Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’absentéisme est un phénomène extrêmement complexe, qu’il faut bien se garder de traiter à la légère, au gré des opportunités médiatiques que cela peut représenter.
Pourtant, la présente proposition de loi a été élaborée à la hâte par le député Éric Ciotti, à la suite du discours sécuritaire du Chef de l’État du 20 avril 2010. Suivant une méthode éprouvée, le Gouvernement se saisit de faits divers qui choquent à juste titre l’opinion publique et utilise l’émotion dégagée pour justifier et annoncer une série de mesures sécuritaires et répressives faisant plus partie d’un plan de communication que d’une annonce de mesures politiques.
Le 20 avril dernier, il s’agissait de profiter des dégradations commises dans un lycée de Seine-Saint-Denis pour introduire une problématique chère à la droite : la lutte contre l’insécurité. Cette annonce s’est effectuée dans la confusion la plus totale, en opérant des amalgames qui relèvent d’une vision fantasmagorique d’une jeunesse délinquante en perdition.
La violence scolaire trouverait sa cause dans l’absentéisme, qui, lui-même, permettrait à des mineurs errant dans les rues la nuit – on ne voit pas bien le rapport avec l’école – d’être utilisés par des trafiquants...
De cette confusion volontairement simplificatrice, on aboutit à l’annonce de la mesure simpliste dont nous discutons aujourd’hui, car c’est ce discours qui annonce la suspension systématique des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire injustifié et répété.
En tant que législateurs, nous avons avant tout le devoir de lever une telle confusion sémantique et de réintroduire de la complexité. Non, le phénomène d’absentéisme scolaire n’est pas simple, et le problème ne pourra pas se résoudre par ces manipulations !
Jusqu’à présent, aucune étude n’a établi le lien entre absentéisme et violence scolaires. Même si la violence à l’école existe, elle n’est – heureusement ! – pas aussi généralisée qu’on voudrait nous le faire croire et relève d’une problématique distincte de celle de l’assiduité scolaire.
Aucune étude non plus n’a fait le lien entre absentéisme scolaire et basculement dans la délinquance. Bien au contraire, la fameuse étude de 2003 de M. Luc Machard a fait la démonstration inverse. Le lien entre absentéisme et délinquance est si faible que le premier volet ne peut être considéré comme un facteur déterminant du second.
Si cette annonce avait eu une visée autre que de jouer sur une problématique chère à la droite, en instrumentalisant l’émotionnel à des fins électoralistes, alors, au lieu de commencer par un discours véhiculant l’idée qu’un élève absent est un délinquant violent aux parents démissionnaires, on aurait plutôt évoqué le fait que l’absentéisme, loin d’être un fléau rongeant notre société, reste un phénomène marginal.
En effet, contrairement à ce qu’on nous indique, l’absentéisme est relativement stable depuis des années. Du mois de septembre 2003 au mois d’avril 2007, le phénomène est évalué autour de 6 % par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’éducation nationale. Sur la période 2007-2008, il est estimé à 7 %, ce qui constitue, certes, une augmentation, mais relative, et dont la tendance demanderait à être confirmée plus largement dans le temps.
Évidemment, nous partageons l’objectif affiché dans la proposition de loi, qui est d’augmenter au maximum l’assiduité scolaire de tous les élèves. Mais il faut le faire sans amalgame ni confusion.
Ainsi, ce taux de 7 % cache une grande disparité. Les collèges sont moins touchés que les lycées, qui sont eux-mêmes confrontés différemment à l’absence répétée des élèves. Les lycées généraux sont ainsi plus épargnés que les lycées professionnels. S’il est évident que le type d’établissement influe sur l’absence des élèves, peut-être serait-il bon de s’interroger sur les raisons d’un tel phénomène.
