M. Jacques Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier les six orateurs qui se sont succédé à la tribune. Tous ont exprimé avec beaucoup de talent leurs convictions personnelles et ont fait montre de justesse dans l’analyse des problèmes, en donnant un reflet très fidèle de toute la gamme des sensibilités qui coexistent dans notre pays, des plus fédéralistes aux plus sceptiques.
J’avoue, monsieur le président, être quelque peu partagé entre le devoir qui m’incombe de présenter la déclaration du Gouvernement, à la veille du Conseil européen, et mon envie de répondre dans le détail aux différentes interventions.
Je me demande donc, si, la prochaine fois, il ne serait pas préférable de commencer par une brève déclaration du Gouvernement ou au moins un exposé des points principaux caractérisant son action à la veille du Conseil. Cela lui laisserait, ensuite, le temps pour répondre pleinement aux différents orateurs, ce qu’un débat « interactif et spontané » n’autorisant que des réponses de deux minutes ne permet pas, à mon sens, de faire de manière satisfaisante.
Je me permets de faire cette observation, car, compte tenu de la qualité des interventions, je ne peux dissimuler une certaine frustration !
M. le président. Monsieur le secrétaire d’État, le président de séance n’a fait qu’appliquer les conclusions de la conférence des présidents. Il s’agit d’un débat préalable au Conseil européen. Je ferai part à la conférence des présidents de vos observations, mais sachez que tous les débats de ce type se sont déroulés de cette manière.
Cela étant, vous vous exprimerez le temps qu’il faudra et selon la forme que vous souhaiterez.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur le président, tous les débats ne se sont pas déroulés ainsi. Au demeurant, ma remarque, que j’ai formulée très respectueusement et à titre amical, n’était en aucun cas une remontrance envers qui que ce soit ; j’ai beaucoup trop de respect pour le Parlement pour qu’il puisse en être autrement.
Simplement, je me permets de faire une suggestion : dans un débat de ce type, le Gouvernement devrait pouvoir exposer sa position avant que nous ayons, ensuite, le temps d’engager un vrai débat. Je vais m’efforcer de faire les deux à la fois, et je prie à l’avance les orateurs de me pardonner si je ne fais pas justice à tous leurs arguments.
Le Conseil européen, qui débutera jeudi prochain, aura, comme vous le savez, un agenda particulièrement chargé. Il sera, si j’ose dire, sous les feux des projecteurs ! À quelques jours du prochain sommet du G20 à Toronto, nos partenaires internationaux, seront en effet très attentifs à ses conclusions. Ce que nous appelons pudiquement les marchés, c’est-à-dire à la fois ceux qui spéculent et ceux qui prêtent aux États, les fonds de pensions en particulier, auront également les yeux braqués sur nous.
Après tous les événements que nous avons vécus depuis six mois et dans le prolongement de l’accord franco-allemand qui est intervenu hier soir, je veux croire que ce Conseil marquera un vrai retour de l’Europe, à la fois en termes de stabilité pour la zone euro, d’adoption de quelques lignes fortes, nécessaires à la croissance et à la sortie de crise et, surtout, en termes de promotion d’un certain nombre d’idées maîtresses en vue de la réorganisation du système financier mondial.
Vous savez qu’un plan d’ampleur historique a été adopté il y a un mois afin de sauver la zone euro. Ce dont il a été question hier, et dont il sera question jeudi et vendredi, c’est de compléter ce plan par une série de règles – vous en avez tous beaucoup parlé –, pour essayer de mieux organiser la zone euro à la lumière de la crise économique et financière actuelle.
Le Conseil abordera également la question du climat. J’évoquerai brièvement ce que nous appelons le mécanisme d’inclusion carbone, autrement dit « la taxe carbone aux frontières ».
Il sera aussi question de l’Islande et des événements en Iran, après l’adoption de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le Conseil traitera également de la perspective d’entrée dans la zone euro de l’Estonie au 1er janvier 2011.
