Mme Éliane Assassi. Cet article 8 ter, introduit par l’Assemblée nationale, prévoit l’entrée en vigueur immédiate d’un nombre important de dispositions contenues dans les trois premiers chapitres du projet de loi : rétention et surveillance de sûreté ; injonction de soins et surveillance judiciaire ; interdictions de paraître ou de rencontrer la victime ; modalités d’exécution de la peine de suivi socio-judiciaire ou d’une libération conditionnelle.
Selon l’article 112–2 du code pénal, le principe d’application immédiate ne vaut pas, par dérogation, aux dispositions qui « auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation ». Or ce projet de loi aggrave la situation des personnes condamnées, notamment en facilitant le placement en rétention de sûreté.
Cet article 8 ter pourrait contrevenir à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci distingue les mesures de sûreté susceptibles de s’appliquer pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi et celles qui sont privatives de liberté, ce qu’est par définition la rétention de sûreté.
Le placement en rétention pourrait en effet concerner un individu qui n’aurait pas respecté ses obligations en matière de surveillance de sûreté, et donc s’appliquer in fine pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi.
De plus, dans une décision rendue le 17 décembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle le principe de la légalité des délits et des peines. Elle confirme que, pour pouvoir prononcer un placement en rétention de sûreté, il faut que les textes le permettant aient été en vigueur lors de la commission des faits ayant mené à la condamnation initiale.
Sous le bénéfice de ces explications, nous demandons la suppression de l’article 8 ter.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour présenter l'amendement n° 65.
M. Jean-Pierre Michel. Nous l’avons dit au cours de la discussion générale, nous estimons que cet article pourrait encourir une censure du Conseil constitutionnel.
M. le rapporteur nous dit que la procédure pénale n’est pas incluse dans le bloc de constitutionnalité, mais l’est seulement dans le bloc législatif. C’est exact, à une réserve près : aux termes d’une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel inclut dans le bloc de constitutionnalité les mesures de procédure pénale attentatoires aux libertés individuelles ; c’est bien le cas ici.
De fait, en présentant cet amendement, nous rendons service au Gouvernement, car nous lui épargnerons une censure du Conseil constitutionnel. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. M. Michel est vraiment animé de bons sentiments à l’égard du Gouvernement ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nul n’en a jamais douté ! (Même mouvement.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mme Assassi nous reproche de rendre plus facile le placement en rétention de sûreté. Si cette affirmation était exacte, le risque serait alors effectivement grand d’une censure pas le Conseil constitutionnel. Mais tel n’est pas le cas. Mme Assassi aurait eu raison si nous avions suivi nos collègues députés et accepté d’abaisser de quinze à dix ans le quantum de peine prononcé permettant le placement sous surveillance de sûreté à l’issue de la surveillance judiciaire ou du suivi socio-judiciaire. Auquel cas, puisque la surveillance de sûreté est le sas de la rétention de sûreté, nous aurions effectivement rendu plus nombreux les cas dans lesquels cette dernière pouvait être ordonnée, ce qui nous aurait effectivement fait encourir le risque d’inconstitutionnalité.
Je le répète, le passage de la surveillance judiciaire et du suivi socio-judiciaire à la surveillance de sûreté ne sera possible que pour les personnes condamnées à une peine de quinze ans d’emprisonnement au moins. En l’espèce, il n’y a aucun changement par rapport à la loi de février 2008 sur la rétention de sûreté, et je rappelle que le Conseil constitutionnel, alors saisi, avait validé la possibilité d’ordonner avec effet immédiat une mesure de surveillance de sûreté.
Quant à l’argument que vous avancez, monsieur Michel, nous en avons déjà longuement débattu hier. L’article 8 ter, inséré par l’Assemblée nationale sur l’initiative de sa commission des lois, prévoit l’entrée en vigueur immédiate des seules dispositions relatives à la procédure pénale. Or les dispositions relatives à la procédure pénale sont bien d’application immédiate, à l’exception de celles qui, aux termes de l’article 112-2 du code pénal, « auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation ».
On pourrait considérer que nous sommes dans ce cas de figure, mais contrairement au principe de non-rétroactivité des incriminations et des peines plus sévères, la non-rétroactivité des règles de procédure pénale plus sévères n’a pas valeur constitutionnelle. Le législateur peut donc y déroger par une disposition expresse, celle que constitue précisément l’article 8 ter.
