compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga,
Mme Michelle Demessine.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés
Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, ratifiant l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés (projet de loi n° 207, texte de la commission n° 219, rapport n° 218).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà un peu plus d’un mois, le 14 décembre 2009, je vous présentais ici même le projet de loi de ratification de l’ordonnance du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés, dernière étape de l’ajustement de la carte électorale entamé voilà maintenant près de deux ans.
L’examen et le vote de ce texte par la Haute Assemblée, juridiquement nécessaire pour que l’ordonnance ne soit plus un acte administratif mais acquiert force de loi, vous plaçaient dans une situation inédite par rapport aux délimitations effectuées sous la Ve République : pour des raisons que j’avais alors exposées, vous n’avez en effet examiné au fond ni l’ordonnance de1958 procédant à la première délimitation des circonscriptions législatives ni le projet de loi qui, à la suite du rétablissement du scrutin majoritaire en 1986, a tracé les circonscriptions actuelles.
Je ne reviendrai pas sur l’incident qui s’est produit lors du vote au scrutin public d’un amendement supprimant l’article unique du projet de loi de ratification, ni sur les circonstances qui l’ont entouré.
M. Daniel Raoul. Cela vaut mieux !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je souhaite en revanche m’exprimer sur les propos que j’ai tenus à l’Assemblée nationale mardi dernier, propos relatifs au précédent ainsi créé par le rejet du projet de loi de ratification par une majorité fortuite de sénateurs.
Que les choses soient bien claires, ces propos visaient non pas le Sénat dans son ensemble (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.), mais bien – et chacun l’aura compris, j’en suis sûr – les sénateurs qui avaient fait voter cet amendement. Et c’est à leurs collègues députés de l’opposition que mes paroles s’adressaient à l'Assemblée nationale.
Leur attitude a en effet conduit à une nouvelle lecture d’un texte…
M. Jean-Marc Todeschini. Ce n’est pas l’attitude, c’est le règlement !
M. Bernard Frimat. Ce n’est pas vrai !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … et elle revenait sur une tradition bien établie : celle selon laquelle une assemblée parlementaire ne s’immisce pas dans les questions touchant les membres de l’autre assemblée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Frimat. C’est faux !
M. Jean-Marc Todeschini. Il faut supprimer le Sénat !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je ne me serais pas permis d’invoquer une telle position traditionnelle si elle n’avait pas été évoquée à plusieurs reprises, et encore tout récemment, dans cet hémicycle. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Sueur. Pas partout !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. J’ai d'ailleurs pris le soin de m’en entretenir avec le président de votre commission des lois et j’ai également demandé audience à M. le président du Sénat.
Ainsi, en 1986, lors des débats sur la nouvelle délimitation des circonscriptions législatives, c’est l’ancien président de votre commission des lois, M. Jacques Larché, qui avait constaté que « le Sénat, par principe, ne remettait pas en cause les choix arrêtés par les députés en la matière ». Il avait alors relevé que, sur les neuf lois ayant procédé à de nouveaux découpages ou autorisé les redécoupages précédents, six avaient été adoptées sans modification et trois avec de simples modifications rédactionnelles ou de coordination. Il vous avait en conséquence proposé d’opposer la question préalable au projet de loi, ce que vous aviez fait alors, au motif qu’il ne vous appartenait pas de statuer sur les modalités d’élection des membres de l’Assemblée nationale.
Plus récemment, lors de l’examen en commission du projet de loi habilitant le Gouvernement à procéder par ordonnance à l’ajustement de la carte électorale, le rapporteur de ce texte, Patrice Gélard, avait estimé « que le Sénat, conformément à une tradition républicaine bien établie, »…
M. Bernard Frimat. Faux !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … « ne devait pas remettre en cause le choix des députés relatif à leur régime électoral ».
Il avait confirmé très nettement cette position en séance publique ; je cite certaines de ses interventions : « le Sénat ne se mêle pas de ce qui concerne l’Assemblée nationale ! » ; « je ne vais pas le répéter dix fois : c’est la règle que nous avons toujours appliquée ! »
M. Jean-Marc Todeschini. Non !
M. Pierre-Yves Collombat. Pas toujours !
M. Jean-Marc Todeschini. C’est à pleurer !
M. Jean-Pierre Sueur. Lisez la Constitution ! C’est le Parlement tout entier qui fait la loi !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Il s’agit, je le répète, de citations de l’éminent sénateur Patrice Gélard, rapporteur du texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Todeschini. On a vu le fonctionnement du Sénat depuis !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Au cours de ces mêmes débats, plusieurs sénateurs se sont également exprimés en ce sens, et je tiens aussi à citer quelques-unes de leurs interventions : « le Sénat avait pour règle de ne pas s’occuper de l’Assemblée nationale ».
