M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !
Mme Françoise Cartron. Quant au décrocheur lui-même, peut-il être rendu pleinement responsable ? Dans une récente étude qualitative sur l’absentéisme scolaire, l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, a identifié trois causes principales du décrochage, et donc de l’absentéisme : une difficulté scolaire, totale ou partielle, souvent héritée du primaire – ce matin, le titre d’un quotidien nous rappelle que « le succès au bac se joue dès le primaire » –, des problèmes psychiques ou familiaux, enfin une orientation subie, qui explique la plus forte proportion d’absentéisme dans les lycées techniques et professionnels, sur laquelle je reviendrai.
Je vois aussi une quatrième cause, malheureusement de plus en plus répandue : une pauvreté matérielle et sociale grandissante, perturbant le suivi normal des études. Dans son dernier rapport sur le système scolaire, la Cour des comptes a clairement mis en évidence deux points essentiels : le creusement des inégalités et la corrélation quasi automatique entre le niveau social et la réussite scolaire.
La misère des familles ne cesse de s’accroître. Là encore, les travaux de la Cour des comptes sont éclairants. Dans son rapport sur la sécurité sociale présenté le 8 septembre, la Cour s’est alarmée de l’inefficacité des aides aux familles monoparentales, dont la situation s’aggrave. Aujourd’hui, près de trois millions d’enfants sont concernés. Ces familles, ce sont d’abord des femmes seules avec leurs enfants, davantage victimes du chômage, des horaires impossibles et du temps partiel subi : elles sont particulièrement exposées à la précarité. La Cour des comptes estime ainsi que le taux de pauvreté des enfants vivant dans une famille monoparentale atteint 40 %. Ces femmes seules seront les premières concernées par la suspension des allocations familiales. Au lieu de les aider – quoi qu’on en dise, elles veulent que leurs enfants réussissent à l’école –, on leur appliquera vraiment une double peine !
La précarité des familles est à l’origine d’un autre phénomène préoccupant : celui du travail des lycéens. Tous les professeurs que j’ai rencontrés en témoignent, de plus en plus souvent, nombre de leurs élèves doivent travailler pour subvenir aux besoins de leur famille. Auparavant, ce phénomène touchait principalement les étudiants, il s’étend aujourd’hui à de nombreux lycéens. Combien d’élèves endormis en classe ? Combien de jeunes ne pouvant faire leurs devoirs, ni se lever le matin, parce qu’ils ont assuré jusque tard dans la nuit le service dans un fast-food ? Pour beaucoup, ces absences ponctuelles aboutissent au décrochage définitif et à l’installation durable dans un petit boulot précaire. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
La difficulté scolaire puis le décrochage sont souvent liés à cette misère sociale, mais touchent aussi d’autres élèves qui ne trouvent pas leur place dans l’école. En France, seuls 45 % des élèves se sentent à leur place en classe, contre 81 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Il eût été intéressant de se pencher plus attentivement sur ces chiffres. L’absentéisme scolaire est un effet et non une cause : il résulte, notamment, de la rigidité de notre système éducatif. Or, la proposition de loi évacue complètement ce problème, en renvoyant la responsabilité du collectif vers l’individuel.
Interrogeons-nous : quel est le profil d’un « décrocheur » ? Il s’agit d’un élève qui, le plus souvent, après un ou deux redoublements, a été orienté vers une filière professionnelle qu’il n’a pas choisie, dont on lui dit quotidiennement qu’elle ne débouchera que sur le chômage ou des petits boulots. Est-il responsable d’une démotivation qui le pousse à l’absentéisme ? Punir ses parents lui redonnera-t-il un désir d’école ? Rien n’est moins sûr !
L’orientation subie est une réalité dramatique que les politiques d’éducation ne prennent pas suffisamment en compte. Monsieur le ministre, vous avez vous-même évoqué ces 120 000 jeunes qui sortent chaque année de notre système scolaire sans qualification, le plus souvent parce qu’ils ont été mal orientés. Mais, pour combattre efficacement l’absentéisme, il aurait fallu remonter à sa source, c’est-à-dire à l’échec scolaire et à l’orientation subie, au lieu de retenir uniquement la solution inefficace proposée aujourd’hui. Vous auriez pu recenser les expériences fructueuses mises en place dans l’enseignement public. Or, aujourd’hui, les suppressions de postes tous azimuts aggravent le décrochage et l’absentéisme. Dès l’école maternelle, le lien quotidien avec les parents permet d’aider ceux-ci dans leur parcours éducatif. Hélas ! la préscolarisation recule et les difficultés progressent. À l’école primaire, les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, effectuaient un travail remarquable, œuvrant dès les premiers signes de décrochage. Hélas ! vous considérez les postes affectés à ces réseaux comme une variable d’ajustement et vous les supprimez progressivement.
