M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la commission de l’économie, que je représente, a souhaité se saisir de ce texte pour deux raisons.
D’abord, l’emprunt national est un instrument de politique économique et industrielle. Ensuite, trois des cinq priorités entrent directement dans son périmètre de compétence.
L’emprunt national est un instrument de politique économique assez exceptionnel. En effet, la crise n’est pas une simple transition conjoncturelle dans un cycle économique banal. C’est, au contraire, une vraie rupture structurelle, en ce sens qu’il y aura un avant et un après.
Avant, la croissance a été artificiellement dopée par le crédit. Après, elle sera voisine de ce que l’on appelle la croissance potentielle.
Or l’analyse économique nous apprend que cette dernière n’a que deux facteurs déterminants : la démographie, variable sur laquelle nous avons peu de prise à moyen terme, et, surtout, la productivité, qui est un vrai sujet de politique économique sur lequel on peut avoir prise en incorporant toujours plus d’innovations au moyen d’investissements.
La chaîne causale que l’on cherche donc à renforcer est la suivante : recherche - innovation - investissement – productivité – croissance, notamment croissance potentielle.
Si nous ne faisons rien, la France court plusieurs risques.
D’abord, dans notre pays, nous avons du mal à convertir l’excellence de notre recherche en succès économique. De l’autre côté du Rhin, l’Allemagne dépose, par million d’habitants, soixante brevets triadiques par an, alors que nous n’en déposons que quarante en France !
Surtout, notre investissement, tant public que privé, souffre d’une grande faiblesse, ce qui écrase tendanciellement la croissance potentielle que nous pouvons attendre dans les prochaines années.
Toute la philosophie de l’emprunt national est précisément d’accrocher un nouveau modèle économique, plus vertueux, moins dépendant des énergies fossiles et davantage tourné vers la connaissance.
Si la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire partage les objectifs du Gouvernement sur le grand emprunt, elle souhaite formuler trois propositions pour améliorer la méthode de gestion.
La première proposition, évoquée tant par M. Philippe Marini que par M. Jean-Claude Etienne, concerne la gouvernance. Pour faire contrepoids, si j’ose dire, à ce qui ressemble furieusement à une procédure de débudgétisation, nous souhaitons renforcer le contrôle parlementaire et mieux répartir les compétences entre le commissaire général et le comité de surveillance.
Je suis donc très heureux que, à cette fin, la commission des finances, la commission de la culture et la commission de l’économie se soient entendues pour proposer un amendement commun.
Ensuite, deuxième proposition, parce que les cinq priorités comportent des sujets transversaux - les pôles de compétitivité ou les réseaux intelligents ressortissent à trois ou quatre priorités - il est par conséquent nécessaire d’avoir une gestion la plus transversale possible.
Enfin, troisième et dernière proposition, si les appels à projets pour les opérateurs sont sans doute une très bonne méthode, c’est à la condition toutefois qu’ils soient conçus pour profiter à notre tissu industriel ou économique non seulement de petites et moyennes entreprises, mais aussi d’entreprises de taille intermédiaire.
En effet, si nous souhaitons que les bienfaits de l’emprunt national « percolent » l’ensemble du tissu économique, si vous me permettez cette image, les appels à projets ne devront pas systématiquement écarter les petites et moyennes entreprises. Au contraire, ces dernières devront bénéficier tant des recherches, de l’innovation que des investissements.
Au total, le grand emprunt donnera lieu à des investissements d’avenir concentrés sur cinq priorités, dont trois concernent la commission de l’économie : la filière industrielle et les PME, le développement durable et le numérique.
S’agissant de l’industrie et des PME, vous le savez, monsieur le ministre, l’un des problèmes récurrents de notre économie est la difficulté qu’ont nos PME à croître. Elles sont en effet arrêtées par ce que l’on appelle un « plafond de verre », l’un des problèmes les plus importants étant pour nos entreprises la difficulté à se financer.
