Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
Secrétaires :
MM. Jean-Pierre Godefroy, Daniel Raoul.
projet d'aménagement des voies sur berges à Paris
Question de Mme Catherine Dumas. – Mmes Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; Catherine Dumas.
perspectives financières des collectivités territoriales
Question de M. Marcel Rainaud. – Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Marcel Rainaud.
renforcement des mécanismes de péréquation financière
Question de M. Claude Biwer. – Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. Claude Biwer.
utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les dom et à la réunion
Question de Mme Anne-Marie Payet. – Mmes Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; Anne-Marie Payet.
formation et recrutement des enseignants
Question de M. René-Pierre Signé. – Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; M. René-Pierre Signé.
mesures budgétaires d'urgence pour l'année scolaire 2010-2011
Question de Mme Brigitte Gonthier-Maurin. – Mmes Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer ; Brigitte Gonthier-Maurin.
situation de l'entreprise roxel à la ferté-saint-aubin
Question de M. Jean-Pierre Sueur. – MM. Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants ; Jean-Pierre Sueur.
Question de Mme Marie-Thérèse Bruguière. – MM. Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants ; Jean-Claude Carle, en remplacement de Mme Marie-Thérèse Bruguière.
publication du code de déontologie des infirmiers
Question de M. Alain Milon. – MM. Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants ; Gérard Bailly, en remplacement de M. Alain Milon.
Question de M. Gérard Bailly. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés ; M. Gérard Bailly.
nécessité d'une redéfinition de la médecine du travail
Question de M. Jean-Jacques Mirassou. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés ; M. Jean-Jacques Mirassou.
recrutement des commissaires enquêteurs
Question de Mme Catherine Troendle. – Mmes Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; Catherine Troendle.
réforme de l'article 55 de la loi sru
Question de M. Jean-Claude Carle. – Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; M. Jean-Claude Carle.
réforme du dispositif de pass foncier
Question de Mme Françoise Cartron. – Mmes Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; Françoise Cartron.
devenir des activités ferroviaires en dordogne
Question de M. Claude Bérit-Débat. – Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; M. Claude Bérit-Débat.
Question de M. Jean-Pierre Vial. – Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; M. Jean-Pierre Vial.
construction de la gare tgv d'allan dans la drôme
Question de M. Didier Guillaume. – Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; M. Didier Guillaume.
intérêt économique, social et écologique du transport en wagon isolé
Question de Mme Marie-France Beaufils. – Mmes Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; Marie-France Beaufils.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. GÉrard Larcher
3. Dissimulation du visage dans l'espace public. – Adoption définitive d'un projet de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ; M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois ; Mme Christiane Hummel, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Nathalie Goulet, MM. Jean-Claude Peyronnet, Jean-Michel Baylet, Jean Louis Masson.
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
Mme Catherine Troendle, M. Louis Nègre, Mmes Marie-Agnès Labarre, Alima Boumediene-Thiery, MM. François Fortassin, Jean-Paul Alduy, Mme Gélita Hoarau, MM. Charles Revet, Bruno Gilles, Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme le ministre d’État.
Clôture de la discussion générale.
M. Jean Louis Masson.
Amendement no 1 rectifié bis de M. Jean-Claude Peyronnet. – MM. Jean-Pierre Sueur, le rapporteur, Mmes le ministre d’État, Nathalie Goulet, MM. Jean Louis Masson, Yann Gaillard, Jean-Paul Alduy. – Rejet par scrutin public.
Mme Virginie Klès.
Adoption, par scrutin public, de l'article.
Amendement no 2 de M. Jean-Claude Peyronnet. – Devenu sans objet.
Adoption de l'article.
MM. Jean-Pierre Sueur, Pierre-Yves Collombat, Alain Anziani, Robert Badinter, Mme Nathalie Goulet, M. Bernard Fournier, Mmes Marie-Agnès Labarre, Anne-Marie Payet, M. Yvon Collin.
Adoption définitive, par scrutin public, du projet de loi.
Mme le ministre d’État.
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Pierre Godefroy,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
projet d'aménagement des voies sur berges à Paris
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, auteur de la question n° 962, transmise à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, représenté aujourd’hui par Mme la ministre chargée de l’outre-mer.
Madame la ministre, le 14 avril 2010, le maire de Paris a présenté son projet pour le réaménagement des voies sur berges.
En installant des feux tricolores et en fermant les « quais bas » de la rive gauche, il prétend notamment pouvoir réduire la vitesse et le volume de la circulation dans la capitale.
Toutefois, la fermeture de ces voies, fréquentées aujourd’hui par plus de 2 000 véhicules par heure en période de pointe, risque d’entraîner une augmentation du trafic sur les axes de report, tels que les « quais hauts », le boulevard Saint-Germain, la rue de Rivoli, mais aussi le boulevard périphérique, et d’entraîner des encombrements. On peut donc, in fine, redouter une congestion de tout le cœur de Paris.
Au-delà de ces problèmes de circulation, la faisabilité de ce projet doit aussi être appréciée d’un point de vue juridique. En effet, les voies sur berges font l’objet d’une superposition de gestion, donnée par l’État à la ville de Paris dans les années soixante-dix, et sont spécifiquement destinées à une utilisation en tant que voies express.
Si la ville de Paris supprime la circulation sur ces voies, ces dernières retomberont de facto dans le domaine public de l’État et de nouvelles conventions devront alors être établies avec la ville.
Je souhaiterais, madame la ministre, que vous me précisiez la position de l’État sur ce dossier.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Madame le sénateur, vous avez attiré l’attention de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur le projet d’aménagement des voies sur berges à Paris.
Présenté le 14 avril 2010, le projet de réaménagement des voies express envisagé par la ville de Paris vise à modifier profondément le dispositif existant dans une optique de reconquête des berges de la Seine au bénéfice d’usages principalement piétonniers et cyclistes et d’activités de loisirs.
Ce projet distingue les deux rives concernées : d’une part, l’autoroute urbaine de la rive droite serait réaménagée en boulevard urbain ponctué de feux de signalisation ; d’autre part, la voie rapide de la rive gauche serait fermée au trafic automobile entre Solférino et le Pont de l’Alma.
Les espaces de 4,5 hectares ainsi libérés seraient affectés à différentes activités récréatives, de sport et de culture.
Ce projet, dont la réalisation est envisagée pour 2012, ne peut bien évidemment être conçu que dans le cadre d’une discussion approfondie avec l’État. (Mme Catherine Dumas acquiesce.) Situées sur le domaine public fluvial de l’État et de ses établissements publics, les voies sur berges voient leurs conditions de circulation relever du préfet de police.
C’est dans le cadre de ce partenariat étroit avec l’État que devront être évalués les effets de ce projet. La nécessité d’une concertation approfondie avec les habitants et les collectivités locales voisines a été réaffirmée et les différents services de l’État impliqués seront consultés officiellement sur le projet.
Au cours de la dernière séance du Conseil de Paris, le préfet de police est intervenu pour souligner que ce projet devait être abordé avec ouverture d’esprit, méthode et prudence. Il conviendra, en particulier sur le plan de la circulation, de veiller à préserver des axes de communication suffisamment fluides, de garantir la cohérence du projet avec les politiques de déplacement franciliennes, d’effectuer des tests de réalité et, enfin, de maintenir des délais réduits d’acheminement des secours en cas d’urgence.
De même, dès lors qu’est en cause l’utilisation du domaine public de l’État, il conviendra de réexaminer le dispositif existant de superposition d’affectation et de préserver les intérêts de l’État et de ses établissements publics dans le cadre de nouvelles conventions conclues en application des dispositions du code général de la propriété des personnes publiques, le CG3P.
L’évolution éventuelle de l’occupation des berges devrait, enfin, être cohérente avec les objectifs fixés par le Grenelle de l’environnement.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, j’ai pris bonne note de votre réponse.
Mes collègues du groupe UMP au Conseil de Paris et moi-même allons bien sûr rester très attentifs à ce sujet important, qui peut modifier durablement le visage de la capitale et, surtout, avoir des conséquences au quotidien sur la vie des Parisiens.
Nous pensons, en effet, que le projet actuel du maire de Paris est d’ores et déjà dépassé par rapport aux réalités de la ville et, surtout, indigne des défis qui sont les nôtres pour les prochaines années, notamment dans le cadre de l’ambitieux projet d’aménagement du Grand Paris.
On ne peut pas se contenter de bannir la voiture de Paris. Les élus du groupe UMP au Conseil de Paris, emmenés par leur président Jean-François Lamour, opposent un projet beaucoup plus ambitieux de réaménagement global de tous les espaces des bords de Seine, pariant sur la diversité des modes de déplacement – cela nous semble tout à fait important – et se révélant compatible avec le développement économique, culturel et surtout touristique de la capitale.
perspectives financières des collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. Marcel Rainaud, auteur de la question n° 966, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.
M. Marcel Rainaud. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, et des collectivités territoriales
Madame la ministre, les collectivités territoriales sont, grâce à leurs investissements, des éléments moteurs de la dynamique économique de notre pays. Elles sont soumises à des règles strictes puisqu’elles sont dans l’obligation de présenter des budgets en équilibre. Le recours à l’emprunt ne leur est autorisé que pour financer les investissements.
Malgré ces règles contraignantes et les différents transferts de charges auxquels elles ont dû faire face, à l’origine d’une augmentation mécanique de leurs coûts de fonctionnement, leurs investissements sont des éléments importants du dynamisme de notre économie. En effet, plus de 70 % de l’investissement public annuel est porté par les collectivités locales. Cela représente près de 800 000 emplois directs.
Au moment où la commande privée est au ralenti, il est particulièrement important de permettre à la commande publique de se maintenir à un bon niveau.
Le Gouvernement l’a compris lorsqu’il a instauré le dispositif de remboursement anticipé de la TVA pour les collectivités qui s’engageaient à produire des efforts supplémentaires en matière d’investissement. Cette mesure semblait indiquer la reconnaissance de l’importance du rôle des collectivités dans la dynamique économique et le maintien des emplois dans le secteur privé.
Malheureusement, la réforme de la fiscalité et l’annonce du gel des dotations aux collectivités locales ont mis un coup d’arrêt à cette dynamique.
Contraindre les finances des collectivités locales est un mauvais calcul économique. Les carnets de commandes des professionnels des secteurs du bâtiment et des travaux publics se sont vidés et les mesures de prudence prises par les exécutifs locaux amplifient les effets de la crise économique sur leur activité.
Ces entreprises se voient contraintes de se séparer d’une partie de leurs personnels : ce sont autant de personnes qui vont se retrouver en situation de précarité, ce qui fera encore gonfler les chiffres du chômage, puis, à terme, se traduira par une augmentation du nombre de bénéficiaires du RSA.
Cela ne sera pas sans conséquences sur les finances publiques, qui devront faire face à cette augmentation du nombre de bénéficiaires d’indemnités chômage et de minima sociaux.
Pour protéger l’emploi et nos entreprises, il faut donner une meilleure visibilité aux collectivités sur l’évolution de leurs ressources et, tout d’abord, sur celle des dotations de l’État. L’annonce du gel de celles-ci, si elle est confirmée, renforcera les restrictions budgétaires des collectivités. Elle réduira leur rythme et leur niveau d’investissement.
Avant de mettre en œuvre une telle mesure, il serait donc important qu’une étude d’impact soit menée afin de mieux appréhender ses effets.
Les petites économies faites aujourd’hui sur le dos des collectivités locales engendreront, demain, de plus importantes dépenses dans le domaine du social et de l’insertion.
Les collectivités territoriales ont aussi besoin d’être rassurées sur la dynamique de leurs ressources. La suppression de la taxe professionnelle et la nouvelle architecture de la fiscalité ne sont pas sans conséquences pour elles.
Le Fonds national de garantie individuelle des ressources, le FNGIR, fait partie des principaux sujets de préoccupation. Ce fonds a vocation à compenser les pertes de recettes des collectivités induites par la réforme de la fiscalité.
Deux questions se posent alors.
La première concerne l’évolution du fonds : les élus locaux demandent que le montant de ce dernier leur soit pour le moins garanti et que sa pérennité soit assurée.
La seconde porte sur la dynamique des ressources nouvelles. Certains territoires ont choisi de mettre le développement économique au cœur de leur projet pour créer de nouveaux emplois et élargir l’assiette fiscale grâce aux recettes engendrées sur leur territoire par les entreprises qu’elles y installent.
Dès lors, les élus ont des craintes quant au devenir de ces ressources nouvelles. Ils affirment leur volonté forte de voir les ressources nouvelles créées sur leurs zones économiques abonder leurs budgets.
Les élus locaux ont besoin de réponses à ces questions. Les professionnels du secteur des travaux publics et du bâtiment, comme leurs salariés, sont également en attente.
Pouvez-vous, madame la ministre, prendre un engagement quant à la pérennité du Fonds national de garantie individuelle des ressources ? Pouvez-vous assurer aux collectivités locales qu’elles tireront profit de leurs efforts consentis en faveur du développement économique en leur garantissant qu’elles bénéficieront de l’intégralité des nouvelles recettes ainsi générées sur leurs territoires ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer. Monsieur le sénateur, vous avez attiré l’attention du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur la pérennité du Fonds national de garantie individuelle des ressources, le FNGIR, et le maintien de la dynamique des ressources des collectivités.
La suppression de la taxe professionnelle a permis d’alléger les charges des entreprises de presque 9 milliards d’euros dès 2010, contribuant ainsi à l’amélioration de leur situation financière. Dans le cadre de cette réforme de la fiscalité locale, le Gouvernement s’est engagé à compenser, pour l’ensemble des collectivités locales, les éventuelles pertes engendrées par cette suppression.
Cette compensation prendra la forme, d’une part, d’une dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle, la DCRTP, d’autre part, d’un Fonds national de garantie individuelle des ressources, le FNGIR, pour chacun des niveaux de collectivité territoriale – communes et intercommunalité, départements et régions.
Ainsi que le Gouvernement l’a précisé à plusieurs reprises, aucune collectivité ne doit voir ses ressources fiscales baisser à la suite de la suppression de la taxe professionnelle.
Le FNGIR est financé par les gains des collectivités qui se retrouveraient gagnantes après la réforme, c’est-à-dire de celles dont les ressources fiscales en 2010 seraient supérieures à ces mêmes ressources constatées en 2009. Ce fonds est pérenne et les collectivités locales connaîtront vraisemblablement en juillet 2011 le montant exact des sommes ainsi redistribuées.
Quant à la dynamique des ressources des collectivités territoriales, les nouvelles impositions créées à la suite de la suppression de la taxe professionnelle, notamment la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, permettront de l’assurer puisqu’elles sont directement assises sur l’activité économique.
En effet, les simulations effectuées dans le cadre du rapport présenté en juin 2010 par le Gouvernement montrent qu’à l’horizon 2015 la croissance annuelle des nouvelles ressources devrait être comprise entre 3,3 % et 3,9 % selon les collectivités, ce qui ferait passer les ressources fiscales de 72,8 milliards d’euros en 2010 à 87,8 milliards d’euros en 2015.
M. le président. La parole est à M. Marcel Rainaud.
M. Marcel Rainaud. Madame le ministre, je vous remercie de votre réponse. Celle-ci n’est cependant pas satisfaisante, car elle n’apporte pas aux élus les données concrètes qui leur permettraient d’organiser une gestion pluriannuelle de leur collectivité.
Je vous demande donc de prendre véritablement en compte l’incidence des investissements publics sur le dynamisme de notre économie et sur l’emploi. Il faut donner aux exécutifs locaux des signaux suffisamment rassurants pour qu’ils relancent la commande publique.
renforcement des mécanismes de péréquation financière
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer, auteur de la question n° 927, adressée à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.
M. Claude Biwer. Ma question, madame le ministre, est dans le prolongement de la précédente, et peut-être m’avez-vous déjà répondu par avance. Vous me permettrez néanmoins d’évoquer, à mon tour, les problèmes liés à la péréquation.
Au cours de la présente année, deux documents sont venus conforter mon inlassable combat en faveur de la mise en œuvre d’une plus grande péréquation financière pour les collectivités territoriales les plus pauvres, qu’il s’agisse de communes, de groupements de communes, ou encore de départements.
Tout d’abord, dans son rapport sur la fiscalité locale présenté le 6 mai dernier, le Conseil des prélèvements obligatoires estime que l’équité entre contribuables et celle entre collectivités ne sont plus assurées. Il ajoute que les écarts de richesse entre collectivités territoriales sont trop grands. Ainsi, le potentiel fiscal par habitant varie du simple au double entre régions, du simple au quadruple entre départements, et de un à mille entre les communes, ce qui est considérable. Il s’agirait donc, en l’occurrence, non pas de donner plus, mais de donner autrement et mieux.
Par ailleurs, les mécanismes actuels de péréquation ne corrigent qu’à peine la moitié de ces disparités. Ainsi, la part de péréquation de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, n’atteint que 16 % de son montant.
Je l’ai souvent affirmé, et je le répète, le mode de calcul de la DGF privilégie certaines grandes villes riches, au détriment des communes rurales pauvres. Ce phénomène est dû à des raisons à la fois historiques – on se souvient que la DGF est l’héritière du versement représentatif de la taxe sur les salaires... – et législatives : le fait que, dans les grandes villes, 1 habitant compte pour 2,5 est forcément contre-péréquateur.
Le Conseil des prélèvements obligatoires propose d’accélérer, pour chaque échelon territorial, l’augmentation de la part relative des dotations péréquatrices de la DGF en ralentissant la hausse des dotations forfaitaires, et de renforcer les mécanismes de péréquation fiscale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, qui doit être mise en place en 2011. Il suggère également de mieux cibler les efforts de péréquation en faveur des collectivités qui sont véritablement les plus éloignées de la moyenne.
Le second document date du 12 mai 2010 et émane de l’Association des maires de France, l’AMF, et de son groupe de travail sur la dépense locale. Lui aussi met en évidence la nécessité d’un renforcement de la péréquation et l’effet jusqu’ici insuffisamment péréquateur des dotations versées par l’État, notamment de la DGF.
L’AMF propose, notamment, une réduction progressive des inégalités dans les dotations d’intercommunalité : la dotation par habitant entre intercommunalités varie, en effet, du simple au double ; cela n’est pas normal.
Madame le ministre, consacrer une plus grande part de la DGF à la péréquation, concentrer notre effort de péréquation sur les communes et les départements qui, comme la Meuse, en ont le plus besoin, faire en sorte que toutes les intercommunalités perçoivent la même dotation par habitant – nous sommes loin du compte ! –, voilà de saines pistes de travail dont le Gouvernement devrait s’inspirer pour la préparation du projet de loi de finances pour 2011 !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Monsieur le sénateur, vous appelez l’attention de M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales sur le renforcement des mécanismes de péréquation financière.
La péréquation, qui consiste à atténuer les disparités entre les collectivités locales, a fait l’objet d’un effort soutenu au cours de la dernière décennie et a été érigé en objectif à valeur constitutionnelle par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.
Ainsi, chaque niveau de collectivités locales bénéficie de dispositifs de péréquation : la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, la DSU, la dotation de solidarité rurale, la DSR, et la dotation nationale de péréquation, la DNP, pour les communes ; la dotation de péréquation urbaine, la DPU, et la dotation de fonctionnement minimale, la DFM, pour les départements ; enfin, la dotation de péréquation régionale.
Entre 2004 et 2010, la part de dotation globale de fonctionnement consacrée à la péréquation a augmenté de 2,3 milliards d’euros et s’élève aujourd’hui à 6,8 milliards. Pour 2011, le Gouvernement entend poursuivre cet effort en consacrant des montants conséquents à la péréquation.
Outre la péréquation dite verticale, c’est-à-dire de l’État vers les collectivités territoriales, il est nécessaire de renforcer la péréquation horizontale, soit entre les collectivités d’une même catégorie.
Dans leur rapport, MM. Carrez et Thénault se sont d’ailleurs accordés sur l’importance de prélever davantage les collectivités présentant un potentiel financier plus élevé, afin de reverser aux collectivités moins riches de la même catégorie. Leurs conclusions constituent autant de pistes pour le renforcement de la péréquation.
Les auteurs de ce rapport préconisent d’utiliser progressivement une partie des montants versés au titre du complément de garantie des communes et des départements comme un mécanisme de péréquation. L’écrêtement du montant touché par chaque collectivité pourrait, à cet effet, dépendre du potentiel fiscal, et non plus d’un montant uniforme.
Ils préconisent, ensuite, de calculer le potentiel fiscal en tenant compte du potentiel par habitant de l’ensemble intégré commune-intercommunalité.
Ils proposent, enfin, d’alimenter la péréquation par des dotations compensatrices.
Ces réflexions, monsieur le sénateur, seront naturellement prises en compte dans le cadre des différents rendez-vous législatifs qui seront l’occasion d’adapter les outils disponibles à la suppression de la taxe professionnelle, comme au nouveau cadre d’évolution des dotations de l’État.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Madame le ministre, je vous remercie de ces précisions qui vont, me semble-t-il, dans le bon sens. Néanmoins, depuis quelques années, s’agissant de ces accompagnements financiers, nous avons souvent observé une différence de taux entre la DGF urbaine et la DGF rurale, et ce toujours dans le mauvais sens. Lorsqu’on examine l’aspect du potentiel fiscal, on retrouve un certain équilibre.
Je constate, pour ma part, que ma commune reçoit au titre de la DGF seulement 10 % de ce que perçoit Paris par habitant. Je veux bien admettre que je vis aussi à l’ombre de la capitale, mais j’aimerais ne pas y mourir... Quoi qu’il en soit, je tiens à vous remercier pour les efforts accomplis.
utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les dom et à la réunion
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet, auteur de la question n° 887, transmise à Mme la ministre chargée de l’outre-mer.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je souhaite aborder la question de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les DOM, en particulier à la Réunion.
Le 13 janvier 2009, les députés européens ont adopté les deux textes qui constituent la future législation européenne sur les pesticides. Après le compromis trouvé en décembre 2008 entre le Parlement européen et le Conseil, les députés se sont prononcés à une large majorité en faveur d’un règlement sur la production et l’autorisation des pesticides, et d’une directive relative à l’utilisation durable de ces produits.
Ainsi, la nouvelle législation prévoit l’interdiction d’une liste de vingt-deux substances chimiques toxiques au niveau de l’Union européenne, qui servira de base à l’autorisation de pesticides au niveau national. La directive fixe, pour la première fois au niveau communautaire, des règles tendant à rendre l’utilisation des pesticides plus sûre et à encourager le recours à la lutte intégrée et aux alternatives non chimiques. Dans les faits, l’épandage aérien sera progressivement interdit dans la sylviculture et la viticulture. Quant aux pesticides, ils seront également interdits dans les parcs, les jardins publics, les terrains de sport, les cours de récréation et les terrains de jeux. La directive devrait être mise en œuvre par les États membres au début de l’année 2011.
Les pesticides sont décriés depuis des années à cause de leur incidence sur la santé humaine. En décembre 2008, une étude mettait en exergue les effets toxiques du Roundup, l’un des herbicides les plus utilisés au monde, sur les cellules humaines ainsi que sur les OGM alimentaires. En février 2010, une étude du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy, le CIML, a prouvé qu’il existait un lien de causalité entre l’exposition des agriculteurs aux pesticides et certains cancers du sang. Je tiens à rappeler que la France est le premier utilisateur de pesticides en Europe, et le troisième au niveau mondial.
L’exposition aux pesticides en milieu agricole est considérée depuis longtemps comme un facteur de risque accru de lymphomes. Le lymphome folliculaire est ainsi en augmentation de 3 % à 4 % par an depuis une trentaine d’années. Ce type de cancer du sang incurable représente la cinquième cause de mortalité par cancer au niveau national.
Les agriculteurs sont plus souvent victimes de cancers que les autres professionnels. Les chercheurs ont mis en évidence des biomarqueurs qui témoignent d’un lien moléculaire entre l’exposition des agriculteurs aux pesticides, l’anomalie génétique et la prolifération de ces cellules, qui sont des précurseurs de cancers. Ils ont aussi constaté que, par rapport au reste de la population, les agriculteurs exposés aux pesticides développaient dans leur génome de 100 à 1 000 fois plus de cellules anormales.
Afin de connaître les liens entre les facteurs professionnels et la survenue de problèmes de santé, l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, a lancé le 8 février 2010, en partenariat avec la Mutualité sociale agricole, la MSA, une grande étude permettant de décrire et de surveiller l’état de santé de la population au travail dans le monde agricole. La première phase de cette étude a débuté dans cinq départements. Sont concernés les Bouches-du-Rhône, le Finistère, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Atlantiques et la Saône-et-Loire. Je regrette qu’elle ne soit menée dans aucun département d’outre-mer.
À la Réunion, la prise en compte du risque professionnel lié aux produits phytosanitaires n’est que récente. Les agriculteurs réunionnais n’utilisent pas de produits moins dangereux qu’en métropole ; au contraire, ils seraient même moins regardants sur leur dangerosité et sur la protection qu’ils devraient mettre en œuvre. Force est de constater que le climat chaud et humide n’incite guère à revêtir gants, masque et combinaison pour se protéger des produits traitants.
La chambre d’agriculture de la Réunion organise régulièrement des stages de prévention et de sensibilisation sur le sujet, mais aucune étude sérieuse n’a été menée localement car, dans les départements d’outre-mer, contrairement à la métropole, il n’existe pas de mutuelle sociale agricole pour collecter les cas. C’est dans le secteur du maraîchage qu’on observe le plus de problèmes.
Madame le ministre, la question de l’utilisation des pesticides n’est pas cloisonnée aux seuls départements agricoles et viticoles, ou à un territoire ultramarin en particulier. Elle nous concerne tous puisque, dans tous les aliments et boissons, on retrouve des traces de produits phytopharmaceutiques.
Vous connaissez mon attachement tant aux problématiques de santé qu’à l’équité de traitement entre la métropole et les territoires ultramarins. Je plaide pour que soit mise en place, très prochainement, une véritable enquête sur l’état de santé des agriculteurs réunionnais, et plus généralement ultramarins.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Madame la sénatrice, vous avez interrogé Mme Roselyne Bachelot, ministre de la santé et des sports, sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les départements d’outre-mer, et en particulier à la Réunion.
Cette question constitue une réelle préoccupation pour le Gouvernement.
À la Réunion, depuis 2005, la médecine du travail collabore avec les professionnels agricoles et les services sanitaires pour sensibiliser la profession agricole aux risques phytosanitaires. Dans ce cadre, le service de la prévention des risques professionnels de la Caisse générale de sécurité sociale réalise des actions de formation auprès des agriculteurs, en partenariat avec la Direction de l’agriculture et de la forêt, sur les risques liés au stockage et à la manipulation des produits phytosanitaires.
Ainsi, afin de faciliter l’observation d’effets indésirables des produits phytosanitaires sur la santé des manipulateurs, un numéro vert gratuit est à la disposition de toute personne utilisant des produits professionnels, en métropole comme à la Réunion. Ce numéro vert est celui du réseau Phyt’attitude, qui recense spécifiquement et analyse les intoxications liées aux produits phytosanitaires.
Depuis 2006, parallèlement à la Caisse centrale de la MSA, qui recense ces données, la cellule interrégionale d’épidémiologie Réunion-Mayotte de l’agence régionale de santé a mis en œuvre un dispositif de toxicovigilance comparable. Enfin, s’agissant de la surveillance épidémiologique, un registre des cancers est en cours de constitution à Saint-Denis de la Réunion. La consolidation de ce registre permettra de parfaire la surveillance des pathologies tumorales et de faciliter les travaux de recherche.
Par ailleurs, l’étude conduite par l’Institut national de veille sanitaire que vous évoquez n’est, à ce stade, qu’une étude de faisabilité réalisée dans cinq départements métropolitains, en relation étroite avec la Mutualité sociale agricole.
L’extension de ce protocole aux DROM nécessitera des conditions spécifiques, en raison notamment du régime de sécurité sociale des agriculteurs d’outre-mer, qui est différent de celui de la MSA.
Ce protocole devra en particulier être adapté aux circuits d’information propres à ce régime de sécurité sociale.
Comme vous pouvez le constater, madame la sénatrice, le Gouvernement prend très au sérieux la question de la surveillance de la santé des agriculteurs liée à la manipulation des produits phytopharmaceutiques.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. En 2008, la cellule interrégionale d’épidémiologie Réunion-Mayotte s’était penchée sur le problème des pesticides à la suite du traitement dispensé pendant la crise de chikungunya. Aucune intoxication liée à l’usage des pesticides n’avait alors été recensée parmi les agriculteurs. Mais la profession n’est pas pour autant à l’abri.
Le service de prévention de risques professionnels de la Caisse générale de sécurité sociale a mis en place depuis 2006 un numéro vert, celui du réseau Phyt’attitude, pour répondre aux urgences et recenser les cas.
Cependant, peu d’appels sont enregistrés. Les opérateurs ont certes relevé quelques intoxications aiguës, mais ont beaucoup de difficultés à appréhender leurs conséquences sur le long terme. L’une des possibilités consisterait à lever le secret médical. L’année dernière, une quarantaine de cancers de la vessie ont été recensés, majoritairement chez des hommes, à raison de 35 cas sur 40. L’observatoire régional de santé souhaiterait en savoir davantage. Si le secret médical était levé, un lien pourrait être établi entre la maladie et la profession des personnes concernées.
Nous avons tous en mémoire les dégâts considérables et même irréversibles causés par l’utilisation du chlordécone aux Antilles. (M. Jean-Paul Virapoullé acquiesce.) Les déclarations du Professeur Belpomme ont beaucoup ému les ultramarins. Les terres ont été polluées pour des décennies. Hier soir encore, nous avons entendu sur TF1 le Docteur Pascal Blanchet, dont une étude récente a démontré le caractère hautement dangereux de ce pesticide et le lien direct qui existe entre le cancer de la prostate et son utilisation. Par ailleurs, l’Institut national de recherche agronomique, l’INRA, vient de réaliser une étude dénonçant le caractère faussement rassurant du rapport parlementaire fait sur l’utilisation du chlordécone et en démontrant la dangerosité. Il convient donc de prêter une attention plus soutenue aux pesticides utilisés dans les départements d’outre mer, ainsi qu’en métropole. (M. Jean-Paul Virapoullé acquiesce.)
formation et recrutement des enseignants
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, auteur de la question n° 933, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.
M. René-Pierre Signé. J’avais adressé cette question à M. le ministre de l’éducation nationale. Or je constate que cette dernière, entre son dépôt et la date de son inscription à l’ordre du jour, a quelque peu perdu de son actualité : portant sur les nouvelles modalités de formation et de recrutement des enseignants, il aurait mieux valu qu’elle soit examinée avant la rentrée scolaire ! Je vous la soumets néanmoins aujourd’hui.
La formation des enseignants incombe désormais aux universités par le biais de la « masterisation ». Des protestations s’élèvent de partout, provenant des présidents d’université, des syndicats, des étudiants. Alors que le cursus des enseignants, fondé sur le principe de l’alternance, prévoyait jusqu’à présent une formation théorique et un stage de plusieurs mois en établissement scolaire, ce stage est non plus obligatoire, mais simplement conseillé. Ainsi, les enseignants pourront désormais prendre leur poste après une préparation académique poussée à l’université, mais sans avoir reçu une solide formation pédagogique et parfois même sans avoir effectué au préalable un stage dans une école.
Cette réforme privilégie donc la dimension disciplinaire à la pédagogie proprement dite, alors même que le volet pédagogique, déjà jugé insuffisant, ne doit pas être négligé. Désormais, les enseignants risquent de se retrouver face à une classe sans y avoir été préparés, malgré la présence éventuelle de tuteurs, en nombre d’ailleurs insuffisant compte tenu du faible nombre de personnes attirées par cette mission.
La réforme de la formation des enseignants aura des répercussions négatives sur la qualité de l’enseignement à l’école, au collège et au lycée. Le nombre de postes de titulaires, chaque année en diminution, entraîne l’augmentation du nombre d’élèves par classe et le recrutement d’enseignants vacataires en plus grand nombre. Or, nous restons attachés à une formation de qualité, à la base de l’éducation de l’élève et du citoyen, pour nos enseignants. Comme chacun le sait, l’école républicaine est le socle de la transmission de nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité.
Aussi vous demanderai-je, madame la ministre, de bien vouloir prendre en compte ces questions et de mesurer la portée des objections soulevées.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Monsieur le sénateur, vous souhaitez attirer l’attention de mon collègue Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement, sur la réforme de la formation des enseignants. Luc Chatel est retenu ce matin par d’autres obligations mais, vous le savez, la question que vous avez soulevée est pour lui une préoccupation majeure. Il a d’ailleurs tenu à accueillir personnellement, le 30 août dernier, des professeurs stagiaires de l’Académie de Versailles.
La réforme des conditions de formation et de recrutement des personnels enseignants permet d’abord, dans le cadre d’un cursus universitaire prolongé jusqu’au master, d’harmoniser nos dispositifs avec les pratiques en vigueur dans la plupart des pays européens.
La réforme contribue aussi à élever la qualification des personnels. Recruter des professeurs à un niveau « bac + 5 » permettra à notre école d’appréhender les enjeux du monde contemporain et de faire face à ses transformations futures.
En outre, le nouveau dispositif de recrutement assure une découverte plus progressive du métier en articulant formation pratique et formation universitaire. En effet, les étudiants ont la possibilité de faire des stages dès la licence, ainsi qu’au cours des première et seconde années de master. Ces stages, rémunérés, leur permettront de prendre une classe en responsabilité. Tous ces stages sont bien entendu encadrés par des enseignants expérimentés.
Enfin, après leur recrutement, tous les professeurs stagiaires bénéficient d’un accompagnement par un professeur-tuteur reconnu pour ses qualités pédagogiques, et des actions de formation complémentaires adaptées aux besoins de chaque nouvel enseignant sont proposées.
La réforme du recrutement s’accompagne d’une meilleure reconnaissance des missions confiées à nos professeurs, notamment grâce à une revalorisation significative des rémunérations en début de carrière. En moyenne, les professeurs nouvellement recrutés perçoivent un traitement supérieur de 10 % à celui des générations précédentes. Les 200 000 enseignants qui ont récemment débuté leur carrière bénéficient également d’une revalorisation.
Élévation du niveau de qualification universitaire, progressivité dans l’acquisition des compétences professionnelles, renforcement de la pratique dans le cursus de formation, voilà ce qui caractérise la nouvelle formation des maîtres. Voilà ce qui permettra à l’école de la République de répondre aux attentes de nos concitoyens.
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Madame la ministre, je vous remercie. J’entends bien la force de vos arguments, mais je tiens à formuler les remarques suivantes.
Tout d’abord, la seconde année de formation en IUFM, en tant que fonctionnaire stagiaire rémunéré par l’État, est remplacée par une année de master, non payée. Voilà qui va faire entrer l’inégalité sociale dans la préparation des maîtres, fermant l’accès au concours d’enseignant aux classes les moins aisées.
Ensuite, dès la rentrée de septembre, les nouveaux enseignants ont pris leur poste sans la formation pédagogique qu’offraient jusqu’alors les IUFM. Ils devront pourtant assurer, le plus souvent dans des zones difficiles, le même service, les mêmes tâches, avec la même efficience que leurs collègues expérimentés. Le remède à cette inexpérience serait apporté par des tuteurs : un maître formateur, présent en classe à leurs côtés ou rencontré à l’occasion de réunions hebdomadaires. Mais au collège et au lycée, tous n’auront pas de tuteur.
Enfin, il convient d’appréhender une conséquence locale de la réforme, le démantèlement des antennes IUFM implantées dans les départements ruraux, comme la Nièvre. C’est très dommageable. En effet, une formation reçue dans le cadre de l’université risque d’urbaniser à l’excès les futurs maîtres, alors que les IUFM départementaux leur offraient plus de contact avec le terrain. Ainsi, ils seront moins enclins à accepter les postes situés dans les zones les plus reculées et isolées de nos campagnes.
J’insiste donc auprès de Mme la ministre pour que ces questions soient examinées avec soin et que les conséquences de cette réforme qui fragilise les antennes départementales soient correctement appréciées.
mesures budgétaires d'urgence pour l'année scolaire 2010-2011
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question n° 968, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je souhaite tirer aujourd’hui la sonnette d’alarme quant aux conditions très préoccupantes de la rentrée dans les collèges et lycées des Hauts-de-Seine.
Depuis l’année scolaire 2009-2010, la situation s’est beaucoup dégradée.
En raison de suppressions massives de postes d’enseignants, qui ont entraîné une pénurie aiguë de personnel, le rectorat de l’Académie de Versailles connaît de réelles difficultés à assurer le remplacement des enseignants en cas d’absence de courte durée, mais également de longue durée.
Face au manque d’enseignants remplaçants titulaires, lié d’une part à un recrutement insuffisant au regard des besoins et d’autre part à leur sédentarisation à l’année faute d’enseignants titulaires, il est question de recruter massivement des professeurs vacataires ou contractuels. Or, cette solution n’est pas acceptable, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, cela revient à placer devant les élèves des personnes non formées, et ce sans accompagnement. Ensuite, ces types de contrats sont extrêmement précaires, faisant de ces enseignants remplaçants des personnels payés au rabais, corvéables à merci et bien sûr sans statut. Il s’agit de vacataires que les rectorats, face aux besoins abyssaux, ont même du mal à trouver.
Au final, cette situation est très préjudiciable aux élèves, qui n’ont parfois pas de professeurs pendant des semaines, voire des mois. La cause est à rechercher dans une politique budgétaire centrée sur l’application de la RGPP et du principe d’un recrutement pour deux départs en retraite, au mépris des besoins réels des établissements.
Alors que la situation est demeurée très instable tout au long de l’année passée, la réforme de la formation des enseignants dite de masterisation, mise en place dans le seul but de supprimer près de 16 000 postes d’enseignants, va sans aucun doute aggraver la situation pour cette année.
