M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Jacques Mézard. Il existe deux dangers : l’excès de réglementation et l’absence de réglementation !
En tant que responsable d’une autorité organisatrice de transports, et après avoir fait réaliser – dans les temps – un schéma directeur d’accessibilité des transports urbains et périurbains, je me suis rendu compte, comme d’autres, de l’étendue des difficultés techniques et financières. Une application technocratique de la réglementation devient inévitablement une mauvaise application, voire conduit à une non-application partielle !
MM. Jacques Blanc et Paul Blanc. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Vu la manière dont la loi est actuellement mise en œuvre, les objectifs ne seront pas atteints en 2015. Mieux vaut avoir le courage de le dire et essayer d’inverser la tendance !
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Jacques Mézard. Au mois de février 2015, nous serons loin des objectifs visés dans plusieurs domaines, surtout lorsqu’il s’agit d’objectifs irréalistes ou inadaptés. D’ailleurs, cela peut fonder la réticence de ceux qui ne sont pas pressés…
Lorsqu’il existe une disproportion manifeste entre les travaux à réaliser et les effets sur le fonctionnement du réseau de transports ou lorsqu’il y a des critères d’impossibilité technique comme ceux que nous connaissons, que fait-on ?
Compte tenu du plan de rigueur qui touche de plein fouet les recettes des collectivités territoriales, celles-ci ne pourront, à l’évidence, pas faire face à l’ensemble des dépenses d’équipement à réaliser, même avec une programmation pluriannuelle d’ici à 2015. Ou alors, j’aimerais bien qu’on m’explique comment on va faire !
Le 27 avril 2010, répondant à une question orale que je lui avais posée sur le sujet, le Gouvernement indiquait que les collectivités territoriales n’avaient aucun concours financier à attendre de la part de l’État, mais que celui-ci pouvait en revanche leur apporter « un appui juridique et technique ». Ainsi, le Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques, le CERTU, a publié de nombreux guides et recueils de bonne pratique et organisé des journées d’échanges sur cette question…
Il nous a également été précisé que l’appui avait été « institutionnalisé » par l’installation de l’observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle ! (Mme Françoise Laborde s’esclaffe.) Je sais bien qu’il s’agit de la version française d’une idée anglo-saxonne, l’universal design, mais je trouve que la création d’un tel observatoire mériterait tout de même un certain nombre de discussions, même s’il est présidé par l’un de nos éminents collègues sénateurs, dont je salue par ailleurs le travail.
De guides pratiques en colloques ou en comités de pilotage dans les préfectures, après la « conception universelle », jusqu’où irons-nous ? Aux miracles ? Que de mots qui ne guérissent pas les maux dont souffre ce dossier !
Comment réellement faciliter l’action des collectivités locales, des transporteurs publics et privés, notamment s’agissant du renouvellement du matériel ? Je suis personnellement convaincu qu’il faudra impérativement s’orienter plus facilement vers des services de substitution adaptés, à coût égal pour la personne en situation de handicap, notamment par le développement des transports des personnes à mobilité réduite, voire des services à la demande.
Mais ne nous leurrons pas : cela nous amènera inéluctablement à trouver de nouvelles ressources au niveau des autorités organisatrices de transports ; il n’y a pas d’autres solutions !
Madame la secrétaire d’État, quelles sont les réflexions du Gouvernement sur le sujet ? Envisagez-vous une augmentation du « versement transport » ou, au moins, une mise à niveau en fonction de l’importance des collectivités territoriales ? Si ma mémoire est bonne, les taux varient actuellement de 0,60 % à 1,30 % ; or les villes moyennes ne connaissent pas forcément moins de difficultés.
Favorisons les moyens d’action, au lieu de multiplier les normes ou observatoires et de complexifier à outrance ! C’est là le moyen le plus efficace de construire une société ouverte à tous ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, je voudrais tout d’abord revenir sur les obligations imposées aux collectivités locales en matière d’harmonisation de l’accessibilité à leurs bâtiments.
De mon point de vue, le plus gênant dans le dispositif législatif que nous avons adopté est son caractère général, systématique et non modulable.
Je pense qu’il y a des endroits où il est effectivement impératif d’agir, car il est vraiment anormal que les lieux dans lesquels beaucoup de personnes circulent et pour l’aménagement desquels on dispose des moyens financiers adaptés ne soient pas plus accessibles.
