M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané prévu par la conférence des présidents.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. Le Gouvernement, s’il est sollicité, pourra répondre.
La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le secrétaire d’État, le débat tel qu’il est organisé me satisfait et les interventions de nos collègues qui se sont succédé à la tribune nous ont permis d’aller au fond des choses. Je me limiterai donc à deux questions.
Premièrement, vous l’avez dit, la politique agricole commune figure désormais dans le projet Europe 2020, ce dont je vous félicite. En revanche, malgré le charabia des textes et une absence certaine de simplification, la cohésion territoriale semble quelque peu absente. J’aimerais savoir si la France a l’intention de se mobiliser pour la mettre en avant. N’oublions pas, en effet, qu’il s’agit d’un acquis du traité de Lisbonne.
Deuxièmement, en évoquant les prochaines échéances européennes, vous n’avez pas mentionné l’Union pour la Méditerranée, l’UPM. En raison des événements dramatiques survenus récemment à Gaza, le sommet prévu pour le 7 juin dernier et qui devait se tenir en Espagne n’a pu avoir lieu. Croyez-bien que je le regrette ! Dans ce contexte, quel avenir la France réserve-t-elle à ce grand projet de l’Union pour la Méditerranée ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je vous confirme que la cohésion territoriale figure bien dans les conclusions du Conseil. N’ayant pas à ma disposition l'ensemble des chiffres, je rappellerai simplement que la politique de cohésion bénéficiera, pour la période 2007-2013, d’un montant total de 350 milliards d’euros. Toutefois, je suis dans l’incapacité de vous préciser les sommes restant à dépenser dans le cadre des fonds de cohésion d’ici à cette échéance. Je vous transmettrai donc cette information par écrit.
Concernant l’UPM, vous connaissez la situation aussi bien que moi. Elle a été en quelque sorte l’otage, depuis deux ans, de la situation israélo-palestinienne. Vous l’avez rappelé, le sommet qui devait se tenir au mois de juin a été reporté, notamment en raison des événements liés à la fameuse flottille qui faisait route vers Gaza. Pour répondre plus avant à votre question, il faudrait entrer davantage dans l’analyse, mais nous sortirions alors du cadre de notre débat.
Je connais bien le sujet, puisque j’ai mené, à Barcelone, la négociation sur la question de l’eau, pour laquelle nous avons trouvé des solutions techniques. À l’heure actuelle, les discussions n’avancent pas, car le désaccord politique est majeur entre le groupe arabe et Israël.
Au nom du Gouvernement, mais aussi à titre personnel, je peux vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’UPM, cette maison commune, cette architecture indispensable entre les deux rives de la Méditerranée est irréversible. Elle se fera.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Simplement, depuis deux ans, force est de constater que sa construction a été ralentie par les événements.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite revenir sur l’Agenda 2020, afin d’exprimer toute ma préoccupation au sujet d’un texte confus et redondant, pour tout dire mal ficelé : y figurent, en filigrane, un certain nombre de politiques, dans le domaine notamment de l’énergie, de l’innovation et de la recherche, ainsi que de la mobilité internationale.
Mais c’est l’absence de tout plan de financement qui m’inquiète. J’ai d’ailleurs posé cette même question à votre collègue allemand cet après-midi. La situation est d’autant plus préoccupante que la majorité des États pratique aujourd’hui une politique de déflation et de réduction des budgets. Or je crains que l’on ne transpose cette mauvaise idée au budget communautaire, ce qui me conduit à vous interroger sur les perspectives financières de l’Union. Son prochain exercice financier sera-t-il maintenu à 1 % du PIB européen ? Nous n’en savons rien, ni la Commission ni le Conseil n’ayant évoqué la question.
L’Agenda 2020 risque fort de connaître un sort encore plus fâcheux que le précédent, ce qui aurait un effet politique désastreux, de nature à désespérer tous ceux qui ont placé leur espoir dans l’Europe. La stratégie de Barcelone a été un échec, et il me semble que nous nous préparons au même scénario.
Je souhaite également connaître, monsieur le secrétaire d’État, la position du Gouvernement sur la proposition de M. Lamassoure, lequel plaide en faveur d’un congrès ou d’une convention européenne pour traiter les problèmes de financement et d’articulation entre les budgets nationaux et communautaire.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Yung, vous avez en effet soulevé la question du financement cet après-midi. Au demeurant, vous avez raison de pointer du doigt les difficultés, tant il s’agit d’un vrai sujet stratégique pour la France, à la veille des négociations sur ce que l’on appelle pudiquement les perspectives financières.