Enfin, il devrait adopter la décision convoquant une conférence intergouvernementale, en vue de permettre la désignation au Parlement européen de dix-huit membres supplémentaires jusqu’au terme de la mandature 2009-2014, dont deux pour la France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne me sera pas possible, vous le comprenez bien, d’entrer dans le détail de tous ces points.
Je commencerai en évoquant la situation économique et financière européenne.
Permettez-moi, au préalable, comme l’ont fait la plupart des intervenants, notamment M. le président Bizet, mais aussi MM. Chevènement, Marc et Bernard-Reymond, d’insister sur l’importance stratégique du couple franco-allemand au regard à la fois de tout ce que nous avons vécu depuis le début de cette crise et, je l’espère, des solutions que nous sommes en train d’y apporter.
À mon tour, je tiens à souligner l’exceptionnelle qualité de la relation qui lie la France à l’Allemagne, sa densité, mais aussi les difficultés qui la caractérisent. M. Bizet, comme M. Chevènement, a souligné fort justement que ces deux pays très différents parvenaient à transcender leurs différences pour élaborer, au nom de l’intérêt général européen, des politiques communes.
Je prendrai trois exemples concrets pour illustrer l’importance de cette relation.
C’est grâce à l’impulsion conjointe du Président de la République et de la Chancelière qu’ont été définis, dans la nuit du 7 au 8 mai dernier, les lignes du plan de sauvetage historique de la zone euro, composé de deux volets sur le plan européen et finalisé le dimanche 9 mai par le Conseil ECOFIN.
Comme vous le savez, le premier volet de ce mécanisme a été créé conformément à l’article 122-2 du traité européen, lequel prévoit que, « lorsqu’un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d’événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l’Union à l’État membre concerné ». Puisque nous étions dans une telle situation 60 milliards d’euros ont été mobilisés dans le cadre de ce premier volet.
Le second volet, lui, est beaucoup plus nouveau. Il s’est agi de créer une facilité de soutien, en réalité des concours, des garanties nationales, qui ont été votés par les parlements – et j’en remercie les sénateurs ici présents –, à hauteur de 440 milliards d’euros.
S’agissant aussi bien du mécanisme de l’article 122-2 que du second volet, ou, précédemment, du soutien à la Grèce, la moitié de l’argent européen prêté est allemand et français. C’est dire à quel point nos deux pays ont travaillé en commun pour réunir ces facilités financières à un moment capital.
Vous le savez, les deux volets ont été complétés par une intervention très importante du FMI, à hauteur de 250 milliards d’euros. Enfin, la Banque centrale européenne a, en accompagnement de ce plan, décidé de procéder, ce qui est, là encore, une décision sans précédent, aux achats d’obligations de dettes souveraines sur le marché secondaire.
Le mécanisme de stabilisation ainsi mis en place est très nouveau sur le plan politique, car, jusqu’à présent, même si nous avions une monnaie unique, le dispositif reposait sur le principe selon lequel chaque État était seul responsable de ses comptes et du financement de ses dettes. Nous avons donc, par des concours bilatéraux, s’agissant de la partie la plus importante du mécanisme, presque mis en œuvre – je vais faire bondir M. Chevènement ! – l’article 5 du traité de l’Atlantique nord, qui a institué le mécanisme de sécurité collective suivant : lorsqu’un État est attaqué, il existe un fonds de garantie pour lui venir en aide.
Il s’agit, certes, de garanties bilatérales votées par les parlements, mais les sommes en jeu sont considérables ; dans le cas de la France, par exemple, elles dépassent l’effort d’assainissement des finances publiques que nous devons faire d’ici à 2013.
Ce plan est la concrétisation, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, d’un principe fondamental que nous, Français, quelle que soit notre appartenance politique, avions voulu, celui de la solidarité avec les autres membres de la zone euro, combiné à un principe de responsabilité dans la gestion des deniers publics.
Un deuxième exemple du caractère très important de la relation franco-allemande nous a été donné hier soir, lorsque nos deux pays se sont mis d’accord sur des mécanismes qui viennent compléter le plan institutionnel. J’y reviendrai.