Le risque d’inconstitutionnalité étant, dans cette hypothèse, infinitésimal, la commission est prête à le prendre et a donc émis donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Permettez-moi de rappeler, après M. le rapporteur, que l’application immédiate des dispositions sur la surveillance judiciaire et la surveillance de sûreté a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, qui a considéré qu’il s’agissait non pas de peines, mais de mesures de sûreté.
Dès lors, les modifications apportées à ces mesures pour lutter contre la récidive peuvent également être d’application immédiate : c’est constitutionnellement possible, c’est juridiquement cohérent et c’est en pratique indispensable !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 37 et 65.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 102, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. Alinéa 1
Après la référence :
I bis
insérer les mots :
à l'exception du 8° du I de l'article 5 ter
II. Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Les dispositions du 8° du I de l'article 5 ter sont applicables au 1er janvier 2012.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement vise à exclure de l'application immédiate les dispositions du nouvel article 723-31-1 du code de procédure pénale qui, introduites par l'article 5 ter du projet de loi, renforcent les modalités d'examen des personnes susceptibles d'entrer dans le champ de la surveillance judiciaire.
En effet, compte tenu de la systématisation de l’examen de cette catégorie de détenus, d’une part, de l’abaissement de dix à sept ans du quantum de peine prononcé pour l’application de la surveillance judiciaire, d’autre part, les moyens, déjà saturés, du Centre national d’observation de Fresnes, qui est en pratique chargé de cette évaluation, risquent d’être très insuffisants. Les auditions de responsables de la direction de l’administration pénitentiaire par la commission ont d’ailleurs mis cette difficulté en évidence.
Il pourrait donc se révéler opportun de prévoir une période transitoire afin de permettre une application effective de la loi. Toutefois, madame le ministre, si vous nous assurez que vous pouvez, dans les délais les plus rapprochés, remédier aux difficultés de fonctionnement du Centre national d’observation, je serais prêt, au nom de la commission, à retirer cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il s’agit d’un amendement que je qualifierai « de précaution ».
Dans la mesure où je ne suis pas aujourd’hui à même de garantir la mise en œuvre effective de ces dispositions, je ne peux qu’être favorable à cet amendement, étant entendu que, si nous pouvons faire mieux, nous le ferons.
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 93 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi, Baylet et Charasse, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Plancade et Tropeano, est ainsi libellé :
Alinéa 1er
Compléter cet alinéa par les mots :
, dans la limite des réserves de la décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 du Conseil constitutionnel
La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Cet amendement vise à insérer dans le projet de loi les réserves émises par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 février 2008, dans laquelle il avait censuré la rétroactivité patente de plusieurs dispositions relatives aux mesures de sûreté.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. D’une part, la formulation proposée dans cet amendement serait assez originale dans un texte de loi.
D’autre part, et peut-être surtout, en dépit de l’estime et du respect que nous portons au Conseil constitutionnel, nous ne sommes peut-être pas obligés de reprendre ses réserves mot pour mot.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Madame Escoffier, il n’est pas question d’ignorer les réserves du Conseil constitutionnel puisque le présent projet de loi vise précisément à les intégrer. Je vous invite donc à retirer votre amendement.
M. le président. Madame Escoffier, l'amendement n° 93 rectifié est-il maintenu ?
Mme Anne-Marie Escoffier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 93 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 8 ter, modifié.
(L'article 8 ter est adopté.)
Article 8 quater
I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article 474 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les durées de deux ans prévues par le présent alinéa sont réduites à un an si le condamné est en état de récidive légale. » ;
2° Le second alinéa de l’article 712-18 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Ce délai est porté à un mois lorsque le débat contradictoire doit se faire devant le tribunal de l’application des peines en application des dispositions de l’article 712-7. »
II. – L’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est ainsi modifiée :
1° L’article 11 est ainsi modifié :
a) Au cinquième alinéa (3°), après les mots : « l’article 10-2 », sont insérés les mots : « ou à celles d’une assignation à résidence avec surveillance électronique » ;
b) Au huitième alinéa (2°), après les mots : « l’article 10-2 », sont insérés les mots : « ou à celles d’une assignation à résidence avec surveillance électronique » ;
2° Le troisième alinéa de l’article 12 est complété par les mots : « ainsi qu’avant toute décision du juge d’instruction, du juge des libertés et de la détention ou du juge des enfants et toute réquisition du procureur de la République au titre de l’article 142-5 du code de procédure pénale. »
M. le président. L'amendement n° 38, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. L’article 8 quater, introduit sur l’initiative de la commission des lois, procède à diverses coordinations au sein du code pénal, du code de procédure pénale et de l’ordonnance de 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Dans la mesure où nous nous sommes prononcés tout au long de cette discussion contre l’aggravation de dispositions que nous rejetons, nous ne pouvons que souhaiter la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L’article 8 quater procède à des coordinations à caractère technique qui répondent à une large demande des juges de l’application des peines. La commission ne peut donc qu’être défavorable à cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 8 quater.