Il convient de réfléchir à ce que sera, concrètement, le budget de l’Europe à partir de 2013 : représentera-t-il, comme c’est le cas actuellement, 1 % du PIB européen, c’est-à-dire 135 milliards d’euros environ, ou bien sera-t-il augmenté ?
La France, par exemple, souhaite conserver à l’avenir une politique agricole européenne. Elle considère, d’ailleurs à juste titre, que c’est une arme stratégique pour l’Europe, surtout dans la perspective d’une planète comptant 9 milliards d’êtres humains, qu’il faudra nourrir, et face à des États-Unis qui, eux, subventionnent leur agriculture. Il serait suicidaire d’abandonner la nôtre, d’où la nécessité de prévoir les crédits nécessaires. Parallèlement, une demi-douzaine d’États européens ne veut plus dépenser un sou en la matière, jugeant préférable de mettre l’argent ailleurs, notamment dans les technologies nouvelles, l’environnement, la recherche ou la génétique.
Par conséquent, l'Union européenne doit s’interroger sur les politiques qu’elle entend promouvoir.
En matière de recherche, de diplomatie ou de défense, tout a un coût et les questions ne manquent pas : quel service d’action extérieure européen envisager ? Voulons-nous vraiment des satellites d’observation antimissiles ? Finalement, comment gérer l'ensemble des priorités ?
Aujourd'hui, nous avons beaucoup de mal à financer les programmes de recherche fondamentaux.
Il en est ainsi du projet ITER, qui a pris du retard et suscite de vraies bagarres. J’espère beaucoup que nous aurons le soutien déterminé, sur ce dossier essentiel, de nos partenaires allemands. La question a d’ailleurs été évoquée tout récemment.
Si l’ITER, plutôt que d’être implanté en France, devait l’être au Japon ou en Corée du Sud, ce serait une catastrophe non seulement pour notre pays, mais aussi pour l’Europe. Il s’agit là du plus grand programme de coopération scientifique au monde, et ses retombées industrielles seront considérables. Or, à ce jour, nous ne disposons pas des fonds nécessaires à sa réalisation.
J’ajoute que la Commission a beaucoup de mal à gérer des programmes d’une telle ampleur. Si, a contrario, la politique spatiale est un succès, c’est précisément parce qu’elle relève d’une agence intergouvernementale spécialisée, l’Agence spatiale européenne : celle-ci travaille, certes, aux côtés de la Commission européenne, mais elle n’en dépend pas.
J’attire donc votre attention sur ce point, monsieur le sénateur : si l’on veut vraiment qu’ITER réussisse, il importe qu’il soit confié à des professionnels, et non aux commissaires. Je m’empresse de dire que je n’ai rien contre ces derniers ni, d’ailleurs, contre la Commission, mais la réussite de tels dossiers dépend de la manière dont ils sont « managés ».
Je vous parle avec mon cœur et ma tête : je forme le vœu que ce programme soit couronné de succès, mais, comme vous l’avez souligné, monsieur Yung, se pose alors la question de son financement et des moyens que la France, notamment, est prête à y consacrer.
Lorsque ce programme a été lancé, j’avais rencontré M. Lamassoure, le président de la commission des budgets du Parlement européen, pour étudier avec lui les implications d’un tel projet. À cet égard, j’ai toujours fait en sorte d’associer les parlementaires membres des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat à ces rencontres, car il est temps que les élus et le pouvoir exécutif agissent de concert.
Dans un premier temps, la France doit dire ce qu’elle veut et fixer le montant des moyens financiers qu’elle est prête à engager. Dans un second temps, nous étudierons avec nos partenaires et avec les instances européennes les modalités pratiques de réalisation de ce projet.
Si je ne me trompe pas, M. Lamassoure est favorable à la création d’un impôt européen,…
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … afin de dégager des marges de financement. Je crois d’ailleurs savoir que certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ne seraient pas défavorables à une telle perspective. Les termes de ce débat, dont les enjeux sont politiques, sont les suivants : devons-nous nous en tenir à un système contributif – pour résumer, les États versent de l’argent à un pot commun – ou bien voulons-nous autoriser l’Union européenne à lever un impôt ? Ce sont là deux perspectives différentes, et je me garderai bien de trancher la question ce soir. Quoi qu’il en soit, nous devons être capables de relever les défis auxquels nous sommes confrontés.