Dans l’académie de Versailles, après la suppression de 578 postes en 2008, de 249 en 2009, ce sont 127 postes de titulaires et 385 postes de stagiaires qui sont supprimés en 2010 ! Madame la ministre, la situation est grave. Le Gouvernement doit prendre la mesure de la pénurie de personnels. Les syndicats d’enseignants, d’étudiants et les associations de parents d’élèves ne cessent d’alerter le ministère de l’éducation nationale, sans succès, sur la catastrophe qui menace le service public de l’éducation.
Quelles mesures d’urgence le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour sortir notre pays de cette pénurie d’enseignants titulaires ? Va-t-il revenir sur la suppression de la formation des enseignants débutants ? Je suis loin de partager l’optimisme affiché sur ce sujet. Le plafond d’emplois d’enseignants pour 2011 va-t-il être augmenté à la hauteur des besoins et va-t-on recruter dès à présent suffisamment de lauréats pour le concours 2010 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer. Monsieur le sénateur, Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, dont vous attirez l’attention sur les non- renouvellements de postes d’enseignants dans le département des Hauts-de-Seine, m’a chargée de vous répondre sur ce sujet fondamental que constitue la maîtrise de la dépense et des effectifs publics.
Vous le savez, notre pays consacre un effort considérable à son éducation. Le budget de l’éducation nationale est le premier budget de l’État. En 2010, il est encore en augmentation de 1,6 % par rapport à 2009, pour s’élever à 59,6 milliards d’euros.
Or, depuis 1990, le nombre d’élèves a baissé de 700 000, tandis que le nombre des enseignants s’est accru de plus de 50 000.
La responsabilité du ministre de l’éducation nationale est de contribuer à l’effort de maîtrise des dépenses publiques. Cette responsabilité, Luc Chatel la partage avec tous les responsables locaux de l’éducation nationale, qui sont en charge de la mise en œuvre des politiques éducatives sur le terrain. Les efforts prévus pour les prochaines années font dès à présent l’objet d’échanges.
Le rôle du ministre de l’éducation nationale est d’assurer à ces jeunes les meilleures conditions d’apprentissage, afin de leur permettre de construire leur parcours de réussite. Cet objectif est au cœur des réformes conduites par Luc Chatel. Tant la réforme du recrutement des enseignants, que le recentrage sur les savoirs fondamentaux dans l’enseignement primaire mais aussi la rénovation et la revalorisation de la voie professionnelle, qui ouvriront des perspectives nouvelles aux lycéens de cette voie d’excellence, ou encore la réforme du lycée d’enseignement général et technologique, qui entre en vigueur cette année, participent de cette volonté.
Toutes ces réformes modifient les missions des enseignants. C’est pourquoi, afin de mieux accompagner ces derniers, Luc Chatel a mis en œuvre un nouveau pacte de carrière, qui combine mesures de revalorisation, nouvelles possibilités de formation et plan santé au travail.
Concernant plus particulièrement l’académie de Versailles, les échanges fréquents que Luc Chatel a eus avec le recteur, M. Alain Boissinot, ne confirment pas votre inquiétude. Au niveau de l’académie, moins de 1 % des postes restent à pourvoir, principalement dans les disciplines professionnelles. La situation, comparable à celle de l’année passée, sera résolue dans les prochains jours. Elle est même plus favorable dans les Hauts-de-Seine que dans les autres départements de l’académie.
Enfin, je vous signale que, par rapport aux autres académies métropolitaines, la part des enseignants contractuels dans le potentiel enseignant de l’académie de Versailles s’inscrit dans la moyenne, soit moins de 3 %.
Cet effort de maîtrise des effectifs publics se concilie donc parfaitement avec une grande qualité d’enseignement.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Madame la ministre, je ne partage pas votre optimisme...
Je souhaite en cet instant vous citer un rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, rendu au mois de juillet à M. Chatel. Aux termes de ce document, gardé secret au moment de son dépôt mais dont la presse a révélé les aspects les plus dramatiques, « les restrictions budgétaires pour 2010 vont créer des tensions et préparent assez peu l’avenir. » Tout au long des quarante-cinq pages de synthèse, les choix ministériels sont très clairement mis en cause.
Accueillir 25 000 élèves supplémentaires dans le second degré alors que de 3 000 à 4 000 emplois sont supprimés ne relève pas de l’efficience, contrairement à ce que vous affirmez, madame la ministre. En effet, les coupes budgétaires drastiques ont pour conséquence l’augmentation des effectifs par classe ainsi que la suppression de postes d’enseignants remplaçants titulaires, comme chacun peut le constater.
Je ne reviendrai pas sur la guerre des chiffres relative aux contractuels. Je me réfère simplement à ceux que comporte le rapport précité, auquel je vous renvoie.
Je veux maintenant souligner un point très important, à savoir la dégradation sans précédent des conditions de travail et de budget des services administratifs qui, selon le rapport, sont « sollicités au-delà du raisonnable ». En réalité, la politique conduite ne vise qu’à désorganiser, à déréguler et à libérer le système éducatif. Elle ne pourra, selon moi, que créer de nouvelles inégalités.
Le Gouvernement, par la politique qu’il mène, développe les disparités et porte directement atteinte à la globalité du système. Il hypothèque ainsi gravement l’avenir et en porte l’entière responsabilité. Comme je l’ai indiqué, parlementaires, membres de syndicats ou d’associations de parents d’élèves essaient de l’alerter et réclament en vain des solutions pérennes.
situation de l'entreprise roxel à la ferté-saint-aubin
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la question n° 955, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Pierre Sueur. J’appelle votre attention, monsieur le secrétaire d'État, sur la situation de l’entreprise Roxel – son actionnariat est détenu à 50 % par MBDA et à 50 % par la SNPE –, dont l’un des sites se trouve à La Ferté-Saint-Aubin, dans le département du Loiret, que j’ai l’honneur de représenter dans cette enceinte.
Le groupe Roxel, spécialisé dans la production de matériel militaire – en particulier la propulsion de missiles – et de matériel aéronautique et qui compte actuellement quatre-vingt-quatre emplois à La Ferté-Saint-Aubin, a récemment annoncé un plan visant à réorganiser les activités de ses différents sites.
Cette réorganisation se traduirait par le transfert de trente-trois emplois de La Ferté-Saint-Aubin vers Bourges, ce qui poserait de réels problèmes pour les salariés concernés.
De surcroît, vingt emplois seraient purement et simplement supprimés dans un bassin d’emploi déjà touché par de nombreuses suppressions d’activité.
Selon le rapport remis par un expert sur le plan de sauvegarde de l’emploi, de telles mesures n’étaient ni rendues nécessaires par le plan de charge de l’entreprise Roxel établie à La Ferté-Saint-Aubin, ni justifiées par des motivations économiques. En l’espèce, la stratégie peut être invoquée, mais pas l’économie. Il paraît tout à fait possible de construire une stratégie alternative permettant le maintien de l’ensemble des emplois existants à La Ferté-Saint-Aubin.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles dispositions concrètes comptez-vous prendre afin que le plan en question soit revu, de manière à remettre en cause les licenciements ainsi que les transferts et à mettre en œuvre une politique d’innovation et de développement, assurant la pérennité du site de La Ferté-Saint-Aubin, dont l’existence risquerait, à terme, d’être menacée si les projets annoncés devenaient effectifs ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, le ministère de la défense a pris note de vos préoccupations relatives aux modalités retenues par l’entreprise Roxel, filiale des groupes SNPE et MBDA spécialisée dans les moteurs de missiles tactiques et de roquettes, pour sa réorganisation en région Centre où elle compte deux sites, depuis le rachat de l’ancienne entreprise Protac en 2008, établis sur les communes du Subdray, près de Bourges, dans le Cher, et de La Ferté-Saint-Aubin, dans le Loiret.
Sur l’initiative de la direction de l’entreprise, ces deux sites, dont les activités étaient, pour partie, redondantes en raison de leurs histoires industrielles différentes, vont être spécialisés, le premier dans la pyrotechnie, le second dans les activités mécaniques et de composites aéronautiques. De ce fait, l’entreprise prévoit le transfert de trente emplois de La Ferté-Saint-Aubin vers Le Subdray. Mais cette réorganisation a aussi pour objet non seulement d’améliorer la productivité de Roxel France, mais également de réduire les coûts de l’entreprise, ce qui impose, selon sa direction, une réduction nécessaire de l’effectif total en région Centre de seize emplois. Ces derniers seront supprimés sur le site de La Ferté-Saint-Aubin, qui ne comptera plus alors que trente-trois salariés, mais restera, en tout état de cause, ouvert.
Sur le principe, le ministère de la défense, qui exerce une tutelle de l’État sur l’entreprise publique SNPE, encore détentrice à 50 % du capital de Roxel, ne conteste pas l’opportunité de ce plan de réorganisation, dans la mesure où les coûts induits par les redondances sur les deux sites étaient importants, et ce dans un contexte de restrictions budgétaires.
Il reste attentif à la situation d’un bassin d’emploi tel que celui de La Ferté-Saint-Aubin, qui, par le passé, a déjà été touché par des restructurations de l’industrie de défense. À ce titre, il serait naturellement favorable à ce que des activités nouvelles en rapport avec les savoir-faire existants y soient créées par l’entreprise Roxel, permettant d’assurer un avenir professionnel meilleur aux personnels du site concerné.
Il souhaite, par conséquent, l’établissement d’un dialogue responsable entre la direction de cette société et les collectivités territoriales représentées par leurs élus, de façon qu’une solution en ce sens soit trouvée, dans le respect non seulement de l’intérêt social de l’entreprise, mais également des préoccupations légitimes que nous avons tous à l’égard de l’emploi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu m’apporter.
Je connais depuis bien longtemps La Ferté-Saint-Aubin. Malheureusement, depuis trente ans, j’ai vu les effectifs des diverses entreprises situées sur le site de Chevaux diminuer considérablement année après année. La réelle angoisse des salariés en cause doit être prise en compte.
J’aurais naturellement aimé, monsieur le secrétaire d'État, que vous puissiez me confirmer le maintien sur place des emplois, car les salariés et les élus y sont très attachés compte tenu des réductions d’effectifs enregistrées depuis plusieurs années.
Néanmoins, votre réponse comporte deux points positifs.
Premièrement, vous m’avez assuré de la pérennité de l’activité de l’entreprise Roxel à La Ferté-Saint-Aubin, engagement important dont je prends bonne note, car le maintien de seulement trente-trois emplois a fait craindre une fermeture définitive à moyen terme.
Deuxièmement, vous avez indiqué votre volonté de voir le groupe Roxel développer des activités innovantes à La Ferté-Saint-Aubin. Cette annonce comporte un encouragement, un espoir, dont je ne manquerai pas de faire part à la fois aux salariés et aux élus concernés, de manière que les contacts soient pris le plus rapidement possible pour concrétiser un tel développement. Comme vous le savez, tous les territoires ont besoin d’espoir, lequel passe aujourd’hui par l’essor des activités innovantes. Je crois pouvoir compter sur le ministère de la défense pour soutenir les actions entreprises en matière d’innovation.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de vos annonces.
répercussions des retards dans l'acheminement postal sur la profession d'administrateur de biens et les syndicats de copropriété
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, en remplacement de Mme Marie-Thérèse Bruguière, auteur de la question n° 949, transmise à Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.
M. Jean-Claude Carle. Ma collègue Marie-Thérèse Bruguière souhaite attirer l’attention du secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme sur les répercussions que provoquent les retards postaux dans l’exercice de la profession d’administrateur de biens et les syndicats de copropriété.
Les convocations aux assemblées générales des copropriétaires, dont sont responsables les administrateurs de biens et les syndicats de copropriété, sont en effet encadrées par des règles strictes, énoncées aux articles 9 et 64 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967. Relevons, notamment, la règle du délai légal de vingt et un jours entre la convocation et le déroulement des assemblées générales, dont le non-respect est une cause intangible d’annulation des assemblées générales.
En cas de difficultés dans l’acheminement postal, des procédures d’annulation peuvent donc avoir lieu, causant ainsi un préjudice important aux professionnels concernés.
S’il convient d’assainir la profession, il n’est pas normal qu’elle puisse être pénalisée par des causes qui ne relèvent pas de sa responsabilité.
Ainsi, Marie-Thérèse Bruguière se demande s’il ne serait pas plus logique de prendre en compte comme point de départ du délai non pas le lendemain du jour de première présentation, mais, par exemple, le lendemain du jour de la preuve de dépôt dans le bureau postal. Elle souhaite savoir s’il est envisageable d’engager une modification réglementaire en ce sens.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, je répondrai volontiers à cette question à la place de mon collègue chargé du logement et de l’urbanisme. Étant l’un et l’autre élu local, nous connaissons parfaitement le sujet. Le cumul d’une fonction parlementaire ou ministérielle avec un mandat local fait de nous des généralistes !
La notification des convocations aux assemblées générales des copropriétaires est valablement faite par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par télécopie avec récépissé. Le délai a pour point de départ le lendemain du jour de la première présentation de la lettre recommandée au domicile du destinataire.
Le décret que vous avez cité prévoit en conséquence un délai minimal entre la réception de la convocation et la tenue de l’assemblée générale en deçà duquel la convocation n’est pas valablement faite.
Dans l’hypothèse où la convocation n’a pu être délivrée en temps utile pour respecter le délai réglementaire en raison d’un dysfonctionnement des services postaux, il a été jugé – c’est un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 6 décembre 2005 – que la responsabilité du syndic ne pouvait être engagée dès lors que la convocation à l’assemblée générale avait été adressée dans des délais suffisants qui auraient dû permettre l’acheminement de ce document, sans la défaillance du service postal, dans les délais légaux.
En outre, en l’absence de texte prévoyant un délai maximal entre la réception de la convocation et la tenue de l’assemblée générale, rien n’empêche le syndic d’anticiper d’éventuelles difficultés d’acheminement du courrier en envoyant les convocations quatre ou cinq semaines avant la date de l’assemblée générale.
Ainsi, il apparaît que les textes et la jurisprudence permettent de répondre au problème posé, sans qu’il soit besoin d’envisager une modification réglementaire.
Au surplus, une telle modification ne serait pas conforme à la volonté du législateur, et en bon législateur, vous le savez, monsieur le sénateur. En effet, le délai de vingt et un jours a été prévu pour permettre aux copropriétaires d’étudier correctement les divers documents qui doivent leur être notifiés au plus tard en même temps que l’ordre du jour en application de l’article 11 du décret du 17 mars 1967. Ce délai leur permet également de prendre éventuellement connaissance, conformément à l’article 18-1 de la loi du 10 juillet 1965, des pièces justificatives des charges de copropriété.
Toute modification de ce délai se ferait donc au détriment de la protection des droits des copropriétaires, à laquelle, je le sais, vous êtes attaché, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Je remercie M. le secrétaire d’État des précisions qu’il a bien voulu m’apporter. Je me ferai un devoir et un plaisir de transmettre à notre collègue Mme Marie-Thérèse Bruguière ces informations, en particulier la décision de la Cour de cassation qui protège les syndics en cas de défaillance postale.
publication du code de déontologie des infirmiers
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, en remplacement de M. Alain Milon, auteur de la question n° 960, adressée à Mme la ministre de la santé et des sports.
M. Gérard Bailly. M. Alain Milon, retenu par des ennuis de dernière minute, m’a demandé de le suppléer pour poser cette question, dont de nombreux infirmiers nous ont aussi saisis dans nos départements.
Il souhaitait attirer l’attention de Mme la ministre de la santé et des sports sur la publication du décret portant sur le code de déontologie des infirmiers.
En vertu de la loi n° 2006-1668 du 21 décembre 2006 et après confirmation par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, il est prévu un code de déontologie des infirmiers préparé par le Conseil national de l’ordre des infirmiers, puis édicté sous la forme d’un décret en Conseil d’État.
Ce code revêt une importance capitale pour la profession infirmière qui souhaite se doter de règles précises fixant non seulement les devoirs des infirmiers envers leurs patients, mais également leurs devoirs entre eux-mêmes et envers les autres professionnels de santé.
Il est nécessaire que des règles actualisées soient établies car l’exercice infirmier a connu des évolutions majeures parallèlement à celles que notre système de soins a pu connaître ces dernières années.
Par ailleurs, le code de déontologie permettra à l’Ordre de remplir sa mission fondamentale de garantie du respect des principes éthiques de la profession infirmière, en ouvrant aux professionnels la voie d’une procédure de conciliation ainsi que la possibilité que soient portées devant les chambres disciplinaires les affaires les concernant.
Pourtant, à ce jour, et bien que le projet de code de déontologie des infirmiers ait été remis depuis plusieurs mois aux services du ministère de la santé, ce décret n’est toujours pas publié.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous demande, en conséquence, de bien vouloir nous indiquer les mesures que le Gouvernement compte prendre pour que ce décret d’application soit publié dans les meilleurs délais.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hubert Falco, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser Mme Roselyne Bachelot-Narquin, qui m’a chargé de répondre à votre question.
Comme vous le savez, la loi du 21 décembre 2006 a institué un ordre des infirmiers regroupant obligatoirement tous les infirmiers habilités à exercer leur profession en France, à l’exception de ceux qui sont régis par le statut général des militaires.
L’ordre national des infirmiers a pour mission de veiller à maintenir les principes éthiques et à développer la compétence, indispensables à l’exercice de la profession. Il contribue, en outre, à promouvoir la santé publique et la qualité des soins.
Comme le prévoit le code de la santé publique, le Conseil national de l’Ordre doit préparer un code de déontologie, qui énonce notamment les devoirs des infirmiers dans leurs rapports avec les patients, les autres membres de la profession et les autres professionnels de santé.
Ce projet est ensuite transmis aux services du ministère chargé de la santé, lequel procède à son analyse et apporte les adaptations nécessaires, notamment sur le plan juridique.
Il peut alors, et seulement après ces étapes, être transmis au Conseil d’État pour être inséré dans le code de la santé publique.
Un projet de code de déontologie a effectivement été transmis aux services du ministère chargé de la santé. Ma collègue Mme Roselyne Bachelot-Narquin se félicite de cette première étape, qui témoigne d’une volonté forte, de la part du conseil national de l’ordre des infirmiers, de se doter de cet outil, particulièrement structurant.
La profession infirmière dispose déjà de règles professionnelles inscrites dans le code de la santé publique, auxquelles les infirmiers sont très attachés, d’ailleurs, mais le code de déontologie constitue probablement une étape supplémentaire. Il représente en effet l’aboutissement d’un travail mené par les professionnels eux-mêmes, qui devrait permettre de parvenir dans les meilleurs délais, monsieur le sénateur, à une version suffisamment aboutie pour la présenter au Conseil d’État puis, naturellement, la publier.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de ces informations très détaillées. M. Alain Milon, auteur de cette question, les lira avec attention. De nombreux infirmiers, notamment dans mon département, pourront également en prendre connaissance.
Je souhaite que ce cheminement puisse se faire dans les meilleurs délais.
niveau sonore des publicités
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, auteur de la question n° 958, adressée à M. le ministre de la culture et de la communication.
M. Gérard Bailly. J’appelle une nouvelle fois, comme je l’ai fait il y a deux ans, l’attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur un problème qui nous est souvent signalé et que nous pouvons constater nous-mêmes : il s’agit de l’augmentation du niveau sonore des séquences publicitaires à la télévision, qui nous agace tout particulièrement. C’est un véritable problème et une pratique désagréable pour le téléspectateur.
En effet, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, avait conclu, dans une première étude en 2003, que les pratiques à la télévision étaient contraires à l’article 14 du décret du 27 mars 1992 réglementant le volume sonore moyen des séquences publicitaires. En 2006, la situation était toujours la même et le volume sonore des messages publicitaires était toujours supérieur au volume sonore moyen du reste du programme.
Au moment du passage à la télévision numérique terrestre, le CSA a créé un groupe de travail afin d’associer les éditeurs de services de télévision à la maîtrise du niveau sonore des écrans publicitaires.
J’aimerais savoir où en sont ces travaux et, surtout, quels seraient les moyens concrets pour faire appliquer la réglementation. Vous le savez tout comme moi, et les faits le montrent bien, malgré les constatations et recommandations du CSA, les chaînes de télévision n’en font aucun cas.
Avez-vous donc l’intention de mettre en œuvre des moyens concrets de coercition pour mettre fin à ces pratiques déplaisantes, qui, de plus, nuisent à leurs propres auteurs, puisque les téléspectateurs ont souvent le réflexe d’éteindre ou de couper le son au moment des séquences publicitaires pour ne pas être gênés.
Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, des informations que vous voudrez bien m’apporter. J’avais obtenu une réponse à cette question, dans cet hémicycle, voilà deux ans, mais les choses n’ont pas évolué.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Monsieur le sénateur, permettez-moi de vous livrer la réponse de M. Frédéric Mitterrand, qui est retenu aujourd’hui.
À plusieurs reprises, le législateur a souhaité que le volume sonore des écrans publicitaires ne soit pas supérieur à celui des programmes télévisés.
Le décret « publicité » du 27 mars 1992 fixe le régime juridique applicable à la publicité télévisée, et dispose que « Le niveau sonore des séquences publicitaires ainsi que des écrans qui les précèdent et qui les suivent ne doit pas excéder […] le niveau sonore moyen du reste du programme. » Le respect de ces dispositions est assuré par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.
Une étude menée par le CSA en 2003 avait conclu que le niveau sonore des écrans publicitaires dépassait le niveau moyen des programmes dans plus de la moitié des cas. Une campagne de mesures a donc été lancée à la fin de l’année 2004, en concertation avec les opérateurs. Sur ce fondement, le CSA a adressé, le 23 mai 2006, une mise en garde à M6 et a également écrit à TF1 et à France 3.
Depuis cette date, le CSA n’a pas émis de nouvelles observations sur cette question.
Afin de prendre en compte les évolutions induites par la diffusion en mode numérique, le CSA a entamé une réflexion technique avec les chaînes, pour mettre en place de nouvelles méthodes de mesure, qui tiennent compte des technologies multi-canal et des traitements sonores qu’elles facilitent.
Le CSA a ainsi adopté en septembre 2008 une décision consistant à identifier un niveau de référence commun. Les travaux portent aujourd’hui sur le volume sonore perçu par le téléspectateur.
La complexité technique de la matière – les difficultés pour mettre en place des outils de mesure fiables et objectifs – associée à une dimension parfois subjective du ressenti par le téléspectateur constituent pour le CSA des contraintes importantes dans la mise en œuvre de son pouvoir de contrôle.
Afin de permettre au CSA d’effectuer un contrôle plus adapté, le cadre réglementaire a été complété.
La loi de 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires a, en effet, introduit dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication une disposition consistant, par voie de décret, à garantir « le maintien à niveau sonore constant des séquences publicitaires ainsi que des écrans qui les précèdent et qui les suivent ».
En conséquence, le décret « publicité » de 1992 a été complété le 2 juillet 2010, avec la notion de « traitement de la dynamique sonore » : « Le niveau sonore des séquences publicitaires ainsi que des écrans qui les précèdent et qui les suivent ne doit pas excéder, s’agissant notamment du traitement de la dynamique sonore, le niveau sonore moyen du reste du programme. »
Par ailleurs, le Syndicat national de la publicité télévisée, qui regroupe les régies publicitaires des chaînes, les agences-conseils en communication et les annonceurs, a récemment saisi les directions techniques des principales chaînes de télévision afin de normaliser le son des messages publicitaires.
Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la recommandation technique sur le mixage audio à la télévision, approuvée le 4 février 2010 par les diffuseurs, qui vise à harmoniser les niveaux sonores ressentis entre programmes et entre chaînes.
L’ensemble de ces travaux doit permettre de répondre à la préoccupation légitime des téléspectateurs d’un meilleur confort d’écoute.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse précise et fouillée, qui nous laisse espérer que le décret du 2 juillet 2010, notamment, sera appliqué. En effet, j’ai pu constater le week-end dernier encore que le son des séquences publicitaires qui interrompent les émissions télévisées était toujours très élevé.
J’avais déjà attiré l’attention sur cette question, sur laquelle il nous faut réfléchir. En effet, nous qui avons encore nos bras et nos mains devons nous mettre à la place de ceux qui n’en ont plus l’usage, qui sont hospitalisés et dont la télévision constitue souvent la seule distraction. Ainsi, j’ai connu une personne qui est restée paraplégique pendant dix-sept ans : elle avait la télévision mais ne pouvait absolument pas se servir de ses mains pour actionner la télécommande. Nous devons nous mettre à la place de ces gens.
Je souhaite donc que l’on sensibilise les responsables des chaînes. Nous n’accepterons pas la situation actuelle et voulons que le son de la télévision soit toujours constant, ne serait-ce que pour les personnes âgées ou handicapées qui ne peuvent utiliser leur télécommande. Je vous remercie d’y veiller, madame la secrétaire d'État, avec l’ensemble du Gouvernement.
nécessité d'une redéfinition de la médecine du travail
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la question n° 965, adressée à M. le ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique.
M. Jean-Jacques Mirassou. Je voudrais attirer l’attention du Gouvernement sur le devenir de la médecine du travail.
En 2010, un rapport particulièrement alarmant a été remis au ministre concerné sur ce sujet. En outre, aujourd'hui, le Gouvernement ne fait pas mystère de son souhait de relever l’âge légal de départ à la retraite et d’allonger la durée de cotisation des salariés, tout en niant la très importante question de la pénibilité et celle, qui est aussi très importante, des nouveaux facteurs d’exposition aux risques.
Aussi, pour toute une population de travailleurs que le Gouvernement souhaite – le mot est faible ! – plus importante et plus âgée, la question de la prévention des problèmes de santé au travail et de la promotion des bonnes conditions d’exercice de la profession exercée se pose de manière plus aiguë que jamais.
Nous avons donc affaire aujourd'hui à des salariés très vulnérables confrontés à de nouvelles contraintes de santé dans un contexte de crise économique et de durcissement des marchés qui, bien entendu, a des conséquences sur les conditions de travail.
Cette fragilité risque de s’accentuer dans les mois et les années à venir. Aussi, ces travailleurs auront besoin d’un suivi sanitaire plus conséquent que celui qui existe aujourd’hui.
Or, – c’est le cœur de ma question – la médecine du travail est aujourd'hui presque sinistrée, malgré l’extraordinaire dévouement dont font preuve ces professionnels, qui sont parfois amenés à suivre jusqu’à 3 600 salariés par an et qui se trouvent, aujourd’hui, dans l’impossibilité de respecter la réglementation en vigueur, celle qui est inscrite dans le code du travail.
C’est une tâche colossale qui est dévolue aux médecins du travail, compte tenu de l’évolution de leur démographie ; je le rappelle, 51 % d’entre eux ont plus de 55 ans et 75 % plus de 50 ans. Par ailleurs, de nombreux obstacles entravent le renouvellement d’une profession qui semble désormais, bien qu’elle soit hyperspécialisée, peu attractive.
Le constat est clair : les effectifs des médecins du travail sont actuellement notoirement insuffisants !
À l’heure où je m’exprime, le débat sur cette question a commencé à l’Assemblée nationale. De nombreuses craintes ont été exprimées par les parlementaires, mais aussi par les partenaires sociaux. Ils s’inquiètent d’une éventuelle banalisation de la médecine du travail, qui ferait intervenir des praticiens généralistes, voire des infirmiers ou des infirmières, à la place des médecins spécialisés, mais aussi d’une évolution réglementaire et législative qui laisserait, à terme, le patronat gérer presque exclusivement ce secteur d’activité.
Pourtant, une réforme est plus que jamais nécessaire afin de garantir au médecin du travail, dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire, les moyens dont il a besoin pour mener correctement la mission qui est la sienne.
D’une manière plus générale, le médecin et son équipe doivent être en mesure d’appréhender les risques anciens et nouveaux que peut courir un salarié dans le cadre de sa profession, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – je viens de le démontrer – et risque malheureusement de l’être encore moins demain.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous, sinon nous garantir, du moins tenter de nous convaincre que la médecine du travail disposera bientôt des moyens réglementaires, matériels et humains nécessaires pour appréhender les nouveaux risques auxquels se trouve confronté le monde du travail ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Monsieur le sénateur, vous appelez l’attention du Gouvernement sur la nécessaire évolution de la médecine du travail, en soulignant l’importance de la prise en compte des questions de santé au travail et de suivi médical des salariés, dans un contexte de crise économique et de durcissement des marchés et des conditions de travail.
Les questions de santé au travail et de protection des salariés constituent – évidemment ! – un enjeu social majeur, et cela pour deux raisons. D’une part, émergent des risques professionnels qui sont nouveaux ou qui n’étaient guère pris en compte auparavant ; on peut notamment citer à cet égard les troubles musculo-squelettiques, les risques psychosociaux et les risques à effets différés dus aux expositions professionnelles. D’autre part, le vieillissement de la population amène à poser la question de l’adaptation des conditions de travail, en vue d’éviter l’altération précoce de la santé des travailleurs et de favoriser le « vieillissement actif ».
Dans le cadre de la négociation préparatoire à la réforme de la médecine du travail, un certain nombre de thèmes avaient été proposés dans un document d’orientation transmis aux partenaires sociaux à la fin du mois de juillet 2008.
Cette négociation des partenaires sociaux, qui s’est déroulée de janvier à septembre 2009, n’a pas abouti à un accord. Par conséquent, sur la base de ces échanges, ont été présentés au conseil d’orientation sur les conditions de travail, le 4 décembre 2009 et le 11 mai dernier, les grands axes que devrait suivre la réforme des services de santé au travail.
À l’occasion du débat sur le projet de loi portant réforme des retraites, et parce que les services de santé au travail ont un rôle majeur à jouer, notamment sur la question essentielle de la prévention de la pénibilité, un certain nombre de ces mesures ont d’ores et déjà été proposées et étudiées par l’Assemblée nationale. Elles le seront dans les prochaines semaines par la Haute Assemblée. Or elles me semblent rejoindre les pistes que vous proposez, monsieur le sénateur, notamment pour ce qui concerne les missions des services de santé au travail, l’organisation de leur action et la reconnaissance d’un rôle spécifique à l’équipe de santé autour du médecin du travail.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la secrétaire d'État, vous avez tenu des propos que je qualifierai presque de rassurants, mais qui ne correspondent pas vraiment aux échos que nous recevons du débat actuellement en cours à l’Assemblée nationale !
Pour répondre au problème que j’ai soulevé, il faut avant tout afficher notre volonté politique de doter notre pays d’un grand service de la médecine du travail. Celui-ci prendrait en charge toutes les missions que j’ai évoquées, mais aussi, plus largement, les nouveaux risques – des radiations ionisantes aux nanotechnologies – auxquels sera très rapidement confronté le monde du travail.
Toutefois je suis tenté de dire que ce débat est en partie pollué par un autre, celui qui est relatif aux retraites. En raison de l’allongement de la durée du temps de travail, je crains malheureusement que vos compétences, madame la secrétaire d’État chargée des aînés, ne soient bientôt couvertes par celles du ministre du travail, même si je ne vous le souhaite pas ! (Sourires.)
recrutement des commissaires enquêteurs
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle, auteur de la question n° 954, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.
Mme Catherine Troendle. Madame la secrétaire d'État, je souhaiterais attirer votre attention sur le nombre important de commissaires enquêteurs nommés chaque année par les commissions départementales d’aptitude à ces fonctions.
En vertu des dispositions de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, pour être désignée comme commissaire enquêteur et conduire des enquêtes publiques, toute personne peut faire acte de candidature auprès du secrétariat de la commission départementale d’aptitude aux fonctions de commissaire enquêteur. Cette dernière, présidée par un magistrat administratif, se prononce sur la compétence et l’expérience de ceux qui postulent aux fonctions de commissaire enquêteur.
Or la grande qualité des candidatures exclut quasiment toute possibilité de refus de la commission. Les critères éliminatoires sont très restreints et le recours, devant le tribunal administratif, contre une décision de refus dissuade les membres de la commission de procéder au moindre rejet.
Ainsi, chaque année, de nouveaux commissaires enquêteurs viennent grossir les rangs de leurs collègues nommés les années précédentes ; en effet, un recrutement annuel est imposé aux commissions départementales.
Or pour que les commissaires enquêteurs soient véritablement efficaces, ils doivent acquérir de l’expérience à travers les dossiers qui leur sont confiés. Malheureusement, certains d’entre eux ne traiteront qu’une affaire par an, tout simplement parce que leurs effectifs pléthoriques sont en totale inadéquation avec le nombre d’affaires à traiter annuellement. Ce surnombre s’explique aussi parce qu’il suffit à un commissaire enquêteur déjà nommé de valider annuellement son agrément pour disposer, somme toute, d’une « mission à vie », dès lors qu’aucune disposition n’impose une limite d’âge.
Il conviendrait donc, dans l’immédiat, d’imposer une pause de deux ans au moins dans le recrutement des commissaires enquêteurs.
Par ailleurs, il serait également souhaitable de prévoir une limite d’âge au-delà de laquelle il ne serait plus possible d’exercer cette mission, afin d’assurer le renouvellement, voire le rajeunissement de la profession et de réguler le nombre des commissaires enquêteurs, qui seront ainsi sollicités à diverses reprises pour plusieurs affaires et pourront, par conséquent, acquérir une véritable expérience de terrain.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Madame la sénatrice, vous avez attiré l’attention de Jean-Louis Borloo sur le nombre important de commissaires enquêteurs inscrits sur les listes départementales d’aptitude à ces fonctions, de tels effectifs ne permettant pas aux intéressés d’acquérir une expérience suffisante compte tenu du faible nombre de dossiers qui leur sont confiés annuellement.
Je souhaite, tout d’abord, souligner que nous avons constaté, entre 2009 et 2010, une légère diminution du nombre des commissaires enquêteurs à l'échelle nationale : leur effectif est passé de 6 453 à 6 354; soit une réduction de 1,56%.
Par ailleurs, le vice-président du Conseil d’État a chargé un groupe de travail, composé de membres de cette instance et de magistrats des tribunaux administratifs, de conduire une réflexion sur les conditions dans lesquelles les présidents des tribunaux administratifs désignent les commissaires enquêteurs et les membres des commissions d’enquête publique.
Ce groupe de travail n’a pas encore remis son rapport, mais il a d’ores et déjà fait part au ministre d’État des principales orientations qu’il comptait proposer afin d’améliorer les conditions de sélection des commissaires enquêteurs. Parmi celles-ci, figure notamment l’idée d’une limitation de la durée de validité de l’inscription sur les listes d’aptitude, ce qui devrait permettre de réexaminer périodiquement la capacité des candidats à exercer de telles fonctions.
Grâce à cette évolution, nous pourrons être plus exigeants sur les compétences qui sont attendues des commissaires enquêteurs et renforcer la sécurité juridique des enquêtes publiques.
Ces pistes de réforme semblent de nature à répondre à vos préoccupations, madame la sénatrice, en limitant le nombre de commissaires enquêteurs inscrits sur les listes d’aptitude tout en permettant à chacun d’entre eux d’être désigné plus régulièrement pour mener une enquête publique. En revanche, le ministère est beaucoup plus réservé quant à l’instauration d’une limite d’âge.
Sur la base des conclusions définitives que rendra ce groupe de travail, une mise en œuvre de la réforme par voie réglementaire interviendra dans les prochains mois.
Telles sont, madame la sénatrice, les précisions que je peux vous apporter afin d’alimenter votre réflexion sur ce sujet essentiel pour nos territoires.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Madame la secrétaire d'État, je vous remercie de votre réponse.
La proposition d’instaurer une limite d’âge était née du sentiment que, comme vous l’avez vous-même souligné, les commissaires enquêteurs, une fois nommés, ne subissent plus aucune vérification de leurs compétences. Il leur suffit de s’inscrire sur les listes d’aptitude et de réaffirmer chaque année leur volonté d’y rester.
Les pistes de réflexion que vous avez évoquées, à la suite du groupe de travail constitué sur cette question, me siéent parfaitement, car elles vont tout à fait dans le bon sens, me semble-t-il.
réforme de l'article 55 de la loi sru
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la question n° 963, adressée à M. le secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme.
M. Jean-Claude Carle. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur la nécessité de réformer l’article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « loi SRU », et notamment d’élargir la nomenclature des logements dits « sociaux ».
Dans de nombreux départements, l’application des dispositions de l’article 55 de la loi SRU pose de réelles difficultés. Je prendrai l’exemple d’un département que je connais bien puisque c’est le mien, celui de la Haute-Savoie.
Le prix du foncier, nettement au-dessus de la moyenne, y rend le coût de la construction de logements sociaux très onéreux pour la plupart des communes. Si l’on inclut toutes les dépenses induites par ces constructions et par l’accueil des populations occupant ces logements, en particulier les aménagements, équipements et services publics, ce coût devient littéralement prohibitif.
Lorsqu’ils comparent ce coût au montant de la pénalité prévue pour déficit de logements sociaux, beaucoup de maires restent perplexes. Certains en effet n’ont pas hésité à m’interroger sur la volonté réelle de l’État de voir augmenter le parc de logements sociaux.
À cela s’ajoute en Haute-Savoie la nécessité de ne pas « consommer » outre mesure le foncier, et de préserver le maximum de terres à vocation agricole. En effet, l’agriculture occupe une place majeure dans notre économie, et se caractérise par l’excellence des productions. Or, notre département connaît chaque année, depuis vingt ans, une croissance de population conséquente, de plus de 8 000 habitants par an. C’est en outre un département touristique, qui doit donc disposer de capacités d’accueil, et préserver ses espaces naturels. Enfin, il s’agit d’un département au territoire contraint par son relief. Tous ces facteurs ne peuvent que concourir à une surenchère du prix du mètre carré constructible.
Je terminerai ce tableau en parlant de la crise économique que connaît notre pays depuis bientôt deux ans. Elle a encore aggravé la difficulté que rencontrent les collectivités à mettre en chantier des programmes de logements sociaux.
