M. le président. La parole est à Mme le rapporteur de la délégation aux droits des femmes.
Mme Christiane Hummel, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la commission des lois a souhaité recueillir l’avis de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, dans son domaine de compétence et de ce seul point de vue, sur les conséquences du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, et je l’en remercie vivement, au nom de mes collègues de la délégation.
Même si l’intitulé de ce projet de loi ne mentionne jamais les femmes, ni le voile intégral, le dispositif proposé traite effectivement, sur le fond, d’un double enjeu et défend la place de la femme dans notre société et le respect du second alinéa de l’article 1er de la Constitution.
Il est permis de s’interroger sur cette discrétion.
Un rapport du Conseil d’État sur les possibilités d’interdiction du voile intégral, publié en mars dernier, ne laisse guère de doutes sur les risques d’inconstitutionnalité d’une telle mesure.
Ce rapport évoque en revanche la possibilité juridique d’une interdiction de la dissimulation du visage au nom des valeurs républicaines qui inspirent notre contrat social. Je ne reviendrai pas sur les points qui viennent d’être excellemment rapportés par M. Buffet.
Le Gouvernement a choisi de s’engager dans cette voie, qui permet d’aboutir aux mêmes effets qu’une interdiction directe du voile intégral.
Ce choix est courageux : selon le Conseil d’État, les valeurs républicaines ne constituent pas à coup sûr un fondement juridique solide pour l’interdiction d’une pratique qui, pourtant, les bafoue. Il y a un risque contentieux, et donc un risque politique. Cependant, « la liberté et l’égalité de la femme, la protection de certaines jeunes femmes au nom de nos valeurs communes valent de prendre des risques juridiques », comme l’a affirmé sans ambages Jeannette Bougrab, présidente de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, quand nous l’avons auditionnée sur ce texte.
Mes chers collègues, pour que les promesses d’égalité républicaine, qui sont au cœur de notre contrat social, soient tenues à l’égard des femmes musulmanes dans notre pays, nous estimons nécessaire de prendre ces risques. Car, finalement, tout l’enjeu de ce projet de loi, c’est bien l’égalité républicaine.
Par honnêteté, j’ai tenté de faire le tour de l’ensemble des raisons possibles de ne pas légiférer.
On peut dire que le phénomène, tout en s’étendant, reste marginal : deux mille femmes environ, dont beaucoup de récentes converties, porteraient actuellement le niqab ou la burqa en France.
On peut avancer le fait que certaines de ces femmes invoquent, parfois, leur libre adhésion. On peut dire aussi que la liberté de s’habiller comme on l’entend est une liberté élémentaire, et que la rue reste le lieu où celle-ci peut le mieux s’exercer.
On peut se demander par ailleurs si une interdiction n’aura pas un effet stigmatisant à l’égard de la communauté musulmane et, enfin, si elle n’aura pas pour conséquence d’exclure physiquement de l’espace public les femmes soumises au port du voile intégral.
Quelle que soit la part de recevabilité que l’on peut reconnaître à ces arguments, en tant que rapporteur et avec l’ensemble de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes – je me permets d’insister sur l’importance que revêt la deuxième partie de l’intitulé de notre délégation –, nous avons choisi de les réfuter au profit d’une analyse respectueuse d’un grand principe de notre République, l’égalité entre les hommes et les femmes.
Quel est, en effet, le libre arbitre qui s’exprimerait par le choix de l’exclusion ?
Comme l’a dit Jean-Jacques Rousseau, les mots esclavage et droit sont contradictoires. Autrement dit, la tradition républicaine exclut la liberté de ne pas être libre.
Quelle serait cette revendication religieuse qui conduirait à une forme de négation de soi-même en se faisant disparaître sous un voile intégral ? Comme le déclare Sihem Habchi, présidente de Ni putes Ni soumises : « La burqa, c’est le bout du bout de l’exclusion », et comme l’affirmait encore Jeannette Bougrab au cours de son audition : « Au nom d’une liberté religieuse, on ne peut exclure la moitié de l’humanité ».
Comment serait-il possible d’imaginer un sentiment de stigmatisation au sein de la communauté musulmane, alors que le port du voile intégral, importé en Europe par les courants salafistes de l’islam, est, de toute évidence, l’une de ces pratiques sectaires qui atteignent toutes les religions et que le souci de la démocratie oblige à endiguer quand il en est besoin, et je me permettrai d’ajouter, quand il en est encore temps ?
