M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà bien un débat dont nous aurions voulu qu’il ne fût pas nécessaire !
Force est cependant de constater, avec notre excellente collègue Élisabeth Lamure, que, si la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 donne globalement satisfaction en ce qui concerne les délais de paiement, comme le souligne dans son rapport annuel publié ce 7 janvier l’Observatoire des délais de paiement, elle n’a pas encore pleinement atteint son objectif, en particulier pour le secteur productif agricole. Elle aurait même conforté certaines des dérives auparavant constatées entre fournisseurs et distributeurs.
Représentant un département fortement agricole, producteur tant de lait que de fruits et légumes ou encore de céréales, je ne peux que déplorer les écarts inexplicables, récemment dénoncés à juste titre par les consommateurs, entre les évolutions des prix agricoles et celles des prix alimentaires.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Antoine Lefèvre. En quarante ans, la grande distribution a créé en France un secteur à la puissance économique considérable ; un véritable rapport de force s’est établi entre producteurs et distributeurs.
Or, si toutes les centrales d’achat acceptaient la légitime augmentation de certains tarifs due à la hausse incontournable de plusieurs produits agricoles, si tous les acteurs respectaient le bon sens économique inscrit dans la LME, nous n’aurions pas connu ces situations funestes qu’a vécues le monde agricole, dont de très nombreuses filières ont enregistré une chute de revenu sans précédent.
Plus on est proche du consommateur dans la chaîne alimentaire, plus on a de pouvoir ! Parallèlement, la variable prix est prépondérante dans le choix du consommateur.
Comment comprendre que, pour certaines filières, sur les prix d’aliments pas ou peu transformés et dont la matière première agricole constitue une part majeure, la marge pratiquée par les distributeurs atteigne jusqu’à 60 % ? Ces différentiels importants restent inexpliqués faute de transparence et de données publiques.
Ainsi, cette loi de modernisation de l’économie votée dans le but d’améliorer le pouvoir d’achat aurait, semble-t-il, hélas, en partie conforté la position dominante de la grande distribution.
Les centrales d’achat ont effectivement supprimé les notions de ristournes et de rabais, mais, dans les faits, elles retiennent en général, dans le cadre de partenariats, un pourcentage sur les prix des producteurs pour participation à leurs frais, pourcentage qui est variable suivant les enseignes. On constate ainsi que certaines sont plus vertueuses que d’autres : si cette participation aux frais des centrales d’achat est de 0 % pour Leclerc, Lidl et ED, elle est en revanche de 2,5 % pour Carrefour et Carrefour Market, Casino et Monoprix, de 3,5 % pour Auchan, de 4 % pour Pomona ou pour Intermarché…
Les pourcentages que les fournisseurs trouvent en pied de facture peuvent représenter de 3 % à 5 % de leur chiffre d’affaires, soit quasiment la marge de certains d’entre eux, et cela sans service en contrepartie.
Et que dire quand est décrétée une promotion et qu’un grand volume est alors commandé à un prix imposé, mais qu’une seule partie de ce volume est vendue à prix promotionnel, le reste l’étant au prix fort, sans répercussion pour le producteur ? La ponction de ces ristournes sur les producteurs de légumes atteindrait, par exemple, 200 millions d’euros par an.
Finalement, rien, ou presque, n’a changé, si ce ne sont les termes. Toujours est-il que les producteurs vendent en dessous de leurs prix de revient.
Ainsi, pour la pomme, les prix au kilogramme ont perdu 10 centimes depuis la campagne 2007-2008. Depuis le début de la présente campagne, le prix moyen au kilogramme logé départ ressort à 65 centimes, ce qui laisse entre 20 et 25 centimes au producteur. Pour que ce dernier « rentre » dans ses frais, le prix logé départ devrait être de 80 centimes.
Il est donc impératif de mettre de la transparence dans la transmission des prix tout au long des filières pour garantir un juste retour de la valeur ajoutée aux producteurs et un prix final plus équitable aux consommateurs.
Il nous faut cependant souligner le rôle essentiel joué par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que par la Commission d’examen des pratiques commerciales en matière de contrôles et d’interprétation unique de la loi. Leurs préconisations publiques participent de la promotion des bonnes pratiques voulues dans la LME.
À cet égard, pourriez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous renseigner plus avant sur le groupe de travail, intitulé « pacte nouvelles donnes LME », chargé de préparer les bases des relations commerciales et les clauses du contrat de plan d’affaires pour les négociations commerciales de 2010 ?
Je sais les pouvoirs publics conscients de la nécessité du contrôle et de la répression des abus.
J’ai bien sûr noté la remarque, en commission de l’économie, de notre collègue Gérard César, rapporteur du projet de loi de modernisation de l’agriculture, qui a indiqué qu’il existait des correspondances entre la LME et ce texte, dont l’examen sera l’occasion de réfléchir aux moyens d’améliorer les dispositions relatives aux relations commerciales et à la formation des marges dans la filière agricole.
Je forme donc des vœux – c’est de circonstance, en ce début d’année ! – pour que, conjuguées aux efforts des brigades régionalisées de contrôle de la LME et de l’Observatoire des prix et des marges, les dispositions que le Parlement adoptera dans le cadre de la future LMA permettront d’assainir définitivement les relations commerciales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le secrétaire d'État, alors que cette semaine sénatoriale de contrôle nous offre la possibilité d’évaluer l’état d’application de la loi de modernisation de l’économie, j’interviendrai quant à moi sur deux points.
Tout d’abord, j’évoquerai le titre III, dont l’objet était de renforcer l’attractivité économique du pays en anticipant et en facilitant l’installation du très haut débit par la fibre optique.
Mme Nathalie Goulet. Aïe !
M. Pierre Hérisson. Malheureusement, on constate dans les faits un réel blocage s’agissant de l’utilisation des réseaux existants en fibre optique et en cuivre, qui sont complémentaires.
En effet, il semble que, sous prétexte de lutter contre une éventuelle distorsion de concurrence du fait de l’opérateur historique, nous nous éloignions de l’intérêt général par une opposition des instances concernées au dégroupage en sous-répartition pour permettre l’accès au numérique. Cette solution est pourtant la moins coûteuse pour la collectivité et pour le client, car elle s’appuie sur la sous-boucle locale en cuivre, présente sur la totalité de notre territoire.
Dans un souci légitime d’équité, les autorités paraissent s’appuyer sur le constat de la frilosité des concurrents de l’opérateur historique, lesquels n’ont fait aucune demande de dégroupage en sous-répartition, pour conclure que celui-ci met en péril l’équité du marché entre opérateurs, compte tenu de cette latence d’activité des opérateurs alternatifs dans le domaine, ainsi que de la distorsion des connaissances techniques entre ces opérateurs et l’opérateur historique.
Je crois, monsieur le secrétaire d'État, que c’est une erreur et que cette orientation va à l’encontre des intérêts de l’ensemble des utilisateurs, donc des consommateurs.
Il me semble qu’il faudrait au contraire réfléchir, dans ce cas précis, à la possibilité de passer une convention nationale avec l’opérateur historique afin que celui-ci offre le service public attendu par les clients éloignés et isolés selon le principe du prix de revient.
J’attends avec d’autant plus d’intérêt votre réaction à cette proposition que je reste persuadé que nous aurions réglé bien des problèmes avec la mise en œuvre du service universel du haut débit que nous sommes plusieurs ici à réclamer depuis un certain nombre d’années, réclamation qui témoigne peut-être tout simplement du bon sens et de la sagesse de notre assemblée…
Dans un second temps, qu’il me soit permis de revenir, quitte à m’éloigner quelque peu du sujet strict de ce débat, sur la baisse de la TVA appliquée à la restauration.
Soit dit entre nous, une telle baisse n’est pas vraiment une première puisqu’elle s’est déjà appliquée aux fleuristes et aux chocolatiers, mais sans que cela fasse autant de vagues ni ne donne lieu à autant de polémiques.
M. Paul Raoult. Le coût n’était pas le même !
Mme Nicole Bricq. Il était bien moindre !
Mme Odette Terrade. Eh oui !
M. Pierre Hérisson. Il est vrai que les conséquences sur les deniers de l’État étaient moindres. En tout cas, je n’ai pas le souvenir que le changement de taux ait fait baisser les prix...
Comme vous le savez, cette disposition,…
M. Paul Raoult. Il ne fallait pas la prendre !
M. Pierre Hérisson. … fondée sur de larges négociations avec l’ensemble des représentants de la profession et sur la base du volontariat, a permis d’intervenir en faveur de l’embauche et des salaires ainsi que du soutien à l’investissement et à la mise aux normes des établissements.
M. Paul Raoult. On attend la démonstration !
M. Pierre Hérisson. Bien que je partage les avis de ceux qui invitent le Gouvernement à faire des analyses plus précises pour déterminer l’efficacité de la mesure et vérifier en quoi les engagements ont été respectés, je souhaite apporter une note de modération dans cette polémique, qui me paraît totalement inutile en période de crise.
Je qualifierai volontiers de « vertueuse », quoi qu’on en dise, cette baisse de TVA appliquée aux activités de restauration indépendante et de restauration familiale. J’ai écouté les propos que vous avez tenus à ce sujet au cours des dernières semaines, monsieur le secrétaire d'État, et j’estime – je tenais à le dire à cette tribune – que votre analyse est absolument juste.
M. Pierre Hérisson. Au-delà des dispositions prises de manière volontariste et dans le cadre de négociations, il s’agit d’une mesure qui me paraît de bon sens et je la soutiens pleinement, même si sa mise en œuvre ne s’est pas engagée dans les conditions qui avaient été acceptées et adoptées.
Il reste que cette décision était vitale pour un certain nombre d’entreprises de restauration familiales et indépendantes, auxquelles elle a permis d’assurer l’équilibre de leur compte d’exploitation ; elle a ainsi évité la disparition de plusieurs centaines d’entreprises au cours des semaines et des mois à venir.
Il était normal que cette profession reçoive une aide de l’État pour traverser cette période de crise, car elle l’a subie autant que d’autres.
Je tenais à faire ces quelques remarques, car je crois que toute polémique sur ce sujet est définitivement vaine. Si cette mesure a permis de sauver un secteur entier de notre économie, vous avez bien fait, monsieur le secrétaire d’État, de tenir bon ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi de modernisation de l’économie comportait de multiples aspects, dont le changement de statut de Radio France Internationale, RFI. Varions donc un peu les plaisirs !
Certains d’entre nous s’étaient inquiétés, lors de la discussion de ce texte, des menaces qu’ils sentaient peser sur cet outil incomparable du rayonnement de la France.
RFI est un peu plus qu’une simple société nationale de programmes ; c’est un organe de souveraineté qui fut longtemps le seul à remplir une double mission : une mission d’influence, la France devant rivaliser avec les grands médias internationaux, et une mission culturelle, la France devant promouvoir ses valeurs.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. RFI est non seulement la voix de la France, mais aussi celle des Français de l’étranger, ainsi que de tous les francophones et francophiles. Et cette voix est en danger d’étranglement !
La Fédération des Français de l’étranger s’est d’ailleurs inquiétée à de multiples reprises des effets du plan de restructuration interne de RFI. Elle condamne le ralentissement de ses activités et le processus de réduction de sa diffusion, qui semble préjudiciable à l’équilibre global du fonctionnement de cette radio, alors que le désengagement total des filières de RFI à l’étranger est programmé.
Amputer RFI de ses diffusions en langues étrangères, c’est amputer la France d’un formidable outil de communication, notamment dans les contrées où elle manque de représentations. Quelle image veut-on donner de la France à l’étranger en supprimant les langues étrangères de sa radio sinon celle d’un pays qui n’a pas les moyens financiers de créer une information internationale digne de ce nom ?
À la fin du mois de janvier 2009, Nicolas Sarkozy annonçait une aide de 600 millions d’euros accordée à la presse écrite. Peut-être celle-ci ne mérite-t-elle d’ailleurs pas tant d’égards, sauf lorsqu’elle vous fait des compliments, monsieur le secrétaire d’État...
Mme Nathalie Goulet. Je pourrais en dire autant !
En tout cas, au même moment, était également annoncé un plan de licenciement massif à RFI sous prétexte que ses comptes n’étaient pas équilibrés. À ce jour, c’est l’unique plan social en cours dans une société publique ! M. Alain de Pouzilhac avait pourtant déclaré, en prenant ses fonctions au sein de RFI, qu’il n’y aurait aucun plan de licenciement. Et dans le même temps, l’État a permis à la direction de France 24 de procéder à de multiples embauches.
Le mardi 8 décembre, à l’issue de l’expiration de la période de rétractation, 271 salariés de RFI étaient candidats au départ volontaire, soit un nombre bien supérieur à celui des suppressions de postes prévues par le plan social. Cinq chefs de service sur sept et 80 % des personnels d’encadrement intermédiaire sont, au sein de la rédaction en français, prêts à partir : fuite des cerveaux, fuite des talents, fuite des compétences !
L’argument du déficit structurel ne résiste pas à l’analyse, les autorités de tutelle et la direction ayant validé le budget « voté ». Surtout lorsqu’on met ce déficit en perspective avec les salaires de ses dirigeants, nommés directement par le Président de la République ! En effet, le président de RFI, Alain de Pouzilhac, et la directrice générale, Christine Ockrent, perçoivent chacun un salaire de 310 000 euros annuels : mieux que Barack Obama, qu’Angela Merkel ou que Nicolas Sarkozy ! Ces 310 000 euros peuvent également être comparés aux 130 000 euros que percevait le précédent PDG…
Le 18 décembre, le glas a sonné pour six des dix-sept rédactions en langues étrangères qui existaient jusqu’à présent à RFI. Le « silence radio » s’est fait définitivement en polonais, en albanais, en laotien et en allemand, et ce à la veille du soixante-cinquième anniversaire des émissions en langue allemande. Proprement incroyable ! Quant au turc, voilà déjà longtemps qu’il a disparu de RFI !
Pour la première fois de son histoire, RFI subit un processus de strangulation intempestif et intensif.
Le cas du persan, langue qui m’est chère, est encore plus incohérent eu égard à la situation explosive de l’Iran et de ses conséquences dans l’ensemble de la région. Au lieu de renforcer cette langue sur tous les supports, comme le font les Britanniques et les Américains, nous supprimons des postes de salariés parlant le persan et des émissions émises dans cette langue. C’est complètement aberrant ! L’arrêt de la diffusion en persan sur les ondes moyennes le 5 mars 2009 et le non-remplacement de cette diffusion sur la bande FM est une erreur stratégique majeure, dont je reparlerai ce soir lors du débat sur le Moyen-Orient.
Quant aux auditeurs sinophones sur ondes moyennes, ils sont désormais livrés à une radio commerciale, sans doute intéressante, mais qui n’est pas la voix de la France !
Le sabotage de RFI s’accompagne en outre de la vente des filiales à l’étranger. On brade à tout va en Bulgarie, à Lisbonne, à Budapest. C’est tout de même incompréhensible !
On est bien loin des promesses et des discours rassurants du 3 juillet 2008 ! Je n’aurai pas la cruauté, monsieur le secrétaire d’État, de rappeler les propos tenus alors par Mme Lagarde et par le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini. Notre assemblée avait même eu la faiblesse de voter un amendement que j’avais eu l’honneur de présenter – mais peut-être était-ce en fait de la naïveté – et qui visait à assurer à RFI les moyens de son rayonnement international. Hélas, cet amendement a été « retoqué » en commission mixte paritaire ; au vu du sabordage actuel de RFI, on comprend pourquoi !
Je regrette, pour ma part, le sabotage organisé d’une radio aussi importante pour le rayonnement de la France. Comme disent nos amis italiens, entre le dire et le faire, il y a la moitié de la mer ! (Vifs applaudissements sur les travées de l’Union centriste, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ferai deux remarques positives, ne serait-ce que pour bien commencer l’année…
Je salue tout d’abord votre initiative, monsieur le président de la commission de l’économie, de créer un groupe de travail en amont du débat. C’est une expérience qu’il faudra renouveler, et j’espère que l’exemple en sera repris par les autres présidents de commission.
M. Paul Raoult. Il a raison !
M. Daniel Raoul. Je souhaite également saluer, le travail effectué par Mme Élisabeth Lamure, qui est tout à fait objectif et fidèle aux auditions menées par le groupe de travail. Il reste que, si les problèmes sont bien posés dans son rapport, nous divergeons sur certaines de ses propositions.
Permettez-moi de regretter que nous n’ayons pu reconstituer la composition de la commission spéciale formée à l’occasion de l’élaboration de la LME. Je rappelle que le nombre d’articles a été multiplié par quatre au cours de l’examen du projet de loi : il n’aurait pas été inutile, par conséquent, de bénéficier de l’expertise de nos collègues de la commission des affaires sociales et de la commission des finances. La commission a fait le choix de s’en tenir à quatre thèmes. Il y aurait eu, pourtant, beaucoup à dire sur cette loi, qui ressemble fort à un fourre-tout touchant à différents domaines.
Nous aurions pu aborder, comme Mme Goulet, la situation de RFI, qui est aujourd’hui particulièrement d’actualité – toutes les radios en parlaient encore ce matin ! –, ou la question du haut débit, évoquée par Pierre Hérisson, ou bien celle du travail dominical, ou plutôt de « l’ouverture des magasins d’ameublement le dimanche », chère à Isabelle Debré.
Pour ma part, je reviendrai tout à l'heure sur la question de l’urbanisme commercial, mais je tiens à dire d’emblée combien je regrette la disparition de notre collègue député Jean-Paul Charié qui en était spécialiste reconnu et dont les compétences vont nous manquer.
M. Gérard César. Hélas !
M. Daniel Raoul. Il avait constaté, au travers des auditions qu’il avait menées, combien les élus étaient désemparés face au développement anarchique, en particulier, de certains établissements de restauration exotique dans les centres-villes, sans que puisse être exercé le moindre contrôle.
L’objet du présent débat est donc de faire un point d’étape après seulement dix-huit mois d’application de cette loi de modernisation de l’économie. Mais le champ couvert par ce texte étant très vaste, comme l’a fait remarquer Nicole Bricq, je ne suis pas certain que nous disposions aujourd'hui du recul suffisant pour juger de l’ensemble de ses effets induits.
L’ambition principale de la LME, que l’on aurait également pu appeler, faisant allusion aux initiales du patron d’une chaîne bien connue de grandes surfaces, la « loi MEL », tant la pression de la grande distribution a pesé sur son élaboration et sur la rédaction de nombre d’articles,...
M. Daniel Raoul. ... était, selon vos propres termes, monsieur le secrétaire d’État, « de lever les contraintes qui empêchent certains secteurs de se développer, de créer des emplois et de faire baisser les prix ».
Reprenons donc chacun de ces thèmes.
Plusieurs orateurs ont déjà abordé la question des relations commerciales entre les distributeurs et les producteurs et ont dit ce qu’il fallait penser de la baisse des prix que leur évolution était censée entraîner. Quant aux créations d’emplois, Christiane Demontès y reviendra à propos du statut de l’auto-entrepreneur et de la diminution corrélative du nombre d’entreprises individuelles.
Vous posez un acte de foi dans le libre fonctionnement du marché, supposé mener l’économie sur la voie de la croissance et de l’emploi. C’est pour vous quasiment un dogme, que vous invoquez de façon permanente.
J’avais dit à Mme Lagarde, à l’époque, qu’elle semblait affectée du même trouble obsessionnel compulsif que la commissaire européenne à la concurrence, car elle répétait à l’envi cet acte de foi inconsidérée envers les bienfaits de la concurrence. Nous avons pu les constater sur le marché de l’énergie, où l’ouverture à la concurrence a clairement précédé l’augmentation des prix !
Autrement dit, la concurrence n’a jamais fait baisser les prix,...
M. Daniel Raoul. ... en tout cas pas dans ce domaine particulier, que je connais un peu.
Si notre économie a été moins touchée par la crise que celle des pays voisins, c’est en raison du modèle social français. Le Président de la République lui-même a reconnu que ce modèle avait servi d’amortisseur face aux effets de la crise. Cette explication me semble tout à fait juste. Comment expliquer, alors, que vous ne cessiez de le détricoter à coups de lois en ne vous fiant qu’au seul marché ?
Comme l’a souligné Mme le rapporteur, sur les quatre points retenus par la commission, le bilan est très contrasté. Il est en tout cas négatif sur les deux points principaux évoqués dans le préambule de la loi : l’emploi et les prix.
La création du statut de l’auto-entrepreneur a entraîné une baisse du nombre de créations d’entreprises individuelles. Par ailleurs, comme l’a rappelé Mme le rapporteur, plus des deux tiers des auto-entrepreneurs n’ont réalisé aucun chiffre d’affaires. Que se cache-t-il donc derrière ce statut, et à quoi sert-il ?
Je ne reprendrai pas l’ensemble des arguments que nous avons pu entendre, en particulier ceux de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment,…
M. Daniel Raoul. … d’autant que vous les connaissez par cœur, monsieur le secrétaire d’État. S’il arrive que ces arguments soient quelque peu excessifs, ils n’en soulèvent pas moins de vraies questions, qui touchent le consommateur, qu’il s’agisse de la réalisation réelle des travaux, de la responsabilité des travaux effectués, etc.
Monsieur le secrétaire d’État, il ne faut pas confondre création d’entreprise et création d’activité, et les chiffres cités dans le rapport le montrent très bien.
Le statut d’auto-entrepreneur conduit à des pratiques perverses, comme l’a démontré l’un de nos collègues, et je ne doute pas que Christiane Demontès l’évoquera tout à l’heure. Ainsi, des activités ont fait l’objet de contrats de sous-traitance externalisés, afin d’éviter le paiement des charges, sans que la rémunération des personnes concernées soit pour autant modifiée. Il en est ainsi, à titre d’exemple, de la correction dans les maisons d’édition.
S’agissant des pratiques commerciales, la date imposée du 1er mars a certes été respectée, mais des dérives ont été relevées par la DGCCRF lors du contrôle de quelque mille contrats : certaines conventions comportent des clauses léonines.
Les conventions ont été renégociées immédiatement entre les mois de mai et de juin. Une partie des relations entre distributeurs et producteurs a été réglementée par la légalisation du racket, avec la suppression théorique des marges arrière – dans quelles proportions ? on pourrait en discuter à l’infini ! –, mais nous n’avons pas voté ces articles, car ils instauraient un rapport de force inégal, sinon la loi de la jungle.
Demeure le problème de l’élaboration du prix de vente au consommateur. Les crises qui ont touché les secteurs du lait et des fruits et légumes, évoquées à plusieurs reprises dans cet hémicycle par nos collègues Yannick Botrel, des Côtes-d’Armor, et Didier Guillaume, de la Drôme, ont démontré que le législateur devrait bien un jour remettre l’ouvrage sur le métier. En effet, malgré l’adoption de la LME et quelles que soient les affirmations des distributeurs, la transparence n’est toujours pas au rendez-vous. Dans le commerce – mot que la sémantique permet pourtant de rapprocher de la communication –, la confiance entre les partenaires n’est pas la donnée la plus constante des négociations. L’opacité est de mise pour ce qui concerne la formation des prix au détriment des deux bouts de la chaîne, à savoir le producteur en amont et le consommateur en aval.
Pourquoi ne pas expérimenter le coefficient multiplicateur maximal pour les produits bruts, peu transformés ou succinctement conditionnés ? Ce dispositif, qui ne pourra peut-être pas être généralisé, a été introduit en 2005 dans la loi relative au développement des territoires ruraux. Même s’il n’a jamais été appliqué, il a incité les partenaires, en particulier les distributeurs, à contenir les marges dans un premier temps. Mais on a vu ce qu’il en est advenu…
Pour quelle raison n’existe-t-il aucune corrélation simple entre les prix alimentaires et les prix agricoles, alors que le budget alimentaire est incompressible, comme d’autres dépenses contraintes, et que sa part continue à augmenter pour les ménages les plus modestes ? Il peut atteindre 20 % du budget des ménages touchés à la fois par la crise et par le chômage !
Mme le rapporteur a souligné à plusieurs reprises l’importance des contrôles des agents de la DGCCRF. Ils ont eu un effet très positif et ont conduit à porter devant des juridictions des cas de dérives par rapport aux conventions initiales. Mais quid de l’avenir de cette direction, évoqué par Nicole Bricq, alors que la RGPP tend à déconnecter ses agents du terrain ? Dès lors que les contrôles effectués ont sans doute limité les dégâts résultant de la LME, un certain nombre de problèmes ne manqueront pas de surgir à terme du fait de la poursuite de la RGPP.
M. Daniel Raoul. Moi, monsieur le secrétaire d’État, je suis persuadé que nous allons perdre ces moyens de contrôle.