Je citerai un troisième exemple, plus modeste, mais tout de même très significatif. Aujourd'hui – et je me souviens comme vous tous de ce qui s’est passé il y a soixante-dix ans aux alentours du 15 juin –, un représentant du gouvernement français et un représentant du gouvernement allemand étaient présents, ensemble, à l’Assemblée nationale, pour évoquer devant des sénateurs et des députés l’avenir de l’Europe. Le ministre adjoint des affaires étrangères allemand et moi-même étions en effet entendus par les commissions des affaires européennes des deux assemblées. C’est la première fois qu’une telle audition conjointe est réalisée, ce qui constitue un progrès tout à fait considérable.
Cela faisait partie – et je remercie M. Bizet de l’avoir noté – des quatre-vingts propositions sur lesquelles nous avions travaillé avec mon collègue allemand. Je souligne au passage que, ce matin, nous avons visité ensemble l’Agence spatiale européenne. Il est aussi à noter que la moitié de l’effort spatial de l’Europe est franco-allemand. C’est dire que, à chaque fois, le rôle de nos deux pays est très important.
Sur la situation économique et financière européenne, permettez-moi d’aborder rapidement quatre volets, que vous avez tous, les uns et les autres, également évoqués.
Le premier est la nécessité du retour à l’équilibre des finances publiques. Ce n’est pas une « purge », pour reprendre le terme utilisé par M. Chevènement tout à l’heure ; ce n’est pas non plus une volonté de « casser » la croissance, bien au contraire.
Dans son projet de déclaration, le Conseil européen rappelle « la détermination des États membres à assurer la soutenabilité budgétaire […] pour préserver la crédibilité de la stratégie de sortie de crise ». Selon lui, « il est de la plus haute importance que les cibles en matière budgétaire soient atteintes sans délai ». Autrement dit, les États membres ne peuvent pas afficher des déficits publics qui soient incompatibles avec leur crédibilité sur la scène internationale. Nous sommes des États débiteurs, nous devons faire attention à nos dépenses. C’est aussi simple que cela.
La soutenabilité des dépenses publiques s’impose aussi à la France, et ce à un double titre.
Sur le plan national, d'une part, les mesures prises dans le cadre du plan de mobilisation contre la crise ont été conçues à l’origine comme des mesures d’ajustement à la crise. Nous maintenons les investissements du grand emprunt. Nous préparons la croissance de l’avenir, mais rappelons-nous ce qu’a dit le Président de la République : « Le déficit ne peut en effet pas raisonnablement rester à son niveau de sortie de crise sans constituer une menace pour la croissance future. L’arrêt progressif des mesures de soutien en 2010 et la réduction du déficit à partir de 2011 ne constituent donc ni une nouveauté ni un problème si l’on souhaite garantir une croissance durable et soutenable. »
Nous avons subi, l’an dernier, une dépression très rude, que nous avons amortie par des plans de soutien. Il s’agit maintenant de sortir de la crise, mais nous ne pourrons le faire en conservant des déficits aussi élevés, à hauteur de 8 % du PIB. Il est donc raisonnable de soutenir la croissance en prenant garde à nos dépenses et en recherchant des économies.
Voilà ce qui est décidé ; on est donc loin d’une purge, d’un plan d’austérité ou de je ne sais quelle tentative de casser la croissance et de punir l’économie française !
Sur le plan européen, d'autre part, une discipline commune en matière de dépenses publiques est absolument indispensable pour éviter la résurgence des déséquilibres ayant mené à la crise grecque. Les budgets doivent être mieux gérés, dans la transparence, avec le souci de réduction des dépenses publiques. Il importe de faire prévaloir le principe de responsabilité.