M. Jean-Marc Todeschini. Il ne faut pas qu’il se mêle de la loi !
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut appliquer la Constitution !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. « La courtoisie sénatoriale nous impose de ne pas nous occuper des questions relatives à l’Assemblée nationale et d’émettre un vote conforme. »
M. Jean-Marc Todeschini. Changez la Constitution !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. « Nos usages républicains veulent que les sénateurs ne se mêlent pas de la vie des députés quant à leur régime électoral ou leur mode de fonctionnement interne » ; « le Sénat, conformément à une tradition républicaine bien établie, se devait de ne pas remettre en cause le choix de l’Assemblée nationale. » Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, ces citations ont l’air de vous gêner !
Enfin, l’éminent président de la commission des lois lui-même, M. Jean-Jacques Hyest (M. René Garrec applaudit.), avait approuvé l’un d’entre vous – il s’agissait, me semble-t-il, du non moins éminent sénateur Pierre Fauchon – qui avait ajouté que l’absence de toute intervention de votre part de manière normative pour ce qui concerne l’organisation de l’assemblée nationale se concevait « sous réserve, bien entendu, de réciprocité ».
M. Bernard Frimat. C’est laborieux…
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je n’ai donc pas voulu signifier autre chose aux députés de l’opposition : les sénateurs de leur camp, en votant la suppression de l’article unique du projet de loi de ratification,…
M. Jean-Pierre Sueur. À juste titre !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … les obligeaient à débattre de nouveau de leurs conditions d’élection, bien que l'Assemblée nationale ait déjà approuvé le texte à une très large majorité. Et ce sans qu’ils puissent être assurés de pouvoir à leur tour s’ingérer dans le redéploiement ou la création de sièges de sénateurs et sans qu’ils puissent avoir le dernier mot puisque le Sénat doit une nouvelle fois débattre du texte !
J’ai relevé le retard pris en conséquence par l’achèvement de la nouvelle carte législative, exigée par les textes et demandée par le Conseil constitutionnel depuis maintenant plus de vingt ans.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, si j’ai ainsi souligné la responsabilité des sénateurs qui ont conduit à cette situation, je n’ai en aucun cas voulu, je le répète solennellement, mettre en cause le Sénat dans son ensemble.
M. Bernard Frimat. Vous l’avez quand même fait !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. J’ai seulement souhaité relever les conséquences d’un comportement que je considère comme partisan. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Todeschini. C’est votre texte qui est partisan !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Pour ne pas allonger le débat, je ne reviendrai pas sur les propos que je vous ai tenus le 14 décembre dernier : je ne peux évidemment rien retrancher ni ajouter aux arguments…
M. Bernard Frimat. L’absence d’arguments !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … que j’avais alors donnés devant la Haute Assemblée en faveur de la ratification de l’ordonnance. Chacun les ayant bien en mémoire, il ne serait pas convenable de vous les répéter. Ils figurent d’ailleurs en bonne place dans le compte rendu de vos débats, publié intégralement au Journal officiel. J’y reviendrai sans doute lors de notre discussion.
Vous n’aviez pu répondre positivement, du fait du vote que j’évoquais voilà un instant, à la question que je vous posais alors : l’ordonnance dont il vous est proposé la ratification respecte-t-elle les critères…
M. Jean-Marc Todeschini. Non, elle est partisane !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … fixés par la loi d’habilitation et les principes relatifs à l’élection de l’Assemblée nationale énoncés par le Conseil constitutionnel, c'est-à-dire – selon la formule consacrée – « sur des bases essentiellement démographiques selon une répartition des sièges de députés et une délimitation des circonscriptions législatives respectant au mieux l’égalité devant le suffrage » ?
Telle a été, je le rappelle, la position du Conseil d’État, qui a donné un avis favorable au projet de loi de ratification.
J’ai le sentiment que la majorité de votre assemblée estime que le Gouvernement a répondu de façon satisfaisante…
M. Jean-Marc Todeschini. Pas M. Pignard !
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … à la confiance que le Parlement lui avait accordée en lui confiant la mission délicate de l’indispensable ajustement de la carte électorale.
