M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sous un intitulé qui autorisait tous les espoirs, ce projet de loi déçoit. En effet, pour l’essentiel, il repose sur la création d’un métro automatique en rocade et l’installation d’un pôle de compétences sur le plateau de Saclay. Le projet est donc bien mal nommé, car, tel qu’il nous est présenté, il est facile d’ironiser : à Grand Paris, petite ambition !
De manière évidente, il n’y a pas de liens suffisants entre les transports, l’emploi, les services publics et le logement d’abord, entre le projet de Grand Paris et les projets des collectivités territoriales ensuite, entre l’établissement public « Société du Grand Paris » et les communes franciliennes enfin.
Nous pouvons aisément nous accorder sur un diagnostic : la région d’Île-de-France, pourtant la plus riche de notre pays, souffre de déséquilibres sociaux et territoriaux qui constituent de réels freins à sa croissance.
Le triste chiffre du chômage pourrait seul l’illustrer : alors que le taux de chômage francilien atteint 7,9 % au troisième trimestre 2009, celui de la Seine-Saint-Denis, le département le plus durement touché, culmine à 10,6 %. Seulement, je ne vois pas ce qui, dans le texte proposé, permet de penser que ces inégalités seront résorbées.
Sans doute est-ce parce que vous souffrez d’un problème de boussole ! Tout pour l’ouest ! Si des efforts sont faits en direction du nord, à l’est rien de nouveau… ou presque !
Certes, le métro automatique devrait désenclaver l’emblématique Clichy-sous-Bois-Montfermeil et même Neuilly-sur-Marne, ce dont je me félicite, mais ce « Grand huit », comme l’ont vite baptisé ses futurs riverains, doit absolument s’articuler avec les infrastructures existantes et les projets d’ores et déjà votés par les collectivités.
Il ne faudrait pas que sa construction, en absorbant toutes les ressources, condamne d’autres projets et conduise à la relégation de nouveaux territoires, qui, malgré leurs centaines de milliers d’habitants, pourraient se voir privés des moyens de transport auxquels ils pouvaient aspirer.
L’est parisien est ainsi riche de projets pour améliorer les déplacements urbains quotidiens, qu’il s’agisse des prolongements des lignes de métro 1, 9 et 11, de la tangentielle nord ou de la liaison Arc Express, préoccupation du conseil régional.
Or, de façon scandaleuse, cette liaison est supprimée de fait par un amendement adopté en commission et mettant fin à toutes les projections de débat public engagées. Vous ne vous êtes d’ailleurs pas privé d’affirmer en audition, monsieur le secrétaire d’État, que l’abandon de ce projet ferait gagner 6 milliards d’euros au STIF. Tout en faisant perdre aux Franciliens une rocade ferroviaire qui privilégiait des déplacements de banlieue à banlieue qui leur auraient été très utiles…
C’est pourquoi, sur les autres projets évoqués, j’aimerais être sûr que l’État tiendra ses engagements, car le métro du Grand Paris ignore purement et simplement des communes comme Montreuil, Fontenay-sous-Bois, Saint-Mandé, Vincennes, Rosny-sous-Bois, Champigny-sur-Marne, Noisy-le-Sec, Le Perreux-sur-Marne, Romainville, Bondy ou Bry-sur-Marne.
Il est pourtant indispensable que se mette en place ce « maillage cohérent du territoire » revendiqué à l’article 7 et le Grand huit ne saurait y suffire. Il s’agit à la fois de desservir les zones encore enclavées et d’opérer un maillage fin, seul susceptible d’améliorer les déplacements quotidiens, notamment entre le domicile et le lieu de travail.
Par ailleurs, ce texte aurait dû être l’occasion de lutter contre les mécanismes d’exclusion, contre ces ghettos nés de décennies d’aménagement hasardeux. Il est plus que temps d’instaurer enfin une véritable mixité sociale.
Or, quand j’ai suggéré en commission spéciale de prévoir que la notion de mixité sociale soit retenue comme un des objectifs justifiant la construction de logements en Île-de-France, notre rapporteur m’a répondu qu’il sera possible pour certaines communes, selon leur niveau de ressources, d’exonérer du dispositif de taxation des plus-values immobilières certaines cessions d’immeubles ou certaines zones pour des motifs d’ordre social. Autrement dit, certains maires pourront continuer en toute impunité à se dérober aux 20 % de logements sociaux prévus par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains et à préférer l’amende à la solidarité !