Les musulmans de France ne sont aucunement inscrits dans ces dérives sectaires, il n’y a donc aucune raison qu’ils voient ici la moindre attaque contre leur religion.
Enfin, comment justifier par l’argument des possibles effets pervers de la loi sur quelques femmes, qui se retrouveraient par l’interdiction du port du voile intégral exclues de la communauté citoyenne, ce qui constituerait en fait une non-réponse que nous proposerions à des millions de femmes françaises musulmanes, qui attendent du législateur la mise en application rigoureuse de l’égalité citoyenne dans notre pays, comme vous l’avez rappelé, madame le ministre d’État ?
Ajoutons, mes chers collègues, que la notion de société postule l’existence d’une relation entre les humains et donc d’une réciprocité entre tous ses membres. Malheureusement, nous avons la connaissance historique et l’expérience des drames universels engendrés par la négation radicale de l’autre. C’est pourquoi il nous faut rejeter ce refus de l’autre induit par le port du voile intégral et lutter pour le maintien du lien élémentaire nécessaire entre les membres de la communauté française, nécessaire à son unité.
Mes chers collègues, la conviction de notre délégation est que, par la rupture d’égalité qu’il introduit entre les femmes et les hommes, le port du voile intégral ne peut trouver sa place dans la société française.
Depuis un peu plus d’un siècle, la France a emprunté un double chemin, celui de l’affirmation de la laïcité de sa République et celui de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ce cheminement est ardu. Le consternant symbole régressif que présente, à cet égard, la dissimulation du visage des femmes dans l’espace public ne peut que confirmer la nécessité d’éradiquer cette pratique.
En ce qui concerne le dispositif du projet de loi, nous avons, bien entendu, approuvé, pour toutes les raisons que je viens de vous exposer, la prohibition de la dissimulation du visage dans l’espace public ainsi que les pénalités qui accompagneront son entrée en vigueur.
Nous apprécions particulièrement tout ce qui facilitera l’information et l’accompagnement des femmes concernées. Le fait que l’amende instituée puisse être accompagnée ou remplacée par l’obligation d’accomplir un stage de citoyenneté est particulièrement bienvenu. Le délai de six mois fixé entre la promulgation de la loi et l’entrée en vigueur de l’interdiction de dissimuler son visage est tout aussi justifié, car cela facilitera la connaissance et l’explication des nouvelles dispositions.
J’ajoute que, dans ce délai, les structures publiques ou associatives intéressées auront la possibilité de prendre le relais du législateur afin de faire connaître et expliquer ses intentions et les prescriptions de la loi. Ce souhait est mentionné dans une recommandation adoptée par notre délégation.
Voilà pourquoi, monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a approuvé et vous demande d’approuver le projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les élus communistes républicains et citoyens de mon groupe ne participeront ni au débat ni au vote de ce projet de loi. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Pierre Bordier. Pourquoi ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nos deux collègues du Front de gauche font un choix différent qu’exposera Marie-Agnès Labarre.
À ceux qui s’interrogent sur ma présence à cette tribune, je réponds qu’il me faut bien expliquer pourquoi nous faisons ce choix.
Ce projet de loi visant à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public – titre par obligation neutre – a une cible précise : le port du voile intégral, le niqab ou la burqa, bien que la burqa ne soit pas recensée en France.
S’il s’agit de savoir si nous considérons comme anodin le port du voile intégral, notre position est sans équivoque. Les communistes se sont toujours battus pour l’égalité et l’émancipation des femmes. Ils combattent l’intégrisme, l’obscurantisme, le communautarisme et les dérives sectaires, quelles qu’elles soient.
Le port du niqab est le symbole de l’aliénation, de l’emprisonnement des femmes. Il est la négation de leur dignité. Si vous aviez à cœur, comme vous l’affirmez, l’exigence d’égalité et d’émancipation des femmes, vous auriez accepté que figure dans la loi contre les violences faites aux femmes, votée au printemps, la pénalisation des hommes qui les contraignent à le porter.
Votre préoccupation est bien différente.
