Mme Dominique Voynet. Ah ! les clusters, les grappes d’entreprises, les systèmes productifs locaux.
Mais, dans la pratique et malgré vos dénégations, ce n’est finalement qu’un projet de métro automatique que vous nous soumettez. Il doit relier les aéroports franciliens à de futurs grands pôles économiques et permettre à la France de tenir son rang dans le monde. Finies les grandes envolées du Président de la République sur la cohésion sociale en Île-de-France : plus vite, plus haut, plus fort, soyons prêts pour affronter les autres grandes métropoles !
Nicolas Sarkozy indiquait dans votre lettre de mission que la vision devait précéder le projet. Intéressons-nous donc un instant à votre vision de la ville de demain.
Nous y trouverons des explications au fait qu’il ait été curieusement si peu question de ce projet de loi lors de la récente campagne électorale, si l’on met de côté le cours particulier dont bénéficia, quelques jours avant le premier tour, Valérie Pécresse à l’Élysée.
Nous y trouverons des explications au fait que l’examen de ce texte au Sénat, pour lequel vous aviez pourtant imposé la procédure accélérée et élaboré une batterie de dérogations à la concertation et au débat public, ait été courageusement reporté à une date ultérieure au scrutin régional.
Alors, que disent les dix équipes d’architectes qui ont rendu ce travail considérable dont le projet de loi devait s’inspirer ? Monsieur le secrétaire d’État, elles n’ont de cesse de répéter, y compris ici devant la commission du Sénat, ce qu’elles disent partout et dans la presse : leur production n’a été ni étudiée ni prise en compte pour la rédaction de ce texte. Elles ajoutent que ce métro ne correspond pas au projet du Grand Paris tel qu’envisagé au départ et que, en l’état, il comporte un trop grand nombre d’incohérences : vous imaginez un métro en sous-sol, en contre-pied des canons de la ville du XXIe siècle, qui éviterait scrupuleusement de relier les lieux d’habitation aux lieux de travail. (M. Jean Desessard s’exclame.)
En vérité, les choix urbanistiques et leurs implications sociales vous importent peu. Votre objectif est ailleurs, et c’est en lisant les pages des journaux consacrées aux résultats du CAC 40 et à la position des universités françaises dans le classement de Shanghai que vous estimerez l’avoir atteint ou pas.
Vous devez par conséquent faire du chiffre et, pour cela, « moucheter de la puissance » sur une carte. Gilles Carrez, chargé par le Président de la République d’explorer des solutions de financement, ne s’est pas contenté de pointer le manque de moyens pour la réalisation de ce projet, qui, par ailleurs, n’est pas « phasé » dans le temps, comme l’a souligné Nicole Bricq. Il explique ainsi que les recettes que vous escomptez de la valorisation foncière autour des gares resteront insuffisantes.
Sur ce point, vous avez répondu devant la commission que vous entendiez lui donner tort. Faible argumentation, qui préfigure pourtant une concentration massive de capital sur quelques opérations lourdes, autour de gares choisies de façon discrétionnaire, qui assécheront les autres projets urbains. La spéculation foncière que vous appelez de vos vœux autour de ces gares est peu propice à la construction des logements dont les Franciliens ont pourtant besoin.
Les belles intentions inscrites au premier article de ce texte ne survivront pas à sa promulgation. En favorisant la constitution de nouvelles poches de richesse, vous perpétuez la ségrégation qui pénalise déjà certains de nos territoires. Vous savez, monsieur le secrétaire d’État, ces territoires dont vous avez déclaré – c’était devant le conseil général de la Seine-Saint-Denis – qu’ils étaient si arides qu’il était inutile de les arroser, ces territoires qui souffrent en réalité cruellement d’une carence de services publics, ces territoires auxquels vous garantissez, par ce texte, de conserver le terrible privilège de faire plus souvent qu’à leur tour l’ouverture des journaux télévisés !