Prenons le cas du métro parisien, que des centaines de milliers de personnes empruntent chaque jour : il est tout de même singulièrement affligeant que notre métro connaisse, en termes d’accessibilité, un tel retard par rapport à ceux des autres capitales européennes.
Au Sénat aussi, il y a sans doute beaucoup à faire…
Mais il faut également songer à ces petites communes rurales qui vont être obligées d’engager des dépenses colossales pour effectuer des travaux, et parfois en dépit du bon sens !
Ainsi, je me trouvais la semaine dernière dans une commune d’une centaine d’habitants où n’est célébrée qu’une seule messe par an. Mais, comme la commune est soumise au régime concordataire d’Alsace-Moselle, le sous-préfet exige qu’elle entreprenne des travaux très importants pour rendre l’église accessible à tous !
Je crois sincèrement qu’on marche sur la tête ! (M. Jacques Blanc manifeste son approbation.) Quand je dis « on », j’entends « le législateur », car c’est tout de même nous qui votons la loi, il faut le reconnaître. Il est, certes, facile de pointer tel ou tel dysfonctionnement, mais nous avons, nous aussi, à nous poser quelques questions !
À mon sens, il serait opportun d’instituer des dispositions prévoyant que, en deçà d’une fréquentation totale – je parle bien de fréquentation « totale », c'est-à-dire prenant en compte non seulement les personnes handicapées, mais également les personnes valides – d’une cinquantaine ou d’une centaine d’individus par an, la commune ne saurait être obligée d’engager des dépenses complètement extravagantes.
C’est d’autant plus vrai que le Gouvernement serre la vis à toutes les collectivités locales. Il est tout de même un peu énorme d’obliger les communes à réaliser des travaux et à assumer des charges supplémentaires tout en leur serrant la vis en matière financière !
C’est la première remarque que je voulais formuler.
Ma deuxième remarque s’écartera un peu du sujet dont nous débattons aujourd'hui puisqu’elle concerne les taux d’invalidité.
J’aimerais bien qu’une réflexion soit un jour menée sur cette question car, si l’on observe les décisions prises par les différentes commissions départementales qui attribuent les taux d’invalidité, on constate qu’il existe, d’un département à l’autre ou d’une région à l’autre, des distorsions considérables. Nous sommes là en présence, me semble-t-il, d’une profonde injustice. En tant que sénateur de l’est de la France, j’ai pu procéder à des comparaisons. Pour le même type de handicap, par exemple lorsqu’une personne a été amputée d’une jambe, on note des écarts très importants dans l’attribution des taux d’invalidité par les commissions selon le département ou la région.
Certes, il s’agit d’un sujet dont on ne parle pas beaucoup, car il y a assez peu d’éléments en la matière. Néanmoins, il me semblerait utile que les pouvoirs publics se penchent un jour sur la question.
D’ailleurs, madame la secrétaire d’État, vous qui êtes, comme moi, une élue de l’est de la France, je pense que vous devriez examiner le problème, car ce sont nos concitoyens qui sont les victimes de cette rigidité tout à fait excessive.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, lorsque nous avons voté la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, sous votre impulsion, cher Paul Blanc, Jean Vanier n’avait pas encore formulé ces propos : « La personne handicapée est un homme à l’envers pour remettre les autres à l’endroit. »
Pourtant, intrinsèquement, c’est sans doute cette réflexion qui nous a amenés à réviser la loi de 1975 pour nous remettre à l’endroit par rapport au handicap quand celui-ci nous crie : « J’ai besoin de toi !»
Cette loi a une dimension anthropologique puisqu’il s’agit de mieux replacer la personne handicapée au cœur de la vie quotidienne.
C’est la raison pour laquelle, dans cette loi, nous avons institué une nouvelle norme, celle de l’accessibilité. C’était une nécessité, tant nous savions que dans nombre de lieux publics correspondant à des services publics, métros, quais de gare, hôpitaux, écoles, lycées, collèges, musées, l’accessibilité n’était pas une réalité ; hélas, malgré la loi de 2005, elle n’en est toujours pas une aujourd’hui.