Ce texte s’inscrit dans une suite de dérives de la politique du Gouvernement, avec la stigmatisation des étrangers par les lois successives sur l’immigration qui les visent, sans compter les dix-sept lois sécuritaires – maintenant dix-huit – lesquelles induisent l’amalgame entre la délinquance et les étrangers ; avec la création du ministère de l’identité nationale et le débat que vous avez voulu imposer sur ce sujet – fort heureusement, il n’a pas eu le succès que vous en escomptiez – jusqu’à la désignation de groupes ethniques dans le discours présidentiel de Grenoble et la chasse à ceux que vous appelez « les Roms ».
Il est remarquable d’ailleurs qu’après hésitation dans votre majorité vous ayez finalement décidé de présenter ce projet de loi, après les élections régionales, je le précise, un projet pourtant juridiquement contestable. Vous vous faites fort de démontrer le contraire, bien évidemment, mais on ne peut oublier que le Conseil d’État – j’ai lu son avis dans son intégralité – est très critique quant à une interdiction absolue et générale. Il suggère de limiter l’obligation de découvrir son visage à des exigences de sécurité ou de lutte contre la fraude dans certains lieux ou pour effectuer certaines démarches.
Nous pensons, nous aussi, que les préoccupations de sécurité peuvent être satisfaites par des restrictions ciblées. La législation française les autorise d’ores et déjà, comme le signale fort justement le professeur Dominique Rousseau. Des textes réglementaires existent pour obliger à montrer son visage au motif d’identification. D’autres peuvent, s’il le faut, être pris pour répondre à des exigences d’ordre public.
Mais vous maniez les questions d’ordre public de façon dangereusement extensible. D’aucuns – vous-même, madame la garde des sceaux, le faisiez à l’instant –, parlent d’ordre public « social », « sociétal », d’ordre public « immatériel », le cas échéant élargi ! Si ces notions ont déjà été utilisées par la jurisprudence dans des cas précis, on ne peut en conclure que celle-ci les valide a priori dans le cas visé par ce projet de loi. Nous pensons que ces interprétations sont pour le moins équivoques. Légiférer sur cette question est un affichage inquiétant.
Vous risquez l’inconstitutionnalité, mais vous n’en avez cure. En réalité, vous cherchez à donner une orientation très préoccupante au débat politique ; vous tentez de mobiliser l’opinion publique non sur la situation de ces femmes enfermées derrière un voile intégral, mais bien sur les fantasmes, les confusions et les raccourcis qu’ils attisent, comme à Nantes, où vous avez immédiatement fait l’amalgame entre islamisme, voile intégral et polygamie, et polygamie de fait.
Vous dites vouloir, avec ce texte, aider les femmes à sortir de cette prison qu’est le voile intégral. Pourquoi alors, dans le projet de loi, commencer délibérément par la pénalisation des femmes, c'est-à-dire les victimes, et non par celle des responsables, pour laquelle il faut attendre l’article 4 ?
Et pourquoi la prévention est-elle absente de ce texte ?
Protéger les femmes suppose de prendre des mesures pour lutter contre les stéréotypes sexistes, les préjugés, les attitudes discriminatoires, de promouvoir leurs droits dans tous les secteurs de la société, notamment l’égalité avec les hommes, de faire vivre pleinement la laïcité et, le cas échéant, d’intervenir dans des cas individuels par des moyens relevant du droit commun et du droit de la famille. Il faut faire prévaloir le dialogue et la médiation.
Vous affirmez officiellement lutter contre l’intégrisme religieux. En réalité, par vos amalgames, vous stigmatisez l’ensemble des musulmans. Le voile intégral n’est pas une obligation religieuse et ne concerne dans notre pays que moins de 2 000 femmes, soit 0,003 % de la population française, essentiellement dans quelques grandes agglomérations.
Vous nourrissez l’extrémisme politique, courant comme toujours après le Front national et, de ce fait, l’intégrisme religieux.
Cette loi sera-t-elle applicable ? Rien n’est moins sûr. Allez-vous mobiliser les forces de l’ordre, alors que les policiers eux-mêmes s’interrogent sur la possibilité de sa mise en œuvre ?
Deux situations se présentent : ou bien une femme est contrainte de porter le voile intégral, ou bien elle revendique le port du voile intégral.
Dans le premier cas, une loi condamnera une victime et finalement la contraindra à être encore plus recluse. Dans le second cas, on ne fera que renforcer ses convictions et donner une tribune à l’extrémisme sectaire. C’est ce que nous avons d’ailleurs constaté à Nantes.
