Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Philippe Marini, président de la commission spéciale Crédit à la consommation. Madame le président, madame « le » ministre (Sourires.), mes chers collègues, avant que le débat ne s’ouvre aux orateurs des groupes, je formulerai, si vous m’y autorisez, quelques brèves remarques.
Tout d’abord, je veux féliciter et remercier notre excellent rapporteur Philippe Dominati, qui, depuis dix-huit mois, s’est beaucoup impliqué dans ce dossier, qui a fait la preuve de toute sa capacité d’écoute et qui nous a permis de bien cheminer pour établir un texte de première lecture qui a, je crois pouvoir le dire, structuré le débat autour de ce projet de loi.
Qu’il me soit également permis de dire à nouveau ici notre conviction d’avoir fait le bon choix en créant une commission spéciale. En effet, nous avons pu intégrer ainsi les préoccupations des quatre commissions compétentes pour une partie, chacune, du champ de ce texte. Grâce à nos débats internes, aux consultations auxquelles nous avons procédé et en particulier aux tables rondes, nous avons réussi à faire prévaloir un certain équilibre.
Pour sa part, l'Assemblée nationale a fait un choix organique différent, mais il me semble – pardonnez-moi de ne pas être complètement objectif ! – que le nôtre, pour un texte qui concerne à la fois les lois, les affaires économiques, les finances et les affaires sociales, a probablement été le plus efficace et le plus porteur d’innovations.
Mme Nicole Bricq. Certainement ! Ça, c’est vrai !
M. Philippe Marini, président de la commission spéciale. Ma deuxième observation porte sur le cœur même de nos travaux.
Je tiens à dire que nos travaux ont reposé sur la participation active des membres de la commission spéciale, quelle que soit leur sensibilité politique. Chaque groupe s’est vraiment impliqué dans l’élaboration de ce texte, ce qui nous a permis de constituer, au-delà même des positions politiques qui sont très légitimement les nôtres, ce que je qualifierai de « patrimoine commun ». En effet, nous avons bel et bien bâti un socle commun dans lequel nous pouvons, les uns et les autres, nous reconnaître.
Cela peut sans doute s’expliquer par la conjugaison des préoccupations gouvernementales et des nôtres, qui avaient été exprimées au travers de différentes initiatives parlementaires, que Philippe Dominati a rappelées.
Il est clair que nous sommes, pour la plupart d’entre nous, excédés par ce que nous voyons dans nos départements : la pression de la concurrence et l’insistance de publicités tapageuses poussent à l’erreur bon nombre de nos administrés, notamment les plus fragiles d’entre eux.
Dans ces conditions, il était urgent de réformer le système en profondeur, et c’est ce que nous avons fait.
Aujourd'hui, nous souhaitons mettre un terme final au débat. Certes, nous aurions pu aller plus loin, et améliorer bien des choses encore, mais le souci de l’efficacité et celui de l’urgence sociale nous conduisent à demander que le Sénat adopte le texte dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, et nous nous justifierons bien sûr lors de l’examen des articles.
Ce texte me paraît équilibré : il réforme en profondeur le modèle économique du crédit à la consommation, mais ne casse pas pour autant la dynamique de ce secteur. Grâce aux ajouts effectués, en première lecture, par le Sénat, auxquels s’additionnent ceux de l'Assemblée nationale, nous sommes parvenus à atteindre cet équilibre.
Les principales innovations de ce projet de loi, vous les connaissez, mes chers collègues. La première est la réforme du régime de l’usure, un régime fort ancien, pour lequel il a fallu définir une nouvelle approche. Ouvrir ce débat aurait pu faire peur, mais force est de reconnaître aujourd'hui que la solution à laquelle nous sommes parvenus grâce au travail accompli en commun avec le Gouvernement peut faire consensus.
La seconde innovation est la perspective de création d’un fichier positif, sujet ô combien conflictuel, voire passionnel lors de la préparation des débats de première lecture. J’ai la faiblesse de croire, madame le ministre, que la formule équilibrée, l’honnête transaction que nous avions conseillée en première lecture a permis de dépassionner le débat en prenant du temps et en acceptant de porter un regard pluraliste sur ce sujet.