Il s’agit à présent pour nous de tirer le bilan de l’application de la loi, mais aussi de faire bilan vis-à-vis de nous-mêmes, en repensant notre regard sur la façon d’accueillir la personne handicapée.
Je dirai d’abord un mot du bilan d’application.
Sans revenir sur la précarité des AVS, sur la gouvernance des MDPH et sur l’AAH – et j’espère, madame la secrétaire d'État, que le décret annoncé ne lésera pas les personnes handicapées –, je voudrais tout simplement faire part des réponses des institutions que j’ai interrogées et qui m’ont répondu, à savoir le Sénat et un lycée parisien.
En ce qui concerne le Sénat, la question du handicap a fait l’objet d’une réunion de notre bureau le 16 décembre dernier. Il en est ressorti : premièrement, qu’un programme d’amélioration en trois phases d’accessibilité aux locaux avait été décidé à partir de 2009 ; deuxièmement, qu’au titre de l’emploi le Sénat comptait actuellement dix-sept personnes handicapées et que huit autres seraient recrutées d’ici à la fin de 2010 ; troisièmement, que des aménagements de concours et de postes étaient proposés depuis le vote de la loi, mais que certains ne voyaient pas l’intérêt d’une procédure d’aménagement, voire de reclassement, qui peut être vécu comme une « double peine » – c’est ce qu’ont fait prévaloir le médecin de prévention et l’assistante sociale du Sénat.
Il apparaît, d’une part, que ce bilan est modeste, y compris sur le plan financier, mais encourageant et, d’autre part, que l’on ne peut jamais nier le facteur humain par rapport aux normes mises en place.
C’est la même réalité aujourd’hui qui fait écrire au proviseur d’un grand lycée parisien dans un courrier qu’il m’a adressé : « Je suis au regret de vous informer que rien n’a été fait au regard de l’accueil des handicapés, dans nos locaux prestigieux, classés “monuments historiques” […]. Nous ne pouvons donc accueillir aucun élève ni personnel à mobilité réduite. Le conseil administration a dernièrement réitéré la demande de mise en conformité auprès des collectivités territoriales », en l’occurrence le maire de Paris et le président de la région d’Île-de-France.
Je vous ai livré ces propos pour souligner que le chemin à parcourir est encore long en matière d’accessibilité. Cela étant, pour se donner bonne conscience, n’institue-t-on pas un humanisme procédural, excessif, tant il est vrai, d’une part, que l’intégration systématique signifie une société de normalisation, incompatible avec certains handicaps, et, d’autre part, que l’accessibilité physique ne règle en rien l’ensemble des problèmes du handicap ?
J’en veux pour preuve ce troisième témoignage, celui de parents qui, constatant le coût des travaux à réaliser pour intégrer leur fils handicapé dans un établissement, ont préféré une approche plus humaine : à la suite d’une suggestion du proviseur du lycée, les élèves ont accepté d’être solidaires et de se relayer pour accueillir l’enfant dans l’établissement.
Nous devons donc également faire bilan sur nous-mêmes, repenser sans cesse nos habitudes et modifier l’idée que nous avons du handicap. À nous en dispenser, nous nous privons du regard humain que nous adresse la vulnérabilité du handicap.
Il faut accepter ce qui est visage de l’autre tout en sachant que « ce qui est spécifiquement visage est ce qui ne s’y réduit pas », car toute personne dépasse la matérialité de son corps. À ne pas se plier à cet exercice, on masque l’épreuve pour ne retenir que ce qui est d’ordre opératoire, maîtrisable et rationnel.
À cet égard, je ferai deux observations.
Ma première remarque a trait à la définition du handicap. L’article 2 de la loi du 11 février 2005 donne pour la première fois une définition légale du handicap en disposant que « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »
Or l’Assemblée nationale, par la voix d’un député de l’opposition, veut revenir sur cette définition en proposant de parler non plus de « personne handicapée », mais de « situation de handicap ».
Or dire que le handicap n’est que de situation peut conduire à nier un état de fait, une souffrance, qui existera au-delà de tous les mots. Et d’être masquée, la souffrance est avivée. Une société qui n’arrive pas à pallier les déficiences de ses membres les plus faibles est elle-même en situation de handicap, car c’est son incapacité qui gêne la participation sociale des intéressés.
