M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux d’abord saluer la délégation de l’Association des paralysés de France, l’APF, qui est venue assister à ce débat sur l’application de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Les membres de cette délégation sont présents, mais ils ne sont pas dans les tribunes : ils nous écoutent depuis la salle des conférences puisque les tribunes du public sont malheureusement inaccessibles aux personnes handicapées.
Année après année, innovation technologique après innovation technologique, les architectes ont su, à la demande des présidents successifs, moderniser nos locaux. Pour expliquer que certains d’entre eux n’ont pas bénéficié de cette modernisation, on invoquera sans doute le fait que le palais du Luxembourg est un bâtiment historique. Certes, mais le Palais-Bourbon en est un aussi ! Pourtant, des travaux d’aménagement y ont été entrepris, un ascenseur y a été installé, et c’est bien la délégation de l’APF dans son ensemble qui a pu, depuis les tribunes, assister aux débats de l’Assemblée nationale.
Cette situation, mes chers collègues, ne nous honore pas. Le Sénat est à l’image des collectivités qu’il représente : insuffisamment accessible aux personnes en situation de handicap. J’espère vivement que, très prochainement, le président du Sénat et les questeurs décideront d’aménager le bâtiment pour le rendre accessible et qu’ils autoriseront – pourquoi pas ? C’est une proposition technique pragmatique ! – l’accès des personnes en fauteuil à la tribune présidentielle, seul espace assez vaste pour les accueillir.
Cet exemple, qui pourrait paraître anecdotique, témoigne des difficultés que rencontrent chaque jour les personnes en situation de handicap pour accéder aux lieux culturels, associatifs ou politiques. Il est la démonstration que, partout, nous devons nous poser la question de l’accessibilité pour tous et en toutes circonstances, sans chercher à nous abriter derrière des excuses qui ne sont finalement que des prétextes.
Aujourd’hui, nous ne le savons que trop bien, les personnes handicapées demeurent des victimes, non pas de leur situation, mais du manque de volonté des pouvoirs publics de tout mettre en œuvre pour éviter le sur-handicap, l’exclusion. Bref, elles sont, dans leur diversité, des victimes de notre renoncement à la construction d’une société ouverte à tous. (Mme Marie-Thérèse Hermange s’exclame.) Pourtant, il ne s’agit ni plus ni moins que de partir du postulat incontestable que la nation doit garantir l’effectivité pour tous d’un certain nombre de droits fondamentaux, reconnus notamment par la Déclaration universelle des droits de l’homme, la Constitution et, depuis cette année, la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.
La situation est telle que les associations qui travaillent dans le domaine du handicap n’hésitent pas à dire que l’année 2009 a été une année noire pour le handicap et que l’année 2010 sera celle de la colère. Cela a conduit récemment le président de l’APAJH, l’Association pour adultes et jeunes handicapés, à saisir la HALDE, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, pour discrimination d’État, afin d’attirer l’attention des pouvoirs publics, à commencer par le Président de la République, tant sur leur sentiment d’exaspération face au détricotage progressif de la loi de 2005 que sur leurs inquiétudes pour les années à venir, notamment en raison du plan d’austérité que concocte le Gouvernement et qui ne sera pas sans conséquences sur la politique du handicap.
Cette colère est d’autant plus grande que la loi du 11 février 2005 a engendré beaucoup d’espoirs, tous disparus au fil des projets de loi, des amendements gouvernementaux ou parlementaires, qui ont eu pour effet de faire passer la société à côté des objectifs pourtant proclamés par cette loi. C’est pourquoi le débat d’aujourd’hui est utile. Il nous donne l’occasion de regarder l’application de la loi de 2005 avec lucidité et peut-être, je l’espère, d’envoyer un signal clair au Gouvernement quant à l’urgence de revenir à l’esprit de la loi de 2005 avant de l’amplifier.
Compte tenu du peu de temps imparti au groupe CRC-SPG pour ce débat, je voudrais aborder plus spécifiquement la question de la compensation du handicap, de l’accessibilité et de la scolarisation des enfants handicapés.
Concernant la compensation du handicap, la loi de 2005 a posé le principe légitime et impératif d’une compensation intégrale du handicap. Or force est de constater, plus de cinq ans après, que nous en sommes loin. Cela résulte notamment de la tarification et du plafonnement des différents éléments de la prestation de compensation du handicap, ainsi que de l’exclusion d’un certain nombre d’activités du périmètre de la compensation ; je pense particulièrement aux activités dites « domestiques » ou encore aux aides à la parentalité.