Il a fallu plusieurs mois pour arriver à cette position. Soyons clairs, il n’est pas question de continuer à donner de fausses statistiques, de laisser filer les déficits en pensant que d’autres paieront. Les membres au train de vie le plus dispendieux ne peuvent plus escompter se trouver en mesure, par le biais d’une sorte de carte bancaire magique dont ils auraient le code secret, de tirer autant d’argent que nécessaire sur le budget des États les plus nantis. La zone euro implique un minimum de bonnes pratiques budgétaires ; c’est le corollaire – j’y insiste – des mesures de solidarité qui ont été adoptées au cours du mois écoulé.
La transparence est donc un devoir. De ce point de vue, l’Allemagne, comme vous le savez, a introduit un mécanisme de limitation des déficits dans sa loi fondamentale – 0,35 % du PIB en 2016 –, lequel, je le sais, a suscité un certain nombre de critiques en France. Le Président de la République a évoqué l’idée d’inscrire dans notre Constitution une règle qui obligerait, en début de législature, à fixer un cadre visant à l’équilibre et, donc, à dire les choses devant le peuple.
Monsieur Chevènement, vous avez comparé cela, dans votre style toujours très évocateur, à un couteau sans lame auquel il manquerait le manche : quelle image ! (Sourires.) Mais nous ne faisons rien d’autre que d’essayer de tracer une ligne jaune continue sur une route. Si vous enlevez la ligne jaune au prétexte qu’il y a des dérapages, des accidents, vous vous condamnez à un carambolage permanent : ce n’est plus de la conduite sur route, c’est du stock car !
Je ne sais pas si vous voulez garder la lame ou le manche ; peu importe, enlevons les couteaux, parlons simplement de pédagogie et traitons nos concitoyens comme des adultes ! Quel que soit, en fonction des alternances, le gouvernement en place, celui-ci doit s’engager à présenter des comptes transparents et, si possible, équilibrés, parce qu’il y va aussi des règles communes, de la monnaie commune dont nous nous sommes dotés. En tout état de cause, sachez que je saurai résister à la tentation de refaire avec vous le débat sur Maastricht qui a eu lieu voilà une dizaine d’années !
Au travers des mesures qu’elles ont décidées, la France et l’Allemagne ont montré l’exemple au reste de la zone euro, en envoyant un signal fort aux marchés quant à leur engagement à réduire les déficits. Je le répète, notre pays sera au rendez-vous de ses obligations européennes, qui lui imposent de revenir à un déficit public de 6 % du PIB en 2011, de 4,6 % en 2012 et de 3 % en 2013.
Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Gouvernement a été très clair sur la méthode. Nous n’augmenterons pas les impôts, car nous ne voulons pas « casser » la croissance et tuer le malade en essayant de le guérir ! Nous allons nous attacher à maîtriser la dépense publique : notre objectif est de baisser les dépenses de 45 milliards d’euros dans les trois prochaines années, grâce à la réduction des niches fiscales, à la réforme des retraites et à l’effort de gel en valeur de l’ensemble des dépenses de l’État et des collectivités locales.
Ces mesures seront difficiles, mais nous sommes résolus à les mettre en œuvre pour consolider le retour de la croissance, aussi modérée soit-elle. Nous espérons que cette remontée des recettes, couplée à la réduction des dépenses des collectivités locales et des comptes sociaux, nous permettra de remplir l’objectif de 100 milliards d’euros d’économies d’ici à 2013.
La Commission, qui examinait aujourd’hui même le programme de stabilité français, a considéré que les réformes engagées allaient dans le bon sens et méritaient d’être soutenues. Cette stratégie est parfaitement en ligne avec le projet de conclusions du Conseil européen, qui précisera jeudi que « la priorité devrait être donnée aux stratégies de consolidation budgétaire favorables à la croissance, principalement centrées sur la maîtrise des dépenses ».
À ce sujet, j’ai bien entendu les remarques formulées, notamment de la part de M. Marc, tant il est vrai que l’accumulation de plans de rigueur sans coordination risque de poser problème. C’est d’ailleurs l’argument qui justifie la mise en place d’un gouvernement économique de l’Europe ainsi que la nécessité d’assainir les comptes et de veiller à maintenir le feu de la croissance. Nous sommes extrêmement conscients qu’il faudra pour cela effectuer un pilotage très fin.
