Article 2
(Non modifié)
I. – Pour l’application de l’article 1er, l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.
II. – L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par MM. Peyronnet, Sueur, Anziani et Frimat et Mmes Le Texier et Cartron, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer cet alinéa.
Je constate que cet amendement n’ plus d’objet.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
(Non modifié)
La méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe.
L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné au 8° de l’article 131-16 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende. – (Adopté.)
Article 4
(Non modifié)
Après la section 1 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal, il est inséré une section 1 ter ainsi rédigée :
« Section 1 ter
« De la dissimulation forcée du visage
« Art. 225-4-10. – Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
« Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende. » – (Adopté.)
Article 5
(Non modifié)
Les articles 1er à 3 entrent en vigueur à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi. – (Adopté.)
Article 6
(Non modifié)
La présente loi s’applique sur l’ensemble du territoire de la République. – (Adopté.)
Article 7
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’application de la présente loi dix-huit mois après sa promulgation. Ce rapport dresse un bilan de la mise en œuvre de la présente loi, des mesures d’accompagnement élaborées par les pouvoirs publics et des difficultés rencontrées. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, j’exposerai ici la position de la majorité, et non de la totalité, des membres du groupe socialiste. D’autres collègues exprimeront ensuite la position qui est la leur.
Ce débat a été de qualité. Chacun a défendu ce qu’il croyait être juste au regard d’objectifs clairs : le respect de la dignité des femmes, de l’égalité entre l’homme et la femme et du principe de la laïcité. Sur ces points, notre groupe est, à l’évidence, unanime.
Pour nous, une telle loi ne saurait se borner à formuler un message, monsieur Alduy. En effet, une loi a pour fonction de fixer le droit, de définir des règles s’appliquant à tous. Une loi doit donc pouvoir être appliquée.
Madame la ministre d’État, vous avez indiqué tout à l’heure qu’il était nécessaire, à votre sens, que l’interdiction soit de portée universelle. Je tiens à rappeler que nous avons voté, il y a quelque temps, des dispositions concernant le voile qui n’étaient pas de portée générale ; elles s’appliquaient dans un certain nombre de lieux publics, pour des raisons fortes tenant au respect de la laïcité. Il nous semble par conséquent possible de formuler des interdictions qui ne soient pas de portée générale.
J’ai déjà rappelé la position du Conseil d’État, je n’y reviendrai pas. Les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme limitent les restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions à ce qui est strictement nécessaire « dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Il apparaît clairement, nous semble-t-il, qu’eu égard à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui tient compte des traditions constitutionnelles du pays concerné, que l’interdiction générale et absolue inscrite dans le texte fait courir un risque réel de censure. Nous pensons, pour notre part, qu’il est préférable de prendre cet élément en compte de manière que la loi soit applicable et sûre juridiquement. Je le redis, nous ne voudrions pas que des personnes hostiles à nos valeurs républicaines puissent annoncer demain qu’elles ont gagné ! Il s’agit là pour nous d’un point très important.
Conformément à la position définie par le parti socialiste dans ses délibérations, ainsi qu’à la position arrêtée par la majorité du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, la majorité des membres de notre groupe ne prendra pas part au vote. Il s’agit d’une décision mûrement réfléchie au regard des principes, des questions évoquées et de ce qui pourrait se passer à l’avenir. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas courageux ! C’est « pour » ou c’est « contre » !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je voterai ce texte pour des raisons inverses de celles du Gouvernement. Pour ce dernier, ce texte entre clairement dans le cadre d’une vaste opération de récupération des voix de l’extrême droite (Murmures sur les travées de l’UMP), qui, en 2007, s’étaient portées sur le candidat Nicolas Sarkozy mais qui, aujourd’hui, lui font défaut. Nous avons eu cet été une illustration de cette démarche avec l’opération de transfert aux élus locaux de la responsabilité de l’insécurité, l’opération qui fut « anti-Roms » avant d’être d’ordre public, comme l’a révélé une circulaire du ministre de l’intérieur.