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Jacques Mahéas. Si ce texte manque de souffle, il manque aussi gravement de crédibilité, parce que son financement reste des plus nébuleux. Ne nous faites pas croire, monsieur le secrétaire d’État, que vous espérez financer 21 milliards d’euros – qui seront d’ailleurs peut-être 30 milliards d’euros – essentiellement grâce à la valorisation foncière des terrains proches du tracé de votre nouveau métro automatique ! Vous n’ignorez pas que ces ressources sont aléatoires, ce qui avait d’ailleurs conduit le rapport Carrez à écarter cette solution.
Disette budgétaire oblige, il serait indécent que la charge du projet pèse essentiellement sur les ménages, contribuables et/ou usagers, alors que beaucoup ont déjà bien du mal à boucler leurs fins de mois.
Les collectivités locales sont, elles aussi, inquiètes à bon droit. En effet, la Société du Grand Paris, SGP, pourra conduire des opérations d’aménagement et de construction après avis des communes concernées. Avis, et non accord ! Donc, si l’on retient les 1 500 mètres de périmètre aux alentours d’une gare, ce sont des surfaces de plus de 700 hectares qui seront à la disposition de la SGP, soit au total 28 260 hectares pour les quarante gares. Où est le partenariat loyal ?
Nous ne sommes pas dans un jeu de Monopoly géant ! Il est fort à craindre que les prix autour des gares n’augmentent, ce qui pourrait poser de gros problèmes en matière de logement social. (M. Jean Desessard s’exclame.) Pourtant, une offre de logements à prix accessibles est indispensable à la cohésion sociale, notamment dans les quartiers populaires de banlieue déjà fragilisés par les inégalités.
À quoi bon instituer des pôles de croissance s’ils créent des richesses sans suffisamment les redistribuer ? Ce serait alors installer à leurs marges de nouvelles poches de pauvreté, des zones délaissées qui regarderaient passer le Grand huit et la croissance sans en bénéficier.
Ce projet ne reflète pas la vision que nous avons du Grand Paris. (M. Jean Desessard s’exclame de nouveau.) Nous lui préférons un développement fondé sur l’égalité et la solidarité, un territoire à l’écoute de ses habitants, de leurs besoins et de leurs droits, qu’il s’agisse de services publics, de logement, d’emploi, de mobilité, d’éducation ou de santé.
Votre Grand Paris est un grand pari particulièrement risqué, laissant de côté l’aménagement démocratique, technique et financier… bref, un projet mal ficelé pour la région-capitale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avec le Grand Paris, le Président de la République a pour ambition de replacer la région-capitale dans la compétition mondiale.
M. Jean Desessard. Oh là là !
M. Laurent Béteille. C’est un objectif que partagent la plupart d’entre nous – sauf M. Desessard, naturellement –, qui constatent qu’aujourd’hui l’administration de cette entité est partagée en de multiples décideurs et ne permet nullement de dégager des perspectives et encore moins des ambitions.
Je comprends que certains d’entre nous aient souhaité que l’on s’attache d’abord à la gouvernance du Grand Paris ; il faudra y venir, et Philippe Dallier ne manquera certainement pas de l’évoquer dans son intervention tout à l’heure.
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement a choisi de faire face à l’urgence. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Caffet. Quelle urgence : celle qui existe depuis vingt ans ?
M. Laurent Béteille. Il est vrai que l’état des transports en Île-de-France, vous le découvrez peut-être, chers collègues, est catastrophique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y aura pas de solution rapide !
M. Laurent Béteille. Je suis l’élu d’une banlieue de la région parisienne desservie par le RER D et nous constatons, jour après jour, la dégradation insupportable de ce moyen de transport.
M. Christian Cambon. Tout à fait !
M. Yannick Bodin. Surtout depuis deux ans !
M. Laurent Béteille. Sur les trente dernières années, vous avez été quinze ans aux affaires, les responsabilités sont donc largement partagées. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Mahéas. Un cheval, une alouette !