Et puis il faut s’attarder sur le faux-pas écologique qui sous-tend ce projet en termes d’étalement urbain. Non mais c’est vrai, l’environnement, ça commence à bien faire ! Le respect des milieux naturels et la sauvegarde des terres agricoles particulièrement riches du plateau de Saclay sont peu de chose dans la compétition mondiale dans laquelle vous nous proposez de nous fourvoyer.
Pour conclure mon propos, je souhaite alerter l’ensemble des membres de cette assemblée, au-delà des seuls élus d’Île-de-France. Le dessein recentralisateur de ce texte nous concerne tous, mes chers collègues, car c’est un cas d’école susceptible de se reproduire ailleurs. (Mme Catherine Tasca opine.)
Vous bâillonnez le STIF, déjà dépouillé de son patrimoine, avec en point de mire une privatisation de la RATP que l’on peut lire sur certaines lèvres.
Vous confiez à la Société du Grand Paris, selon une pratique assimilable à de la vente forcée, la gestion de votre super-réseau, sans mener une évaluation sérieuse des coûts de fonctionnement d’une infrastructure desservant, au profit des seuls déplacements travail-travail qui représentent à peine quelques pourcents du total des déplacements, des zones urbaines aussi peu denses.
Vous refusez de prendre en compte le travail considérable abattu par la région et l’État pour élaborer ensemble un schéma directeur de la région Île-de-France respectueux des principes du développement durable, conciliant efficacité économique et innovation territoriale, construction de logements et protection des zones agricoles, remise à niveau des infrastructures existantes saturées et insuffisantes et investissement pour l’avenir, notamment dans le domaine du fret dont votre texte ne dit pas un traître mot.
M. Christian Cambon. Mais où sont vos propositions ? Venez-en à vos propositions !
Mme Dominique Voynet. Vous décidez, au mépris de l’autonomie des collectivités territoriales, de mettre un terme à la consultation publique sur Arc Express.
Voilà des propositions que l’État et la région, je le répète, avaient élaborées ensemble !
Il s’agit bien d’une reprise en main de politiques qui échappent aujourd'hui à l’État. Il apparaît clairement que celui-ci aura la haute main sur la Société du Grand Paris. Quand aux contrats de développement territorial, ils permettront non seulement de confisquer le pouvoir des communes en matière d’aménagement et d’urbanisme, mais aussi de contourner la région, partenaire des contrats de projet.
Bien sûr, vous nous promettez que le financement par l’État de la double boucle de votre super-métro n’amputera pas les crédits des contrats de projet. Mais, dans cette période de crise économique et de vaches maigres budgétaires, qui sur ces travées vous suivra quand vous prétendez dépenser plusieurs fois chacun des euros consacrés aux transports publics ?
Au moment de conclure, j’en reviens à Victor Hugo, lui qui, devant les drames humains qui frappaient alors Paris, scandait que la société devait « dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté » pour détruire la misère. C’était il y a deux siècles.
Comment y parvenir aujourd'hui si l’on ne comprend pas que la véritable puissance des villes du XXIe siècle réside dans la qualité de vie de leurs habitants, dans le haut niveau de valeur ajoutée produite par tous les territoires, et non par quelques-uns seulement, dans la relation harmonieuse des parties au tout et des parties entre elles, en bref dans la diversité des activités, la mixité des fonctions et le brassage des populations ?
Maire de la commune la plus peuplée de la Seine-Saint-Denis, je dois tristement faire le constat : rien dans votre projet ne peut nous laisser penser que nous avancerions en ce sens ou convaincre les habitants de Montreuil que vous avez, d’une façon ou d’une autre, pris conscience des difficultés du quotidien auxquelles ils sont confrontés chaque jour et des prouesses que constitue le simple fait d’arriver à l’heure à leur travail chaque jour. Monsieur le secrétaire d'État, ma question est simple : avez-vous un jour l’intention de leur répondre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Jean-François Voguet applaudissent également.)