Ce projet de loi en est un nouvel épisode, le procédé restant le même : isoler un groupe sur lequel faire porter, sans le dire mais en le donnant à penser, la responsabilité du malaise social auquel le pouvoir est bien incapable de répondre.
En votant ce texte, il s’agit pour moi, tout au contraire, d’affirmer non pas ce qui nous divise, mais ce qui nous rassemble : les principes et les valeurs de la République, dont l’égalité des hommes et des femmes est un élément central. J’aurais d’ailleurs souhaité que ce projet de loi soit clairement fondé sur ce principe, sans ambiguïté.
Enfermer des femmes dans une cage physique et psychologique constitue une violence inacceptable, quelles qu’en soient les raisons. Et que l’on ne vienne pas nous dire que les victimes sont consentantes, l’acceptent en toute liberté : le libre arbitre n’est pas un donné, il se construit ! C’est là le sens profond de la laïcité, d’ailleurs rarement compris, comme je l’ai encore constaté lors de ce débat.
Les lumières, disait Emmanuel Kant, c’est sortir de la minorité ; en d’autres termes, c’est s’affranchir des tutelles. Pour moi, cette leçon vaut toujours. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, nous vivons dans cette assemblée un moment particulier, celui d’un quasi-consensus pour refuser le port du voile intégral, pour affirmer que cette pratique porte atteinte à la dignité de la femme. Une telle situation est suffisamment rare pour ne pas être saluée.
Toutefois, des réponses diverses peuvent être apportées au problème soulevé.
Il convient tout d’abord de remarquer que cette question n’est pas franco-française ; elle se pose dans la plupart des démocraties. Si la Belgique et l’Espagne ont voté ou vont voter des interdictions générales du port du voile intégral, tel n’est pas le cas, notamment, dans le monde anglo-saxon, où l’on se refuse à prendre une telle mesure. Certes, madame la garde des sceaux, ces pays ont une culture différente de la nôtre, cependant personne ne pourra prétendre que le Royaume-Uni ou les États-Unis sont moins attachés que nous aux droits fondamentaux, au respect de l’égalité entre l’homme et la femme, à la lutte contre le terrorisme. Il n’en est rien, bien entendu, pourtant ils ont choisi une autre voie.
Il me semble que ce projet de loi comporte deux obscurités qui auraient peut-être pu être levées.
La première est d’ordre juridique. Nous ne savons pas encore, pour l’heure, si ce texte franchira la critique du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Certes, nous n’avons pas à nous sentir tenus par l’avis du Conseil d’État, car notre pouvoir va bien au-delà. Il n’en reste pas moins que celui-ci s’inscrit dans le respect des principes constitutionnels, sauf à changer de République.
Ces principes constitutionnels sont-ils ou non respectés ? D’aucuns affirment que l’avis du Conseil d’État du 30 mars dernier n’est pas si clair que cela. Or, à la page 17, il y est écrit : « Une interdiction générale du port du voile intégral en tant que tel ou de tout mode de dissimulation du visage dans l’espace public serait très fragile juridiquement. » Quelques paragraphes plus loin, il est souligné que le Conseil d’État ne peut recommander cette solution.
Madame la garde des sceaux, vos services se sont-ils entourés de toutes les garanties juridiques ? Vous vous appuyez sur des experts, mais leur expertise en matière de garde à vue n’a pas empêché le Conseil constitutionnel d’annuler quatre articles du dispositif élaboré en la matière…
La seconde obscurité n’est pas anodine et fera à l’avenir l’objet de discussions récurrentes. Le Gouvernement peut-il nous garantir que cette loi sera appliquée partout et à tout le monde ? Peut-il prendre cet engagement aujourd’hui ?