En bref, toutes les bonnes pratiques nécessitent des moyens, humains et matériels, que vous cherchez justement à « raboter », monsieur le ministre. Comment pouvez-vous parler de responsabilité des parents, au moment même où vous empêchez l’école d’accomplir ses missions ? Le premier responsable de l’absentéisme, c’est votre politique !
En fait, cette proposition de loi dresse un véritable réquisitoire contre la politique menée depuis huit ans en matière d’éducation, elle exprime l’aveu d’un terrible échec !
J’ai dit combien la proposition de loi m’apparaissait dangereuse et contre-productive, mais elle sera aussi – j’allais dire : heureusement – inapplicable. Le transfert de la décision de suspension des allocations familiales aux inspecteurs d’académie est censé répondre à l’échec patent du contrat de responsabilité parentale. Le choix avait été fait, en 2006, de confier cette décision aux présidents des conseils généraux. Aujourd’hui, un seul département recourt à ce dispositif, celui que préside M. Ciotti. Je rappelle que quarante autres sont présidés par des élus de votre majorité !
Mais surtout, quelle audace de demander aux services de l’éducation nationale d’appliquer cette loi, alors que, dans le même temps, les services de vie scolaire peinent aujourd’hui à fonctionner, faute de personnels ! La situation sera encore aggravée à partir de cette année, puisque, dès le mois d’août, les inspections d’académie ont reçu une discrète note ministérielle leur indiquant que le nombre de contrats aidés d’emplois de vie scolaire devait passer de 52 500 à 39 500. En conséquence, aucun renouvellement de contrat n’a eu lieu après le 1er septembre. Or, à quoi servaient ces emplois de vie scolaire ? Précisément à comptabiliser les absences des élèves en temps réel, à prévenir les parents pour les informer, à construire du lien entre l’école et les parents. C’est à n’y rien comprendre !
En conclusion, monsieur le ministre, la réponse apportée par ce texte est mauvaise, parce qu’elle se place sur le terrain de la régression sociale, là où le problème est avant tout scolaire.
Une réflexion sur l’absentéisme était en effet nécessaire. Mais, plutôt que de la faire porter sur l’absentéisme des élèves, nous aurions peut-être dû réfléchir ensemble à toutes ces heures de cours manquées du fait des absences de professeurs non remplacés et à toutes ces actions de prévention rendues impossibles faute de personnels.
Permettez-moi une dernière remarque. Cette proposition de loi me semble symptomatique d’une conception bien étrange de l’école et de la société dans son ensemble. Après la politique de la carotte, la fameuse « cagnotte » expérimentée contre l’absentéisme scolaire dans l’académie de Créteil – avec le succès que l’on sait (M. Yannick Bodin ironise) – et aujourd’hui abandonnée, nous assistons au retour de la politique du bâton.
Ces différentes initiatives témoignent de la même philosophie, qui consiste à utiliser l’argent comme instrument de motivation, de responsabilisation ou de culpabilisation des élèves et de leurs parents.
Monsieur le ministre, l’autorité parentale et le bien-vivre des élèves à l’école ne s’achètent pas à coup de primes ou de suspensions des allocations familiales. Seule une école publique efficace, attractive, innovante relèvera ces défis !
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera contre cette proposition de loi. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Claude Bérit-Débat. Remarquable !
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vain de vouloir lutter contre l’absentéisme scolaire sans prendre la mesure des carences de notre système éducatif. De trop nombreux jeunes sortent encore de celui-ci sans diplôme ni perspective d’avenir. Je vous rappelle que, chaque année, 150 000 élèves terminent leur parcours scolaire sans qualification.