Par ailleurs, comme l’ont souligné tant Mme le ministre que Philippe Dominati, nous avons souhaité préciser la place du microcrédit personnel dans tout ce paysage.
Il n’en reste pas moins que les dispositions sans doute les plus visibles, celles qui jalonnent le parcours du consommateur, sur lequel nous avons cheminé, madame le ministre, lors de votre intervention, concernent l’encadrement de la distribution du crédit sur le lieu de vente, pour limiter le crédit renouvelable à ce que doit être son objet réel, c’est-à-dire un besoin de trésorerie ponctuel, et pour lutter contre le malendettement des ménages.
À cet égard, nos apports concrets sont l’exigence de la double offre de crédit, la mise en place, dans les surfaces de vente, d’espaces dédiés et la formation des personnels qui y travaillent, le renforcement des informations à délivrer aux emprunteurs, tout cela s’ajoutant au paiement comptant « par défaut » et au remboursement minimum du capital à chaque échéance.
Voilà un modèle global, qui est clair et qui devrait permettre de répondre aux difficultés auxquelles nous étions confrontés et de limiter les tentations excessives auxquelles étaient soumis nombre de nos concitoyens et qui les conduisaient sur le chemin du surendettement par le biais du malendettement. Bref, un modèle auquel les opérateurs vont désormais pouvoir se conformer sans qu’il en résulte pour autant une rupture de leurs activités.
Pour conclure, je souhaiterais évoquer, madame le ministre, le sentiment d’urgence qui implique une publication rapide des textes d’application.
Dans ce projet de loi, sont prévues trente mesures d’application. Si le calendrier législatif, la rareté du temps parlementaire, nous a conduits à attendre un an afin de pouvoir nous prononcer définitivement sur ce projet de loi, il est clair – vous nous l’avez indiqué tout à l’heure – que la mise en œuvre administrative des textes d’application ne doit pas engendrer de nouveaux délais, hormis ceux que requièrent leur élaboration et leur mise en forme.
Vous l’imaginez bien, nous serons, les uns et les autres, très vigilants au sujet de l’échéance de six mois que vous avez évoquée pour l’application de l’ensemble de ces dispositions, car nous avons le sentiment que nombreux sont nos collègues, et plus nombreuses encore sans doute sont les associations de consommateurs, à attendre ce texte.
Tout en saluant votre engagement personnel en la matière, madame le ministre, et en vous remerciant d’avoir précisé ces échéances, je souhaite que vos services et l’ensemble des services de l’État concernés par ce sujet se mobilisent dès demain pour que les délais que vous avez fixés soient parfaitement respectés.
La commission spéciale vous appelle naturellement, mes chers collègues, à suivre les avis qui seront exprimés, en son nom, par le rapporteur Philippe Dominati, et vous invite à voter le texte tel qu’il résulte des travaux de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Adrien Giraud applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame le président, madame le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons en deuxième lecture répond à un vrai besoin, avec des moyens appropriés. Certes, on pourrait sûrement encore améliorer sa rédaction, mais, osons le dire, car c’est assez rare par les temps législatifs que nous traversons, il constitue déjà une avancée considérable.
C’est donc sans surprise que je vous informe de l’adhésion du groupe de l’Union centriste auquel je suis rattachée et de la mienne en particulier. D’ailleurs, puisque nous sommes entre nous, je vous ferai une confidence. (Sourires.)
À la mort de mon père, il y a quelques années, ma sœur et moi avons dû faire le point sur la situation financière de nos parents. Nous avons découvert un gros dossier, comportant un certain nombre de sous-dossiers, qui étaient autant d’autorisations de découvert, de cartes de crédit et autres crédits revolving. Bien que capitalisant à nous deux un bac + 16, nous avons eu beaucoup de difficultés à nous y retrouver ! Munies de ciseaux acérés, nous avons passé un bon moment à couper en deux toutes ces cartes, estimant que c’était le seul moyen d’arrêter l’hémorragie.