Le deuxième volet est justement constitué par l’instauration d’un véritable gouvernement économique européen. De nombreux orateurs ont évoqué ce soir les moyens à envisager pour l’organiser. Parmi eux, certains ont été, et cela m’a fait sourire, très « sarkozystes » en estimant que la seule et bonne solution est l’Eurozone à seize.
Je voudrais leur faire remarquer que, voilà encore quelques mois, la notion de « gouvernement économique » n’était absolument pas acceptée par nos partenaires allemands, qui s’en tenaient au pacte de stabilité et refusaient notamment les critères envisagés, les règles de gestion budgétaire, ainsi que la coordination des politiques macroéconomiques et fiscales. L’Allemagne a timidement adopté le principe d’un gouvernement économique le 4 février dernier lors du Conseil des ministres franco-allemand ; elle le reconnaît aujourd’hui pleinement.
Quant à savoir si tout doit être réglé à seize ou à vingt-sept, je voudrais rappeler que l’Eurogroupe ne figure pas dans le traité, mais qu’il est seulement mentionné en annexe. Seul le système à vingt-sept est reconnu par le traité. Créer ex nihilo une autre institution, comme nous y avons pensé, avait certes ses avantages, mais cela impliquait un exercice institutionnel nouveau. En l’état actuel, nous avons un président stable de l’Union, des institutions et un cadre qui n’interdit pas de se réunir, si cela est nécessaire, à seize. Voilà le compromis pragmatique qui a été conclu hier entre le Président de la République et la Chancelière et qui devrait nous permettre d’avancer.
D’aucuns ont avancé l’idée selon laquelle des pays pourront continuer de dévaluer – sous-entendu, de faire n’importe quoi. Mais c’est mal connaître l’état des tensions internationales en la matière ! Je doute fort que certains de nos partenaires extérieurs à la zone euro se plaisent à laisser filer leur monnaie. Bien au contraire, leur intérêt est de rester le plus proche possible de la zone euro. Tel est, en tout cas, le discours que j’entends à Stockholm, à Oslo, où j’étais encore hier, voire à Londres. Chaque pays a intérêt à ce que la zone euro reste solide et à laisser sa monnaie amarrée à l’ensemble européen. Il est donc logique d’agir à vingt-sept.
Sur les compétences et le mode de fonctionnement du gouvernement économique, le groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy a permis d’avancer de façon très substantielle sur la reconnaissance de certains principes.
Le premier concerne le renforcement du volet préventif du pacte de stabilité, avec un dispositif de sanctions. Cette question a également été évoquée par de nombreux orateurs ce soir. Faut-il s’en tenir à des sanctions financières ou prévoir d’autres mesures ? Lorsqu’un pays est en crise ou en faillite, l’ajout d’une pénalité financière sert-il vraiment à quelque chose ?
En cas de violation répétée des règles de bonne gestion budgétaire qui engagent tous les États, puisqu’ils partagent la même monnaie, il y a sur la table la garantie des autres contribuables. Ne devrait-on pas être en droit de dire que ceux qui se comportent ainsi de façon répétée perdront leurs droits de vote ? Je suis conscient des problèmes politiques et constitutionnels que pose cette question. Nous devons ouvrir le débat sur la responsabilisation de chacun.
À l’intérieur d’une même zone monétaire, certains mettent des garanties sur la table : le but est qu’elles ne servent pas. Quand vous vous portez caution pour un tiers, un enfant ou un ami, pour l’achat ou la location d’un bien, vous le faites par solidarité en espérant ne pas être appelé. Pour cela, vous êtes en droit d’exiger que le comportement de la personne soit conforme à l’intérêt du groupe.
Telle est l’idée qui sous-tend la sanction de nature politique. Il ne sert strictement à rien de se faire « manger » sa caution et d’ajouter une pénalité financière. C’est d’ailleurs le système qui existait depuis 2004 et qui, nous le savons tous, n’a jamais été mis en œuvre.