L’augmentation régulière de l’absentéisme scolaire est l’une des causes de cet alarmant constat. Même si l’école buissonnière n’est pas un phénomène nouveau, les enfants concernés, de plus en plus jeunes et livrés à eux-mêmes, se retrouvent pris dans la spirale de l’échec.
Les causes en sont multiples. Il est grand temps de reconnaître qu’un taux d’encadrement trop faible explique, à lui seul ou presque, cette dérive inquiétante pour l’avenir de notre pays.
Les assistantes sociales, les infirmières et psychologues scolaires, les surveillants, les conseillers principaux d’éducation – ou CPE – font partie intégrante du projet éducatif au sens large. Leurs effectifs, je le regrette, ne cessent de diminuer, tout comme ceux des enseignants des RASED spécialisés contre l’échec scolaire.
Je me demande d’ailleurs, monsieur le ministre, comment, dans ces conditions, l’école peut encore être en mesure de remplir ses missions.
Nous en débattons ici régulièrement, mais nos inquiétudes demeurent. L’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social. Le système éducatif français est devenu l’un des plus inéquitables, selon les critères du classement établi par l’OCDE. Au cours de la scolarité, les inégalités se creusent. C’est un comble !
Dans ce contexte, je dirai simplement que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est hors sujet.
Malgré de multiples tentatives, aucune solution n’a encore été trouvée pour régler durablement le problème de l’absentéisme scolaire. Toutefois, au travers de ces expériences, nous avons pu entrevoir des pistes qui doivent nous aider, aujourd’hui, à prendre les bonnes décisions. Nous sommes désormais en mesure d’affirmer que l’accent doit être mis sur la prévention dès le plus jeune âge et sur l’accompagnement des familles.
Les jeunes les plus fragilisés socialement, psychologiquement et culturellement sont aussi les plus touchés par l’absentéisme et l’échec scolaires. Des études démontrent qu’ils sont le plus souvent issus de quartiers défavorisés. En effet, il s’avère que les parents d’enfants déscolarisés sont eux-mêmes confrontés à de graves difficultés financières et sociales. Certains, dépassés malgré leur bonne volonté, n’arrivent plus à transmettre une éducation à leurs enfants, éducation qu’ils n’ont parfois jamais reçue eux-mêmes.
Mes chers collègues, voici ce que me confiait une mère de famille : « Vous n’imaginez pas combien il est difficile de tenir les enfants. Les copains sonnent à la porte, téléphonent, crient sous les fenêtres jusqu’à ce que je craque. Ce serait plus facile si j’habitais ailleurs. » Vous comprendrez, eu égard à cette anecdote, que je préconise la mixité sociale.
Pour répondre au problème, on n’a rien trouvé de mieux que de suspendre une proportion importante du budget du foyer : les allocations familiales. Pourquoi, dans la période de crise économique que nous traversons, choisir d’enfoncer encore davantage des familles souffrant déjà d’une forte précarité ?
Le Gouvernement et sa majorité ont une fâcheuse tendance à aborder de manière récurrente l’absentéisme scolaire au travers du prisme de la délinquance et de la répression, alors que les sanctions administratives et pénales apparaissent comme inadaptées et inutiles. Et ils s’entêtent !
Pourtant, le dispositif de suspension des prestations familiales s’est déjà révélé particulièrement inefficace et injuste. C’est la raison pour laquelle, dans un beau consensus, le dispositif avait été supprimé lors du vote de la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, en 2004. Personne n’invoquait alors une prétendue baisse de l’absentéisme, le caractère inéquitable et inopérant de la mesure étant mis en avant.
Tous ces éléments me conduisent à affirmer que la réponse que votre texte est censé apporter au phénomène complexe de l’absentéisme scolaire n’est ni complète ni satisfaisante.
Les prestations familiales n’ont pas pour seul objet de financer la scolarité de l’enfant. Les allocations familiales ne sont pas non plus la récompense d’une bonne éducation. Elles ont avant tout une vocation sociale et solidaire.
L’éducation n’est pas une marchandise. Elle ne se monnaie pas. Elle a un prix, j’en conviens, mais elle ne peut pas se faire à n’importe lequel. On n’achète pas la soif de connaissances, on la transmet, et la relation humaine est essentielle pour y parvenir. D’ailleurs, la prime à l’assiduité expérimentée par certains chefs d’établissement en octobre 2009 s’est révélée d’une totale absurdité.