Quant aux fonds départementaux de compensation du handicap, leur utilisation est très inégalitaire selon les territoires. En effet, en raison de l’absence de décret d’application, les départements ont décidé seuls, sans cohérence nationale, de la politique d’attribution des ressources de ces fonds. Ceux-ci subissent par ailleurs, depuis 2008, un véritable désengagement financier de la part de l’État, leur faisant courir le risque, faute d’autres financeurs, de continuer à contribuer seuls, à la place d’un État défaillant et non solidaire.
Parallèlement, le faible montant de l’AAH plonge près de 850 000 personnes dans une situation financière très difficile, le montant de l’allocation aux adultes handicapés demeurant inférieur au seuil de pauvreté.
Face à cette situation, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG réaffirment la nécessité et l’urgence de revenir au principe même de la loi de 2005, à savoir la création d’une allocation unique, destinée à compenser intégralement le handicap. Pour notre part, nous sommes favorables à l’instauration d’un revenu d’existence dont le montant devrait être au moins égal au SMIC.
Concernant l’accessibilité des constructions, tant publiques que privées, autant dire que tout reste à faire. C’est certainement dans ce domaine que les mesures les plus simples pourraient être prises et avoir les conséquences les plus visibles et les plus rapides.
Décider d’avoir une vraie politique d’urbanisme cherchant à supprimer les « situations environnementales de handicap » constituerait un signal fort en direction des personnes pour qui l’inaccessibilité de la majorité des lieux présente un caractère particulièrement handicapant. De telles mesures doivent d’ailleurs tenir compte de l’ensemble des formes de handicap et de la dépendance. Cela porte un nom le « design pour tous », et un véritable projet de société : l’« accessibilité universelle ». Car, pour reprendre les propos de Jean-Louis Garcia, président de l’APAJH, dans un entretien croisé que nous avons réalisé pour le journal l’Humanité, « chaque fois que l’on améliore les choses pour les personnes en situation de handicap, cela sert à toute la société ».
Je me réjouis avec les associations œuvrant dans le domaine du handicap que, sous leur pression, les députés de votre majorité aient renoncé aux amendements qu’ils avaient déposés sur le projet de loi Grenelle 2 introduisant de nouvelles dérogations à l’obligation de rendre accessibles les constructions aux handicapés. Avec elles, nous resterons cependant vigilants, car nous connaissons la tentation du Gouvernement et de sa majorité de créer de nouvelles dérogations.
Cela a commencé en 2006 par la tentative du Gouvernement de prévoir par décret une dérogation pour les bâtiments neufs. Ce décret ayant été annulé par le Conseil d’État, ce sont les parlementaires de la majorité qui ont tenté, par le biais de la loi de finances rectificative de 2009, d’instaurer cette dérogation. C’était sans compter sur le Conseil constitutionnel, qui a alors censuré cette disposition. Et je ne parle pas de l’amendement déposé par le secrétaire d'État chargé du logement et de l’urbanisme, Benoist Apparu, qui a tout simplement tenté de faire disparaître, pour les bâtiments neufs, toute forme d’obligation.
En réalité, toutes ces mesures n’ont qu’un objectif : permettre aux promoteurs de baisser le plus possible le prix des constructions.
Je le dis avec force : les personnes handicapées n’ont pas à payer le prix d’une logique libérale qui vise à l’accumulation des profits. Nous ne saurions l’accepter ! C’est pourquoi, avec ma collègue Marie-Agnès Labarre, nous avons déposé une proposition de loi portant notamment sur l’accessibilité des personnes handicapées.
J’évoquerai, enfin, la question de la scolarisation des enfants en situation de handicap, plus particulièrement en milieu ordinaire.
En 2009, à la suite de la non-reconduction des contrats de 1 500 auxiliaires de vie scolaire, quatre associations ont décidé de signer avec l’État une convention afin de permettre leur renouvellement pour l’année en cours et de garantir ainsi la continuité de l’accompagnement des enfants handicapés. L’État s’était engagé, d’une part, à financer ces postes et, d’autre part, à proposer pour l’année 2010 une solution pérenne, tant pour les professionnels concernés que pour les enfants et leurs familles.
