M. Jean-Paul Alduy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage les conclusions du très bon rapport de Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier et fais miennes les onze recommandations qui y sont formulées. Ce rapport devrait permettre de dépassionner le débat.
Les évolutions rapides des technologies nous obligent à revoir sans cesse l’encadrement juridique, pour apporter la souplesse nécessaire mais aussi pour garantir les libertés individuelles.
Je l’ai entendu dire, il serait pour certains préférable, plutôt que de multiplier les instances, de recourir tout simplement à la CNIL, avec tout ce que représente aujourd'hui cette autorité, à la fois pour la délivrance de l’autorisation et l’exercice du contrôle et, j’y insiste, pour les deux volets. Si en effet on limitait sa compétence au seul contrôle, la CNIL perdrait toute l’information en amont de l’autorisation, sur la genèse des projets. D’où la nécessité de la doter également de la compétence d’autorisation. À partir de cette double compétence, une jurisprudence peut se construire peu à peu, permettant au cas par cas de faire évoluer la réglementation et de mieux maîtriser ces technologies.
Mais il me semble que le débat s’est déplacé. Aujourd'hui, il n’est plus temps de s’effrayer de la menace que feraient peser ces technologies sur les libertés individuelles ; en revanche, il convient de s’inquiéter dans une plus large mesure de l’efficacité même des dispositifs de vidéosurveillance.
Permettez-moi de vous livrer mon sentiment sur ce sujet à partir de mon expérience d’une quinzaine d’années d’animation de la ville de Perpignan.
Tout d’abord, lorsque l’on parle de vidéoprotection, on ne joue pas sur les mots, on tend au contraire à « coller » à la réalité du sujet. Il s’agit non pas seulement d’exercer une surveillance aux fins de protéger des méfaits de la délinquance, de la criminalité ou du terrorisme, mais tout simplement d’observer tous les incidents intervenant dans l’espace public.
À Perpignan, par exemple, le dispositif a permis de sauver des vies humaines. Alors qu’un pyromane s’apprêtait à faire sauter une parfumerie, les personnes dans les étages ont pu être sauvées grâce à l’appel très rapide des pompiers.
En revanche, permettez-moi d’évoquer devant vous les émeutes récentes dans cette même ville, déclenchées à la suite d’un assassinat que l’on avait d’abord cru de nature raciste, mais qui s’est révélé être un crime de jalousie. Une caméra était bel et bien installée depuis un an, et précisément au-dessus du lieu du crime, mais elle ne fonctionnait pas, faute d’autorisation…
Cet exemple renvoie au problème de la souplesse et de la rapidité des décisions en matière d’installation des mécanismes de vidéoprotection.
Personnellement, je pense qu’il faut en quelque sorte troquer la rigueur dans la planification de la politique de protection contre une certaine souplesse pour l’adaptation du système au coup par coup, permettant, par exemple, de déplacer ou d’ajouter une caméra, si nécessaire.
En d’autres termes, il faut à tout prix obliger les collectivités locales à bâtir de vrais plans, qui soient complets, c'est-à-dire qui intègrent, au-delà de la simple vidéoprotection, l’ensemble de leur politique de prévention et de lutte contre la délinquance, ainsi que tous les éléments devant contribuer à l’information du citoyen et permettre le contrôle, l’évolution, le suivi du système.
Une fois la planification soumise au regard attentif de la CNIL et validée par cette dernière, pour reprendre la proposition de nos deux corapporteurs, il importe alors de se montrer souple pour pouvoir déplacer les installations en cas de besoin.
D’ailleurs, l’idée de « zones vidéosurveillées » pourrait être très judicieuse. Ainsi, dans la lutte contre le deal, il faut pouvoir se déplacer en même temps que les dealers. À l’heure actuelle, dès qu’un système de vidéoprotection est installé, ces derniers quittent les lieux.
Cela montre bien la nécessité d’introduire de la souplesse dans l’utilisation de ces technologies et donc d’adapter l’encadrement juridique à cet effet.
Ensuite, l’efficacité dépend du fonctionnement de la chaîne des acteurs.
La coordination entre la police municipale et la police nationale donnera une véritable efficacité à ces investissements. Selon les faits constatés, il faut mobiliser soit la police municipale, soit la police nationale lorsqu’il s’agit de solliciter les moyens dont elle est seule à disposer, notamment juridiques ou de formation.
Mais la chaîne des acteurs comprend également le parquet. Grâce à la vidéosurveillance, demain la vidéoprotection, il dispose d’éléments d’information permettant d’établir le constat du flagrant délit et de procéder à des comparutions immédiates. Ces dernières sont appelées à se développer, y compris pour les mineurs, puisque la loi a mis en place des mécanismes comparables pour ces derniers.
Enfin, j’en viens au problème du coût du dispositif. Il serait erroné de croire que la vidéoprotection limiterait le nombre de policiers nationaux ou de policiers municipaux. Au contraire, plus on déploiera ces instruments, plus il faudra disposer de moyens d’intervention rapides, donc situés à proximité des lieux de constatation.