De fait, aujourd’hui, de nombreuses communes se voient pénalisées par le prélèvement proportionnel prévu par la procédure du constat de carence, tout simplement parce qu’elles ne parviennent pas à atteindre l’objectif fixé par la loi. Elles souhaiteraient pourtant y parvenir, et font des efforts en ce sens. Les maires ressentent cela comme une injustice, et, pour ma part, je partage leur sentiment.
Pourtant, quelques mesures pourraient permettre de ne pas pénaliser injustement ces communes.
La première consisterait à réintroduire dans le décompte des logements sociaux ceux qui en ont été exclus du fait de leur acquisition par des ménages ayant bénéficié du prêt social de location accession, le PSLA. Ces logements, qui sont issus du parc locatif social, doivent en effet, à mon sens, continuer à être considérés comme des logements sociaux, car les conditions de ressources des acquéreurs restent les mêmes après l’achat, et ne dépassent pas les plafonds établis. Or, aujourd’hui, ces logements ne sont comptabilisés dans les 20 % prévus par la loi que durant cinq ans, ce qui fait bien évidemment baisser le quota atteint par les communes. Il conviendrait qu’ils soient pris en compte définitivement.
Par ailleurs, les constructions de logements en accession à la propriété très aidés devraient également être prises en considération dans le décompte des 20 %. Car, d’abord, elles bénéficient du processus d’aide à la mobilisation foncière, ensuite elles s’adressent à des populations modestes et, enfin, les acquéreurs libèrent autant de logements sociaux.
L’article 55 de la loi SRU ne serait certainement pas mis en péril par la souplesse ainsi amenée par ces mesures.
Enfin, de nombreux élus estiment qu’il serait opportun d’inclure dans le quota de 20 % les emplacements destinés à l’accueil des gens du voyage, eu égard à la situation de la majeure partie d’entre eux, très souvent bénéficiaires des prestations sociales.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, le Gouvernement est-il disposé, madame la secrétaire d’État, à faire évoluer l’article 55 de la loi du 13 décembre 2000 ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les difficultés d’application de l’article 55 de la loi SRU, en particulier dans votre département de la Haute-Savoie.
Vous évoquez, notamment, le prix du foncier, la nécessité de préserver le foncier agricole, les contraintes imposées par le relief, tant de facteurs liés aux spécificités de votre territoire, qui surenchérissent le prix du mètre carré constructible. Il est exact que de tels phénomènes peuvent représenter un frein à la construction de logements.
Cependant, je note que votre département est parvenu à surmonter, au moins en partie, ces obstacles. Vous avez en effet pu maintenir, sur la période 2006-2009, un rythme satisfaisant de construction de logements. Pendant ces quatre années, plus de 38 000 logements ont fait l’objet d’un permis de construire en Haute-Savoie, dont environ 15 % de logements locatifs sociaux neufs, puisqu’un peu moins de 6 000 logements ont été financés au cours de cette période.
Vous déplorez que ne soient pas décomptés comme logements sociaux les logements vendus à leurs occupants via le dispositif dit de prêt social location accession, le PSLA, et vous proposez que soient décomptés également les logements en accession sociale à la propriété. Le législateur n’a en effet retenu que les logements locatifs sociaux, à partir du constat que la très grande majorité des ménages, dont les revenus sont modestes ou faibles, ne peut avoir accès qu’au parc des bailleurs sociaux.
Par ailleurs, vous proposez que soient inclus, dans ce décompte des logements sociaux, les emplacements destinés à l’accueil des gens du voyage.
Le législateur a déjà tenu compte des efforts de solidarité fournis par les communes pour accueillir les gens du voyage. En effet, leur contribution au financement de ces emplacements est prise en compte au titre des dépenses déductibles du prélèvement sur leurs ressources fiscales, prélèvement défini à l’article L. 302-7 du code de la construction et de l’habitation. Il semble difficile d’aller plus loin dans la prise en compte de ces aires d’accueil, dans la mesure où une aire d’accueil de gens du voyage ne peut en aucun cas être assimilée à une offre de logements locatifs sociaux.
L’article 55 de la loi SRU a pour objectif de développer une forme de solidarité entre les ménages et les territoires. Le fait que la Haute-Savoie soit un département fortement attractif a certes des conséquences sur le prix du foncier que les autorités publiques doivent compenser pour arriver à financer des logements dont les loyers soient accessibles aux plus modestes de nos concitoyens.
Je partage votre sentiment et c’est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé de concentrer ses aides à la réalisation de logement social sur les zones les plus tendues afin de mieux répondre à ce besoin de la population. Ainsi, le Gouvernement tente d’apporter des réponses aux questions que vous venez de soulever, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Je souhaite remercier Mme la secrétaire d’État des précisions qu’elle a bien voulu m’apporter sur un sujet qui, s’il ne relève pas de ses compétences ministérielles actuelles, lui est familier en tant qu’élue locale. Je voudrais aussi la remercier de reconnaître l’effort engagé par le département de la Haute-Savoie dans des conditions très difficiles, essentiellement liées au surcoût foncier. Sans l’aide du conseil général et des communes, les bailleurs sociaux ne parviendraient pas à équilibrer financièrement leurs réalisations.
Cependant, je regrette que l’accession sociale au sens large ne soit pas comptabilisée dans le quota de logements sociaux. Il ne s’agit pas d’exonérer les communes de leurs obligations, mais de les inciter à accentuer leur effort pour faciliter la mixité sociale, en juxtaposant le logement destiné à l’accession sociale à la propriété et le logement social locatif. Cela lèverait certaines craintes tout en changeant le climat dans un certain nombre de lotissements, et permettrait d’aller un peu plus vite.
Quant aux aires d’accueil des gens du voyage, elles ne sont effectivement pas des logements sociaux ni même des logements locatifs. Elles permettent de recevoir des populations que chacun laisse à l’autre le soin d’accueillir. Leur prise en compte permettrait donc de faire un effort social, si vous me permettez d’employer ce terme.
réforme du dispositif de pass foncier
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la question n° 967, adressée à M. le secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme.
Mme Françoise Cartron. Ma question, qui est dans le droit fil de celle que M. Carle vient de poser, s’adresse tout particulièrement à M. le secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme. Elle porte sur les effets néfastes de l’abaissement du plafond de prêt dans le cadre du dispositif de Pass-Foncier.
Depuis le 1er juillet 2010, le plafond des prêts accordés dans le cadre du Pass-Foncier a été abaissé de 20 000 euros, sans consultation des acteurs de l’accession sociale à la propriété. Cette décision a été expliquée par le tarissement des financements accordés par Action Logement, anciennement « 1 % logement ».
Cette décision précipitée, qui prend effet en même temps que la fin du doublement du prêt à taux zéro pour les logements neufs, marque sans conteste un recul de la politique d’accession sociale à la propriété.
Alors que l’application du dispositif de Pass-Foncier doit prendre fin le 31 décembre 2010, cet abaissement sans préavis du plafond de prêt risque d’entraîner d’importantes difficultés pour les ménages déjà engagés dans un projet, et dont l’accession à la propriété pourrait être remise en cause. Cette décision affectera également les professionnels, dont l’activité risque d’être fragilisée par la perte sèche d’opérations pour lesquelles ils avaient déjà beaucoup investi.
Dans sa conception, le Pass-Foncier était un outil intéressant d’aide à l’accession à la propriété, mais sa mise en œuvre a pâti du manque d’information de l’État en direction des collectivités territoriales, ainsi que de la brièveté des délais accordés. Ce dispositif permettait pourtant de sécuriser l’accession à la propriété de personnes qui n’auraient pas pu devenir propriétaires, notamment dans des zones où le marché immobilier est sous tension.
Je regrette que le Gouvernement ait décidé de remettre en cause cet instrument d’une politique sociale de l’habitat qui commençait à prendre sa mesure et auquel étaient associées les collectivités territoriales.
En conséquence, je vous demande, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir m’indiquer si des directives nécessaires pourraient être données afin que la nouvelle réglementation du Pass-Foncier soit appliquée avec souplesse, afin d’assurer la réalisation des projets en cours et de sauvegarder les emplois concernés.
Je vous demande également de bien vouloir indiquer s’il est envisageable que soient prises des mesures visant à pérenniser la politique d’accession sociale à la propriété, qui trouve aujourd’hui un vrai écho, en particulier chez les jeunes ménages primo-accédant.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Madame la sénatrice, vous avez interrogé mon collègue Benoît Apparu sur le dispositif du Pass-Foncier. Ce dispositif, en octroyant une aide puissamment solvabilisatrice aux ménages bénéficiaires, a donné lieu à une mobilisation très importante des collectivités territoriales, des professionnels et des ménages accédant à la propriété. De plus, les services de l’État ont largement relayé l’information aux niveaux régional et départemental par la tenue de réunions à destination des collectivités territoriales.
Compte tenu de cette forte mobilisation, au début du mois de juillet 2010, les prévisions d’engagements de Pass-Foncier recensées par les collecteurs d’Action Logement dépassaient le nombre de 27 000, à divers niveaux d’avancement, ce qui permettait d’atteindre, à la fin de l’année 2010, l’objectif de 30 000 opérations établi dans le cadre du plan de relance, au niveau de la demande.
Financièrement, cet objectif à atteindre sur 2009 et 2010 avait conduit à prévoir, au début de l’année 2009, une enveloppe de 1 milliard d’euros, correspondant à un montant moyen observé de 33 000 euros par opération. Ce montant a été inscrit dans le décret fixant pour chaque emploi du « 1% logement » les enveloppes minimales et maximales.
La loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion a étendu le dispositif du Pass-Foncier aux opérations dans le logement collectif, par l’octroi d’un prêt à remboursement différé. Elle a donné la possibilité aux territoires densément peuplés de bénéficier du Pass-Foncier, faisant du dispositif un véritable levier des politiques locales de l’habitat. La commune de Bordeaux s’est ainsi engagée sur une centaine de logements en Pass-Foncier pour l’année 2010.
La diffusion des Pass-Foncier dans les zones tendues a eu lieu progressivement, compte tenu de la longueur des opérations immobilières, ce qui a eu pour effet d’augmenter le montant moyen des Pass-Foncier à un niveau proche de 40 000 euros. L’objectif de 30 000 Pass-Foncier est alors devenu incompatible avec l’enveloppe financière prévue, créant un risque réel de saturation de l’objectif avant l’entrée en vigueur du nouveau régime d’aide à l’accession à la propriété.
Afin de ne pas compromettre la capacité d’Action Logement à délivrer des Pass-Foncier jusqu’à la fin de l’année 2010, Action Logement, ses collecteurs, et le secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme, Benoist Apparu, ont choisi d’en réduire le montant.
La diminution forfaitaire de 20 000 euros ne remet pas en cause les opérations pour lesquelles l’accord du collecteur a été délivré avant la parution du décret, le 28 juillet 2010. Elles conserveront les anciens montants. Je pense répondre par cette phrase à la demande de souplesse que vous avez évoquée dans votre question.
Elle permettra en revanche le déblocage de l’ensemble des projets qui se trouvaient gelés par des collecteurs qui s’inquiétaient de faire moins de Pass-Foncier que prévu avec l’enveloppe dédiée. Le Conseil national de l’habitat, qui regroupe tous les acteurs de l’accession sociale à la propriété, a été consulté en amont de la mesure. Le 7 juin 2010, il rendait ainsi un avis favorable, à l’unanimité moins une voix des suffrages exprimés.
Le fait que cette décision ait été prise au même moment que la diminution du doublement du prêt à 0 % souligne simplement que nous sommes entrés dans la phase de fin progressive du plan de relance de l’économie.
Le Gouvernement continue de soutenir activement l’accession à la propriété. Il a engagé une grande réforme des aides à l’accession à la propriété, qui sera présentée dans le cadre du prochain projet de loi de finances et dont le Président de la République, accompagné de Benoist Apparu, dévoile ce matin même l’architecture. Celle-ci veillera, tout en simplifiant l’ensemble des aides existantes, à créer un dispositif plus puissant pouvant assurer aux ménages bénéficiaires une forte solvabilisation dans des conditions de sécurisation satisfaisantes, qui tiendra compte de leurs ressources et de la zone dans laquelle ils comptent s’installer.
Madame la sénatrice, telles sont les précisions que j’étais en mesure de vous apporter sur ce sujet. Elles sont de nature à vous rassurer sur la capacité du Gouvernement à accompagner les Pass-Foncier déjà engagés.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Madame la secrétaire d'État, me voilà à moitié rassurée. Certes, les Pass-Foncier qui sont déjà engagés seront maintenus, ce qui apaisera les inquiétudes des ménages concernés. Toutefois, je n’ai pas entendu les déclarations du Président de la République, qui sont imminentes.
J’espère que des échos de ce débat lui parviendront et que le Gouvernement se rendra compte que le Pass-Foncier est une mesure très efficace permettant à de jeunes ménages primo-accédant qui n’ont pas les ressources pour envisager d’autres opérations de devenir acquéreurs de leur résidence principale. C’est un objectif du Président de la République, c’est aussi le rêve de nombreux Français.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, auteur de la question n° 907, adressée à M. le secrétaire d'État chargé des transports.
M. Claude Bérit-Débat. Madame la secrétaire d'État, développer l’attractivité des territoires ruraux est, vous le savez, nous le savons tous, une tâche des plus délicates. La mission devient insurmontable quand il faut en plus lutter, comme c’est le cas en Dordogne, contre le désengagement de l’État. Et, comme si cela ne suffisait pas, nous devons nous battre maintenant pour préserver l’activité de notre réseau ferré. C’est sur ce point précis que je souhaite vous interroger.
En effet, qu’il s’agisse du transport de passagers, du fret ou de ses propres ateliers, la SNCF déserte progressivement mais inéluctablement notre département. Jugez plutôt.
La situation des ateliers SNCF de Chamiers s’aggrave de jour en jour. Si la charge de travail est ponctuellement plus élevée aujourd’hui, c’est simplement parce que de nombreux postes ont encore été supprimés cette année.
J’en viens au fret, priorité environnementale, s’il en est. Là encore, le désengagement est patent. Une gare dédiée au transport du bois a par exemple été ouverte au Buisson-de-Cadouin en 2001 et fermée dès 2003 !
Dans la même veine, au Condat sur Lardin, le conseil général de la Dordogne et les papeteries de Condat, plus grosse activité industrielle de notre département, ont créé en 2003 un embranchement ferré spécialement conçu pour permettre l’expédition par le rail des produits de l’entreprise. Or les exigences de Réseau ferré de France et les hésitations de la SNCF ont rendu impossible tout accord avec l’entreprise. En conséquence, l’outil ferré reste désespérément inutilisé, tandis que l’entreprise s’oriente désormais vers le transport routier !
Et ce n’est pas tout ! Le désengagement ne vaut pas seulement pour le fret : il vaut aussi pour les usagers.
Aujourd’hui, malgré le contrat État-Région, c’est bien le conseil régional d’Aquitaine qui finance les deux tiers des investissements de modernisation des gares. De son côté, la SNCF tente de restreindre les horaires d’ouverture des guichets, comme hier à Thiviers ou aujourd’hui à Périgueux. À Mussidan, elle demande carrément que la commune lui rachète son terrain et démantèle elle-même les rails de l’ancienne voie ferrée !
Que dire enfin de la situation du bureau auxiliaire de Ribérac ? Le coût du terminal de vente que l’office du tourisme de la ville loue est tel que la seule réponse de la SNCF, pour retrouver l’équilibre, consiste à réduire l’amplitude d’ouverture du bureau !
Au total, nous sommes confrontés à une nouvelle contrainte : celle de voir la SNCF déserter méthodiquement notre territoire.
Alors que le rail devrait constituer une solution aux défis que nous avons à surmonter, il devient au contraire une nouvelle source de problème. C’est la raison pour laquelle, madame la secrétaire d’État, je vous demande ce que le M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports, compte faire face à cette situation intenable.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Monsieur le sénateur, votre question me donne l’opportunité d’affirmer de nouveau la détermination du Gouvernement à tout mettre en œuvre pour assurer le développement du fret ferroviaire. Cet objectif est l’un des axes forts du Grenelle de l’environnement.
L’engagement national pour le fret ferroviaire, qui a été présenté par Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau le 16 septembre 2009 en conseil des ministres, représente un investissement de 7 milliards d’euros d’ici à 2020. Il traduit concrètement l’ambition du Grenelle de l’environnement de porter de 14 % à 25 % d’ici à l’horizon 2022 la part que les transports non routiers et aériens occupent dans l’ensemble du transport de fret.
En cohérence avec cet engagement national, la SNCF met en œuvre son schéma directeur pour un nouveau transport écologique de marchandises. Cela représente un investissement de 1 milliard d’euros d’ici à 2015.
Dans ce cadre, la branche fret de la SNCF a engagé une concertation avec l’ensemble de ses clients chargeurs avec l’objectif de finaliser des offres de transport conformes à leurs besoins, sur la base de propositions économiquement réalistes, dans un contexte de forte concurrence, tant intermodale qu’intramodale.
S’agissant de la Dordogne, la branche fret de la SNCF continue d’assurer des prestations de transport pour les principaux industriels, tels que les carrières de Thiviers et les papeteries de Condat. En revanche, les discussions et négociations entamées avec ses clients pour la poursuite de la desserte ferroviaire du site du Buisson-de-Cadouin ne lui permettent pas, à ce jour, de proposer une offre logistique ferroviaire compétitive par rapport au mode routier.
Une solution ferroviaire pourrait toutefois être trouvée au travers de l’un des axes structurants de l’engagement national qui concerne le développement d’opérateurs ferroviaires de proximité. La branche fret de la SNCF se met en situation de favoriser leur émergence. Ainsi, en région Aquitaine, elle participe aux réflexions menées actuellement par la cellule économique régionale des transports d’Aquitaine, lieu d’échanges et de partenariats entre les acteurs du transport et de la logistique, dont le but est de contribuer à la réussite d’un schéma ferroviaire innovant impliquant l’ensemble des acteurs économiques et institutionnels.
Par ailleurs, la Dordogne possède un établissement ferroviaire important avec l’atelier de Chamiers, qui est l’un des deux ateliers de la SNCF spécialisés dans la fabrication et la réparation des appareils de voie. Au cours des cinq dernières années, les besoins en matière d’appareils de voie ont enregistré une baisse de l’ordre de 20 %, ce qui a bien entendu affecté l’activité de ces deux ateliers. Même si le site de Chamiers a connu une réduction sensible de ses effectifs, aucun licenciement n’a été prononcé.
La SNCF adapte donc son outil de production à une demande en réduction mais également à un contexte en forte évolution, du fait notamment de l’intensification de la concurrence sur ce marché. Dans ce cadre difficile, elle a pris la décision de maintenir en service les deux ateliers dont elle dispose à l’échelon national, dont celui de Chamiers, en misant sur les résultats de ses efforts commerciaux.
Enfin, pour poursuivre sur une note optimiste, il convient de souligner que le marché serait susceptible d’enregistrer, à partir de 2012, une certaine croissance en raison de l’augmentation des besoins de régénération du réseau dans le cadre du contrat de performance entre l’État et RFF, des plans rail régionaux et du développement des lignes à grande vitesse.
Telles sont les informations que je pouvais vous apporter, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat.
M. Claude Bérit-Débat. Madame la secrétaire d'État, je tiens à vous exprimer ma déception.
Vous évoquez la politique de fret qui est inscrite dans le Grenelle de l’environnement. Or, en Dordogne, ce que vous venez de dire est démenti par la réalité ! Certes, il aurait été possible de mettre en place une plate-forme sur le bois à Buisson-de-Cadouin, mais cela ne s’est pas fait, vous l’avez reconnu. Il en est de même pour les papeteries de Condat : aujourd'hui, – je vais vous démentir – cette entreprise ne travaille pas avec la SNCF, car aucun accord n’a pu être trouvé : Réseau Ferré de France a beaucoup tardé à donner sa réponse, la SNCF a tergiversé et, dans les faits, il y a une différence de trois euros à la tonne entre le transport par le rail et le transport par la route. Comme cette entreprise appartient à un grand groupe qui a été restructuré, celui-ci hésite fortement à revenir en arrière et continuera sans doute à privilégier la route.
La situation des ateliers SNCF de Chamiers mobilise l’attention des élus. Mon collègue Bernard Cazeau, le député de la circonscription, Pascal Deguilhem, et moi-même avons écrit à M. le secrétaire d’État chargé des transports. Si aujourd'hui le plan de charge a augmenté et est important, c’est simplement lié au fait que, tous les ans, le personnel a été « dégraissé ». Le savoir-faire disparaît. Aujourd’hui encore, douze à quatorze salariés ne sont pas remplacés. Certes, aucun licenciement n’a lieu, mais la capacité de production ne permet plus de faire face et il en résulte une perte de compétitivité.
Il s’agit d’un problème très important. Après la Société nationale des poudres et des explosifs de Bergerac, après Marbot-Bata, c’est un exemple type de désindustrialisation dans le département de la Dordogne.
Il est un sujet que vous n’avez pas abordé, madame la secrétaire d'État, c’est celui des passagers. Le conseil régional d’Aquitaine est contraint d’intervenir et de se substituer de plus en plus à la SNCF, notamment pour prendre en charge les travaux de rénovation des gares. J’ai cité l’exemple de Mussidan où il faut construire un nouveau parking. Non seulement la SNCF vend très cher ses terrains, mais elle demande de démanteler des rails pour améliorer la capacité d’accueil d’une gare !
À Ribérac, dont la gare a disparu depuis très longtemps, un point de vente a pu être maintenu et installé au syndicat d’initiative, sur proposition de la municipalité. Pour faire baisser les coûts prohibitifs de location, la SNCF répond qu’il faut diminuer les horaires de ce bureau !
Dans ces conditions, madame la secrétaire d'État, vous comprendrez que les réponses que vous venez de m’apporter ne me conviennent pas.
accès du projet de la nouvelle liaison ferroviaire lyon-turin au bénéfice du fonds de solidarité territoriale
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial, auteur de la question n° 959, adressée à M. le secrétaire d'État chargé des transports.
M. Jean-Pierre Vial. Ma question concerne les modalités de mise en œuvre du fonds de solidarité territoriale pour les communes traversées par la future ligne à grande vitesse Lyon-Turin.
Le Gouvernement a pris la décision, le 24 octobre 2009, de créer un fonds de solidarité territoriale destiné à financer les mesures d’accompagnement des chantiers des nouvelles lignes ferroviaires à grande vitesse sur le territoire des collectivités locales concernées. Celui-ci sera abondé à hauteur de 0,4 % du coût global du projet et géré par le préfet de région coordonnateur du projet, en étroite liaison avec Réseau Ferré de France, d’une part, et lesdites collectivités locales, d’autre part.
Il importe que le Gouvernement confirme que le projet de nouvelle liaison transalpine Lyon-Turin à grande vitesse et à grande capacité sera bien éligible au bénéfice de ce fonds. Les collectivités concernées par le projet – la région Rhône-Alpes et les conseils généraux de l’Isère et de la Savoie – se sont déjà engagées aux côtés de l’État sur les besoins d’anticipation et d’accompagnement des chantiers de la nouvelle liaison sur leurs territoires.
La convention territoriale, conclue au titre du contrat de plan État-région 2007-2013, a préprogrammé les actions nécessaires dans les domaines de l’environnement, de l’emploi et de la formation, du logement des personnels des chantiers, du soutien au tissu économique local et de l’appui aux projets de territoires. Le besoin de financement, qui correspond à ces actions, s’élève à environ 25 millions d’euros pour la période 2007-2013.
Sur la base de 0,4 % du coût global du projet, il apparaît que le projet Lyon-Turin pourrait générer un montant du fonds de solidarité territoriale légèrement supérieur à 50 millions d’euros, c’est-à-dire de nature à couvrir les besoins d’accompagnement sur l’ensemble de la durée des chantiers de réalisation.
Reste posée la question du financement des actions qui doivent être impérativement engagées d’ici au début des travaux prévu en 2013, notamment en matière de recrutement, de formation, de dispositifs d’accueil des personnels – logements et équipements publics –, de préparation des entreprises locales pour qu’elles se positionnent utilement en vue d’accéder aux marchés de travaux.
Pour être réellement efficace, le fonds devrait pouvoir couvrir ces besoins d’anticipation avant le début des chantiers pour aller au-delà de la convention territoriale précitée, actuellement mise en œuvre, de 25 millions d’euros pour la période antérieure à 2013.
C’est pourquoi il importe de connaître les possibilités ouvertes par le fonds de solidarité territoriale pour accompagner la réalisation de la liaison Lyon-Turin, y compris pour le financement des mesures nécessaires à court terme et dont certaines sont d’actualité.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Monsieur le sénateur, vous évoquez la question de la mise en place d’un fonds de solidarité territoriale pour accompagner la réalisation de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin.
La mise en place de ce fonds a été annoncée par le Premier ministre en octobre dernier. Il s’agit, comme vous l’avez rappelé, de compenser auprès des collectivités territoriales la construction d’un nouveau linéaire ferroviaire à grande vitesse.
J’ai été chargée, par mon collègue Dominique Bussereau, de vous confirmer que les accès français à la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin bénéficieront de ce dispositif, permettant de mobiliser un montant égal à 0,4 % du coût prévisionnel du projet.
Cette enveloppe permettra de financer des actions visant à améliorer l’insertion environnementale de la nouvelle infrastructure, en dehors de l’emprise ferroviaire et au-delà des obligations réglementaires qui s’imposent au maître d’ouvrage. Elle servira aussi à mettre en valeur les territoires traversés, notamment en favorisant leur développement économique. Elle concernera les communes directement impactées par le tracé de la nouvelle infrastructure.
Ce dispositif pourra également être étendu à la partie commune franco-italienne, pour la partie des ouvrages à l’air libre.
Le financement de ce dispositif sera intégré dans le financement global du projet et les travaux d’identification et de sélection des projets éligibles aux subventions s’engageront de manière partenariale, une fois conclue la convention de financement globale de l’opération.
La mise en place d’un fonds de solidarité territoriale vise à accompagner la réalisation de la ligne nouvelle sur les communes traversées. Elle est distincte de la démarche « grand chantier », à laquelle vous faites référence et qui dépasse largement le cadre géographique du seul tracé de la nouvelle infrastructure.
En effet, l’objectif de la démarche « grand chantier » est de préparer le démarrage des chantiers sur le territoire de la région Rhône-Alpes, d’accompagner leur déroulement, de valoriser les opportunités économiques qu’ils proposent et, enfin, à plus long terme, de préparer l’après-chantier.
La démarche « grand chantier » a fait l’objet d’une convention territoriale d’application, le 28 septembre 2008, entre l’État, le conseil régional Rhône-Alpes, les conseils généraux de Savoie et d’Isère.
Cette convention précise en particulier les principes de financement de cette démarche : celle-ci s’organisera dans le cadre du contrat de projet État-région, d’une part, et de lignes budgétaires de droit commun, d’autre part.
Il s’agit donc de deux dispositifs distincts, mais complémentaires, relevant d’objectifs, de calendriers et de financement différents dont nous espérons qu’ils pourront permettre la réalisation de ce projet ambitieux dans les meilleures conditions possibles.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Je remercie Mme la secrétaire d’État de cette réponse, qui nous confirme l’éligibilité à ce fonds et pour un montant représentant 0,4 %. Elle confirme également que ce dispositif vient en accompagnement de la procédure « grand chantier » dont elle a évoqué les modalités de mise en œuvre.
Je me permettrais simplement de souligner un point : beaucoup de ces questions seront traitées dans des calendriers à venir alors qu’il s’agit d’accompagner des projets d’actualité. Je remercie le Gouvernement, ainsi que vous-même, madame la secrétaire d’État, des mesures d’accompagnement qu’il fera examiner pour prendre en compte ces périodes intermédiaires, qui sont importantes pour les collectivités.
construction de la gare tgv d'allan dans la drôme
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la question n° 973, adressée à M. le secrétaire d'État chargé des transports.
M. Didier Guillaume. Ma question s’adresse à M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports, mais Mme Valérie Létard va répondre, j’en suis sûr.
Je souhaitais interroger M. le secrétaire d'État chargé des transports très directement et très simplement sur l’échéance de la réalisation de la gare TGV à Allan dans la Drôme.
J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet et d’apporter mon plus entier soutien, avec l’ensemble des élus de ce département, toutes tendances politiques confondues, auprès de M. Dominique Bussereau.
La construction d’une gare TGV à Allan s’inscrit parfaitement, madame la secrétaire d’État, dans les enjeux du Grenelle de l’environnement et dans les conclusions du débat public, qui a été organisé il y a deux ou trois ans, sur la vallée du Rhône et l’Arc languedocien, le VRAL.
Cette gare permettrait en effet de réduire sensiblement les émissions de gaz à effet de serre et offrirait à la population une alternative à la route dans le sud de la vallée du Rhône, zone la plus fréquentée d’Europe, pour se rendre à la gare TGV de Valence Rhône-Alpes Sud Rovaltain.
Cette gare d’Allan serait, de plus, une infrastructure majeure pour les trois régions, Rhône-Alpes, mais aussi Provence-Alpes-Côte d’azur et Languedoc-Roussillon.
Idéalement située, cette zone pourrait devenir un véritable pôle économique, un véritable pôle d’aménagement du territoire. Outre l’impact très positif sur l’activité touristique, elle permettrait évidemment, je viens de le dire, de fluidifier le trafic de voyageurs et de désengorger la gare de Valence TGV. Je rappelle que cette dernière a été initialement construite pour 1 million de voyageurs et qu’elle en accueille aujourd’hui plus de 2,5 millions.
Elle permettrait également de désenclaver et d’organiser une meilleure accessibilité aux transports collectifs pour les habitants du sud de l’Ardèche et de la Drôme et du nord du Gard et du Vaucluse.
Des études ont déjà permis de confirmer la faisabilité de cette gare.
Sur sa faisabilité technique, l’étude a été menée par RFF, Réseau ferré de France. Sur le schéma d’accessibilité multimodale et le développement du sud de la vallée du Rhône, l’étude a été conduite et financée par la région et les départements de la Drôme et de l’Ardèche.
Selon le comité de pilotage, qui se réunit sous l’égide du préfet, son coût de réalisation serait estimé à 70 millions d’euros.
D’après ces études, le potentiel de la Gare d’Allan est évalué à 340 000 voyageurs à l’horizon de 2020.
Enfin, la complémentarité de cette future gare avec celles de Montélimar-Ville et de Valence TGV est primordiale.
De plus, lors de la construction de la ligne à grande vitesse Paris-Marseille, les voies et l’espace ont été prévus par la SNCF et RFF afin que cette gare puisse être implantée. Elle a d’ailleurs failli être mise en place à cette époque.
Pour toutes ces raisons, l’implantation d’une gare TGV à Allan est donc une priorité pour les habitants et les entreprises du sud Rhône-Alpes.
Les élus du département ne comprendraient pas qu’une décision rapide ne soit pas prise. Le ministre drômois, les députés UMP, les trois sénateurs socialistes, le conseil général de la Drôme, que j’ai l’honneur de présider, les maires du territoire y sont favorables.
Pouvez-vous confirmer l’engagement de réalisation de cette gare pris par le secrétaire d’État M. Dominique Bussereau, le 16 mars 2009, lors de son déplacement à Allan ?
Le cas échéant, pouvez-vous me préciser quel financement le Gouvernement entend accorder pour construire cette infrastructure essentielle au développement du sud de la région Rhône-Alpes ?
M. le président. Lors des réunions décidant du tracé du TGV entre Paris et Marseille, nous avons reçu un certain nombre de tomates car chacun souhaitait cette construction, mais à côté, jamais devant chez lui. Mais nous sommes toujours là, ce qui signifie que nous avons résisté ! (Sourires.)
M. le président. Vous avez la parole, madame la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Monsieur le sénateur, vous avez interrogé mon collègue Dominique Bussereau sur la réalisation d’une gare TGV à Allan dans la Drôme. Voici les éléments de réponse qu’il m’a chargée de vous communiquer.
Les résultats des études de faisabilité de la réalisation de la gare nouvelle d’Allan ont été présentés le 24 juin 2010 lors d’un comité de pilotage sous la présidence du préfet de la Drôme.
Ce comité de pilotage a permis de préciser le coût de la gare et de ses investissements connexes, qui représentent près de 200 millions d’euros. Le montant d’investissement de la gare s’élève en effet à 70 millions d’euros, tandis que les investissements connexes permettant un accès à la gare dans de bonnes conditions sont évalués a minima à 117 millions d’euros.
Les cofinanceurs examinent actuellement ces résultats afin de prendre une décision sur les conditions de poursuite du projet et de lancement, le cas échéant, d’une nouvelle phase d’études préalables à la déclaration d’utilité publique.
En tout état de cause, compte tenu des montants d’investissements en jeu et de l’intérêt local de cette opération, le soutien de l’ensemble des acteurs locaux en faveur de ce projet – et notamment de son financement – est une condition indispensable pour progresser sur ce dossier. Vous avez d’ailleurs rappelé, monsieur le sénateur, combien tous les élus étaient mobilisés sur cette question.
Un comité de financeurs a donc été mis en place : il constitue naturellement le lieu le plus adapté pour poursuivre les réflexions relatives au financement de cette gare nouvelle.
En ce qui concerne l’impact de cette gare sur le schéma de desserte, il doit encore faire l’objet d’approfondissements et d’échanges, notamment avec l’exploitant ferroviaire. La possibilité d’un transfert de quelques arrêts des gares de la vallée du Rhône vers la gare nouvelle d’Allan est l’une des hypothèses à l’étude. Des scénarios reposant sur de nouveaux arrêts, donc sans transfert, sont également examinés. En tout état de cause, la solution qui sera in fine mise en œuvre devra tenir compte des contraintes d’exploitation ferroviaire, particulièrement délicates dans la vallée du Rhône.
Telles sont, monsieur le sénateur, les précisions que je pouvais vous apporter concernant l’état d’avancement des réflexions sur ce projet.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Madame la secrétaire d’État, j’ai bien entendu la réponse que M. le secrétaire d’État aux transports vous a chargé de lire. J’allais dire : rien de nouveau sous le soleil !
Les collectivités locales se sont engagées à financer cette gare, il nous manque maintenant la position de l’État pour savoir s’il financera, ou non, ce projet. Sans cet apport, nous savons bien que cette gare ne pourra pas être réalisée.
Les collectivités territoriales se sont engagées pour ce que vous appelez les investissements connexes : la multimodalité, l’accès par les transports collectifs. Toutes ces questions sont réglées.
Nous avons besoin de connaître la position du Gouvernement – je ne l’ai pas entendue – quant à son engagement pour cette gare.
Je rappelle que le secrétaire d’État M. Dominique Bussereau, lorsqu’il était venu dans la Drôme, avait indiqué qu’il était favorable à l’implantation de cette gare.
Il y a suffisamment de dossiers qui divisent. Celui-ci réunit l’ensemble des acteurs politiques et économiques ainsi que la plupart des acteurs sociaux. Il existe une unanimité pour dire que ce projet est crucial.
J’aurais espéré, madame la secrétaire d’État, mais ce n’est pas votre responsabilité directe, que M. Dominique Bussereau s’engage un peu plus.
J’ai plutôt le sentiment, pour utiliser un vocabulaire sportif, qu’il a botté en touche ! Dire que c’est au comité de financeurs de s’exprimer n’est pas la bonne réponse. Celui-ci s’est en effet déjà exprimé. Maintenant, il s’agit de savoir si les 70 millions d’euros nécessaires pour construire cette gare vont être mis sur la table par l’État, par d’autres partenaires, par exemple par un partenariat public-privé.
Tant que le Gouvernement n’apporte pas de réponse sur ce point, je considère qu’il nous manque son soutien pour avancer. J’espère que lors du prochain comité de pilotage, le représentant du Gouvernement, le préfet ou le secrétaire d’État lui-même, pourra aller un peu plus dans cette direction. Sans cela, l’ensemble des citoyens, des élus et des acteurs de ce territoire seront immensément déçus.
Merci en tout cas, madame la secrétaire d’État, pour votre réponse !
intérêt économique, social et écologique du transport en wagon isolé
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question n° 981, adressée à M. le secrétaire d'État chargé des transports.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a trois ans, j’interrogeais ici même M. Bussereau, à qui s’adresse également cette nouvelle question, sur la fermeture de 262 gares. Je lui disais avoir rencontré des chargeurs inquiets et des salariés en colère. Trois ans après, malheureusement, ces sentiments n’ont fait que croître.
La situation du fret ferroviaire s’est effectivement fortement dégradée, et le secrétaire d’État chargé des transports en porte pour une part la responsabilité.
Comment comprendre l’objectif du Grenelle de porter à 25 % la part des modes non routiers et non aériens en 2022 alors que la politique gouvernementale engendre les effets inverses.
Ne vous apprêtez-vous pas, dans votre ministère, à autoriser les 44 tonnes routiers alors qu’un rapport de l’Assemblée nationale rappelait avec force qu’il fallait « faire échec à la généralisation des camions de très grande capacité en vue de préserver le wagon isolé ».
L’objectif du Grenelle me semble très éloigné des réalités d’aujourd’hui. Entre 2004 et 2008, vous avez mis 1,5 million de camions sur les routes. L’abandon des dessertes locales va y mettre 1,2 million de camions supplémentaires.
Le rapport que j’ai cité précédemment souligne que la réalisation de l’objectif du Grenelle supposerait une augmentation des trafics de 45 %. Or votre politique va totalement en sens inverse, puisqu’elle réduit les volumes transportés, en baisse de 6 % depuis 2002, toutes entreprises ferroviaires confondues. Cela démontre d’ailleurs que le choix de l’ouverture à la concurrence est un échec.
En 2009, M. Bussereau déclarait « On ne demande pas à la SNCF d’abandonner le wagon isolé mais on ne le subventionne pas ; on attend les propositions de la SNCF ». Pourtant, la SNCF est toujours une entreprise publique, l’État en est toujours l’actionnaire principal et peut donc peser sur ses choix.