Ces quatre associations ayant constaté que le Gouvernement ne respectait pas ses engagements, elles ont décidé de mettre un terme à cette convention. Se pose donc aujourd’hui, pour la rentrée de 2010, la question des conditions d’accueil des enfants en situation de handicap. Dans ce domaine, qui fait partie des missions régaliennes de l’État, le Gouvernement doit prendre ses responsabilités et mettre tous les moyens en œuvre pour offrir une véritable politique d’inclusion en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap, conformément aux objectifs inscrits dans la loi de 2005.
Il est de notre responsabilité commune d’exiger aujourd’hui, et de manière unanime, que le Gouvernement engage les moyens financiers nécessaires à la scolarisation de tous les enfants handicapés et qu’il respecte ses engagements concernant les AVS, notamment en termes de professionnalisation. Il est en effet essentiel de donner aux enfants avec lesquels travaillent ces personnels la garantie d’un accompagnement de qualité et d’assurer à ces derniers un parcours professionnel sécurisé.
En outre, le Gouvernement a renoncé à soumettre à la contribution AGEFIPH les entreprises de moins de cinquante salariés ne respectant pas l’obligation d’embaucher des personnes handicapées. Par ailleurs, le caractère automatique du plan personnalisé de compensation du handicap a été supprimé, au motif que les maisons départementales des personnes handicapées ne seraient pas en mesure, en raison de leur désorganisation, de le proposer systématiquement. Ainsi les personnes en situation de handicap seraient-elles privées d’un droit au seul prétexte que l’État ne respecterait pas son obligation de solidarité nationale !
Vous l’aurez compris, nous portons un regard très critique sur l’application de la loi de 2005. Les attentes suscitées par ce texte demeurent aujourd'hui intactes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard.
M. Jean-Jacques Pignard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 constitue une avancée législative majeure : elle fait honneur au gouvernement qui en a pris l’initiative et au Parlement, qui l’a votée.
Dans notre pays, il aura fallu attendre 1975 pour qu’un premier texte ambitieux prenne véritablement en compte les attentes de nos concitoyens en situation de handicap. Trente ans plus tard, la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées allait bien au-delà : ces personnes y sont considérées non plus seulement comme des allocataires bénéficiant, peu ou prou, de la solidarité nationale, mais comme des citoyens responsables, dignes, soucieux de prendre en charge leur propre destin.
Le débat d’aujourd’hui nous invite à faire un bilan d’étape des multiples aspects de la loi cinq ans après son adoption. Compte tenu du temps qui m’est imparti, je n’évoquerai que trois d’entre eux, afin de pointer leurs dysfonctionnements : l’accueil, la compensation, l’accessibilité.
S’agissant d’abord de l’accueil, les maisons départementales des personnes handicapées, ou MDPH, véritables guichets uniques destinés à accueillir, orienter et accompagner les personnes handicapées ou leur famille, ont été créées et organisées en groupements d’intérêt public. Le statut retenu par le législateur a pour intérêt de rassembler dans une même structure les quatre principaux acteurs de la politique du handicap à l’échelon local – conseil général, État, caisse primaire d’assurance maladie, caisse d’allocations familiales –, ainsi que les associations représentatives et les mutuelles.
L’expérience a cependant montré qu’il était difficile de faire travailler ensemble des agents provenant d’administrations différentes, avec des grilles de traitement, des avantages, des primes, voire des congés différents. Ainsi, les agents relevant de l’inspection académique – gestionnaires, psychologues et médecins scolaires – bénéficient-ils des congés scolaires. On ne saurait le leur reprocher, mais force est de constater que cela, entre autres, entraîne des dysfonctionnements dans la vie des MDPH.
Et l’incertitude quant au financement de l’État n’arrange pas la situation !
La loi a confié au département la tutelle administrative et financière des MDPH sans pour autant lui donner toute latitude dans la gestion de celles-ci. Il est indispensable de faire évoluer ce statut et de confirmer le département dans son rôle de chef de file de la MDPH. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir au mois de juin, lors de l’examen de la proposition de loi qui leur est consacrée. Dans le rapport qu’il a remis au Premier ministre le 20 avril dernier, Pierre Jamet préconise de laisser à l’échelon local le soin de tester des formules juridiques différentes – établissement public, intégration dans les services – par voie de convention. Une évaluation contradictoire au bout de trois ans permettrait d’identifier les améliorations significatives.