Comment expliquer que l’absence des élèves dans les lycées professionnels soit supérieure à la moyenne nationale, atteignant près de 10 % ? Il serait probablement temps de revaloriser les lycées professionnels, qui sont souvent considérés comme des voies de relégation d’élèves en difficulté, orientés par défaut dans des filières qu’ils n’ont pas nécessairement choisies.
Il faut donc aussi nous interroger sur les causes de l’absentéisme. Les élèves absents, loin d’être des délinquants livrés à la loi de la rue, sont souvent en grande difficulté. En difficulté scolaire, mal orientés, ils préfèrent fuir des situations d’échec douloureuses, d’autant que certaines voies de relégation sont dévalorisées, à tort, et présentées comme des voies menant au chômage.
C’est le cumul des difficultés sociales, familiales et scolaires qui peut favoriser l’absentéisme, parfois le décrochage. L’exercice d’une activité professionnelle en parallèle des études ou la nécessité d’assumer des responsabilités familiales dans des familles décomposées, recomposées ou dont les conditions et les horaires de travail précaires des parents ne leur permettent pas toujours d’être aussi présents qu’ils le voudraient, peuvent également en être la cause.
Pour résoudre le problème de l’assiduité scolaire, dont la complexité est ici volontairement ignorée, cette proposition de loi institue donc une sanction : la suppression des allocations familiales afférentes à l’enfant absentéiste.
En réalité, une telle mesure n’est pas tout à fait nouvelle. En effet, dès la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, avait été mis en place le contrat de responsabilité parentale, dont le non-respect pouvait déboucher sur la suppression des allocations. Sauf qu’il s’agit aujourd’hui de systématiser cette suppression…
Les présidents de conseils généraux ont, en effet, eu le mauvais goût de faire le choix de ne pas sanctionner en ne supprimant pas les allocations. Il est vrai que les exécutifs départementaux, qui ont pour mission d’exercer des compétences sociales, sont peut-être un peu trop bien placés pour ignorer les dégâts sociaux immenses que ne manquerait pas d’occasionner l’application de la mesure prévue.
Du coup, cette tâche incomberait désormais à l’inspecteur d’académie, qui aurait, lui, l’obligation et non la possibilité, après un premier avertissement, de sanctionner les familles. Je signale, d’ailleurs, au passage, que cette mesure a été unanimement dénoncée par les syndicats des inspecteurs d’académie, mais également par les associations de parents d’élèves, les syndicats enseignants ou encore ceux des caisses d’allocations familiales qui mettent en œuvre au quotidien cette sanction.
On ne peut que s’étonner de l’entêtement du Gouvernement face à une condamnation aussi unanime. Pour ma part, je ne m’en étonne guère, car cette mesure n’est au final qu’un simple maillon dans un grand plan de conquête électorale qui s’appuie avant tout sur des effets d’annonce et de communication.
Ainsi, le fait d’introduire une mesure foncièrement inconstitutionnelle ne pose pas de problèmes aux rédacteurs de la proposition de loi. Leur texte crée pourtant une véritable inégalité dans et devant la loi, car il ne pourra s’appliquer qu’aux seuls bénéficiaires des allocations familiales, à savoir qu’aux seuls parents ayant plus de deux enfants, à l’exclusion des familles n’ayant qu’un seul enfant et ne touchant donc pas d’allocations.
M. Sarkozy se livre donc à une véritable guerre contre les pauvres alors qu’il devrait être le garant de l’intérêt général. Les « classes dangereuses » font un retour en force dans le discours de la droite. En filigrane, se dessine l’idée selon laquelle les parents des quartiers populaires seraient le plus souvent de mauvais parents, ne se souciant pas de la réussite scolaire de leurs enfants, des parents démissionnaires, alors que ceux des beaux quartiers sont, c’est bien connu, très occupés…
Ce mépris social se transforme en « machine à claques » pour les pauvres. C’est insupportable ! Soutiendriez-vous une proposition de loi supprimant les exonérations patronales pour le patron dont l’enfant serait absent en classe ? C’est donc bien une mesure contre une classe en tant que telle et, comme toujours, il s’agit de la classe des défavorisés.