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le secrétaire d'État, il est surprenant que des termes forts tels que « commerce extérieur », « industrialisation » et même « mondialisation » soient absents de l’Agenda 2020. L’impression prévaut ainsi que de grands continents tels que l’Asie – avec la Chine et l’Inde –, l’Amérique latine ou des pays comme les États-Unis sont ignorés, ce qui paraît quelque peu surréaliste. Or la mondialisation tend précisément à faire émerger ces grands continents.
La moitié seulement des États européens sont membres de l’Union européenne. Il est donc pour le moins curieux que l’Islande soit l’unique pays du continent auquel s’intéresse la politique extérieure européenne.
En dépit des réunions régulières qui sont organisées entre l’Union européenne et la Russie, nos relations avec ce pays ne peuvent se limiter à une politique de bon voisinage : il faut aller beaucoup plus loin qu’un simple partenariat stratégique ! Ces remarques valent tout aussi bien pour l’Ukraine, la Biélorussie et les pays d’Asie centrale. Nous devons avoir conscience que ces pays sont en déshérence par rapport au continent européen. Ne nous effaçons pas devant ceux qui tendent à nous supplanter : dix ans, cela passe très vite !
En réalité, j’ai le sentiment que notre réflexion sur la stratégie 2020 nous enferme sur nous-mêmes, alors qu’il serait nécessaire de voir plus loin. L’Islande est peut-être une solution, mais elle n’est pas la seule.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je rappelle que, le 16 septembre prochain, se tiendra un Conseil européen consacré aux relations de l’Union européenne avec ses grands partenaires.
L’Islande n’est pas un cas anecdotique. La France est membre observateur du Conseil Arctique, où, notamment grâce à Michel Rocard, elle porte la voie de l’Europe. Au cours des dix à quinze prochaines années, cette zone deviendra hautement stratégique sur les plans de l’énergie et des transports.
J’accompagnais hier le Premier ministre dans le nord de la Norvège, où, en collaboration avec les Norvégiens et les Russes, nous allons développer le champ de Stockman, qui est essentiel pour l’équilibre énergétique de l’Europe.
L’Islande, au même titre que le Danemark et le Groenland, sont nos partenaires dans la zone arctique. Je n’oublie pas la Norvège, qui n’est pas membre de l’Union européenne. Dans la mesure où, c’est un fait, les riverains de l’Arctique aiment bien rester entre eux, a nous de trouver notre place !
Quant aux relations de l’Union avec l’Ukraine, la Moldavie, la Biélorussie et les trois pays du Caucase, elles sont régies par ce qu’on appelle le « partenariat oriental », qui fonctionne de manière satisfaisante, même si je reconnais qu’il pourrait être amélioré. Il n’en demeure pas moins que l’Europe a une vraie stratégie. Nous travaillons en étroite coordination avec les Allemands, les Britanniques, notamment sur l’Ukraine, et cela marche plutôt bien.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je parlais de l’Europe !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Mais le partenariat oriental, c’est la politique commune européenne déclinée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité de l’Union, sous la coordination de Mme Ashton, de M. Füle et des États ! En revanche, vous avez raison de regretter la présence insuffisante de l’Europe en Asie centrale, où elle ne dispose que d’un seul représentant spécial, et sans doute conviendrait-il de faire plus.
Quant à la Russie, c’est un pays ami et un partenaire de l’Union européenne.
M. Pierre Bernard-Reymond. Très bien !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. L’Europe travaille en concertation avec elle sur des sujets aussi passionnants que le devenir de Kaliningrad, enclave russe située en Europe, la coopération économique ou politique.
Ce matin encore, je recevais un dignitaire russe pour parler de l’accord UE-Russie sur la réciprocité en matière de visas.
Nous sommes prêts à aller très loin. Ainsi, voilà quelques mois, la France a refusé de considérer a priori que la Russie devait être placée sous embargo en matière d’armements. Cette position était assez courageuse tant il était difficile de la justifier auprès des États baltes et de la Pologne. Toujours est-il que l’idée d’une plus grande coopération fait son chemin, à telle enseigne que nous étudions avec nos amis russes la possibilité de remplacer leurs forces qui stationnent en Transnistrie par des forces de paix euro-russes. Je suis très confiant et je pense que nous parviendrons à une solution.