J’en viens maintenant à la compensation, qui constitue l’une des principales innovations de la loi de 2005. La loi de 2002 prévoyait que la compensation relevait de la solidarité nationale. La loi de 2005 était censée concrétiser ce principe. Il faut bien admettre que les modalités de financement ne permettent pas d’assurer une compensation totalement satisfaisante, et ce, à mon sens, pour deux raisons.
La première raison, c’est que le plan personnalisé de compensation du handicap, qui comprend le projet de vie, est évalué par des équipes pluridisciplinaires parfois insuffisamment formées. Ce n’est pas anecdotique : si les besoins réels des personnes handicapées ne sont pas bien évalués, la compensation peut se transformer en miroir aux alouettes.
La seconde raison, c’est que les fonds de compensation dysfonctionnent. La loi avait prévu qu’ils compenseraient le reste à charge pesant sur les bénéficiaires. Toutefois, si la prestation de compensation du handicap, la PCH, est bien une prestation légale, l’aide versée par les fonds ne l’est pas : elle est une sorte de variable d’ajustement.
En pratique, on constate que ces fonds ne jouent pas pleinement leur rôle, précisément parce qu’ils sont facultatifs. Le département est de plus en plus souvent seul à contribuer, les autres acteurs – la CAF, la CPAM, les mutuelles, voire la région – ne participant pas ou ne le faisant qu’insuffisamment parce qu’ils n’y sont pas contraints par la loi. Le département ne pouvant pas couvrir l’intégralité de la charge, il a souvent la tentation de se désengager.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que les tarifs des services d’aide à la personne fixés par voie réglementaire impliquent mécaniquement de forts restes à charge pour les personnes handicapées. Ces tarifs sont notoirement sous-évalués : 18 euros le tarif horaire prestataire, c’est peu ; 16 euros le tarif horaire mandataire, c’est également peu ; mais 12 euros le tarif horaire en cas d’emploi direct d’une aide professionnelle de qualité, charges comprises, c’est vraiment très peu !
Certes, ce dernier cas n’est pas majoritaire. Il n’en demeure pas moins que l’on pénalise ceux qui font le choix de l’autonomie et qui permettent à la société de réaliser des économies. Les personnes qui choisissent le gré à gré ont en effet pour la plupart une activité professionnelle. Elles renoncent ainsi à l’AAH et optent pour un mode d’aide dont le tarif est le plus bas. Ce sont elles qui, compte tenu du tarif en vigueur, se retrouvent avec le plus fort reste à charge, lequel ne pourra pas être compensé par le fonds, pour les raisons que j’ai évoquées tout à l’heure.
En outre, du fait des tensions budgétaires qu’ils connaissent, les fonds jouent sur les avances de trésorerie consenties par les bénéficiaires, lesquels sont remboursés très longtemps après avoir présenté le justificatif de leurs dépenses.
En résumé, l’amélioration de la formation des équipes pluridisciplinaires doit être une priorité dans la mesure où elles sont la matrice du projet de vie. Dans les fonds de compensation, le département doit pouvoir compter sur un soutien plus affirmé, voire obligatoire, de ses partenaires. Quant aux mécanismes de financement, leur amélioration passe inéluctablement par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA. Il ne faudrait pas que les excédents soient détournés de leur objet principal.
Pour terminer, j’évoquerai l’accessibilité, fondamentale dans la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
Une chose est de verser des prestations, une autre est de permettre à tous de participer à la vie civique, sociale, culturelle et sportive. Une telle participation suppose obligatoirement l’adaptation des bâtiments publics, ainsi que des aménagements de voirie.
Si, dans l’absolu, tous les décideurs acquiescent à de tels projets, dans la pratique, c’est moins évident. Et ce problème, mes chers collègues, concerne tant la majorité que l’opposition. Ainsi, je me souviens que l’un de nos éminents collègues, parti depuis sous d’autres cieux, avait été applaudi sur toutes les travées lorsqu’il nous avait proposé, voilà trois mois, au détour d’un amendement, le gel de ces normes pour deux ans.