Par conséquent, outre les investissements matériels, pour lesquels vous avez mis en place un système de subvention, monsieur le ministre, le coût sera élevé.
Par exemple, dans le cas d’une ville de 120 000 habitants, assurer la présence de quinze personnes devant les écrans pour observer les quatre-vingts caméras installées représente chaque année une dépense de 450 000 euros…
Donc, compte tenu des sommes importantes en jeu, je demande que, sur ce sujet, on raisonne en coût global, c'est-à-dire fonctionnement et investissement, et en coût partagé entre l’État et les collectivités locales.
Si j’ai largement dépassé le thème aujourd’hui en débat, c’est que la question de l’encadrement juridique de la vidéosurveillance ne peut plus être dissociée de celle de l’amélioration de l’efficacité de ces dispositifs. Ne l’oublions pas, aujourd'hui, le vrai sujet, ce sont les résultats !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure actuelle, la vidéoprotection est non seulement acceptée, mais elle est demandée. Il ne faut donc pas décevoir.
Pour me résumer, il faut certes revoir l’encadrement juridique, qui date de 1995, tout en améliorant le mécanisme d’information de nos concitoyens, la coordination de la chaîne des acteurs et les mécanismes de financement.
Je terminerai en citant l’une des recommandations formulées par nos collègues dans leur rapport d’information, qui me paraît essentielle et qu’il convient de ne pas sous-estimer : « Ne pas déléguer la vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées, ni permettre aux autorités publiques de vendre des prestations de vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées. »
J’insiste sur ce point dans l’ultime phrase de mon intervention, parce que je crois que c’est une ligne jaune à ne pas dépasser si l’on veut donner aux pouvoirs publics l’entière maîtrise de l’évolution de ces technologies au service de la sécurité de nos concitoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre.
M. Louis Nègre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme mon collègue Jean-Paul Alduy, je m’exprimerai en tant que maire. Je m’appuierai non pas sur les rapports élaborés, y compris par les Britanniques, mais sur ce que je suis à même de constater personnellement sur le terrain dans le domaine qui nous occupe.
Je me réjouis que le débat d’aujourd'hui, dans le cadre de la semaine de contrôle de l’action du Gouvernement, porte sur l’encadrement juridique de la vidéosurveillance.
Cette technologie, devenue aujourd’hui un véritable sujet de société, permet, de façon moderne, pragmatique et pacifiée, de lutter efficacement contre certains agissements contraires à la loi. Et je tiens à féliciter tout particulièrement MM. Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier de la qualité de leur rapport d’information, particulièrement détaillé, qui porte, vous le savez tous, sur un sujet incontestablement sensible et qui, dans le passé, bien sûr, a souvent suscité de vraies polémiques !
Mais je crois que, aujourd'hui, il faut regarder la réalité en face : la vidéoprotection est demandée par les Français. Dans un récent sondage, 81 % d’entre eux estiment que l’installation de caméras peut améliorer la sécurité. Ils la demandent, parce qu’ils la perçoivent, non sans raison, comme efficace.
En effet, selon le rapport de l’Inspection générale de l’administration de juillet 2009, les crimes et délits chutent deux fois plus vite dans les villes équipées que dans celles où aucun dispositif n’est installé.
Les principales constatations que l’on peut faire sont les suivantes.
Premièrement, la vidéoprotection n’est pas une fin en soi ; c’est clair.
Deuxièmement, elle n’a un véritable impact répressif et dissuasif, j’y insiste, que si une sanction pénale est prononcée par une juridiction à la suite de la constatation d’une infraction et de l’arrestation de ses auteurs.
Troisièmement, le constat a été établi que la délinquance a baissé en moyenne plus fortement dans des communes équipées de vidéoprotection que dans celles qui n’en disposent pas.
Quatrièmement, le taux d’élucidation global ne progresse significativement que dans les villes où il y a une forte densité de caméras installées.
Cinquièmement, la localisation des caméras, la qualité des images et des enregistrements – les corapporteurs nous l’ont dit tout à l’heure – sont effectivement déterminants pour une utilisation à des fins d’enquête judiciaire, pour la collecte d’éléments de preuve.
Aujourd'hui, on compte un peu plus de 350 000 caméras autorisées, dont à peine 20 000 sont installées sur la voie publique ; d’où l’objectif de triplement d’ici à 2011. Je ne peux que m’en féliciter, monsieur le ministre.
Par ailleurs, grâce à la création du Fonds interministériel de prévention de la délinquance par la loi du 5 mars 2007, l’État a aidé les communes à hauteur de 42 millions d'euros et financé 1 200 projets.
L’État apporte une contribution de 40 % en moyenne aux dépenses d’investissement nécessaires pour installer ces caméras.
Dans le département des Alpes-Maritimes, Christian Estrosi, maire de Nice – je suis le premier vice-président de la communauté urbaine –, a mis concrètement l’accent sur la sécurité des personnes en déployant un système de vidéoprotection extrêmement développé et performant, qui a rapidement montré son intérêt.