M. Christian Cambon. Monsieur Bodin, vous avez été pendant dix ans à la tête de la région !
M. Laurent Béteille. De même, l’absence de lisibilité et d’attractivité de la recherche sur le plateau de Saclay méritait d’être traitée en urgence.
Aussi, le présent projet de loi, examiné en procédure accélérée, a pour objet de susciter, par la création d’un réseau de transport public de voyageurs unissant les zones les plus attractives de la capitale et de la région d’Île-de-France, un développement économique et urbain structuré autour de territoires et de projets stratégiques identifiés, définis et réalisés conjointement par l’État et les collectivités territoriales. Il crée l’établissement public « Société du Grand Paris » chargé de réaliser des opérations d’aménagement ou de construction liées au réseau de transport. Il prévoit également les outils permettant l’élaboration de projets de territoires destinés à faire face aux problèmes d’urbanisme et d’infrastructures de transport. Enfin, il permet la mise en œuvre du projet de pôle de développement scientifique et technologique sur le plateau de Saclay, dans le département de l’Essonne.
Le Sénat a choisi, pour étudier ce texte, de faire appel à une commission spéciale, dont je tiens à saluer le président et le rapporteur, lequel a effectué un travail considérable, qui nous sera incontestablement très utile.
Je remercie M. le rapporteur d’avoir accepté un certain nombre de mes amendements. J’ai ainsi déposé un amendement visant à permettre à la Société du Grand Paris de conclure des conventions avec d’autres établissements publics et un amendement tendant à permettre la désignation d’un préfigurateur.
Surtout, je le remercie d’avoir accepté l’amendement que j’ai déposé à l’article 28 et qui vise à sanctuariser au moins 2 300 hectares de terres agricoles sur la zone de protection naturelle, agricole et forestière du plateau de Saclay. Sur l’initiative de notre collègue Pierre Lasbordes, l’Assemblée nationale avait prévu de protéger « environ 2 300 hectares ». Le mot « environ » a fait couler beaucoup d’encre et a suscité bien des paroles. Il fallait donc le retirer. J’ai proposé de le remplacer par les mots « au moins », ce que la commission spéciale du Sénat a accepté.
Nous attendons avec impatience la publication du décret prévoyant la création de cette zone. À cet égard, je déposerai un amendement visant à prévoir un délai afin que ce décret soit publié le plus rapidement possible, monsieur le secrétaire d’État, en tout cas avant la signature des contrats de développement territorial dans cette zone. Il s’agit autant d’un amendement d’appel que d’un amendement destiné à être adopté. Il vise à résoudre un problème de cohérence. Je le répète : j’espère que ce décret sera publié le plus rapidement possible.
Comme le Président de la République l’a souligné dans le discours qu’il a prononcé à la Cité de l’architecture et du patrimoine le 29 avril 2009, « c’est sur le transport que va se jouer la partie la plus décisive ».
À cet égard, je suis bien conscient que la situation que je décrivais tout à l’heure doit être fortement améliorée. Si je considère que le projet de double boucle constitue une avancée considérable, je pense également qu’il ne doit pas remettre en cause la nécessaire amélioration des réseaux de transport existants. Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai cosigné un amendement avec notre collègue Christian Cambon, qui en était le premier signataire, lequel a également été adopté. Je tiens particulièrement à l’articulation entre les réseaux présents et futurs afin que le maillage final permette toutes les connexions possibles avec les actuelles lignes de métro et de RER, ainsi qu’avec celles de la SNCF.
Je pense aussi à la future ligne rapide qui doit relier Roissy et Orly. Cette ligne me paraît être un élément indispensable. Il faudra la prévoir dans un prochain texte. Je remercie M. le rapporteur d’avoir déjà pris en compte ce projet en y faisant allusion.
Le Grand Paris ne sera un succès que si le logement, l’emploi, les transports, la recherche, le développement durable et l’internet à très haut débit sont pris en compte, et ce en concertation avec les élus locaux. Tel est l’enjeu de ce projet.