Je ne prétends pas que nous détenions la vérité à ce stade, mais la France et l’Allemagne ont choisi une direction qu’elles entendent soumettre au Conseil pour réflexion. Le débat, je le répète, doit être ouvert, même si la situation est compliquée sur les plans juridique et constitutionnel.
Le deuxième principe porte sur une meilleure surveillance des niveaux d’endettement et de leur dynamique.
Le troisième est relatif au renforcement de la surveillance des budgets nationaux, dans le respect des obligations constitutionnelles. MM. Billout et Bernard-Reymond ont défendu des thèses rigoureusement inverses, l’un proposant d’aller vers davantage de fédéralisme, l’autre considérant qu’une telle évolution constituerait un viol de l’article xiv de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La vérité se situe sans nul doute quelque part entre ces deux extrêmes !
En fidèles lecteurs de Molière, nous cherchons le juste milieu. Le respect des obligations constitutionnelles de chaque État membre doit conduire à ce que les orientations budgétaires soient discutées entre les chefs d’État, et non à la Commission, et votées par les parlements nationaux. Mais il faut bien, pour assurer le respect des garanties fixées sur le plan économique, permettre à chaque enceinte politique légitime d’examiner le budget des autres, faute de quoi l’opinion publique ne nous comprendrait plus. En effet, cela reviendrait à dire que les coffres sont grands ouverts et que chacun peut venir se servir, quels que soient les efforts fournis pour assainir les comptes de la République !
Le quatrième principe a trait à l’amélioration de la qualité des statistiques nationales.
Le cinquième, ô combien important, porte sur la prise en compte des facteurs de compétitivité dans l’examen des politiques économiques. Dans le cas de l’Espagne, les chiffres affichés du déficit dissimulaient une bulle financière.
Le rapport final du groupe de travail est attendu pour le Conseil européen d’octobre, mais, en attendant, celui qui s’ouvre dans deux jours adoptera la nouvelle stratégie Europe 2020 de croissance, sur laquelle il y aurait beaucoup à dire. Le texte vaut ce qu’il vaut, avec ses nombreux objectifs, ses grandes déclarations et son jargon.
Nous, Français et Allemands, ce que nous voulons désormais, c’est faire reconnaître la contribution à la stratégie économique européenne de toutes les politiques communes, y compris, j’insiste sur ce point, la politique agricole commune.
M. Yves Pozzo di Borgo. Très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Je vous signale, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette dernière ne figurait pas dans la première mouture de l’Agenda 2020 proposé par la Commission.
M. Jacques Blanc. Pas plus que la politique de cohésion territoriale !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Nous entendons également que l’Agenda 2020 permette de gagner des points de croissance supplémentaires et qu’il ne se contente pas d’être une déclinaison de vœux pieux. Pour cela, il faut promouvoir une politique européenne de l’énergie et une stratégie européenne industrielle dans un certain nombre de domaines clés. Nous avons visité ce matin l’Agence spatiale européenne, car ce secteur, comme ceux du numérique ou du véhicule électrique, est une niche de recherche, de développement et d’emplois pour l’Europe.
Pour être tout à fait honnête, le combat n’est pas encore gagné. Le Conseil européen se tient jeudi et la déclaration dite de l’Agenda 2020 ne mentionne toujours pas la politique industrielle et énergétique. Elle s’en tient à des déclarations générales avec des objectifs portant notamment sur la pauvreté et l’éducation. Motherhood and apple pie, diraient les Américains ! Qui peut-être contre la patrie et la tarte aux pommes ? (Sourires.) Pour notre part, nous voulons des politiques industrielles, énergétiques et de développement. Et c’est cela que l’on va inscrire dans la stratégie !
M. Yves Pozzo di Borgo. Bravo !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. En ce qui concerne l’optimisation du potentiel de croissance à partir du marché intérieur, je vous renvoie à l’excellent travail qui a été fait par Mario Monti.