Je considère donc que le texte qui nous est proposé présente beaucoup d’intérêt en ce qu’il répond à une situation complexe, les gens cumulant des cartes en accordéon dans leur portefeuille.
Les chiffres sont accablants. En 2009, le nombre de ménages surendettés a augmenté de plus de 20 % par rapport à l’année précédente. Ainsi, ce sont près de 190 000 personnes, principalement issues des classes moyennes, qui sont touchées par le surendettement. Les plans d’étalement de la dette s’étirent sur dix ans, pour un montant moyen de 40 000 euros – montant qui a augmenté de 25 % en trois ans –, contre 20 000 euros en Allemagne et 18 000 euros en Belgique. Au total, pour 2009, les procédures de rétablissement personnel ont représenté 1,3 milliard d’euros, ce qui est considérable.
Les causes du surendettement sont connues.
Le taux moyen des personnes endettées en France pour cause de nombre excessif de crédits est de 19,3 %, contre 10,3 % en Basse-Normandie, ma région.
Le taux moyen pour cause de mauvaise gestion est de 7,8 % en Basse-Normandie, la région ayant le taux le plus élevé étant l’Auvergne, avec 14,9 % – je regrette vraiment que Michel Charasse ne soit plus membre de notre assemblée. (Sourires.)
Pour ce qui concerne le licenciement, le taux national est de 26,5 %, l’Alsace culminant avec un taux de 28,8 % et la Basse-Normandie ayant un taux de 25,5 %, ce qui est énorme.
La séparation et le divorce, la baisse des ressources, l’accident et la maladie ainsi que le décès sont les autres causes principalement répertoriées.
À ce stade de mon intervention, je tiens à rappeler les propositions de loi de Muguette Dini et de Claude Biwer, dont les contributions figurent aujourd'hui dans le projet de loi, et je profite de cette tribune pour évoquer deux sujets.
Le premier concerne les cessions de créances des différents organismes de crédit. À cet égard, je citerai un exemple récent.
J’ai reçu un courrier de réclamation d’une créance pour une somme « actualisée » de 1 200 euros émanant d’une officine de recouvrement au nom de Cofinoga, Soficarte ou Cetelem. Dès ce premier courrier, j’ai demandé les justificatifs de la réclamation. J’ai obtenu pour seule réponse : « Comment comptez-vous régler ? » J’ai argumenté en indiquant que je ne voyais pas d’où provenait cette dette, mais impossible de recevoir le moindre justificatif ! Le dossier est archivé, m’a répondu cette officine. Devant mon refus d’obtempérer, j’ai reçu un appel provenant très probablement de l’une de ces plateformes de traitement situées à l’étranger me conseillant de prendre un avocat pour faire désarchiver mon dossier.
Cette affaire personnelle ne présente strictement aucun intérêt, sauf à réfléchir au contrôle et à la réglementation dans le cas des cessions de créances. Le débiteur cédé devrait savoir – c’est le minimum ! – à qui la créance a été cédée. Je suis persuadée que, en cette matière, les marges de progression sont nombreuses. Si je suis assez imperméable, par habitude et par profession, aux lettres d’huissier, des personnes âgées ou fragiles peuvent se retrouver encore plus fragilisées, voire abusées. Peut-être devrions-nous également réfléchir au problème de la prescription.
Il serait intéressant, madame le ministre, d’avoir votre avis sur cette question.
Le second sujet que je souhaite évoquer, madame le ministre, a trait au secteur agricole. En effet, personne, dans cet hémicycle, n’a oublié que vous avez été ministre de l’agriculture.
Mme Nathalie Goulet. En effet. Les situations personnelle et professionnelle des agriculteurs, comme celles des artisans, sont très imbriquées, ce qui leur interdit l’accès à la commission de surendettement.
Or, au moment où la crise agricole, notamment dans le secteur laitier, les frappe très durement, ce qui débouchera sur la reconversion d’un certain nombre d’entre eux, il convient de trouver une solution adaptée. De nombreux agriculteurs exercent en nom propre et, de ce point de vue, se retrouvent dans la situation des particuliers. Rappelons que 12 % des emplois bas-normands sont liés à l’agriculture, ce qui représente 59 000 équivalents temps plein.