Je suis persuadé, monsieur le secrétaire d’État, que, avec vous, nous parviendrons à faire avancer ce projet dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis relève d’un curieux paradoxe : il prétend bâtir l’avenir tout en usant des moyens du passé ! L’avenir, c’est celui de la région d’Île-de-France, l’une des plus puissantes du monde, avec en son cœur Paris, ville globale au même titre que New York, Tokyo ou Londres.
Ce territoire est une zone stratégique, il est le moteur de la croissance de notre pays. Aussi, il est normal que l’État s’en préoccupe. Il est même légitime qu’il veuille intervenir sur ce territoire, qu’il a pourtant si longtemps délaissé. Reste à savoir si cette intervention peut prendre la forme d’un projet hors sol, reposant sur une démarche autiste, sans concertation avec les acteurs locaux.
En d’autres termes, nous nous demandons si, pour préparer l’Île-de-France du XXIe siècle, il faut se référer aux méthodes et au mode de pensée de Paul Delouvrier, grand préfet s’il en fut, dont les projets étaient adaptés à son temps et en phase avec son époque – c’était il y a quarante ans –, période, comme nous l’a rappelé Nicole Bricq, où l’État avait des moyens financiers, ou s’il faut privilégier la méthode plus actuelle de Bertrand Delanoë au travers du syndicat mixte « Paris-Métropole ». Il s’agit en effet d’établir un véritable dialogue entre les collectivités territoriales de tous bords, sans volonté d’hégémonie, sans pression d’aucune sorte, autour de thèmes communs et fédérateurs, dans le respect de l’intérêt général.
Monsieur le secrétaire d’État, vous présentez ce projet comme étant visionnaire, j’ai tendance à le trouver rétrograde. On nous affirme que l’État revient dans le jeu institutionnel avec une vision en matière d’aménagement. Je trouve plutôt qu’il s’y incruste avec violence, sans réelle vision globale. Il s’agit, cela a déjà été dit, d’un projet autoritaire, « recentralisateur » et inadapté aux attentes des Franciliens et de leurs élus.
Qu’on en juge plutôt : ce projet se borne à créer deux EPIC : le premier, la Société du Grand Paris, chargé de diriger la construction d’un métro automatique sous la forme d’une double boucle ceinturant Paris ; le second, l’établissement public de Paris-Saclay, pour gérer l’aménagement d’un cluster. Dans les deux cas, l’État sera seul maître à bord, les collectivités seront peu représentées. Nous voilà donc revenus au temps des villes nouvelles ! La gouvernance du Grand Paris fait donc l’impasse sur plus de vingt ans d’évolution des institutions au travers de la décentralisation, sur plus de vingt ans d’évolution des projets urbains. Seule une prise en compte a minima des citoyens, des habitants et des usagers est prévue.
Au fil des décennies, aménager un territoire est devenu plus complexe, plus exigeant, plus délicat, mais c’est là un impératif démocratique. La société n’accepte plus les projets technocratiques vantant des lendemains qui chantent, établis dans le secret d’un cabinet, aussi compétent fût-il, et, surtout, sans discussion.
M. le rapporteur a rappelé quelques-uns des impératifs d’aménagement modernes dans son préambule : un financement clair, des outils de pilotage efficaces, une concertation loyale avec les collectivités territoriales, une association des citoyens à l’élaboration des projets. Votre projet, monsieur le secrétaire d’État, ne répond à aucun de ces objectifs.
Commençons par le financement clair. Le coût du projet est inconnu. La somme de 21,4 milliards d’euros est avancée dans le rapport. Même s’il est exact, ce montant, considérable, n’inclut pas le coût de construction des gares. On nous demande donc de signer un chèque en blanc. Pis, non seulement le coût final de l’opération n’est pas connu, mais son financement n’est pas assuré, comme l’a rappelé notre collègue Nicole Bricq. Parmi les modes de financement proposés, il en est un dont les résultats sont incertains : la taxe sur la valorisation foncière, comme le souligne lui-même le rapporteur. En d’autres termes, le financement n’est pas clair, il est au contraire pour le moins opaque.