C’est ce que le Gouvernement propose au Sénat de dire en se prononçant, à l’occasion de cette nouvelle lecture, sur le projet de loi de ratification qu’il lui soumet. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Marc Todeschini. Les applaudissements sont bien timides !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée est saisie pour la deuxième fois du projet de loi de ratification de l’ordonnance portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés.
Au vu de la richesse des débats qui ont eu lieu le 14 décembre dernier, alors que le Sénat examinait ce texte en première lecture, je me bornerai à effectuer quelques brefs rappels sur l’élaboration de l’ordonnance et sur ses principales caractéristiques.
Tout d’abord, nul ne l’ignore, l’ordonnance dont le Gouvernement sollicite la ratification, en modifiant les frontières de 339 circonscriptions dans 42 départements, répond à un véritable impératif démocratique et constitutionnel.
M. Jean-Marc Todeschini. Tripatouillage !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Elle est rendue nécessaire par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui, tout en créant des sièges de députés pour les Français établis hors de France, a fixé le nombre maximal de membres de l’Assemblée nationale à 577. La constitutionnalisation de ce nombre…
M. Daniel Raoul. C’est une erreur !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … entraîne des conséquences : le Sénat a dû, par homothétie, …
M. Bernard Frimat. Pas nous !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … suivre l'Assemblée nationale, bien que nous ne soyons pas parfaitement convaincus de la pertinence d’une telle disposition de la Constitution. (Ah ? sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous avez l’air étonné ; j’avais pourtant déjà indiqué ma position sur ce point lors de la révision constitutionnelle. Je vous renvoie aux propos que j’ai tenus à cette occasion.
La refonte de la carte législative est également indispensable pour permettre le respect du principe d’égalité devant le suffrage. Ce fait est connu de tous : avec la délimitation actuelle des circonscriptions, qui a été effectuée sur la base du recensement général de 1982 – il y a presque trente ans ! –, la voix de chaque citoyen a un poids très inégal selon son lieu de résidence, en raison des évolutions démographiques extrêmement importantes qu’ont connues certaines parties de notre territoire depuis lors. Voilà plus de dix ans que le Conseil constitutionnel invite d’ailleurs le législateur à remédier à cette situation, qui porte une grave atteinte aux principes démocratiques les plus élémentaires.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous le rappelle, le Sénat avait reçu les mêmes recommandations de la part du Conseil constitutionnel et il s’est lui-même réformé. (M. le secrétaire d’État acquiesce.) Il me semble d’ailleurs indispensable qu’il le refasse régulièrement. Il est donc essentiel que nous actualisions la carte des circonscriptions, en gardant à l’esprit que cette mesure est urgente et nécessaire.
Comme vous le savez, cette actualisation est effectuée par le biais d’une ordonnance, conformément à l’habilitation qui figure à l’article 2 de la loi du 13 janvier 2009 relative à la commission prévue par l’article 25 de la Constitution et à l’élection des députés.
Cette habilitation a mis en place trois critères majeurs pour encadrer le travail du Gouvernement.
Premièrement, la population de chaque circonscription ne doit pas s’écarter de plus de 20 % de la moyenne démographique départementale.
Deuxièmement, le tracé des circonscriptions doit respecter le principe de continuité territoriale, ce qui signifie concrètement que seuls les cantons de plus de 40 000 habitants et les villes de plus de 5 000 habitants peuvent être divisés.
Ces deux premiers critères ont été parfaitement respectés par l’ordonnance : aucune circonscription ne présente d’écart par rapport à la moyenne départementale supérieur à 17,5 %, et seuls 42 cantons, qui comptent tous plus de 40 000 habitants, ont été divisés.
Enfin, l’habilitation prévoyait qu’au moins deux sièges de député seraient attribués à chaque département. Toutefois, cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel, qui a estimé nécessaire de revenir sur cette tradition très ancienne afin de tenir compte de l’augmentation globale de la population française depuis les années quatre-vingt et de la révision constitutionnelle de 2008. Il est aussi revenu sur la jurisprudence selon laquelle chaque collectivité d’outre-mer constitue au moins une circonscription électorale.
En conséquence, l’ordonnance prévoit que la Lozère et la Creuse, dont la population est inférieure à la valeur de la « tranche », soit 125 000 habitants, n’éliront qu’un seul député.
En outre, je vous rappelle que cette ordonnance a été examinée par la commission prévue par l’article 25 de la Constitution, qui a rendu deux avis publics sur la question.