La région Basse-Normandie a organisé la semaine dernière, sur l’initiative de son président Laurent Beauvais, les assises de l’urgence agricole.
M. Jean-Pierre Sueur. Excellent président !
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
Les constats des établissements bancaires, rejoints par ceux de la chambre d’agriculture, de l’Institut de l’élevage et de l’association de gestion CER France attestent des situations financières extrêmement difficiles. Selon les diagnostics, 20 % des exploitations ne pourront pas traverser cette crise. Les encours dégradés ont augmenté de 65 % par rapport à 2009, tandis que l’activité de crédit de trésorerie du Crédit agricole enregistrait une hausse de 200 % en un an.
Il va donc sans dire que la carte dressée par le Crédit agricole des taux d’encours douteux et litigieux pour chaque agence est particulièrement inquiétante pour le département de l’Orne, le sud du Perche, certes transformé en Luberon, et une partie du pays d’Auge. Ainsi, 30 % des exploitations présentent une situation nette négative.
La situation de surendettement des agriculteurs étant non seulement professionnelle, mais également personnelle, il serait à mon avis souhaitable qu’une solution d’ensemble puisse leur être proposée, en coopération avec les chambres d’agriculture, l’ensemble des services administratifs et fiscaux et, naturellement, votre collègue chargé de l’agriculture et de la pêche.
Je rappelle que les agriculteurs sont également soumis à des pratiques de démarchage, notamment pour des intrants ou du matériel agricole, lequel fait l’objet, nous le savons tous, d’une véritable concurrence entre les exploitations, pour ne pas dire entre les exploitants eux-mêmes. Ces matériels très chers sont utilisés quelques semaines par an et constituent des investissements très lourds financés par les vendeurs eux-mêmes.
Il serait sans doute précieux de réfléchir à une certaine déontologie en la matière, s’agissant de pratiques de démarchage moins connues, mais tout aussi avérées. Sans doute chaque préfecture pourrait-elle mettre en place une réunion mensuelle, à l’image de celles qui existent pour le financement de l’économie, uniquement réservée aux questions agricoles et qui réunirait, outre les banques, la chambre d’agriculture, les syndicats d’exploitants agricoles, notamment les Jeunes Agriculteurs, ainsi que des représentants non syndiqués, en particulier des membres de l’APLI, l’Association nationale des producteurs de lait indépendants.
Je termine, madame le ministre, en vous réitérant le soutien, sur ce texte, du groupe auquel je suis rattachée.
M. Marini ayant cité Le Guépard dans son rapport sur le projet de loi de finances, j’ai une envie folle de profiter de cette tribune pour ajouter quelques mots. Or, comme le dit Alain Delon à Jean Gabin dans Le Clan des Siciliens, « une envie folle, ça se respecte ! » (Sourires.)
Puisque nous venons d’évoquer les plus fragiles de nos concitoyens, je tiens à vous dire, madame le ministre, combien nous sommes heureux d’avoir voté la suppression du DIC, le droit à l’image collectif, dans le cadre de la dernière loi de financement de la sécurité sociale. Et ce ne sont pas les images inadmissibles de ce week-end qui me démentiront !
Les sommes ainsi économisées seront bien mieux utilisées par les clubs amateurs. Je vous remercie, madame le ministre, d’avoir revu votre position sur ce sujet au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, rendant ainsi hommage à votre lucidité. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Daniel Raoul fait mine de jouer du violon.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voici un texte qui, déposé en conseil des ministres le 22 avril 2009, débattu au Sénat en première lecture le 16 juin de la même année, a dû attendre le 24 mars 2010 pour être examiné par l’Assemblée nationale, laquelle l’a finalement adopté le 27 avril. Le Gouvernement et sa majorité ont donc pris leur temps pour légiférer sur une réforme à laquelle, madame la ministre, vous avez à plusieurs reprises proclamé votre attachement, déclarant vous être « le plus totalement engagée ».
Le Gouvernement nous a habitués à plus de célérité, et ce pour des textes dont la portée était pourtant d’ampleur et qui auraient justifié un examen attentif du Parlement.