En outre, quand nous voyons combien il est difficile aux victimes d’effectuer des démarches pour s’en sortir, il n’est pas du tout certain – voire le contraire – qu’une loi leur donnera le courage nécessaire pour dénoncer notamment un époux ou un père qui leur impose sa domination.
Votre combat, c’est celui de la division, c’est l’installation dans la durée de tensions et de fractures au cœur de la République pour mieux faire passer votre politique inégalitaire.
Le candidat Nicolas Sarkozy avait fait campagne sur l’idée de deux France : celle qui travaille et celle qui ne fait rien, les travailleurs contre les chômeurs. Mais depuis, nombre de ces travailleurs sont devenus des chômeurs.
Alors, vous divisez la France entre les étrangers et les Français, mais aussi entre les Français qui ont des origines étrangères et ceux qui le sont de plus longue date. Vous n’hésitez pas à provoquer une rupture du principe d’égalité, y compris entre Français. Vous allez même jusqu’à vouloir instaurer une nationalité en quelque sorte probatoire, puisque vous faites peser sur les personnes concernées la menace de les déchoir de cette nationalité.
Je me réjouis de la réaction éthique de grande ampleur du 4 septembre dernier. Elle confirme que votre politique sécuritaire, anti-étrangers, n’a pas partie gagnée.
Votre politique de régression sociale aggrave de jour en jour les fractures de la société. C’est une aubaine pour tous les communautarismes qui donnent l’illusion de compenser le manque de solidarité nationale, aubaine dont, hélas ! ils profitent.
Ce projet de loi a sa place dans les débats honteux qui se succèdent depuis 2002 et qui ternissent l’image de notre pays.
Ce débat n’est pas le nôtre.
Nous ne cautionnerons d’aucune façon cette politique qui stigmatise, qui divise, qui surfe sur les peurs. C’est pourquoi les élus communistes républicains et citoyens ne s’inscriront pas dans ce débat et ne participeront pas au vote. (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je vais mettre immédiatement un terme au suspense en vous disant que le groupe de l’Union centriste auquel je suis rattachée votera ce texte ! (Sourires.)
Passée la mention d’autres voies et moyens de dissimuler le visage dans l’espace public, la cagoule, par exemple, ce texte vise en tout premier lieu l’interdiction du voile intégral islamique, tout comme le texte sur les signes religieux à l’école concernait à titre principal le port du voile par les jeunes filles musulmanes.
Je vais donc pouvoir user d’une partie du temps de parole qui me reste pour m’exprimer à titre personnel et en ma qualité de vice-présidente du groupe d’amitié France-Pays du Golfe sur l’aspect culturel de la question ; les orateurs qui vont me succéder évoqueront sans doute d’autres aspects.
Vous savez bien, madame le ministre d’État, que l’héritage familial a placé la barre bien haut s’agissant des relations avec les pays du Golfe et les pays musulmans dans leur ensemble. J’y ai ajouté ma passion personnelle pour l’Iran.
On ne peut pas donc dire que la culture et la civilisation arabo-islamiques me soient étrangères.
Je profite donc de ma présence à cette tribune pour mettre un terme à des propos de comptoir rapportés d’ignorants en ignorants et alimentant un « je ne sais quoi » qui ressemble, à s’y méprendre, à de l’islamophobie.
Qui n’a pas entendu : « Oui, mais quand on est chez eux, il faut se voiler ! » Qui entend-on par « on » et de quel pays parle-t-on ?
De toute façon, c’est faux ! Aucune femme étrangère ne doit se voiler dans les pays arabes, sauf sur les lieux de culte ! Je ne parle pas ici de l’Iran, qui n’est pas un pays arabe ; notre collègue Josette Durrieu sait d’ailleurs très bien comment cela se passe dans ce pays.
En Arabie Saoudite, les femmes étrangères doivent se couvrir le corps, mais elles ne portent presque plus le voile, qui était obligatoire il y a encore quelques années. Il est d’ailleurs très fréquent de voir, dans la rue, des femmes étrangères qui ne sont pas voilées.
Grâce à une grande tolérance des pratiques religieuses étrangères, les Émirats Arabes Unis, le Qatar, Bahreïn et le Koweït accueillent sur leur territoire des lieux de culte chrétiens.
Et les femmes citoyennes de ces pays, me direz-vous ?
