M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État chargé de l'emploi. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais tout d’abord remercier la commission des affaires sociales du Sénat d’avoir organisé ce débat, qui – M. Nicolas About l’a souligné – intervient, pour une partie, très en amont des décisions et, pour l’autre, en aval de certaines mesures déjà prises en termes d’emploi des seniors. Je tiens aussi à remercier M. Dominique Leclerc, dont l’expertise en matière de retraite et d’emploi des seniors est plus que reconnue.

Nous travaillons sur le sujet de l’emploi des seniors depuis maintenant plusieurs années. Après l’impulsion donnée par le président Gérard Larcher, nous nous sommes appuyés sur les travaux de Xavier Bertrand et de Brice Hortefeux, avec qui nous avons collaboré. Nous comptons désormais sur Xavier Darcos, qui apporte toute son énergie pour que nous puissions assurer une mobilisation conjointe sur le dossier. Il s’agit effectivement d’une priorité majeure, à la fois pour le pays et pour les sénateurs, comme l’a rappelé M. Nicolas About, non sans humour.

S’agissant d’emploi des seniors, la France est enfermée depuis trente ans, toutes tendances politiques confondues, dans une spirale infernale, qui a consisté à acheter un allègement à court terme de la situation de l’emploi au mépris de l’emploi des seniors. J’ai souvent l’habitude de faire cette comparaison : l’utilisation en tous sens des préretraites s’est finalement apparentée à l’utilisation de la morphine, soulageant à court terme, mais se révélant extrêmement pénalisante pour les seniors et pour la compétitivité de notre pays à long terme.

Ainsi, en France, seuls 37 % des seniors disposent aujourd’hui d’un accès à l’emploi, alors que ce taux atteint 70 % en Suède et que la moyenne européenne avoisine 50 %. Notre pays fait donc totalement figure d’exception !

Cette situation est le fruit d’une responsabilité conjointe. Sur le plan politique, les ministres de l’emploi successifs ont acheté un camouflage des statistiques par le biais des préretraites.

La responsabilité en revient ensuite aux employeurs et à leur gestion des ressources humaines, notamment en période difficile, par le biais des départs en préretraite. La responsabilité est enfin partagée par les syndicats, les préretraites étant considérées comme « du grain à moudre » pour gérer les conflits sociaux.

Ainsi, année après année, le nombre de préretraites a grimpé de façon vertigineuse. Je me permets de rappeler les chiffres, pour mettre fin à certaines polémiques qui m’ont choqué sur ce sujet. En 1997 et en 1998, années record en la matière, plus de 100 000 départs en préretraite ont ainsi camouflé l’impossibilité d’apporter un emploi à nos seniors.

C’est pour cette raison que, depuis deux ans maintenant, nous avons choisi d’inverser les choses et de mener une politique active en faveur de l’emploi des seniors. Comme MM. Dériot et Barbier l’ont rappelé, de nombreuses mesures ont été prises en la matière : la fin de la mise à la retraite d’office, la libéralisation du cumul emploi-retraite, le relèvement de la surcote et l’impossibilité de mettre d’office un certain nombre de personnes à la retraite, y compris dans la fonction publique.

Les résultats sont là : alors qu’en 1997 et en 1998 100 000 personnes étaient mises en préretraite, elles ne sont plus que 8 000 cette année, uniquement des victimes de l’amiante.

Le deuxième volet de notre politique, qui a été programmé, vise à aboutir à un meilleur accompagnement des demandeurs d’emploi seniors, qui ne seront plus dispensés de rechercher un emploi. De ce point de vue, la situation était scandaleuse : un senior qui perdait son emploi recevait, en guise d’accompagnement, un courrier lui enjoignant de ne pas encombrer le service public de l’emploi et de rester chez lui, ce qui était particulièrement choquant en termes de considération pour les seniors et d’accès à l’emploi.

Le dernier volet de notre action, dont la deuxième étape s’engage aujourd’hui, est le changement en profondeur de la gestion des âges dans les entreprises.

Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, sur laquelle nous avons été amenés à travailler avec plusieurs d’entre vous dans l’enceinte du Sénat, les branches et les entreprises de plus de 50 salariés ont dû signer avant le 1er janvier 2010 des accords ou des plans d’action pour recruter ou maintenir les seniors dans l’emploi, avec des objectifs et des moyens précisément chiffrés. M. Dériot l’a relevé, la part des seniors a ainsi pu progressivement augmenter.

Que n’avons-nous entendu, avec Xavier Darcos, à ce sujet ! Avec la crise, on nous a conseillé de ne pas nous occuper de l’emploi des seniors, qui n’était pas une priorité, et de laisser perdurer le système actuel de préretraites, car ce n’était pas le moment de le modifier. Nous avons refusé de céder à la facilité et nous avons, au contraire, enclenché cette dynamique de gestion en faveur de l’emploi des seniors.

Or, les résultats sont là. Pour la première fois depuis trente ans, en période de crise, le taux d’emploi des seniors s’est amélioré de près de 1,5 point pour atteindre 39,2 %. Pour autant, le chemin est encore long pour inverser les mentalités culturelles dans lesquelles nous nous étions enfermés.

J’en viens aux accords de branches, sur lesquels des questions m’ont été posées, notamment par M. Barbier. Où en sommes-nous aujourd'hui ?

La dynamique est bonne : quatre-vingt-deux branches, qui représentent les trois quarts des salariés du privé, ont ouvert – et, pour la plupart, conclu – des négociations au cours des derniers mois. Pour ne citer que certaines d’entre elles, l’Union des industries et des métiers de la métallurgie, l’UIMM, la Fédération française du bâtiment, l’Union des fédérations de transports, les industries alimentaires, les industries chimiques, la Fédération des entreprises de propreté et services associés ont déjà déposé des accords à leur niveau.

Avec Xavier Darcos, nous avons souhaité faire preuve de souplesse pour les entreprises de 50 à 300 salariés qui pensaient, en toute bonne foi, être couvertes par un accord de branche qui n’aurait finalement pas été engagé.

À partir des remontées de terrain dont nous bénéficions, nous pouvons d’ores et déjà vous communiquer un certain nombre d’éléments qualitatifs.

Tout d’abord, nous constatons que le contenu des accords est de qualité – je sais que Mme Demontès y sera sensible. Ainsi, 80 % des branches ont affiché comme une priorité le développement des compétences et des qualifications, l’accès à la formation et le tutorat. Les trois quarts ont choisi d’anticiper l’évolution des carrières professionnelles et plus de la moitié d’aménager les fins de carrière, notamment pour les seniors.

Certaines d’entre elles travaillent également sur l’amélioration des conditions de travail, ce qui renvoie aux situations de pénibilité, sujet dont Xavier Darcos a la responsabilité.

Il s’agit bien sûr d’outils, et les outils ne valent que s’ils sont utilisés et s’ils sont opérationnels sur le terrain, je vous le concède volontiers, monsieur Fischer. Un certain nombre d’initiatives très concrètes sont, de ce point de vue, assez porteuses ; je sais que M. About y sera sensible.

M. Nicolas About. Certainement !

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Je veux citer l’amélioration des conditions de travail par des accords passés avec les partenaires sociaux, la limitation du travail de nuit à partir de cinquante-cinq ans – le travail parlementaire pourrait s’en inspirer… (Sourires) –, la valorisation du tutorat en faisant entrer dans le processus de validation des acquis de l’expérience les seniors, notamment à partir de quarante-cinq ans, le développement du tutorat permettant d’accompagner des jeunes dans l’entreprise avec des seniors plus expérimentés, la formation des recruteurs pour éviter toute pratique de discrimination en fonction des âges.

Ce sont des mesures simples et concrètes, qui permettent d’atteindre des objectifs chiffrés intéressants. À cet égard, je citerai simplement deux exemples.

La Société Générale a décidé, à la suite de la loi que vous avez votée, d’augmenter de 30 % la part des seniors ayant accès à la formation et de mettre en place un dispositif de lutte contre les discriminations à l’embauche.

Le groupe Carrefour s’est engagé à ce que tous les seniors puissent désormais choisir de passer d’un poste de nuit à un poste de jour et bénéficier d’un temps partiel progressif sans diminuer d’autant leur salaire.