D’ailleurs, le Gouvernement n’hésite pas à se contredire lui-même. Je rappelle, pour situer la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, que le même chef de l’État qui appelle aujourd’hui de ses vœux une telle disposition a, en tant que ministre de l’intérieur, participé au gouvernement de 2004 ayant abrogé le mécanisme de sanction de l’absentéisme par la suppression des allocations familiales, le qualifiant alors par des termes aussi peu équivoques que « inutile » et « inefficace » ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Après l’abrogation décidée en 2004, il aura suffi de deux ans seulement à l’exécutif pour changer radicalement d’avis sur la question et rétablir la sanction sous la forme d’un contrat de responsabilité parentale.
Inégale, injuste, inefficace, la suppression des allocations familiales est, de surcroît, inutile pour combattre l’absentéisme, car il existe déjà un arsenal suffisant pour lutter contre ce phénomène et la prétendue défaillance parentale qui en serait à l’origine.
Des moyens pour sanctionner l’absentéisme scolaire et ce que l’on considère comme des manquements graves au devoir d’autorité parentale sont déjà prévus. Les sanctions des manquements à l’obligation scolaire peuvent répondre à deux incriminations pénales comme contravention et comme délit. L’article R. 624-7 du code pénal punit le fait de ne pas imposer à un enfant l’obligation d’assiduité scolaire d’une amende pouvant aller jusqu’à 750 euros.
L’article 227-17 du même code condamne les parents dont la négligence a entraîné des atteintes à la santé, à la sécurité, à la moralité ou à l’éducation de leur enfant. La peine peut alors aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende. Les sanctions pénales des carences de l’autorité parentale sont lourdes à mettre en place et mal adaptées au seul suivi de l’assiduité scolaire.
Des dispositifs existent, propres aux deux objectifs que s’assigne la proposition de loi : sanctionner financièrement le manquement à l’obligation scolaire que constitue l’absentéisme et sanctionner l’absence d’exercice de l’autorité parentale.
À la lecture de ces deux articles du code pénal, on mesure combien la proposition de loi instrumentalise la question de l’absentéisme scolaire en la dramatisant. Si l’assiduité scolaire est évidemment primordiale, associer l’absentéisme scolaire de manière systématique à une carence d’autorité parentale est totalement abusif. Les deux aspects sont différents et relèvent logiquement de deux articles distincts.
Les allocations familiales ne visent à récompenser ni le bon élève ni les bons parents ; elles ont simplement pour objet de compenser une partie des coûts induits par la charge de l’enfant. Tout se passe comme si les allocations familiales étaient devenues de véritables primes au mérite alors qu’elles ne sont que des mesures sociales et familiales.
En outre, la suppression des allocations à toute une famille à la suite de l’absentéisme d’un seul enfant réintroduirait une punition collective à l’échelle d’une famille, notion disparue depuis la Révolution française, et aurait des conséquences néfastes imprévisibles sur l’équilibre psychologique et éducatif déjà précaire de nombreux foyers. C’est tout l’art de maintenir sous l’eau la tête de ceux qui suffoquent déjà…
L’invention du mauvais usage des allocations familiales et la stigmatisation du mauvais parent font porter la faute du dysfonctionnement à la sphère privée de la famille, alors qu’il relève, en réalité, de la responsabilité étatique et publique.
Il est plus facile pour le Gouvernement de prétendre traiter une crise de la famille plutôt qu’une crise de l’école. Dénoncer les parents démissionnaires ne sert, en réalité, qu’à cacher son incapacité profonde à régler la question de l’absentéisme scolaire.
Pis, cette mesure dont la droite sait, elle-même, l’inefficacité – pour cause, elle l’a dénoncée avant de l’abroger ! – sert à faire oublier la responsabilité du Gouvernement face à cette question. En dénonçant et en s’indignant, ce dernier veut convaincre qu’il est étranger à ce phénomène alors même qu’il n’a cessé, et ne cesse encore, de l’alimenter.