Le nouveau plan fret de la SNCF, intitulé « schéma directeur pour un nouveau transport écologique de marchandises », n’a d’écologique que son titre. Trois cent cinquante personnalités viennent de le dire. Ce plan confirme l’abandon de 60 % du transport par wagon isolé.
Les conséquences environnementales et sociales, avec la suppression de 8 000 emplois, seraient catastrophiques.
L’étude, tenue secrète, réalisée en septembre 2009 par le cabinet Carbone 4 et présentée au Comité stratégique fret de la SNCF le 15 janvier 2010 seulement, montre que cet abandon va provoquer des rejets supplémentaires de gaz à effet de serre de l’ordre de 300 000 tonnes d’équivalent CO2 par an. Où sont donc, madame la secrétaire d'État, les engagements du Grenelle de l’environnement ?
Les syndicats, les associations de défense de l’environnement, les associations d’usagers, les industriels, les chargeurs sont vent debout contre votre décision de supprimer le wagon isolé. Vous voulez leur faire croire qu’elle serait prise pour des raisons essentiellement financières. Le wagon isolé coûterait trop cher.
Mais alors pourquoi sept grands opérateurs ferroviaires européens, dans un projet nommé X-Rail, dans onze grands pays européens, ont-ils choisi d’unir leurs efforts pour relever le défi de la lutte contre le changement climatique et celui de l’aménagement du territoire ? Pourquoi la SNCF s’est-elle retirée de ce projet ?
L’étude du cabinet Carbone 4 suggère de « maintenir un portefeuille large d’offres de fret » et de « garder la messagerie et bénéficier d’une spécificité française du réseau maillé fin ».
Vous avez, au contraire, décidé de réduire les volumes de façon drastique, alors qu’il faudrait, par une politique commerciale dynamique, relancer l’activité. La politique de réduction des volumes menée aujourd’hui dégrade les comptes de ce secteur et le fragilise toujours plus.
En proposant de réduire l’offre de fret, vous allez à l’encontre des intérêts écologiques de notre planète, des intérêts des chargeurs, des intérêts des salariés et des intérêts de l’entreprise.
Dans la réponse à ma précédente question sur le fret, M. Bussereau faisait les louanges des opérateurs ferroviaires de proximité, que vous avez évoqués voilà quelques instants, madame la secrétaire d’État, lors de votre réponse à une autre question orale. Il déclarait, en particulier : « Je suis donc favorable à la création d’opérateurs ferroviaires de proximité, comme celui que vous avez mis en place dans la région Centre ».
Au bout du compte, quel échec puisque l’opération Proxirail n’a jamais vu le jour ! M. Bussereau m’avait pourtant invitée à m’engager aussi dans ce sens, en disant : « Il n’y a pas de raison que ne soit pas mis en place un tel opérateur local sur un site de fret ferroviaire historiquement aussi important que celui de Saint-Pierre-des-Corps ».
À ma connaissance, à ce jour, un seul opérateur ferroviaire aurait été mis en place et ferait circuler des trains de marchandises depuis le 27 juillet 2010 : il s’agit du train touristique du Pays cathare et du Fenouillèdes. Sérieusement, nous sommes loin des annonces faites, et ce n’est pas à la hauteur des besoins.
Je suis, quant à moi, convaincue que le fret ferroviaire doit rester dans le giron public et que la SNCF a les capacités pour gérer ce secteur.
Je vous demande donc, madame la secrétaire d'État, de rouvrir le site de Saint-Pierre-des-Corps en le modernisant, de revoir de fond en comble avec la SNCF le plan fret et je vous propose qu’un moratoire immédiat soit décidé pour le « wagon isolé ».
Et je ne me trompe pas d’interlocuteur en m’adressant au Gouvernement, puisque les investissements nécessaires à cette relance nécessitent son accord et pourraient être accélérés si, de plus, ils bénéficiaient d’aides financières de l’État.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Madame la sénatrice, lors du Grenelle de l’environnement, vous l’avez rappelé, le Gouvernement s’est engagé à porter la part des modes de transports alternatifs à la route de 14 % à 25 % à l’horizon 2022.
Dans ce cadre, Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau ont présenté, le 16 septembre 2009, le plan d’engagement national pour le fret ferroviaire. Ce programme montre la volonté et l’ambition de l’État de donner un nouveau souffle au fret ferroviaire et permettra, à terme, d’éviter l’émission de plus de deux millions de tonnes de CO2 sur notre territoire.
Cet engagement national porte sur un investissement global en faveur du fret ferroviaire de plus de 7 milliards d’euros d’ici à 2020, auxquels s’ajoutera 1 milliard d’euros investis par la SNCF au service du même objectif.
En effet, le Gouvernement a demandé à la SNCF de s’engager résolument dans le développement du fret ferroviaire et d’investir dans les solutions innovantes de transport de marchandises. Il s’agit, en particulier, du développement des autoroutes ferroviaires, du transport combiné, du fret à grande vitesse, des opérations de logistique urbaine et de favoriser l’émergence d’opérateurs ferroviaires de proximité, qui devront avoir la capacité d’offrir de nouvelles solutions adaptées au fret local.
En cohérence avec cet engagement national, la SNCF finalise actuellement son projet de schéma directeur industriel et managérial pour un nouveau transport ferroviaire écologique de marchandises. Les grandes lignes de ce schéma directeur ont été présentées en conseil d’administration de la SNCF en septembre 2009. Les études de production se sont poursuivies au cours du premier semestre 2010.
Concernant l’activité « wagons isolés », ce schéma s’appuiera sur une organisation de transport qui comportera, d’une part, des services sur mesure pour les produits industriels lourds, encombrants et dangereux et, d’autre part, des trains composés de wagons « multi-lots multi-clients ». Dans ce cadre, les clients grands comptes dans un premier temps, puis les PME-PMI dans un second temps, ont été rencontrés afin de préciser leurs besoins.
Les plates-formes de réception des trains multi-lots multi-clients seront principalement approvisionnées par le mode ferroviaire. Les décisions concernant leur localisation seront arrêtées à l’issue de la concertation en cours.
En effet, tout en prenant en compte des considérations d’ordre économique et social, ce réseau de plates-formes sera principalement défini en fonction des besoins exprimés par les chargeurs, clients actuels ou potentiels de fret SNCF. Cette adaptation sera progressive sur une période de deux ans. Enfin, pour les clients qui ne peuvent pas intégrer les « multi-lots multi-clients », des services dédiés ont été proposés.
Le Gouvernement est également très vigilant sur la dimension territoriale des réformes envisagées par la SNCF, qui doivent prendre en compte un objectif de desserte du territoire correspondant aux besoins économiques et écologiques de notre pays.
La SNCF s’est ainsi engagée à mettre en place, en concertation avec les acteurs économiques et politiques locaux, des dispositifs d’accompagnement de son schéma directeur pour le transport de marchandises au service des territoires, dont Saint-Pierre-des-Corps qui est une plaque tournante importante.
La Délégation à l’aménagement des territoires ferroviaires, la DATF, créée au sein de la SNCF en fin d’année 2009, a pour mission d’organiser les échanges avec les acteurs économiques, politiques et institutionnels locaux en vue de répondre à cet objectif. Dans chaque région, elle est représentée par un délégué régional qui est l’interlocuteur privilégié pour mettre au point les différents axes de développement ferroviaire pouvant être mis en œuvre.
Tels sont, madame la sénatrice, les éléments que Dominique Bussereau m’a demandé de vous communiquer.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. J’ai entendu les annonces dont Mme la secrétaire d’État vient de me faire part, en remplacement de M. Bussereau.
Je serai très attentive à ce que, sur le terrain, les échanges avec la délégation régionale à l’aménagement des territoires ferroviaires puissent se faire et que l’on entende véritablement nos soucis.
Nous avons en effet un certain nombre d’interrogations.
Ainsi, ces derniers jours, la direction de Primagaz et moi-même avons fait état auprès de la directrice régionale de la SNCF du souci auquel est confrontée actuellement cette entreprise, à Saint-Cyr-en-Val, dans l’arrondissement d’Orléans, s’agissant du transport d’une matière dangereuse, le gaz, qui est assuré sans sécurité.
Nos préoccupations concernent des réalités très concrètes, mais les réponses qui nous sont données aujourd'hui ne sont pas sécurisées quant à l’avenir. Voilà six ans, nous avions déjà rencontré de très grandes difficultés pour permettre d’inscrire la démarche de transport des entreprises dans une vision à plus long terme. On ne peut en effet tabler uniquement sur le court terme lorsque des entreprises de ce type sont installées.
Dans la région Centre, un certain nombre de secteurs d’activité continuent à être embranchés au secteur ferroviaire, sans avoir pour le moment de réponses sécurisées.
J’ai bien entendu l’idée de wagons « multi-lots ». Une telle formule apportera-t-elle véritablement une réponse ? Je n’en suis pas encore complètement convaincue, compte tenu de ce que j’ai pu observer.
Autre point d’interrogation, que vous pourrez peut-être relayer auprès de M. Bussereau : je n’ai toujours pas de réponse au sujet des motivations qui ont conduit la SNCF à abandonner le travail qui a été mené à l’échelon européen s’agissant de l’initiative X-Rail. J’avoue que je ne comprends pas cette décision.
Aujourd'hui, l’Allemagne, qui a persévéré dans cette démarche, est en train de relancer ce transport par wagon isolé, qui répond véritablement à un besoin. Le développement de ce mode de transport commence à se faire sentir dans les résultats du fret outre-Rhin. Par conséquent, je souhaite vivement avoir une réponse sur ce point, madame la secrétaire d’État.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉrard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Dissimulation du visage dans l'espace public
Adoption définitive d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (projet de loi n° 675, texte de la commission n° 700, rapport n° 699 et rapport d’information n° 698).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre d’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, sur quelque banc, sur quelque travée que nous siégions, nous savons tous que l’unité de notre pays est notre bien le plus précieux. La préserver est donc notre devoir commun, quelles que soient nos différences, quelles que soient nos sensibilités politiques.
Le développement de pratiques radicales, contraires aux valeurs de la République, appelle notre vigilance et notre détermination. Le projet de loi sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public en est l’expression.
Adopté par l’Assemblée nationale le 13 juillet dernier, ce texte est aujourd’hui soumis à votre examen.
Je salue une fois de plus – l’hommage est devenu habituel, mais n’en est pas moins sincère de ma part - la qualité du travail effectué par la commission des lois et par son rapporteur. La recherche de l’intérêt général, je le sais, a prévalu sur les considérations partisanes.
Je tiens à dire que le débat parlementaire a fait, une nouvelle fois sans doute, honneur à notre démocratie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la volonté de vivre ensemble dépend, nous le savons tous, de notre capacité à nous rassembler autour des valeurs communes et de la volonté de partager un destin commun.
Ce « vivre ensemble » entraîne par nature le refus du repli sur soi, le refus du rejet de l’autre, qui sous-tendent le communautarisme.
Vivre ensemble suppose l’acceptation du regard de l’autre.
Ce n’est pas une question de sécurité, même si elle est parfois évoquée en ces termes.
Ce n’est pas non plus une question de religion.
La France est une terre de laïcité, qui, à ce titre, assure le respect de toutes les religions. Elle garantit à chacun le libre exercice du culte de son choix. Nous l’avons rappelé lors de la concertation que nous avons menée, le Premier ministre et moi-même, avec les responsables religieux et les représentants des partis politiques.
Le projet de loi vise d’ailleurs toutes les formes de dissimulation du visage dans les lieux publics. Ce point est important. Le texte ne stigmatise pas telle ou telle façon de dissimuler son visage, telle ou telle raison, tel ou tel prétexte invoqués pour le faire.
Vivre la République à visage découvert, c’est une question de dignité, une question d’égalité devant la République, aussi, et une question de respect de nos principes républicains.
Le principe d’une interdiction générale de la dissimulation du visage sur l’espace public est donc assorti à la fois de sanctions dissuasives et, dans la mesure où vivre ensemble suppose que chacun ait le désir de cette vie en commun, de mesures pédagogiques.
Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue, quelle qu’elle soit, destinée à dissimuler son visage.
La règle est claire, simple, logique. Elle pourrait, par certains côtés, constituer un modèle de législation, un modèle de ce que pourrait ou devrait être la loi d’une façon générale.
La portée de l’interdiction, qui a donné lieu à discussions, se déduit de son fondement juridique : l’interdiction est générale dans tout l’espace public.
Cette règle repose sur un fondement constitutionnel : l’ordre public social.
La notion d’ordre public, vous le savez tous, inclut traditionnellement trois composantes matérielles : la sécurité, la tranquillité et la salubrité. Elle comprend aussi une composante sociale, ou « immatérielle », qui n’est pas moins importante.
Si l’ordre public matériel implique une proportionnalité entre le but visé et la contrainte imposée, l’ordre public social, exprimant les valeurs fondamentales du pacte social, permet, lui, de prendre des mesures d’interdiction générales.
Cette notion est explicite dans la jurisprudence du Conseil d’État, plus implicite dans celle du Conseil constitutionnel.
Plusieurs arrêts du Conseil d’État en ont précisé les contours. On peut citer l’arrêt Société Les Films Lutétia, de 1959, ou l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge, de 1995. Cette jurisprudence, qui acte l’existence de l’ordre public social, n’est donc pas récente.
La notion d’ordre public social est présente aussi dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. La décision du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration et celle du 9 novembre 1999 sur la loi relative au pacte civil de solidarité en sont deux illustrations.
En l’espèce, pour juger constitutionnelles les interdictions de la polygamie et de l’inceste, le Conseil constitutionnel s’est appuyé, lui aussi, sur les valeurs fondamentales du « vivre ensemble ».
La dissimulation du visage sous un voile intégral est contraire à l’ordre public social, qu’elle soit contrainte ou volontaire.
Contrainte, la dissimulation du visage porte atteinte à la dignité de la personne. L’asservissement ou la dégradation de l’entité de la personne humaine sont strictement incompatibles avec notre Constitution.
Volontaire, le port du voile intégral revient à se retrancher de la société nationale, à rejeter l’esprit même de la République, fondée sur le désir de vivre ensemble.
Le voile intégral, de nombreux écrits et témoignages l’attestent, dissout l’identité d’une personne dans celle d’une communauté.
Il remet en cause le modèle d’intégration à la française fondé sur l’acceptation des valeurs de notre société et des principes de notre Constitution que je viens de rappeler.
Il exprime la volonté de mettre en œuvre une vision communautariste de la société, c'est-à-dire non égalitaire et non participative.
En ce sens, le voile intégral est incompatible avec nos principes constitutionnels.
La portée générale et absolue de l’interdiction découle de son fondement constitutionnel.
Toute mesure de police visant une atteinte à la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publiques doit être strictement limitée et proportionnée au trouble. En revanche, une mesure visant une atteinte à l’ordre public social ne peut être que de portée générale et absolue.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel, que j’évoquais à l’instant, l’a reconnu. Le Conseil d’État l’avait jugé préalablement.
J’ajouterai deux remarques concernant la logique de l’interdiction générale.
Premièrement, une interdiction partielle, qui serait limitée à certains lieux, à certaines époques ou à certains services, constituerait une forme d’incohérence intellectuelle ou juridique, et soulèverait des difficultés d’ordre pratique.
Elle affecterait la portée et la lisibilité de notre message. Comment en effet pourrions-nous affirmer que « le voile intégral ne respecte ni la liberté, ni la dignité, ni l’égalité », si nous limitions l’interdiction aux seuls lieux publics ? Cela voudrait dire que l’on peut porter atteinte à la liberté, à la dignité, à l’égalité quand on ne se trouve pas dans un lieu « public »…
Comment convaincre les Français que la liberté, l'égalité et le respect de la dignité des femmes commenceraient dans la gare et s'arrêteraient à sa sortie ? Car c’est à cela que cela revient ! Il faut donc, là aussi, avoir une certaine logique.
Il convient à ce propos de revenir sur un débat qu’a pu susciter l’interprétation d’un avis rendu par le Conseil d’État sur un premier texte. Si vous lisez bien cet avis, le Conseil d'État n'a pas nié l’existence d’un fondement juridique à une interdiction générale. Il relève simplement que le Conseil constitutionnel n'a pas à ce jour reconnu explicitement la notion d'ordre public social. Pour autant, il l’a reconnue implicitement à travers les deux arrêts précités.
Deuxièmement, si l'interdiction est certes générale et absolue, elle n'est pas pour autant dépourvue d'exceptions. En effet, il importe là aussi d’être pragmatique et logique. Certaines activités peuvent exiger la dissimulation du visage dans l'espace public, sans pour autant porter atteinte à l'ordre public social.
Par exemple, pour des motifs d’ordre professionnel et au titre de leur protection, certaines personnes sont amenées à porter un casque ou un masque, lesquels dissimulent leur visage. Il est évident que l’on ne va pas le leur interdire. De la même façon, des personnes peuvent être amenées, pour des raisons médicales, à porter un masque parce qu’elles sont particulièrement sensibles à tel ou tel facteur de risque.
Les exceptions peuvent également s’inscrire dans le cadre de pratiques sportives, comme l’escrime, ou bien concerner des fêtes ou encore des manifestations artistiques ou traditionnelles. Ainsi, nous avons moins de pénitents dans nos fêtes traditionnelles qu’en Espagne, par exemple, mais il en existe dans plusieurs régions de France ! Et il n’est pas question d’interdire ce type de manifestations, puisqu’elles sont au contraire destinées à établir un « vivre ensemble » qui correspond à la volonté commune.
L'interdiction ne s'appliquera donc évidemment pas à l'ensemble de ces situations, dès lors qu’elles sont compatibles avec les principes du « vivre ensemble ».
Tels sont les fondements juridiques et logiques du texte.
Il faut ensuite examiner la question des sanctions, que nous avons essayé d’adapter aux objectifs qui sont les nôtres. Nous ne voulons pas sanctionner pour sanctionner ; au contraire il s’agit d’amener des personnes qui aujourd’hui ne respectent pas les principes de la République, ou qui les ignorent, à les respecter. L’enjeu pour nous est donc autant de convaincre et de dissuader que de réprimer. Il faut notamment convaincre certaines femmes de renoncer d'elles-mêmes à porter le voile intégral, et ceux qui les y obligeraient à accepter les règles de la vie en commun et les principes du vivre ensemble.
C’est pourquoi nous faisons une distinction selon que l'infraction résulte d’un choix volontaire ou bien d’une contrainte.
Le premier cas de figure - la personne dissimule délibérément son visage - appelle une réponse qui équilibre pédagogie et fermeté. Dans ce cas précis, le dialogue devra primer la sanction. Le texte prévoit donc une entrée en vigueur de la loi six mois après sa promulgation, ce délai permettant un effort de pédagogie à destination des personnes concernées. Et chacun a son rôle, qu’il s’agisse des associations, des mouvements religieux – pour ce qui concerne le voile intégral -, des mairies ou encore de la police. Nous avons chacun notre rôle à jouer en la matière pour faire en sorte que tous ceux et toutes celles qui portent un masque, dissimulent leur visage ou se couvrent d’un voile intégral, y renoncent spontanément.
Bien entendu, ces mesures doivent être assorties d’une sanction, car il n’y a pas de loi s’il n’y a pas les moyens de la faire appliquer. La méconnaissance de l'interdiction prévue par la loi est constitutive d'une contravention de la deuxième classe. Elle est sanctionnée à ce titre par une amende d'un montant maximum de 150 euros et un stage de citoyenneté peut être substitué à l’amende ou prescrit en complément de cette peine.
Dans un cas comme dans l’autre, c’est au juge qu’il reviendra de déterminer le montant de l’amende réellement infligé, de substituer à l’amende le stage de citoyenneté ou bien de décider le cumul de l’amende et du stage de citoyenneté. C’est lui qui fixera, en fonction des circonstances et de la réitération éventuelle, la peine qui lui paraîtra la plus adaptée à la situation.
Le second cas de figure, c'est-à-dire la dissimulation forcée du visage, exige quant à lui une réponse beaucoup plus ferme. Comme je l’ai dit en introduction, la République n'admet pas les atteintes à la dignité humaine ni ne tolère l'abus de la vulnérabilité des personnes.
La commission des lois de l'Assemblée nationale a, dans cet esprit, souhaité des sanctions plus fermes, et donc plus dissuasives, envers ceux qui contraignent des personnes à dissimuler leur visage. Si vous adoptez le texte tel qu’il vous est soumis, il s’agira donc d’un délit puni d'une peine d'emprisonnement d'un an et d'une amende pouvant s'élever à 30 000 euros, la peine étant doublée dans le cas où la personne contrainte serait mineure au moment des faits, soit une peine de deux ans de prison et de 60 000 euros d'amende. Cela résoudrait le problème de la pression exercée sur certaines jeunes filles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à l'heure où nous constatons une internationalisation et une complexification de nos sociétés, les Français s'interrogent sur le devenir de la Nation et sur l’avenir de ce qu’ils sont. Notre responsabilité est de faire preuve de vigilance et de réaffirmer les valeurs que nous avons en partage et qui sont le fondement de notre volonté de vivre ensemble. Notre devoir, s’agissant de principes fondamentaux et constitutionnels, est de parler d'une seule voix pour manifester notre attachement unanime à la République, à ses principes et à ses valeurs.
L'autorité politique, juridique et morale de la Haute Assemblée en fait un garant de la stabilité de nos institutions. Il vous revient aussi de garantir la pérennité de nos valeurs, lesquelles fondent un modèle qui a fait notre pays et qui fait aussi son image, un modèle qui fonde notre pacte social et qui forge notre identité. Il nous revient d’être dignes des exigences qui sont attachées à l'honneur d'être Français et au privilège de vivre en France. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public dont nous sommes saisis est le fruit d'une longue réflexion au cours de laquelle un consensus est apparu sur au moins trois points.
Premièrement, si le port du voile islamique a constitué un point de départ, il n'a été, comme l’a souligné avec raison M. Jean-Paul Garraud, rapporteur du présent projet de loi à l'Assemblée nationale, qu’« un révélateur confirmant la place éminemment centrale du visage dans la vie sociale ». Aussi une interdiction doit-elle prendre en compte la dissimulation du visage et non le port de telle ou telle tenue.
Deuxièmement, le recours à la loi apparaît nécessaire car, même si la sanction de la violation d'une interdiction se limite à une contravention, donc relève de la matière réglementaire, on peut se demander, à l'instar du Conseil d'État dans son étude du 25 mars dernier, si une prohibition « aussi large et prenant des formes aussi diverses que la dissimulation volontaire du visage ne touche pas aux règles relatives aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».
Troisièmement, il est impératif de prévoir la répression des auteurs de contraintes tendant à la dissimulation du visage d'autrui.
Le principal sujet de débat porte sur le caractère général ou limité de l'interdiction de cette dissimulation du visage.
Le Gouvernement a choisi la première option pour des raisons de droit et d'efficacité. À la suite de l'Assemblée nationale, et à la lumière des auditions auxquelles elle a procédé, la commission des lois du Sénat a approuvé cette orientation.
Avant d'examiner les fondements d'une interdiction à caractère général, je souhaiterais rappeler les raisons de l'incompatibilité de la dissimulation du visage avec les exigences de notre vie sociale.
La dissimulation du visage reste un phénomène exceptionnel au sein des sociétés occidentales. L'attention accordée au voile islamique tient sans doute à sa systématisation dans une frange réduite de femmes musulmanes.
À l'issue des auditions, trois séries d'observations peuvent être formulées.
On constate d’abord que la liberté effective de choix demeure difficile à apprécier même lorsqu'elle est revendiquée par la personne portant le voile intégral.
En outre, le port du niqab ne constitue pas une prescription de l'islam et ne touche qu'un nombre très marginal de femmes musulmanes. Cependant, la focalisation de l'attention sur ce thème a pu être ressentie comme un mouvement de défiance à l'égard de l'islam dans son ensemble.
Enfin, comme l'a observé l'une des personnalités auditionnées, il faut « déconfessionnaliser » ce débat et le placer sur le terrain non de l'expression d'une conviction religieuse mais des exigences du « savoir vivre ensemble » dans notre société, des exigences qui s'imposent à chaque citoyen, quelle que soit par ailleurs sa confession.
Comme l'a rappelé Mme Élisabeth Badinter à l’occasion de nos auditions, l'échange social implique d'apparaître à visage découvert dans l'espace public. Selon elle, la dissimulation paraît contraire au principe de fraternité et, au-delà, au principe de civilité. Elle marque le refus d'entrer en relation avec autrui ou, plus exactement, d'accepter la réciprocité et l'échange, puisque cette dissimulation permet de voir sans être vu.
Ces considérations valent pour le voile intégral comme pour toute pratique qui conduirait à couvrir au quotidien son visage dans l’espace public. Notre collègue Yves Détraigne a évoqué lors de notre réunion de commission le malaise suscité sur un marché par des personnes circulant cagoulées. Le présent projet de loi répond à ces préoccupations, qui sont d'ailleurs partagées par certains de nos voisins, comme la Belgique et l'Espagne. Il vise une interdiction générale de la dissimulation du visage, sous réserve de certaines exceptions, et assortie d’une amende.
J’en viens donc aux fondements juridiques de l’interdiction.
Le choix d’une interdiction générale de dissimulation du visage dans l’espace public, s’il manifeste notre volonté d’exprimer une valeur essentielle du lien social, n’en comporte pas moins pour la personne une restriction de ses choix.
Il est loisible au législateur que nous sommes d’apporter des limitations à l’exercice des libertés pour des raisons d’intérêt général qu’il nous revient d’apprécier.
Cependant, nous ne pouvons porter atteinte à une liberté protégée par la Constitution que sur le fondement d’une autre exigence constitutionnelle, puisqu’il nous appartient, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de concilier différentes valeurs constitutionnelles.
Aussi le projet de loi ne serait-il conforme à la Constitution que si aucune liberté constitutionnelle n’était en cause ou, dans le cas contraire, si l’interdiction introduite par le législateur se fondait sur des exigences occupant un rang similaire dans l’ordre juridique.
De l’analyse de ces conditions dépend donc la constitutionnalité de ce texte.
L’interdiction de dissimulation du visage porte-t-elle atteinte à des principes de caractère constitutionnel ?
En premier lieu, comme l’a d’ailleurs rappelé le Conseil d’État dans son étude, il n’existe pas de principe constitutionnel protégeant la liberté de choix du vêtement.
Le projet de loi ne semble pas, par ailleurs, porter atteinte au droit au respect de la vie privée, dans la mesure où l’interdiction ne concerne que l’espace public.
Cependant, le choix du vêtement n’est pas seulement affaire de goût, l’expression d’une liberté personnelle dont on peut douter qu’elle serait protégée par le Constitution. Il peut aussi mettre en jeu la manifestation d’une conviction religieuse. Tel serait le cas du port du voile intégral.
À ce titre, l’interdiction prévue par le projet de loi pourrait apparaître comme contraire à la liberté de manifester ses convictions, notamment religieuses, protégées par l’article X de la Déclaration de 1789 et l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Toutefois, une certaine prudence s’impose à la lumière de deux considérations.
Tout d’abord, peut-on se prévaloir de la liberté d’exprimer ses convictions religieuses pour porter une tenue qui ne correspond à aucune prescription religieuse, comme l’ont rappelé à plusieurs reprises les plus hautes instances de l’islam ?
En outre, l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales « ne garantit pas toujours le droit de se comporter d’une manière dictée par une conviction », selon les termes mêmes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et il ne confère pas aux individus le droit de se soustraire à des règles générales qui se sont révélées justifiées.
Cependant, en dépit des incertitudes sur le caractère constitutionnel de la liberté de dissimuler son visage dans l’espace public, il semble préférable, et sans doute plus sûr juridiquement, de fonder l’interdiction posée par le projet de loi sur un principe à caractère constitutionnel.
Il apparaît que l’ordre public constitue le fondement le plus incontestable de l’interdiction visée par le projet de loi.
L’ordre public, dans sa dimension traditionnelle, comprend la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques. Il sous-tend d’ailleurs plusieurs des restrictions actuellement retenues par le droit en vigueur afin de garantir l’identification de la personne pour l’accès à certains lieux publics ou la réalisation de certaines démarches.
La référence à l’ordre public doit être cependant assortie d’une double exigence : en premier lieu, les restrictions aux droits et libertés doivent être justifiées par l’existence ou le risque de troubles à l’ordre public ; en second lieu, ces restrictions doivent être proportionnées à la sauvegarde dudit ordre public.
Sans doute l’objectif de prévention des infractions est-il susceptible de justifier la possibilité d’identifier à tout instant le visage d’une personne dans l’espace public. Il reste cependant délicat de fonder sur l’ordre public matériel, compte tenu des limites fixées par la jurisprudence constitutionnelle, une interdiction à caractère général.
Aussi apparaît-il nécessaire d’élargir la notion d’ordre public à sa dimension « immatérielle ».
Cet ordre public immatériel ne saurait toutefois se confondre avec la moralité publique, notion dégagée par la jurisprudence administrative qui ne permettrait pas, de toute façon, de justifier une interdiction à caractère général.
Il pourrait être défini, selon les termes du Conseil d’État, comme le « socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société, qui, comme par exemple le respect du pluralisme, sont à ce point fondamentales qu’elles conditionnent l’exercice des autres libertés, et qu’elles imposent d’écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle. Or, ces exigences fondamentales du contrat social, implicites et permanentes, pourraient impliquer, dans notre République, que, dès lors que l’individu est dans un lieu public au sens large, c’est-à-dire dans lequel il est susceptible de croiser autrui de manière fortuite, il ne peut ni renier son appartenance à la société, ni se la voir dénier, en dissimulant son visage au regard d’autrui au point d’empêcher toute reconnaissance ».
Comme l’ont souligné tous les juristes que nous avons auditionnés, cette notion élargie de l’ordre public immatériel n’est pas inédite. Elle inspire, par exemple, les positions prises par le Conseil constitutionnel à l’égard de la polygamie. Dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a en effet estimé que « les conditions d’une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie ».
Par ailleurs, le Conseil a aussi admis implicitement le « respect des valeurs républicaines », posé par la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, comme critère de la représentativité des organisations syndicales.
« Vie familiale normale », « valeurs républicaines » : l’ordre public renvoie à des principes qui n’ont pas nécessairement de transcription explicite dans notre Constitution. En revanche, associé au respect de la dignité de la personne humaine, il trouve une base constitutionnelle encore plus assurée.
La sauvegarde de la dignité a en effet été consacrée par le Conseil constitutionnel comme principe de valeur constitutionnelle, sur le fondement du préambule de la Constitution de 1946, ainsi que par la Cour européenne des droits de l’homme. Le respect de la dignité peut correspondre à une exigence morale collective, fût-ce aux dépens de la liberté de choix de la personne.
Or il existe un large consensus dans notre société pour reconnaître dans le visage un élément essentiel de l’identité de la personne, laquelle est une composante même de sa dignité.
En outre, la dissimulation du visage ne porte pas seulement atteinte à la dignité de la personne dont le visage est couvert ; elle met aussi en cause sa relation à autrui et la possibilité même de la réciprocité d’un échange. À ce titre, elle heurte frontalement les exigences de la vie collective.
L’ordre public « sociétal », ainsi fondé sur un principe de valeur constitutionnelle, peut justifier une interdiction à caractère général. Cette interdiction est par ailleurs acceptable dès lors que le dispositif prévu par le projet de loi répond aux conditions d’équilibre souhaitables.
D’une part, il distingue clairement la dissimulation du visage, sanctionnée d’une amende d’un montant maximum de 150 euros prévue pour les contraventions de la deuxième classe, éventuellement assortie de l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté, du délit de dissimulation forcée du visage, passible, lui, d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
D’autre part, l’interdiction de dissimulation du visage comporterait plusieurs exceptions, comme l’autorisation de la loi ou du règlement, les raisons de santé, les motifs professionnels ou les pratiques sportives et les fêtes ou manifestations artistiques ou traditionnelles.
Enfin, les dispositions relatives à l’interdiction de dissimulation du visage ne s’appliqueraient qu’à l’issue d’un délai de six mois, afin de favoriser une meilleure information sur le texte et la portée de la loi et ainsi rendre moins nécessaire la coercition.
Faut-il rappeler, à ce sujet, que, dans l’étude d’impact réalisée sur ce projet de loi, il est impérativement recommandé de mener ce très nécessaire travail de pédagogie ? La volonté de faire respecter des principes et des valeurs qui nous sont chers ne nous dispense pas, bien au contraire, de mener ce travail d’explication. Nous devons d’abord privilégier l’acceptation sociale la plus large possible avant de laisser la loi s’appliquer dans toute sa rigueur aux personnes les plus récalcitrantes, et c’est parfaitement légitime.
Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la commission des lois a estimé que les différentes garanties apportées par le projet de loi répondent au nécessaire équilibre entre le respect des libertés publiques et les exigences de la vie en société. Elle a ainsi adopté le texte proposé par le Gouvernement sans modification. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur de la délégation aux droits des femmes.
Mme Christiane Hummel, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la commission des lois a souhaité recueillir l’avis de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dans son domaine de compétence et de ce seul point de vue, sur les conséquences du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, et je l’en remercie vivement, au nom de mes collègues de la délégation.
Même si l’intitulé de ce projet de loi ne mentionne jamais les femmes, ni le voile intégral, le dispositif proposé traite effectivement, sur le fond, d’un double enjeu et défend la place de la femme dans notre société et le respect du second alinéa de l’article 1er de la Constitution.
Il est permis de s’interroger sur cette discrétion.
Un rapport du Conseil d’État sur les possibilités d’interdiction du voile intégral, publié en mars dernier, ne laisse guère de doutes sur les risques d’inconstitutionnalité d’une telle mesure.
Ce rapport évoque en revanche la possibilité juridique d’une interdiction de la dissimulation du visage au nom des valeurs républicaines qui inspirent notre contrat social. Je ne reviendrai pas sur les points qui viennent d’être excellemment rapportés par M. Buffet.
Le Gouvernement a choisi de s’engager dans cette voie, qui permet d’aboutir aux mêmes effets qu’une interdiction directe du voile intégral.
Ce choix est courageux : selon le Conseil d’État, les valeurs républicaines ne constituent pas à coup sûr un fondement juridique solide pour l’interdiction d’une pratique qui, pourtant, les bafoue. Il y a un risque contentieux, et donc un risque politique. Cependant, « la liberté et l’égalité de la femme, la protection de certaines jeunes femmes au nom de nos valeurs communes valent de prendre des risques juridiques », comme l’a affirmé sans ambages Jeannette Bougrab, présidente de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, quand nous l’avons auditionnée sur ce texte.
Mes chers collègues, pour que les promesses d’égalité républicaine, qui sont au cœur de notre contrat social, soient tenues à l’égard des femmes musulmanes dans notre pays, nous estimons nécessaire de prendre ces risques. Car, finalement, tout l’enjeu de ce projet de loi, c’est bien l’égalité républicaine.
Par honnêteté, j’ai tenté de faire le tour de l’ensemble des raisons possibles de ne pas légiférer.
On peut dire que le phénomène, tout en s’étendant, reste marginal : deux mille femmes environ, dont beaucoup de récentes converties, porteraient actuellement le niqab ou la burqa en France.
On peut avancer le fait que certaines de ces femmes invoquent, parfois, leur libre adhésion. On peut dire aussi que la liberté de s’habiller comme on l’entend est une liberté élémentaire, et que la rue reste le lieu où celle-ci peut le mieux s’exercer.
On peut se demander par ailleurs si une interdiction n’aura pas un effet stigmatisant à l’égard de la communauté musulmane et, enfin, si elle n’aura pas pour conséquence d’exclure physiquement de l’espace public les femmes soumises au port du voile intégral.
Quelle que soit la part de recevabilité que l’on peut reconnaître à ces arguments, en tant que rapporteur et avec l’ensemble de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes – je me permets d’insister sur l’importance que revêt la deuxième partie de l’intitulé de notre délégation –, nous avons choisi de les réfuter au profit d’une analyse respectueuse d’un grand principe de notre République, l’égalité entre les hommes et les femmes.
Quel est, en effet, le libre arbitre qui s’exprimerait par le choix de l’exclusion ?
Comme l’a dit Jean-Jacques Rousseau, les mots esclavage et droit sont contradictoires. Autrement dit, la tradition républicaine exclut la liberté de ne pas être libre.
Quelle serait cette revendication religieuse qui conduirait à une forme de négation de soi-même en se faisant disparaître sous un voile intégral ? Comme le déclare Sihem Habchi, présidente de Ni putes Ni soumises : « La burqa, c’est le bout du bout de l’exclusion », et comme l’affirmait encore Jeannette Bougrab au cours de son audition : « Au nom d’une liberté religieuse, on ne peut exclure la moitié de l’humanité ».
Comment serait-il possible d’imaginer un sentiment de stigmatisation au sein de la communauté musulmane, alors que le port du voile intégral, importé en Europe par les courants salafistes de l’islam, est, de toute évidence, l’une de ces pratiques sectaires qui atteignent toutes les religions et que le souci de la démocratie oblige à endiguer quand il en est besoin, et je me permettrai d’ajouter, quand il en est encore temps ?
Les musulmans de France ne sont aucunement inscrits dans ces dérives sectaires, il n’y a donc aucune raison qu’ils voient ici la moindre attaque contre leur religion.
Enfin, comment justifier par l’argument des possibles effets pervers de la loi sur quelques femmes, qui se retrouveraient par l’interdiction du port du voile intégral exclues de la communauté citoyenne, ce qui constituerait en fait une non-réponse que nous proposerions à des millions de femmes françaises musulmanes, qui attendent du législateur la mise en application rigoureuse de l’égalité citoyenne dans notre pays, comme vous l’avez rappelé, madame le ministre d’État ?
Ajoutons, mes chers collègues, que la notion de société postule l’existence d’une relation entre les humains et donc d’une réciprocité entre tous ses membres. Malheureusement, nous avons la connaissance historique et l’expérience des drames universels engendrés par la négation radicale de l’autre. C’est pourquoi il nous faut rejeter ce refus de l’autre induit par le port du voile intégral et lutter pour le maintien du lien élémentaire nécessaire entre les membres de la communauté française, nécessaire à son unité.