Ces exemples concrets témoignent qu’une dynamique nouvelle est en train de s’enclencher.

Nous serons très vigilants sur la question de la mise en œuvre concrète de ces accords. Il est hors de question de se contenter d’accords de façade, jolis et sympathiques sur le papier mais qui ne se traduiraient pas par des évolutions sur le terrain.

La feuille de route est clairement définie. Nous bénéficions d’ores et déjà d’un outil de suivi statistique et d’évaluation des accords.

En février, nous réunirons les branches professionnelles et les entreprises pour refaire le point et parler de la mise en œuvre des accords. À la fin du mois d’avril, nous dresserons un premier bilan, qui pourra bien entendu vous être transmis si vous le souhaitez.

En tout état de cause, une nouvelle dynamique est en train de s’instaurer progressivement dans notre pays. Avant, les négociations portaient sur la mise à la retraite d’office des seniors. Aujourd’hui, elles portent sur des mesures concrètes destinées à faire en sorte que les seniors puissent continuer à avoir accès au marché de l’emploi.

Certes, la bataille est loin d’être gagnée ; c’est une bataille au long cours qui nécessitera de l’opiniâtreté et un travail sur la durée, mais c’est un enjeu de fond, je remercie M. Teulade de l’avoir souligné. Au-delà de l’emploi, c’est bien de la vision et de la conception de notre société qu’il est question. Il était criminel de culpabiliser les seniors en prétendant qu’ils prenaient l’emploi d’un jeune.

Dans une société qui a devant elle le défi de la solidarité entre les générations, on ne peut pas continuer à accepter un tel discours. Nous préparons au contraire l’avenir de notre société en montrant que l’on peut à la fois garder l’emploi d’un senior et préparer l’embauche d’un jeune ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

questions-réponses-répliques

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder aux questions-réponses-répliques.

La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en matière d’emploi des seniors, la France fait figure de lanterne rouge en Europe, ce dont nous nous passerions volontiers.

Depuis plusieurs années, des mesures ont certes été prises, en tout cas annoncées par le Gouvernement, mais force est de constater qu’elles ne sont pas toujours suivies d’effet et que de nombreuses entreprises – on peut le dire – ne jouent pas le jeu.

Encore trop souvent, les entreprises françaises se séparent de leurs seniors et rechignent à recruter des salariés qui, selon elles, coûtent plus cher et surtout sont beaucoup moins malléables que les jeunes. Elles se privent ainsi de ressources inestimables, notamment en matière d’expérience et de savoir-faire.

En réalité, c’est un véritable changement de mentalité qu’il importe d’opérer. Certes, plus de 8 000 entreprises de 80 branches ont signé des accords pour embaucher des salariés de plus de cinquante-cinq ans, mais l’obligation de résultat est-elle suffisamment contraignante ? Nous ne le pensons pas.

Pour encourager l’emploi des seniors, le changement de mentalité doit être très significatif. Surtout, la notion de pénibilité, qui est relative, doit évoluer pour certains métiers. Je pense en particulier aux métiers d’infirmier, de professeur d’éducation physique, qui demandent incontestablement des adaptations au-delà de quarante, quarante-cinq ou cinquante ans.

La recherche de la rentabilité maximale ne doit pas être le seul objectif des entreprises, car il en découle un stress considérable. Or le stress n’a jamais été un moteur d’efficacité et ne saurait donc être un outil de management. Mieux vaut gérer le personnel avec un souci d’humanisme si l’on veut éviter des conséquences désastreuses.

Monsieur ministre, que comptez-vous faire concrètement pour redonner dignité aux seniors et faire aboutir une juste reconnaissance de la pénibilité du travail ? Mais aussi, comment comptez-vous promouvoir l’emploi des seniors sans pénaliser la lutte contre le chômage des jeunes ? Parviendrez-vous à éviter cet écueil ? En conséquence, comment comptez-vous faire pour qu’un véritable changement de mentalité se produise dans notre pays ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Darcos, ministre. En matière d’emploi des seniors, monsieur Fortassin, comme vous l’avez dit, la situation progresse puisque le taux d’emploi des personnes âgées de cinquante-quatre à soixante-quatre ans a connu une progression de 2,6 points depuis 2002. Nous sommes passés de 35,6 % à 38,2 %.