Peut-être les élus locaux – et j’en suis un – ont-ils des excuses. J’ai été très longtemps président de l’association des maires du Rhône et je n’ai pas oublié ce que m’ont toujours dit mes collègues, qu’ils soient élus ruraux ou urbains. S’il ne faut pas leur jeter la pierre, il faut néanmoins leur rappeler que la différence entre un handicapé et un élu, c’est que le handicapé n’a pas choisi de l’être alors que l’élu a, lui, fait en sorte de le devenir.
M. Jean-Jacques Pignard. Cela a des implications et entraîne, notamment, des obligations qui sont fixées par la loi. Ainsi la loi de 2005 a-t-elle prévu un délai de dix ans pour la mise aux normes. Bien sûr, dix ans, cela peut paraître trop court, surtout à ceux qui n’ont rien fait en cinq ans…
Le mieux est souvent l’ennemi du bien. Or, lorsqu’on est élu d’une commune rurale et qu’on a peu de moyens, on n’est pas obligé de faire refaire la mairie de fond en comble et d’y faire installer un ascenseur : il suffit parfois de descendre les services au rez-de-chaussée afin de les rendre accessibles aux citoyens handicapés.
Je suis président du festival des Nuits de Fourvières. Même s’il n’est pas facile d’aménager les théâtres antiques pour les personnes handicapées, nous avons trouvé des solutions pour accueillir ces dernières, notamment grâce à des agents d’accueil. Les élus doivent faire preuve d’imagination ! De tels aménagements ne sont pas impossibles.
En conclusion, quel bilan tirer de la loi de 2005 ? Pour répondre à cette question, il faut, à mon sens, se garder à la fois de l’angélisme et du catastrophisme. Des avancées spectaculaires ont eu lieu, il faut le reconnaître, mais des problèmes de financement et de gouvernance subsistent. Il faut en être conscient et les corriger afin que ceux de nos concitoyens qui sont en situation de handicap et pour qui la loi de 2005 a été un formidable acte de solidarité nationale n’aient pas le sentiment d’avoir été floués. (Mmes Bernadette Dupont et Marie-Thérèse Hermange ainsi que M. Paul Blanc applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention portera essentiellement sur l’accessibilité, domaine dans lequel la France accuse, par rapport à d’autres pays, un retard qu’il lui faut combler.
Les problèmes d’accessibilité restent nombreux dans les domaines du transport, du logement, de l’information, du travail, de la santé et de l’éducation. La loi du 11 février 2005 précise que l’accessibilité est autant physique qu’intellectuelle. Elle prévoit que tous les lieux publics, les parties communes des bâtiments d’habitation, ainsi que les logements neufs devront être accessibles aux personnes handicapées d’ici à 2015.
Or, selon une étude récente, en cinq ans, seuls de 5 % à 15 % des bâtiments recevant du public et dépendant de l’État ou des collectivités territoriales ont été mis aux normes pour l’accueil des handicapés. Aussi, les associations ont-elles exprimé de vives inquiétudes concernant le respect des délais de mise aux normes des transports et des établissements ouverts au public.
L’Association des paralysés de France a créé un baromètre de l’accessibilité afin d’évaluer l’état d’avancement des mises aux normes en France par rapport aux engagements pris. Les résultats publiés en février dernier sont très inquiétants. Le manque d’incitation de l’État laisse les acteurs de terrain face à des difficultés inextricables.
En ce qui concerne les transports, nous sommes loin des objectifs fixés par la loi. L’article 45 prévoit ainsi : « Dans un délai de dix ans à compter de la date de publication de la présente loi, les services de transport collectif devront être accessibles aux personnes handicapées et à mobilité réduite. » À mi-parcours, il apparaît que cette échéance ne pourra pas être respectée.
Cet article prévoit également la création de schémas directeurs d’accessibilité par les autorités compétentes pour l’organisation du transport public dans les trois ans à compter de la publication de la loi. Il prévoit également la mise en place de transports de substitution, ainsi que l’établissement par chaque commune d’un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics.
Où en sommes-nous ? Le baromètre de l’APF montre que nous sommes bien loin d’avoir atteint les objectifs de la loi de 2005 sur le handicap. Nombre de schémas directeurs d’accessibilité des transports ne sont pas finalisés.