Je veux bien que nous parlions de lutte contre l’absentéisme scolaire. Cependant, faisons-le en traitant ce phénomène non comme un problème extérieur, exclusivement familial et privé, mais comme une question relevant de l’ordre scolaire, de l’éducation nationale.
Quoi qu’il en soit, la stratégie mise en place par le Gouvernement permet de faire diversion et d’occulter les véritables causes de l’absentéisme, alimentées par la droite.
Aucune mesure, encore moins celle-ci qui augmentera la gêne sociale de familles déjà en difficulté, n’aura de poids dans la lutte contre l’absentéisme scolaire tant que le Gouvernement ne sortira pas de sa logique de destruction de l’éducation nationale. La révision générale des politiques publiques, la RGPP, en réduisant chaque année de manière drastique le nombre d’enseignants, ne favorise ni les conditions d’un enseignement de qualité dans des classes aux effectifs adaptés ni celles d’un temps d’écoute individualisé, dont l’efficacité est probante en matière d’absentéisme.
Comment croire à l’utilité, voire à la sincérité d’une telle mesure quand on sait que les postes d’enseignants du réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, ou RASED, sont également menacés ?
Comment ne pas évoquer la suppression progressive des conseillers d’orientation psychologues, celle des médecins scolaires, des conseillers d’éducation, des assistantes sociales, bref, de tous les personnels accompagnants qui resserrent tout au long du parcours scolaire le lien entre l’élève et l’école ?
Nous disposons de tous les moyens pour lutter efficacement contre l’absentéisme scolaire, lutte qui, à mon sens, cadre davantage avec des objectifs de réussite scolaire pour tous qu’avec la réduction d’une délinquance de mineurs prétendument livrés à la loi de la rue. Mais encore faut-il ne pas détruire, un à un, tous les accompagnements existants au nom d’une nécessaire économie budgétaire.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous ne pouvons que nous opposer à cette proposition de loi, dont les moyens ne sont pas adaptés aux objectifs fixés. Aucune mesure de suppression des allocations familiales ne résoudra le problème de l’absentéisme. C’est pourquoi nous demandons l’abrogation de tous les dispositifs actuels et antérieurs qui mettent en œuvre ce principe. Je pense au contrat de responsabilité parentale, mais également à la création d’un fichier informatisé recensant nominativement les manquements à l’obligation scolaire.
Nous voterons donc contre ce texte dangereux parce qu’inégalitaire, stigmatisant et répressif, et nous n’aurons de cesse de réaffirmer la nécessité de mettre en place une véritable politique de l’éducation nationale, qui, loin de réduire les moyens financiers et humains, leur donnerait la place qu’ils peuvent et doivent jouer dans la lutte contre l’échec et l’absentéisme scolaires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui nous amène naturellement à nous poser deux questions : il convient, tout d’abord, d’évoquer le mal que constitue l’absentéisme scolaire à proprement parler et de réfléchir, ensuite, à la pertinence de la solution proposée pour l’enrayer.
J’évoquerai donc, dans un premier temps, le problème de l’absentéisme scolaire en lui-même.
À titre liminaire, je rappellerai que l’obligation scolaire a été introduite dans la législation républicaine française par la loi Jules Ferry du 28 mars 1882.
Plus qu’un droit, il s’agit d’un devoir qui s’impose à chaque mineur de moins de seize ans, ainsi qu’à ses parents, afin de garantir à celui-ci un certain niveau d’éducation et d’instruction.
Pour l’avenir de nos enfants, il est de notre devoir de garantir ce droit pour que l’école de la République puisse donner les mêmes chances à tous. L’école est une promesse d’avenir ; à nous de veiller à ce que tous nos jeunes y accèdent.