Je me réjouis que l’on observe un changement de mentalité dans notre pays. On a cru longtemps au dogme du partage du travail, dont nous avons vu les traductions dévastatrices, qu’il s’agisse des trente-cinq heures ou de la religion des préretraites. Mais, peu à peu, notre pays est sorti de cette vision des choses et a délaissé ses démons. Il faut continuer à progresser.

Qu’avons-nous fait ? D’abord, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a permis l’adoption de mesures permettant d’inciter les travailleurs âgés à prolonger leur activité par l’amélioration du taux de la surcote, la libéralisation totale du cumul emploi-retraite et le report de l’âge de mise à la retraite d’office à soixante-dix ans – il existe des exceptions dans certaines branches, vous en avez d’ailleurs cité quelques-unes.

Sur ce dernier sujet, j’ai souhaité tenir bon, car il ne s’agit pas de reporter la date d’effet du dispositif. Je m’étonne d’ailleurs d’entendre défendre à contre-emploi un système dans lequel, à soixante-cinq ans, des salariés pouvaient être mis à la porte des entreprises simplement en raison de leur âge. Je n’imagine pas qu’un homme engagé comme vous, monsieur Fortassin, puisse approuver de tels systèmes !

Enfin, nous avons incité les branches et les entreprises à conclure des accords en faveur de l’emploi des seniors.

M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour la réplique.

M. François Fortassin. Monsieur le ministre, le Gouvernement fait incontestablement preuve de bonne volonté, mais nous doutons que les mesures prises soient à la hauteur des attentes.

Nos entreprises sont en proie à un « syndrome de jeunisme » évident. Prend-on les bonnes mesures pour qu’un véritable changement de mentalité se produise ou considère-t-on que ce changement se réalisera avec le temps ? Pour notre part, nous ne le pensons pas. Il faut certainement prendre des mesures assez draconiennes en la matière.

M. le président. La parole est à Mme Janine Rozier.

Mme Janine Rozier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme il en a déjà été largement question depuis le début de notre débat, deux problèmes majeurs se posent à la fois en matière d’accès à l’emploi et de maintien dans l’emploi des seniors.

D’une part, les seniors rencontrent des difficultés à trouver un nouvel emploi, et ce en dépit de l’expérience acquise au cours de leur parcours professionnel.

D’autre part, certains d’entre eux subissent des pressions pour prendre la voie d’un départ anticipé. En particulier dans le contexte de crise économique que nous connaissons, les entreprises tentent de résoudre leurs difficultés économiques en proposant en priorité aux seniors une cessation d’activité progressive.

Actuellement, je le rappelle, la France se distingue comme un bien mauvais élève avec un taux d’emploi des plus de cinquante-cinq ans de 38 %, contre 46 % pour l’ensemble de l’Europe.

Nous devons cesser de considérer l’inactivité des plus de 55 ans comme une solution pour lutter contre le chômage, puisque c’est faux.

Cependant, je me réjouis, monsieur le ministre, des résultats des premières mesures en faveur de l’emploi des seniors prises par le Gouvernement à l’occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, notamment la surcote de 5 % ou le cumul emploi-retraite.

Par ailleurs, dans cette même loi, il est prévu que les entreprises de plus de 50 salariés doivent être couvertes, à compter du 1er janvier 2010, par un accord de branche ou d’entreprise, ou à défaut par un plan d’action relatif à l’emploi des seniors.

En l’absence d’accord, les entreprises s’exposeront à payer une pénalité de 1 % de la masse salariale applicable au 1er janvier 2010.