J’attire votre attention sur le fait que, contrairement à ce que l’on peut penser, l’année 2010 sera sans doute encore plus dure que l’année 2009 pour les financements des petites entreprises. En effet, elles vont transmettre à leur banque des bilans beaucoup plus détériorés que ceux de l’année précédente. Il est donc capital de conforter l’accès de nos PME aux différentes sources de financement.
De ce point de vue, la création d’un fonds national d’amorçage, richement doté, géré par le Fonds stratégique d’investissement, FSI, ou encore le renforcement d’Oséo, aussi bien en fonds propres qu’en prêts, sont de très bonnes nouvelles pour nos PME.
Monsieur le ministre, au sein de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, nous nous sommes interrogés pour savoir s’il n’était pas possible d’adopter une répartition différente pour Oséo entre les 500 millions d’euros en fonds propres et le milliard d’euros en prêts. Des fonds propres plus importants auraient sans doute permis de créer un effet de levier meilleur pour nos entreprises.
Mais peu importe ; l’important est que ces entreprises-là aient un accès aux financements facilité.
Nous approuvons aussi, bien sûr, le soutien aux pôles de compétitivité, qui sont des instruments essentiels et, surtout, très efficaces pour valoriser nos efforts de recherche et dynamiser nos territoires.
Enfin, preuve que les cloisons ne doivent pas être étanches, les actions de soutien à l’industrie, qui seront déterminées notamment par les états généraux de l’industrie, se feront essentiellement par des prêts verts bonifiés pour améliorer la performance environnementale en termes tant de process que de produit.
De même, le programme « véhicule du futur », qui concernera aussi bien l’avion que l’automobile, le train ou encore le navire, participe à ce décloisonnement. Il a pour objet de développer des nouvelles technologies de mobilités plus propres, puisque le secteur des transports est aujourd’hui le premier émetteur de gaz à effet de serre en France.
Il existe donc entre les différentes priorités non pas une quelconque contradiction, mais une assez grande cohérence au contraire. J’en prendrai pour preuve le Centre national d’études spatiales, le CNES, qui est un exemple caractéristique de cette ambivalence économique et écologique.
D’un côté, investir dans le CNES, donc dans les études spatiales, c’est susciter un effet de levier maximal, le facteur étant de un à dix-neuf pour les retombées économiques.
D’un autre côté, la nouvelle génération de satellites nous permettra, depuis l’espace, de mieux surveiller la planète, les changements climatiques, notamment les émissions de gaz à effet de serre, avec MicroCarb, ou le programme CHARME pour les émissions de méthane.
C’est la preuve qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre développement économique et respect de l’environnement.
Une deuxième priorité concerne le développement durable, qui absorbera 5 milliards d’euros.
Quatre axes ont été retenus : les énergies renouvelables, le « nucléaire de demain », les transports et l’urbanisme durable, et, enfin, la rénovation thermique des bâtiments, c'est-à-dire 40 % de la consommation d’énergie nationale, ce qui permettra de lutter contre la précarité énergétique pour les foyers les moins favorisés ; 500 millions d’euros y seront consacrés.
Le numérique est la troisième priorité.
Investir dans le numérique, c’est investir pour l’avenir. C’est typiquement un secteur dont l’action systématique se diffusera dans l’ensemble de l’économie.
Déjà le numérique génère 40 % des gains de productivité et plus du quart de notre croissance annuelle. Non seulement c’est un démultiplicateur de productivité et un accélérateur de croissance, mais c’est aussi un facteur déterminant d’économie d’énergie. En apportant de l’intelligence au cœur des réseaux d’électricité notamment, nous pourrons, demain, diminuer sensiblement les émissions de gaz à effet de serre.
Ce sont 4,5 milliards d’euros qui seront consacrés au numérique, avec 2 milliards d’euros pour le déploiement des réseaux à très haut débit en dehors des zones denses, dont le financement du projet MegaSat, et 2,5 milliards d’euros pour le développement des contenus et des usages. J’attire votre attention notamment sur « l’informatique en nuages », mes chers collègues, qui permettra à nos entreprises, et pas seulement les grandes, un accès à des puissances de calcul dont elles ne pourraient pas disposer seules.