L’ordonnance du 6 janvier 1959 subordonnait le versement des prestations familiales au respect de l’obligation scolaire. En cas de manquement, le chef d’établissement signalait l’absentéisme répété de l’élève à l’inspecteur d’académie, qui avait le pouvoir de demander à la caisse d’allocations familiales la suspension du versement de la prestation.
Cependant, la suppression, en 2004, de ce système et son remplacement, en 2006, par un contrat de responsabilité parentale et, parallèlement, par le pouvoir donné au président du conseil général de demander la suspension des allocations familiales, n’ont pas eu l’effet escompté.
Résultat, l’absentéisme scolaire, caractérisé par quatre demi-journées ou plus d’absence par mois sans motif valable, touche aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de jeunes : 7 % des élèves de la maternelle au lycée et, fait encore plus grave, plus de 10 % des élèves dans l’enseignement professionnel, alors qu’il s’agit de filières de formation qui, logiquement, sont choisies.
Ces chiffres montrent que le problème découle non pas seulement d’une désaffection des jeunes par rapport à l’institution de l’éducation nationale ou d’une mauvaise orientation, mais également d’une déresponsabilisation, d’un désintérêt plus profond des élèves envers leur propre choix de formation.
Il est indispensable que la relation entre absentéisme et phobie scolaire puisse se résorber par des mesures d’accompagnement, d’encadrement, d’orientation, voire d’assistance sociale des familles et des jeunes dans le cadre scolaire.
L’absentéisme relève d’un phénomène complexe, qui tient aussi à la déresponsabilisation des parents par rapport au décrochage scolaire de leurs enfants, du fait de difficultés de différentes natures. Elles peuvent être sociales, familiales, psychologiques ou encore résulter d’une incapacité à contenir le malaise profond de l’adolescent.
C’est pourquoi il me semble essentiel que ce phénomène soit analysé sous tous les angles, plus particulièrement sous l’angle social pour les familles les plus fragiles. C’est ce qu’entendent faire les promoteurs de cette proposition de loi, dans la continuité de la loi de 2006.
Ces propos m’amènent à considérer que la solution pour enrayer le phénomène se doit d’être la plus équilibrée possible et passe, d’une part, par un accompagnement social lorsqu’il est nécessaire et, d’autre part, par une pression juste et équitable pour rétablir l’autorité des parents, qui sont juridiquement responsables de leurs enfants mineurs.
La coordination de ces deux types de mesures est la seule solution. L’une sans l’autre ne serait pas souhaitable ni efficace.
J’en viens maintenant à l’adéquation de la sanction proposée pour enrayer l’absentéisme scolaire.
Je le répète, s’il est important que la violation du devoir de scolarisation fasse l’objet d’une sanction en tant que carence éducative, il est indispensable qu’elle ne survienne qu’une fois que toutes les mesures de prévention ont échoué.
Il s’avère, dans les faits, que la suspension des allocations familiales est assez efficace : une enquête de la CNAF menée en 2002 et rappelée par M. le rapporteur révèle que 65 % des élèves ont repris le chemin de l’école après l’avertissement de l’inspecteur d’académie.
A contrario, la suppression de la sanction financière par la loi de 2004 et la très faible exécution de la loi de 2006 – seuls vingt contrats de responsabilité parentale ont été signés depuis lors – ont certainement participé à affaiblir encore la règle de l’obligation scolaire.
Ne nous le cachons pas, le droit existant ne fonctionnait pas. Il fallait en revenir à l’ordonnance de 1959 tout en gommant ses iniquités et en prenant en compte les apports sociaux de la loi de 2006, notamment le contrat de responsabilité parentale.
Ainsi, à la différence de l’ordonnance de 1959, n’est supprimée que la quote-part de l’allocation familiale correspondant à l’élève absentéiste et non à l’ensemble de la famille. La sanction financière est donc plus proportionnée.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Tout à fait !