Mme Bariza Khiari. Bravo !
M. Christian Cambon. Rien à proposer !
M. le président. La parole est à M. Charles Revet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Charles Revet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet du Grand Paris, s’il intéresse, bien sûr, en premier lieu, les Franciliens et Franciliennes, concerne également tout autant l’ensemble de nos concitoyens.
Tout d’abord, parce qu’il s’agit de l’aménagement de la région-capitale – vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur le secrétaire d'État – et que, en raison de son statut, les uns et les autres doivent s’y rendre plus ou moins régulièrement, mais aussi parce qu’il suffit de regarder une carte routière ou ferroviaire pour constater que l’aménagement de notre pays s’est effectué au fil du temps en faisant converger les axes principaux de déplacement, d’où que l’on vienne, vers Paris.
J’ajoute, et c’est l’un des aspects du projet sur lequel le Président de la République a mis l’accent en lançant le Grand Paris, qu’une capitale doit avoir une ouverture sur le grand large – vous l’avez également rappelé tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État.
C’est à ces deux points que je vais consacrer mon intervention dans le laps de temps qui m’est imparti.
Premier point, chacun en convient, une réorganisation de la circulation et des moyens de transport dans la région parisienne est indispensable. Mais elle ne peut se concevoir sans prendre en compte l’organisation actuelle de l’ensemble de l’Hexagone.
De plus en plus, des déplacements se font, qu’ils soient ferroviaires ou routiers, de région à région. Presque toujours, il faut transiter par Paris, ce qui implique, pour le ferroviaire, des changements de gare ou, pour le routier, l’utilisation du périphérique. Ce fonctionnement aboutit à des engorgements qui freinent la circulation dans la région parisienne et allongent la durée de déplacement des personnes qui ne font que transiter.
La réflexion engagée et le projet d’aménagement de la région francilienne doivent prendre en compte cet aspect des choses et, à travers une organisation périphérique circulaire, routière et ferroviaire, faciliter les déplacements de région à région. C’est le sens du premier amendement que j’ai déposé et que la commission a bien voulu retenir.
Le second point sur lequel je voudrais m’arrêter quelques instants concerne l’ouverture de la capitale vers le grand large. Tout naturellement, c’est, comme le soulignait Catherine Morin-Desailly, l’axe Seine-Paris-Rouen-Le Havre qui permet cette ouverture.
Aujourd’hui, 85 % du commerce mondial se fait par voie maritime et l’Europe du Nord est la première destination commerciale. L’axe de la Seine abrite le premier complexe portuaire de l’Europe du Nord et nous donne un positionnement stratégique exceptionnel. Cela est d’autant plus important que si, dans beaucoup de domaines industriels, les pays émergents sont des concurrents, dans le domaine maritime, ils sont, au contraire, des partenaires.
Nos concurrents sont, tant au nord qu’au sud, les autres grands ports maritimes européens. À cet égard, nous avons des défis importants à relever. Il suffit de voir les statistiques en matière de trafic pour mesurer le potentiel qui est le nôtre et, en même temps, le retard immense que nous avons pris. Est-il normal qu’aujourd’hui le premier port français soit Anvers ? Est-il normal qu’il y ait plus de conteneurs à destination ou en provenance de Paris ou de Lyon qui transitent par Anvers que par Le Havre, Rouen ou Marseille ?
Deux causes peuvent expliquer ce phénomène. Comme le soulignait tout à l’heure Roger Romani, nos ports ont pris un large retard dans leur développement et les moyens d’acheminement des conteneurs reposent, aujourd’hui encore, essentiellement sur le routier. Faut-il rappeler que lorsque ce magnifique équipement qu’est Port 2000 au Havre a été inauguré, les trains et les barges ne pouvaient que très difficilement accéder à l’emprise portuaire ? Quelques améliorations ont été observées, mais elles sont nettement insuffisantes pour nous permettre de relever le défi par rapport aux autres grands ports européens.