Le Gouvernement a entendu ces avis et a modifié son projet dans vingt-cinq départements. Certes, il n’a pas suivi les recommandations de la commission dans treize autres départements ; mais il a tenu à justifier ce choix au cas par cas auprès du rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Charles de la Verpillière, notamment en affichant sa volonté de tenir compte de l’évolution prospective de la population à court terme. C’est par exemple le cas en Seine-et-Marne, département que je connais bien : la circonscription englobant la ville nouvelle de Sénart est en pleine évolution, gagnant 8 000 habitants par an en raison du fort déploiement démographique dans ce secteur.
L’ordonnance est donc conforme aux exigences fixées par notre Constitution et par le législateur. Monsieur le secrétaire d’État, ce constat avait poussé la commission des lois, en première lecture, à vous proposer de la ratifier sans la modifier. Nous y étions presque parvenus lorsqu’un malheureux scrutin est survenu.
Je ne reviendrai pas en détail sur les étapes qui nous amènent, une deuxième fois, à examiner ce projet de loi, d’autant que nous connaissons les conditions dans lesquelles ce texte a été rejeté par la Haute Assemblée en première lecture.
Néanmoins, il me semble important de rappeler que, par deux fois, l’ordonnance a été ratifiée par l’Assemblée nationale sans que celle-ci y apporte une seule modification.
M. Bernard Frimat. Quelle surprise !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, la traditionnelle réserve du Sénat sur les textes concernant exclusivement les députés doit nous inciter à suivre la position de l’Assemblée nationale sans nous immiscer dans ses choix. Vous avez évoqué vos propos devant l’Assemblée nationale. Je vous le rappelle, la Constitution a prévu deux assemblées et exige un accord entre les deux pour de nombreuses lois.
M. Louis Mermaz. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le précédent de 1958 que vous avez cité n’a aucune valeur puisque, à ce moment-là, de nombreuses modifications substantielles ont été apportées à notre législation par une ordonnance prévue par la Constitution dont le Parlement n’a, par définition, pas été saisi.
Quant au vote d’une question préalable par le Sénat, qui s’est produit deux fois dans le passé, pour le passage à la proportionnelle, d’une part, et pour le retour au scrutin majoritaire et la fixation des circonscriptions, d’autre part, il n’a pas eu pour corollaire une absence de débat ! Le vote sans débat existait dans une Constitution très ancienne, lorsqu’il y avait une assemblée qui votait et une assemblée qui débattait. Il serait peut-être intéressant de revenir à un tel système (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.), et de choisir le Sénat comme assemblée délibérante, car on y est quelquefois beaucoup plus raisonnable qu’à l’Assemblée nationale ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. Louis Mermaz. Excellente séance de rattrapage !
M. Jean-Marc Todeschini. On aurait presque pu vous applaudir !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, vous invoquez la jurisprudence. La seule que je connaisse pour ma part, c’est que, par deux fois, les députés se sont occupés, contre l’avis du Sénat, de notre mode électoral. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Jamais le Sénat ne l’a fait ! Nous aussi pourrions avoir des idées, et procéder à l’égard de l'Assemblée nationale comme elle l’a fait pour nous, mais telle n’est absolument pas notre tradition, laquelle doit être, à mon avis, respectée.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut toujours relire le texte de la Constitution. Il est normal de débattre. La commission des lois souhaite une ratification conforme de cette ordonnance, comme la grande majorité du Sénat, mais le droit d’amendement et le débat existent.
M. Daniel Raoul. Encore !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous auriez dû nous demander de voter la question préalable en première lecture pour respecter la tradition, ainsi nous n’aurions pas eu un réel débat. (M. le secrétaire d’État rit.)Nous pensions qu’il était souhaitable, compte tenu du nombre modéré d’amendements déposés et de l’absence d’obstruction, que chacun d’entre nous puisse demander des explications concernant son département. Le débat s’est d’ailleurs plutôt bien passé.
Il arrive que des députés fassent des déclarations fracassantes sur le Sénat. (M. Daniel Raoul s’exclame.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Hélas !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous y sommes habitués,…
M. le président. Mais pas résignés !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …mais pour autant pas résignés, effectivement ! Lorsque les affirmations sont erronées, comme c’est toujours le cas, nous répliquons !
Monsieur le secrétaire d’État, comme vous êtes un parlementaire expérimenté, toujours soucieux du respect de nos institutions, vos propos ne pouvaient qu’être relevés. Mais vous avez admis les avoir tenus dans le feu du débat. Ils ont certainement dépassé votre pensée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Frimat. Nous n’avons pas entendu cela !