Précisément, un délai aussi long se justifie-t-il par l’ampleur de la réforme du crédit à la consommation ? C’est la question que nous nous sommes posée au début de cette deuxième lecture. Du point de vue du groupe socialiste, la réponse est négative, d’autant que pas moins de trente décrets seront nécessaires pour mettre intégralement en œuvre ce texte ! Si l’Assemblée nationale y a apporté de nombreuses modifications, voire des articles nouveaux, sur lesquels je reviendrai tout à l’heure, elle n’a pas modifié substantiellement l’économie de l’offre de crédit à la consommation. Elle n’a pas non plus prévu, suivant en cela le texte élaboré par le Sénat en première lecture, des mesures préventives destinées à restreindre les cas de surendettement.
Madame la ministre, dans votre intervention, que j’ai écoutée avec attention, vous avez eu recours à divers éléments de langage, certes tout à fait adaptés au 13 heures de France 2, mais peu adaptés à cette enceinte. Ici nous faisons la loi, nous sommes au Parlement ! Il n’est pas question de tromper les centaines de milliers de personnes qui ont recours au crédit à la consommation, et dont certaines se retrouvent, à la fin du cycle, empêtrées dans les commissions de surendettement. L’emballage ne doit pas masquer la réalité ! Car c’est cette dernière que nous allons évoquer dans le peu de temps qui nous est accordé, si j’ai bien compris.
D’après les dernières statistiques connues, 90 % des cas de surendettement sont liés à l’effet cumulatif des crédits renouvelables, que l’on peut qualifier de « subprimes à la française ». Or, de 2008 à 2009, on a assisté non seulement à une explosion du nombre de dossiers et du montant moyen, évalué à 41 000 euros, mais aussi à un durcissement, au sein des commissions de surendettement, de l’attitude des prêteurs, qui craignent pour leurs risques, et à une typologie plus lourde des dossiers présentés, car, tout comme l’État, les ménages ont recours au crédit pour leurs dépenses courantes. On note enfin, au regard du nombre de dossiers à traiter par les commissions, leurs difficultés de fonctionnement manifestes, auxquelles il n’est pas porté remède.
Je veux rappeler ici notre attachement à opérer une réforme profonde du crédit à la consommation. Alors que nous avions défendu cette position en première lecture, nous n’en retrouvons pas l’empreinte en deuxième lecture.
Notre position repose sur quatre piliers, sur lesquels je souhaite insister.
Premièrement, il s’agit de satisfaire une demande claire et partagée par toutes les associations de consommateurs, à savoir la séparation nette et entière de la carte de crédit et de la carte de fidélité. Ce souhait ne sera pas satisfait à l’issue de la très courte navette parlementaire dont ce texte a fait l’objet.
M. Jean-Pierre Sueur. Hélas !
Mme Nicole Bricq. Or la situation actuelle est source de confusion, ce qui est préjudiciable aux seuls emprunteurs. Permettre au consommateur de choisir entre crédit amortissable et crédit renouvelable au-delà d’un certain seuil n’est pas de nature à modifier la demande, en particulier si l’emprunteur ne sait pas qu’il emprunte, qui plus est à un taux excessif.
Ni l’Assemblée nationale ni la majorité sénatoriale ne tiennent compte du rapport de la Cour des comptes remis au début de l’année 2010, lequel recommande d’interdire ces cartes, qu’il qualifie de « confuses », si les mesures prévues par ce texte s’avéraient inefficaces.
Deuxièmement, à la fin de cette très courte navette parlementaire, bien que le délai qui s’est écoulé entre la première et la deuxième lecture a été long, – c’est un sujet de discorde entre la majorité et le Gouvernement – nous n’aurons pas franchi le cap décisif en ce concerne le taux de l’usure.
Il s’est tenu la semaine dernière à Lyon un colloque au cours duquel des magistrats spécialistes du surendettement se sont exprimés. L’un d’eux affirmait ceci : « le plus efficace aurait été de baisser par la loi le taux de l’usure, actuellement fixé par les banques en fonction des taux maximum pratiqués, pour inciter les prêteurs à se montrer plus vigilants afin d’éviter les impayés ».