C’est à cela que nous devons travailler de toute urgence, notamment pour le fret ferroviaire avec la réalisation d’une ligne à grande vitesse partant de la Normandie vers la région parisienne, raccordée à l’ensemble du réseau ferroviaire français et européen. La même démarche doit être envisagée dans le domaine du transport fluvial, surtout avec la perspective de la réalisation du canal Seine-Nord.
M. Jean-Louis Carrère. Qui va payer ?
M. Charles Revet. Personnellement, je considère qu’en raison de son positionnement, à l’ouverture de l’estuaire, sur une seule rive, Port 2000, s’il constitue un magnifique équipement pour le transbordement et l’éclatement vers d’autres ports, aura du mal à rivaliser avec les autres grands ports de l’Europe du Nord en raison des difficultés d’accès par le fer et le fleuve.
Je m’interroge sur la possibilité et l’intérêt, à l’image de ce que fait Hambourg sur l’Elbe, de remonter la Seine jusqu’en aval et en amont du pont de Tancarville, ce qui, outre les espaces immenses qu’il y aurait pour faire des bassins et terre-pleins de part et d’autre des rives de la Seine, permettrait une utilisation optimale du réseau ferré et du fleuve sans d’énormes investissements. C’est le sens de l’étude qui est proposée par notre rapporteur, et à laquelle je souscris pleinement : elle permettra de vérifier les options les plus satisfaisantes à prendre en compte.
Je reste convaincu que nous avons les meilleurs atouts pour rivaliser avec les plus grands ports européens, avec à la clé des dizaines de milliers d’emplois qui pourraient en découler.
Je terminerai mon propos en félicitant le rapporteur Jean-Pierre Fourcade pour le travail considérable qu’il a fourni sur ce projet important non seulement pour la région parisienne, mais également pour toute la France. Je le remercie, ainsi que le président Jean-Paul Emorine, de m’avoir associé à l’ensemble des auditions qui ont été organisées.
Monsieur le secrétaire d'État, nous vous apporterons bien sûr notre soutien dans la démarche que vous nous proposez. (M. Jean-Louis Carrère s’esclaffe.) Je souhaite et je suis convaincu que, par ce grand chantier, nous pouvons contribuer à redonner un second souffle à l’économie de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le secrétaire d'État, j’avais prévu de vous faire le reproche d’avoir choisi la procédure accélérée pour ce texte et de n’avoir pas saisi le Sénat en premier lieu. Comme ce point a déjà été largement abordé par mes collègues, je préfère ne pas m’y attarder pour entrer directement dans le vif du sujet.
Le débat qui s’ouvre aujourd’hui est majeur. Il ne peut en conséquence être une simple redite de celui qui a été conduit à l’Assemblée nationale. Je ne peux en effet imaginer que les scrutins des 14 et 21 mars dernier puissent être sans effet sur nos débats. Les projets du Grand Paris n’ont pas convaincu les Franciliens. Leur expression démocratique doit être entendue.
Déjà, les élus locaux n’avaient pas été convaincus. Pourtant, l’attente était réelle de voir l’État prendre sa juste part dans le processus de modernisation de la métropole francilienne.
Après des années de désengagement financier de l’État, de désintérêt ou de blocage, à l’image de l’attitude qui est la sienne s’agissant du SDRIF, l’intérêt soudain manifesté par le Président de la République avait été salué. Rapidement, les espoirs auront été déçus.
Le regain d’intérêt de l’État pour le développement de la métropole se sera traduit par le non-respect des décisions et des compétences des collectivités et de leurs élus. En Île-de-France, la décentralisation est de fait mise entre parenthèses par ce projet de loi.
S’agissant du titre V relatif au plateau de Saclay, auquel je consacrerai mon propos, je rappelle que vous n’êtes pas le premier, monsieur le secrétaire d’État, à poser le problème de l’aménagement de ce plateau. Un groupement d’intérêt public avait en effet été créé par les quarante-neuf communes concernées, mais sa mise en œuvre effective a été bloquée par l’État.