Pour autant, monsieur Pozzo di Borgo, nous ne sommes pas aveugles. La France et l’Allemagne sont pilotes dans la définition de la politique européenne à l’égard de la Russie, ce que les Russes savent parfaitement.
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le secrétaire d'État, j’ai bien conscience que la stratégie 2020 est d’une très grande importance. Néanmoins, j’aurais aimé que vous vous exprimiez sur certains autres points de l’ordre du jour du prochain Conseil européen, notamment celui qui concerne les objectifs du Millénaire pour le développement, lesquels seront ensuite soumis au sommet des Nations unies prévu le 10 septembre 2010.
Comme vous le savez, le Conseil Affaires étrangères du 14 juin dernier n’a pas repris les propositions de la Commission européenne, en ce qui concerne tant la fixation des calendriers que la mise en place des mécanismes de révision des engagements des pays. Cette attitude de retrait nous inquiète beaucoup.
Le Président de la République a promis d’augmenter l’aide publique au développement, l’APD, de la France. Comptez-vous, lors de ce prochain Conseil et lorsqu’il s’agira de définir les objectifs du millénaire pour le développement, respecter la promesse de consacrer 0,7 % de la richesse nationale à l’APD d’ici à 2015 ? D’autres pays européens ont d’ores et déjà atteint cet objectif.
Entendez-vous officialiser cet engagement, par exemple en l’inscrivant dans une loi de programmation qui pourrait être présentée au Parlement d’ici à l’automne ?
Tout à l’heure, vous déclariez que la transparence était un impératif, ce en quoi je suis tout à fait d’accord. À cet égard, allez-vous alors soutenir la proposition d’évaluation de l’APD telle que l’a formulée la Commission européenne ?
Vous avez rapidement abordé tout à l’heure la question de la lutte contre la pauvreté. Vous nous avez expliqué que celle-ci serait intégrée dans la déclaration du Conseil européen, ajoutant que personne ne pouvait s’opposer à une telle mesure. Dans le même temps, vous vous êtes déclaré favorable à la définition de stratégies industrielles et économiques.
Monsieur le secrétaire d'État, j’aimerais que vous nous apportiez quelques précisions. Si ces stratégies industrielles consistent à introduire plus de flexibilité, une concurrence toujours plus libre et non faussée, le libre-échange, à développer les CDD, ce dont a parlé M. Chevènement, à accroître la pression sur les salaires, évoquée par Michel Billout, vous comprendrez que nous n’approuverons ni cette politique ni ces propositions. Nous préférerions que l’Europe se dote d’outils lui permettant, sur le plan social, d’aller vers le haut et non vers le bas.
Je regrette, pour conclure, que vous n’ayez pas eu le temps de nous parler d’un autre point qui sera à l’ordre du jour du Conseil, à savoir l’évaluation de la mise en œuvre du pacte européen sur l’immigration et l’asile. Cette question concerne des femmes et des hommes en grande difficulté.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Madame David, dans ce modeste secrétariat d’État, il faut être omniscient tant les sujets traités sont variés. Moi aussi, j’aurais aimé que nous évoquions les questions d’immigration et d’asile, qui concernent l’Europe et nos concitoyens. Ces questions méritent un vrai débat, entre gens responsables, et ne doivent pas se réduire à l’échange de noms d’oiseaux.
Je ne peux que souscrire à votre volonté de préserver notre modèle social, sur lequel portait la seconde partie de votre question. La spécificité européenne tient à son modèle social, unique au monde. En ce moment, l’Europe est confrontée à une grave dépression à la fois démographique et économique. Notre croissance économique est douze fois inférieure à celle de la Chine et sept fois inférieure à celle de l’Inde. Dans ce domaine, avec 1,5 point de croissance pour la France et l’Allemagne et encore moins pour les autres pays, le moins qu’on puisse dire est que nous ne faisons pas la course en tête.
Surtout, notre faible croissance démographique rend très difficile la préservation de notre modèle social. Si l’on comptait six travailleurs pour un pensionné, nous ne serions pas contraints de réformer notre système de retraite !
Tout à l’heure, M. Chevènement, que j’écoutais avec bonheur, refaisait le débat sur la ratification du traité de Maastricht. Il disait sa préférence pour les monnaies nationales, estimant que la création de la monnaie unique était une erreur. Or les pays de l’Union qui ont conservé leur monnaie nationale ne sont pas bien vaillants. Si les Islandais sont candidats à l’Union européenne, ce n’est pas un hasard ; si les Britanniques ont à cœur, bien qu’ils n’en fassent pas partie, que les pays de la zone euro solutionnent leurs problèmes, c’est qu’ils savent parfaitement qu’ils ne peuvent pas faire cavalier seul.