Non, mes chers collègues, l’homme n’est pas qu’un être en situation : même dans des situations considérées comme indignes, il reste un individu digne de respect !
Dans Éloge de la faiblesse, Alexandre Jollien dit « ne pas fuir le handicap ». Il écrit : j’accepte que « jamais je ne serai normal ».
Est-il plus facile de dire « cet homme infirme moteur cérébral n’est pas une personne handicapée, mais simplement une personne en situation de handicap », en se focalisant exclusivement sur les normes et les structures, ou de dire « cette personne est une personne handicapée », en changeant son regard pour la voir comme une personne ?
Cela revient à poser la question du sens de la dissemblance, de la distinction trop rapide que nous faisons entre ce qui est normal et ce qui est anormal.
À ne pas mieux appréhender cette question, nous nions ce qui nous gêne le plus, à savoir notre égale humanité partagée avec la personne handicapée dont on parle peu : la personne handicapée mentale.
Le 6 juillet prochain, le Sénat projettera un film sur cette minorité invisible et inaudible de 700 000 hommes et femmes qui a une immense soif d’être entendue. Vous êtes tous invités à cette projection. Cette manifestation est une bonne occasion d’écouter ces personnes afin de sortir de l’injonction administrative et exclusivement légale, de regarder cette humanité inédite pour lui dire à notre tour : désormais, je ne parle plus à ta place ; j’ai besoin de toi parce que ton « savoir-être » est une leçon pour notre savoir-faire.
Cette projection est également une bonne occasion d’écouter les personnes handicapées mentales à la veille de la révision de la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004 : alors que la loi du 11 février 2005 a pour objet de garantir à toute personne handicapée l’accès aux droits fondamentaux reconnus à l’ensemble des citoyens, il convient de nous interroger plus largement sur la façon dont la société opère, selon le Conseil d’État, « une pratique individuelle d’élimination presque systématique » de 96 % des cas de trisomie 21 détectés. Dans le même temps, la recherche pour guérir la trisomie 21 est peu subventionnée par l’État quand le dépistage est, lui, richement pourvu.
Cela pose le problème de l’accessibilité à la vie pour la personne handicapée trisomique.
Pour combien de temps encore restera valide le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance » ?
Mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 est un bon début ; mais elle n’est qu’un début. Elle a été rendue possible grâce à l’investissement de nombreuses personnes : je pense aux familles, dont on ne parle pas beaucoup et dont certaines ont décidé de donner leur vie pour faire grandir leur enfant, aux associations, à deux Présidents de la République – Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy –, à des ministres et à des parlementaires.
Beaucoup des objectifs fixés par la loi doivent être atteints à l’échéance de 2015. Osons espérer qu’un nouveau débat de contrôle aura lieu dans notre assemblée d’ici là. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je m’attacherai à la question du financement du droit à compensation du handicap, qu’il s’agisse des prestations servies ou des institutions dédiées.
Le progrès issu de l’adoption de la loi du 11 février 2005 pour ce qui est de l’appréhension de la notion de handicap est incontestable. Force est de constater, néanmoins, que les moyens prévus pour la mise en œuvre de cette loi n’ont pas permis d’atteindre des objectifs ambitieux.
Cinq ans après, les personnes en situation de handicap et leurs proches ont manifesté dans la rue : c’était le 27 mars dernier.
La fédération des APAJH a saisi la HALDE le 4 mars dernier pour discrimination en matière d’accès aux bâtiments, aux transports, à la scolarisation, à la formation, à l’emploi et à la compensation, toutes facultés pour lesquelles la loi du 11 février 2005 entendait justement instaurer un traitement égal.
Toutefois, il faut faire la part des choses.
Premièrement, les difficultés actuelles trouvent leur origine dans le fait que les dispositions expressément prévues par la loi n’ont pas été mises en œuvre. En d’autres termes, le Gouvernement n’a pas respecté ses obligations. Madame la secrétaire d'État, c’est le rôle du Parlement que de vous rappeler à la loi, et nous vous demanderons de prendre des engagements.
Deuxièmement, ces difficultés trouvent leur source dans le mauvais choix qui a été fait d’un mode de financement non pérenne et ne permettant pas d’atteindre un niveau suffisant. Tel était, à l’époque, le jugement déjà unanimement porté par la CNAM, la CNSA et le CNPH, ainsi que l’atteste l’avis défavorable qu’ils ont rendu sur le texte qui leur était soumis.