En outre, les quatre communautés d’agglomération concernées ont toutes fait connaître leur désaccord avec ce projet de loi. Ce qui est contesté, ce n’est pas seulement le fait de les laisser à distance, c’est également le fait que leur expérience de terrain soit si peu valorisée et, surtout, que les projets rapidement opérationnels qu’elles portent sur leurs territoires ne tirent en définitive aucun profit du projet de loi. Il en va ainsi du projet de transport en commun en site propre reliant Orly à Saint-Quentin-en-Yvelines, pour ne citer que cet exemple.
La question des transports est symptomatique des carences du projet de loi. Celui-ci ne répond pas à l’enjeu majeur du Grand Paris d’articuler de façon cohérente les besoins à court terme et l’ambition d’un projet à long terme. Le constat de carence est identique s’agissant du logement, à l’exception de l’objectif très global de 70 000 logements par an, mais sans qu’aucun engagement soit pris sur leur répartition et la part du logement social.
Dès lors, c’est la vision même du développement du plateau de Saclay portée par ce projet de loi qui inquiète. Le schéma de développement multipolaire n’est pas en cause. La perspective d’un territoire uniforme n’est, je crois, défendue par personne. En revanche, ce qui interpelle, c’est à la fois l’hyperspécialisation des pôles et l’absence de projet global, compte tenu des carences en matière de logement, de transport, d’équipements publics, en définitive tout ce qui touche à la vie quotidienne des Franciliens. M. le rapporteur en a fait largement état durant nos travaux en commission.
Ce sont autant d’impasses qui traduisent une vision erronée et pour tout dire dépassée du cluster. Celui-ci impose pour réussir de créer un vrai lieu de vie, de « faire ville », car aussi spécialisé soit-il le développement d’un territoire ne peut faire l’économie d’une conception globale et transversale de la cité, et de traiter en conséquence les enjeux de la mixité sociale et des déplacements. L’article 21 traduit, en passant ces enjeux sous silence, une vision tronquée du développement de ce territoire. Je reviendrai plus tard dans le débat sur l’avenir de la zone agricole protégée, dont il faudra bien imaginer l’évolution des cultures sans rien retrancher à sa superficie.
Au-delà du schéma de développement, c’est l’architecture même du projet que nous récusons.
Première objection : vous pensez parvenir à répondre aux besoins du plateau de Saclay par la création d’un établissement public aux compétences le plus souvent exorbitantes du droit commun.
Tout d’abord, la superficie du territoire choisie me fait douter de la capacité de créer les dynamiques et coopérations nécessaires à la réussite du projet.
Ensuite, les possibilités offertes à l’établissement d’intervenir au-delà de son périmètre, notamment pour réaliser des acquisitions d’immeubles et des opérations d’aménagement et d’équipement urbains, posent des problèmes supplémentaires. Le premier est que les acquisitions d’immeubles peuvent se réaliser sans l’accord des communes intéressées. Le second est le risque d’un simple transfert vers le plateau de Saclay d’établissements ou d’organismes actuellement situés à Paris ou dans les Hauts-de-Seine.
S’agissant de la gouvernance de l’établissement public, elle appelle une double critique.
La première a trait au déséquilibre causé par l’introduction d’un comité consultatif. Force est de constater que sa création aura permis à la majorité d’y transférer des institutions initialement représentées au conseil d’administration, et je pense bien sûr au représentant du conseil régional.
La seconde touche au peu de cas qui est fait du conseil d’administration. Non seulement le collège des élus y est placé dans une position minoritaire, mais, surtout, le Gouvernement n’a pas jugé opportun que le président soit issu du collège des élus. Surtout, le choix s’est porté sur un cumul des fonctions de président et de directeur général, le P-DG sera nommé par décret avec pour conséquence qu’il aura moins à rendre compte de son action devant le conseil d’administration et qu’il sera en réalité redevable à l’État.