Continuons avec un autre impératif : la concertation loyale avec les collectivités territoriales et l’association des citoyens. Les instances de décision de la Société du Grand Paris sont majoritairement composées de représentants de l’État. En cas de désaccord, c’est donc la voix de l’État qui primera. Aussi, un passage en force n’est pas exclu.
L’impératif d’associer les citoyens au projet n’est pas non plus respecté. L’article 3 du présent projet de loi permet la mise en œuvre d’une procédure simplifiée, dérogatoire à la procédure de droit commun en matière de débat public. Elle vise, selon les termes mêmes du rapport, à économiser un an. D’une part, on se demande s’il est pertinent de précipiter les aménagements de long terme. D’autre part, si on souhaite économiser le temps de la réflexion, cela montre bien que l’association des citoyens au projet est purement factice.
Autre exemple : l’impératif du développement durable. Le tracé prévu du métro souterrain passe en certains lieux des Yvelines et de la Seine-et-Marne par des espaces peu densément peuplés. Des gares y sont cependant prévues. Pour que de tels investissements soient rentables, pour que ces gares soient viables, il va falloir densifier les territoires environnants et augmenter du même coup l’étalement urbain. Le projet actuel n’est pas compatible avec les exigences d’une ville durable, qui doit être une zone moins dévoreuse d’espace, plus compacte et moins cloisonnée. Le projet laisse aussi de côté la question du fret.
Par ailleurs, l’aménagement du plateau de Saclay laisse également perplexe : sur le papier, on nous vante une vision innovante d’un futur cluster scientifique et technique. Pourtant, le projet semble méconnaître la réalité des clusters. Ainsi, le périmètre envisagé, qui couvre plus d’une quarantaine de communes et quelque 240 kilomètres carrés, soit deux fois et demie la taille de Paris, n’est pas compatible avec la définition du cluster, lequel repose sur la concentration des hommes et des activités.
M. le secrétaire d’État cite volontiers l’exemple de la Silicon Valley et de l’université Stanford pour justifier son aménagement. Je connais bien Palo Alto, dont j’ai été témoin de l’évolution au fil du temps : on y rencontre une entreprise high tech à chaque coin de rue. Le périmètre important de ce territoire est donc le résultat de la concentration exceptionnelle d’entreprises, non sa cause.
De plus, l’État occupe une place prépondérante dans ce projet, limitant le rôle et l’action des collectivités territoriales, alors qu’un cluster est avant tout le résultat d’une dynamique locale. La gouvernance proposée est donc en inadéquation avec le but visé et s’inscrit plutôt dans une perspective d’aménagement d’un autre temps. C’est là un double déni : déni démocratique d’une part, déni de modernité d’autre part. Le texte qui nous est présenté s’appuie sur un concept biaisé et insuffisamment maîtrisé. Nous le constatons, ce projet ne répond pas à la définition d’un véritable cluster, et il n’est donc pas viable.
En outre, le projet de loi est fondé sur une vision très contestable des métropoles, qui se résumeraient à une mosaïque de pôles spécialisés. Cette vision multipolaire ne résiste pas à l’analyse. L’activité économique est souvent plus diffuse. C’est davantage vers des quartiers mixtes groupant logements et activités qu’il faut aller.
Nous sommes bel et bien en désaccord sur la forme et sur le fond. Nous privilégions des liaisons domicile-travail, des liaisons de banlieue à banlieue, le désenclavement de certaines villes et le rééquilibrage à l’est, ce qui permettrait de répondre aux attentes des Franciliens.
M. Jacques Mahéas. Très bien !
Mme Bariza Khiari. Nous privilégions des projets de proximité couvrant des besoins réels, notamment en matière de logement, au travers du schéma directeur de la région Île-de-France. Nous apportons des solutions aux trois défis de la métropole moderne : le défi démocratique, le défi écologique et le défi de la solidarité, trois défis dont le rapporteur s’est fait l’écho mais qui brillent par leur absence dans le projet de loi.
La récente sanction électorale infligée à la majorité devrait vous inciter à retravailler ce texte, mes chers collègues, et à prendre en compte nos observations. Un tel désaveu ne peut être sans conséquences.