Les forces de l’ordre interviendront-elles place Vendôme pour dresser une contravention de 150 euros à une princesse qui descend de sa Chrysler ou de sa Mercedes pour se rendre chez un bijoutier ? Pouvez-vous vous engager sur ce point ? Pouvez-vous prendre l’engagement que, en Seine-Saint-Denis, les forces de l’ordre iront, au risque de se faire « caillasser », verbaliser une jeune fille démunie, portant le voile intégral ?
Madame la garde des sceaux, je pense que vous ne le pouvez pas. Il s’agit à mes yeux d’une loi déclaratoire, qui nous donnera à tous bonne conscience mais ne pourra malheureusement sans doute pas être appliquée. Pour cette raison, je ne prendrai pas part au vote. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, toutes les convictions qui se sont exprimées au cours de ce débat sont honorables, et je conçois parfaitement qu’une diversité d’approches se manifeste, notamment sur le plan juridique, dès l’instant où, unanimement, nous condamnons le port de la burqa ou du niqab.
Je commencerai par deux observations d’ordre juridique.
Je souhaite d’abord adresser une recommandation à Mme la présidente, en ce qu’elle représente le président du Sénat. Quel que soit le texte voté, il faut que le président du Sénat, comme celui de l'Assemblée nationale, le défère au Conseil constitutionnel. Je rappelle que le Premier ministre a demandé l’avis du Conseil d’État, mais qu’il ne l’a pas suivi, en tout cas pas complètement, et que, sur cette question, l'Assemblée nationale a adopté une position différente. Par conséquent, le risque existe.
Je n’aurai garde de prendre part à la discussion sur l’étendue de ce risque. Il revient maintenant au Conseil constitutionnel de se prononcer pour savoir si ce texte est constitutionnel ou non. Il doit être saisi immédiatement pour éviter que ne perdure une sorte d’indécision juridique, toujours préjudiciable quand il s’agit d’une question de cette importance, et que l’on soit contraint d’attendre l’inévitable question prioritaire de constitutionnalité. Je souhaite que cela soit fait. Je ne suis pas absolument convaincu que ce ne soit pas déjà l’opinion du président du Sénat et de celui de l'Assemblée nationale.
Sur la conventionnalité, ensuite, je formulerai deux remarques.
Dans un arrêt du 13 février 2003, la Cour européenne des droits de l’homme a adopté une position très claire sur les mesures d’interdiction de tous ordres prises par le gouvernement turc, soulignant qu’elles étaient parfaitement compatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme. En 2010, une nouvelle décision est intervenue, dont il a été fait état au cours de ce débat : il s’agissait d’hommes portant des tenues montrant leur adhésion à une fraction religieuse extrême. Je le précise pour une raison simple : la Cour européenne des droits de l’homme a souligné que le problème était d’ordre religieux. Or la question dont nous débattons aujourd'hui n’est pas celle de l’atteinte à la laïcité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh non !
M. Robert Badinter. C’est celle de l’égalité des femmes et des hommes, de l’égalité de droits, de condition, de la dignité et de la liberté des femmes,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert Badinter. … toutes choses qui n’étaient pas soumises à la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt du 23 février 2010. Il n’est pas indifférent de le rappeler.
J’en viens à mon propos essentiel : pourquoi vais-je voter ce projet de loi ? N’étant pas naïf, je sais très bien quelles étaient les motivations politiciennes à l’origine de ce besoin soudain de légiférer dans ce domaine. Je laisse toutefois cela de côté…
Certains se rendent dans les pays du Golfe et y constatent les progrès accomplis en matière de condition des femmes. D’autres, comme moi, s’intéressent à la vie des instances des Nations unies, en particulier du Conseil des droits de l’homme à Genève. J’ai eu l’occasion de le dire aussi bien à la commission des affaires européennes qu’à la commission des affaires étrangères, nous ne devons pas nous aveugler : nous sommes en présence de deux visions des droits de l’homme et nous vivons l’un des affrontements idéologiques les plus durs que nous ayons connus depuis les années de la guerre froide.