Le conseil d’administration se voit ainsi largement dépossédé de son rôle de contrôle. Ce glissement traduit la volonté recentralisatrice de votre projet de loi.
Seconde objection : la création d’une autorité organisatrice de transport traduit une nouvelle fois votre défiance à l’égard des collectivités territoriales et l’incapacité de l’État à imaginer un partenariat équilibré entre celles-ci et lui-même. La logique sous-tendue par la création du syndicat mixte de transports est que les élus paient, mais que l’État décide. Ainsi, plutôt que de contribuer et de coordonner, l’État impose et ordonne.
C’est surtout la question du respect des engagements pris qui est posée. Vous aviez pris l’engagement de retirer l’article 29 si le STIF répondait à votre demande d’envisager la création d’une autorité organisatrice de transport sur le plateau de Saclay et aux alentours. L’engagement clair pris par le STIF, le 17 février dernier, justifiait le retrait de l’article 29. Son maintien traduit les intentions dilatoires du Gouvernement, manifestement déterminé à imposer au STIF un syndicat mixte de transport sur le plateau de Saclay.
Monsieur le secrétaire d’État, si j’ai centré mon propos sur le titre V relatif au plateau de Saclay, c’est évidemment parce que ce projet de loi a de fortes répercussions sur les collectivités du département des Yvelines. C’est également parce que le montage que vous avez imaginé me paraît éclairant sur la philosophie du projet, sa volonté de mise à l’écart d’un dialogue avec les collectivités territoriales, donc de la représentation démocratique, et sa conception autoritaire de la gouvernance.
Vous avez une vision à rebours de la décentralisation qui a été impulsée il y a trente ans par la gauche, vision à laquelle nous ne pouvons en aucun cas adhérer. C’est pourquoi, en l’état, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des transports, qui est au cœur de la compétition entre les grandes métropoles européennes, est devenue la préoccupation majeure des Franciliens au fil des années. Pourtant, aucune réponse à la hauteur des enjeux n’a été apportée depuis près de quarante ans.
Certes, des projets importants ont vu le jour sous différentes majorités. Je pense à METEOR, à EOLE…
Mme Nicole Bricq. C’est Rocard !
M. Christian Cambon. … ou au développement des tramways, par exemple. Cela prouve que l’on pouvait malgré tout agir en ce domaine sans compétence générale. Toutefois, aucun de ces projets n’a été en mesure de répondre véritablement aux problèmes actuels et aux défis de l’avenir, ce qui a été de nature à nourrir une nouvelle fois le scepticisme de nos concitoyens confrontés à des difficultés quotidiennes de tous ordres.
Au lendemain d’élections régionales marquées par une aussi forte abstention, ne serait-il pas temps de dépasser nos clivages sur ce sujet essentiel et de redonner du sens à l’action publique ? Plutôt que d’émettre un déluge de critiques sans proposition, comme vient de le faire notre collègue de Seine-Saint-Denis, ne pourrait-on pas, pour une fois, travailler tous ensemble – État, conseil régional, conseils généraux et communes – sur un projet initié par le Président de la République et par le Gouvernement, qui ouvre enfin de véritables perspectives ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Très bien !
M. Christian Cambon. Le Sénat, représentant des territoires, n’est-il pas particulièrement fondé à se faire l’écho des attentes des Franciliens ? C’est bien le sens du travail effectué par le rapporteur Jean-Pierre Fourcade, qui, une fois de plus, a fait la preuve de son immense compétence, de son esprit de synthèse et de ses nombreuses qualités, que j’ai eu l’occasion d’apprécier pendant les douze années durant lesquelles j’ai servi sous ses ordres, si je puis dire, au conseil régional.