Telle est aujourd’hui la situation : l’allocation aux adultes handicapés, même à taux plein, même revalorisée, reste en deçà du seuil de pauvreté. Les départements, qui financent la PCH, gèrent les MDPH, supportent les frais de séjour et sont, pour nombre d’entre eux, à la limite de leurs capacités.
Troisièmement, les difficultés sont liées aux perspectives d’avenir tracées par le Gouvernement. De ce point de vue, évidemment, l’absence de projet et de visibilité inquiète.
Je veux dire un mot du non-respect de la loi par le Gouvernement. Vous n’ignorez pas, madame la secrétaire d'État, que l’État doit 34 millions d’euros aux départements au titre des postes non pourvus en MDPH.
Alors que vous en appelez constamment à la responsabilité individuelle des Françaises et des Français, à la réciprocité des droits et des devoirs, le Gouvernement devrait à tout le moins respecter ses obligations !
Par ailleurs, aux termes de l’article 13 de la loi du 11 février 2005, vous étiez tenus de supprimer la barrière d’âge de soixante ans, qui limite l’accès au droit à compensation.
Bien entendu, les difficultés seraient moindres si la loi, sur ces deux aspects, était effectivement appliquée. C’est ce que vous demande la représentation nationale. Nous vous écouterons aujourd'hui avec attention sur ce sujet.
En outre, les difficultés de financement sont liées à la loi elle-même, qui souffre d’une malformation consubstantielle. Il y a, en effet, une contradiction évidente à prévoir le financement d’un droit universel à compensation par des ressources non pérennes ; au surplus, leur répartition à enveloppe fermée exclut la prise en compte de l’augmentation constante des besoins.
Les baisses de recettes de la journée de solidarité et de CSG, qui abondent les enveloppes de la CNSA, entraînent mécaniquement une diminution drastique du taux de couverture de la PCH servie par les départements. Cette couverture est passée de 97 % en 2008 à 61 % en 2009, pour tomber à 44,5 % cette année.
De même, vous ne pouvez pas, sans contradiction, sortir la CNSA de son rôle, qui est d’intervenir « en plus » et non « à la place » de l’État. C’est bien pourquoi nous nous sommes opposés, lors de l’examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, aux mesures de « débasage » des excédents de la CNSA réintégrés à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie.
Il en résulte que les départements eux-mêmes, piégés entre baisse de leurs ressources et financement insuffisant des compétences transférées, se trouvent encore dans l’obligation de compenser une prestation qui relève de la solidarité nationale, et dont ils ne décident ni les taux ni les conditions d’attribution, quand ils assument dans le même temps – j’insiste sur ce point – la charge croissante des frais de séjour en établissement.
Telle est bien la toute première observation du rapport Jamet, qui relève que les départements se sont vu confier la gestion de prestations qui « pèsent considérablement sur les budgets départementaux », ajoutant que « toutes se révèlent plus coûteuses que prévues », car « force est de constater que […] les perspectives communiquées lors des débats parlementaires se sont avérées erronées ».
Madame la secrétaire d'État, quelle est votre volonté ?
La multiplication des tentatives pour réduire la portée de la loi du 11 février 2005 – de nombreux exemples ont déjà été cités – ne laisse pas de nous inquiéter.
Quelles sont réellement vos perspectives ?
L’annonce d’un projet de réforme de l’AAH, alors que les budgets des familles sont toujours plus lourdement grevés de charges nouvelles – du déremboursement de médicaments à la fiscalisation des indemnités d’accident du travail –, n’y suffira pas, de même que n’y suffira pas la proposition de loi de notre collègue Paul Blanc dont le Sénat débattra bientôt, même si nous l’approuvons pour l’essentiel.
Aujourd’hui, l’urgence et l’attente sont d’un autre ordre : elles exigent un projet d’une autre ampleur, une vision solidaire de la prise en charge et de l’accompagnement de la perte d’autonomie, conformément au principe fondateur de la CNSA, et à l’ambition initiale de la loi du 11 février 2005 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Gournac. Vive Chirac !
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont.