Notre proposition, qui consiste à lier le taux de l’usure à celui auquel les banques se refinancent, est particulièrement adaptée à la période actuelle, où elles le font à très bas coût. Nous n’oublions pas qu’elles répugnent à prendre des risques, tout en bénéficiant du soutien de la puissance publique, qu’il s’agisse de l’État ou de la Banque centrale européenne.
Nous n’acceptons pas un tel paradoxe, d’autant que l’application de la loi par les banquiers nous laisse sceptique. Ainsi, le numéro hors-série de juillet-août 2010 de 60 millions de consommateurs relève que l’obligation d’informer l’emprunteur de la variation dans le temps du taux d’intérêt d’un crédit renouvelable, bien qu’inscrite à l’article L. 311-10 du code de la consommation, n’est pas respectée. Il a fallu un arrêt de la cour d’appel de Pau en date du 24 septembre 2009 pour le rappeler.
Troisièmement, nous sommes en désaccord sur un point à nos yeux essentiels. En effet, quoi que vous en disiez, madame la ministre, vous ne modifiez pas l’économie générale du crédit à la consommation en maintenant la prééminence du crédit renouvelable sur le crédit simple que constitue le prêt personnel.
Nous avions défendu en première lecture le crédit personnel remboursable immédiatement pour un montant modique de 3 000 euros maximum, qui correspond le mieux à la demande des foyers modestes et que nous avions nommé « crédit social ». Nous souhaitions défendre cette même position en deuxième lecture, mais, comme je l’ai dit dans mon rappel au règlement, l’amendement visant à créer ce crédit a été déclaré irrecevable, au titre d’une application intégrale et littérale du règlement du Sénat.
Depuis le débat dont cette proposition a fait l’objet, les banques ont beaucoup communiqué autour de ce qu’elles nomment le « microcrédit », en s’engageant sur des objectifs chiffrés jusqu’en 2011. Elles ont ainsi distribué 5 520 microcrédits personnels en 2009, d’après les sources de la Caisse des dépôts et consignations, qui gère le Fonds de cohésion sociale, dont je reparlerai tout à l’heure.
Il s’agit d’une offre marginale, liée à l’existence d’un accompagnement social du demandeur. Ce faisant, les banques ne font que reprendre une initiative des collectivités locales mise en place au travers des Crédits municipaux. Certainement utiles, ces microcrédits ne sont pourtant pas de nature à peser sur l’offre de crédit aux ménages. Je pense notamment aux foyers modestes, dont les membres, bien souvent, travaillent plus pour gagner moins, ainsi qu’aux jeunes qui ne trouvent pas de place dans la vie active, sans pour autant bénéficier d’un accompagnement social.
Quatrièmement, malgré l’intervalle de temps qui a séparé les deux lectures, nous n’avons toujours pas l’assurance qu’un fichier positif sera mis en place, monsieur le rapporteur. La prudence initiale de la majorité sénatoriale, qui avait laissé une certaine latitude à la majorité de l’Assemblée nationale, n’a rencontré chez celle-ci qu’un modeste gain de temps – celui-ci n’annule pas le délai d’examen du projet de loi, puisque nous avons tout de même perdu plus d’un an – pour seulement vérifier les conditions de faisabilité d’un tel fichier.
Le fait que le comité de préfiguration remette son rapport plus rapidement ne lève pas les doutes sur la mise en place de ce fichier. L’imprécision du texte, que nous ne pourrons pas réexaminer au fond, compte tenu du souhait de procéder à un vote conforme, exigera, même si la faisabilité du fichier est avérée, une nouvelle loi. Il faudra en effet respecter les recommandations de la CNIL, ce qui reportera sine die sa création.