Ce projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, porte une véritable ambition, sans précédent par son ampleur, par les moyens que le Gouvernement veut y consacrer,…
M. Jacques Mahéas. On ne les a pas vus !
M. Christian Cambon. … et par les objectifs que celui-ci se fixe : faire de Paris et de sa région la ville-monde rayonnante et dynamique, pour reprendre vos adjectifs. Nous les approuvons ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Catherine Dumas. Très bien !
M. Christian Cambon. Nous vous soutenons dans ce projet, sans pour autant oublier le quotidien que vivent nos concitoyens : des transports en commun et des axes routiers saturés depuis des années en Île-de-France ; des lignes A et D du RER, notamment, particulièrement dégradées avec des rames hors d’âge, des pannes régulières, des wagons surchargés au-delà du raisonnable aux heures de pointe, sans parler des mouvements de grève.
Tout conduit les Franciliens à privilégier l’usage de leur véhicule individuel, ce qu’ils font très majoritairement, hélas ! Au sein de ma seule commune, dans le département du Val-de-Marne, 260 000 véhicules transitent chaque jour sur l’autoroute A4. Et ce ne sont ni les autoroutes surchargées, ni le périphérique asphyxié, ni les ouvrages tels que le pont de Nogent paralysés du matin au soir, ni même le renchérissement du prix du carburant qui découragent les automobilistes ! Il est donc urgent d’entendre l’exaspération de nos concitoyens et d’agir tous ensemble.
Les investissements prévus par le projet de loi doivent se conjuguer avec ceux qui permettront de rénover le plus rapidement possible le réseau existant et le matériel roulant. (Nouveaux applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.) En effet, le réseau des transports en Île-de-France doit être un ensemble homogène afin d’assurer la fluidité des déplacements. Nous ne pouvons pas faire coexister le système moderne que vous envisagez, qui est très performant, avec un réseau de RER vieillissant. Le projet de double boucle n’a de sens que s’il s’intègre parfaitement au réseau existant.
Mme Catherine Dumas et M. Jacques Gautier. Très bien !
M. Christian Cambon. Nous sommes nombreux ici à souhaiter, comme le Président de la République s’y était engagé, que le Gouvernement puisse apporter son soutien à cet effort et que la région s’engage enfin dans cette action de rénovation. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Il est nécessaire de renforcer en priorité, sans attendre, la qualité du service rendu aux Franciliens.
Tel est le sens d’un amendement que de nombreux sénateurs de l’Île-de-France ont déposé et que la commission a bien voulu prendre en compte à l’article 2.
Pour atteindre les objectifs fixés, les outils juridiques traditionnels ne sont pas suffisants. L’expression d’intentions louables, mais aussi parfois très contestables, contenues dans le projet de schéma directeur de la région Île-de-France ne suffit pas non plus. Rien ne remplace en effet une volonté politique – vous l’avez, monsieur le secrétaire d’État –, une méthode fondée sur le dialogue – vous l’avez initié (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) – …
M. Yannick Bodin. Il faudrait définir le mot dialogue !
M. Christian Cambon. … et des financements pérennes, qui, comme M. le rapporteur l’a précisé, permettront à l’État de tenir ses engagements.
Si nous approuvons la création de la Société du Grand Paris, je vous engage néanmoins à poursuivre la concertation avec les maires, qu’ils soient ou non directement concernés par le tracé envisagé du futur réseau automatique.
M. Jean-Pierre Caffet. Ce n’est pas gagné !
M. Christian Cambon. Chacun de nous connaît les conséquences lourdes de l’urbanisation incontrôlée que l’État a imposée aux communes dans les années soixante-dix. Personne ne veut reproduire les erreurs du passé, dont certains quartiers de notre région ne se sont toujours pas relevés.
Mme Nicole Bricq. Qui les a commises ?