Ce conflit n’est pas, en effet, sans rappeler le temps où les communistes considéraient que s’opposaient deux visions des droits de l’homme, l’une bourgeoise, l’autre socialiste. Aujourd'hui, toutefois, il s’agit d’autre chose. Au sein de ces instances, nous avons constamment face à face, d’un côté, tous les États démocratiques, qui soutiennent le principe de l’universalité des droits de l’homme, et, de l’autre, les États qui répondent que les droits de l’homme sont un cadeau fait par Dieu à l’homme pour le rendre plus heureux sur cette terre, mais qu’ils doivent être interprétés à la lumière de la charia. Je pourrais citer un nombre important de textes qui reprennent cette position. Il n’est qu’à lire la dernière résolution proposée et votée sur l’initiative de la République islamique d’Iran lors de la 35e session du conseil des ministres des affaires étrangères de l’Organisation de la conférence islamique, qui réaffirme cette doctrine. Nous sommes bien là en présence d’un conflit majeur, en particulier pour les laïcs que nous sommes.
Lorsqu’interviennent des questions essentielles, telles que la peine de mort ou la résolution adoptée par le même conseil des ministres des affaires étrangères de l’Organisation de la conférence islamique en 2004, à la suite d’une protestation de l’Union européenne, sur la lapidation des femmes, cela prend tout son sens. La réponse fut : cela ne vous regarde pas, l’Union européenne n’a pas, au nom de sa conception des droits de l’homme, à nous donner de leçons sur ce que doit être la loi islamique.
Or il est des principes avec lesquels nous ne pouvons transiger, notamment celui qui nous occupe aujourd'hui, à savoir le principe fondamental, presque primordial, de l’égalité entre hommes et femmes.
Nous ne cessons d’œuvrer pour le faire entrer plus avant dans nos sociétés. Or, ce principe est défié. Et ceux qui le défient le font, croyez-moi, en connaissance de cause, pour tester nos facultés de résistance.
On ne peut pas transiger avec ce principe, s’accommoder d’un signe, d’un signal, d’une tenue. Car le voile est porté où, et par qui ?
Ce sont les talibans qui contraignent les femmes à porter la burqa. Dès que les talibans prennent ou reprennent le pouvoir, la burqa devient obligatoire et, parallèlement, les filles sont retirées des écoles. C’est à ce moment-là que le port de la burqa prend toute sa signification.
Au-delà même du port du voile intégral dans la rue, il faut voir le symbole qui est transmis, exprimé, inscrit dans cette tenue. Nous devons donc réagir. Il s’agit, je le répète, d’un principe avec lequel nous ne pouvons pas transiger, que nous ne pouvons pas abandonner.
Je rappelle simplement, mais c’est essentiel, que le droit à la liberté d’opinion figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. À l’époque, on avait précisé, ce qui était singulier, « même religieuse » ! Alors, la liberté d’opinion religieuse ? Oui ! La liberté de pratiquer sa religion ? Oui ! La laïcité les garantit à chacun.
Mes chers collègues, en interdisant le port du voile intégral dans l’espace public, vous n’empêchez personne de pratiquer sa religion. Ce n’est pas une dragonnade ou une inquisition ! Nous favorisons au contraire, comme je le souhaite, par la construction de mosquées et par l’expression constante de notre sympathie, de notre amitié, la garantie à tous ceux qui le veulent d’exercer leur croyance et leur foi.
En interdisant le port du voile dans l’espace public, vous n’empêchez pas celles qui le veulent de pratiquer leur religion, mais vous ne tolérez pas que les éléments les plus intégristes et les plus fanatiques affichent et proclament leur vision, que nous ne pouvons pas accepter, d’une société où les femmes disparaissent de l’espace public et ne sont plus que des fantômes. Cela, non ! Et c’est la raison pour laquelle je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Il est bien difficile de s’exprimer après M. Badinter…
Madame le ministre d’État, je vous remercie d’avoir rappelé votre attachement à la pédagogie. Mais la pédagogie suppose un encadrement. J’espère que vos services trouveront les moyens humains et financiers nécessaires à l’application de cette loi.