Mme Françoise Férat. En outre, cette sanction doit garder une dimension préventive, c’est-à-dire qu’elle ne doit s’appliquer qu’à la fin d’un processus graduel d’avertissements, exécutés par l’inspecteur d’académie, puisque l’absentéisme scolaire est un problème qui, touchant l’école en règle générale, doit être résolu grâce à l’administration scolaire.
En revanche, et j’insiste sur ce point, la sanction financière ne doit être qu’une composante d’un accompagnement social global, notamment des parents qui ne sont plus en mesure de faire preuve d’une autorité parentale suffisante envers leurs enfants et se trouvent dépassés par leurs difficultés. Il me semble en effet indispensable que ce nouveau dispositif ne puisse pas aggraver la situation financière des familles les plus fragilisées. C’est pourquoi le maintien du contrat de responsabilité parentale, aux côtés du processus graduel de sanction financière, reste indispensable, de même qu’il est essentiel que les parents concernés puissent être aidés par les services adéquats. Parce qu’enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’oublions pas que l’intérêt de l’élève doit seul nous animer dans cette discussion !
Pour ces différentes raisons, à l’instar de la plupart de mes collègues du groupe de l’Union centriste, je soutiens cette proposition de loi, dans la mesure où elle laisse la possibilité de trouver des solutions à l’absentéisme avant le point de fracture et que l’aspect préventif et graduel du processus n’a pas cédé devant l’aspect punitif de la sanction. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, et je fais miens vos propos, l’absentéisme n’est pas une fatalité !
Vous l’aurez donc compris, mes chers collègues, je soutiens aujourd’hui cette proposition de loi, pour son caractère dissuasif, mais surtout préventif. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par quelques remarques de forme concernant cette proposition de loi.
Monsieur le ministre, dans votre présentation introductive, vous avez détaillé une batterie de dispositifs tous plus performants les uns que les autres, au point de me faire douter de la pertinence de notre débat d’aujourd’hui. Aussi me suis-je interrogée sur la genèse du texte qui arrive en discussion devant notre assemblée.
Rappelons-nous que l’initiative de cette proposition de loi revient au député Éric Ciotti : elle devait, à l’origine, être intégrée au projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit LOPPSI 2, mais, sur demande du Président de la République, elle est devenue une proposition de loi particulière. Il s’agit donc d’un texte de commande, mais aussi d’un texte de circonstance : le Président de la République a sollicité Éric Ciotti le 20 avril dernier, quelques jours après la défaite de la majorité aux élections régionales, en pleine reprise en main sécuritaire – un hasard, sans doute !
Car il s’agit bien d’un texte sécuritaire. Permettez-moi de m’interroger, monsieur le ministre : votre collègue le ministre de l’intérieur n’aurait-il pas dû prendre votre place au banc du Gouvernement ? En effet, cette proposition de loi n’a rien d’éducatif, ni de pédagogique !
Une question se pose : ce texte exprime-t-il la volonté de répondre au véritable problème de l’absentéisme scolaire ? Je ne le crois pas. Il n’est d’ailleurs pas innocent que l’auteur de cette proposition soit non pas un spécialiste de l’éducation, mais le secrétaire national de l’UMP... à la sécurité ! Le même qui, il y a quelques semaines, proposait de rendre les parents pénalement responsables des agissements de leurs enfants.
Avec ce texte, comme avec tant d’autres, le Gouvernement essaie en réalité de déployer un écran de fumée pour masquer son incapacité à résoudre les problèmes sociaux et économiques, bien réels quant à eux, que rencontrent quotidiennement nos concitoyens. La méthode est toujours la même : stigmatiser une population, l’exposer à la vindicte de l’opinion en faisant croire que le problème sera ainsi résolu. Cette fois, les familles les plus défavorisées sont visées.
En effet, qui sera pénalisé par la suppression des allocations familiales ? Certainement pas les familles aisées, ni les familles à enfant unique, mais les familles nombreuses, les plus pauvres, celles dont la subsistance est liée à la solidarité nationale. Il s’agit, vous le savez bien, de familles souvent issues de l’immigration et résidant dans les quartiers populaires, celles que, régulièrement, on accuse de tous les maux.