S’il est de notre responsabilité de faire de l’emploi des seniors une priorité, notre volonté ne peut être mise en œuvre que si les entreprises et les partenaires sociaux prennent ce sujet à bras-le-corps, comme cela a également été souligné. Surtout, un changement de mentalité doit se produire dans les entreprises pour que les seniors se voient accorder la véritable place qu’ils méritent dans notre société : leurs connaissances et leur savoir-faire, notamment dans les professions manuelles, sont une école de premier choix pour les jeunes.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de nous avoir déjà longuement fait part des solutions envisagées, mais peut-être puis-je espérer davantage de précisions.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Madame Rozier, vous avez très précisément pointé la spirale infernale dans laquelle nous nous étions enfermés en matière d’emploi des seniors. Pour en sortir, il est bien évident que tout dépend de la réaction des entreprises.

L’action du Gouvernement s’appuie sur des plans d’action très précis.

D’abord, nous avons demandé des objectifs chiffrés. Notre obsession était d’éviter que soient fixés de vagues principes sans déclinaison quantitative.

Ensuite, nous avons identifié, avec l’aide de Vigeo, le groupe dirigé par Nicole Notat, six domaines d’actions prioritaires : le recrutement – pour supprimer les discriminations –, l’évolution des carrières professionnelles – pour casser le couperet des 50 ans –, l’amélioration des conditions de travail – ce qui renvoie à la pénibilité –, l’accès à la formation – après 50 ans, un travailleur a, je le rappelle, deux fois moins de chances d’y avoir accès, nous en avions d’ailleurs débattu lors de la discussion de la loi portant réforme de la formation professionnelle –, l’aménagement de la fin de carrière et la transmission des savoirs, notamment en direction des plus jeunes.

Sur le plan quantitatif, les accords sont satisfaisants puisque, aujourd'hui, 12 millions de salariés sont couverts. Ce résultat constitue une véritable performance dans la mesure où nous sommes partis de rien ! Le travail mené conjointement par mes services et ceux de Xavier Darcos nous a permis d’avancer rapidement.

Sur un plan qualitatif, je peux vous citer plusieurs exemples d’accords : dans le secteur du commerce de gros, la rémunération doit être maintenue en cas d’inaptitude professionnelle chez les plus de 55 ans ; dans la métallurgie, la part des salariés de plus de 58 ans doit passer de 3 % à 5 % ; dans l’industrie textile, l’accès des seniors expérimentés à la validation des acquis de l’expérience doit être développé ; dans les entreprises de propreté, l’accent a été mis sur la formation.

Comme vous l’avez indiqué, madame Rozier, nous ne sommes qu’au début d’un chemin que nous devons suivre durablement et conjointement.

M. le président. La parole est à Mme Janine Rozier, pour la réplique.

Mme Janine Rozier. Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi d’insister sur la nécessité que soit transmis aux jeunes le savoir-faire exceptionnel des seniors, notamment dans le bâtiment et les métiers d’art. Nos châteaux du Val-de-Loire et nos cathédrales en ont besoin !

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question de l’emploi des seniors intéresse décidément beaucoup les sénateurs puisque je vais à mon tour y revenir, plus précisément sur le bilan, pour le moins contrasté, de l’obligation faite aux entreprises de conclure un accord sur l’emploi des seniors avant le 1er janvier 2010 pour éviter de subir une sanction pécuniaire égale à 1 % de leur masse salariale.

La perspective de s’exposer à une telle sanction a certes déclenché un mouvement de négociation, mais, à y regarder de plus près, nous ne pouvons que déplorer des résultats très insuffisants, qui ne permettent pas de promouvoir suffisamment le travail des seniors. Si l’objectif des entreprises était d’éviter une sanction, la mission semble accomplie, mais s’il s’agissait de contraindre véritablement les entreprises à changer leurs pratiques et leurs comportements, il s’agit d’un échec, qui ne devrait pas susciter chez vous, monsieur le secrétaire d’État, l’enthousiasme que vous semblez afficher. Ici encore, il y a, d’un côté, la communication gouvernementale et, de l’autre, la réalité.

En effet, dans les entreprises de plus de 300 salariés, sauf exception, les accords ne contiennent que des plans d’action et rarement des mesures concrètes. Les entreprises de 50 à 300 salariés viennent, quant à elles, d’obtenir un nouveau report de trois mois pour satisfaire à cette obligation. Quant aux entreprises de moins de 50 salariés, elles en sont totalement exemptées.