Il faut savoir que des flux financiers importants circulent dans certains quartiers. Des pères de famille peuvent percevoir 5 000, voire 10 000 euros pour contraindre leur fille à porter un voile intégral, ou du moins à s’orienter vers une pratique plus stricte de la religion. Si l’on veut que cette loi soit efficace, il faudra l’expliquer, faire un effort de pédagogie.
Madame le ministre d’État, j’espère que vous aurez les moyens financiers et humains de faire cet effort. Il faudra déceler, partout où c’est possible, les failles de l’accompagnement social qui existent aujourd’hui dans notre société. Ces failles constituent en effet des brèches dans lesquelles l’islamisme et le radicalisme trouvent leur fondement. C’est lorsque notre maillage social fait défaut que des associations, qui ne sont pas toujours bien intentionnées, peuvent trouver une accroche dans des familles démunies, en difficulté sociale.
Madame le ministre d’État, j’espère que vous trouverez les moyens financiers et humains d’appliquer cette loi afin qu’elle soit à la hauteur des principes que nous avons tous rappelés et soutenus aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fournier.
M. Bernard Fournier. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, particulièrement attachés à la défense des personnes contre toutes formes de violence, le groupe UMP et moi-même nous réjouissons de l’examen de ce projet de loi.
Je me félicite que, sur l’initiative de notre majorité, l’évolution législative ait conduit à un droit de plus en plus protecteur pour le respect de la dignité des personnes et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais il fallait aller plus loin.
À cet égard, le projet de loi présenté aujourd’hui est une nouvelle pierre à l’édifice de la lutte contre les atteintes à nos valeurs républicaines. Surtout, il constitue un texte équilibré, qui préserve les libertés individuelles tout en restant fidèle aux principes fondamentaux de notre démocratie.
D’abord, le dispositif distingue clairement la dissimulation du visage du délit de dissimulation forcée du visage, et ne nous pouvons que nous en féliciter. Sanctionner des femmes qui vivent d’ores et déjà sous le joug d’un carcan ne pourrait que constituer une double peine. Ce projet de loi vise au contraire à protéger les femmes de l’emprisonnement qu’elles subissent en portant le voile intégral. À ce titre, la mise en place d’un délai de six mois pour l’application des dispositions législatives et la possibilité pour le juge d’imposer l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté vont dans le bon sens.
Il est essentiel de favoriser la meilleure information possible sur le texte afin que la sanction, lorsqu’elle sera nécessaire, soit la plus juste possible. Aidées par des structures publiques et associatives, véritables relais de la loi, ces femmes seront donc libérées des pressions sociales qui pèsent sur elles.
Ensuite, le projet de loi prévoit plusieurs exceptions à l’interdiction générale, notamment dans le cadre de pratiques sportives, fêtes et manifestations artistiques ou traditionnelles : ce texte est donc respectueux des libertés.
Enfin, en visant l’interdiction générale de dissimulation du visage dans l’espace public, ce projet de loi évite toute stigmatisation des personnes de confession musulmane. En effet, il ne s’agit en aucune manière de pointer du doigt une croyance ; il s’agit de préserver notre ordre public, tant dans son aspect sécuritaire qu’en ce qui concerne le pacte social du vivre ensemble.
Information, dissuasion et répression sont ainsi les trois mots clés de ce texte qui ajoute à notre arsenal juridique de nouvelles dispositions, nécessaires et justes.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe UMP votera le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, avant de vous rappeler les raisons pour lesquelles nous sommes favorables à cette loi, je tiens à souligner que nous ne sommes pas dupes du climat xénophobe dans lequel cette loi a été mise en scène. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Nous estimons cependant que la lutte pour les droits des femmes nécessite le vote de cette loi. L’interdiction du voile intégral est en accord avec nos principes républicains que sont l’égalité, la fraternité, la liberté, la laïcité et la dignité humaine.