Mme Bernadette Dupont. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sans rien retrancher au propos de notre collègue Marie-Thérèse Hermange, je voudrais revenir sur le problème de l’accessibilité, que j’avais abordé dès 1995 avec Éric Molinié, spécialiste de la question que beaucoup d’entre vous doivent connaître.
Tout ne reste pas à faire dans ce domaine, mais l’accessibilité reste un enjeu central pour l’insertion sociale des personnes handicapées, qui rencontrent encore de nombreux obstacles au quotidien, que ce soit dans le milieu scolaire ou professionnel, dans les transports, ou bien simplement pour accéder à la culture et aux loisirs.
La loi du 11 février 2005 a fixé des objectifs ambitieux à la société pour qu’elle devienne accessible à tous, avec une obligation de résultat à l’horizon de 2015. Cette échéance, qui peut sembler encore lointaine, risque pourtant d’être difficile à respecter étant donné l’ampleur des chantiers qui restent à mettre en œuvre.
C’est la raison pour laquelle Xavier Bertrand, lorsqu’il était ministre, avait prévu d’anticiper d’un an – c’est-à-dire avant la fin de 2008 – la remise du rapport des commissions communales et intercommunales d’accessibilité, chargées de dresser le bilan de l’accessibilité du cadre bâti existant, de la voirie, des espaces publics et des transports et de faire des propositions pour leur mise en accessibilité. Malheureusement, ces commissions n’existent pas encore partout sur le territoire national.
Sur ce point, je pourrais citer la ville de Versailles, qui a été exemplaire en établissant très tôt – dès 2006 – ce diagnostic et en prenant la mesure des travaux à réaliser : ils sont chers, très chers, reconnaissons-le. Mais, en réalité, de nombreuses communes n’ont pas encore effectué ce bilan et ont ainsi pris un retard qui sera très difficile à combler.
Cette situation s’explique en partie par l’ambiguïté des dispositions de la loi de 2005 concernant la répartition des compétences entre les communes et les intercommunalités. Fort heureusement, cette ambiguïté a été levée l’été dernier, grâce à une disposition introduite dans la loi de simplification du droit par notre collègue Paul Blanc.
Cependant, ce retard reste difficile à rattraper et les communes vont se trouver « au pied du mur » à l’échéance de 2015 qui approche à grands pas. Prévoir un moratoire serait un très mauvais service à rendre à tout le monde : nous n’en avons pas le droit, comme nous n’avons pas le droit de baisser la garde ! Nous devons plutôt nous demander comment aider les communes à avancer au mieux, en mobilisant davantage le Fonds interministériel pour l’accessibilité aux personnes handicapées, le FIAH. Puisque, à l’évidence, tout ne sera pas faisable dans les délais prévus, ne doit-on pas envisager de fixer un ordre de priorités ?
Je voudrais encore donner en exemple la ville de Versailles, que je connais bien pour y avoir beaucoup travaillé : ne pouvant réaliser l’accessibilité dans toutes les écoles, la municipalité a décidé de ne rendre accessible, dans un premier temps, qu’une école par quartier. Jusqu’à présent, je crois que les parents ont été satisfaits de cette décision.
Il me semble donc souhaitable d’identifier les projets les plus urgents, et je souhaiterais recueillir votre sentiment sur ce point, madame le secrétaire d’État.
Si des problèmes d’ordre technique, difficiles à résoudre, se posent dans le bâti ancien et les secteurs sauvegardés – encore un sujet que je connais bien, car la ville de Versailles est certainement, en France, une des premières concernées par ce problème –, il semble qu’il existe également des difficultés dans le bâti neuf.
On peut d’ailleurs regretter que des pressions très fortes aient été exercées pour élargir le champ des dérogations aux règles de l’accessibilité des bâtiments et des logements, en particulier dans les logements sociaux. Il faut certes reconnaître que les surcoûts ne sont pas négligeables et qu’il existe également des contraintes techniques évidentes, par exemple en haute montagne. Mais on ne peut admettre que des dérogations aient été accordées pour le bâti neuf sur le fondement de dispositions réglementaires prises sans base légale, le législateur n’en ayant prévu, en 2005, que pour les bâtiments existants. Ainsi, le décret du 17 mai 2006, sur le fondement duquel plusieurs permis de construire ont été accordés, a-t-il été annulé l’été dernier par le Conseil d’État. En vertu de cet arrêt, les constructions autorisées devraient être, en toute logique, démolies !