Les femmes émiraties, par exemple, ne portent plus systématiquement l’abaya, cette longue robe noire traditionnelle. Il suffit d’ailleurs de visiter l’université Zayed d’Abou Dhabi pour constater que les jeunes filles très éduquées sont libres de porter ou non cette robe noire dans l’espace public, et très peu nombreuses sont celles qui portent le voile intégral.
Quant aux femmes saoudiennes, je vous renvoie, mes chers collègues, aux actes du colloque que nous avons tenu ici même sur le rôle la femme dans la société saoudienne et qui aurait fait cesser ce genre de propos totalement erronés !
Dans la région, le niqab est de plus en plus mal vu sur les lieux de travail.
Aux Émirats Arabes Unis, par exemple, pour des raisons de sécurité, on demande aux femmes qui travaillent dans certaines administrations de ne pas se couvrir le visage. C’est notamment le cas du Centre de recherche stratégique d’Abou Dhabi, que vous avez visité, madame le ministre d’État, lorsque vous occupiez d’autres fonctions : le port du voile intégral y est purement et simplement interdit.
Au Yémen, des femmes m’ont confié que le fait de porter le niqab était un handicap sérieux pour obtenir un emploi dans une entreprise, alors que la pression de la société yéménite pousse pourtant les femmes à se voiler le visage.
Au Koweït, les femmes qui portent le niqab n’ont tout simplement pas le droit de conduire.
Dans tous les pays de la péninsule arabique, le port du voile a une signification plutôt culturelle. La tradition, les coutumes, sont responsables de ce phénomène, qui devient de plus en plus minoritaire dans cette région, centre historique du monde musulman.
Dans toute la péninsule, les femmes portent beaucoup plus le niqab dans les villes qu’à la campagne.
Phénomène intéressant, sur l’île yéménite de Socotra, au large de la Somalie, les femmes n’étaient jamais voilées, mais l’arrivée des travailleurs venus de la région de Sanaa ou du golfe d’Aden les ont contraintes à porter le niqab, alors que celui-ci ne faisait absolument pas partie de leurs traditions.
Enfin, en Iran, vaste sujet, un petit foulard suffit, doublé d’une tenue qui ne laisse pas apparaître la forme des hanches. À nos âges – enfin, au mien ! –, qui s’en plaindrait ? (Sourires.)
Rien, en conséquence, n’obligeait la journaliste de TF 1 qui a interviewé le président iranien à se déguiser avec ce hijab blanc, absolument ridicule, acquis je ne sais où, mais sans doute pas au bazar de Téhéran ! Aucune Iranienne ne porte ce genre de casque de scaphandrier – Josette Durrieu qui a rédigé un rapport sur la question pourra en témoigner. Aucune femme iranienne ne se voile le visage ; elles sont bien trop jolies pour cela ! Un petit carré noué comme un jour de pluie aurait suffi, ou une simple écharpe posée sur la tête, un pashmina ; je voulais vous en faire la démonstration, mais l’hémicycle ne s’y prête pas ! (Sourires.) Il était inutile de porter ce hijab totalement décalé, qui a d’ailleurs été plus remarqué que ne l’a été le fond de l’entretien !
Ce projet de loi répond-il à une impérieuse nécessité ?
Oui – là, je vous rejoins, madame le ministre d’État –, si nous considérons le problème sous l’angle de la sécurité et du pacte républicain.
Je voterai ce texte, bien que peu convaincue de son caractère opérationnel dans l’espace public. Imaginons, en effet, une princesse saoudienne venue faire ses courses dans une boutique de luxe de l’avenue Montaigne. Lorsqu’elle sortira de sa voiture diplomatique, qui lui demandera de retirer son hijab pour savoir qui elle est ? Elle fera ses courses et remontera dans la voiture, tout simplement !
Ce projet de loi est-il opportun ?
Madame le ministre d’État, avec le profond respect que je vous porte, je voudrais vous dire toute mon inquiétude face à une montée de xénophobie et d’islamophobie dans notre pays et dans le monde en général.
On fait le buzz en menaçant de brûler le coran, on tague des pierres tombales et on agresse des populations au faciès. Tous ces faits ne correspondent en rien au pacte républicain dont nous venons de parler.
On polémique à cause de l’ouverture de quelques fast-foods hallals, mais pourquoi tant de fureur ? Les consommateurs seraient d’ailleurs bien incapables de faire la différence entre la viande casher ou hallal et la viande que vous pouvez acheter chez votre boucher traditionnel. La viande est surveillée et une redevance est payée aux services religieux. La belle affaire !