La sanction proposée dans cette proposition de loi est doublement discriminatoire. D’une part, les familles avec un enfant unique, ne percevant pas d’allocations familiales, ne seront donc pas pénalisées, contrairement aux familles nombreuses. D’autre part, je me demande comment la majorité entend pouvoir pénaliser, certes indirectement, les enfants assidus d’une fratrie du fait des écarts d’un autre membre de cette fratrie.
Ce dispositif, réintroduit en 2006 dans le cadre du contrat de responsabilité parentale, a rarement été appliqué.
Alors, monsieur le ministre, pourquoi légiférer de nouveau ?
Plutôt que de créer des dispositifs toujours plus répressifs – est-ce l’approche de nouvelles échéances électorales ? –, il faudrait donner les moyens nécessaires au développement des outils dont la pertinence et l’efficacité ont déjà été démontrées.
Je prendrai l’exemple des classes relais, qui accueillent les élèves de collège ou de lycée, entrés dans un processus de rejet de l’institution caractérisé par des manquements au règlement intérieur, un absentéisme chronique et une démotivation allant jusqu’à la déscolarisation. Ce modèle fonctionne et a fait ses preuves. Pourquoi ne pas le développer plutôt que de toujours stigmatiser davantage les enfants et les familles en difficulté ?
Pour toutes ces raisons, la proposition de loi que nous examinons m’apparaît comme un facteur aggravant. La pénalité financière ne redonnera pas le goût d’apprendre aux enfants et aux adolescents. Je préconiserai plutôt de consentir, comme je l’ai déjà indiqué, les moyens matériels et surtout humains permettant le renforcement de l’accompagnement scolaire personnalisé, le dialogue et la remédiation.
Les clefs du problème sont bien la prévention dès l’école primaire et la responsabilisation des parents. La lutte contre l’absentéisme scolaire doit s’inscrire dans le cadre d’une politique plus large et plus ambitieuse que celle qui nous est proposée aujourd’hui. C’est à ce prix que l’on viendra à bout de l’absentéisme, de la violence et de l’échec scolaires.
En résumé, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, sans ambition, se révélera inefficace, discriminante et injuste. Elle n’a décidément rien pour convaincre les membres du groupe RDSE, qui voteront contre ce texte dans leur grande majorité. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi émanant de notre collègue Éric Ciotti, député et président du conseil général des Alpes-Maritimes, a entraîné de nombreuses réactions, voire provoqué des cris d’orfraie. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Yannick Bodin. Elle n’en mérite pas tant !
M. Louis Nègre. En ma qualité de sénateur des Alpes-Maritimes et maire, j’ai eu quelques difficultés à les comprendre.
En effet, de quoi s’agit-il ? Peut-on dire, comme dans Candide, que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » s’agissant des établissements scolaires de la France du xxie siècle ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quelle caricature !
Mme Françoise Cartron. Nous n’avons jamais dit cela !
M. Louis Nègre. Mes chers collègues, vous connaissez la réponse : elle est malheureusement négative !
M. Yannick Bodin. Vous reconnaissez donc votre échec !
M. Louis Nègre. Le constat qui est fait, de la manière la plus officielle qui soit, par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’éducation nationale est alarmant.
Comme d’autres orateurs l’ont déjà signalé, pour l’année scolaire couvrant les années 2007 et 2008, en France métropolitaine, 7 % des élèves en moyenne étaient en situation d’absentéisme scolaire ou de décrochage, tous types d’établissements du second degré confondus ! Je rappelle que l’absentéisme est déclaré à partir de quatre demi-journées d’absence non justifiées par mois.
Mais personne n’a précisé l’effectif que représentent ces 7 %... Mes chers collègues, nous ne parlons pas de quelques centaines, quelques milliers ou quelques dizaines de milliers d’élèves. Ce sont aujourd’hui 300 000 élèves qui sont concernés par l’absentéisme dans nos établissements scolaires. Voilà qui est considérable ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Yannick Bodin. Envoyez l’armée !