(L'article 8 quater est adopté.)
Article 9
La présente loi est applicable sur l’ensemble du territoire de la République, à l’exception de l’article 5 en ce qui concerne Mayotte, les îles Wallis et Futuna et la Nouvelle-Calédonie. – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Le groupe socialiste votera contre ce projet de loi.
Il avait déjà voté contre le texte qui allait devenir la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, et ce pour une raison essentielle que M. Robert Badinter a rappelée lors de son intervention dans la discussion générale.
Il s’agit en effet d’une véritable innovation dans notre droit pénal : désormais, des personnes seront privées de liberté non pas en fonction des actes qu’elles ont commis, mais en fonction de ceux qu’elles pourraient commettre, donc en fonction de leur personnalité ou même de leur personnalité supposée.
C’est une authentique régression. On en revient aux théories de Lombroso sur le « criminel né ». La dangerosité supposée dont on nous rebat les oreilles n’est pas autre chose que ce concept de « criminel né », que l’on remet aujourd’hui à l’ordre du jour.
Je n’ignore pas que la commission des lois et de la commission des affaires sociales, par la voix des deux rapporteurs, M. Jean-René Lecerf et M. Nicolas About, à qui nous rendons hommage, ont su préciser certaines notions, permettant notamment de lever la double confusion qui sous-tendait ce texte.
Tout d’abord, on confondait la dangerosité psychiatrique et la dangerosité pénale. Il faut en effet distinguer ces deux notions qui sont bien différentes, tous les psychiatres s’accordent à le reconnaître. Grâce aux amendements et aux explications de M. About, cette confusion a, nous semble-t-il, été levée.
Ensuite, on confondait les rôles du juge, du procureur et du médecin, quelle que soit la spécialité de ce dernier. Les explications qui nous ont été apportées, ce matin encore, par MM. Lecerf et About, ont permis d’éclaircir la situation.
Néanmoins, nous voterons contre ce texte.
Lutter contre la récidive : oui, trois fois oui ! Qui pourrait d’ailleurs s’y opposer ? Mais nous récusons les deux méthodes utilisées par le Gouvernement.
En premier lieu, il ne recourt qu’à la répression. Or, malgré quatre lois répressives en cinq ans, nous n’avons guère enregistré de progrès.
En second lieu, il fait voter des lois déclamatoires, compassionnelles, qui courent, au fil de l’actualité, après les faits divers – lesquels ne disparaissent pas pour autant –, mais qui ne résolvent rien.
Il existe d’autres manières de combattre la récidive. Il suffit pour s’en convaincre de lire le rapport de M. Vincent Lamanda, Premier président de la Cour de cassation. Tout le monde le sait, et le Gouvernement le premier. D’ailleurs, en acceptant l’amendement no 102 de la commission des lois, qui prévoit de reporter l’application de certaines mesures, Mme le garde des sceaux reconnaît qu’elle n’a pas la possibilité de donner au Centre national d’observation de Fresnes les moyens de les mettre en œuvre.
Tout le monde sait aussi que les structures extra-hospitalières et extra-pénitentiaires sont aujourd’hui en nombre insuffisant pour assurer, à législation constante – a fortiori après l’adoption probable du présent projet de loi –, le suivi judiciaire et psychiatrique des personnes qui ont été condamnées ou qui sortent de prison, avec ou sans injonction de soins.
Ce n’est donc pas en prenant de nouvelles dispositions répressives sans mettre en place les moyens nécessaires à leur application que l’on parviendra à résoudre le problème de la récidive. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Plusieurs de nos collègues ont démontré la gravité des multiples incidences juridiques que risquent d’avoir les dispositions prévues par le présent texte.
Je ne crois pas utile, en cet instant, de revenir sur l’ambition générale de ce texte, sinon pour souligner qu’il s’inscrit parfaitement dans le projet pénal de cette majorité obsédée par le contrôle social.
Avant d’en venir au fond de mon argumentation, qui s’articulera autour de deux points majeurs, je souhaite dans un premier temps évoquer le recours à la procédure accélérée.