Notre pacte républicain est-il à ce point menacé et fragile que six lettres apposées sur une vitrine suffisent pour enflammer les esprits ? Franchement, je ne le crois pas !
Madame le ministre d’État, je l’ai dit maintes fois à cette tribune, l’ennemi du pacte républicain, c’est l’ignorance. Il faudrait faire ce que le Gouvernement n’a pas fait lors de l’adoption du texte relatif à l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les établissements publics d’enseignement : expliquer ce texte.
Nos ambassadeurs dans les pays musulmans doivent organiser des conférences de presse pour bien expliquer la position de la France. Le Quai d’Orsay, qui, vous le reconnaîtrez avec moi, ressemble parfois au Quai des Brumes, doit envoyer des émissaires dans les grandes nations musulmanes qui composent le Maghreb, ainsi qu’en Égypte, en Arabie Saoudite, en Indonésie et au Pakistan.
MM. Pierre Fauchon et Jean-Paul Virapoullé. Bravo ! C’est très bien dit !
Mme Nathalie Goulet. On a reproché à la France de ne pas avoir suffisamment expliqué le texte relatif à l’interdiction du port du voile à l’école. Pour ma part, lorsque je rencontre, lors de mes déplacements dans les écoles ou les universités, des jeunes filles musulmanes, je leur explique la laïcité telle que nous la pratiquons, et le texte est mieux compris.
Madame le ministre d’État, je vous en prie, faites en sorte que ce texte-ci soit bien compris par nos partenaires et par nos amis.
Nous ne sommes pas le centre du monde : nos décisions peuvent heurter la sensibilité de représentants d’autres cultures ; elles doivent donc être accompagnées.
Notre réseau diplomatique dans le monde pourrait au moins s’occuper de cette question pour que nos partenaires ne soient pas vexés. Je le répète, l’éducation me semble absolument essentielle en la matière.
Je l’ai dit, l’ignorance est le pire ennemi du pacte républicain, et je crains que le rêve de voir réintroduite à l’école l’histoire des religions, ce qui permettrait à tous, singulièrement à nos enfants, d’être un peu moins ignorants, ne s’éloigne chaque jour un peu plus au vu des crédits accordés au ministère de l’éducation nationale.
Madame le ministre d’État, le numéro deux d’Al-Qaïda vient de jeter l’anathème sur la France. Certes, je vous l’accorde, ce n’est pas très important, mais j’y vois une raison supplémentaire d’insister pour que le texte soit expliqué, car il répond à un besoin de sécurité, et qu’il soit bien compris à l’intérieur de nos frontières, par les communautés auxquelles il s’adresse, mais aussi au-delà, par nos partenaires étrangers. Je compte vraiment sur vos services ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je suis chargé de vous présenter dans une intervention volontairement courte la position du groupe socialiste.
Le groupe socialiste, dans son unanimité, partage les objectifs du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, visant à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public.
Ce texte concerne tous les moyens de dissimulation, mais il n’a échappé à personne que c’est le port du voile intégral, le niqab arabe ou, surtout, de la burqa afghane par un certain nombre de femmes qui motive l’intervention du législateur.
Certes, selon l’enquête du ministère de l’intérieur, cette pratique ne concerne en France que 1 900 femmes, mais le risque de prolifération de ce phénomène comportemental, qui porte atteinte aux principes fondamentaux du pacte républicain, est réel.
Porter le voile intégral, c’est peut-être se protéger, mais c’est aussi s’exclure de la société. Ce n’est même pas en contester les principes, c’est nier son existence. Ce n’est pas un refus d’intégration, c’est le refus pur et simple de communiquer avec les autres, le refus de vivre ensemble, fondement pourtant de la vie sociale et de la paix civile. C’est donc une atteinte irrémédiable au principe de fraternité, qui suppose l’échange.
Le port du voile, c’est aussi une atteinte incontestable à l’égalité, car cette pratique ne concerne que les femmes : elle est, par nature, d’essence machiste.