M. Louis Nègre. À cela, il faut ajouter, toujours selon cette même direction du ministère de l’éducation nationale, que seuls 34 % des élèves absentéistes au collège sont signalés. Cela signifie que les deux tiers des élèves réellement absents n’apparaissent pas dans les statistiques. Ces dernières minorent donc fortement l’intensité du phénomène, qui serait encore pire au lycée. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
MM. Claude Bérit-Débat et Yannick Bodin. Que fait le ministre ?
M. Louis Nègre. Dans l’excellent rapport publié par notre rapporteur, Jean-Claude Carle, apparaît une autre donnée, encore plus inquiétante. Elle concerne l’absentéisme lourd, c’est-à-dire les absences de plus de dix demi-journées sur un mois, qui, par rapport aux quatre années précédentes, a touché deux fois plus d’élèves au cours de la période scolaire allant de 2007 à 2008 !
Malgré les moyens considérables déployés à ce jour pour lutter contre cet absentéisme (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste), tant par l’éducation nationale que par les différents services sociaux, je constate que la situation ne s’améliore pas.
M. Yannick Bodin. Changeons de gouvernement !
M. Louis Nègre. Bien au contraire, comme nous venons de le voir, elle s’aggrave !
Ce bilan est donc inacceptable, car l’absentéisme, nous le savons tous, est le premier indicateur d’une situation de danger pour les enfants, situation qui peut les conduire, si l’on n’y prend garde, de la marginalisation à la délinquance.
M. Yannick Bodin. Les « classes dangereuses »…
M. Louis Nègre. La puissance publique que nous représentons ne peut rester inerte.
M. Yannick Bodin. Envoyez les CRS !
M. Louis Nègre. Il est de son devoir d’agir, monsieur le ministre, et je vous remercie de l’avoir fait.
Des textes antérieurs ont déjà tenté de lutter contre cette situation.
On peut notamment citer le décret-loi de 1938, la loi de 1946, l’ordonnance de 1959, le décret de 1966. Plus récemment, la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a créé le contrat de responsabilité parentale que, fort malheureusement, les conseils généraux n’ont pas mis en pratique, à l’exception, remarquée et remarquable, du conseil général des Alpes-Maritimes. (Exclamations amusées sur de nombreuses travées.)
Ce dernier, au 30 août 2010, a déjà signé 138 contrats de responsabilité parentale accompagnés de la création innovante d’une école départementale des parents, dont le travail se révèle particulièrement efficace. J’ai pourtant entendu une oratrice prétendre ici même que le contrat de responsabilité parentale était inapplicable… Mes chers collègues, seuls ceux qui ne veulent pas faire ne peuvent pas faire !
Pour avoir moi-même rencontré les familles en cause et passé une convention entre le conseil général et ma commune afin de créer une synergie faisant sens avec le conseil pour les droits et devoirs des familles institué au niveau communal, je peux, bien loin des discours idéologiques, théoriques, voire théologiques, que je viens d’entendre (Exclamations sur les travées du groupe socialiste),…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Vous savez de quoi vous parlez !
M. Claude Bérit-Débat. La théologie, c’est chez vous. Nous, nous sommes des laïcs !
M. Louis Nègre. … porter témoignage tant de l’utilité que de l’efficacité de ce dispositif supplémentaire d’aide aux parents.
Enfin, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a renforcé ces dispositions, en faisant du maire l’animateur et le coordonnateur de la prévention de la délinquance.
Cet arsenal de textes étant basé sur le volontarisme des uns et des autres, aucun des outils ainsi créés n’a été utilisé – c’est un euphémisme – à son juste niveau.
La situation est donc alarmante, malgré, je le répète, tous les moyens déployés depuis des années. Nous nous retrouvons avec des textes inopérants parce qu’ils sont, de fait, facultatifs. Concrètement, nous sommes en situation d’échec, alors même qu’il s’agit d’un problème crucial, l’avenir de nos enfants étant en cause.
L’objectif de la proposition de loi présentée à l’Assemblée nationale par Éric Ciotti est donc clairement de lutter contre ce fléau qu’est l’absentéisme scolaire, mais, cette fois-ci, avec la plus grande détermination. Il est en effet plus que temps de passer de la parole ou de textes non appliqués aux actes.
M. Jacques Mézard. Surtout après huit ans !
M. Louis Nègre. Le dispositif qui nous est proposé conjugue deux actions complémentaires. La lutte contre l’absentéisme scolaire s’appuie désormais sur un équilibre vertueux entre, d’un côté, l’accompagnement et le soutien des parents, et, de l’autre, l’effectivité de la sanction.