Pour parler de la ville de Cagnes-sur-Mer, dont je suis le maire, l’arrêté préfectoral du 8 juillet 2008 autorise la commune à installer quarante-deux caméras vidéo et un centre de supervision urbaine, ou CSU. Ce centre opère vingt-quatre heures sur vingt-quatre, trois cent soixante-cinq jours de l’année et, désormais, trente caméras fonctionnent.
De plus, j’ai récemment signé une convention avec le président du conseil général afin que les caméras installées en protection des collèges par le département puissent être reliées au CSU, qui prend le relais après la fermeture des établissements. Cette coordination des pouvoirs publics renforce à l’évidence l’efficacité du système.
De même, ce centre de supervision urbaine regroupe l’ensemble des images et concourt largement à la sécurité publique. C’est d’ailleurs devenu un appui recherché des forces de police et de gendarmerie. Quarante-trois réquisitions de la police nationale ou de la gendarmerie ont été effectuées en 2009.
J’ai entendu certains, à cette tribune, parler de dispositif liberticide, inefficace et sans effet dissuasif. En tant que maire, je m’inscris en faux contre ce tableau, excessivement négatif.
Au contraire, le centre de supervision urbaine de ma ville a pu déclencher avec efficacité – ce sont des faits, chers collègues ! – l’action de la police, permettant ainsi d’interpeller en flagrant délit les auteurs de différentes infractions graves : trafic de stupéfiants devant des établissements scolaires, agressions sexuelles, un vol à main armée et des vols à la portière.
Donc, contrairement à ceux qui paraissent douter de la vidéoprotection, au vu des résultats obtenus dans ma commune et à l’appui décisif de cette technologie nouvelle pour résoudre certaines affaires de délinquance, je ne peux qu’être favorable au développement maîtrisé de ces systèmes.
Cette efficacité, mes chers collègues, est ressentie positivement par la population.
Dans le strict respect du cadre légal qui s’impose à nous – d’autres pays, même très démocratiques, ne sont pas aussi contraints que nous à ce titre – et au vu des résultats que nous avons obtenus, la population se déclare très favorable, elle aussi, au développement de la vidéoprotection dans ma ville.
La pertinence de notre dispositif est telle que le conseil municipal a, sur mon initiative, approuvé hier soir un projet complémentaire d’extension. En effet, en accord et en coordination la plus étroite avec la police nationale, trente-quatre caméras supplémentaires seront implantées sur des sites qui ont fait l’objet d’une étude préalable approfondie.
Compte tenu de ce résultat, et puisqu’aucun de mes concitoyens n’a eu à subir le moindre désagrément, la moindre atteinte à ses libertés individuelles, je suis favorable à la plupart des recommandations contenues dans le rapport de nos collègues.
Permettez-moi de revenir plus en détail sur ces recommandations.
Je suis entièrement d’accord avec les recommandations nos 2 et 3, qui préconisent de mieux informer le public et de ne pas déléguer la surveillance de la voie publique à des personnes privées.
J’émets, en revanche, une réserve sur la recommandation n° 1. Il s’agirait de réunir pour les confier à une seule autorité, en l’occurrence la CNIL, les compétences d’autorisation et de contrôle en matière de vidéosurveillance. Ne croyez pas que je doute de la CNIL, bien au contraire ! Je pense que la CNIL est une institution très importante, mais assez parisienne et bureaucratique. Je souhaiterais donc que cette autorité un peu lointaine partage le pouvoir d’autorisation et de contrôle avec les préfets des départements qui sont, eux, en prise directe avec les spécificités locales.
J’approuve entièrement la recommandation n° 4, visant à former les opérateurs chargés de visionner les images de la voie publique. Permettez-moi néanmoins d’apporter un bémol : il serait, à mon sens, tout à fait excessif de placer sous la surveillance de caméras contrôlées par la police et la gendarmerie les opérateurs municipaux eux-mêmes. Je le rappelle, ces personnels sont de qualité et, par ailleurs, assermentés.
Je tempère de même mon adhésion aux recommandations nos 5 et 6 par un autre bémol. Monsieur le ministre, je conviens que le développement des systèmes de vidéosurveillance au niveau des bassins de vie est de nature à favoriser une coordination de ces systèmes, mais je suis extrêmement réservé quant au transfert « automatique » aux EPCI, car cela met en cause le pouvoir de police des maires. Et je tiens au pouvoir de police des maires !
Si donc j’approuve la coordination, je suis beaucoup plus réservé à l’égard du transfert « automatique ».
Les recommandations nos 7, 8 et 9, visant à mettre en place une procédure simplifiée, à délivrer une autorisation pour des zones plutôt que pour chaque caméra et à soumettre à une procédure simplifiée les dossiers de renouvellement d’autorisations, me paraissent relever du bon sens.
En définitive, la vidéoprotection est un outil supplémentaire qui, sans être la panacée, peut se révéler efficace.
Telle est la raison pour laquelle, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je pense nécessaire de faire évoluer l’encadrement juridique de la vidéosurveillance selon les pistes qui ont été tracées par la commission des lois, sous réserve des aménagements et des bémols que j’ai évoqués. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.