Ce projet de loi aura sommeillé sagement, pendant plus d’un an, au fond des tiroirs de l’Assemblée nationale. Personne ne semblait plus s’en préoccuper. Il attendait son heure… Le meurtre d’une jeune femme par un criminel sexuel récidiviste aura été le déclencheur du réveil. Dès lors, les élections régionales se profilant, il s’agissait de ne plus perdre de temps pour instrumentaliser la légitime émotion provoquée par ce drame : d’où le recours à la procédure accélérée. C’est malheureusement aussi simple que cela !
Ce projet de loi est une énième manifestation de votre législation compassionnelle, votre pain quotidien d’affichage ultra-sécuritaire, qui alimente les peurs bien plus qu’il n’améliore la garantie du droit de chacun à la sécurité.
Aujourd’hui, avec ce texte, vous faites preuve d’une double irresponsabilité, pour ne pas dire que vous vous rendez coupables d’une double imposture.
Imposture au regard des principes fondamentaux de notre République : de toute évidence, en étendant largement le champ d’application de la surveillance de sûreté, ce texte va mécaniquement étendre la rétention de sûreté, la rendant de fait rétroactive
Cette stratégie a pour seul objectif de contourner la décision du Conseil constitutionnel qui avait censuré sur ce point la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Non seulement vous entendez persister dans la dissociation du crime et de la peine, alors même que le principe de justice se fonde par définition sur le rapport entre le crime commis et la peine subie, non seulement vous réinventez la loi de relégation, d’élimination sociale, mais vous n’hésitez pas à saper l’équilibre de nos institutions républicaines en contrecarrant les décisions de notre plus haute juridiction.
Avec la mesure phare de ce texte, celle qui porte sur la « castration chimique », on tombe dans l’irresponsabilité politique.
Ce vocable de « castration », avec toute sa symbolique de violence et de mutilation, nous renvoie aux représentations archaïques de la vengeance, « œil pour œil, dent pour dent », et s’inscrit dans la droite ligne des déclarations de Mme Le Pen, nostalgique de la peine de mort, qui prône la « castration de la tête ». Quand on cherche les voix de l’extrême droite, il faut bien flirter avec certaines de ses idées ! (Mmes Françoise Henneron et Janine Rozier s’exclament.)
M. Christian Cointat. Vous ne croyez pas que c’est un peu gros, ce vous dites ?
Mme Raymonde Le Texier. C’est en tout cas ce que je dis !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais vous n’avez pas suivi les débats !
Mme Raymonde Le Texier. Si vous récupérez complaisamment cette expression de « castration chimique » et si vous tentez de l’atténuer en parlant, à contre-courant, de « traitement anti-hormonal », tant l’affaire a choqué, y compris dans les rangs de la majorité, c’est pour faire délibérément croire à nos concitoyens que le problème des agressions sexuelles sera ainsi définitivement réglé.
Donner au peuple ce qu’il veut croire, même si c’est faux…Voilà une nouvelle imposture de taille !
D’une part, toutes les études montrent que ces traitements chimiques n’opèrent que dans une toute petite minorité de cas ; d’autre part, tous les praticiens, tant médicaux que judiciaires, expliquent que le moteur essentiel des agressions sexuelles n’est pas l’acte sexuel en lui-même, mais la souffrance imposée dans la mesure où l’agresseur exprime par là une volonté de domination, une pulsion de destruction. Retirer la capacité sexuelle de ces hommes ne diminuera donc en rien le risque de récidive.
En matière de récidive, notamment pour ce qui est des agressions sexuelles, il n’y a pas de solution miracle, encore moins de pilule miracle. Seuls les longs travaux d’accompagnement humain, de réhabilitation et de réinsertion, méthodes que vous refusez de financer année après année, peuvent aboutir.
Il est en effet plus simple, et plus rentable électoralement, de hurler avec les loups, de feindre de donner aux plus apeurés d’entre nous la réponse rassurante qu’ils souhaitent entendre.
Mmes Janine Rozier et Françoise Henneron. Quelle honte !
Mme Raymonde Le Texier. Mais le rôle des élus que nous sommes n’est-il pas aussi de prendre du recul, d’expliquer, d’avoir, quand c’est nécessaire, le courage de dire non ? Une société sans risque, entièrement sous contrôle, est un pur fantasme qu’il convient de dénoncer comme tel, et non pas d’entretenir comme vous vous plaisez à le faire de loi en loi, afin de justifier votre démagogie sécuritaire.