La démarche est fondée sur une riposte graduée et proportionnée pour alerter d’abord, accompagner toujours et malheureusement, si nécessaire, sanctionner les parents dont les enfants seraient absents à l’école de manière récurrente et non justifiée.
À chaque étape de la procédure, j’y insiste, un soutien sous forme d’accompagnement parental est proposé aux parents. Chers collègues de l’opposition, vous refusez de voir cette main tendue systématique. Elle permet pourtant d’aider, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, tous ceux qui sont prêts à faire l’effort nécessaire pour être à la hauteur des devoirs, et pas uniquement des droits, dont ils sont porteurs.
M. Claude Bérit-Débat. C’est martial !
M. Louis Nègre. En contrepartie, je le rappelle, la société leur permet de bénéficier du versement d’allocations familiales pour les aider dans leur mission de parents.
Aussi, il n’est pas anormal, illogique ou illégitime de suspendre le versement de ces allocations, lorsque, malgré les efforts considérables réalisés en faveur des parents, ces derniers ne font rien ou ignorent les avertissements successifs. Par sa fonction pédagogique, et non sécuritaire, cette proposition de loi renforcera le civisme de nos concitoyens, ce qui ne pourra qu’être bénéfique à l’intérêt général et au bon fonctionnement de notre société.
Contrairement à certaines interprétations alarmistes, tendancieuses, voire fausses, le dispositif, qui a pour objet primordial d’aider les parents à redevenir responsables de l’éducation de leurs enfants, est donc juste et nécessaire. En effet, nous constatons que, dans notre société, les individus ont trop tendance à fuir leurs responsabilités et à verser dans un assistanat indu. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Yannick Bodin. L’ordre moral !
M. Louis Nègre. La réalité du terrain, sur le plan national, confirme d’ailleurs qu’environ 90 % des parents réagissaient positivement après la suspension des allocations familiales,…
M. Yannick Bodin. Vous allez dépasser Le Pen ! Arrêtez !
M. Louis Nègre. … ce qui confirme les résultats de procédures similaires mises en place, notamment, au Royaume-Uni.
Ces résultats concrets prouvent mieux que tout discours théorique le bien-fondé des mesures proposées.
M. Yannick Bodin. Incroyable !
M. Louis Nègre. Ils rendent caducs les cris d’orfraie entendus de-ci de-là et les postures idéologiques et sectaires (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG), qui, à ma connaissance, n’ont jamais permis jusqu’à ce jour de traiter le problème de l’absentéisme.
Mme Raymonde Le Texier. Cela suffit !
M. Louis Nègre. Dans l’intérêt des enfants, arrêtons les discours politiquement corrects ! Les Français n’attendent pas de nous que nous soyons bien-pensants ; ils veulent que nous soyons efficaces. Voilà notre philosophie !
Avec cette proposition de loi, combinée à la loi du 5 mars 2007, nous disposerons désormais de deux outils opérationnels pour diminuer enfin réellement l’absentéisme, ce qui est bien le but recherché, me semble-t-il, par tous.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voterai bien entendu ce texte, comme le groupe UMP. « Ne soyez pas naïfs », disait, je crois, un Premier ministre de gauche : il avait bien raison ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Ivan Renar. Et l’absentéisme au Sénat ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteure pour avis du budget de l’enseignement professionnel, je souhaite vous faire part de ma grande inquiétude concernant cette filière, qui connaît le plus fort taux d’absentéisme.
Le rapport sénatorial souligne l’existence d’une problématique spécifique au lycée professionnel. Sont avancées, à juste titre, la hiérarchisation néfaste des filières et une orientation souvent forcée par l’échec, stigmatisante et peu valorisante pour les élèves, ainsi que l’a déjà montré le rapport Machard en 2003.
Comme je m’associe à la volonté de faire de l’enseignement professionnel une voie d’excellence, je ne peux que m’interroger sur le contenu de la proposition de loi.
Ce texte vise à améliorer la lutte contre l’absentéisme scolaire, mais ne fait nulle part référence à l’école, et encore moins à la situation particulière de l’enseignement professionnel, pourtant le plus touché par ce phénomène.