À mon sens, la suspicion d’instrumentalisation dont cette proposition est entachée dès l’origine devrait nous conduire à ne pas en débattre, ou pour le moins à la renvoyer en commission. Mais, puisque cet appel au bon sens sera sans doute insuffisant, il nous faut aborder le fond de cette proposition de loi : sera-t-elle utile, et même applicable ?
Concernant l’efficacité présumée de la proposition de loi de M. Ciotti, je dois dire que son rapport, ainsi que le vôtre, monsieur le rapporteur, m’ont fourni quantité d’arguments pour en douter. En effet, ces deux rapports montrent bien l’ampleur du phénomène d’absentéisme scolaire, ainsi que la grande diversité de ses causes et de ses manifestations, ce qui conduit naturellement à douter du recours à la seule coercition.
Permettez-moi de citer quelques statistiques : l’absentéisme scolaire représente 7 % des effectifs, tous établissements confondus, mais la situation diffère de façon importante selon les degrés et selon le type d’établissement. Le taux d’absentéisme est de 6 % dans les lycées d’enseignement général, de 3 % dans les collèges et de 15 % dans les lycées d’enseignement professionnel. Pis encore, plus du tiers des élèves absentéistes sont concentrés dans seulement 10 % des lycées professionnels.
Quant aux causes de cet absentéisme, elles sont, elles aussi, diverses. S’agit-il d’une prétendue démission des familles, qui justifierait de les priver d’allocations familiales ? Là encore, les rapports de MM. Carle et Ciotti sont éclairants. Ils dressent un diagnostic que je partage : l’absentéisme est avant tout fonction des conditions de vie de l’élève, matérielles ou affectives, et surtout d’une orientation jamais choisie, toujours subie. Il n’est nullement question des parents.
Je vous cite, monsieur le rapporteur : « Les difficultés d’apprentissage et les retards accumulés depuis le primaire rendent souvent le suivi des cours impossible dès le collège. » Vous continuez en évoquant l’ennui ressenti par l’élève « devant des cours qu’il ne peut comprendre ». La conclusion d’un tel développement serait logique : l’absentéisme est un corollaire du décrochage scolaire, il devrait donc être combattu comme tel et faire l’objet d’une véritable politique de prévention. Ce constat est bien éloigné de la solution proposée, à savoir la seule suspension des allocations familiales !
Échec scolaire et absentéisme touchent tout d’abord les enfants des catégories déjà défavorisées, reproduisant ce que leurs parents eux-mêmes ont connu. Ce diagnostic, nous pourrions le partager. Mais, face à cette tragique reproduction sociale, votre seule réponse est de stigmatiser un peu plus des familles déjà au bord de l’exclusion.
La réponse proposée repose sur un dispositif déjà existant, le contrat de responsabilité parentale, en dépit de son échec patent. Vous rejetez souvent cet échec sur les présidents des conseils généraux, mais c’est un mauvais procès : le contrat de responsabilité parentale est inappliqué, tout simplement parce qu’il est inapplicable.
Prenons quelques exemples. Allez-vous rendre responsable de l’absentéisme de son fils cette femme élevant seule trois enfants, travaillant tôt le matin et tard le soir, que j’ai croisée dans les allées d’un supermarché ? Elle remplissait son chariot, le portable collé à l’oreille, car elle appelait son fils pour le décider à partir à l’école. Elle commençait son travail dès six heures et demie du matin et avait dû le laisser seul.
Allez-vous pénaliser toute une fratrie d’une famille modeste parce qu’un seul enfant décroche et manque l’école ? Avec votre système, un bon élève pourrait se trouver pénalisé dans la poursuite de ses études, parce que ses parents sont asphyxiés financièrement par une suppression d’allocations familiales dont il n’est pas responsable.