Les contenus des accords passés brillent par leur manque flagrant d’ambition, y compris celui de la métallurgie, que vous présentez pourtant comme exemplaire, alors qu’il prévoit de porter, en trois ans, de 11 % à 12 %, le taux de salariés de plus de 55 ans. Par ailleurs, il est fortement à craindre que les accords passés au niveau des branches, lesquels sont souvent de meilleure qualité, ne soient pas déclinés concrètement dans chaque entreprise du secteur concerné.

Monsieur le secrétaire d'État, face à ce constat, ne pensez-vous pas qu’il est vraiment nécessaire de prendre d’autres mesures plus contraignantes, notamment de passer d’une obligation de moyen à une obligation de résultat en matière d’emploi des seniors dans les entreprises, comme vous l’avez vous-même évoqué dans la presse ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Madame la sénatrice, à quoi nous attaquons-nous ? À un sujet qui, depuis trente ans, n’a jamais été abordé, quelle qu’ait été la majorité au pouvoir ! Absolument rien n’a été fait dans ce pays en matière d’emploi des seniors depuis lors, ce qui doit d’ailleurs tous nous inciter à une certaine modestie. Tous les gouvernements, y compris ceux auxquels vos amis ont participé, n’ont, je le répète, rien fait : ce sujet était purement et simplement tabou.

Nous avons déjà débattu ici même de la nécessité d’instaurer des quotas. Nous n’y sommes pas favorables, car un tel système aboutirait à imposer de façon automatique à des entreprises ayant des structures d’âge totalement différentes des embauches qui seraient irréalistes. Nous le savons bien, nous nous serions retrouvés dans la situation suivante : les entreprises auraient préféré payer plutôt que de prévoir des mesures en faveur des seniors.

Nous avons donc préféré instaurer une sanction très forte – à hauteur de 1 % de la masse salariale – avec des objectifs atteignables pour obliger les entreprises à évoluer.

Madame Pasquet, vous avez cité l’exemple de l’accord dans le secteur de la métallurgie, que vous trouvez insignifiant. Il prévoit pourtant un doublement du pourcentage d’emplois des plus de 58 ans, ce qui n’est pas rien ! Cet accord a été signé par les partenaires sociaux. Des délégués syndicaux se sont engagés pour obtenir ces avancées, qui ne résultent pas du travail du Gouvernement, mais bien de celui des acteurs de terrain. L’emploi des seniors mérite mieux que le pessimisme ou l’inaction !

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet, pour la réplique.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le secrétaire d'État, il n’y a aucun pessimisme dans mes propos. J’ai bien entendu vos arguments, mais, même si l’on peut effectivement regretter que rien n’ait été fait par le passé, je considère que le gouvernement auquel vous appartenez ne prend pas suffisamment à bras-le-corps le problème de l’emploi des seniors.

Comme vous le savez, en 2006, l’Union européenne avait fixé l’objectif de parvenir à un taux d’emploi des seniors de 50 % en 2010. Nous y sommes, et ce taux reste aux alentours de 38 %.

Parallèlement, de nombreux salariés attendent un dispositif de reconnaissance de la pénibilité parce qu’ils sont usés prématurément par les mauvaises conditions de travail qu’ils ont subies, je pense par exemple aux infirmières dont le cas a été évoqué tout à l’heure par mon collègue Guy Fischer.

Il est donc vraiment temps que ce gouvernement prenne des mesures plus contraignantes et adaptées pour changer les pratiques et les mentalités.

Comme vous le déclariez vous-même au journal Les Échos en novembre 2009, « sans perspective de sanction, rien n’aurait bougé ». Mais, malheureusement, rien n’a changé – ou si peu –, alors que ce changement est le préalable à toute modification du régime des retraites.

M. le président. La parole est à M. Nicolas About.

M. Nicolas About. Monsieur le ministre, comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, nous défendons depuis 2003 un remplacement de l’annuité par le point. Une solution comparable consisterait à faire basculer le système de l’annuité vers un système en « compte notionnel ».

L’une ou l’autre de ces solutions apporterait une réponse efficace au problème du financement.