Il n’y est question que de répression et de suppression des prestations sociales accordées aux familles, mesure qui touche proportionnellement davantage les familles les plus défavorisées, alors même que ce dispositif, parce qu’il n’apparaissait ni juridiquement fondé ni équitable, avait été supprimé par la loi du 2 janvier 2004.
La problématique de l’absentéisme est soulignée de façon récurrente par les acteurs du système éducatif. Les absences répétées constituent effectivement des facteurs aggravants d’un échec scolaire préjudiciable aux élèves, hypothéquant leur avenir.
Je m’inquiète de ne trouver dans ce texte aucune différenciation, aucune analyse des situations parfois difficiles des jeunes et de leur famille. Comment alors proposer des mesures adaptées et efficaces de lutte contre l’absentéisme ?
Monsieur le rapporteur, les absentéistes ne sont pas systématiquement dans la rue. D’après l’étude menée en 2007 par les inspecteurs de l’éducation nationale de l’académie de Créteil dans les lycées professionnels, cette filière est confrontée à un absentéisme régulier, touchant particulièrement les élèves exerçant une activité professionnelle, ou à un absentéisme forcé, pour les élèves subissant des situations plus ou moins graves.
Au final, tous s’accordent à dire que la définition de l’absentéisme par sa quantification, comme c’est le cas malheureusement dans cette proposition de loi, est réductrice.
Une multiplicité de facteurs peut expliquer, à différents niveaux, l’absentéisme des élèves.
Peut-on décemment penser que priver les familles des prestations sociales améliorera le « présentéisme » scolaire, alors que c’est surtout la très grande sensibilité des élèves aux conditions de vie dans la classe et dans le lycée qui impacte directement leur fréquentation scolaire ?
Beaucoup d’élèves sont orientés en lycée professionnel avec des difficultés scolaires et des lacunes non comblées au collège. Cette orientation, souvent imposée et vécue comme un échec supplémentaire, accentue leur démotivation. Jumelée à l’absence de projet personnel et professionnel, elle conduit à une lassitude à l’égard du système scolaire, amplifiée par des représentations erronées.
Le sens de l’école n’est plus perçu, ce qui entraîne le développement de l’absentéisme, pouvant aller jusqu’au décrochage et à la déscolarisation.
D’une façon générale, les problèmes d’orientation sont systématiquement cités dans les causes de la démotivation et du découragement.
C’est donc plutôt le levier d’un travail nécessaire de coopération et d’apprentissage des missions de l’école, et non celui de la sanction, qui doit être exploré avec les jeunes et leurs familles.
Par ailleurs, la généralisation du baccalauréat professionnel en trois ans, menée au pas de charge, a créé un bouleversement bien réel et suscité des inquiétudes. Le discours gouvernemental de revalorisation de la voie professionnelle est resté axé sur l’obtention du baccalauréat et la poursuite d’études en BTS.
Or, la transformation du BEP en certification intermédiaire, le risque d’une orientation excessive vers le CAP à l’issue de la troisième ainsi que la surdétermination du choix de diplôme ou de filière par le critère de l’éloignement géographique sont de véritables facteurs à risque pour la réussite des élèves.
C’est notre conception même de l’orientation qu’il faut remettre à plat pour accroître l’équité du système scolaire. Il convient notamment d’assurer la cohérence géographique des formations, l’articulation des programmes entre la certification intermédiaire et le baccalauréat, puis entre le baccalauréat et l’enseignement supérieur, ainsi que la réorientation possible d’une seconde professionnelle vers une autre.
Il est donc urgent de briser la fatalité de l’orientation par défaut. L’orientation ne doit pas seulement servir à la gestion des flux du marché du travail ; au contraire, elle doit être considérée comme un levier de développement et de réussite pour tous les élèves.
Les conseillers d’orientation psychologues sont précisément à même de prendre en charge l’adolescent dans sa globalité et de bâtir avec lui un projet personnalisé. C’est pourquoi il faut stopper leur mise en extinction, revoir à la hausse leur recrutement et confirmer leurs compétences en psychologie.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, fondée sur le cliché de mauvais élèves venant de mauvaises familles, avec de mauvais parents, cette proposition de loi est donc bien loin des enjeux que je viens d’évoquer. C’est pourquoi notre groupe votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)