Je voudrais insister sur un autre point, sur lequel nous avons beaucoup travaillé aujourd’hui avec mon collègue allemand : la stratégie 2020 doit absolument s’intéresser au reste du monde et intégrer une politique commerciale cohérente.
Or tel n’est pas le cas actuellement, y compris en matière d’accès aux marchés publics et de stratégie de négociation commerciale à l’OMC. Il incombe à l’Europe de se tourner vers l’extérieur, dans le cadre d’une stratégie réellement globale. Que la Commission arrête de considérer que la concurrence est uniquement un problème interne et de procéder au découpage des groupes européens au nom de la protection des consommateurs !
M. Yves Pozzo di Borgo. Bien sûr !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Nous devons être capables de fabriquer des champions européens, ce qui suppose de bâtir une politique industrielle à l’échelle du continent. La bonne nouvelle, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est que la France et l’Allemagne sont d’accord sur ce point ! (M. Yves Pozzo di Borgo s’en félicite.) Petit à petit, nous sommes en train de gagner du terrain, mais la tâche est très difficile car elle implique un véritable changement de philosophie.
Avec la crise, les délocalisations et le chômage, un certain nombre de pays, même les plus historiquement libéraux, sont tout de même convaincus de la nécessité d’une politique industrielle européenne. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine. Une réunion du Conseil sera spécifiquement consacrée à cette question, mais nous n’en sommes qu’au début du chemin !
En ce qui concerne le renforcement de la régulation financière au niveau international, vous le savez, la France et l’Allemagne vont porter ensemble toute un éventail de nouvelles régulations et de contrôles des marchés financiers. Nos deux dirigeants ont écrit au président de la Commission une série de lettres, la dernière en date du 8 juin, relatives aux fonds spéculatifs, à la réglementation sur les ventes à découvert, aux produits dérivés. Nous sommes donc aux avant-postes de l’effort de régulation européen.
De la même façon, nous avons travaillé aujourd’hui même à une lettre commune en vue du G20 pour que la France et l’Allemagne portent ensemble l’idée d’une taxation sur les services financiers et bancaires, dans le cadre d’une régulation internationale.
Toujours dans un souci d’honnêteté à votre égard, mesdames, messieurs les sénateurs, je dois vous dire que, lors de la dernière réunion des ministres des finances du G20, nous ne l’avons pas emporté. De nombreux pays, notamment le Brésil et le Canada, n’ont pas envie de réguler leurs banques ou de taxer les mouvements financiers.
Une vraie bataille politique doit être menée. La France et l’Allemagne ont décidé de la mener ensemble, ce qui mérite d’être salué. Pour certains, c’est insuffisant ; pour d’autres, idéaliste. Quoi qu’il en soit, nous sommes déterminés !
J’évoquerai brièvement les négociations en matière de lutte contre le changement climatique. L’objectif que s’est fixé l’Europe de réduction de 20 % de ses émissions de gaz à effet de serre ne sera pas réévalué à 30 %, les conditions nécessaires n’étant pas réunies.
Par ailleurs, après des mois d’efforts, menés avant et, surtout, après le sommet de Copenhague, la Commission a reconnu – tant mieux, je m’en réjouis ! – que l’instauration d’une taxe carbone aux frontières n’était pas une idée si saugrenue. En la matière, notre intention est claire : cesser d’exporter des emplois et d’importer du carbone ! En cas de dumping écologique, il est donc nécessaire de prévoir un juste équilibre entre une compensation, des permis d’émission et une taxation des secteurs. Toutes les propositions sont désormais sur la table.
Je me suis entretenu encore hier soir avec Pascal Lamy sur ce sujet. En tant que directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, il ne soulève aucune objection de principe, s’interrogeant simplement sur la façon de procéder.
J’ai ainsi demandé aux responsables de l’Agence européenne pour l’environnement, que j’ai rencontrés récemment à Vienne, de mener le travail d’expertise nécessaire pour être en mesure, secteur par secteur, de quantifier les émissions de carbone et les niveaux de pollution. Il s’agit ainsi de poser les bases d’un commerce international, fondé sur un dispositif de compensations dans un sens ou dans l’autre, pour militer en faveur d’une décarbonisation de l’économie mondiale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens à la question de l’Islande, sur laquelle nous travaillons très sérieusement depuis près d’un an avec nos partenaires allemands.