Reprenant la métaphore du loup, mais du loup prédateur, ce texte affirme qu’à défaut de le tuer, de rétentions de sûreté en traitements, de traitements en fichiers, de fichiers en fichiers, vous allez lui arracher les crocs. C’est faux, vous le savez, et nous le savons. Nous en tirons les conséquences : le groupe socialiste, apparentés et Verts votera donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. En dépit de son titre prometteur et des déclarations des uns ou des autres, ce projet de loi en trompe-l’œil me semble attentatoire aux principes fondamentaux de notre République, qu’on ne saurait trop rappeler : la liberté, l’égalité et la fraternité.
Je serai très curieuse d’évaluer les effets de ce texte dans quelque temps. Malheureusement, les récidives ne seront certainement pas plus contenues, comme nous avons tenté de le démontrer tout au long de ce débat.
En revanche, on aura tenté de faire croire aux Français que des mesures miracles pouvaient mieux les protéger, ou même leur garantir une sécurité absolue… Jusqu’à ce qu’un nouveau fait divers dramatique donne sans doute lieu à un nouveau tour de vis répressif puisque le Gouvernement, qui confond prévention de la délinquance et répression, ne connaît que cette méthode, malgré son évidente inefficacité en matière de sécurité.
En revanche, ce projet de loi met à mal le droit à l’oubli, l’exigence de soins, le travail de responsabilisation des auteurs d’infractions et les outils de réinsertion, qui sont les vrais gages de diminution de la récidive.
Je salue le travail accompli par M. le rapporteur pour améliorer le texte, mais force m’est de constater que, au-delà de la volonté affichée verbalement par le Gouvernement en matière de sécurité, les moyens correspondants aux objectifs proclamés ne sont pas mis en œuvre.
Certes, il faut parfois du courage pour affronter l’opinion publique. Mais être à son écoute ne dispense pas de s’adresser à elle en faisant preuve de sens des responsabilités, de lucidité, de pédagogie et d’honnêteté.
Nous voterons donc contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le débat dans cet hémicycle a été d’une autre tenue qu’à l’Assemblée nationale. Entre-temps, la fièvre médiatique était retombée et le travail du rapporteur, suivi par la majorité de la commission des lois, a permis d’atténuer les surenchères de certains députés. Il est d’ailleurs un peu préoccupant de constater que de telles dispositions avaient été votées par la majorité à l’Assemblée nationale…
Le fond demeure néanmoins. Ce texte vise clairement à contourner l’avis du Conseil constitutionnel et à étendre rapidement l’application de la rétention de sûreté, autrement dit l’enfermement après une peine de prison généralement longue.
Appendice de la loi du 25 février 2008, ce texte est fondé sur la notion de « dangerosité criminelle », à laquelle on est tenté d’attribuer une valeur scientifique, alors que, chacun le sait, il n’en a aucune.
S’il n’y a pas eu, au Sénat, de dérapages à propos des traitements inhibiteurs de libido, ce texte n’en accrédite pas moins l’idée, illusoire, qu’il existe des remèdes absolus. Et si jamais les intéressés refusent de s’y soumettre, il n’y a plus qu’une seule solution : l’enfermement à vie… ou peut-être pire la prochaine fois !
Il est insupportable d’être ainsi sommé, comme législateur, d’élaborer quasiment une nouvelle loi après chaque acte criminel dramatique. J’ai d’ailleurs précisé d’emblée qu’il s’agissait pour moi d’une raison suffisante de voter contre ce texte.
En effet, avant même la loi de 2008, notre arsenal juridique comportait déjà bien des possibilités de répondre au problème des personnes qui, après avoir purgé leur peine de prison, éprouvent des difficultés pour se réinsérer. Je pense notamment au suivi socio-judiciaire. Or, vous le savez comme nous, ces dispositions ne sont pas correctement appliquées, faute de moyens : les médecins coordonnateurs sont insuffisamment nombreux, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, démunis, la psychiatrie publique, sinistrée, etc.
Année après année, le Parlement est condamné à voter des lois comportant des injonctions de surveiller, de soigner et de suivre les personnes criminelles dangereuses, tout en sachant pertinemment que les moyens financiers feront toujours défaut. Nous ne pouvons l’accepter ! À moins que le but ultime ne soit l’adoption d’une loi qui irait directement à la case finale, celle de la relégation définitive. Ce serait très grave, et nous craignons malheureusement qu’on n’en arrive là.
Avant de voter contre ce texte, je demande à la majorité et au Gouvernement d’évaluer les insuffisances actuelles de la prise en charge des personnes susceptibles de récidiver et de se donner effectivement les moyens d’une politique de prévention. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.