Pourtant, le fichier positif est un moyen décisif pour éviter aux emprunteurs de « plonger » dans le surendettement ou, pire, d’y « replonger ». J’en veux pour preuve la position de l’Association française des usagers des banques, l’AFUB. Alors que celle-ci n’était pas vraiment emballée par cette mesure, elle souhaite désormais que, au-delà du rachat de cinq crédits renouvelables par un nouveau prêt, un tel fichier puisse être actionné. Elle a en effet constaté que les bénéficiaires des rachats de crédits se retrouvaient devant les commissions de surendettement deux ou trois ans plus tard. Encore faudrait-il, pour suivre une telle recommandation de l’Association française des usagers des banques, que ce fichier existe. Tel n’est pas le cas.
Je veux souligner que la commission spéciale n’a pas souhaité amender le texte tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale. J’en conclus donc que la majorité et le Gouvernement veulent un vote conforme. Mais aucune raison sérieuse n’est avancée pour y avoir recours.
Monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, madame la ministre, quand il s’agit du sort de centaines de milliers de personnes, ni l’encombrement du calendrier parlementaire ni le respect des délais impartis pour la transposition de la directive ne sauraient justifier ce vote conforme. En effet, s’agissant du respect des délais de transposition des directives, je pourrais vous citer dix exemples où la France se situe résolument en dehors des clous, si vous me permettez cette expression.
Vous vous félicitez, madame la ministre, de ne pas avoir engagé la procédure accélérée sur ce texte. Mais la méthode du vote conforme revient au même.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Nicole Bricq. Elle bride votre majorité et dissout le débat public. Car l’opposition est impuissante à faire valoir ses arguments et, surtout, à avoir un débat qui permette sinon de faire avancer le texte, du moins d’approfondir la discussion, celle-ci étant utile pour éclairer les juges dont le rôle est particulièrement important en cette matière.
Je regrette cette précipitation en fin de parcours, même si j’ai bien compris, madame la ministre, que vous vouliez accrocher ce texte en médaille à votre costume, car il a une portée sociale et ce n’est pas votre terrain habituel. En effet, la plupart du temps on vous voit à la télévision dans les sommets internationaux, et nous savons quelle place vous y occupez.
Pourtant, nous avons observé que l’Assemblée nationale a apporté de nombreuses modifications dont certaines ne respectent ni l’esprit ni la lettre de la lecture sénatoriale. Je veux citer deux exemples.
Le premier, c’est la modification apportée à l’article 1er A qui donne au comité de suivi chargé de surveiller les marges des établissements bancaires un caractère provisoire limité à deux ans ! Certains députés auraient même voulu le supprimer !
Les banques peuvent prendre des risques avec des produits dérivés dangereux, mais elles peuvent prendre des marges bien au-delà de leurs risques avec les ménages ! C’est un comble. Je rappelle qu’un prêt personnel modique supporte un taux d’intérêt qui ne l’est pas.
Le deuxième exemple, c’est l’affaiblissement du dispositif sénatorial encadrant la publicité par la modification apportée par les députés à l’article 2.
S’agissant d’un exemple d’une autre nature, le microcrédit personnel, l’Assemblée nationale en a élargi le champ défini par le Sénat. On peut penser que les interventions du Fonds de cohésion sociale seront donc à l’avenir plus importantes.
Or, le montant du Fonds de cohésion sociale a diminué à partir de 2008, tandis qu’il avait fait l’objet d’une programmation pluriannuelle lors de sa création en 2005. La discussion approfondie aurait au moins permis de donner une indication au Gouvernement en vue d’en tirer la conséquence dans la loi de finances pour 2011. Il n’en sera rien.
Pour conclure, je voudrais déplorer que le Sénat se prive de donner un avis motivé sur les innovations introduites par l’Assemblée nationale, dont l’une m’apparaît d’une motivation et d’une efficacité douteuses, et l’autre inacceptable dans sa forme et mériterait, au moins, un examen au fonds.
Il s’agit, pour la première, de l’article 5 bis A, introduit par les députés, qui obligera les officiers d’état civil à lire aux futurs époux l’article 220 du code civil relatif à leurs engagements contractuels en matière de dépenses du ménage. La solennité du mariage en prend un rude coup et j’imagine que pour un tel acte de bravoure l’Assemblée nationale a consulté les associations d’élus. Les maires et les élus procédant aux mariages apprécieront sans doute cet ajout,…