Mes chers collègues, la conviction de notre délégation est que, par la rupture d’égalité qu’il introduit entre les femmes et les hommes, le port du voile intégral ne peut trouver sa place dans la société française.
Depuis un peu plus d’un siècle, la France a emprunté un double chemin, celui de l’affirmation de la laïcité de sa République et celui de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce cheminement est ardu. Le consternant symbole régressif que présente, à cet égard, la dissimulation du visage des femmes dans l’espace public ne peut que confirmer la nécessité d’éradiquer cette pratique.
En ce qui concerne le dispositif du projet de loi, nous avons, bien entendu, approuvé, pour toutes les raisons que je viens de vous exposer, la prohibition de la dissimulation du visage dans l’espace public ainsi que les pénalités qui accompagneront son entrée en vigueur.
Nous apprécions particulièrement tout ce qui facilitera l’information et l’accompagnement des femmes concernées. Le fait que l’amende instituée puisse être accompagnée ou remplacée par l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté est particulièrement bienvenu. Le délai de six mois fixé entre la promulgation de la loi et l’entrée en vigueur de l’interdiction de dissimuler son visage est tout aussi justifié, car cela facilitera la connaissance et l’explication des nouvelles dispositions.
J’ajoute que, dans ce délai, les structures publiques ou associatives intéressées auront la possibilité de prendre le relais du législateur afin de faire connaître et expliquer ses intentions et les prescriptions de la loi. Ce souhait est mentionné dans une recommandation adoptée par notre délégation.
Voilà pourquoi, monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a approuvé et vous demande d’approuver le projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les élus communistes républicains et citoyens de mon groupe ne participeront ni au débat ni au vote de ce projet de loi. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Pierre Bordier. Pourquoi ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nos deux collègues du Front de gauche font un choix différent qu’exposera Marie-Agnès Labarre.
À ceux qui s’interrogent sur ma présence à cette tribune, je réponds qu’il me faut bien expliquer pourquoi nous faisons ce choix.
Ce projet de loi visant à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public – titre par obligation neutre – a une cible précise : le port du voile intégral, le niqab ou la burqa, bien que la burqa ne soit pas recensée en France.
S’il s’agit de savoir si nous considérons comme anodin le port du voile intégral, notre position est sans équivoque. Les communistes se sont toujours battus pour l’égalité et l’émancipation des femmes. Ils combattent l’intégrisme, l’obscurantisme, le communautarisme et les dérives sectaires, quelles qu’elles soient.
Le port du niqab est le symbole de l’aliénation, de l’emprisonnement des femmes. Il est la négation de leur dignité. Si vous aviez à cœur, comme vous l’affirmez, l’exigence d’égalité et d’émancipation des femmes, vous auriez accepté que figure dans la loi contre les violences faites aux femmes, votée au printemps, la pénalisation des hommes qui les contraignent à le porter.
Votre préoccupation est bien différente.
Ce texte s’inscrit dans une suite de dérives de la politique du Gouvernement, avec la stigmatisation des étrangers par les lois successives sur l’immigration qui les visent, sans compter les dix-sept lois sécuritaires – maintenant dix-huit – lesquelles induisent l’amalgame entre la délinquance et les étrangers ; avec la création du ministère de l’identité nationale et le débat que vous avez voulu imposer sur ce sujet – fort heureusement, il n’a pas eu le succès que vous en escomptiez – jusqu’à la désignation de groupes ethniques dans le discours présidentiel de Grenoble et la chasse à ceux que vous appelez « les Roms ».
Il est remarquable d’ailleurs qu’après hésitation dans votre majorité vous ayez finalement décidé de présenter ce projet de loi, après les élections régionales, je le précise, un projet pourtant juridiquement contestable. Vous vous faites fort de démontrer le contraire, bien évidemment, mais on ne peut oublier que le Conseil d’État – j’ai lu son avis dans son intégralité – est très critique quant à une interdiction absolue et générale. Il suggère de limiter l’obligation de découvrir son visage à des exigences de sécurité ou de lutte contre la fraude dans certains lieux ou pour effectuer certaines démarches.
Nous pensons, nous aussi, que les préoccupations de sécurité peuvent être satisfaites par des restrictions ciblées. La législation française les autorise d’ores et déjà, comme le signale fort justement le professeur Dominique Rousseau. Des textes réglementaires existent pour obliger à montrer son visage au motif d’identification. D’autres peuvent, s’il le faut, être pris pour répondre à des exigences d’ordre public.
Mais vous maniez les questions d’ordre public de façon dangereusement extensible. D’aucuns – vous-même, madame la garde des sceaux, le faisiez à l’instant –, parlent d’ordre public « social », « sociétal », d’ordre public « immatériel », le cas échéant élargi ! Si ces notions ont déjà été utilisées par la jurisprudence dans des cas précis, on ne peut en conclure que celle-ci les valide a priori dans le cas visé par ce projet de loi. Nous pensons que ces interprétations sont pour le moins équivoques. Légiférer sur cette question est un affichage inquiétant.
Vous risquez l’inconstitutionnalité, mais vous n’en avez cure. En réalité, vous cherchez à donner une orientation très préoccupante au débat politique ; vous tentez de mobiliser l’opinion publique non sur la situation de ces femmes enfermées derrière un voile intégral, mais bien sur les fantasmes, les confusions et les raccourcis qu’ils attisent, comme à Nantes, où vous avez immédiatement fait l’amalgame entre islamisme, voile intégral et polygamie, et polygamie de fait.
Vous dites vouloir, avec ce texte, aider les femmes à sortir de cette prison qu’est le voile intégral. Pourquoi alors, dans le projet de loi, commencer délibérément par la pénalisation des femmes, c'est-à-dire les victimes, et non par celle des responsables, pour laquelle il faut attendre l’article 4 ?
Et pourquoi la prévention est-elle absente de ce texte ?
Protéger les femmes suppose de prendre des mesures pour lutter contre les stéréotypes sexistes, les préjugés, les attitudes discriminatoires, de promouvoir leurs droits dans tous les secteurs de la société, notamment l’égalité avec les hommes, de faire vivre pleinement la laïcité et, le cas échéant, d’intervenir dans des cas individuels par des moyens relevant du droit commun et du droit de la famille. Il faut faire prévaloir le dialogue et la médiation.
Vous affirmez officiellement lutter contre l’intégrisme religieux. En réalité, par vos amalgames, vous stigmatisez l’ensemble des musulmans. Le voile intégral n’est pas une obligation religieuse et ne concerne dans notre pays que moins de 2 000 femmes, soit 0,003 % de la population française, essentiellement dans quelques grandes agglomérations.
Vous nourrissez l’extrémisme politique, courant comme toujours après le Front national et, de ce fait, l’intégrisme religieux.
Cette loi sera-t-elle applicable ? Rien n’est moins sûr. Allez-vous mobiliser les forces de l’ordre, alors que les policiers eux-mêmes s’interrogent sur la possibilité de sa mise en œuvre ?
Deux situations se présentent : ou bien une femme est contrainte de porter le voile intégral, ou bien elle revendique le port du voile intégral.
Dans le premier cas, une loi condamnera une victime et finalement la contraindra à être encore plus recluse. Dans le second cas, on ne fera que renforcer ses convictions et donner une tribune à l’extrémisme sectaire. C’est ce que nous avons d’ailleurs constaté à Nantes.
En outre, quand nous voyons combien il est difficile aux victimes d’effectuer des démarches pour s’en sortir, il n’est pas du tout certain – voire le contraire – qu’une loi leur donnera le courage nécessaire pour dénoncer notamment un époux ou un père qui leur impose sa domination.
Votre combat, c’est celui de la division, c’est l’installation dans la durée de tensions et de fractures au cœur de la République pour mieux faire passer votre politique inégalitaire.
Le candidat Nicolas Sarkozy avait fait campagne sur l’idée de deux France : celle qui travaille et celle qui ne fait rien, les travailleurs contre les chômeurs. Mais depuis, nombre de ces travailleurs sont devenus des chômeurs.
Alors, vous divisez la France entre les étrangers et les Français, mais aussi entre les Français qui ont des origines étrangères et ceux qui le sont de plus longue date. Vous n’hésitez pas à provoquer une rupture du principe d’égalité, y compris entre Français. Vous allez même jusqu’à vouloir instaurer une nationalité en quelque sorte probatoire, puisque vous faites peser sur les personnes concernées la menace de les déchoir de cette nationalité.
Je me réjouis de la réaction éthique de grande ampleur du 4 septembre dernier. Elle confirme que votre politique sécuritaire, anti-étrangers, n’a pas partie gagnée.
Votre politique de régression sociale aggrave de jour en jour les fractures de la société. C’est une aubaine pour tous les communautarismes qui donnent l’illusion de compenser le manque de solidarité nationale, aubaine dont, hélas ! ils profitent.
Ce projet de loi a sa place dans les débats honteux qui se succèdent depuis 2002 et qui ternissent l’image de notre pays.
Ce débat n’est pas le nôtre.
Nous ne cautionnerons d’aucune façon cette politique qui stigmatise, qui divise, qui surfe sur les peurs. C’est pourquoi les élus communistes républicains et citoyens ne s’inscriront pas dans ce débat et ne participeront pas au vote. (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je vais mettre immédiatement un terme au suspense en vous disant que le groupe de l’Union centriste auquel je suis rattachée votera ce texte ! (Sourires.)
Passée la mention d’autres voies et moyens de dissimuler le visage dans l’espace public, la cagoule, par exemple, ce texte vise en tout premier lieu l’interdiction du voile intégral islamique, tout comme le texte sur les signes religieux à l’école concernait à titre principal le port du voile par les jeunes filles musulmanes.
Je vais donc pouvoir user d’une partie du temps de parole qui me reste pour m’exprimer à titre personnel et en ma qualité de vice-présidente du groupe d’amitié France-Pays du Golfe sur l’aspect culturel de la question ; les orateurs qui vont me succéder évoqueront sans doute d’autres aspects.
Vous savez bien, madame le ministre d’État, que l’héritage familial a placé la barre bien haut s’agissant des relations avec les pays du Golfe et les pays musulmans dans leur ensemble. J’y ai ajouté ma passion personnelle pour l’Iran.
On ne peut pas donc dire que la culture et la civilisation arabo-islamiques me soient étrangères.
Je profite donc de ma présence à cette tribune pour mettre un terme à des propos de comptoir rapportés d’ignorants en ignorants et alimentant un « je ne sais quoi » qui ressemble, à s’y méprendre, à de l’islamophobie.
Qui n’a pas entendu : « Oui, mais quand on est chez eux, il faut se voiler ! » Qui entend-on par « on » et de quel pays parle-t-on ?
De toute façon, c’est faux ! Aucune femme étrangère ne doit se voiler dans les pays arabes, sauf sur les lieux de culte ! Je ne parle pas ici de l’Iran, qui n’est pas un pays arabe ; notre collègue Josette Durrieu sait d’ailleurs très bien comment cela se passe dans ce pays.
En Arabie Saoudite, les femmes étrangères doivent se couvrir le corps, mais elles ne portent presque plus le voile, qui était obligatoire il y a encore quelques années. Il est d’ailleurs très fréquent de voir, dans la rue, des femmes étrangères qui ne sont pas voilées.
Grâce à une grande tolérance des pratiques religieuses étrangères, les Émirats Arabes Unis, le Qatar, Bahreïn et le Koweït accueillent sur leur territoire des lieux de culte chrétiens.
Et les femmes citoyennes de ces pays, me direz-vous ?
Les femmes émiraties, par exemple, ne portent plus systématiquement l’abaya, cette longue robe noire traditionnelle. Il suffit d’ailleurs de visiter l’université Zayed d’Abou Dhabi pour constater que les jeunes filles très éduquées sont libres de porter ou non cette robe noire dans l’espace public, et très peu nombreuses sont celles qui portent le voile intégral.
Quant aux femmes saoudiennes, je vous renvoie, mes chers collègues, aux actes du colloque que nous avons tenu ici même sur le rôle la femme dans la société saoudienne et qui aurait fait cesser ce genre de propos totalement erronés !
Dans la région, le niqab est de plus en plus mal vu sur les lieux de travail.
Aux Émirats Arabes Unis, par exemple, pour des raisons de sécurité, on demande aux femmes qui travaillent dans certaines administrations de ne pas se couvrir le visage. C’est notamment le cas du Centre de recherche stratégique d’Abou Dhabi, que vous avez visité, madame le ministre d’État, lorsque vous occupiez d’autres fonctions : le port du voile intégral y est purement et simplement interdit.
Au Yémen, des femmes m’ont confié que le fait de porter le niqab était un handicap sérieux pour obtenir un emploi dans une entreprise, alors que la pression de la société yéménite pousse pourtant les femmes à se voiler le visage.
Au Koweït, les femmes qui portent le niqab n’ont tout simplement pas le droit de conduire.
Dans tous les pays de la péninsule arabique, le port du voile a une signification plutôt culturelle. La tradition, les coutumes, sont responsables de ce phénomène, qui devient de plus en plus minoritaire dans cette région, centre historique du monde musulman.
Dans toute la péninsule, les femmes portent beaucoup plus le niqab dans les villes qu’à la campagne.
Phénomène intéressant, sur l’île yéménite de Socotra, au large de la Somalie, les femmes n’étaient jamais voilées, mais l’arrivée des travailleurs venus de la région de Sanaa ou du golfe d’Aden les ont contraintes à porter le niqab, alors que celui-ci ne faisait absolument pas partie de leurs traditions.
Enfin, en Iran, vaste sujet, un petit foulard suffit, doublé d’une tenue qui ne laisse pas apparaître la forme des hanches. À nos âges – enfin, au mien ! –, qui s’en plaindrait ? (Sourires.)
Rien, en conséquence, n’obligeait la journaliste de TF 1 qui a interviewé le président iranien à se déguiser avec ce hijab blanc, absolument ridicule, acquis je ne sais où, mais sans doute pas au bazar de Téhéran ! Aucune Iranienne ne porte ce genre de casque de scaphandrier – Josette Durrieu qui a rédigé un rapport sur la question pourra en témoigner. Aucune femme iranienne ne se voile le visage ; elles sont bien trop jolies pour cela ! Un petit carré noué comme un jour de pluie aurait suffi, ou une simple écharpe posée sur la tête, un pashmina ; je voulais vous en faire la démonstration, mais l’hémicycle ne s’y prête pas ! (Sourires.) Il était inutile de porter ce hijab totalement décalé, qui a d’ailleurs été plus remarqué que ne l’a été le fond de l’entretien !
Ce projet de loi répond-il à une impérieuse nécessité ?
Oui – là, je vous rejoins, madame le ministre d’État –, si nous considérons le problème sous l’angle de la sécurité et du pacte républicain.
Je voterai ce texte, bien que peu convaincue de son caractère opérationnel dans l’espace public. Imaginons, en effet, une princesse saoudienne venue faire ses courses dans une boutique de luxe de l’avenue Montaigne. Lorsqu’elle sortira de sa voiture diplomatique, qui lui demandera de retirer son hijab pour savoir qui elle est ? Elle fera ses courses et remontera dans la voiture, tout simplement !
Ce projet de loi est-il opportun ?
Madame le ministre d’État, avec le profond respect que je vous porte, je voudrais vous dire toute mon inquiétude face à une montée de xénophobie et d’islamophobie dans notre pays et dans le monde en général.
On fait le buzz en menaçant de brûler le coran, on tague des pierres tombales et on agresse des populations au faciès. Tous ces faits ne correspondent en rien au pacte républicain dont nous venons de parler.
On polémique à cause de l’ouverture de quelques fast-foods hallals, mais pourquoi tant de fureur ? Les consommateurs seraient d’ailleurs bien incapables de faire la différence entre la viande casher ou hallal et la viande que vous pouvez acheter chez votre boucher traditionnel. La viande est surveillée et une redevance est payée aux services religieux. La belle affaire !
Notre pacte républicain est-il à ce point menacé et fragile que six lettres apposées sur une vitrine suffisent pour enflammer les esprits ? Franchement, je ne le crois pas !
Madame le ministre d’État, je l’ai dit maintes fois à cette tribune, l’ennemi du pacte républicain, c’est l’ignorance. Il faudrait faire ce que le Gouvernement n’a pas fait lors de l’adoption du texte relatif à l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les établissements publics d’enseignement : expliquer ce texte.
Nos ambassadeurs dans les pays musulmans doivent organiser des conférences de presse pour bien expliquer la position de la France. Le Quai d’Orsay, qui, vous le reconnaîtrez avec moi, ressemble parfois au Quai des Brumes, doit envoyer des émissaires dans les grandes nations musulmanes qui composent le Maghreb, ainsi qu’en Égypte, en Arabie Saoudite, en Indonésie et au Pakistan.
MM. Pierre Fauchon et Jean-Paul Virapoullé. Bravo ! C’est très bien dit !
Mme Nathalie Goulet. On a reproché à la France de ne pas avoir suffisamment expliqué le texte relatif à l’interdiction du port du voile à l’école. Pour ma part, lorsque je rencontre, lors de mes déplacements dans les écoles ou les universités, des jeunes filles musulmanes, je leur explique la laïcité telle que nous la pratiquons, et le texte est mieux compris.
Madame le ministre d’État, je vous en prie, faites en sorte que ce texte-ci soit bien compris par nos partenaires et par nos amis.
Nous ne sommes pas le centre du monde : nos décisions peuvent heurter la sensibilité de représentants d’autres cultures ; elles doivent donc être accompagnées.
Notre réseau diplomatique dans le monde pourrait au moins s’occuper de cette question pour que nos partenaires ne soient pas vexés. Je le répète, l’éducation me semble absolument essentielle en la matière.
Je l’ai dit, l’ignorance est le pire ennemi du pacte républicain, et je crains que le rêve de voir réintroduite à l’école l’histoire des religions, ce qui permettrait à tous, singulièrement à nos enfants, d’être un peu moins ignorants, ne s’éloigne chaque jour un peu plus au vu des crédits accordés au ministère de l’éducation nationale.
Madame le ministre d’État, le numéro deux d’Al-Qaïda vient de jeter l’anathème sur la France. Certes, je vous l’accorde, ce n’est pas très important, mais j’y vois une raison supplémentaire d’insister pour que le texte soit expliqué, car il répond à un besoin de sécurité, et qu’il soit bien compris à l’intérieur de nos frontières, par les communautés auxquelles il s’adresse, mais aussi au-delà, par nos partenaires étrangers. Je compte vraiment sur vos services ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je suis chargé de vous présenter dans une intervention volontairement courte la position du groupe socialiste.
Le groupe socialiste, dans son unanimité, partage les objectifs du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, visant à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public.
Ce texte concerne tous les moyens de dissimulation, mais il n’a échappé à personne que c’est le port du voile intégral, le niqab arabe ou, surtout, de la burqa afghane par un certain nombre de femmes qui motive l’intervention du législateur.
Certes, selon l’enquête du ministère de l’intérieur, cette pratique ne concerne en France que 1 900 femmes, mais le risque de prolifération de ce phénomène comportemental, qui porte atteinte aux principes fondamentaux du pacte républicain, est réel.
Porter le voile intégral, c’est peut-être se protéger, mais c’est aussi s’exclure de la société. Ce n’est même pas en contester les principes, c’est nier son existence. Ce n’est pas un refus d’intégration, c’est le refus pur et simple de communiquer avec les autres, le refus de vivre ensemble, fondement pourtant de la vie sociale et de la paix civile. C’est donc une atteinte irrémédiable au principe de fraternité, qui suppose l’échange.
Le port du voile, c’est aussi une atteinte incontestable à l’égalité, car cette pratique ne concerne que les femmes : elle est, par nature, d’essence machiste.
Déjà, pour éviter les quolibets et, surtout, les injures, nombreuses sont les jeunes filles de banlieue à être obligées de renoncer à la jupe ou à la robe. Certaines, et c’est de plus en plus souvent le cas, finissent par ajouter le voile au pantalon, pour ne pas être agressées. Ainsi, aux yeux des jeunes hommes qui les surveillent, signifient-elles une pureté sexuelle qui, de fait, leur est imposée. Mais cette contrainte exprime aussi et surtout la soumission. Déjà !
Le port de la burqa constitue une étape supplémentaire vers l’isolement et la marginalisation qu’il convient, à l’évidence, d’empêcher.
Il s’agit d’une violence insupportable faite aux femmes, qui les conduit à l’enfermement, à nier leur existence par rapport au monde et par rapport à elles-mêmes, à nier leur condition de femme, et même d’être humain. L’aboutissement est d’en faire un objet de tous les caprices de leurs frères, surtout de leur mari et, plus rarement, de leur père, car ce comportement saute souvent une génération. Sont surtout touchées par le phénomène de jeunes femmes, qui peuvent croire, dans un premier temps, s’affirmer en s’opposant à leurs parents et se précipitent ainsi volontairement dans le port de cet attirail, qui deviendra très vite le signe et le moyen de leur aliénation.
Il s’agit donc d’un sujet complexe, et je ne suis pas sûr que, sur la forme, la déclaration du Président de la République, selon lequel la burqa « n’est pas la bienvenue en France », soit heureuse. Cette expression pouvait donner à penser que le port de la burqa est une pratique culturelle que la culture française ne peut pas accepter. Or ce ne sont pas deux cultures qui se confrontent. Ce qui est profondément en cause, ce sont les relations entre les hommes et les femmes et ce moyen commode pour l’homme d’exprimer sa domination absolue sur sa femme. C’est inacceptable !
Ce comportement porte-t-il atteinte au principe de laïcité ? J’ai remarqué que la défense de ce principe n’est pas évoquée dans l’exposé des motifs du projet de loi. Je crois, madame le ministre d’État, que vous avez eu raison de procéder ainsi.
Si le principe de laïcité, entendu au sens strict du terme, était en cause, cela voudrait dire que seraient concernées la liberté de conscience et la liberté religieuse, tout simplement.
Or l’obligation dont nous parlons ne repose sur aucun fondement religieux. Les représentants du culte musulman en France l’ont proclamé de façon très ferme. Il ne s’agit donc que d’une dérive, récente, d’inspiration talibane. On peut l’assimiler à une dérive sectaire et la traiter comme telle. Le fait que l’on présente sur les plateaux de télévision ou de radio de jeunes femmes qui revendiquent, quelquefois de façon véhémente, leur adhésion au port du voile intégral ne change pas grand-chose à l’affaire. L’aliénation peut fort bien emprunter les voies du volontariat apparent, même si elle est le résultat, on le sait bien, d’un véritable lavage de cerveau.
Simone de Beauvoir l’a affirmé très simplement : « Le consentement des victimes ne légitime rien ! » Le sectarisme est coutumier de ces cas d’aliénation volontaire.
Si donc l’on invoque le principe de laïcité, ce ne peut être au sens religieux du terme, mais, de façon tout aussi importante, au sens large du terme, par la mise en cause du « vivre ensemble » dans la République, qui suppose la tolérance et le respect de l’autre. Porter la burqa, c’est manquer de respect à l’ensemble du corps social.
Il est ainsi difficile de ne pas invoquer la mise en cause de la liberté de choix pour ce qui concerne la plupart des femmes contraintes à porter ce vêtement. Elles sont à coup sûr des milliers dans le monde à ne pas avoir la liberté de ne pas le porter. Pour mesurer cette contrainte, il suffit d’évoquer le comportement de nombreuses femmes afghanes qui ont dévoilé leur visage lorsque, hélas ! de façon temporaire, l’emprise des talibans sur la société afghane s’est relâchée. Elles nous ont alors expliqué qu’elles retrouvaient leur dignité.
Le dernier principe est plus trivial, mais c’est le moins contestable : c’est celui de la sûreté, de l’ordre public, l’ordre public immatériel que je viens d’évoquer, qui repose sur la dignité de la personne humaine, mais, surtout, l’ordre public matériel, qui repose sur la sécurité.
En ces temps de risques terroristes, il est difficile de laisser une personne complètement voilée s’approcher d’un bâtiment public. De même, il est également impossible de lui confier ses enfants à la sortie de l’école, faute de certitude sur l’identification.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. Mais je n’insisterai pas sur cet aspect des choses qui touche, cependant, de nombreux domaines de la vie courante, qu’il s’agisse de la conduite automobile à l’examen médical, du paiement des prestations sociales aux actes de l’état civil.
Vous le voyez, mes chers collègues, mes propos témoignent d’une adhésion réelle aux objectifs qui sous-tendent ce texte.
Dès lors, d’où vient notre gêne ?
En premier lieu, comme cela a déjà été souligné, l’application de la loi risque d’être difficile et de donner lieu à des contestations aux conséquences inattendues. Je pourrais prendre de nombreux exemples, mais je n’en retiendrai qu’un, simple, qui éclairera sans doute notre discussion.
Le voile intégral, comme son nom l’indique, couvre le visage et le reste du corps en totalité. Qu’adviendra-t-il dans les cas où il sera remplacé par une couverture partielle, par ce que l’on appelle une « quasi-burqa » ?
Déjà, nous dit-on, certains voiles s’échancrent à hauteur des yeux, voire à hauteur des yeux et de la bouche. À tout le moins, madame le ministre d’État, il conviendrait que la discussion et les précisions que vous pourrez nous apporter permettent d’éclairer les conditions d’application de l’interdiction, d’autant que, selon certains, l’article 34 de la Constitution est ici en cause, le législateur pouvant se voir reprocher de s’attaquer aux libertés publiques sans encadrer suffisamment l’exception.
Dans un autre domaine, et en second lieu, une loi est un acte fort, beaucoup plus fort qu’une adaptation des règlements, qui aurait pu être envisagée. Il faudra donc être attentif, lors de son application, à ce que les musulmans de France, y compris ceux, de loin les plus nombreux, qui désapprouvent la burqa, ne se sentent pas stigmatisés. La condamnation d’une partie d’entre eux, ou d’entre elles, même très minoritaire, peut conduire à un réflexe de défense qui se traduirait par un repli vers d’autres pratiques identitaires.
Sans rejeter les objectifs, j’insiste sur le fait que la façon dont on procédera, la publicité qui sera donnée à la contravention et, surtout, les commentaires qui l’accompagneront seront déterminants. Soyons attentifs à ce qui se passe.
Au cours de ces nombreux mois de discussion sur le voile intégral, certains ont cru déceler une augmentation significative du nombre de femmes, et surtout de jeunes filles, portant le voile simple.
Cependant, l’essentiel est ailleurs. Il ne faudrait pas qu’une remise en cause de la loi par une cour de justice puisse transformer le texte, éventuellement censuré, en une arme terrible, ici et dans le monde, aux mains des islamistes intégristes.
Or le risque existe ; le Conseil d’État, consulté par le Gouvernement, l’a clairement identifié. J’ai bien entendu ce que vous avez dit à ce propos, madame le ministre d’État, mais nous avons une petite divergence sur ce point.
Dans son avis rendu en assemblée plénière le 25 mars dernier, le Conseil d’État a estimé qu’une interdiction générale du port du voile intégral ne pourrait trouver aucun fondement incontestable. Dès lors, deux institutions pourraient remettre en question l’application de la loi.
Pour ce qui concerne le Conseil constitutionnel, j’ai cru comprendre que les présidents des deux assemblées prendraient l’initiative de le saisir dès le vote final, avant la promulgation de la loi. Il était en effet peu probable qu’un groupe de parlementaires décide de le faire, mais il était quasi assuré que n’importe quel justiciable ou association, en particulier d’inspiration islamiste, l’aurait saisi dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité, désormais inscrite à l’article 61-1 de notre Constitution.
Donc, nous saurons, et c’est bien ainsi.
Concernant la Cour européenne des droits de l’homme, le risque me semble beaucoup plus grand. Dans un arrêt récent du 23 février 2010, Ahmet Arslan et autres c. Turquie, elle a en effet estimé que le fait de condamner les requérants pour avoir porté des vêtements prohibés par l’État turc « tombe sous l’empire de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège, entre autres, la liberté de manifester des convictions religieuses ».
La Cour européenne des droits de l’homme se montre ainsi très soucieuse de préserver toutes les formes d’expression de la liberté, en particulier celle de se vêtir à sa guise, dès lors que ceux qui portent des tenues particulières ne sont pas « des représentants de l’État dans l’exercice d’une fonction publique », qu’il ne s’agit pas d’une interdiction fondée sur « la réglementation du port de symboles religieux dans des établissements publics » – les écoles – « , dans lesquels le respect de la neutralité à l’égard des croyances peut primer sur le libre exercice du droit de manifester sa religion » et qu’il n’existe pas de menace pour l’ordre public ou de risque de pression sur autrui.
Autrement dit, trois aspects sont ainsi pointés : premièrement, la neutralité nécessaire dans les écoles ; deuxièmement, la sécurité ; troisièmement, la contrainte. Si je comprends bien l’arrêt en question, il s’agit des trois seuls domaines dans lesquels la Cour juge qu’une interdiction peut être appliquée, sans qu’il soit possible d’aller au-delà.
Le risque de censure me semble donc important. J’observe d’ailleurs que, dans une recommandation tout à fait récente, puisqu’elle a été votée le 23 juin de cette année, à la quasi-unanimité – 108 voix pour et 4 abstentions –, le Conseil de l’Europe a demandé à ses quarante-sept pays membres de « ne pas adopter une interdiction générale du port du voile intégral ou d’autres tenues religieuses ou particulières, mais de protéger […] le libre choix des femmes ». On pensera ce que l’on veut de la formulation…. Quoi qu’il en soit, cette recommandation conforte mes craintes. La France n’est pas l’Europe à elle seule, et je me garderai d’ironiser sur le fait que les parlementaires français ont participé à ce vote…
Comprenez bien notre position. Il s’agit, pour nous, non d’affirmer une conviction qui serait contraire à la vôtre, car nous sommes d’accord avec ce texte, mais d’évoquer un risque que je qualifierai d’externe. À titre personnel, je peux le dire, une interdiction générale du port du voile intégral ne me gêne pas, car la limitation de la liberté est acceptable lorsqu’il s’agit de protéger la liberté de tous ; mais il me semble que, eu égard à l’état du droit européen, très influencé, sinon dominé par le droit anglo-saxon – il n’a échappé à personne que ni la Grande-Bretagne ni les États-Unis n’envisagent une quelconque limitation, et encore moins une interdiction –, nous prenons trop de risques. À vouloir trop obtenir, on risque d’aboutir à l’inverse du résultat recherché.
Pour éviter les inconvénients désastreux d’une censure, nous avons déposé un amendement qui vise à réduire l’espace concerné par l’interdiction aux services publics en général et aux seuls lieux publics où la sécurité est directement en cause ou bien l’identification indispensable en raison de risques de fraude.
Si vous acceptez, mes chers collègues, de voter cet amendement, un décret en Conseil d’État fixera la liste nominative des lieux concernés. Je pense notamment aux sorties d’école, aux bureaux de vote, aux lieux d’obtention de prestations sociales ou médicales pouvant donner lieu à des fraudes, aux mairies, en particulier pour l’état civil et les mariages, ainsi qu’aux salles d’examens. On pourrait compléter cette liste par une énumération de commerces particulièrement exposés.
Nous vous proposons donc, mes chers collègues, de voter cet amendement, qui permettrait de donner au texte proposé une bien plus grande sécurité juridique, sans toutefois en changer la nature. Il s’agit pour nous non pas de nous opposer à ce projet de loi, que nous ne désapprouvons pas, comme je l’ai longuement expliqué, mais d’éviter que des difficultés d’application, pouvant aller jusqu’à la censure, n’en fassent un acte proclamatoire purement formel, en clair un acte de simple affichage.
Vous l’avez compris, en aucun cas nous ne nous opposerons au projet de loi qui nous est aujourd’hui proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, les radicaux sont fiers d’avoir contribué à forger l’histoire de la République, dont nous sommes tous aujourd’hui les fils et les filles.
Toujours à l’avant-garde du progrès, nous défendons les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité qui fondent l’égale dignité des hommes et des femmes, guidés par un humanisme auquel nous nous référons en toutes circonstances.
Nous sommes fiers de porter le combat pour la laïcité, en tant que celle-ci permet précisément à des individus d’origines et de cultures différentes de vivre ensemble dans notre société, d’exprimer librement leur religion dans les limites justes et légitimes que la loi fixera, comme le dispose d’ailleurs l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Or ce sont justement ces valeurs cardinales de la République qui sont aujourd’hui remises en cause par une infime minorité qui, sous prétexte d’user de sa liberté religieuse et de son droit à la différence, entend imposer son sectarisme en foulant aux pieds les principes fondamentaux de notre démocratie.
Céder aujourd’hui, ce serait envoyer un signal de faiblesse à destination de ceux-là mêmes qui nient le droit à la dignité des femmes. En d’autres termes, ce serait renier les valeurs que porte notre République. En effet, si celle-ci respecte toutes les religions, aucune d’entre elles ne saurait prétendre la gouverner et lui imposer des comportements qui seraient contraires aux valeurs fondamentales que je viens de rappeler et qui nous unissent tous.
Soyons clairs : s’il ne nous appartient pas, en tant que représentants de la Nation, de nous mêler de préceptes religieux, il est évident, comme l’a confirmé le rapport de la mission d’information de nos collègues députés, que le voile intégral est une pratique directement inspirée de l’idéologie talibane et du salafisme, autant de dérives extrémistes de l’islam qui ne sont absolument pas représentatives de cette religion et de la façon apaisée dont la pratiquent des millions de nos compatriotes.
À l’évidence, le voile intégral, quand bien même son port serait librement consenti, nous heurte d’abord en tant que symbole d’aliénation de la femme. Là où la République affiche une volonté intangible de vivre ensemble par-delà les individualités, le voile intégral est une condamnation à l’enfermement. Son acceptation reviendrait, au final, à renier des siècles de combat républicain pour l’émancipation de la femme, quand bien même, et c’est le cas, il resterait du chemin à parcourir.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Or c’est toujours par la loi que les femmes ont conquis de nouveaux droits contre une société qui leur refusait l’égalité : il en fut ainsi de l’instruction, du droit de vote, de l’égalité entre le mari et la femme, de la libre disposition du corps, de l’égalité professionnelle ou encore de l’égalité face aux mandats électifs.
Mme Nathalie Goulet. Sauf pour le conseiller territorial !
M. Jean-Michel Baylet. Mais le port du voile intégral est également un défi majeur lancé à la République et à sa conception indifférenciée des individus. Cela a été dit, la montée des revendications communautaristes nous inquiète, dans la mesure où certains placent les dogmes religieux au-dessus de l’universalisme des valeurs de la République et même des lois du Parlement. Or il ne peut exister plusieurs citoyennetés et une multitude de droits.
Il y a, certes, beaucoup à dire sur les échecs de notre modèle d’intégration. Et les revendications que nous évoquons aujourd’hui sont aussi le symptôme des inégalités qui continuent à se creuser dans certains quartiers et du racisme, exprimé ou latent, qui handicape toujours la vie de nombre de nos concitoyens.
Pour autant, les radicaux de gauche ne considèrent pas que le repli sur soi puisse apporter une réponse satisfaisante. Bien au contraire, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame avec force que les citoyens, indépendamment de leurs appartenances particulières ou de leurs convictions, ont des droits, mais aussi des obligations qui obéissent au principe d’égalité. Accepter que certains s’affranchissent ostensiblement de la Nation, au seul motif qu’ils appartiennent à des communautés qui auraient des revendications et des droits spécifiques, ce serait remettre en cause l’édifice patiemment et difficilement construit depuis 1789, ce serait accepter que l’humanisme n’est pas universel.
Enfin, mes chers collègues, le port du voile intégral soulève un problème d’ordre public. Et c’est sur ce dernier point, madame le ministre d’État, qu’il nous paraît possible de fonder une loi, même si nous restons réservés sur la rédaction de l’article 4 du présent texte, lequel ne prévoit que le délit de dissimulation forcée du visage n’est constitué que si les faits sont commis en raison du sexe de la victime. Cette restriction nous paraît inutile : selon nous, tous les individus, quel que soit leur sexe, doivent circuler à visage découvert sur le territoire de la République.
Certes, dans son avis du 30 mars dernier, le Conseil d’État a estimé que l’atteinte à l’ordre public ne pouvait suffire à fonder juridiquement une interdiction générale du port du voile intégral, en raison, selon lui, de trop forts risques d’inconventionnalité et d’inconstitutionnalité.
Qu’il me soit permis ici non seulement de remercier cette auguste instance de son analyse, mais aussi de rappeler fortement qu’il appartient toujours au Parlement, représentant de la souveraineté nationale, d’exprimer la volonté générale. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.) En l’occurrence, la loi est là pour poser ou rappeler les principes permettant de rendre possible la vie en société, dans l’égalité et la dignité. Qui plus est, seul le Parlement, élu par la Nation, dispose de la légitimité nécessaire pour réglementer l’exercice d’une liberté publique.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Or, mes chers collègues, la burqa et le niqab sont bien plus que des vêtements religieux : ils constituent un véritable défi à notre entendement et, plus encore, à la raison. Ils véhiculent tout ce que les radicaux et tous les républicains ont combattu depuis des décennies : l’obscurantisme, la réaction, l’intolérance, le dogme, le relatif.
Les radicaux de gauche n’accepteront jamais que les partisans d’une religion entendent faire de leur dogme la loi commune ou même leur loi particulière.
Mme Nathalie Goulet. Ce n’est pas religieux !
M. Jean-Michel Baylet. La laïcité a justement été mise au frontispice de notre République pour combattre toutes les formes d’oppression que véhiculent ces conceptions rétrogrades de la personne humaine. Comme le disait Kant, « l’homme est sorti de son enfance le jour où l’État n’a plus été construit sur le religieux ».
Eh bien, mes chers collègues, c’est cette émancipation que nous réclamons haut et fort ! Ces revendications sont bel et bien une offensive lancée contre la République et la citoyenneté. Se montrer faible aujourd’hui serait la pire des réponses.