Cette situation a d’ailleurs conduit le Gouvernement à introduire dans la loi de finances rectificative pour 2009 un article prévoyant de nouvelles possibilités de dérogation, en cas d’impossibilité technique résultant de l’environnement du bâtiment, pour les ensembles de logements à occupation temporaire ou saisonnière – ce qui pourrait être une marque de sagesse ! –, mais aussi en cas de contraintes liées à la préservation du patrimoine architectural. Cet article, mal encadré, a été invalidé par le Conseil constitutionnel.
Je crois savoir qu’une consultation est en cours à ce sujet, associant les ministères du logement et de la solidarité, en concertation avec les associations représentatives des personnes handicapées. Pouvez-vous, madame le secrétaire d’État, nous donner des précisions à ce sujet ?
Il apparaît urgent de trouver une solution permettant de concilier les exigences légitimes des personnes handicapées et les contraintes techniques que rencontrent, sur le terrain, les architectes et les promoteurs. Ainsi, les dérogations pour le bâti neuf devront être accordées dans un esprit pragmatique et responsable, respectueux des droits et attentes des personnes handicapées.
Pour y parvenir, il est indispensable de prévoir, comme pour le bâti existant, que les décrets définissant lesdites dérogations seront soumis à l’avis du Conseil national consultatif des personnes handicapées, le CNCPH, et que, localement, les dérogations seront soumises à l’avis conforme des commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité.
En outre, les dérogations ne devront pas revêtir un caractère trop général. Si l’accessibilité en fauteuil peut se révéler très difficile à réaliser techniquement, la dérogation accordée ne doit pas pour autant inciter l’architecte à s’exonérer des obligations tendant à garantir l’accessibilité des lieux aux personnes atteintes d’un handicap sensoriel, par exemple ; je veux parler de la sonorisation des annonces, des indications en braille, des bandes fluorescentes au sol pour les malvoyants ou du repérage par des codes couleurs dans la signalétique pour les infirmes moteurs cérébraux, etc.
L’Union sociale pour l’habitat a évalué à 12 % les surcoûts résultant de la construction de logements accessibles, en particulier dans le cas des logements sociaux. Ce chiffre peut sembler disproportionné et excessif à certains, mais il faut savoir quelle société nous voulons ! Sommes-nous aussi regardants pour le coût des mesures environnementales ? La société doit être solidaire au regard de ce que j’appelle « l’accès à tout pour tous ».
L’accessibilité ne vaut d’ailleurs pas uniquement pour les personnes handicapées : sont également concernées les personnes âgées, les personnes temporairement blessées, ou encore les mamans avec poussette. Les personnes âgées représenteront bientôt 25 % de la population et sont souvent atteintes, du fait de l’âge, d’affections qui réduisent leur mobilité. Il faut donc mener une réflexion complète et, sur ce sujet, je partage le point de vue de notre collègue Paul Blanc, dont nous allons examiner prochainement la proposition de loi : il suggère, lorsque la mise en accessibilité totale représente un coût trop élevé, de préparer les conditions pour prévoir l’avenir. Par exemple, on peut réserver l’espace nécessaire pour la construction future d’une douche avec mise à niveau pour une personne âgée ou handicapée.
Je souhaiterais évoquer rapidement les trois secteurs qui me paraissent essentiels du point de vue de la mise en accessibilité.
La mise en conformité des établissements recevant du public, les ERP, tels que les mairies ou les écoles, représente un coût important pour les collectivités locales, mais je crois qu’il convient de faire preuve de pédagogie et de pragmatisme. Ici encore, je peux citer l’exemple de la magnifique restauration du lycée Hoche, à Versailles, bâtiment ancien s’il en est : l’accessibilité y est presque parfaite, mais il reste une zone de pavés « Grand Siècle » totalement intouchable et impraticable ! L’office du tourisme de Versailles a d’ailleurs reçu le label « tourisme et handicap » : des efforts ont donc bien été réalisés. C’est pourquoi je récuse les propos tenus par notre collègue : non, tout ne reste pas à faire, mais il convient de se faire bien conseiller et accompagner, pour éviter des travaux mal pensés ou excessifs par rapport à l’objectif visé.