M. Christian Cambon. Les contrats de développement territorial que vous avez imaginés doivent être considérés par les élus locaux comme l’opportunité d’une vraie collaboration entre l’État et les collectivités. Il est donc important que vous apportiez aux maires, et pas simplement à ceux qui sont concernés par les gares, les apaisements qu’ils attendent. Les élus locaux doivent être associés de près à ce projet, dans sa conception comme dans sa réalisation.
Enfin, cela ne vous étonnera pas de la part d’un élu de l’est parisien, nous devons profiter de ce projet pour agir concrètement dans le sens d’un véritable rééquilibrage entre l’ouest et l’est de l’Île-de-France. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas. C’est raté !
M. Christian Cambon. Car tant que les emplois demeureront concentrés à Paris et dans des départements sympathiques de l’ouest de Paris, pour nous, le problème des transports restera entier.
L’équation actuelle est simple : des emplois essentiellement situés au centre où le foncier, de plus en plus rare, devient hors de prix. Conséquence : les logements accessibles aux familles les plus modestes s’éloignent de plus en plus des principaux bassins d’emploi. Cette situation structurelle induit bien évidemment les flux que nous connaissons. Un Francilien sur deux quitte son département de résidence pour aller travailler. Il est donc essentiel que les projets de développement des réseaux privilégient les liaisons de banlieue à banlieue, ainsi que la grande couronne,…
M. Jean Desessard. Évidemment !
M. Christian Cambon. … que nous n’oublions pas. Pourtant, si le Grand huit prévoit une double boucle à l’ouest de Paris, il n’en programme qu’une seule à l’est. Le tracé qui, je l’entends bien, n’est pas inscrit dans le marbre, ni même dans le texte du projet de loi, n’est pas totalement satisfaisant, monsieur le secrétaire d’État – nous nous en sommes entretenus à de nombreuses reprises en commission spéciale –, notamment en ce qu’il ne dessert pas suffisamment les pôles d’excellence du Val-de-Marne.
Monsieur le secrétaire d’État, je sais pouvoir compter sur votre appui afin que l’État apporte son soutien à d’autres projets de développement des transports en commun sans lesquels ce Grand huit perdrait de son impact.
Je pense au prolongement de la ligne 1 du métro et du T1 jusqu’à Val-de-Fontenay. Je pense à la réalisation de la rocade ferrée en moyenne couronne, dans la suite de la tangentielle nord, sur laquelle la SNCF a déjà beaucoup travaillé et qui pourrait ainsi relier le Val de Fontenay au Grand huit. Elle constituerait cette boucle qui manque au parcours du futur réseau à l’Est en irriguant un territoire à fort potentiel d’emplois, qui dispose d’atouts certains, par exemple dans le domaine de la ville durable dont la Cité Descartes à Champs-sur-Marne est l’épicentre.
Enfin, plus le Grand huit aura de points d’ancrage et d’interconnexions au réseau de surface avec le réseau existant, plus il répondra aux objectifs que vous lui fixez. Le maillage est essentiel : il est vital que les réseaux de surface, chargés de rabattre les usagers vers les gares de la future grande boucle, soient réétudiés et développés. Il serait inconcevable que le Grand huit soit toujours plus facilement accessible pour un val-de-marnais en voiture plutôt que par les transports en commun. À cet égard, je remercie la commission et son rapporteur d’avoir adopté, à l’article 7, un amendement que j’avais déposé en ce sens.
Monsieur le secrétaire d’État, votre texte est l’occasion inespérée de doter notre région d’un projet novateur, structurant et porteur d’un développement économique dont nous avons tant besoin en cette période de crise.
En prenant en compte la complémentarité avec le réseau actuel de transports en commun, en travaillant de concert avec les maires et en veillant à un maillage cohérent qui n’oublie pas l’est parisien, vous apporterez enfin de nouvelles chances pour l’Île-de-France. Sa place de métropole d’importance mondiale s’en trouvera confortée et renforcée. Nous vous soutiendrons pour ce grand projet ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas. (M. Jean-Pierre Caffet applaudit.)