La Norvège, où je me trouvais hier, a beau être riche de son pétrole et de son gaz – ce pays de 4 millions d’habitants dispose d’un fonds de réserve de 400 milliards d’euros ! –, elle sait fort bien que son sort est lié à celui de la zone euro.
Si, pour vous, la solution pour lutter contre les délocalisations consiste à rétablir les monnaies nationales et à maintenir envers et contre tout un système qui n’est pas finançable, alors permettez-moi de vous dire que vous ne ferez qu’amplifier et accélérer les délocalisations.
Madame David, savez-vous combien la France compte de travailleurs frontaliers ? Ils étaient 100 000 voilà dix ans ; ils sont désormais 320 000 ! Ces travailleurs partent non pour le Vietnam ou la Chine, mais, pour la majorité d’entre eux, pour le Luxembourg et la Suisse – deux pays très riches à monnaie forte –, et également pour l’Allemagne et la Belgique. Savez-vous ce qui les motive ? Ils sont payés 50 % de plus ! Cherchez l’erreur !
Tout se joue dans la différence qui existe entre les niveaux de fiscalité et les contraintes sociales qui pèsent sur les entreprises. Libre à vous, madame, d’accroître ces contraintes et de choisir une voie solitaire vers la croissance, mais ne soyez pas étonnée du résultat ! Après tout, nous sommes en démocratie !
Pour ma part, je tiens compte des réalités. C’est pourquoi j’estime que nous devons nous engager dans une politique concertée de croissance pour aller chercher ce point de croissance qui nous manque. Et nous l’obtiendrons non pas grâce à notre démographie, mais grâce à nos spécialités technologiques, grâce à ce qui fait la force de l’Europe, sa valeur ajoutée. Il nous faut donc investir dans la recherche, dans les technologies de pointe et harmoniser autant que possible les règles fiscales et sociales pour permettre à l’industrie et à la recherche de coopérer pleinement. Tel est l’objectif d’un gouvernement économique, lequel n’est aucunement synonyme de nivellement par le bas.
En ce qui concerne le dispositif d’aide publique au développement, il a donné lieu à quelques divergences avec certains pays, notamment avec les États nordiques et la Grande-Bretagne qui souhaitaient instaurer un système triennal alors que nous manquions de la visibilité nécessaire.
L’Europe, qui produit 30 % du PIB mondial, fournit 56 % de l’APD. La contribution de la France devrait se situer au niveau intermédiaire de 0,51 % du revenu national brut en 2010. Nous n’atteindrons donc pas l’objectif de 0,70 %, j’en conviens, et nous ne nous inscrivons pas dans une vision triennale, mais je n’ai pas pour autant l’impression que nous soyons parmi les plus mauvais, loin de là.
J’ajoute que les fonds de l’aide publique au développement sont désormais communautarisés. Ils portent l’empreinte du drapeau européen. Et bien souvent – je le dis comme je le pense –, lorsque la France veut engager une action à titre national, parce qu’elle traverse une crise ou parce qu’elle pourrait y trouver un intérêt politique, elle ne peut plus le faire, faute d’argent. Il s’agit là d’une vraie question, qui mériterait que nous y réfléchissions ensemble.
En ce qui concerne l’après-2013, je souhaite ardemment que l’Europe puisse intervenir au nom de tous les États et qu’elle dispose ainsi d’une réelle force de frappe en matière d’aide au développement. Elle fournit la moitié de la totalité de l’aide que reçoit la Palestine, et 30 % de cette aide va à Gaza. Je considère toutefois que la France doit conserver ses propres moyens d’action.
Il faut donner un sens politique à l’aide au développement et fédérer son emploi à l’échelon européen : c’est le rôle de Mme Ashton. Sur ce point, il nous reste des progrès considérables à accomplir, madame David.
Il ne s’agit donc pas de comparer deux pourcentages – 0,51 % versus 0,70 % –, il faut savoir qui décide de dépenser les fonds de l’APD, de quelle manière et à quelles fins. Et croyez-moi, ce sujet mérite un vrai débat !