Madame le ministre d’État, vous l’aurez compris, c’est dans cet état d’esprit combatif, mais aussi empreint de toute la gravité et du sens des responsabilités qu’exigent la situation, que les radicaux de gauche et l’ensemble de leurs collègues du groupe du RDSE, toujours à l’avant-garde lorsqu’il s’agit de défendre la République et ses valeurs, approuveront votre texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, ce projet de loi doit, à mon sens, être considéré sur le fond, d’une part, sur la forme, d’autre part.
Sur le fond, tout d’abord, il convient de ne pas viser spécifiquement le port de la burqa, c'est-à-dire un signe religieux, dans l’interdiction générale, prévue à l’article 1er, pour toute personne de masquer son visage sur la voie publique. Or il est question ici uniquement de la burqa, alors que, dans une logique de sécurité publique, personne ne devrait être autorisé à se promener masqué, et ce pour éviter que des personnes ne soient agressées par des individus qui ne pourraient même pas être identifiés.
Ces considérations liées à la sécurité publique, très importantes, donnent à mon avis toute sa logique à ce projet de loi et constituent son fondement juridique.
Je ne voudrais pas que l’on réduise le dispositif à une opération dirigée contre certaines pratiques religieuses. Je suis partisan de la laïcité, et la laïcité, c’est avant tout la séparation des religions et de l’État. De fait, il n’appartient pas à l’État de dire que telle pratique de la religion musulmane est opportune et que telle autre ne l’est pas.
Il nous faut donc être très vigilants à cet égard si nous voulons échapper à tout risque de censure de la part du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l’homme. D’ailleurs, certains pays, notamment les États-Unis, ne comprennent pas pourquoi nous faisons une fixation sur la burqa au sens strict.
Pour que la future loi soit acceptée sur la scène internationale, pour qu’elle apparaisse comme une action légitime de l’État, nous devons nous en tenir strictement à la logique de l’article 1er, qui interdit, dans l’espace public, de dissimuler son visage, en toute hypothèse, en toutes circonstances, quelle que soit la finalité. C’est pourquoi il est quelque peu dommage que certains intervenants aient vu dans l’article 1er une disposition dirigée contre la seule burqa.
Je voterai cet article comme je voterai ce projet de loi, mais gardons-nous d’être trop restrictifs.
Ma seconde remarque porte sur la forme. Nous ne pouvons faire abstraction de l’environnement international, des positions exprimées dans les autres pays européens, dans les pays arabes, aux États-Unis, etc. Aussi, lorsque l’on traite des problèmes de sécurité, il conviendrait d’éviter les polémiques systématiques et de se dispenser de toute gesticulation politicienne. Cela vaut pour le débat sur la burqa, mais je pense aussi à la politique du Gouvernement, politique que je soutiens par ailleurs, visant à expulser des gens qui n’ont rien à faire sur notre territoire. En revanche, il n’est pas nécessaire que le Président de la République ou certains ministres gesticulent à tout va et ameutent les foules pour annoncer l’affrètement de charters ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean Louis Masson. C’est pourquoi il faut envisager ce projet de loi comme un moyen d’éviter la création de sous-structures ou de communautarismes, dans une logique d’intérêt national, de solidarité et d’unité. De part et d’autre, n’en faisons pas une opération de politique politicienne, une opération de gesticulation, car c’est ce qui pourrit bien souvent le climat politique national.
En conclusion, je voterai ce projet de loi compte tenu de son article 1er, qui pose l’interdiction du port, dans l’espace public, de toute tenue destinée à dissimuler le visage, et pas seulement de la burqa. Il s’agit là d’un problème de sécurité. C’est pourquoi, dès lors que la loi sera promulguée, il faut que la police ait les moyens d’intervenir non seulement auprès de femmes qui porteraient la burqa, mais aussi contre les personnes participant, cagoulées, à des manifestations violentes. Or personne n’en parle, et, pourtant, nous avons tous en tête les images de ces bandes de casseurs ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Troendle. Il existe déjà un texte !
M. Jean Louis Masson. Il est dommage que le débat se soit focalisé sur la burqa, car il est important d’avoir aussi à l’esprit ces casseurs encapuchonnés ou masqués qui infiltrent systématiquement des manifestations. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, voici ce que déclarait, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, le 22 juin 2009, le Président de la République : la burqa « ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République française. Nous ne pouvons pas accepter dans notre pays des femmes prisonnières derrière un grillage, coupées de toute vie sociale, privées de toute identité. »
Le projet de loi qui est soumis à notre examen aujourd’hui est ainsi l’occasion pour nous de rappeler avec force la prééminence des valeurs de notre République sur certaines pratiques communautaristes qui heurtent au plus profond notre démocratie.
En effet, le fait de dissimuler son visage, de manière permanente, dans l’espace public est contraire aux valeurs fondamentales de notre République. En inscrivant que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage », le présent texte vise en ce sens à préserver le socle de notre pacte républicain : « Liberté, égalité, fraternité. »
Ainsi, notre idéal de fraternité comprend l’exigence minimale de civilité nécessaire au « vivre ensemble ». Or, dans le cas du voile intégral, toute relation sociale est refusée, même le simple échange visuel.
À cet égard, le témoignage d’une journaliste de Paris Match, qui a porté le niqab pendant une journée, est saisissant : « Je n’existe plus. Je suis le fantôme de moi-même et cette vision me plonge soudain dans un profond mutisme. Je me sens coupée du monde. »
Par ailleurs, le présent texte cherche à protéger les valeurs essentielles que sont la dignité des personnes et l’égalité entre les hommes et les femmes, valeurs qui trouvent un fondement constitutionnel solide, ainsi que l’a souligné le Conseil d’État dans son avis rendu le 12 mai dernier.
Nous ne pouvons tolérer, mes chers collègues, madame le ministre d’État, que certains de nos concitoyens, ou plutôt, devrais-je dire, certaines de nos concitoyennes, ne soient pas protégées de ces atteintes à leur intégrité et soient ainsi mises au ban de la société.
À ce titre, je souhaiterais insister sur la revendication de certaines femmes qui prétendraient avoir fait, en toute liberté, le choix de porter le voile intégral.
Ne nous laissons pas influencer par ce genre de discours. Souvent sous l’emprise de fondamentalistes, victimes de harcèlements ou de violences au sein de leur famille, ces femmes sont contraintes de porter cette tenue à cause des pressions qu’elles subissent dans leur environnement.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Catherine Troendle. Même prétendument volontaire ou accepté, le voile intégral ne consiste en vérité qu’en une forme de réclusion publique. Il ne réside aucune liberté dans le fait de dissimuler son visage. La dignité est l’une des premières libertés dans notre patrie des droits de l’homme, c’est notre héritage humaniste.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
Mme Catherine Troendle. Nos valeurs fondamentales doivent nous interdire de faire valoir cette contrainte, cette prison, ce signe d’aliénation, sous couvert de liberté !
Pour ces femmes, l’interdiction généralisée constituera une protection nouvelle face aux pressions sociales. Et c’est là la véritable liberté !
Je ne partage pas l’interprétation que fait le Conseil d’État, dans l’avis qu’il a rendu, de la jurisprudence européenne relative au principe d’autonomie personnelle. Ce principe correspond à l’idée selon laquelle chacun peut mener sa vie selon ses convictions et ses choix personnels, y compris en se mettant physiquement ou moralement en danger.
Cependant, ce principe doit être mis en perspective avec trois éléments majeurs : le principe de subsidiarité, qui permet aux États membres de l’Union européenne de conserver une marge d’interprétation ; le fait que ce projet de loi ne vise aucune croyance de manière spécifique, mais incrimine la dissimulation du visage en général ; le constat que d’autres pays européens envisagent la même évolution législative.
S’agissant de ce dernier point, comme cela est souligné dans l’excellent document de travail réalisé au sein de la Haute Assemblée sur le port de la burqa dans les lieux publics, en plus des interdictions de portée limitée existant d’ores et déjà en Allemagne, en Belgique, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, certains de nos voisins européens, tels que l’Italie, l’Espagne, le Danemark ou la Suisse, étudient actuellement la possibilité d’introduire une interdiction générale dans l’espace public.
Quant à la validité de ce projet de loi au regard du texte suprême, le groupe UMP est convaincu qu’il n’existe pas de risque juridique majeur, et je vais m’en expliquer.
La défense de l’ordre public ne saurait se fonder uniquement sur un ordre matériel à travers la préservation de la tranquillité, de la salubrité ou de la sécurité ; elle doit aussi être un rempart contre toutes les formes d’atteintes à l’unité de notre nation. C’est cette notion « immatérielle » qui fonde des interdictions générales telles que la prohibition de l’exhibition sexuelle dans l’ensemble des lieux publics et que nous devons promouvoir en l’espèce.
À ce titre, je tiens à souligner l’excellent travail de notre rapporteur, François-Noël Buffet, qui a su développer de manière juste les fondements juridiques de ce projet de loi, faisant de celui-ci un texte équilibré entre prévention, dissuasion et répression.
De plus, adopter un nouveau texte en la matière nous apparaît nécessaire. Il est vrai que la dissimulation du visage est déjà prohibée dans deux situations au nom du principe de laïcité : pour les agents publics dans l’exercice de leurs fonctions et dans les établissements d’enseignement public. Ces dispositions sont cependant insuffisantes et inadaptées, car elles ne répondent pas aux interrogations liées, non pas à la laïcité, mais à la dignité des personnes et à l’égalité entre les hommes et les femmes.
C’est surtout pour éviter toute forme d’amalgame que seule une interdiction générale est la solution envisageable.
D’une part, viser expressément l’interdiction du voile intégral dans l’espace public reviendrait à stigmatiser les personnes de confession musulmane, ce qui est tout sauf l’objet de ce projet de loi. D’autant plus que le Conseil français du culte musulman a condamné cette pratique par la voix de son président, Mohammed Moussaoui. Ce dernier a affirmé que le port du voile intégral « n’est pas une prescription religieuse, mais une pratique minoritaire et extrême dont nous ne souhaitons pas qu’elle s’installe sur le territoire national ».
D’autre part, privilégier des interdictions partielles dans certains espaces publics paraît inapplicable dans la pratique, a fortiori pour les maires et les forces de l’ordre dans l’exercice de leurs fonctions.
M. le rapporteur fait état d’une situation dont les chiffres sont difficiles à appréhender. Toutefois, certaines statistiques sont révélatrices de ce phénomène en augmentation depuis une dizaine d’années, en France et dans d’autres pays européens.
Ainsi, près de 1 900 femmes, dans notre pays, dissimulent de manière permanente leur visage dans l’espace public à l’aide d’un voile intégral, plus de 90 % d’entre elles ayant moins de quarante ans, et certaines étant mineures. C’est d’ailleurs pourquoi les députés ont prévu de porter les peines à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 euros d’amende lorsque la dissimulation forcée concerne une mineure. Je m’en réjouis tout comme mes collègues du groupe UMP.
Après l’adoption à l’unanimité par le Sénat de la proposition de loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, le projet de loi présenté aujourd’hui est une nouvelle avancée vers un plus grand respect de la dignité de la femme.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Madame la présidente, madame le ministre d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le débat sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public concerne non pas, de façon anecdotique, quelques centaines ou quelques milliers de personnes, mais notre société et, surtout, l’idée que l’on peut se faire de la France.
La discussion que nous avons aujourd’hui est fondamentale, car elle nous invite à nous poser des questions de fond sur la façon dont nous concevons, dans notre Nation, le « vivre ensemble » et sur les valeurs de ce « vieux pays », comme pourraient dire les Américains, qu’est la France.
Nous sommes tous, et jusqu’à maintenant, issus d’horizons très différents : sans remonter aux Wisigoths, aux Ostrogoths et autres Burgondes, notre pays est le melting pot par excellence de tribus, de races, de peuplades qui, au fil des siècles, a progressivement donné naissance sur ce territoire hexagonal à un peuple riche de la diversité de ses origines.
Au-delà des hommes, la France a été historiquement profondément façonnée par une culture judéo-chrétienne millénaire qui s’est enrichie au cours du siècle des Lumières dans sa réflexion, sa diversité et, surtout, sa tolérance au point que la Révolution française a été la première dans le monde à créer cet être original, étrange à tous égards, qu’est le Citoyen, et je l’entends avec un « c » majuscule.
Cet être asexué dont on ignore les mœurs, la religion, la couleur de peau ou les convictions politiques est le fondement de la République et donc de nos valeurs, aujourd’hui encore.
Le génie de la France, par cette invention, a permis de transcender les différences individuelles. Chers collègues, gardons-nous de porter atteinte à cette avancée de la liberté et de l’égalité !
Si quantité de pays, de nations n’ont toujours pas découvert ce symbole démocratique, la France peut néanmoins être fière de cette création porteuse des symboles d’universalisme et de fraternité qui sont nos fondements moraux.
En 1905, face aux menées cléricales de certains cercles traditionalistes catholiques, la loi de séparation des Églises et de l’État a marqué un coup d’arrêt et a confirmé le caractère laïque de notre République et son ouverture à tous, autant à ceux qui croyaient au ciel qu’à ceux qui n’y croyaient pas.
Dans le cadre de cette tradition, notre démocratie, qui n’a pas à rougir de ses valeurs – bien au contraire ! –, a le droit et le devoir de réagir à nouveau au moment où cette vision du monde façonnée par notre histoire peut être mise en cause par des actions de groupuscules qui, à l’évidence, ne partagent pas nos idéaux républicains.
Madame le ministre d’État, chers collègues, souvenons-nous qu’il y a quelques années l’union républicaine et laïque de tous a su faire face avec succès à l’offensive similaire des signes religieux dans nos écoles, au point qu’aujourd’hui - je parle sous le contrôle de tous ici - ce sujet n’est plus d’actualité.
La République a des valeurs ; elle a su faire passer le message à l’époque. Pourquoi ne saurait-elle pas le faire passer aujourd’hui ?
Cette précédente réaction nous montre la marche à suivre pour maintenir dans notre pays les valeurs qui sont les nôtres face à l’intégrisme, à tous les intégrismes, d’où qu’ils viennent, en l’occurrence, plus précisément, une forme de prosélytisme à caractère d’ailleurs plus politique que religieux.
Chers collègues, notre attitude est d’autant plus fondée que les autorités religieuses musulmanes au plus haut niveau ne rangent pas le port du voile intégral parmi les prescriptions de l’islam, ce qui montre bien que notre action est dirigée non pas contre une religion mais contre des dérives fondamentalistes, ce qui est totalement différent !
Concrètement, la dissimulation du visage heurte notre société. Les Français sont opposés pour 82 % d’entre eux à la dissimulation du visage.
Comme l’a très bien montré notre rapporteur, François-Noël Buffet, et comme l’a confirmé par ailleurs Mme Élisabeth Badinter, bien qu’elle soit de sensibilité différente, « le visage n’est pas le corps et il n’y a pas, dans la civilisation occidentale, de vêtement du visage ».
Cette attitude, en mettant en cause la relation à autrui et la réciprocité d’un échange s’opposerait directement aux exigences du « savoir vivre ensemble », exigences qui s’imposent à chacun, quelle que soit sa confession.
De plus, au-delà de la mise en cause de la relation à autrui, la dissimulation du visage porte directement atteinte à la dignité de la personne, ce qui constitue, nous semble-t-il, une base constitutionnelle incontestable pour l’interdiction prévue, d’autant qu’elle est limitée à l’espace public, je le rappelle.
De même, le Conseil d’État a relevé que le respect de la dignité de la personne humaine fait partie intégrante de l’ordre public. Je rappelle que le 27 juin 2008 – c’est récent – le même Conseil d’État a rejeté la requête d’une Marocaine qui s’est vu refuser l’accès à la nationalité française en raison de sa pratique religieuse radicale, qui incluait le port de la burqa.
L’ordre public est également mis en cause du fait de l’impossibilité d’une identification, laquelle concerne d’ailleurs tous les modes possibles de dissimulation du visage, et toutes les justifications, alors même que les préoccupations de sécurité aujourd’hui sont maximales pour nos concitoyens.
Alors, oui, comme l’a dit M. le Premier ministre, « l’enjeu en vaut la chandelle ».
Aussi, à la lumière des différents arguments que je viens d’exposer et compte tenu des principes qui fondent notre pacte républicain et du contrat social qui nous lie tous, il me paraît plus que jamais indispensable de défendre, à travers l’approbation de ce texte, nos valeurs fondamentales et de combattre le communautarisme d’où qu’il vienne, car si celui-ci devait se développer, il porterait un coup fatal à notre modèle d’intégration à la française. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je m’exprimerai au nom des sénateurs du Parti de gauche du groupe CRC-SPG.
Tout d’abord, avant de vous exposer notre position sur ce projet de loi, nous tenons à souligner que nous regrettons la façon dont ce projet de loi a été mis en scène, et nous souhaitons marquer notre distance vis-à-vis des membres de la majorité qui se veulent aujourd’hui les grands défenseurs des droits des femmes et de la dignité humaine, alors même que ce sont eux qui, aujourd’hui comme hier, s’attaquent à ces principes républicains.
J’en viens à notre position en faveur de l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public.
Le port du voile intégral est avant tout un traitement dégradant pour la femme qui le porte. En premier lieu, il réduit les femmes à être un simple objet sexuel, une proie sexuelle potentielle. Comme il serait ennuyeux de crever les yeux des hommes, seule la dissimulation permet de soustraire l’objet du désir à la concupiscence naturelle, et donc légitime, de tous ceux qui le regardent.
J’ajouterai qu’il est également dégradant pour les hommes d’être perçus comme de simples prédateurs obsédés par le sexe opposé.
En voilant sa femme, l’homme s’octroie le droit exclusif de la regarder, possédant un « droit de regard » qui va naturellement de paire avec le « droit d’user et d’abuser ».
Or un être humain ne peut être la propriété d’un autre. Cela est fondamentalement contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui proclame que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. C’est également contraire à l’article 1er de la Constitution, qui garantit que la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
Dans une République, la volonté de vivre ensemble suppose l’acceptation du regard d’autrui, la possibilité de voir et d’être vu par les autres. Dès lors, la femme voilée est niée comme personne particulière puisque son voile annonce qu’elle n’existe pas, non seulement parce qu’il est impossible de l’identifier, mais aussi parce que, étant consciente de ce fait, elle proclame ainsi qu’elle se nie elle-même en tant que sujet autonome.
Donner le spectacle d’une telle auto-humiliation est un trouble manifeste à l’ordre public. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Je ne m’avance donc pas outre mesure en affirmant que, dans cette assemblée, chacun s’est déjà senti mal à l’aise en croisant ces malheureuses femmes soumises dans leur accoutrement de la honte.
Certains nous disent qu’une telle loi stigmatiserait les femmes concernées et contribuerait à les enfermer davantage à la maison. On ne saurait pourtant accuser le législateur de stigmatiser des femmes qui se stigmatisent elles-mêmes !
D’autres soutiennent que, pour certaines femmes, le port du voile intégral serait un compromis leur permettant de sortir de chez elles, et que son interdiction les obligerait à rester au foyer. Nous pensons au contraire que la loi permettra à celles qui sont soumises et contraintes à porter le voile intégral de s’appuyer sur le droit pour ne plus le porter.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Marie-Agnès Labarre. De plus, on ne peut nier que le port du voile intégral en public n’est en rien une pratique purement personnelle puisqu’il a des incidences importantes sur l’environnement des personnes. Le voile intégral a en effet une fonction idéologique et politique. Il est un moyen pour ses promoteurs d’imposer leur loi « particulière » dans l’espace public à la place de la loi commune. Ainsi, dans la logique des intégristes, il s’agit de cette façon de pointer du doigt toutes celles qui ne portent pas le voile intégral, de jeter sur elles le doute et la suspicion.
Nous avons également entendu dire que la loi aurait dû s’appliquer non pas dans tous les lieux publics mais uniquement dans les services publics. Cela reviendrait cependant à découper notre territoire en différents espaces, les traitements dégradants étant ici acceptés et là interdits. Faudrait-il demander aux postiers, aux infirmières et à tous les représentants des services publics de jouer le rôle de la police ? Vous voyez bien que ce n’est pas sérieux !
D’autres vont nous reprocher de voter avec la droite.
Mme Christiane Hummel, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Avec les femmes !
Mme Marie-Agnès Labarre. C’est vrai qu’il nous est difficile d’accepter ce genre de consensus, surtout lorsque le parti de la majorité n’y appelle pas pour de bonnes raisons.
À cette objection je réponds cependant qu’il ne faut pas oublier toutes nos camarades de la gauche de transformation sociale qui luttent dans leur pays pour l’interdiction du voile intégral, ce voile de la honte et de l’humiliation.
En adoptant ce texte, nous adressons un signe à celles qui se battent et luttent tous les jours contre une pratique archaïque et profondément dégradante pour le genre humain. Le port du voile intégral est pour nous un symbole indéniable d’aliénation et d’oppression de la femme.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Marie-Agnès Labarre. Nous nous alarmons donc des dérives obscurantistes que des siècles de lutte avaient réussi à faire plier.
C’est pour toutes ces raisons que les sénateurs du Parti de gauche se prononceront en faveur de ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la question du voile intégral dans l’espace public nous préoccupe tous et toutes.
Elle nous interpelle en tant qu’élues, mais également en tant que femmes et en tant que militantes contre le sexisme et le racisme. Ma pensée va donc en premier lieu vers ces femmes qui, au quotidien, luttent inlassablement contre la tyrannie de certains régimes qui ont érigé une telle pratique en prescription religieuse et en ont fait un instrument de domination masculine.
Ces femmes, en Afghanistan ou dans d’autres pays, nous regardent et observent la manière dont nous appréhendons, à sa juste mesure, ce phénomène singulier.
Le voile intégral questionne notre capacité à élaborer des réponses adaptées et proportionnées à des phénomènes certes marginaux, sectaires, mais qui portent en eux les germes de l’exclusion de la femme et de son enfermement physique et psychique.
Je le dis donc avec conviction, même si un débat a eu lieu entre nous sur la nécessité ou non de faire intervenir la loi, les parlementaires Verts s’opposent, de manière totale et sans équivoque, au port du voile intégral.
Un sénateur de l’UMP. Bravo !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous sommes solidaires de toutes les femmes opprimées, en France comme à l’étranger, et réaffirmons notre détermination à lutter contre toutes les formes de sexisme qui oppriment et discriminent les femmes.
Pour autant, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté aujourd’hui résonne de manière particulière. En effet, nous devons nous interroger sur la manière dont le débat sur le voile intégral a surgi en France et sur le contexte, alarmant, dans lequel il nous est présenté.
Ce contexte est celui de l’orientation sécuritaire de la politique du Gouvernement. Hier la LOPPSI, aujourd’hui la burqa, demain la loi sur l’immigration : le calendrier parlementaire traduit, à lui seul, une démarche d’amalgame et de stigmatisation mise en œuvre par la droite pour livrer à la vindicte populaire des coupables tout désignés, responsables de tous les maux de notre société.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Dans un contexte d’islamophobie galopante, le Gouvernement ravive des peurs, alimente des fantasmes, entretient volontairement un amalgame intolérable entre immigration et délinquance, entre burqa et islam, attisant ainsi une xénophobie jamais égalée sous la Ve République. (Murmures sur les travées de l’UMP.)
Tel est le contexte dans lequel le débat sur la burqa a surgi : celui d’une surenchère sécuritaire, sur fond de débat sur l’identité nationale, qui fabrique de la peur et qui instrumentalise un fait de société à des fins électoralistes. (Protestations sur les mêmes travées.)
Le Gouvernement, qu’il le veuille ou non, a confessionnalisé le débat sur la burqa, laissant croire aux citoyens qu’il fallait expliquer le port de ce vêtement par une radicalisation de l’islam en France.
Non, la burqa n’a rien à voir avec l’islam ! Merci, madame la ministre, de l’avoir rappelé tout à l’heure. C’est une grave erreur de prétendre le contraire, qui assimile une religion au fanatisme, au sectarisme, et qui nourrit en réalité l’extrémisme.
Ne donnons pas aux extrémistes de tous bords l’occasion d’affirmer que l’interdiction de la burqa est une atteinte à la liberté religieuse : non, la burqa n’a rien à voir avec la liberté religieuse, pas plus qu’elle n’a à voir avec la religion ! Il faut le rappeler encore et encore : la burqa est étrangère à l’islam. Elle ne saurait découler d’une prescription religieuse.
Dès lors, nous pensons qu’il faut détacher le débat sur la burqa de la question de la laïcité. Il n’est pas question de remettre en cause celle-ci ; au contraire, nous voulons la réaffirmer. Mais nous sommes ici devant un piège dangereux : on assimile une pratique sectaire, qu’il faut combattre, à la religion musulmane, qu’il faut respecter.
Cet amalgame a pourtant largement été entretenu par les médias et par certains membres du Gouvernement, ayant trouvé en la personne d’un citoyen nantais l’occasion d’afficher leur détermination : on a ainsi vu l’islam associé à la burqa, à la polygamie, à la délinquance et à la fraude aux prestations sociales. C’est scandaleux ! Il faut lutter contre les raccourcis de ce genre, par lesquels on entretient délibérément une confusion intolérable, nourrissant les divisions et la haine, libérant la parole raciste.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Alima Boumediene-Thiery. J’en viens maintenant au texte qui nous est présenté.
Nous nous interrogeons, légitimement, sur sa conformité aux engagements européens et internationaux de la France, ainsi que sur son applicabilité.
Que le port de signes extérieurs soit interdit dans des circonstances particulières strictement déterminées est une chose, mais une interdiction générale et absolue dans l’espace public en est une autre, qui ne manquerait pas de soulever de réelles difficultés juridiques.
Oui, le Conseil d’État a clairement affirmé son opposition à une telle interdiction générale. Il faut donc prendre en considération cette position, tout comme il convient d’évaluer la conformité de ce dispositif à la Convention européenne des droits de l’homme.
Il est absolument erroné de considérer a priori qu’une telle interdiction est légale du point de vue de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, l’interdiction du voile intégral implique une restriction générale et absolue aux droits protégés par celle-ci. Cette convention nous impose d’évaluer la proportionnalité d’une telle interdiction à l’objectif visé par la loi. Est-elle prononcée au nom du respect d’un nouvel ordre public immatériel ? Est-ce au nom du principe de l’égalité entre l’homme et la femme ?
Le texte du projet de loi ne s’embarrasse pas d’une telle précision : l’interdiction n’est assortie d’aucun objectif légitime propre à la justifier. Or, mes chers collègues, une telle omission ne manquera pas d’entraîner une censure, tant les atteintes à la liberté individuelle doivent être strictement justifiées et proportionnées aux risques encourus.
Il convient, dès lors, de justifier juridiquement les raisons de cette interdiction : la loi ne s’accommode pas des évidences. Pis encore, elle peut, par son silence, avoir des effets pervers. En effet, si elle peut aider certaines femmes, elle peut aussi donner aux hommes un argument supplémentaire pour enfermer les leurs.
À ce titre, la question de l’égalité homme-femme aurait pu fournir une justification suffisante et pertinente. Nous devons, en effet, combattre toutes les formes de discrimination vécues par les femmes, en France comme ailleurs.
À ce propos, nous aurions souhaité que le Gouvernement fasse preuve d’autant de zèle pour lutter contre toutes les autres formes de discrimination subies par les femmes ! Il aurait pu, par exemple, abandonner son projet de loi portant réforme des retraites (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP), qui, de ce point de vue de l’égalité entre les sexes, traduit une régression majeure puisqu’il approfondit encore un peu plus la discrimination intolérable que vivent les femmes !
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est bien essayé !
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’inégalité entre l’homme et la femme, c’est également le scandale de l’inégalité salariale, auquel nous devons rapidement mettre un terme.
Lutter contre l’inégalité entre l’homme et la femme impose également à la France de réaffirmer, dans ses relations diplomatiques, son opposition aux régimes qui humilient et persécutent les femmes. Dénonçons ensemble les accords bilatéraux avec les États qui oppriment et discriminent les femmes, qui les persécutent ou les lapident, comme Sakineh a pu l’être ! (M. Jean-Paul Virapoullé applaudit.)
M. Roland Courteau. Vous avez raison !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Alima Boumediene-Thiery. La France a beaucoup à faire pour assurer l’égalité homme-femme ; c’est le combat d’une vie, notre combat à toutes et à tous, permanent, entier et sincère.
Malheureusement, le texte que vous nous proposez aujourd’hui n’est, en revanche, pas très sincère. Il est l’œuvre d’une manipulation, d’une opération médiatique, d’une instrumentalisation sans pareille dans notre paysage politique.
Nous savons qu’une réponse adaptée au phénomène du voile intégral doit être trouvée, mais cette réponse ne résultera pas d’un projet de loi de circonstance, rédigé dans la seule perspective de surfer sur les eaux nauséabondes d’une politique sécuritaire et discriminatoire !
Nous ne voterons pas contre ce texte, car il répond partiellement à une attente de nos concitoyens, que nous comprenons.
Nous ne voterons pas non plus pour ce texte, car il n’est pas le fruit d’une réflexion aboutie sur ce phénomène du voile intégral et n’apporte aucune véritable solution aux femmes concernées.
Parce que, aujourd'hui, ils refusent de participer à l’instrumentalisation politique et électoraliste de nos grands principes fondamentaux, tel celui de l’égalité entre les hommes et les femmes, les parlementaires Verts ne prendront pas part au vote. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’histoire de la République est, d’abord, celle de l’émancipation des individus de l’asservissement dans lequel l’obscurantisme, sous toutes ses formes, les avait plongés. Les radicaux peuvent s’enorgueillir d’avoir contribué à ce que ce projet politique ait été bâti sous l’empire de la raison.
La laïcité est un des principes de l’État, un bloc de granit jeté sur le parvis de la République : elle garantit la libre expression des convictions religieuses par la neutralité de l’État. Mais cette liberté religieuse possède des limites inhérentes au maintien des principes et valeurs qui garantissent le pacte républicain. Tels sont les termes de notre débat d’aujourd’hui, et je suis de ceux qui estiment que le principe de laïcité est au cœur du présent texte !
Malgré des décennies de lutte pour le progrès et l’avènement de l’égalité entre tous, notre vigilance doit rester intacte, comme le prouve la question du port du voile intégral dans la France du xxie siècle. N’y aurait-il, dans notre pays, qu’une seule burqa, la République devrait s’interroger, car la burqa est le symbole de l’intégrisme et du totalitarisme religieux.
Mme Nathalie Goulet. Non !
M. François Fortassin. Elle ne cesse de constituer un défi aux valeurs qui fondent notre pacte républicain, à la volonté de vivre ensemble dans le creuset national qui sont le bien commun de notre démocratie.
À l’indignité, à l’inégalité entre les hommes et les femmes, au sectarisme, au repli sur soi, nous opposerons toujours la force de l’égalité entre les citoyens, la dignité de la personne humaine et l’humanisme universel.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Louis Nègre. Bravo !
M. François Fortassin. La République doit se concevoir à visage découvert : nous ne saurions donc admettre le port de tenues visant à dissimuler le visage dans l’espace public, quelles qu’en soient les raisons.
En tant que représentants de la nation, nous avons la légitimité nécessaire pour adresser aujourd’hui un message solennel à tous ceux qui entendent s’attaquer aux fondements des valeurs universelles de la démocratie et qui affichent ostensiblement un rejet de la République. Qu’ils sachent que notre détermination sera totale !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. François Fortassin. La revendication du port du voile intégral est d’abord le symptôme d’une conception rétrograde de la place de la femme dans la société, un symbole de la négation de sa dignité.
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. François Fortassin. Tant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que le préambule de la Constitution de 1946 énoncent le principe de la stricte égalité entre les hommes et les femmes, quelles que soient leur origine, leur opinion et leur religion. Cela n’est pas négociable ! (Marques d’approbation sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme Nathalie Goulet. Sauf pour le conseiller territorial ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Accepter aujourd’hui le voile intégral dans l’espace public reviendrait à renier des décennies de combat pour l’émancipation de la femme, un combat d’ailleurs toujours d’actualité.
M. Yvon Collin. Ô combien !
M. François Fortassin. Aujourd’hui, ces femmes voilées sont confinées dans un véritable isoloir social. Et cela non plus, nous ne pouvons l’admettre !
M. François Fortassin. Allons-nous demain accepter que des horaires soient réservés aux femmes dans les piscines ? (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nathalie Goulet. Oui !
M. François Fortassin. Allons-nous demain accepter que des femmes refusent de se faire examiner par des médecins hommes ? (Non ! sur diverses travées. – Mme Nathalie Goulet manifeste également son opposition.) Allons-nous accepter que des jeunes filles soient dispensées de cours d’éducation physique dans les lycées de notre République ? (Mêmes mouvements.)
M. Louis Nègre. Sûrement pas !
M. Roland Courteau. Pas question !
M. François Fortassin. Ce serait ouvrir la voie à une forme de ségrégation revendiquée, alors même que la République a toujours refusé que l’on puisse porter atteinte à sa propre dignité.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. François Fortassin. Enfin, je formulerai une remarque plus légère, mais à mon avis importante : le port du voile, c’est la négation de la grâce féminine ! (Exclamations amusées.) C’est la négation de toute notion de mode ! Pourrait-on voir une rivière de diamants sur la gorge d’une piquante Andalouse si elle portait le voile intégral ? (Sourires.)
Le port du voile intégral est une dérive communautariste que nous réprouvons. Il n’y a dans notre pays qu’une seule communauté, celle des citoyens.
Naturellement, nous sommes conscients que légiférer sur cette question suppose de prendre des précautions juridiques. Il ne serait pire signal que d’adopter un texte qui puisse être censuré.
Comme cela a été rappelé par de nombreux orateurs, aucun précepte de la religion musulmane n’impose le port du voile : c’est de l’intégrisme pur et simple, c’est réduire la femme à une forme d’indignité totalement inacceptable ! À ce propos, les remarquables travaux de la mission d’information de l’Assemblée nationale ont permis d’entendre toutes les opinions et d’éclairer avec pertinence la réflexion de la représentation nationale et, au-delà, celle de tous nos concitoyens.
La loi constitue un dernier recours nécessaire pour rappeler solennellement la primauté des valeurs républicaines. Ce projet de loi souligne ainsi, avec gravité, que ces valeurs mettent en relief l’ordre public, la dignité de la personne et l’égalité entre les sexes. Il s’appuie plus particulièrement sur l’ordre public sociétal, que le Conseil d’État a défini comme le « socle commun minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société, qui sont à ce point fondamentales qu’elles conditionnent l’exercice des autres libertés et qu’elles imposent d’écarter, si nécessaire, les effets de certains actes guidés par la volonté individuelle ».
J’approuve, bien entendu, cette déclaration.
Les femmes qui portent le voile ne sont pas des coupables ; elles sont avant tout des victimes d’un environnement sociétal rétrograde, d’un quasi-conditionnement. Aussi la loi doit-elle être utilisée avec fermeté, mais avec discernement, afin de respecter la dignité de ces femmes.
La République ne doit pas faiblir face au défi qui lui est aujourd’hui opposé. Une démission serait la pire des réponses à ceux qui souhaitent, en réalité, engager la déconstruction de l’universalisme des Lumières hérité de 1789.
Nous sommes conscients de la responsabilité presque historique qui nous incombe aujourd’hui : celle de rappeler une nouvelle fois l’égale dignité des femmes et des hommes au travers de notre volonté de vivre ensemble.
Nous voterons donc ce projet de loi, comme pourraient le voter tous les républicains, afin de faire reculer l’obscurantisme et le sectarisme, de faire triompher les valeurs de laïcité et les principes de dignité de la personne. Nous considérons en effet que ce texte dépasse les clivages traditionnels. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.
M. Jean-Paul Alduy. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je vais vous donner lecture du texte de l’intervention de Melle Sophie Joissains, empêchée.
« Permettez-moi d’égrener, au sein de ce débat, les quelques convictions principales qui me poussent à voter ce projet de loi, et cela sans empiéter sur l’excellent travail, que je salue, réalisé tant par le président Jean-Jacques Hyest et la commission des lois que par notre rapporteur, François-Noël Buffet.
« D’abord, avant tout juriste, je crois sincèrement qu’une loi est nécessaire en la matière. Pourquoi ? Seul le Parlement, élu par la nation comme émanation du peuple, dispose de la légitimité nécessaire pour réglementer l’exercice d’une liberté publique. C’est bien là notre maxime : “ Par le peuple, pour le peuple et avec le peuple ”.
« Je crois que le Conseil d’État a donné une définition suffisante de l’ordre public immatériel ou sociétal, point qui a fait couler autant d’encre que de salive, pour que cette notion soit consacrée ; à nous maintenant de la légitimer par une loi.
« À ceux qui avancent l’argument numérique, prétextant que seules 2 000 personnes sont concernées, je rétorque la phrase de Montesquieu : “ Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous. ” Aucune écorchure à la face de notre République ne doit être tolérée, au risque de menacer l’édifice tout entier.
« Le premier point essentiel à mes yeux est que ce projet de loi pose le débat sur le plan sécuritaire. Ce texte interdira à tous les citoyens la dissimulation volontaire et permanente d’identité, de quelque manière que ce soit, avec les quelques exceptions nécessaires. Cette approche permet de traiter tous les citoyens de la même manière, principe d’égalité, comme l’énonce notre Constitution, puisque tous les hommes naissent libres et égaux en droit.
« Car la France se vit à visage découvert, pour tous, lorsque nous sommes dans l’espace public. Quels sont ces lieux, finalement ? Tous ceux où la société s’exprime dans son ensemble, où l’on vit ensemble ; bref, toutes les agoras où l’expression des droits liés à la vie privée ne peut être absolue.
« En un mot, la République est une et indivisible, et les lieux publics sont les lieux privilégiés d’expression de ce fondement de notre société. Aucun comportement mettant en cause notre cohésion n’y est toléré, et ce projet de loi renforce cette réalité juridique en interdisant d’y dissimuler son visage.