Enfin, nous ne sommes pas contre un retour de l’État dans notre région, mais à condition que celui-ci soit un État réellement stratège, et non un État autiste, prisonnier de conceptions surannées et faussement innovantes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Desessard. L’Alsace, la seule région qui résiste !
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avec ce projet de loi nous est proposé une nouvelle organisation des territoires et des transports de l’Île-de-France qui constitue un enjeu pour la vie quotidienne des Franciliens, certes, mais aussi pour le pays tout entier.
M. Jacques Mahéas. Même pour Strasbourg !
Mme Fabienne Keller. Je veux saluer le travail approfondi de la commission spéciale, présidée par Jean-Paul Emorine et animée par notre dynamique rapporteur Jean-Pierre Fourcade.
Ce texte marque la volonté forte de l’État d’accélérer l’indispensable structuration de la région-capitale. Le transport est conçu ici comme une colonne vertébrale, comme le maillage de base du développement économique, social et urbain.
Il est clair que cet effort de l’État devra s’ajouter à celui des collectivités locales – régions, départements, communes et intercommunalités –, car trois décennies de retard en matière d’investissements dans le réseau ferré et les gares aboutissent aujourd'hui à un réseau saturé, fatigué et offrant aux voyageurs franciliens de mauvaises conditions de transport.
Comme je l’ai moi-même écrit dans un rapport consacré aux gares, les provinciaux n’accepteraient pas, me semble-t-il, d’être traités comme les Franciliens le sont aujourd'hui dans leurs transports au quotidien !
M. François Trucy. Exact !
Mme Fabienne Keller. Et je suis obligée de vous dire, mes chers collègues, que la dernière décennie n’a guère amélioré la situation, ni permis de rattraper ce retard.
Pour mieux desservir l’Île-de-France, il faut donc accélérer les projets ; tel est l’objectif de ce texte de loi. Les ralentir ne servirait à rien. Tout au contraire, il s’agit de mobiliser toutes les énergies, comme vient de le proposer à l’instant notre collègue Christian Cambon.
Je voudrais aborder ici deux thèmes qui concernent plus particulièrement le transport.
Premièrement, j’évoquerai les dessertes TGV.
S’il existe un sujet stratégique pour l’organisation de l’Île-de-France, c’est bien la desserte en trains à grande vitesse des première et deuxième couronnes. Et sur ce point, – je vais peut-être vous surprendre, mes chers collègues – la région parisienne est entièrement solidaire du reste de la France,…
Mme Nicole Bricq. Évidemment !
M. Christian Cambon. Très bien !
Mme Fabienne Keller. … car le problème est le même que pour les liaisons de province à province. En effet, le réseau des grandes lignes ferroviaires dans son ensemble est organisé en fonction des « gares de tête », celles qu’il n’est pas possible de traverser, c'est-à-dire les gares parisiennes.
Des gares traversantes ne peuvent être créées qu’à la périphérie, en première et deuxième couronnes. Ce fut le cas à Marne-la-Vallée, à Massy et à Roissy, où les gares existantes pourront encore être développées ; ce sera le cas, demain, à Orly, à La Défense et à Pleyel. Ces six grandes gares TGV seront toutes interconnectées par le Grand huit que vise à créer ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Permettez-moi d’évoquer la nécessité d’infrastructures complémentaires, ces tronçons de ligne destinés à mieux organiser la liaison entre ces gares. Il s’agirait, notamment, de Valenton-Orly-Massy ou de La Défense-Pleyel-Roissy ; d'ailleurs, pour ce dernier axe, une partie de la ligne de TGV pourrait être commune avec un élément du Grand huit.
Je citerai un exemple très concret : la réalisation de l’interconnexion sud, c’est-à-dire Valenton-Orly-Massy, qui d'ailleurs est prévue dans le cadre du Grenelle de l’environnement, soulagera un tronçon utilisé aujourd’hui à la fois par les TGV, le transport de marchandises et le RER C.
Créer une véritable interconnexion des TGV et la double boucle de métro, c’est permettre une meilleure desserte de Massy, qui gagnerait aussi en centralité. Il en irait de même pour Orly, qui bénéficierait en outre de l’intermodalité avec l’avion. Enfin, et surtout, les dessertes du RER C seraient plus fiables – j’ai entendu de nombreuses interventions relatives au fonctionnement des transports urbains franciliens –, grâce au déchargement de la voie ferrée que ce réseau utilise aujourd’hui.