M. le président. Mes chers collègues, je me dois, vous le savez, de suspendre la séance à vingt-trois heures cinquante-cinq. Je vous invite donc à un effort de concision.
La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le secrétaire d’État, je suis surpris de vous entendre dire que je veux revenir aux monnaies nationales. Je n’ai jamais prétendu cela !
Aujourd’hui, la monnaie unique est une réalité. Je pointe simplement son vice de conception. La zone euro, hétérogène, est loin d’être optimale. L’euro lui-même est fragile et nous devons en conséquence nous préparer à faire face à toutes les hypothèses. Je ne dis rien d’autre !
À la vue de votre bilan, vous devriez faire preuve d’une plus grande humilité. J’aimerais que ceux qui sont responsables de la situation difficile que nous connaissons s’abstiennent aujourd’hui de proposer des remèdes, de monter à la tribune et de parler d’autorité, comme s’ils avaient la science infuse, parce que ce n’est pas vrai. Soyez donc un peu plus modeste !
J’ai également été surpris de vous entendre parler de l’augmentation du budget européen alors que tous les États s’efforcent de comprimer leurs budgets nationaux. Et une augmentation, pour quoi faire, et selon quelles modalités ?
Vous avez évoqué le lancement de satellites d’observation antimissiles. Mais est-ce de la compétence de l’Union européenne ? À ma connaissance, nous n’avons pas encore pris la décision de construire un bouclier antimissiles, en dépit des souhaits de M. Rasmussen, le secrétaire général de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. Le prochain sommet de l’OTAN donnera lieu à une discussion sur le concept stratégique, mais nous ne sommes pas là dans le cadre du budget européen. Et la France ne prévoit, pour le moment, que des crédits d’études à l’horizon 2020.
Gardons à l’esprit que l’enveloppe financière est limitée, que l’on ne peut pas tout faire à la fois. Pour l’heure, la dissuasion remplit son office. Non seulement un bouclier antimissiles, placé forcément sous contrôle américain, serait onéreux, mais il serait également très aléatoire, et vous le savez aussi bien que moi. Cela ne marche pas à tous les coups, si je puis m’exprimer ainsi.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Monsieur Chevènement, si j’ai mal compris ou dénaturé votre propos, je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Vous me dites que vous êtes aujourd’hui en faveur de la monnaie unique. Dans ces conditions, tout va bien !
Par ailleurs, permettez-moi de vous rappeler que c’est Pierre Bérégovoy qui a négocié, pour la France, le traité de Maastricht. Cette œuvre, c’est donc aussi celle de la gauche. Nous l’avons reprise et continuée. Vous me dites d’être humble, mais je ne fais que reprendre cet héritage.
À l’époque, notre pays défendait la ligne d’un gouvernement économique de l’Europe. C’est le pacte de stabilité qui l’a finalement emporté et l’on en a alors moins parlé.
M. Jean-Pierre Chevènement. Ce n’est pas dans le texte du traité !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Non, mais si vous relisez l’histoire de la négociation du traité…
M. Jean-Pierre Chevènement. Je la connais aussi bien que vous !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Beaucoup mieux, même, puisque vous y avez participé !
Vous me demandez de faire preuve d’humilité. Je ne prétends pas que ce que nous avons fait est formidable. Nous avons dû gérer la pire crise économique que nous ayons connue depuis 1929 ; selon moi, nous avons fait au mieux pour l’amortir, pour relancer l’économie. D’ailleurs, la France ne s’en sort pas si mal puisque nous avons connu une année de croissance négative proche de 2 %, contre 5 % en Allemagne et au Royaume-Uni.
Nous atteignons aujourd’hui une croissance positive de 1,5 %, ce qui n’est pas si mauvais, mais avec des déficits importants, je l’admets, d’où les efforts que nous engageons pour les réduire.
Lorsque l’on évoque le décalage de compétitivité entre la France et l’Allemagne, il ne faut pas oublier – vous l’avez d’ailleurs rappelé – que les règles que M. Hartz présentait à M. Schröder, qui les a appliquées, en matière de compression du coût du travail, d’allongement de la durée du temps de travail, d’efforts de flexibilité, ont permis de renforcer la compétitivité de l’Allemagne sur les marchés extérieurs. En dix ans, le coût du travail a augmenté de 5 % en Allemagne contre 25 % en France, parce que nous avons connu durant cette période M. Jospin, Mme Aubry et les 35 heures. Voilà la réalité !