La pratique de n’importe quelle liberté peut recevoir une limite si son exercice contrevient à un droit fondamental. Il est donc possible d’interdire le port du voile intégral par la loi sans que cela déroge aux principes de liberté religieuse et de liberté de conscience.
Ainsi, suivant cette logique, les sénateurs du parti de gauche regrettent que soient exclus de ce projet de loi, d’une part, l’interdiction des refus d’intervention de personnels soignants en raison du sexe de ces derniers et, d’autre part, la lutte contre des pratiques contraires à la mixité dans les lieux publics.
On a estimé que le port du voile intégral ne concernait que deux mille femmes en France : ce sont deux mille de trop ! D’aucuns considèrent que le port du voile intégral concerne un nombre trop faible de femmes pour pouvoir légiférer. Dès lors, faudrait-il fermer les yeux sur ce traitement dégradant, ne rien faire contre cette pratique barbare qui touche même des mineures ? Et quand bien même une seule femme serait concernée, cela n’en resterait pas moins dégradant pour la dignité de toutes les femmes.
En votant ce projet de loi, nous envoyons un signal fort et porteur d’espoir aux femmes du monde entier qui luttent, et meurent, pour la liberté de pouvoir vivre sans porter ce drap de l’humiliation.
Le port du voile intégral est un traitement dégradant ; il doit être interdit, car nous sommes en République. Cette pratique est également une provocation de la part des milieux intégristes. Si l’on veut que la République triomphe de l’intégrisme et de l’obscurantisme, nous devons voter cette loi.
Dans la République française, les hommes et les femmes sont égaux. Chaque être humain doit pouvoir regarder autrui dans les yeux, c’est la base du vivre ensemble. Or, le voile intégral est un obstacle à ce principe, c’est-à-dire au droit de chacun de connaître l’identité de la personne à qui il s’adresse, d’y reconnaître son égal et d’y voir l’acceptation d’une relation sociale indispensable à une société ouverte et sans caste.
Telles sont les raisons pour lesquelles le voile intégral constitue, à nos yeux, un traitement dégradant qu’il faut donc interdire.
Si nous condamnons le port du voile intégral, ce n’est pas au nom de prétendues valeurs occidentales ou de nos racines judéo-chrétiennes, c’est parce que les sénateurs du parti de gauche sont attachés aux droits fondamentaux républicains et universels, au premier rang desquels figurent l’égalité entre les hommes et les femmes, la laïcité et la dignité humaine.
Face à une telle pratique, archaïque, obscène et dégradante pour les deux sexes, nous devons porter de manière intraitable les principes de la République française. Tant que la loi ne met pas en cause une religion particulière ou un groupe religieux en tant que tel, l’action du législateur est légitime. En effet, aucune religion n’est mentionnée dans ce projet de loi, qui vise simplement sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du parti de gauche voteront ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je suis contre le port du voile intégral. Comme l’ont souligné nombre de nos collègues, le port du voile intégral est une violence faite à la dignité de la femme, un déni de l’égalité entre les femmes et les hommes, une négation des valeurs essentielles de la République.
Nous ne devons pas perdre de vue que la pratique du voile intégral n’est pas représentative des revendications et des coutumes de la communauté musulmane dans ses composantes majoritaires, comme le précise le rapport de Mme Christiane Hummel.
L’obligation de porter le voile ne figure pas dans les textes sacrés musulmans, mais n’oublions pas que Saint-Paul a tenté d’imposer le port du voile aux femmes, dans sa Première épître aux Corinthiens. Je souhaite vous faire partager l’étonnement que j’ai ressenti en découvrant ce texte qui, je le précise, n’a aucune incidence sur le vote que j’émettrai.
Permettez-moi donc de vous en lire un extrait.