C’est capital, demain, pour l’économie de la connaissance et pour le tissu de nos petites entreprises. C’est aussi une question de souveraineté numérique nationale. En effet, les grands centres de calcul sont aujourd’hui monopolisés par de grandes entreprises, notamment américaines : Amazon, Google...
Si, demain, nous disposons de centrales de calcul et maîtrisons l’informatique en nuages sur le sol national, ne doutons pas qu’en matière de sécurité de nos réseaux, de mutualisation des ressources informatiques, notamment numériques, nous améliorerons considérablement la performance de notre économie.
Monsieur le ministre, je terminerai par quelques questions et remarques qui concernent justement le déploiement du réseau.
Les sommes qui seront consacrées au numérique vont transiter par ce que vous appelez le Fonds national pour la société numérique, ou FSN. Or, par la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, nous avions créé un fonds d’aménagement numérique des territoires avec des règles de gestion destinées à garantir le déploiement du très haut débit en milieu rural.
Mme Nathalie Goulet. Très juste !
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Il serait judicieux, et assez naturel, que la subvention de 750 millions d’euros consacrée à la troisième zone, la moins dense et la plus rurale, transite par ce fonds d’aménagement numérique et obéisse à ses règles de gestion.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Par ailleurs, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet avait annoncé il y a un an une enveloppe de 750 millions d’euros gérés par la Caisse des dépôts et consignations pour des prêts en coïnvestissements en zone intermédiaire, c’est-à-dire en zone moyennement dense. Qu’en est-il de cette somme ? Y aurait-il eu comme un tour de passe-passe, une substitution entre les deux annonces ?
Bien entendu, le très haut débit est un grand chantier national. Même si je me félicite que l’État, pour la première fois, intervienne lourdement dans le financement des réseaux numériques, je pense que nous n’épuiserons pas le débat avec l’enveloppe de 750 millions d’euros de subventions destinée aux zones très rurales et l’intervention du FSN sous forme de prêts, à hauteur de un milliard d’euros. Il faudra prévoir, dans le futur, des financements plus pérennes, et pas forcément budgétaires, car d’autres moyens existent.
Enfin, l’objectif d’offrir le très haut débit à 70 % de la population dans les dix ans à venir me paraît insuffisant. Il serait préférable de se fixer comme objectif à la même échéance une couverture de 100 % de la population, et pas uniquement par la fibre optique. En effet, on ne pourra pas installer partout la fibre optique, car cela coûterait trop cher. Le déploiement du très haut débit sera donc multimodal. Dans les zones les plus denses, la préférence ira bien sûr à la fibre optique. Ailleurs, on aura recours au satellite et à la quatrième génération de mobile, notamment grâce au dividende numérique.
Mes chers collègues, la commission de l'économie approuve ce projet de loi de finances rectificative. Elle se réjouit que l’État investisse pour préparer la France de demain. À nous de ne pas subir l’avenir, mais, au contraire, de le construire ! (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, certains esprits chagrins pourraient dire que les années se suivent et se ressemblent ! Nous avions entamé en effet l’exercice 2009 avec un collectif budgétaire, alors que l’encre de la loi de finances initiale n’était pas encore sèche. Nous voici de nouveau, en ces premiers jours de 2010, avec un premier projet de loi de finances rectificative, qui pourrait en annoncer d’autres…
Cependant, en ce qu’il actualise notre taux de croissance, qui passe de 0,75 % en loi de finances initiale à 1,4 %, le présent collectif budgétaire est porteur d’une bonne nouvelle, qui peut sans doute nous laisser espérer, dès l’année prochaine, un retour à un calendrier plus classique pour l’examen des lois de finances.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre, ces perspectives de progression de la richesse nationale nous placent, avec l’Allemagne, dans le peloton de tête des pays bénéficiant de la reprise la plus marquée, alors que le FMI prévoit une croissance de 1 % seulement du PIB de la zone euro en 2010.
Voilà un an, la crise économique, née des graves défaillances du système financier mondial, menaçait les équilibres sociaux de notre pays et portait en germe la ruine de notre pacte républicain.
Si la reprise se confirme aujourd’hui, nous le devons notamment à l’action énergique du Gouvernement, qui a su agir avec discernement et célérité, d’abord pour rompre la paralysie qui menaçait le système bancaire et, donc, le financement de l’économie, ensuite pour donner un coup de fouet indispensable à l’activité économique au travers du plan de relance.
Ce redémarrage, pour incontestable qu’il soit, ne doit cependant pas occulter deux constats.
Le premier, c’est que les mécanismes à l’origine de la très grave crise que nous venons de traverser seront de nouveau à l’œuvre si la communauté internationale ne parvient pas à parler d’une seule voix sur les sujets de la régulation et de la supervision des activités bancaires et financières.
Le second, c’est que le redémarrage de notre économie ne doit pas être une excuse pour ne pas s’attaquer aux handicaps qui l’affectent et qui nous rendent moins compétitifs que nos partenaires dans le cadre d’une économie mondialisée.
À sa manière, le présent collectif, qui instaure une taxation des bonus des professionnels des marchés financiers et fixe les modalités d’un grand emprunt supposé financer les « dépenses d’avenir », tente d’apporter des réponses sur ces deux terrains. Sont-elles convaincantes ? Vous me permettrez d’exprimer mes interrogations et mes doutes à ce sujet.
En ce qui concerne la taxation des bonus, l’examen des amendements nous permettra d’expliquer la position de la commission des finances, qui soutient le schéma adopté par l’Assemblée nationale, et d’insister sur la prudence nécessaire pour ne pas désavantager la place de Paris dans la compétition à laquelle elle est soumise.
Nous approuvons sans réserve l’affectation du produit de la taxe à Oséo, ce qui permettra de réduire le déficit budgétaire de près de 300 millions d’euros, tout en contribuant au soutien des PME, qui en ont tant besoin pour surmonter la crise, aller de l’avant en matière de recherche et développement et créer des emplois pérennes.
Par ailleurs, il est indispensable de soumettre l’ensemble de la chaîne décisionnelle et du contrôle à cette taxe, en incluant les responsables hiérarchiques des opérateurs des salles de marché. À cette condition, le dispositif me semble parfaitement lisible : il établit un lien très clair entre la prise de risques par les banques et l’obligation qui leur est faite de participer au rétablissement du fonctionnement normal de notre économie, qui passe par le renforcement des fonds dont disposent nos petites et moyennes entreprises.
Je conclurai sur ce point en exprimant cependant une inquiétude : la France - c’est tout à son honneur – s’est incontestablement placée à la pointe du combat pour un meilleur encadrement des rémunérations au sein du milieu bancaire. Or ce combat n’aura de sens que si nos partenaires nous suivent. Par ailleurs, la question des rémunérations, si sensible, car elle touche à notre conception de la justice sociale, n’est pas épuisée par la taxation des bonus. D’autres rendez-vous nous attendent, concernant notamment les retraites chapeau. Certes, ce sujet n’a pas sa place ici, …
Mme Nicole Bricq. Ah bon ? On se demande pourquoi !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … mais nous en reparlerons.
J’en viens à l’emprunt national.
J’ai eu l’occasion de le dire ici, à cette tribune, dès la fin de l’année dernière, il ne m’aurait pas paru possible de voter un dispositif qui aurait creusé encore de plusieurs dizaines de milliards d’euros l’endettement déjà colossal de notre pays, alors que nous avons l’ardente obligation de rétablir des finances publiques excessivement dégradées.
Par un habile procédé, monsieur le ministre du budget et des comptes publics, vous parvenez à accroître le déficit d’une trentaine de milliards d’euros, sans recourir à la dette ! Je vous adresse, à ce titre, toutes mes félicitations ! (Sourires.)
Le Gouvernement nous annonce un grand emprunt de 35 milliards d’euros. Je voterai ce dispositif, sans avoir à me déjuger ni renier mes critiques. En effet, cet emprunt est, je n’hésite pas le dire, une illusion budgétaire, un « trompe-l’œil », au sens littéral du terme.
M. Jean-Pierre Chevènement. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je salue à cet égard la subtilité du concept novateur de « fonds non consomptibles »…
Certes, par ce collectif, le déficit doit formellement passer de 117,4 milliards d’euros, chiffre adopté en loi de finances initiale, à 149 milliards d’euros. Cependant, près de la moitié du grand emprunt, soit 16 milliards d’euros environ, est fléchée vers la mission « Recherche et enseignement supérieur ». Ces fonds sont « non consomptibles » : seuls les revenus procurés par leur dépôt au Trésor pourront être dépensés. Le versement aux opérateurs du solde, c'est-à-dire des 19 milliards d’euros restants, sera étalé dans le temps. En conséquence, la dette de l’État ne serait accrue que de 5 milliards d’euros cette année. Encore le commissaire général à l’investissement, René Ricol, a-t-il reconnu devant la commission des finances que les décaissements effectifs ne seraient sans doute pas supérieurs à 2 ou 3 milliards d’euros en 2010.
De 35 milliards d’euros à 2 milliards d’euros, les ordres de grandeur, vous en conviendrez, mes chers collègues, ne sont pas les mêmes ! Restent les apparences offertes aux Français…
En définitive, cette opération revient, d’une certaine façon, à substituer une dette à moyen et long terme à une dette à court terme dont le poids relatif s’était considérablement accru ces derniers mois, notre collègue Jean-Pierre Fourcade l’a excellemment démontré ici même. Vous l’avez compris, mes chers collègues, je ne m’opposerai donc pas à cet emprunt national.
Pour le reste, je partage l’idée selon laquelle nous devons faire preuve tout à la fois d’exigence dans la sélection des projets, afin de maximiser leur impact sur la croissance, et de vigilance s’agissant de la gouvernance du grand emprunt. Celui-ci, en effet, n’est pas seulement une illusion : il s’analyse aussi comme une débudgétisation, qui nous contraint à définir les voies et moyens d’un contrôle efficace du Parlement, conformément à l’esprit de la loi organique relative aux lois de finances.
Les amendements déposés par la commission des finances ont pour objet de nous permettre d’exercer pleinement nos prérogatives en ce domaine. Je voudrais assurer à cet égard nos deux collègues rapporteurs pour avis respectivement de la commission de la culture et de la commission de l’économie que la commission des finances ne jouit d’aucune prééminence en ce domaine ! Toutes les commissions permanentes et, bien sûr, tous les sénateurs sont impliqués dans cette véritable mobilisation générale pour le contrôle.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Oui !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Au moment de conclure, je voudrais vous rappeler, monsieur le ministre, mes chers collègues, que d’autres échéances, ô combien plus décisives, nous attendent ! Je pense, bien sûr, à la contribution carbone, dont nous débattrons dans les semaines à venir.
Sur ce sujet, pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, quel sera le véhicule législatif utilisé pour introduire la nouvelle version de cette taxe ? Aurez-vous recours à un projet de loi de finances rectificative ou bien à un « simple » projet de loi ?
Je pense aussi à la clause de rendez-vous que nous avons adoptée dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle.
Ces deux dossiers devront être réglés avant l’été.
Au-delà, je songe surtout à la loi de programmation des finances publiques, qui devra traduire notre engagement, pris auprès des instances communautaires, de supprimer, à l’horizon 2013, un déficit devenu excessif. Et l’exercice ne sera pas aisé, monsieur le ministre ! J’étais présent lors de la conférence nationale sur les déficits publics du 28 janvier dernier et j’ai pris bonne note des chantiers ouverts par le Président de la République. J’ai également retenu que des efforts considérables devront être accomplis pour freiner l’évolution de nos charges.
J’inscrirai mes propos dans la continuité de ceux qui ont été tenus par M. le rapporteur général, pour appeler le Gouvernement à la plus grande prudence sur ce terrain.
Ayons toujours à l’esprit l’obligation qui est la nôtre de défendre la crédibilité de notre pays à l’égard de nos partenaires. Nous ne nous en sortirons pas une nouvelle fois en fixant une norme d’évolution de la dépense publique que nous nous empresserons de ne pas respecter au premier incident de parcours venu.
Cela implique d’abord d’opérer des choix, et tous n’ont pas encore été faits au moment où je parle. Cela impose aussi de piloter, et non plus de subir, comme c’est trop souvent le cas, la dépense publique. Pour ce faire, il nous faut disposer des instruments susceptibles d’en infléchir les évolutions au fil de l’eau. Dès les prochains mois, et même les prochaines semaines, nous ouvrirons ce débat.
Dans cette attente, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent collectif budgétaire, sous réserve du vote de quelques compléments et adaptations que vous a présentés à l’instant M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Organisation des débats
M. Éric Woerth, ministre. Madame la présidente, en vertu de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, le Gouvernement souhaite réserver la discussion de l’article 1er, qui est relatif aux bonus des traders. En effet, Mme Lagarde étant retenue à l’Eurogroupe cet après-midi, elle ne pourra être présente que demain, à partir de quatorze heures trente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Favorable.
Mme la présidente. Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’étais de ceux qui trouvaient que le grand emprunt était une bonne idée.
M. Nicolas About. Cela commence bien ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Les Français épargnent beaucoup, notre économie est stagnante et s’est installée depuis plus de trois décennies dans un chômage de masse désespérant pour la jeunesse. Notre pays se désindustrialise, les délocalisations industrielles frappent beaucoup plus l’emploi que ne le prétendent des économistes myopes ou des faiseurs de rapport aux ordres, car pour évaluer leur impact, il faut prendre en compte les emplois que nos entreprises suppriment en France ou tout simplement ne créent pas, au regard de ceux dont elles permettent en revanche la création à l’étranger, notamment dans les pays à bas coût.
C’est vraiment se moquer du monde que de soutenir, comme l’a fait le Conseil d’analyse économique dans un récent rapport à Mme Idrac, que l’implantation de nos entreprises à l’étranger aurait un impact positif sur l’emploi en France, alors que l’économie française a détruit 470 000 emplois en 2009 !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est vraiment nous prendre pour des imbéciles !
Monsieur le ministre, vous savez bien que les entreprises du CAC 40 n’ont pas créé un seul emploi en France depuis cinq ans. L’État est pour elles aux petits soins. Nos multinationales ont évidemment leur logique : elles veulent profiter des très bas coûts salariaux et s’installer là où elles supputent la plus forte croissance dans les années à venir. Mais cette logique est mortifère pour l’économie française : elle contribue à la désindustrialisation et au tassement de notre croissance.
On ne s’en sortira pas sans un investissement massif, à la fois public et privé. Sinon, nous ne pourrons pas offrir, demain, des emplois dignes de ce nom à notre jeunesse. Voilà pourquoi, a priori, le grand emprunt me paraissait une bonne idée, celui-ci étant le moyen de mobiliser l’épargne française au service de l’investissement, de la croissance et de l’emploi en France.
Et puis il y a eu le rapport de MM. Juppé et Rocard et la transposition que vous en faites, à travers l’article 4 de ce projet de loi de finances rectificative.
J’avais souhaité un grand emprunt à hauteur de 60 milliards d’euros, soit trois points de PIB ; or vous nous offrez 22 milliards d’euros, soit un point de PIB, puisque 17 milliards d’euros proviennent du remboursement par les banques des fonds publics qui leur avaient été alloués. C’est pour moi un premier motif de déception, mais ce n’est pas le seul !
Naïvement, je m’étais demandé comment vous alliez rendre compatible cet effort, si modeste soit-il, avec les engagements que vous avez pris à Bruxelles de réduire le déficit budgétaire d’ici à 2013 de cinq points de PIB, c’est-à-dire 100 milliards d’euros. Vous-même, monsieur le ministre, avez réclamé 50 milliards d’euros d’économies budgétaires. Cette cure d’austérité va frapper d’abord les couches populaires et moyennes.
La réponse à ma naïve question est simple : ayant étudié votre texte, j’ai compris que le grand emprunt est fait pour n’être pas consommé ! Je souscris là entièrement aux propos qu’a tenus M. le président de la commission, même si je n’en tire pas tout à fait les mêmes conclusions. Tel est l’objet des mécanismes passablement opaques que vous nous proposez.
Ce grand emprunt ne sera donc qu’une usine à gaz de plus…
M. Nicolas About. Sans gaz ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. … et ne contribuera guère à la compétitivité de l’économie française !
M. le rapporteur général l’a d’ailleurs fait observer.
D’abord, il y a trop de dépenses « non consomptibles », ou non consommables, pour parler clair : 16 milliards d’euros sur 35 ! Que feront les dix universités heureusement élues des 5 milliards d’euros de dotations du Plan campus ? Seuls les intérêts produits seront disponibles pour ces universités ! Et pour quoi faire ? Pour acquitter les redevances annuelles des futurs partenariats public-privé qui seront mis en œuvre pour rénover le patrimoine immobilier universitaire !
Monsieur le ministre, on aurait pu imaginer procédure plus rapide et plus efficace pour retaper les amphis !
Tout se passe comme si l’État, à travers le grand emprunt, était appelé à financer le capital des fondations d’université pour compenser la ladrerie légendaire des grandes entreprises françaises.
Une seule exception : le milliard d’euros versé au plateau de Saclay, sur lequel, comme l’a remarqué M. Étienne, se concentrent et se concentreront à l’avenir beaucoup de moyens.
Une même procédure lente et inefficace se retrouve pour les cinq à dix campus dits « d’excellence ». L’Agence nationale de la recherche gardera et placera la dotation de 5,9 milliards et ces campus percevront seulement le revenu de ce placement.
Le même schéma se retrouve encore pour le fonds de valorisation de la recherche – 1 milliard d’euros non consomptibles –, les instituts Carnot – 500 millions d’euros non consomptibles – et les instituts de recherche technologique – 2 milliards d’euros consomptibles dans la limite de 25 %.
Le Gouvernement a été très soucieux de fixer des règles qui empêchent la dépense publique. Quelle en est la raison ? Ne s’agirait-il pas d’une raison « maastrichtienne », c’est-à-dire en fait une raison très déraisonnable, au moment où l’ensemble des critères de Maastricht explosent dans tous les domaines : prohibition des aides d’État, limitation de la dette, du déficit budgétaire, absence de politique de change. Voyez le système de l’euro, dont les cours sont chahutés par la situation de la Grèce, pays malheureux autour duquel les marchés financiers ont entamé la danse du scalp !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il l’a quand même bien cherché ! Ce n’est pas un pays budgétairement très vertueux !
M. Jean-Pierre Chevènement. La Grèce fut autrefois la patrie de mathématiciens ; c’est sans doute pourquoi les Grecs excellent aujourd’hui dans l’art de jouer avec les statistiques ! (Sourires.) Cela étant, monsieur le rapporteur général, le déficit de ce pays n’est pas plus important, relativement, que celui des États-Unis ou du Royaume-Uni. À en juger pas votre mine qui s’allonge, j’en déduis que vous ne me contredirez pas !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La Grèce a un poids moindre !
M. Jean-Pierre Chevènement. La raison du plus fort est évidemment toujours la meilleure !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Toujours !
Mme Nathalie Goulet. Timeo Danaos… (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Donc, tout cela à seule fin de constituer des « actifs » pour l’État, promesse de l’étalement prolongé dans la durée du plan dit « d’investissement » !
Pour ce qui est des dépenses consomptibles – 19 milliards d’euros –, la procédure consiste à doter des opérateurs de premier rang qui sélectionneront à leur tour les projets d’opérateurs de second rang, en fonction de cahiers des charges établis par le commissaire général à l’investissement, M. Ricol, assisté par la commission Juppé-Rocard.
Là encore, vous ne faites pas dans la simplicité, et la dépense a vocation à être étalée sur plusieurs années. Quel sera le rôle du commissaire général à l’investissement ? Non pas de veiller à l’accélération de l’investissement, comme l’intitulé de sa fonction pourrait le laisser croire, mais de s’assurer de la régularité de la procédure sous le contrôle du Gouvernement. D’ailleurs, pourquoi ne pas l’avoir placé sous l’autorité du ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance?
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
L’étalement sur plusieurs années des fonds consomptibles du grand emprunt se fera sous le contrôle de la commission Juppé-Rocard et, en dernier ressort, de l’État. On peut se demander si le grand emprunt ne sera pas une poire pour la soif très opportune dans les temps de grande disette budgétaire que vous nous promettez.
On le voit, la montagne du grand emprunt aura ainsi accouché d’une souris !
Soit dit en passant, monsieur le ministre, il n’est pas possible de laisser dans le flou les conditions dans lesquelles les fonds mobilisés pour le grand emprunt seront dépensés. Il ne suffit pas d’un « jaune » budgétaire publié chaque année sous la responsabilité conjointe du commissaire général à l’investissement et d’une commission Juppé-Rocard ! C’est une curieuse idée que de mélanger ainsi les fonctions de proposition, de décision et d’évaluation. Quelle garantie nous donnez-vous d’un minimum d’impartialité de l’État ?
M. Michel Charasse. Tout cela est-il bien constitutionnel ?
M. Jean-Pierre Chevènement. Je ferai une autre observation au sujet du choix des affectations : tout va vers la recherche et l’enseignement supérieur, mais ces crédits ne seront pas consommés.
Mme Nathalie Goulet. Il n’y a rien de plus triste que quelque chose qui n’est pas consommé ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Je n’en dirai pas trop de mal, ayant moi-même été ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur. Les pôles et les thématiques d’excellence font florès, mais, comme le relève fort justement M. le rapporteur général, quand l’excellence est partout, elle risque de n’être nulle part.
On voit bien où seront les bénéficiaires : dans les grandes métropoles, là où sont concentrés les cadres supérieurs. Bref, c’est de la redistribution à rebours !
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. Je croyais que le grand emprunt allait doper la compétitivité de notre pays. En réalité, M. le rapporteur général chiffre à 0,1 % du PIB l’accroissement de compétitivité qu’il permettrait. Et cet effet sera infinitésimal après 2014.
Ce grand emprunt aurait pu être le moyen de stopper la désindustrialisation accélérée du pays. On annonce 185 millions d’euros d’avances remboursables pour une « relocalisation compétitive d’entreprises industrielles » à la suite des états généraux de l’industrie, convoqués à grands sons de trompe par le Président de la République en octobre dernier. Mais tout cela, c’est de la rigolade ! On croit rêver ! C’est vraiment l’Himalaya accouchant d’un souriceau !
M. Michel Charasse. Un souriceau sauvageon ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, ce n’est pas ainsi que l’on va enrayer la désindustrialisation ! Celle-ci, en effet, a d’autres causes : ce sont les règles du jeu biaisées que nos dirigeants ont acceptées depuis plus de deux décennies, la libération totale des capitaux, y compris à l’égard des pays tiers, l’ouverture incontrôlée du marché européen, le démantèlement, au nom de la concurrence, des politiques industrielles, le choix d’une monnaie surévaluée.
Ces règles du jeu conduisent évidemment nos grandes firmes à localiser leurs investissements à l’étranger. Cela étant, je ne veux pas crier haro sur nos multinationales, car qui pose les règles du jeu, sinon vous, monsieur le ministre.
Nous ne prenons pas le chemin du redressement, mais nous nous coulons dans le moule de règles nocives. J’aurais aimé pouvoir applaudir à cette initiative, en faveur de laquelle je m’étais d’ailleurs prononcé.
M. Nicolas About. Lâchez-vous ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais, monsieur le ministre, votre grand emprunt risque bien de rester comme une grande illusion. M. le président de la commission des finances l’a dit avant moi.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Une illusion budgétaire !
M. Jean-Pierre Chevènement. Hélas, n’est pas Renoir qui veut ! Cette tuyauterie complexe est certes une œuvre, mais une œuvre de bureaucrates dont l’art suprême consiste à contourner les règles désormais caduques posées jadis par le traité de Maastricht. Plus que le chef-d’œuvre cinématographique de Renoir, leur art évoque ces grandes structures de ferraille tordue à travers lesquelles les plasticiens contemporains nous donnent à contempler… l’infini du vide ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.