous les matins alors qu’à la maison le papa, le grand frère ou la grande sœur ne vont pas travailler ? Comment résister à l’attrait de l’argent facile offert par des petits boulots clandestins ?
Pour combattre l’absentéisme, la lutte contre le chômage et l’aide financière aux associations ou aux animateurs de quartiers seront cent fois plus efficaces que la suppression des allocations familiales.
Et que penser des élèves présents en classe, mais absents de l’apprentissage proprement dit ? Comment répondre d’une manière unique à ces motifs d’absentéisme ? Au vu de la diversité des situations, il est évident que sanctionner systématiquement les parents serait contre-productif. Car l’objectif est bien de permettre un maintien aux études. Or l’absentéisme se solde ou est avant tout motivé par un « décrochage scolaire ».
Je voudrais saluer, en cet instant, l’implication des chefs d’établissement qui, pour lutter contre l’absentéisme, s’efforcent d’informer les familles. Je pense, en particulier, à l’utilisation qui est faite, et qui semble heureusement se généraliser, des moyens modernes de communication – SMS, messages informatiques – pour signaler les absences en instantané. Je pense aussi à ce que j’ai vu faire dans mon département où une salle de classe d’un collège a été transformée en lieu d’accueil pour les familles afin qu’elles puissent échanger entre elles et avec l’équipe éducative.
Il serait souhaitable de développer l’accueil dans des filières moins scolaires, celles que l’on trouve dans certains établissements spécialisés. Je pense, par exemple, aux EREA, les établissements régionaux d’enseignement adapté, ou aux lycées d’enseignement adapté, avec des internats éducatifs.
Je n’ai pas été le seul à apprécier à leur juste valeur les internats d’excellence ou l’expérience menée à Tende, dans les Alpes-Maritimes, et relatée voilà quelques jours dans un reportage télévisé, pour accueillir en internat des jeunes « fâchés » avec le milieu scolaire qui sont des champions de l’école buissonnière. Si j’applaudis l’initiative, je souligne néanmoins le décalage avec le texte que nous examinons aujourd’hui. Car une poignée, à qui l’on donnera la possibilité de s’en sortir, sera privilégiée, tandis que d’autres, plus nombreux, seront punis par la suppression des allocations familiales.