Les actions entamées par les villes sont insuffisantes pour permettre à la France de respecter l’échéance de 2015. Aujourd’hui, si 97 % des chefs-lieux départementaux déclarent avoir créé une commission communale pour l’accessibilité, comme le prévoit la loi de 2005, 75 % de ces commissions n’ont organisé aucune réunion depuis le mois de septembre 2008. En outre, 73 % des villes interrogées n’ont jamais élaboré le rapport annuel d’état des lieux sur l’accessibilité au sein du cadre de vie et 21 % des collectivités n’ont toujours pas effectué l’état des lieux de leurs transports, alors que 60 % des villes interrogées n’ont aucune ligne de bus entièrement accessible. De grands efforts sont encore à réaliser dans la signalétique.
Il y a, au niveau législatif, la marque d’une incompréhension de la réalité du terrain. Pour preuve : on laisse de grandes responsabilités aux collectivités territoriales pour réaliser les objectifs en termes d’accessibilité et, dans le même temps, le Gouvernement leur accorde de moins en moins de moyens financiers et de liberté.
On a parlé de 2009 comme d’une « année noire du handicap ». En effet, elle a été marquée par toute une série de remises en cause, reports, amendements, recours ou annonces gouvernementales qui sont revenus progressivement sur les principes fondateurs de la loi de 2005.
Comme l’a expliqué mon collègue Jacky Le Menn, au cours de l’année 2009, le Gouvernement a tenté à plusieurs reprises d’étendre les possibilités de dérogations en matière d’accessibilité, y compris pour le cadre bâti neuf, alors que le Conseil d’État a clairement jugé de telles dérogations illégales.
Par ailleurs, on observe certaines aberrations réglementaires. Ainsi, depuis le 1er octobre 2007, l’accessibilité des bâtiments et des logements n’est plus contrôlable lors de l’instruction des permis de construire puisque les plans de l’intérieur des bâtiments ne font plus partie des pièces constitutives du dépôt de dossier. On n’a donc, à présent, aucun moyen de vérifier si les critères de qualité et de conformité en matière d’accessibilité sont respectés. Par conséquent, on risque de plus en plus de se retrouver avec des ouvrages non conformes, sans aucune possibilité de revenir en arrière.
Il faut améliorer l’aspect qualitatif, en augmentant le nombre d’ascenseurs dans l’habitat et de logements en rez-de-chaussée.
Par ailleurs, une attention particulière doit être portée à l’accessibilité de certains établissements. Je pense notamment aux universités, au Sénat – notre belle maison ! – ou encore aux tribunaux et prisons, établissements dans lesquels on observe d’importants retards, alors que la mise aux normes a déjà été effectuée aux États-Unis, dans les pays scandinaves, au Royaume-Uni ou en Espagne.
On constate aujourd’hui un réel manque d’accompagnement de la loi, de pilotage politique, de recensement des données et l’absence d’un véritable centre de ressources rassemblant les outils dépareillés.
Je souhaite véritablement que l’État prenne une telle question au sérieux et y mette du sien ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, vivre comme tout le monde, telle est l’aspiration fondamentale et légitime des personnes en situation de handicap. C’est donc l’accès à tous les droits fondamentaux qui est en jeu : droits à l’éducation, au travail, à la santé, à la circulation...
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont l’application fait l’objet du présent débat, constitue un élément fort d’une ambition que nous partageons pleinement. Au-delà des déclarations, l’important, à nos yeux, ce sont les réalisations sur le terrain.
Je peux le dire d’autant plus facilement que je suis l’élu d’une ville et d’une agglomération moyennes classées, selon une enquête réalisée au mois de février dernier par l’hebdomadaire L’Express, en partenariat avec l’Association des paralysés de France, en septième position sur quatre-vingt-seize en France. Et, dans certains domaines, comme celui des nouveaux équipements touristiques, nous allons au-delà des contraintes réglementaires.
Pour autant, si la loi et le règlement sont une chose, la volonté politique en est une autre. Il s’agit même parfois tout simplement de bon sens. Ainsi, il est souvent très peu coûteux d’adapter un bâtiment aux déficiences visuelles, à condition d’y songer et de le vouloir…
La loi et le règlement ont exprimé une volonté et des objectifs. C’était et cela reste indispensable. En revanche, je le dis comme je le pense, quand la norme aboutit à fixer des objectifs irréalistes, voire incohérents, elle va à l’encontre de la finalité recherchée et devient même contraire à l’intérêt de nos concitoyens en situation de handicap.