Vous le savez, un double problème se pose. Tout d’abord, il convient de résoudre le contentieux concernant la société financière Icesave, pour lequel le Royaume-Uni et les Pays-Bas sont parties prenantes. Ensuite, nous voulons être sûrs de ne pas importer un système financier notoirement problématique, voire corrompu.
Un travail d’« assainissement » est en train d’être mené en profondeur en Islande, un certain nombre de garanties ayant été fournies sur le règlement de l’accord financier relatif à Icesave. Les négociations d’adhésion vont donc pouvoir commencer, mais selon les mêmes critères que pour les autres pays. Afin que celles-ci puissent se dérouler normalement, nous veillerons à ce que l’Islande poursuive son effort.
Pour ce qui concerne l’Iran, il avait été convenu en décembre 2009 que le Conseil européen demanderait aux ministres des affaires étrangères de l’Union européenne de préparer des mesures pour accompagner la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Cette résolution, qui porte le numéro 1929, a été adoptée la semaine dernière. Les mesures qu’elle comprend porte sur de nombreux domaines, parmi lesquels les livraisons d’armes, les secteurs bancaire et financier. Dans ses conclusions, le Conseil Affaires étrangères, qui s’est tenu tout récemment, le 14 juin dernier, a fait part du soutien de l’Union européenne à la résolution 1929.
Dans le prolongement de sa déclaration de décembre, le prochain Conseil européen devrait adopter une nouvelle déclaration pour demander des mesures complémentaires et fixer, à cet effet, une feuille de route aussi précise que possible.
La France, avec ses partenaires, reste fidèle au principe d’une double approche, qui repose à la fois sur le dialogue et la fermeté. Notre position n’a pas varié.
Je tiens également, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous communiquer, car c’est important, le calendrier des prochaines échéances du Conseil européen.
Le président Van Rompuy a choisi d’organiser des conseils thématiques. Le Conseil européen se penchera donc, dès le 16 septembre, sur les relations de l’Union avec ses grands partenaires émergents, notamment la Chine et l’Inde. Ce sera l’occasion de parler de stratégie commerciale et d’accès aux marchés publics, questions particulièrement importantes s’agissant des relations entre la Chine et l’OMC. Une session du Conseil européen sera consacrée, les 28 et 29 octobre prochains, au thème de la recherche et de l’innovation, ce qui permettra de revenir sur la politique spatiale, le projet ITER et la mobilité électrique et numérique. Enfin, une réunion informelle, qui devrait avoir lieu au début de 2011, sera consacrée à la future stratégie énergétique pour la période 2011-2020.
L'Union européenne avance donc dans la direction que nos voisins allemands et nous-mêmes préconisons. Certes, il n’est pas facile d’orienter un navire à vingt-sept, mais, grâce à notre volonté politique, nous sommes en train d’y parvenir.
Je vous invite à réaliser l’importance du travail qui a été réalisé. J’en profite également pour remercier tous ceux qui, dans l’ensemble du système étatique français, et pas seulement au Quai d’Orsay, concourent à la mise en œuvre d’une politique intégrée et utile de la France en Europe. Je pense bien évidemment à nos parlementaires nationaux et européens.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, beaucoup de sujets sont sur la table. Nous sommes en train, selon moi, de sortir par le haut de l’épreuve des six derniers mois. Bien que cette évolution ne se fasse pas sans mal, je considère désormais la situation avec beaucoup d’espoir.
Non seulement nous avons fabriqué un socle financier solide et crédible, mais surtout nous bâtissons un ensemble institutionnel à la fois démocratique, car respectueux des droits des parlements nationaux, transparent pour les contribuables et concerté. Bien entendu, tout n’est pas parfait, mais la perfection est difficile à atteindre à vingt-sept ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Débat interactif et spontané