« Pourquoi est-ce si important de ne pas cacher son visage ?
« Parce que dans les sociétés libres et démocratiques prévaut en principe la règle, implicite mais élémentaire, selon laquelle nul échange entre les personnes, nulle vie sociale n’est possible, dans l’espace public, sans réciprocité du regard et de la visibilité : les personnes se rencontrent et entrent en relation à visage découvert.
« En France, le pacte social trouve son expression juridique fondamentale dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont l’article 4 affirme que “ la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ”. Or, comme cela a été affirmé devant la mission d’information de l’Assemblée nationale, qui cache son visage nuit à autrui “ en lui signifiant qu’il n’est pas assez digne, pur ou respectable ” pour se présenter à lui à visage découvert.
« Consécutivement, la dissimulation du visage est donc une atteinte à la dignité de la personne humaine, ce que notre Constitution condamne lorsqu’elle dispose que “ la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ”.
« Ainsi, porter un masque, une cagoule ou un voile intégral remet en cause le lien social qui unit chaque individu à la collectivité qui l’entoure. Notre société française est diverse, et riche de sa diversité, chaque personne y est différente et différenciée. Briser cette réalité en prônant une uniformisation reviendrait à condamner notre modèle républicain et notre pacte social. Ne nous y trompons pas, c’est bien de cela qu’il s’agit.
« Sécurité et égalité dans l’espace commun des lieux publics sont indispensables à la liberté et à la dignité de la personne humaine.
« J’ajouterai un mot sur la laïcité.
« J’ai été surprise d’entendre certains orateurs vouloir limiter sa portée. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur la traduction juridique de la laïcité, qui s’organise autour de trois principes : la neutralité de l’État, la protection de la liberté de conscience, notamment religieuse, et le pluralisme des cultes.
« À ceux-là, je voudrais demander de bien vouloir considérer les positions prises par le président de l’Observatoire de la laïcité, qui rappelait que, pour l’ensemble des membres de cette instance, “ la défense de la laïcité a un objet plus large que sa définition stricte, […] elle inclut les atteintes aux principes de l’égalité républicaine et la lutte contre les visées communautaires ”.
« Or c’est bien là l’objet de ce texte : défendre notre pacte républicain, scellé autour de valeurs communes qui garantissent le socle de notre République.
« C’est la raison pour laquelle je m’inscris en faux contre ceux qui voudraient faire de ce projet de loi une atteinte aux Français de référence musulmane, lesquels, comme tous les citoyens français, demandent le droit à l’indifférenciation, à être traités comme les autres, parce qu’ils sont comme les autres ! Ne faisons pas de démagogie, l’enjeu est trop important.
« En conclusion, nous avons un modèle de société, un modèle républicain, une conjugaison de nos valeurs particulières qui est unique. En cela, voter ce projet de loi à la plus large majorité de nos voix sera surtout un signal fort de soutien à toutes celles et à tous ceux qui, dans le monde, se battent pour sortir de l’autoritarisme, du communautarisme et de l’extrémisme.
« Oui, la France a des valeurs fondamentales. Elles sont inscrites dans nos textes fondateurs, et les parlementaires n’ont aucun mal à les conjuguer au xxie siècle quand il s’agit de les préserver ! C’est le cas aujourd’hui.
« Nous sommes, que nous le voulions ou non, regardés dans le monde. Alors, “ bas les masques ! ” Jouons franc jeu, tous ensemble, quand il s’agit de défendre notre modèle social et notre pacte républicain. Votons ensemble ce projet de loi qui réaffirme notre identité et notre combat pour la République. » (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Adrien Giraud applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Gélita Hoarau.
Mme Gélita Hoarau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au début du mois d’août de cette année, l’UNESCO a classé les pitons, cirques et remparts de la Réunion au patrimoine mondial de l’humanité. Pour paraphraser le ministre chargé de l’écologie, « cette reconnaissance internationale témoigne de la place essentielle de l’outre-mer dans les richesses naturelles de la France ».
Mais la Réunion possède d’autres richesses que ses paysages et sa biodiversité : son histoire, sa culture, nées d’un brassage culturel intense.
En effet, le peuplement de la Réunion s’est fait par un mouvement continu d’immigration venant d’Europe, d’Afrique, de Madagascar, d’Inde, de Chine et des îles situées aux alentours. Ces populations diverses ont connu, sous la pression de l’esclavagisme, puis de la colonisation, un double phénomène : l’acculturation d’abord, puis la création, grâce au métissage, d’une nouvelle culture – la culture ou l’unité réunionnaise selon certains, la « civilisation créole » pour d’autres.
C’est ce métissage qui a permis à l’identité réunionnaise d’être intrinsèquement disposée à s’enrichir des apports de toutes ses composantes, indépendamment des hiérarchies sociales, culturelles et cultuelles imposées par le système.
Cette unité réunionnaise est marquée par un ciment commun constitué des éléments suivants : la langue créole et un « vivre ensemble » qui, à l’heure des questionnements identitaires, est cité en exemple.
Ce « vivre ensemble » propre à la Réunion eu égard à son histoire et qui s’inscrit dans le droit fil des valeurs républicaines est notamment fondé sur le respect des différents cultes et pratiques religieuses, qui se confondent parfois. Parmi ces religions, on compte notamment le catholicisme, l’hindouisme et l’islam.
Cet islam, venu du nord de l’Inde, a su, dès la fin du xixe siècle, intégrer ses institutions religieuses dans l’espace public réunionnais. Cette visibilité tranquille, cette intégration de l’islam au sein de la société réunionnaise a permis de préserver notre île des remous et des polémiques suscités en France continentale par le port du foulard islamique par les jeunes filles dans les établissements scolaires et autres questions concernant l’intégration des musulmans dans la société française.
Toutefois, ce « vivre ensemble » ne saurait se réduire à une image d’Épinal. Ce modèle d’unité est mis à mal pour diverses raisons. La première d’entre elles est, sans conteste, le contexte socioéconomique difficile. Comment garantir notre cohésion et maintenir la confiance dans nos valeurs républicaines quand le taux de chômage dépasse 30 % de la population active, quand les revenus de plus de 50 % de la population totale du département sont inférieurs au seuil de pauvreté ? Chacun doit être conscient que notre région est au bord de l’explosion sociale. À cela s’ajoute un déni identitaire.
Ensuite, madame la ministre, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui n’est pas non plus propre à assurer ou à encourager ce « vivre ensemble ». Il stigmatise une partie de la population en visant une pratique vestimentaire à la fois extrêmement marginale et condamnée par la quasi-totalité de celle-ci, attachée au principe de liberté de la femme.
L’application de ce texte risque donc d’être vécue par certains comme un acte d’ostracisme et de susciter, par réaction, un renforcement du fondamentalisme islamique. Au final, ce texte condamnera certaines femmes musulmanes au confinement dans le cercle familial, dans la sphère domestique.
Ce déploiement législatif semble disproportionné, seules quelques centaines de femmes étant concernées en France, et déraisonnable, au vu du fondement juridique du projet de loi, alors qu’il existe déjà des dispositions réglementaires visant à interdire, dans certains cas, le port du voile intégral, ou du moins à limiter cette pratique et à dissuader de l’adopter. C’est le cas de la loi du 15 mars 2004, qui interdit, dans les établissements scolaires publics, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse, ou encore de l’obligation faite aux agents publics de ne pas manifester leur obédience dans le cadre de leurs fonctions. Chaque citoyen français peut être soumis à un contrôle d’identité, qui ne peut se faire qu’à visage découvert. Se pose également le problème de l’application de ce texte.
Madame la ministre, garantir les valeurs de la République, c’est créer des conditions décentes de vie – emploi, logement, scolarité de qualité, santé – pour que chacun puisse s’inscrire dans le développement de la société. C’est aussi reconnaître le pluralisme d’une société.
C’est la raison pour laquelle je considère, madame la ministre, qu’une loi relative au sujet soulevé n’a pas lieu d’être. Aussi ne prendrai-je pas part au vote de ce texte, à l’instar de la présidente de mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Madame la présidente, madame la ministre d'État, mes chers collègues, mon intervention portera davantage sur la forme que sur le fond.
Sur le fond, je voterai bien sûr le texte transmis par l’Assemblée nationale, où il a été adopté à une large majorité ; je crois qu’il en ira de même ici au Sénat.
Je voterai d’autant plus volontiers ce projet de loi qu’il reprend pour l’essentiel la proposition de loi dont j’avais été à l’initiative, qui fut cosignée par cinquante collègues, dont Mme Christiane Hummel, aujourd’hui rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et déposée sur le bureau du Sénat fin juillet 2009.
Mon intervention portera donc plus sur la forme et la démarche.
Lorsque nous avons élaboré notre proposition de loi, nous nous sommes interrogés sur la méthode à employer pour résoudre, sans soulever de polémiques inutiles, un problème important, qui affecte l’ensemble du fonctionnement de la société française, avec des conséquences souvent graves et préoccupantes.
Nous nous sommes appuyés sur un principe de base : le droit, pour une nation, de se doter des moyens de savoir qui rentre et circule sur son territoire, ce qui suppose la justification de l’identité, par la possession d’un document tel qu’une carte d’identité ou un passeport, et la possibilité de comparer la photographie figurant sur celui-ci avec le visage de son détenteur. Il faut également prendre en considération les risques latents d’attentats et les agissements d’individus qui n’hésitent pas à monter des opérations de gangstérisme en se voilant le visage.
Il est dès lors normal que celles et ceux qui sont chargés d’assurer la sécurité des biens et des personnes dans notre pays aient les moyens de reconnaître et d’identifier les suspects, sans être forcément obligés de leur demander leurs papiers d’identité, au moins dans un premier temps.
C’est le sens de l’article 1er de notre proposition de loi : aucun élément de la tenue vestimentaire des personnes présentes dans l’espace public ne doit faire obstacle à leur reconnaissance et à leur identification. Il n’était fait référence, s’agissant d’un sujet sensible, objet de polémique, ni aux cultures ni à des coutumes ou à des religions, mais seulement à l’application d’un droit fondamental, reconnu dans tous les pays du monde ou presque.
Chaque fois que l’on fait référence à des populations ciblées en raison de leur appartenance à une religion ou à une culture, on s’expose à des réactions polémiques inutiles et quelquefois dangereuses. Il nous semblait que la proposition de loi traitait au fond ce problème, sans pour autant susciter de controverses.
Si le projet de loi qui nous est soumis demeure assez concis, la préparation et le cheminement de ce dossier auraient peut-être pu être plus simples ! Mais est-ce encore possible aujourd’hui, alors que l’on se plaît à complexifier les choses ? Nous en avons la démonstration ici tous les jours au travers des textes qui nous sont soumis, ce qui alourdit nos débats et rend de moins en moins compréhensible, pour la majorité de nos concitoyens, les lois que nous votons.
Nous avons perdu de vue deux notions d’un intérêt extraordinaire : la simplicité et le bon sens. Puissions-nous y revenir, car beaucoup de difficultés auxquelles nous sommes confrontés et qui inquiètent nos concitoyens pourraient trouver des solutions avec leur aide.
Je suis satisfait, cela étant dit, que nous légiférions aujourd’hui sur ce problème délicat. Je vous en félicite, madame la ministre d’État, ainsi que nos rapporteurs, François-Noël Buffet et Christiane Hummel. Bien entendu, je voterai le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Gilles.
M. Bruno Gilles. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la dissimulation du visage, contrainte ou volontaire, sous un masque, un bandeau ou un voile intégral est contraire à l’ordre public social. Regarder l’autre dans les yeux n’est-il pas le « b-a ba » de la civilité au sein de notre société ? Vivre ensemble exige de vivre à visage découvert.
En ce qui concerne la dissimulation du visage sous un voile intégral, burqa ou niqab, qu’il s’agisse d’un choix volontaire ou d’une contrainte imposée, ce phénomène, récent, met en cause l’idée d’intégration fondée sur l’acceptation des valeurs de notre République.
L’être humain se manifeste et s’identifie par son visage, qui est l’expression première de sa personnalité. Toute dissimulation forcée du visage tend à la négation de la personne humaine. De telles pratiques sont chères à tous les preneurs d’otages. Elles sont incompatibles avec nos valeurs constitutionnelles de liberté, d’égalité, de fraternité et avec le respect dû à toute personne, en l’occurrence aux femmes, qui en découle.
La dissimulation volontaire du visage signifie quant à elle une mise à l’écart délibérée de la société nationale, le rejet de l’esprit de notre République. Dans bien des cas, il s’agit d’une réaction identitaire : certaines femmes musulmanes, souvent jeunes, bien que Françaises, ne se sentent pas intégrées dans notre société. Elles expriment ainsi leur malaise ou leur colère.
De telles pratiques malmènent notre démocratie. Elles traduisent une vision communautariste, contraire à nos principes constitutionnels : « la République est une et indivisible ».
La société française – quelles que soient nos origines, nos croyances et nos convictions –, et sans doute en premier lieu nos compatriotes musulmans, ressent avec malaise l’apparition du voile intégral.
L’islam, tel qu’il est vécu par la grande majorité de nos compatriotes musulmans et par nombre d’étrangers musulmans résidant sur notre sol, n’a rien à voir avec cette tenue vestimentaire. Pas plus d’ailleurs qu’avec celui de la plupart de nos voisins du pourtour méditerranéen, aujourd’hui confrontés au même phénomène et qui attendent que la France réagisse.
Pour eux, le port de cette tenue n’est pas une prescription coranique. Pas une fois le Coran ne cite les mots burqa ou niqab. D’ailleurs, lors du pèlerinage à La Mecque et de la liturgie autour de la Kaaba, il est strictement interdit aux femmes de se dissimuler le visage.
M. Jean-Paul Virapoullé. Bravo !
M. Bruno Gilles. Le 3 octobre 2009, le cheikh Al Tantaoui, recteur de l’université d’Al Azhar au Caire, a même défendu aux enseignantes et étudiantes le port de telles tenues, issues de coutumes et aucunement la marque d’une dévotion. (Mme Isabelle Debré approuve.) La Syrie, la Tunisie et bien d’autres pays l’ont interdit dans leur propre espace public. Son interdiction dans tout l’espace public en France ne semble donc nullement discriminatoire à l’égard de l’islam, mais constitue bien la solution juridique et politique pour préserver notre modèle démocratique républicain.
Certains prétendent qu’étendre l’interdiction à tout l’espace public s’assimilerait à une privation de liberté.
L’angélisme n’a pas sa place en la matière ! La frontière entre ordre public social et sécurité publique est mince. Ne voit-on pas les dangers que font courir de tels accoutrements ? A-t-on déjà oublié le braquage d’un bureau de poste dans l’Essonne, le 6 février dernier, par deux personnes vêtues d’un voile intégral ? À ce jour, faute d’indications sur leur physique, les malfrats courent toujours.
S’il semble raisonnable, comme le prévoit le projet de loi, d’user plus souvent de pédagogie que de sanctions pour mettre un terme au camouflage de quelques centaines ou milliers de femmes sous le voile intégral chez nous, il n’en faut pas moins nous montrer très fermes à l’égard de ceux qui prônent un tel accoutrement. Cette pratique vestimentaire se répand en Europe et dans le monde musulman, à l’instigation d’islamistes radicaux qui honnissent nos sociétés occidentales et les États qui entretiennent des liens avec elles.
Est-il exagéré d’imaginer que des terroristes puisse utiliser, eux aussi, cette tenue pour dissimuler armes et explosifs et atteindre incognito leur cible ? Ils le font en Irak ; pourquoi pas chez nous, puisque nous sommes dans leur ligne de mire ?
Si l’on doit prendre des mesures – et il faut le faire –contre le port du voile intégral dans tout l’espace public, ne faut-il pas, madame le ministre d’État, traiter le problème à sa racine : faire barrage en France aux courants islamistes radicaux, en ne tolérant plus qu’ils aient pignon sur rue ? Ces intégristes instrumentalisent leur religion à des fins politiques, au détriment de l’islam.
Quels sont les moyens sécuritaires au niveau européen pour entraver la progression de cet intégrisme qui opère depuis des années un travail de sape de nos démocraties ?
Parallèlement, l’islam ne doit-il pas être mieux considéré, ne serait-ce que pour la force de résistance de la grande majorité des Français musulmans à la politisation de leur religion ?
Chacun connaît la formule du Christ en réponse aux pharisiens : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », injonction en faveur de la séparation des pouvoirs spirituel et temporel pour les chrétiens.
Mme Nathalie Goulet. Déjà !
M. Bruno Gilles. Il leur aura pourtant fallu près de deux mille ans pour admettre cette séparation fondatrice de notre laïcité !
Or, à cette injonction du Christ correspond un verset du Coran, qui dit à la sourate 42 que les affaires des hommes « sont l’objet de consultation entre eux », sans mentionner une quelconque ingérence de Dieu en ce domaine. Cette neutralité coranique, pour nombre de nos compatriotes musulmans, est l’évidente préconisation d’une séparation indispensable des pouvoirs politique et religieux.
Ces compatriotes qui adhèrent, sans qu’on ait eu à attendre pour cela deux mille ans, aux principes de la démocratie et de la laïcité, souhaitent aujourd’hui que la République se vive à visage découvert. Ne peut-on pas envisager, madame le ministre d’État, que le Gouvernement fasse peut-être mieux savoir que les Français musulmans, très majoritairement, se veulent Français d’abord et à part entière, au même titre que les autres Français, chrétiens, israélites, agnostiques, athées, en nous mettant sur un pied d’égalité, nous tous, les Français, en minimisant nos différences d’ordre spirituel ? N’est-ce pas tout simplement le moyen de damer le pion aux extrémistes radicaux de toute espèce ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Adrien Giraud applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, au plus fort de l’emballement du débat, j’ai hésité à m’exprimer pour répondre à la question suivante : à quel niveau faut-il accepter, à quel niveau faut-il refuser ?
Dans un contexte désormais apaisé, il me paraît important de m’adresser, par-delà cette enceinte, avec tout le respect que je leur porte, à celles dont le texte qui nous est soumis dit qu’elles ont choisi de porter une tenue destinée à dissimuler leur visage. Je le fais pour leur exposer les raisons qui me conduisent aujourd’hui à voter ce projet de loi.
Je voudrais m’adresser à ces femmes en évoquant comment ma conception de la relation à l’autre, dans sa triple dimension culturelle, humaine et transcendante, peut se retrouver dans ce projet de loi. Je m’exprimerai sans entrer dans le jeu des arguments et contre-arguments, des grilles de pensée s’opposant aux grilles de pensée, mais en cherchant les éléments susceptibles de lever les incompréhensions et le masque des apparences.
Que me dicte ma pensée, dans la dimension culturelle ou transversale du rapport à l’autre ? Même si un quart des femmes intégralement voilées seraient nées dans une famille de culture ou de tradition non musulmane, il n’en est pas moins vrai que porter le voile, c’est exprimer le choix d’une autre culture, une certaine forme de déracinement, voire d’exil. Mais faire passage dans une autre culture donne à ouvrir son regard pour vivre un rapport positif avec l’extériorité, dictant ainsi dans le lieu de vie d’adoption une certaine réserve, une réserve existentielle.
L’examen de la question du voile intégral est donc l’occasion pour tous de reconnaître que le rapport à l’autre, à ses conceptions et à ses pratiques différentes, doit toujours permettre de mieux s’ouvrir à lui et de s’enrichir soi-même dans le pays où l’on a décidé de vivre.
Telle est la première dimension du projet de loi, qui entend associer le respect de l’ordre public au principe constitutionnel du respect de la dignité de la personne humaine, entendu comme une exigence morale collective, car, au-delà de la personne elle-même, c’est aussi sa relation aux autres qui est en jeu.
Le projet de loi manifeste une deuxième dimension, tout aussi essentielle : la dimension humaine ou horizontale. Indirectement, ce texte nous dit que le visage est rencontre.
Selon Lévinas, les choses n’ont pas d’identité, ce sont des êtres sans visage : « Le visage n’est pas l’assemblage d’un nez, d’un front, d’yeux, etc., il est tout cela certes, mais prend la signification d’un visage par la dimension nouvelle qu’il ouvre à la perception d’un être. Par le visage, l’être n’est pas seulement enfermé dans sa forme […] il est ouvert. » Dans cette ouverture, l’être apparaît non pas comme une représentation, mais comme autrui au-delà de toutes les cultures.
Ainsi, c’est dans la socialité du face à face que s’institue le rapport à autrui, irréductible aux relations qui s’établissent dans le cadre des institutions sociales. Telle est la dimension humaine qu’institue aussi ce projet de loi, qu’en ce sens j’approuve, tout en notant deux tendances paradoxales, consistant l’une à démythifier le corps, l’autre à le cacher. Ces deux tendances ont leurs excès, sachant que, dans un cas comme dans l’autre, les femmes sont les premières victimes.
La troisième dimension, la dimension verticale, que recèle le présent texte, est celle qu’imprime en moi mon for intérieur.
Pour ma part, je le crois, c’est dépouillé de ses vêtements jusqu’à l’arrachement de tous ses masques, tant psychologiques que sociaux, que chacun aura à vivre l’ultime face à face, attendant l’heure où, comme le soulignait notre illustre prédécesseur dans cette enceinte, Victor Hugo, « le masque tombera du visage de l’homme et le voile du visage de Dieu ».
Cette dimension imprègne notre culture aux racines judéo-chrétiennes et nous conduit à affirmer, avec les hommes et les femmes de notre pays, telle Élisabeth Badinter, que, dans la civilisation occidentale, il n’y a pas de vêtement du visage. Cette dimension rejoint ce que nous dit fondamentalement le présent texte : notre pays a une pensée de l’homme.
Pour l’ensemble de ces raisons, je voterai ce projet de loi, tout en pensant que la République doit veiller à rester dans les clous de l’ordre public et ne pas s’immiscer dans la vie privée des personnes. Notre collègue Buffet semble avoir rigoureusement pris en compte cette précaution dans son rapport, et nous ne pouvons que nous en féliciter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à souligner la grande qualité de ce débat. Certes, comme toujours, il a été recouru à quelques figures de style politiciennes, mais cela était sans doute inévitable et je ne m’en offusquerai pas.
Je relèverai surtout, pour m’en réjouir, le rejet unanime du communautarisme qui s’est exprimé et l’attachement que vous avez manifesté, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, aux fondements de la République, à l’égalité, au respect dû aux hommes.
Dans ces conditions, il est regrettable qu’un consensus complet n’ait pu voir le jour pour des raisons étrangères au texte, d’autant que, depuis le début de la réflexion, menée notamment par la commission d’information parlementaire, tout a été fait pour y associer tous les partis politiques de notre pays et pour rechercher ensemble des solutions acceptées de tous.
Cela étant, l’essentiel est que l’expression de l’attachement aux valeurs de la République soit la plus large possible et constitue une affirmation forte de notre rassemblement autour des principes et des valeurs inscrits dans notre Constitution.
Je remercie M. Buffet du travail qu’il a accompli. L’intervention du législateur est nécessaire et ne saurait dépendre du nombre de personnes dissimulant leur visage sur la voie publique, car les règles de notre « vivre ensemble » et les principes qui fondent notre pacte républicain sont en jeu.
Vous avez rappelé à juste titre qu’il n’existe aucune liberté individuelle illimitée. Même la liberté de se vêtir comme on le souhaite n’exclut pas l’interdiction de circuler sans aucun vêtement dans un espace public. Toute liberté trouve ses limites là où commence celle des autres : c’est un principe que nous connaissons tous, et c’est bien au législateur qu’il incombe d’assurer la conciliation entre les différentes libertés, conformément à l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Madame Hummel, parmi les principes républicains bafoués par la dissimulation du visage dans l’espace public figure celui de l’égalité, auquel nos concitoyens sont très fermement attachés. Certes, il y a encore du chemin à faire pour que l’égalité entre les hommes et les femmes, qui est l’un des aspects de ce principe, devienne réalité, mais en tout état de cause le présent texte n’a d’autre objet que d’assurer le respect mutuel dans l’espace public.
Le présent texte prône le rassemblement, la concorde ; il a pour seul objet de permettre à chacun de trouver dans l’espace public un espace de respect mutuel.
Madame Borvo Cohen-Seat, il convient d’éviter les amalgames, même si c’est parfois difficile. Tel est l’esprit qui sous-tend ce projet de loi et la démarche suivie depuis l’origine. Élaborer un texte de loi est nécessaire : contrairement à ce que certains orateurs ont soutenu, on ne peut, en l’espèce, se référer à des textes existants. S’agissant d’apporter une restriction à une liberté, seul le législateur est habilité à intervenir.
Quant au risque juridique, il me semble que vous l’exagérez quelque peu. Dans son rapport de mars 2010, le Conseil d’État, je le redis, s’est borné à relever que, à ce jour, le Conseil constitutionnel n’avait pas précisément défini ce qu’est l’ordre public « sociétal », « social » ou « immatériel », quelle que soit l’appellation retenue. Le Conseil constitutionnel a simplement laissé entrevoir, dans certaines de ses décisions, qu’il reconnaissait l’existence de celui-ci.
J’ajoute, madame le sénateur, que c’est un élu appartenant à votre parti qui est à l’origine de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la pratique du port du voile sur le territoire français.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela ne m’a pas échappé !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Vouloir écarter d’un revers de main le texte qui vous est présenté aujourd’hui, c’est minimiser, me semble-t-il, la portée de l’action menée par M. Gérin.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons bien réfléchi, madame le garde des sceaux !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Madame Goulet, vous avez dénoncé à juste titre les méfaits de l’ignorance, tant sur notre territoire que dans l’ensemble du monde musulman. Lorsque j’occupais d’autres fonctions, j’ai souvent eu l’occasion d’évoquer ce sujet avec les responsables d’États confrontés au détournement du Coran par certains, qui veulent lui faire dire ce qui n’y figure pas. Prenant en compte cette dimension, le projet de loi prévoit une période de six mois pendant laquelle un effort général de pédagogie sera entrepris sur le territoire national.
Bien entendu, un effort d’explication de la teneur du dispositif doit également être accompli hors de nos frontières. À cette fin, je me suis notamment rendue en Jordanie, au Qatar et au Liban. Ce travail doit être poursuivi afin d’expliciter notre conception du rapport de la personne et de l’État, parfois différente de celle qui prévaut dans d’autres pays, par exemple en Grande-Bretagne ou aux États-Unis.
Monsieur Peyronnet, de façon globale, le présent projet de loi vise les tenues destinées à dissimuler le visage, sans comporter de définition précise. Telle n’est pas la vocation d’une loi. Il reviendra au juge d’apprécier chaque cas particulier. Comme plusieurs orateurs l’ont indiqué, le point important est qu’une relation visuelle avec l’autre soit possible.
Le Premier ministre et moi-même avons reçu les représentants des principaux cultes pratiqués en France. Le CFCM unanime a lui-même affirmé l’absence de lien entre le Coran et le port du voile intégral, pratique d’ailleurs interdite dans les lieux saints de l’islam, notamment lors du pèlerinage à La Mecque. Nous devons mettre en exergue cette réalité.
En fait, la véritable question est celle du communautarisme, selon lequel des règles spécifiques s’appliquent à certaines catégories de la population et peuvent dans certains cas aller à l’encontre de la norme commune. Le communautarisme est reconnu par la Grande-Bretagne ou les États-Unis, leur culture constitutionnelle étant différente de la nôtre, qui pose le principe de l’égalité de tous devant la loi, sans aucune fragmentation de la société.
Quant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, c’est une législation turque relative à la sécurité publique qui a été visée. Or le présent projet de loi ne porte pas sur la sécurité publique, même si, bien entendu, l’application de ses dispositions pourra avoir un certain nombre de conséquences en la matière : si tel était le fondement du texte, nous encourrions effectivement un risque d’inconstitutionnalité, voire de contradiction avec les principes européens, dans la mesure où l’interdiction porterait sur l’ensemble de l’espace public. Il convient de souligner ce point important.
MM. Baylet et Gilles ont rappelé avec raison que l’islam français est républicain et respectueux des lois. Les représentants du CFCM que nous avons entendus ont d’ailleurs eux aussi insisté sur ce fait.
Le projet de loi ne stigmatise personne ; c’est dans cet esprit qu’il a été rédigé.
Monsieur Masson, il est vrai que le projet de loi peut sans doute répondre à certaines préoccupations sécuritaires, mais l’ordre public matériel n’est pas son fondement juridique, je le répète. Sur ce plan, un certain nombre de textes existent déjà, notamment le décret relatif au port de la cagoule, que j’ai moi-même signé. Notre préoccupation, en l’occurrence, est de lutter contre le communautarisme et de préserver le « vivre ensemble ».
Un tel fondement ne réglerait pas les problématiques en jeu et ne répondrait pas à notre volonté de lutter contre le communautarisme et d’assurer le « vivre ensemble ».
Madame Troendle, vous avez rappelé à juste titre que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme tient compte des traditions constitutionnelles nationales. Si elle défend la liberté d’opinion et de conscience, elle admet néanmoins que les États peuvent apporter des limitations nécessaires dans une société démocratique pour protéger les droits et les libertés d’autrui.
C’est pourquoi je pense très sincèrement que le projet de loi qui vous est proposé est parfaitement compatible tant avec les principes constitutionnels français qu’avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Monsieur Nègre, comme vous l’avez souligné, le projet de loi n’est en rien un texte d’exclusion, bien au contraire : en effet, il vise à affirmer que l’on ne peut pas vivre dans une société en s’en excluant ou en étant forcé de s’en exclure et qu’il importe que l’ensemble de nos concitoyens puissent continuer à évoluer dans l’espace commun dans l’égalité et le respect mutuel. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire qu’il existe un prosélytisme à caractère plus politique que religieux, puisqu’il recouvre la volonté d’implanter une forme de communautarisme dans notre pays.
Madame Labarre, vous avez relevé la critique selon laquelle le projet de loi condamnerait certaines femmes à ne plus sortir de chez elles. Nous en avons beaucoup débattu et finalement estimé que le projet de loi pourra au contraire être le support sur lequel ces femmes pourront s’appuyer pour cesser une pratique qui les exclut de la vie en société et qui nie leur individualité. Il nous reviendra d’y veiller à la fois par la pédagogie et par la contrainte. Quant aux risques de séquestration, évoqués lors du débat à l’Assemblée nationale, il existe des moyens juridiques de lutter contre la séquestration d’une personne.
Madame Boumediene-Thiery, le débat sur le port du voile intégral n’est pas récent. Vous me reprochez souvent, lorsque je présente un texte, d’aller trop vite et de ne pas prendre suffisamment le temps de la réflexion. Or, je le rappelle, cela fait presque deux ans que le débat est ouvert, et ce n’est d’ailleurs même pas le Gouvernement qui l’a engagé ! Quand le tour d’une question a été fait, vient le moment d’intervenir et de prendre une décision.
Par ailleurs, ce débat n’a rien à voir avec celui sur l’identité nationale : il s’agit ici de l’unité nationale. Comment vivons-nous ensemble ? À visage découvert. Encore une fois, il faut éviter les amalgames, pour ne pas dénaturer l’esprit dans lequel le texte a été rédigé.
Monsieur Fortassin, comme vous l’avez affirmé, la dissimulation du visage dans l’espace public est un refus de la République, de ses valeurs et de ses principes. Je crois moi aussi que notre réponse doit être à la hauteur de ce défi. Telle est bien l’ambition du texte, que je vous remercie de soutenir.
M. Alduy a rappelé, au nom de Melle Joissains, que la dissimulation du visage dans l’espace public est une double négation : négation de la personne dissimulée, qui n’apparaît plus en tant qu’individu mais seulement en tant que membre d’une communauté, d’une part ; négation de l’autre, auquel est refusé le droit élémentaire de voir le visage de son interlocuteur, d’autre part. Tout cela est tout à fait contraire à la dignité de la personne et aux règles les plus fondamentales de notre République.
Madame Hoarau, le « vivre ensemble » est le socle commun sur lequel repose notre pacte républicain. Contribuant en cela à la lutte contre le communautarisme, il transcende nos origines, nos religions, nos croyances, nos opinions. Il est bon de le rappeler de temps en temps. Ce « vivre ensemble » unit citoyens de métropole et d’outre-mer. Vous avez mis l’accent sur certains problèmes affectant l’outre-mer. Au-delà de certaines difficultés et spécificités, il faut rappeler les principes de la République qui nous rassemblent. C’est aussi sur cette base que pourront se développer certaines actions dans différents domaines.
Monsieur Revet, nous nous connaissons de longue date. Vous savez donc combien je suis attachée depuis toujours à la lisibilité des textes, à leur simplicité, à leur concision, que ce soit dans le domaine législatif ou dans le domaine réglementaire. Je m’efforce, depuis que je suis à la chancellerie, d’apporter quelques améliorations en ce sens.
En l’espèce, le présent projet de loi me paraît très clair. Il est court, et j’ai veillé à ce qu’il soit rédigé le plus lisiblement possible. En effet, nos concitoyens doivent pouvoir comprendre la logique des lois qui leur seront appliquées. S’il pouvait en être ainsi de tous les textes, je m’en réjouirais autant que vous !
Monsieur Gilles, vous avez mis l’accent sur la nécessité de lutter contre tous ceux qui tentent d’imposer aux femmes de dissimuler leur visage dans l’espace public. Vous avez eu raison de rappeler, parallèlement, la reconnaissance par la République de toutes les religions, de toutes les philosophies, de toutes les familles de pensée : c’est notre tradition et notre honneur. La nature républicaine de l’islam de France a été réaffirmée par les représentants du culte musulman eux-mêmes.
Je terminerai en reprenant à mon compte l’heureuse formule de Mme Hermange selon laquelle le visage est rencontre. L’espace public est le lieu de cette rencontre, nous devons le préserver : c’est une question de respect de soi, des autres, de la République, c’est donc une question de respect de la France. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
(Non modifié)
Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l'article.
M. Jean Louis Masson. Je voudrais revenir sur les propos que j’ai tenus tout à l’heure et sur la réponse faite à l’ensemble des intervenants par Mme le garde des sceaux.
Finalement, tout ce débat tourne autour de la burqa. C’est donner des verges pour se faire fustiger tant par le Conseil constitutionnel que par les instances juridictionnelles internationales.
Par ailleurs, la volonté d’unir nos concitoyens, de préserver le « vivre ensemble », n’est pas le seul fondement de ce texte ; se pose aussi un problème de sécurité. Je tiens à le réaffirmer, je voterai l’article 1er dans une logique de défense de la sécurité, et non à seule fin de m’opposer au port de la burqa.
Mme la présidente. L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Bel, Peyronnet, Sueur, Anziani et Frimat, Mmes Le Texier et Cartron, MM. Assouline, Collomb et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Nul ne peut dissimuler son visage au sein d'un espace affecté au service public ou dès lors que des raisons liées à la sécurité publique ou à la lutte contre la fraude l'exigent.
Un décret en Conseil d'État fixe la liste des lieux soumis à l'obligation inscrite à l'alinéa précédent.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Notre groupe attache une importance toute particulière à cet amendement, cosigné par tous ses membres, au premier rang desquels son président, M. Jean-Pierre Bel, et inspiré par MM. Charles Gautier et Jean-Claude Peyronnet.
Madame la ministre d’État, nous sommes tous contre la burqa, nous sommes tous des défenseurs du respect de la dignité des femmes, nous sommes tous partisans du respect de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce n’est donc pas cela qui peut nous séparer.
En revanche, nous sommes pour notre part extrêmement attachés à ce que la loi – nous pensons qu’il en faut une en l’occurrence – bénéficie de toutes les précautions juridiques nécessaires.
À cet égard, il a déjà été souvent fait référence à la décision du Conseil d’État, qui à nos yeux est très importante. Le Conseil d’État a incontestablement montré les risques que présenterait une interdiction générale.
Tout à l’heure, notre collègue Jean-Claude Peyronnet a fait allusion à l’arrêt Ahmet Arslan du 23 février 2010, par lequel la Cour européenne des droits de l’homme a stipulé très précisément la manière dont, selon elle, il fallait appliquer les textes pour de telles restrictions, en citant notamment les représentants de l’État dans l’exercice de leurs fonctions, le port de symboles religieux dans des établissements publics où la neutralité est indispensable, les menaces contre l’ordre public ou les pressions sur autrui.
Nous avons voulu tirer toutes les conséquences de la décision du Conseil d’État. Par cet amendement, dont nous avons soigneusement pesé chaque mot, nous proposons d’interdire le port de la burqa, c’est-à-dire la dissimulation du visage, « au sein d’un espace affecté au service public ou dès lors que des raisons liées à la sécurité publique ou à la lutte contre la fraude l’exigent ». Nous avons ainsi repris intégralement l’ensemble des circonstances visées par l’arrêt du Conseil d’État.
Il nous semble important de prendre cela en compte. En effet, autant le vote de la loi pourrait apparaître comme très satisfaisant au regard des principes qui nous sont chers, autant une éventuelle annulation serait très préjudiciable et ne manquerait pas d’être utilisée comme un argument par tous ceux qui ne respectent ni nos principes ni nos valeurs.
Ce sont les raisons pour lesquelles notre groupe a déposé cet amendement. Le sort qui lui sera réservé aura une incidence sur le vote final de nombre d’entre nous. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis de la commission est défavorable.
Nous avons déjà longuement évoqué ce sujet lors de la discussion générale. Je ne crois pas utile de reprendre l’ensemble de l’argumentation que nous avons développée alors.
Toutefois, je voudrais rappeler que cette interdiction générale s’appuie sur des notions très claires, en particulier celle de l’ordre public immatériel. Or celui-ci est fondé, d'une part, sur notre vie collective, et, d'autre part, sur le respect de la dignité des personnes. Par conséquent, ces deux dimensions doivent tout naturellement s’appliquer à l’ensemble de l’espace public et ne peuvent en aucun cas être limitées à certains lieux.