M. Jean-Marc Todeschini. Il ne l’a pas dit !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais nous ferons bien entendu toujours respecter les prérogatives du Sénat, seconde chambre du Parlement qui est l’égale de l’Assemblée nationale sur le plan législatif. C’est vrai, celle-ci a toujours le dernier mot, mais quelquefois en deuxième lecture même si cela est arrivé très rarement dans l’Histoire. Je tiens à le souligner, nous maintenons notre jurisprudence. Or, la traditionnelle réserve du Sénat sur les textes concernant exclusivement les députés nous incite à suivre la position de l’Assemblée nationale, sans nous immiscer dans ses choix.
La commission des lois vous propose d’adopter le présent projet de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –M. Hervé Maurey applaudit également.)
M. David Assouline. Tout ça pour ça !
M. Louis Mermaz. La chute était un peu moins bonne !
M. Bernard Frimat. Cela s’est un peu dégradé sur la fin !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 14 décembre dernier, à cette même tribune, je terminai mon intervention par les mots suivants - excusez-moi de me citer mais vous l’aviez fait : « Il vous reste, monsieur le secrétaire d’État, à échapper à la malédiction qui finit toujours par s’abattre sur ceux qui manipulent les modes de scrutin. Ce n’est qu’une question de temps ».
Je vous l’avoue, je ne pensais pas que la malédiction frapperait si vite. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Je n’imaginais pas la ratification de votre ordonnance si chaotique.
M. Bernard Frimat. Mais il en a été ainsi, et vous vous retrouvez une nouvelle fois, à votre corps défendant monsieur le secrétaire d’État, devant le Sénat.
J’espère que vous supporterez avec philosophie cette situation. Je déplore, au demeurant, que vous vous soyez cru obligé de vous livrer, à la tribune de l’Assemblée nationale, à de violentes attaques contre notre collègue, la présidente Catherine Tasca, et contre le Sénat lui-même. (M. le secrétaire d’État le dénie.)
La brutalité de ces offensives a même surpris nos collègues députés, qui n’ont pourtant pas pour habitude de déborder d’affection pour la Haute Assemblée.
Vous évoquez constamment la tradition qui voudrait, selon vous, « qu’une assemblée parlementaire ne s’immisce pas dans les questions touchant les membres de l’autre assemblée ».
Permettez-moi de vous le faire remarquer, votre supposée tradition est à géométrie politiquement variable ! Elle est respectée quand il y a identité de majorité politique entre le Sénat et l’Assemblée, et n’est alors ni plus ni moins qu’un accord politique. En revanche, en l’absence d’identité, le comportement est différent.
Ainsi, quand, en 1985, le gouvernement de Laurent Fabius a proposé une profonde modification du mode d’élection des députés en substituant le scrutin proportionnel au scrutin majoritaire et en augmentant le nombre de députés, le Sénat n’a pas, à ma connaissance, invoqué la tradition. Il s’est opposé avec force – c’était son droit, et cela ne me choque pas – à cette évolution. Le recours à la technique de la question préalable ne l’a pas empêché de débattre et de s’exprimer contre, ni le projet de loi d’être renvoyé, comme aujourd’hui, en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Le Sénat manifestait alors un désaccord politique et exprimait ses convictions. C’était son droit !
M. Jean-Pierre Bel. Très bien !
M. Bernard Frimat. De la même façon, quand le gouvernement de Lionel Jospin a proposé de modifier le mode d’élection des sénateurs, en instaurant le scrutin proportionnel dans les départements élisant trois sénateurs…
M. Jean-Pierre Bel. Second exemple !
M. Bernard Frimat. …parce qu’il lui semblait que les collectivités territoriales seraient ainsi représentées de manière plus fidèle à la réalité des conseils municipaux, l’Assemblée nationale a imposé au Sénat, en dépit de l’opposition de ce dernier, la solution qui avait sa préférence politique.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur, Oui, je l’ai dit !
M. Bernard Frimat. Elle exerçait alors son droit, conformément à la Constitution.
En ces circonstances, vous pouvez donc le constater avec moi, l’Assemblée nationale comme le Sénat sont intervenus sur le mode d’élection de l’autre assemblée. Ils n’ont fait que leur travail de législateur en débattant et en votant la loi, quel que soit son objet, fût-il le mode d’élection des députés ou des sénateurs.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Bernard Frimat. Il n’y a pas, au Parlement, de sujet tabou ni de domaine réservé.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sauf en matière de loi organique concernant le Sénat.