Déjà, pour éviter les quolibets et, surtout, les injures, nombreuses sont les jeunes filles de banlieue à être obligées de renoncer à la jupe ou à la robe. Certaines, et c’est de plus en plus souvent le cas, finissent par ajouter le voile au pantalon, pour ne pas être agressées. Ainsi, aux yeux des jeunes hommes qui les surveillent, signifient-elles une pureté sexuelle qui, de fait, leur est imposée. Mais cette contrainte exprime aussi et surtout la soumission. Déjà !
Le port de la burqa constitue une étape supplémentaire vers l’isolement et la marginalisation qu’il convient, à l’évidence, d’empêcher.
Il s’agit d’une violence insupportable faite aux femmes, qui les conduit à l’enfermement, à nier leur existence par rapport au monde et par rapport à elles-mêmes, à nier leur condition de femme, et même d’être humain. L’aboutissement est d’en faire un objet de tous les caprices de leurs frères, surtout de leur mari et, plus rarement, de leur père, car ce comportement saute souvent une génération. Sont surtout touchées par le phénomène de jeunes femmes, qui peuvent croire, dans un premier temps, s’affirmer en s’opposant à leurs parents et se précipitent ainsi volontairement dans le port de cet attirail, qui deviendra très vite le signe et le moyen de leur aliénation.
Il s’agit donc d’un sujet complexe, et je ne suis pas sûr que, sur la forme, la déclaration du Président de la République, selon lequel la burqa « n’est pas la bienvenue en France », soit heureuse. Cette expression pouvait donner à penser que le port de la burqa est une pratique culturelle que la culture française ne peut pas accepter. Or ce ne sont pas deux cultures qui se confrontent. Ce qui est profondément en cause, ce sont les relations entre les hommes et les femmes et ce moyen commode pour l’homme d’exprimer sa domination absolue sur sa femme. C’est inacceptable !
Ce comportement porte-t-il atteinte au principe de laïcité ? J’ai remarqué que la défense de ce principe n’est pas évoquée dans l’exposé des motifs du projet de loi. Je crois, madame le ministre d’État, que vous avez eu raison de procéder ainsi.
Si le principe de laïcité, entendu au sens strict du terme, était en cause, cela voudrait dire que seraient concernées la liberté de conscience et la liberté religieuse, tout simplement.
Or l’obligation dont nous parlons ne repose sur aucun fondement religieux. Les représentants du culte musulman en France l’ont proclamé de façon très ferme. Il ne s’agit donc que d’une dérive, récente, d’inspiration talibane. On peut l’assimiler à une dérive sectaire et la traiter comme telle. Le fait que l’on présente sur les plateaux de télévision ou de radio de jeunes femmes qui revendiquent, quelquefois de façon véhémente, leur adhésion au port du voile intégral ne change pas grand-chose à l’affaire. L’aliénation peut fort bien emprunter les voies du volontariat apparent, même si elle est le résultat, on le sait bien, d’un véritable lavage de cerveau.
Simone de Beauvoir l’a affirmé très simplement : « Le consentement des victimes ne légitime rien ! » Le sectarisme est coutumier de ces cas d’aliénation volontaire.
Si donc l’on invoque le principe de laïcité, ce ne peut être au sens religieux du terme, mais, de façon tout aussi importante, au sens large du terme, par la mise en cause du « vivre ensemble » dans la République, qui suppose la tolérance et le respect de l’autre. Porter la burqa, c’est manquer de respect à l’ensemble du corps social.
Il est ainsi difficile de ne pas invoquer la mise en cause de la liberté de choix pour ce qui concerne la plupart des femmes contraintes à porter ce vêtement. Elles sont à coup sûr des milliers dans le monde à ne pas avoir la liberté de ne pas le porter. Pour mesurer cette contrainte, il suffit d’évoquer le comportement de nombreuses femmes afghanes qui ont dévoilé leur visage lorsque, hélas ! de façon temporaire, l’emprise des talibans sur la société afghane s’est relâchée. Elles nous ont alors expliqué qu’elles retrouvaient leur dignité.
Le dernier principe est plus trivial, mais c’est le moins contestable : c’est celui de la sûreté, de l’ordre public, l’ordre public immatériel que je viens d’évoquer, qui repose sur la dignité de la personne humaine, mais, surtout, l’ordre public matériel, qui repose sur la sécurité.
En ces temps de risques terroristes, il est difficile de laisser une personne complètement voilée s’approcher d’un bâtiment public. De même, il est également impossible de lui confier ses enfants à la sortie de l’école, faute de certitude sur l’identification.