Par ailleurs, dans la rédaction proposée au travers de l’amendement, il est prévu que l’interdiction s’appliquera également « dès lors que des raisons liées à […] la lutte contre la fraude l’exigent ». Je crains que cette disposition n’élargisse encore plus le champ de l’article, au-delà de l’espace public : l’espace privé serait concerné, ce qui, en l’occurrence, est contraire à l’objet du texte.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur Sueur, limiter ainsi le champ de l’interdiction ne me paraît pas possible.
Tout d’abord, s’agissant de principes fondamentaux de la République, comment justifierez-vous qu’ils s’appliquent dans certains lieux et non pas dans d’autres ? Ce n’est pas cohérent ! Or nous entendons élaborer un texte qui soit lisible, c’est-à-dire doté d’une véritable cohérence. Nous sommes attachés à des principes républicains, qui doivent s’appliquer partout.
Ensuite, à cet amendement s’opposent des raisons plus pragmatiques, qui tiennent à la mise en œuvre et à l’applicabilité du dispositif. Comment sera-t-il possible, surtout compte tenu des détails que vous donnez, de définir les lieux où l’on pourra éventuellement infliger des contraventions ? Outre la voie publique, vous affirmez vous-même qu’il est indispensable que ces lieux comprennent « certains » lieux commerciaux, sans préciser lesquels… Là encore, où est la cohérence ? Cela signifie-t-il par exemple que le port du voile intégral sera interdit dans les grandes surfaces dans certains départements, et pas dans d’autres ?
Au passage, je préfère parler de voile intégral plutôt que de burqa, car ce vêtement n’est pratiquement pas porté en France.
M. Jean-Pierre Sueur. D’accord !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Certes, ce que l’on appelle le « voile intégral » soulève à peu près les mêmes questions sur le plan des principes, mais il convient d’être précis dans le choix des termes.
En tout état de cause, monsieur Sueur, l’application du dispositif que vous présentez au travers de votre amendement serait véritablement problématique. Comment feront ceux qui seront chargés de mettre en œuvre la loi ? Nous devons tout de même penser à eux ! Leur fournira-t-on une liste des établissements commerciaux et bancaires où s’appliquera l’interdiction ? Ce n’est pas réaliste !
J’en viens enfin à l’aspect juridique, qui n’est pas négligeable : tout comme vous, monsieur Sueur, je ne veux pas qu’une annulation de la loi vienne en quelque sorte renforcer les opposants aux principes qui nous guident.
Je crois que nous avons bien étudié cette question et que la commission des lois a, elle aussi, diligenté les expertises nécessaires. Je vous ai déjà répondu pour ce qui concerne tant le Conseil constitutionnel que la Cour européenne des droits de l’homme, dont la décision se fondait sur un principe d’ordre public, de sécurité publique, et non pas sur la dimension du « vivre ensemble ».
Étant un peu juriste, je m’efforce que les textes que je présente soient conformes aux principes du droit. On m’a à plusieurs reprises prédit des censures du Conseil constitutionnel qui ne sont finalement pas intervenues, parce que nous avions pris les précautions nécessaires…
Pour des raisons qui sont à la fois juridiques, pratiques et de principes, je ne puis accepter cet amendement, sur lequel j’émets donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Au nom de la clarté et des principes républicains, je ne voterai pas cet amendement.
Je voudrais évoquer ce qui s’est passé à Abou Dhabi lorsqu’il a été décidé d’y implanter une antenne de la Sorbonne. Après un certain nombre de débats, les autorités émiriennes ont finalement accepté le principe de la mixité dans le nouvel établissement, ce qui fait de celui-ci un cas unique dans l’ensemble de la péninsule arabe. Cela montre que quand la République s’en tient fermement à ses principes, il n’y a aucune raison qu’ils ne soient pas respectés !
Au nom de ce pacte républicain qui a été invoqué tout au long de nos débats, il importe à mon sens de ne pas laisser la porte ouverte à des contentieux ou à des aléas. Il faut purement et simplement adopter ce projet de loi dans les termes qui nous sont aujourd’hui présentés. C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Pour ma part, je trouve au contraire que cet amendement apporte une sécurité juridique supplémentaire au regard des règles du droit international. S’il est adopté, on ne pourra pas nous accuser de pratiquer une discrimination.
La rédaction qui nous est proposée correspond beaucoup plus à ma vision de ce projet de loi et à la philosophie que j’ai développée tout à l'heure. Je le répète, il ne faut pas viser spécifiquement des pratiques liées à une religion, quelles qu’elles soient. Cela ne signifie pas nécessairement que je les approuve, mais je pense que, dans la logique de la séparation de la religion et de l’État, nous n’avons pas à statuer spécifiquement sur elles. En adoptant cet amendement, nous élargirions quelque peu le champ du dispositif, ce qui serait très bien.
Mme la présidente. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.
M. Yann Gaillard. Pour ma part, je ne puis voter l’amendement de M. Sueur, dont j’admire en général l’éloquence et la subtilité, car je crois que son adoption compliquerait horriblement les choses. Introduire la question de la lutte contre la fraude pourrait nous mener très loin !
J’apprécie grandement le texte de Mme la ministre d’État, qui, confrontée à un problème extrêmement compliqué, a trouvé une solution…
Mme Isabelle Debré. Simple !
M. Yann Gaillard. … qui nous permet de légiférer sur la burqa sans jamais parler de cette dernière.
D'ailleurs, je regrette beaucoup qu’une grande partie de notre discussion ait porté sur l’islam : il ne faut pas en parler, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit ! De ce point de vue, le texte du Gouvernement me semble extrêmement astucieux, et j’en suis donc tout à fait partisan.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Alduy, pour explication de vote.
M. Jean-Paul Alduy. J’irai dans le même sens que mon collègue Yann Gaillard.
Monsieur Sueur, vos propos témoignent d’une frilosité que je n’avais pas constatée dans d’autres débats. (Exclamations sarcastiques sur les travées du groupe socialiste.)
Au-delà de la question de la sécurité juridique, à laquelle Mme le garde des sceaux a répondu, il faut bien comprendre que ce texte est une « loi-message » : le Parlement doit défendre ce bien précieux, cet héritage inestimable qu’est la laïcité à la française. En quinze mots, l’article 1er adresse un message clair, limpide, que l’adoption de tout amendement ou sous-amendement viendrait complètement polluer et perturber.
En tout état de cause, je ne voterai donc pas le présent amendement, afin de laisser à la rédaction actuelle de l’article 1er toute sa force politique ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié bis.
J’ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que l’avis que la commission est défavorable, ainsi que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 274 :
Nombre de votants | 296 |
Nombre de suffrages exprimés | 296 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 149 |
Pour l’adoption | 112 |
Contre | 184 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote sur l’article 1er.
Mme Virginie Klès. Pour ma part, je ne suis pas juriste. Néanmoins, j’ai des convictions, et je suis notamment profondément attachée à la défense des valeurs républicaines, de la démocratie et de l’égalité des hommes et des femmes, ainsi qu’à la lutte contre toutes les formes de violence aux personnes, en particulier les violences psychologiques.
S’agissant du présent texte, je regrette vivement que le travail de pédagogie dont vous avez parlé, madame la ministre, n’ait pas concerné les déclarations préalables à notre débat : encore un rendez-vous raté avec la démocratie ! Je suis persuadée qu’une concertation plus approfondie aurait rendu possible un consensus sur un texte qui ne soit pas seulement déclaratoire et inspiré par des visées électoralistes de court terme, sur un texte qui ne stigmatise ni l’islam ni les femmes, lesquelles en l’occurrence sont victimes, sur un texte qui puisse être véritablement efficace au regard des objectifs affichés.
Je rejoins tout à fait les réticences exprimées par les membres de mon groupe. J’en ajouterai une, relative à la notion de contrainte. Voilà relativement peu de temps, quand ont été évoquées dans cette enceinte les violences faites aux femmes, en particulier les violences psychologiques au sein des couples, le rapporteur UMP du texte, M. Pillet, a soutenu qu’il était impossible de prouver l’existence d’une contrainte par les seuls témoignages et plaintes. Aujourd’hui, on nous affirme le contraire : démontrer la contrainte sera possible. On nous affirme que des femmes qui en arrivent à accepter l’inacceptable au point de sortir intégralement voilées auront encore en elles la force d’aller porter plainte et de se battre ! Je réponds qu’il n’en est pas ainsi ! On ne pourra convaincre ces femmes au moyen d’un simple dialogue, appelé à primer sur la sanction. Il y avait bien autre chose à faire en la matière. Ce texte sera donc à mon sens totalement inefficace.
Nous ne jouons pas là entièrement notre rôle de parlementaires ou de membre du Gouvernement, qui est en l’occurrence de protéger des femmes victimes d’une violence psychologique totalement inacceptable.
Je tiens donc à réaffirmer que je resterai digne des exigences attachées à la défense des valeurs républicaines, pour reprendre vos propos, madame la ministre. Je resterai attachée à la défense de toutes les victimes de violences, notamment psychologiques, en particulier liées au port de la burqa ou de tout autre vêtement stigmatisant.
Je partage avec les membres de mon groupe un certain nombre de réticences. Je n’entretiens aucune illusion sur les motivations réelles qui sous-tendent ce texte. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Néanmoins, les principes qui me gouvernent demeurent plus forts que ces réticences. Je voterai donc malgré tout ce projet de loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
J’ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 275 :
Nombre de votants | 246 |
Nombre de suffrages exprimés | 246 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 124 |
Pour l’adoption | 245 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté.
Article 2
(Non modifié)
I. – Pour l’application de l’article 1er, l’espace public est constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public.
II. – L’interdiction prévue à l’article 1er ne s’applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s’inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles.
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par MM. Peyronnet, Sueur, Anziani et Frimat et Mmes Le Texier et Cartron, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Supprimer cet alinéa.
Je constate que cet amendement n’ plus d’objet.
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
(Non modifié)
La méconnaissance de l’interdiction édictée à l’article 1er est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la deuxième classe.
L’obligation d’accomplir le stage de citoyenneté mentionné au 8° de l’article 131-16 du code pénal peut être prononcée en même temps ou à la place de la peine d’amende. – (Adopté.)
Article 4
(Non modifié)
Après la section 1 bis du chapitre V du titre II du livre II du code pénal, il est inséré une section 1 ter ainsi rédigée :
« Section 1 ter
« De la dissimulation forcée du visage
« Art. 225-4-10. – Le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
« Lorsque le fait est commis au préjudice d’un mineur, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et à 60 000 € d’amende. » – (Adopté.)
Article 5
(Non modifié)
Les articles 1er à 3 entrent en vigueur à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi. – (Adopté.)
Article 6
(Non modifié)
La présente loi s’applique sur l’ensemble du territoire de la République. – (Adopté.)
Article 7
(Non modifié)
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’application de la présente loi dix-huit mois après sa promulgation. Ce rapport dresse un bilan de la mise en œuvre de la présente loi, des mesures d’accompagnement élaborées par les pouvoirs publics et des difficultés rencontrées. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, j’exposerai ici la position de la majorité, et non de la totalité, des membres du groupe socialiste. D’autres collègues exprimeront ensuite la position qui est la leur.
Ce débat a été de qualité. Chacun a défendu ce qu’il croyait être juste au regard d’objectifs clairs : le respect de la dignité des femmes, de l’égalité entre l’homme et la femme et du principe de la laïcité. Sur ces points, notre groupe est, à l’évidence, unanime.
Pour nous, une telle loi ne saurait se borner à formuler un message, monsieur Alduy. En effet, une loi a pour fonction de fixer le droit, de définir des règles s’appliquant à tous. Une loi doit donc pouvoir être appliquée.
Madame la ministre d’État, vous avez indiqué tout à l’heure qu’il était nécessaire, à votre sens, que l’interdiction soit de portée universelle. Je tiens à rappeler que nous avons voté, il y a quelque temps, des dispositions concernant le voile qui n’étaient pas de portée générale ; elles s’appliquaient dans un certain nombre de lieux publics, pour des raisons fortes tenant au respect de la laïcité. Il nous semble par conséquent possible de formuler des interdictions qui ne soient pas de portée générale.
J’ai déjà rappelé la position du Conseil d’État, je n’y reviendrai pas. Les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme limitent les restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions à ce qui est strictement nécessaire « dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Il apparaît clairement, nous semble-t-il, qu’eu égard à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui tient compte des traditions constitutionnelles du pays concerné, que l’interdiction générale et absolue inscrite dans le texte fait courir un risque réel de censure. Nous pensons, pour notre part, qu’il est préférable de prendre cet élément en compte de manière que la loi soit applicable et sûre juridiquement. Je le redis, nous ne voudrions pas que des personnes hostiles à nos valeurs républicaines puissent annoncer demain qu’elles ont gagné ! Il s’agit là pour nous d’un point très important.
Conformément à la position définie par le parti socialiste dans ses délibérations, ainsi qu’à la position arrêtée par la majorité du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, la majorité des membres de notre groupe ne prendra pas part au vote. Il s’agit d’une décision mûrement réfléchie au regard des principes, des questions évoquées et de ce qui pourrait se passer à l’avenir. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas courageux ! C’est « pour » ou c’est « contre » !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je voterai ce texte pour des raisons inverses de celles du Gouvernement. Pour ce dernier, ce texte entre clairement dans le cadre d’une vaste opération de récupération des voix de l’extrême droite (Murmures sur les travées de l’UMP), qui, en 2007, s’étaient portées sur le candidat Nicolas Sarkozy mais qui, aujourd’hui, lui font défaut. Nous avons eu cet été une illustration de cette démarche avec l’opération de transfert aux élus locaux de la responsabilité de l’insécurité, l’opération qui fut « anti-Roms » avant d’être d’ordre public, comme l’a révélé une circulaire du ministre de l’intérieur.
Ce projet de loi en est un nouvel épisode, le procédé restant le même : isoler un groupe sur lequel faire porter, sans le dire mais en le donnant à penser, la responsabilité du malaise social auquel le pouvoir est bien incapable de répondre.
En votant ce texte, il s’agit pour moi, tout au contraire, d’affirmer non pas ce qui nous divise, mais ce qui nous rassemble : les principes et les valeurs de la République, dont l’égalité des hommes et des femmes est un élément central. J’aurais d’ailleurs souhaité que ce projet de loi soit clairement fondé sur ce principe, sans ambiguïté.
Enfermer des femmes dans une cage physique et psychologique constitue une violence inacceptable, quelles qu’en soient les raisons. Et que l’on ne vienne pas nous dire que les victimes sont consentantes, l’acceptent en toute liberté : le libre arbitre n’est pas un donné, il se construit ! C’est là le sens profond de la laïcité, d’ailleurs rarement compris, comme je l’ai encore constaté lors de ce débat.
Les lumières, disait Emmanuel Kant, c’est sortir de la minorité ; en d’autres termes, c’est s’affranchir des tutelles. Pour moi, cette leçon vaut toujours. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, nous vivons dans cette assemblée un moment particulier, celui d’un quasi-consensus pour refuser le port du voile intégral, pour affirmer que cette pratique porte atteinte à la dignité de la femme. Une telle situation est suffisamment rare pour ne pas être saluée.
Toutefois, des réponses diverses peuvent être apportées au problème soulevé.
Il convient tout d’abord de remarquer que cette question n’est pas franco-française ; elle se pose dans la plupart des démocraties. Si la Belgique et l’Espagne ont voté ou vont voter des interdictions générales du port du voile intégral, tel n’est pas le cas, notamment, dans le monde anglo-saxon, où l’on se refuse à prendre une telle mesure. Certes, madame la garde des sceaux, ces pays ont une culture différente de la nôtre, cependant personne ne pourra prétendre que le Royaume-Uni ou les États-Unis sont moins attachés que nous aux droits fondamentaux, au respect de l’égalité entre l’homme et la femme, à la lutte contre le terrorisme. Il n’en est rien, bien entendu, pourtant ils ont choisi une autre voie.
Il me semble que ce projet de loi comporte deux obscurités qui auraient peut-être pu être levées.
La première est d’ordre juridique. Nous ne savons pas encore, pour l’heure, si ce texte franchira la critique du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Certes, nous n’avons pas à nous sentir tenus par l’avis du Conseil d’État, car notre pouvoir va bien au-delà. Il n’en reste pas moins que celui-ci s’inscrit dans le respect des principes constitutionnels, sauf à changer de République.
Ces principes constitutionnels sont-ils ou non respectés ? D’aucuns affirment que l’avis du Conseil d’État du 30 mars dernier n’est pas si clair que cela. Or, à la page 17, il y est écrit : « Une interdiction générale du port du voile intégral en tant que tel ou de tout mode de dissimulation du visage dans l’espace public serait très fragile juridiquement. » Quelques paragraphes plus loin, il est souligné que le Conseil d’État ne peut recommander cette solution.
Madame la garde des sceaux, vos services se sont-ils entourés de toutes les garanties juridiques ? Vous vous appuyez sur des experts, mais leur expertise en matière de garde à vue n’a pas empêché le Conseil constitutionnel d’annuler quatre articles du dispositif élaboré en la matière…
La seconde obscurité n’est pas anodine et fera à l’avenir l’objet de discussions récurrentes. Le Gouvernement peut-il nous garantir que cette loi sera appliquée partout et à tout le monde ? Peut-il prendre cet engagement aujourd’hui ?
Les forces de l’ordre interviendront-elles place Vendôme pour dresser une contravention de 150 euros à une princesse qui descend de sa Chrysler ou de sa Mercedes pour se rendre chez un bijoutier ? Pouvez-vous vous engager sur ce point ? Pouvez-vous prendre l’engagement que, en Seine-Saint-Denis, les forces de l’ordre iront, au risque de se faire « caillasser », verbaliser une jeune fille démunie, portant le voile intégral ?
Madame la garde des sceaux, je pense que vous ne le pouvez pas. Il s’agit à mes yeux d’une loi déclaratoire, qui nous donnera à tous bonne conscience mais ne pourra malheureusement sans doute pas être appliquée. Pour cette raison, je ne prendrai pas part au vote. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, toutes les convictions qui se sont exprimées au cours de ce débat sont honorables, et je conçois parfaitement qu’une diversité d’approches se manifeste, notamment sur le plan juridique, dès l’instant où, unanimement, nous condamnons le port de la burqa ou du niqab.
Je commencerai par deux observations d’ordre juridique.
Je souhaite d’abord adresser une recommandation à Mme la présidente, en ce qu’elle représente le président du Sénat. Quel que soit le texte voté, il faut que le président du Sénat, comme celui de l'Assemblée nationale, le défère au Conseil constitutionnel. Je rappelle que le Premier ministre a demandé l’avis du Conseil d’État, mais qu’il ne l’a pas suivi, en tout cas pas complètement, et que, sur cette question, l'Assemblée nationale a adopté une position différente. Par conséquent, le risque existe.
Je n’aurai garde de prendre part à la discussion sur l’étendue de ce risque. Il revient maintenant au Conseil constitutionnel de se prononcer pour savoir si ce texte est constitutionnel ou non. Il doit être saisi immédiatement pour éviter que ne perdure une sorte d’indécision juridique, toujours préjudiciable quand il s’agit d’une question de cette importance, et que l’on soit contraint d’attendre l’inévitable question prioritaire de constitutionnalité. Je souhaite que cela soit fait. Je ne suis pas absolument convaincu que ce ne soit pas déjà l’opinion du président du Sénat et de celui de l'Assemblée nationale.
Sur la conventionnalité, ensuite, je formulerai deux remarques.
Dans un arrêt du 13 février 2003, la Cour européenne des droits de l’homme a adopté une position très claire sur les mesures d’interdiction de tous ordres prises par le gouvernement turc, soulignant qu’elles étaient parfaitement compatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme. En 2010, une nouvelle décision est intervenue, dont il a été fait état au cours de ce débat : il s’agissait d’hommes portant des tenues montrant leur adhésion à une fraction religieuse extrême. Je le précise pour une raison simple : la Cour européenne des droits de l’homme a souligné que le problème était d’ordre religieux. Or la question dont nous débattons aujourd'hui n’est pas celle de l’atteinte à la laïcité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh non !
M. Robert Badinter. C’est celle de l’égalité des femmes et des hommes, de l’égalité de droits, de condition, de la dignité et de la liberté des femmes,…
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert Badinter. … toutes choses qui n’étaient pas soumises à la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt du 23 février 2010. Il n’est pas indifférent de le rappeler.
J’en viens à mon propos essentiel : pourquoi vais-je voter ce projet de loi ? N’étant pas naïf, je sais très bien quelles étaient les motivations politiciennes à l’origine de ce besoin soudain de légiférer dans ce domaine. Je laisse toutefois cela de côté…
Certains se rendent dans les pays du Golfe et y constatent les progrès accomplis en matière de condition des femmes. D’autres, comme moi, s’intéressent à la vie des instances des Nations unies, en particulier du Conseil des droits de l’homme à Genève. J’ai eu l’occasion de le dire aussi bien à la commission des affaires européennes qu’à la commission des affaires étrangères, nous ne devons pas nous aveugler : nous sommes en présence de deux visions des droits de l’homme et nous vivons l’un des affrontements idéologiques les plus durs que nous ayons connus depuis les années de la guerre froide.
Ce conflit n’est pas, en effet, sans rappeler le temps où les communistes considéraient que s’opposaient deux visions des droits de l’homme, l’une bourgeoise, l’autre socialiste. Aujourd'hui, toutefois, il s’agit d’autre chose. Au sein de ces instances, nous avons constamment face à face, d’un côté, tous les États démocratiques, qui soutiennent le principe de l’universalité des droits de l’homme, et, de l’autre, les États qui répondent que les droits de l’homme sont un cadeau fait par Dieu à l’homme pour le rendre plus heureux sur cette terre, mais qu’ils doivent être interprétés à la lumière de la charia. Je pourrais citer un nombre important de textes qui reprennent cette position. Il n’est qu’à lire la dernière résolution proposée et votée sur l’initiative de la République islamique d’Iran lors de la 35e session du conseil des ministres des affaires étrangères de l’Organisation de la conférence islamique, qui réaffirme cette doctrine. Nous sommes bien là en présence d’un conflit majeur, en particulier pour les laïcs que nous sommes.
Lorsqu’interviennent des questions essentielles, telles que la peine de mort ou la résolution adoptée par le même conseil des ministres des affaires étrangères de l’Organisation de la conférence islamique en 2004, à la suite d’une protestation de l’Union européenne, sur la lapidation des femmes, cela prend tout son sens. La réponse fut : cela ne vous regarde pas, l’Union européenne n’a pas, au nom de sa conception des droits de l’homme, à nous donner de leçons sur ce que doit être la loi islamique.
Or il est des principes avec lesquels nous ne pouvons transiger, notamment celui qui nous occupe aujourd'hui, à savoir le principe fondamental, presque primordial, de l’égalité entre hommes et femmes.
Nous ne cessons d’œuvrer pour le faire entrer plus avant dans nos sociétés. Or, ce principe est défié. Et ceux qui le défient le font, croyez-moi, en connaissance de cause, pour tester nos facultés de résistance.
On ne peut pas transiger avec ce principe, s’accommoder d’un signe, d’un signal, d’une tenue. Car le voile est porté où, et par qui ?
Ce sont les talibans qui contraignent les femmes à porter la burqa. Dès que les talibans prennent ou reprennent le pouvoir, la burqa devient obligatoire et, parallèlement, les filles sont retirées des écoles. C’est à ce moment-là que le port de la burqa prend toute sa signification.
Au-delà même du port du voile intégral dans la rue, il faut voir le symbole qui est transmis, exprimé, inscrit dans cette tenue. Nous devons donc réagir. Il s’agit, je le répète, d’un principe avec lequel nous ne pouvons pas transiger, que nous ne pouvons pas abandonner.
Je rappelle simplement, mais c’est essentiel, que le droit à la liberté d’opinion figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. À l’époque, on avait précisé, ce qui était singulier, « même religieuse » ! Alors, la liberté d’opinion religieuse ? Oui ! La liberté de pratiquer sa religion ? Oui ! La laïcité les garantit à chacun.
Mes chers collègues, en interdisant le port du voile intégral dans l’espace public, vous n’empêchez personne de pratiquer sa religion. Ce n’est pas une dragonnade ou une inquisition ! Nous favorisons au contraire, comme je le souhaite, par la construction de mosquées et par l’expression constante de notre sympathie, de notre amitié, la garantie à tous ceux qui le veulent d’exercer leur croyance et leur foi.
En interdisant le port du voile dans l’espace public, vous n’empêchez pas celles qui le veulent de pratiquer leur religion, mais vous ne tolérez pas que les éléments les plus intégristes et les plus fanatiques affichent et proclament leur vision, que nous ne pouvons pas accepter, d’une société où les femmes disparaissent de l’espace public et ne sont plus que des fantômes. Cela, non ! Et c’est la raison pour laquelle je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur l’ensemble des travées.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Il est bien difficile de s’exprimer après M. Badinter…
Madame le ministre d’État, je vous remercie d’avoir rappelé votre attachement à la pédagogie. Mais la pédagogie suppose un encadrement. J’espère que vos services trouveront les moyens humains et financiers nécessaires à l’application de cette loi.
Il faut savoir que des flux financiers importants circulent dans certains quartiers. Des pères de famille peuvent percevoir 5 000, voire 10 000 euros pour contraindre leur fille à porter un voile intégral, ou du moins à s’orienter vers une pratique plus stricte de la religion. Si l’on veut que cette loi soit efficace, il faudra l’expliquer, faire un effort de pédagogie.
Madame le ministre d’État, j’espère que vous aurez les moyens financiers et humains de faire cet effort. Il faudra déceler, partout où c’est possible, les failles de l’accompagnement social qui existent aujourd’hui dans notre société. Ces failles constituent en effet des brèches dans lesquelles l’islamisme et le radicalisme trouvent leur fondement. C’est lorsque notre maillage social fait défaut que des associations, qui ne sont pas toujours bien intentionnées, peuvent trouver une accroche dans des familles démunies, en difficulté sociale.
Madame le ministre d’État, j’espère que vous trouverez les moyens financiers et humains d’appliquer cette loi afin qu’elle soit à la hauteur des principes que nous avons tous rappelés et soutenus aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Fournier.
M. Bernard Fournier. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, particulièrement attachés à la défense des personnes contre toutes formes de violence, le groupe UMP et moi-même nous réjouissons de l’examen de ce projet de loi.
Je me félicite que, sur l’initiative de notre majorité, l’évolution législative ait conduit à un droit de plus en plus protecteur pour le respect de la dignité des personnes et de l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais il fallait aller plus loin.
À cet égard, le projet de loi présenté aujourd’hui est une nouvelle pierre à l’édifice de la lutte contre les atteintes à nos valeurs républicaines. Surtout, il constitue un texte équilibré, qui préserve les libertés individuelles tout en restant fidèle aux principes fondamentaux de notre démocratie.
D’abord, le dispositif distingue clairement la dissimulation du visage du délit de dissimulation forcée du visage, et ne nous pouvons que nous en féliciter. Sanctionner des femmes qui vivent d’ores et déjà sous le joug d’un carcan ne pourrait que constituer une double peine. Ce projet de loi vise au contraire à protéger les femmes de l’emprisonnement qu’elles subissent en portant le voile intégral. À ce titre, la mise en place d’un délai de six mois pour l’application des dispositions législatives et la possibilité pour le juge d’imposer l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté vont dans le bon sens.
Il est essentiel de favoriser la meilleure information possible sur le texte afin que la sanction, lorsqu’elle sera nécessaire, soit la plus juste possible. Aidées par des structures publiques et associatives, véritables relais de la loi, ces femmes seront donc libérées des pressions sociales qui pèsent sur elles.
Ensuite, le projet de loi prévoit plusieurs exceptions à l’interdiction générale, notamment dans le cadre de pratiques sportives, fêtes et manifestations artistiques ou traditionnelles : ce texte est donc respectueux des libertés.
Enfin, en visant l’interdiction générale de dissimulation du visage dans l’espace public, ce projet de loi évite toute stigmatisation des personnes de confession musulmane. En effet, il ne s’agit en aucune manière de pointer du doigt une croyance ; il s’agit de préserver notre ordre public, tant dans son aspect sécuritaire qu’en ce qui concerne le pacte social du vivre ensemble.
Information, dissuasion et répression sont ainsi les trois mots clés de ce texte qui ajoute à notre arsenal juridique de nouvelles dispositions, nécessaires et justes.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, le groupe UMP votera le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, avant de vous rappeler les raisons pour lesquelles nous sommes favorables à cette loi, je tiens à souligner que nous ne sommes pas dupes du climat xénophobe dans lequel cette loi a été mise en scène. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Nous estimons cependant que la lutte pour les droits des femmes nécessite le vote de cette loi. L’interdiction du voile intégral est en accord avec nos principes républicains que sont l’égalité, la fraternité, la liberté, la laïcité et la dignité humaine.
La pratique de n’importe quelle liberté peut recevoir une limite si son exercice contrevient à un droit fondamental. Il est donc possible d’interdire le port du voile intégral par la loi sans que cela déroge aux principes de liberté religieuse et de liberté de conscience.
Ainsi, suivant cette logique, les sénateurs du parti de gauche regrettent que soient exclus de ce projet de loi, d’une part, l’interdiction des refus d’intervention de personnels soignants en raison du sexe de ces derniers et, d’autre part, la lutte contre des pratiques contraires à la mixité dans les lieux publics.
On a estimé que le port du voile intégral ne concernait que deux mille femmes en France : ce sont deux mille de trop ! D’aucuns considèrent que le port du voile intégral concerne un nombre trop faible de femmes pour pouvoir légiférer. Dès lors, faudrait-il fermer les yeux sur ce traitement dégradant, ne rien faire contre cette pratique barbare qui touche même des mineures ? Et quand bien même une seule femme serait concernée, cela n’en resterait pas moins dégradant pour la dignité de toutes les femmes.
En votant ce projet de loi, nous envoyons un signal fort et porteur d’espoir aux femmes du monde entier qui luttent, et meurent, pour la liberté de pouvoir vivre sans porter ce drap de l’humiliation.
Le port du voile intégral est un traitement dégradant ; il doit être interdit, car nous sommes en République. Cette pratique est également une provocation de la part des milieux intégristes. Si l’on veut que la République triomphe de l’intégrisme et de l’obscurantisme, nous devons voter cette loi.
Dans la République française, les hommes et les femmes sont égaux. Chaque être humain doit pouvoir regarder autrui dans les yeux, c’est la base du vivre ensemble. Or, le voile intégral est un obstacle à ce principe, c’est-à-dire au droit de chacun de connaître l’identité de la personne à qui il s’adresse, d’y reconnaître son égal et d’y voir l’acceptation d’une relation sociale indispensable à une société ouverte et sans caste.
Telles sont les raisons pour lesquelles le voile intégral constitue, à nos yeux, un traitement dégradant qu’il faut donc interdire.
Si nous condamnons le port du voile intégral, ce n’est pas au nom de prétendues valeurs occidentales ou de nos racines judéo-chrétiennes, c’est parce que les sénateurs du parti de gauche sont attachés aux droits fondamentaux républicains et universels, au premier rang desquels figurent l’égalité entre les hommes et les femmes, la laïcité et la dignité humaine.
Face à une telle pratique, archaïque, obscène et dégradante pour les deux sexes, nous devons porter de manière intraitable les principes de la République française. Tant que la loi ne met pas en cause une religion particulière ou un groupe religieux en tant que tel, l’action du législateur est légitime. En effet, aucune religion n’est mentionnée dans ce projet de loi, qui vise simplement sur l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du parti de gauche voteront ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je suis contre le port du voile intégral. Comme l’ont souligné nombre de nos collègues, le port du voile intégral est une violence faite à la dignité de la femme, un déni de l’égalité entre les femmes et les hommes, une négation des valeurs essentielles de la République.
Nous ne devons pas perdre de vue que la pratique du voile intégral n’est pas représentative des revendications et des coutumes de la communauté musulmane dans ses composantes majoritaires, comme le précise le rapport de Mme Christiane Hummel.
L’obligation de porter le voile ne figure pas dans les textes sacrés musulmans, mais n’oublions pas que Saint-Paul a tenté d’imposer le port du voile aux femmes, dans sa Première épître aux Corinthiens. Je souhaite vous faire partager l’étonnement que j’ai ressenti en découvrant ce texte qui, je le précise, n’a aucune incidence sur le vote que j’émettrai.
Permettez-moi donc de vous en lire un extrait.
M. Jean-Jacques Mirassou. Pas ici ! Nous ne sommes pas à la messe !
Mme Anne-Marie Payet. « Si une femme ne se voile pas la tête, qu’elle se coupe aussi les cheveux. Or, s’il est honteux à une femme d’avoir les cheveux coupés ou la tête rasée, qu’elle se voile. […] l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. C’est pourquoi la femme doit […] avoir sur la tête un signe de sujétion », c’est-à-dire la marque de la puissance de l’homme.
M. Jackie Pierre. C’était l’époque !
Mme Anne-Marie Payet. Sans doute ! Et il s’agissait bien entendu non pas d’un voile intégral, mais d’un simple foulard.
Je considère qu’il n’était pas nécessaire de légiférer. La loi ne fera que stigmatiser, marginaliser les communautés musulmanes. Nous aurions pu tenter de remédier à ce problème par d’autres voies, par un simple décret ou par un élargissement des pouvoirs du préfet. Nous aurions ainsi peut-être pu trouver des solutions sur le plan local, plus facilement applicables. Je voterai donc contre ce projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la discussion de ce projet de loi nous offre l’occasion de réaffirmer avec force et solennité les valeurs fondamentales qui nous unissent tous ici, quels que soient nos clivages politiques ou partisans.
Je me réjouis que, par-delà nos conceptions divergentes sur tel ou tel sujet, nous puissions nous retrouver sur l’essentiel, au sens le plus fort du terme : la défense de la République et de nos valeurs fondamentales communes.
Mes chers collègues, cette république, que nous chérissons tous dans cette enceinte, s’est bâtie sur le principe indépassable selon lequel tous les hommes et toutes les femmes sont d’égale dignité et, par voie de conséquence, égaux en droits.
En effet, nous sommes fiers de la portée universelle de la devise de la République « Liberté, Égalité, Fraternité », à laquelle s’associe naturellement la laïcité.
Cette évidence aura pourtant nécessité des décennies de combat contre l’obscurantisme et l’archaïsme, combat auquel la question du port du voile intégral sur le territoire de la République nous rappelle avec acuité qu’il induit une vigilance de tous les instants.
Oui, mes chers collègues, nous sommes dans notre rôle de parlementaires dès lors qu’il s’agit de réaffirmer des principes clairs et fondateurs de notre pacte républicain lorsqu’il est bafoué.
Pour autant, madame la ministre d’État, nous refusons tout amalgame et nous agissons avec la parfaite conscience que, dans leur écrasante majorité, nos compatriotes de confession musulmane condamnent avec nous cette pratique indigne.
La burqa et le niqab heurtent de plein fouet notre conception de la dignité de la femme, tant ils symbolisent un intégrisme religieux que nous condamnons, d’abord et avant tout au nom de la raison.
Oui, il est inacceptable que des femmes, quand bien même elles y consentiraient, puissent être littéralement coupées du reste de la société par cette prison humiliante que constitue le voile intégral.
L’accepter reviendrait à rayer d’un trait de plume des années de lutte en faveur de l’émancipation de la femme et de l’égalité réelle, alors même que le combat continue et qu’il est, hélas ! encore loin d’être gagné partout dans le monde. (Mme Nathalie Goulet approuve.)
Le voile intégral est aussi le symbole des prétentions de certains à placer un dogme religieux au-dessus des lois de la République. Les sénateurs du RDSE s’interposeront toujours pour défendre la laïcité, pilier intangible de notre démocratie, qui garantit, au travers de la neutralité de l’État, l’exercice des libertés de culte et de conviction, dans le respect des principes républicains.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Yvon Collin. Tous ici nous croyons profondément à l’égalité indifférenciée des individus, quelles que soient leur origine, leur opinion et leur religion.
Accepter aujourd’hui le voile intégral reviendrait à ouvrir une brèche dans l’unité de la République, en cautionnant une dérive communautariste que nous condamnons sans nuance.
Madame la ministre d’État, une telle attaque faite aux valeurs qui fondent notre vivre ensemble ne peut qu’appeler une réponse juste, mais ferme. Ce projet de loi y satisfait, malgré les quelques réserves quant à l’application de certaines dispositions exprimées par les collègues de mon groupe tout à l'heure dans le cadre de la discussion générale.
Mes chers collègues, parce que la République demeure notre bien le plus précieux et, sa défense, notre priorité, les sénateurs radicaux de gauche, comme l’ensemble du groupe du RDSE, voteront unanimement en faveur de ce texte, avec toute la responsabilité qui sied à sa portée humaniste et universelle.
C’est une question de principe, de conviction ; c’est un engagement grave et solennel. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur celles de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
J’ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Je rappelle que la commission est favorable et que le Gouvernement est également favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 276 :
Nombre de votants | 247 |
Nombre de suffrages exprimés | 247 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 124 |
Pour l’adoption | 246 |
Contre | 1 |
Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi. (Applaudissements.)
La parole est à Mme le ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à exprimer ma reconnaissance à chacune et à chacun des intervenants. Le Sénat peut être fier du débat qui a eu lieu aujourd'hui dans cet hémicycle et s’enorgueillir de la hauteur de vue dont ont fait montre tous ceux qui se sont exprimés, dans un sens ou dans l’autre. Ce qui les a réunis, c’est la volonté de bien faire pour la République : même les réticences étaient inspirées par le souci d’avoir la plus grande efficacité possible.
Ce soir, la République peut être fière de son Sénat et de ses sénateurs ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
4
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 15 septembre 2010, à quatorze heures trente et le soir :
- Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à lutter contre l’absentéisme scolaire (n° 586, 2009-2010).
Rapport de M. Jean-Claude Carle, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 662, 2009 2010).
Texte de la commission (n° 663, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART