M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … mais vous n’avez jamais voulu modifier le découpage malgré les injonctions du Conseil constitutionnel et l’obligation que faisait peser la loi après chaque recensement, notamment en 1999 sous le gouvernement Rocard et en 2000 sous le gouvernement Jospin ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bernard Frimat. Vous vous répétez !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le découpage de 1986, que vous détestiez tant, vous a tout de même beaucoup servi. En 1988, vous avez immédiatement été élus, alors que vous racontiez déjà que le redécoupage avantageait la droite au détriment de la gauche !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Votre collègue député Bruno Le Roux a déjà tenté, lors des débats à l’Assemblée nationale, de justifier cette affirmation.

Je ne peux que vous renvoyer à la réponse que je lui ai faite il y a maintenant trois mois : ses opérations arithmétiques mélangeaient le premier et le second tour, ce qui représente une très forte approximation, c’est le moins que l’on puisse dire, dans les 109 circonscriptions ayant élu un candidat de la majorité dès le premier tour.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est un scrutin à deux tours !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Les calculs sont faux parce qu’ils mélangent des choux et des carottes !

M. David Assouline. Ce ne sont pas des choux et des carottes !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. En matière électorale, on ne peut pas tout mêler !

Faut-il rappeler que la même affirmation avait été énoncée en 1986, ce qui n’a pas empêché la gauche de remporter les élections législatives deux années plus tard ?

Mme Françoise Laborde, comme M. Frimat, a évoqué en particulier la méthode de la tranche.

Il s’agit d’une méthode traditionnellement utilisée dans notre pays depuis la fin du XIXe siècle.

M. Bernard Frimat. Vous vous payez notre tranche ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Elle a été utilisée – il ne faut pas avoir la mémoire courte – en 1985, à l’époque où M. Fabius était Premier ministre, Mme Aubry était auprès de François Mitterrand à l’Élysée et M. Joxe au ministère de l’intérieur. Cette méthode, qui avait fait l’objet d’un consensus, avait alors été qualifiée par M. Joxe de « mode de répartition le plus simple et le plus compréhensible ». (Plusieurs sénateurs socialistes conversent.) Soyez attentifs lorsque je le cite, cela pourrait vous servir !

J’observe surtout que le choix de cette méthode n’a pas été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 8 janvier 2009.

J’ajoute que si le Gouvernement avait recours à une méthode proportionnelle, à la plus forte moyenne ou au plus fort reste, le nombre de départements qui n’auraient qu’un seul député aurait fortement augmenté, alors qu’il se limite aujourd’hui à deux. Si nous vous avions suivis, nous aurions pénalisé très fortement une douzaine de petits départements ruraux ou semi-ruraux.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je ne pense pas que tel soit l’objectif visé par le Sénat.

Je vous remercie, madame le sénateur, de l’honnêteté de votre intervention et de la référence au découpage en Haute-Garonne, qui était difficile puisqu’on créait deux sièges de circonscription supplémentaires compte tenu de l’évolution démographique dans ce très gros département. Il n’y a pas eu le moindre reproche sérieux adressé au découpage dans ce département.

Je remercie également Mme Catherine Troendle de son excellente intervention (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),…

M. Pierre-Yves Collombat. Vous pouvez la remercier, elle a de la vertu !

M. David Assouline. Dix sur dix !

M. Pierre-Yves Collombat. Elle a le sens du sacrifice !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … claire, juste, bien structurée. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.) Je la remercie du soutien qu’elle a apporté au Gouvernement, au nom du groupe UMP.

M. Jean Louis Masson m’a posé une question, mais il n’a apparemment pas eu la courtoisie d’attendre la réponse !

M. Jean-Marc Todeschini. Il va revenir, vous n’en êtes pas débarrassé ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Charles Revet. Il lira le compte rendu des débats !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je tiens à le souligner, les chiffres transmis à la commission de contrôle n’étaient pas erronés.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Nous avons simplement joint aux dossiers des différents départements que nous lui avons transmis les chiffres fournis par l’INSEE pour les cantons entiers, et des estimations des populations des cantons urbains partagés entre plusieurs circonscriptions : nous étions, sur ce point, tributaires des travaux de l’INSEE,…

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … qui avait reçu nos demandes de calcul de ces populations avant la saisine de la commission, mais qui n’a pu y répondre que début juillet, c’est-à-dire avec retard.

Cette contrainte n’a pas concerné que le canton de Metz III, elle a pesé sur tous les cantons urbains partagés – Vallauris, Toulouse, Strasbourg, Saint-Priest, Versailles (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame) –, ainsi que sur certains arrondissements de Paris, comme M. Assouline n’a pas manqué de le signaler.

M. Jean-Marc Todeschini. C’est Metz III que vous avez charcuté !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Il était mentionné dans chaque cas qu’il s’agissait d’estimations, donc de chiffres provisoires.

La commission n’a jamais demandé à être en possession des chiffres définitifs. Ces derniers, dès qu’ils nous ont été fournis par les services de l’INSEE, soit le 2 juillet 2009, ont évidemment été transmis au Conseil d’État, qui a donc disposé des chiffres exacts de population des 577 circonscriptions, qu’elles aient ou non été modifiées. Le Conseil d’État a ainsi été en mesure de vérifier dans chaque cas que la commission avait bien pu rendre un avis qui n’était aucunement biaisé par ces approximations.

C’est en particulier le cas en Moselle où la commission mentionne des chiffres parfaitement exacts correspondant à sa suggestion, sans se référer aux chiffres estimés dont elle disposait.

Le Gouvernement a fourni à la représentation nationale les raisons détaillées – qui sont reprises dans le rapport adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale en première lecture – pour lesquelles il n’avait pas suivi l’avis de la commission pour le département de la Moselle, et ce qu’il s’agisse de ses propositions tendant à réduire les écarts démographiques des circonscriptions extérieures à Metz, dont vous ne parlez jamais,…

M. Jean-Marc Todeschini. On vous a parlé des moyennes ! C’est du charcutage !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … ou de sa suggestion relative aux première et troisième circonscriptions, qui aurait eu pour effet d’aggraver les écarts entre leurs populations respectives. (Sourires.)

Tels sont les éléments de réponse que je puis vous fournir.

M. Jean-Marc Todeschini. Ce ne sont pas des réponses !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je suis désolé que l’on mette en cause les fonctionnaires de l’INSEE. Ils s’en souviendront, d’ailleurs, puisqu’ils sont délocalisés pour partie en Moselle ! (Plusieurs sénateurs socialistes s’esclaffent.)

M. Jean-Marc Todeschini. Ne vous en faites pas, ils sont contents d’être en Moselle ! Ce ne sont pas eux qui ont tripatouillé ! C’est vous qui charcutez !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je ne suis pas certain qu’ils apprécieront la remise en cause de leur travail ! Ce sont eux qui ont fourni les chiffres, lesquels ont été certifiés.

Je souhaite répondre à M. Yung, qui a évoqué les députés représentant les Français de l’étranger.

Nous avons refusé d’en faire des députés à part, élus dans des conditions différentes, avec le risque qu’ils ne soient pas considérés comme des députés ayant le même statut que les autres.

Nous avons également voulu que leurs électeurs, ces Français qui sont installés dans d’autres pays, mais qui restent attachés à la France, puissent s’identifier à leur député, qu’ils le connaissent, qu’ils puissent, le cas échéant, faire appel à lui. Bref, nous avons voulu en faire un député qui les représente véritablement.

J’observe, d’ailleurs, que personne ne porte de critiques sur les sénateurs représentant les Français de l’étranger, qui font excellemment leur travail. C’est même sous la Présidence de François Mitterrand que leur nombre a été porté de six à douze, et nul ne s’étonne qu’ils soient les élus du monde entier, c’est-à-dire de l’ensemble des onze circonscriptions que nous proposons pour les futurs députés !

Concernant ces onze circonscriptions, puisque vous les avez critiquées, je dois aussi rappeler que sept d’entre elles, c’est-à-dire une large majorité, sont issues d’un projet commun, élaboré par les sénateurs de la majorité et de l’opposition : il s’agit des deux circonscriptions d’Amérique, avec le déséquilibre démographique qui les caractérise, de quatre des circonscriptions d’Europe et de la circonscription d’Asie-Océanie, exception faite de la Russie, qui n’en faisait pas partie initialement, mais qui doit lui être ajoutée pour atteindre un nombre minimal d’électeurs.

Je rappellerai une évidence : ces futurs députés vont être élus non pas par les ressortissants des pays qui appartiennent à leur circonscription, mais par les Français qui y résident ! Si des Français sont présents dans tous les pays du monde, quel que soit leur éloignement de la tour Eiffel, n’oublions pas que 80 % d’entre eux vivent dans 25 pays. Ce sont ces pays qui constituent le cœur des onze circonscriptions que nous créons. Je rappelle également que le projet initial du Gouvernement proposait d’attribuer sept circonscriptions aux députés représentant les Français de l’étranger et que le Conseil constitutionnel a porté ce nombre à onze.

N’oublions pas non plus qu’à notre époque les communications sont plus que facilitées : les candidats aux élections législatives dans ces nouvelles circonscriptions, il est vrai parfois très étendues, feront, comme les députés qui y seront élus, appel à ces moyens modernes pour communiquer avec leurs électeurs.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et le bilan carbone ?

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Nous y travaillons d’ailleurs ensemble, monsieur le sénateur, dans des groupes de travail auxquels chacun est associé. (M. Richard Yung s’exclame.)

Ne nous accusez donc pas de tripatouillage à propos de ces onze circonscriptions ! Qui peut dire aujourd’hui comment voteront en 2012 nos compatriotes – ils sont 1 250 000 – installés à l’étranger ?

M. Jean-Marc Todeschini. Vos ordinateurs !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Tels sont les précisions que je voulais vous apporter au terme de la discussion générale. J’apporterai des compléments en répondant aux différentes motions. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – MM. Hervé Maurey et Nicolas About applaudissent également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

(M. Roger Romani remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

Exception d’irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par M. Bel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, ratifiant l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés (n° 219, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais vous exposer cinq arguments tendant à démontrer l’inconstitutionnalité du projet de loi que nous présente le Gouvernement.

Sur le premier argument, je serai succinct, car le Conseil constitutionnel a déjà évoqué la question. Mais je souhaite malgré tout revenir sur la procédure suivie devant la commission dite « de l’article 25 de la Constitution ». En effet, il me semble, monsieur le secrétaire d’État, que cette procédure est archaïque, car le pouvoir en place est toujours juge et partie.

Il existe de nombreux pays, le Royaume-Uni, le Canada, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal et la liste serait encore longue, où l’instance chargée de découper les circonscriptions est réellement indépendante ou totalement pluraliste.

M. Bernard Frimat. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, la France a ratifié le code de bonne conduite électorale établi par la Commission de Venise du Conseil de l’Europe et approuvé par l’Assemblée parlementaire européenne en 2003. Je cite cette instance et ce code qui dispose que l’autorité chargée d’un redécoupage électoral doit tenir compte « d’un avis exprimé par une commission comprenant en majorité des membres indépendants et […] une représentation équilibrée des partis ».

Or, la commission de l’article 25, baptisée du nom de son président, Yves Guéna, comportait six membres. Sur ces six membres, il n’a échappé à personne que trois étaient désignés par des autorités très respectables, issues toutefois du même parti politique, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État…

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. On ne peut pas dire cela !

M. Jean-Pierre Sueur. Je dis la vérité !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Et M. Castagnède !

M. Jean-Pierre Sueur. Si nous éprouvons le plus grand respect pour ces hautes autorités, elles sont néanmoins issues du même parti politique – d’ailleurs, je ne pense pas que l’une ou l’autre d’entre elles le conteste –, même si le président du Sénat représente le Sénat, le président de l’Assemblée nationale, l’Assemblée nationale et le Président de la République, la nation !

Toutefois, le document de la Commission de Venise que je viens de rappeler cite, parmi les membres possibles d’une commission indépendante, des spécialistes du droit électoral, des démographes, des statisticiens. On pourrait aussi imaginer, monsieur le secrétaire d’État, qu’une telle commission fût composée de représentants des différents partis, qui pourraient dans ce cas s’exprimer de manière pluraliste.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le Gouvernement n’a fait qu’appliquer la Constitution ! On ne peut pas revenir sur ce point !

M. Jean-Pierre Sueur. Le Conseil constitutionnel a déjà évoqué cette question, je la cite en quelque sorte pour mémoire, parce qu’il serait important que l’instance en question fût, soit totalement indépendante de toute autorité politique, soit totalement pluraliste.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est-à-dire composée à la proportionnelle !

M. Jean-Pierre Sueur. Voilà !

Mon deuxième argument…

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Déjà, le premier ne tient pas !

M. Jean-Pierre Sueur. Si mon premier argument ne satisfait pas M. Gélard, il m’en reste quatre autres pour le convaincre : je ne perds jamais espoir !

Le rapport de M. de la Verpillière, que vous avez cité abondamment, monsieur le secrétaire d’État, nous rappelle de manière tout à fait opportune que le découpage proposé, après examen de la commission de l’article 25 de la Constitution, a été modifié pour trois départements sans que cette commission ait eu à en connaître.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Évidemment ! Nous n’avons fait que prendre en compte son avis !

M. Jean-Pierre Sueur. Par ailleurs, à la suite de l’avis du Conseil d’État, le découpage a encore évolué dans neuf départements, sans que la commission ait eu à en connaître, ce qui fait, monsieur le président de la commission des lois, douze départements.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Pouvez-vous nous les citer ?

M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vais pas les citer, pour ne pas allonger mon propos et parce que je n’ai pas la liste en main. Mais vous la retrouverez facilement (M. le secrétaire d’État fait un signe de dénégation) et vous pourrez peut-être, dans la réponse que vous me ferez, informer notre assemblée en citant ces douze départements.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Vous devriez pouvoir citer vos preuves !

M. Jean-Pierre Sueur. Quels que soient les départements en cause, monsieur le secrétaire d’État, mon argumentation serait la même, car elle n’est pas liée à la situation particulière de ces départements.

En revanche, il est clair que l’avis du Conseil d’État est requis pour tous les projets de loi et d’ordonnance et que l’avis de la commission de l’article 25 de la Constitution est requis pour tout projet de découpage des circonscriptions, fût-il nouveau.

Je cite notre collègue député M. Bruno Le Roux, qui a été particulièrement éloquent, vous devez vous en souvenir, monsieur le secrétaire d’État : « Ce découpage est le premier depuis la révision de 2008. Monsieur le secrétaire d’État, en appliquant pour la première fois le dernier alinéa de l’article 25, persister, parce que vous jugez que le manquement est véniel, dans une interprétation trop peu rigoureuse de ce nouveau mécanisme institutionnel, d’une part l’affaiblirait […] et d’autre part, créerait un précédent » extrêmement préjudiciable.

« Il est donc absolument certain que le redécoupage dans douze départements sera censuré par le Conseil constitutionnel car vous n’avez pas respecté la nécessité de la navette entre la commission prévue à l’article 25 et le Conseil d’État ».

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Elle n’est pas prévue !

M. Jean-Pierre Sueur. Il se déduit, à l’évidence, de l’article 25 de la Constitution qu’après avis du Conseil d’État les nouveaux découpages imaginés par le Gouvernement doivent être soumis, pour consultation, à la commission créée par cet article 25. Vous ne l’avez pas fait !

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Rien n’oblige le Gouvernement à le faire !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est écrit dans la Constitution, monsieur le doyen !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, et M. Patrice Gélard, vice- président de la commission des lois. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Si, c’est la conséquence tout à fait logique et directe du texte même de la Constitution ! Vous argumenterez devant le Conseil constitutionnel, mes chers collègues, et nous aussi !

J’en viens à mon troisième argument.

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Les deux premiers ne sont pas bons !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je crains que ce ne soit la même chose jusqu’à la fin !

M. Jean-Pierre Sueur. De toute façon, vous avez décidé de ne rien entendre !

Je souhaite évoquer la méthode de répartition retenue. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez dit de manière tout à fait juste – et je vous en donne acte – que le Conseil constitutionnel n’a entendu écarter par principe aucune méthode de répartition. Il est donc tout à fait vrai que le Conseil n’a pas écarté la méthode dite « des tranches ».

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Merci de le reconnaître !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est la simple vérité !

Mais le Conseil a considéré qu’il fallait choisir le dispositif qui permet « de respecter au mieux le principe d’égalité des suffrages » à tous les stades des opérations d’adaptation de la carte électorale. Il convient donc de se demander s’il n’existe pas des méthodes plus justes que la méthode dite « des tranches ». Or, à l’évidence, il en existe !

Vous n’ignorez pas, monsieur le secrétaire d’État, même si vous n’avez pas fait de publicité à ce sujet, les effets extrêmement pervers de la méthode des tranches. Laissez-moi prendre un seul exemple : le département du Jura bénéficie de trois circonscriptions, avec un quotient de 2,28. Ces 28 centièmes au-dessus de 2 lui permettent d’obtenir une troisième circonscription, puisque la méthode des tranches permet à un département d’obtenir une circonscription supplémentaire pour quelques centièmes supérieurs à la tranche.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. À l’inverse, ce mécanisme profite à la gauche dans d’autres départements !

M. Jean-Pierre Sueur. Les circonscriptions de ce département représenteront donc, en moyenne, 85 000 habitants, soit un écart de 24,1 % avec la moyenne nationale.

Or, la nouvelle sixième circonscription de la Seine-Maritime…

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est la mienne !

M. Jean-Pierre Sueur. … représentera, quant à elle, 146 000 habitants. Avec cette méthode, on peut donc obtenir des circonscriptions d’une population de 85 000 habitants et des circonscriptions qui en comptent pratiquement le double !

Mme Virginie Klès a très brillamment parlé lors de la première lecture de ce projet de loi et elle a démontré que ces disparités allant de un à deux pouvaient tout à fait être évitées. Je la cite : « Si l’on avait souhaité garder le principe de cette méthode, mais si l’on avait aussi voulu être honnête, on aurait choisi de calculer un quotient réel : [la] population des unités électorales concernées divisée par le nombre de sièges à attribuer ». Autrement dit, il aurait fallu adopter une véritable méthode proportionnelle. Vous pouviez le faire, monsieur le secrétaire d’État, mais vous ne l’avez pas fait,…

M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est impossible dans un cadre départemental !

M. Jean-Pierre Sueur. … parce que cela ne vous arrange pas, ni vous, ni votre majorité. Nous le regrettons. Mais vous ne pouvez pas dire que vous avez cherché à respecter « au mieux » – j’insiste sur ce terme qui figure dans la décision du Conseil constitutionnel – la population.

J’en arrive à mon quatrième argument, puisque le troisième a suscité l’intérêt de M. Gélard, et je m’en réjouis ! Cet argument va naturellement le convaincre, puisqu’il s’agit des découpages eux-mêmes.

Tout le monde voit bien qu’il est possible d’obtenir, en grand nombre, des agrégats de cantons dans chaque département, tout en respectant un certain nombre de principes démographiques.

Mais selon quels critères un canton a-t-il été retenu plutôt qu’un autre ? La question se pose dans plusieurs départements.

Ainsi, je présenterai cet après-midi un amendement tendant à démontrer que, dans mon propre département, le Loiret, il est possible de trouver un découpage qui, par rapport à la solution actuelle, est plus cohérent sur un plan géographique et plus pertinent sur un plan démographique. Pourquoi n’adoptez-vous pas cette proposition, qui est meilleure, monsieur le secrétaire d’État ? La raison est très simple : UMP + UMP + UMP = UMP. (M. Nicolas About s’exclame.)

Nul n’ignorera l’existence du papillon de l’Hérault, du chameau à trois bosses du Var – département cher à M. Collombat –, ainsi que de multiples serpents, scorpions, hippocampes, araignées, scarabées et autres coléoptères. Il y a là une véritable « zoologie électorale », caractérisant l’opportunisme qui prévaut, au détriment de ce qu’une commission indépendante eût forcément suggéré au nom du pluralisme, c’est-à-dire des découpages de bon sens, prenant en compte à la fois la démographie et la géographie.

Toutes ces contorsions à caractère zoologique ont simplement pour but de privilégier une des parties en présence par rapport à l’autre.

Les calculs de M. Bruno Le Roux sont excellents. La gauche, avec 50 % des voix, obtiendrait 260 sièges sur 577 et la droite 317 sièges. Chacun en conviendra, cette situation est parfaitement contraire au principe d’égalité.

Le dernier argument que j’avancerai est très simple et montre tout le génie de notre collègue Jean-Jacques Pignard, qui a senti, dans le tréfonds de son être (M. Nicolas About sourit), qu’un évènement allait se produire. Je parle ici, monsieur le secrétaire d’État, de l’imminence du recensement.

Avant de statuer, il était effectivement sage d’attendre les données qui résulteraient de ce nouveau recensement, ce que le geste tout à fait remarquable de M. Pignard a permis. Nous devons donc lui rendre hommage. (M. René Garrec sourit.)

M. Pierre-Yves Collombat. Les dieux l’ont inspiré !

M. Jean-Pierre Sueur. Puisque M. Garrec semble intéressé par ce point, je préciserai que les positions du Conseil constitutionnel sont très claires sur ce sujet. Permettez-moi notamment, mes chers collègues, de citer le considérant 21 de sa décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009 : « Considérant qu’il résulte de ces dispositions que l’Assemblée nationale, désignée au suffrage universel direct, doit être élue sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions législatives respectant au mieux l’égalité devant le suffrage ».

Or, selon le nouveau recensement, deux départements – le Puy-de-Dôme et la Seine-Saint-Denis – devraient disposer d’un député supplémentaire.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Non !

M. Jacques Mahéas. Si ! J’en suis témoin !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, nous attendons que vous nous démontriez le contraire, car j’affirme qu’il suffit de savoir faire des divisions pour comprendre qu’il faut un député supplémentaire dans ces deux départements. J’ajoute que vous êtes parfaitement en mesure, ici, de présenter un ou plusieurs amendements tendant à prendre en compte cette situation.

M. Jean-Marc Todeschini. Nous sommes prêts à les voter !

M. Jean-Pierre Sueur. Si vous ne tenez pas compte du dernier recensement du 31 décembre 2009, dont nul n’ignore l’existence et les résultats et que les dispositions du Conseil constitutionnel vous imposent de prendre en considération,…

M. Jacques Mahéas. Tout à fait !