M. Jean-Louis Carrère. Et qui payera ?
M. Yannick Bodin. Le bouclier fiscal ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Fabienne Keller. Le second thème que je souhaite aborder ici, et qui m’est cher, est celui des gares. (M. Yannick Bodin s’exclame.) Je me réjouis que l’investissement qui leur est consacré, ainsi qu’aux aménagements urbains qui leur sont proches, soit évoqué dans ce projet de loi.
À cet égard, je voudrais souligner l’amélioration que la commission a apportée à ce texte en proposant d’associer les collectivités à l’élaboration des contrats de développement territorial. Ce point est stratégique : la gare est naturellement le lieu de l’intermodalité ; elle constitue un élément central de la chaîne des transports et permet leur articulation efficace.
En outre, c’est autour de la gare, dans une zone plus large, que s’organisent l’habitat, les commerces, les services, que ceux-ci soient publics, privés ou médicaux, ainsi que les activités sociales et culturelles, afin de les rendre accessibles en transports collectifs, dans une logique de structuration efficace des territoires.
Les gares concernées par le projet qui nous est présenté sont essentielles. Elles sont au nombre de quarante, mais elles ne sont pas les seules qui doivent retenir notre attention.
Mes chers collègues, les gares franciliennes sont en très mauvais état. D’ici à 2030, elles connaîtront une hausse de leur fréquentation, qui pourrait doubler selon certaines estimations. Soixante gares complémentaires doivent être modernisées et faire l’objet d’investissements importants.
Comme vous le constatez, il y a de la place pour une action volontariste de la région dans ce domaine ! Une politique ambitieuse, nouvelle et complémentaire devra être engagée. Il s'agit d’améliorer l’accès aux gares et les conditions d’attente sur les quais, qui sont très inconfortables, ce qui aggrave le stress et – j’ose utiliser l’expression – le mauvais traitement infligé aux voyageurs, lesquels, hélas ! attendent longtemps leurs trains, en raison des dysfonctionnements des lignes.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques réflexions que je me suis permis de vous présenter, bien que, comme certains l’ont souligné sur ces travées (L’orateur montre les travées du groupe socialiste.), je sois strasbourgeoise… En effet, ce texte a tout de même le mérite de marquer une ambition forte pour une région-capitale dont, j’ose le dire ici, tous nos territoires ont besoin ! Ceux-ci doivent être bien articulés avec la capitale grâce aux transports et ils ont besoin de son dynamisme et de son rayonnement.
Monsieur le secrétaire d'État, nous devons relever ce défi, dans une logique de respect des provinces, mais aussi de complémentarité entre celles-ci et Paris. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Procaccia. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme j’interviens après vingt-deux autres orateurs, il m’est forcément difficile de ne pas être redondante… Je m’efforcerai donc d’être rapide et n’aborderai que quatre thèmes.
Tout d’abord, j’évoquerai l’intitulé de ce projet de loi relatif au Grand Paris. Celui-ci est clair pour nous, parlementaires et élus, qui nous sommes impliqués dans ce dossier, mais il ne l’est pas pour tous. Je suis étonnée du nombre de Franciliens qui ne savent pas quel est le contenu du texte, et qui sont donc inquiets. (Marques d’ironie sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez raté la campagne électorale ! Valérie Pécresse n’a pas été convaincante !
Mme Catherine Procaccia. Ils craignent que leur commune ne soit annexée par la capitale, surtout s’ils se trouvent en grande banlieue.
Toutefois, lorsqu’ils comprennent qu’il s’agit, notamment, d’un nouveau tracé de transports de cent trente kilomètres, qui reliera entre elles et de façon automatique plusieurs villes des petite et grande couronnes et qui structurera le développement de l’Île-de-France, ils sont rassurés. Je pense donc que, à défaut de modifier l’intitulé de ce texte, il est indispensable de faire un effort pour le rendre plus compréhensible,…
Mme Raymonde Le Texier. Ce ne sera pas difficile !