Dans le premier cas, la pension ne serait pas calculée en fonction des années validées, mais du nombre de points comptabilisés au cours de la carrière.

Dans le second, la pension dépendrait d’un capital virtuel accumulé par le salarié pendant sa carrière, auquel serait appliqué un coefficient de conversion qui dépendrait de l’âge effectif de départ à la retraite et de l’espérance de vie.

Une telle réforme systémique permettrait d’aborder le problème avec une hauteur nouvelle, de dépasser le point de crispation qu’est l’âge légal de départ à la retraite et, in fine, de permettre réellement à chaque assuré de pouvoir effectuer un arbitrage entre arrêt de l’activité et montant de la pension. Pour nous, elle seule permettrait de concilier retraite à la carte et maintien d’un haut niveau de pension.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, ma question est simple : le Gouvernement est-il favorable à ce dispositif ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Darcos, ministre. Monsieur About, je rappelle que le COR doit remettre un rapport sur le modèle suédois, dont le Parlement lui a passé commande dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Nous avons demandé au Conseil d’orientation des retraites de réfléchir aux évolutions possibles de notre mode de calcul des pensions de retraite, avec trois objectifs : simplification, laquelle n’est pas superflue aujourd’hui, puisqu’il existe trente-huit régimes obligatoires ayant chacun leurs règles différentes ; équité entre les régimes car, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, il existe de trop grandes disparités entre le public et le privé ; lisibilité pour les assurés, afin que chacun sache à tout moment de sa carrière les droits à retraite qu’il a acquis.

Le Gouvernement n’a pas commandité ce rapport, dont nous disposerons dans les semaines à venir, il en est simplement destinataire. Élaboré par une instance indépendante, où sont représentés les partenaires sociaux, il permettra d’alimenter notre réflexion en vue du rendez-vous de 2010.

Monsieur About, nous devons nous méfier des solutions miracles. Nous ne pouvons laisser croire que le changement du mode de calcul des droits permettra d’éviter de travailler plus longtemps. En revanche, ce changement permettra peut-être de clarifier et d’uniformiser les règles du jeu pour atteindre l’objectif visé.

Même si l’on peut souhaiter une réforme d’une telle ampleur, nous devons commencer par procéder aux ajustements nécessaires du régime actuel pour rendre soutenables nos dépenses de retraite dans les dix à quinze prochaines années. Même si nos décisions d’aujourd'hui ne porteront d’effet qu’à ce terme, nous ne sommes pas pour autant dispensés d’agir immédiatement.

M. le président. La parole est à M. Nicolas About, pour la réplique.

M. Nicolas About. Monsieur le ministre, je partage tout à fait votre analyse !

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.

M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, monsieur le ministre, la loi portant réforme des retraites du 21 août 2003 a été votée avec le soutien remarqué d’une grande organisation syndicale, sous réserve de la création – qui lui était promise – d’un dispositif de compensation de la pénibilité de certains métiers.

En 2010, que constatons-nous ?

Premièrement, le dispositif de compensation espéré pour les travailleurs qui, du fait de la pénibilité de leur emploi, ont une espérance de vie réduite, n’a toujours pas vu le jour, le patronat se montrant opposé à toute participation au financement d’un tel dispositif.

Deuxièmement, il n’existe toujours aucune définition juridique claire de la pénibilité dans le code du travail.

Troisièmement, depuis 2003 la proportion de salariés cumulant trois types de contraintes physiques a encore progressé.

Quatrièmement, s’agissant des contraintes mentales, elles ne cessent de s’accroître. Les contraintes organisationnelles se généralisent ; les temps sont de plus en plus éclatés – pour certaines professions on parle même d’ « horaires hachés » ; le travail de nuit se développe ; les horaires atypiques ou imprévisibles deviennent la norme, induisant des difficultés insurmontables entre vie privée et vie professionnelle, notamment pour les femmes.

Cinquièmement, tout cela s’inscrit dans le cadre d’une menace constante, pour ne pas dire un chantage au licenciement, de la part d’une majorité d’entreprises parmi les plus grandes, y compris les entreprises publiques. Cette situation accroît la souffrance mentale des salariés, qui savent pertinemment que licenciement rime avec chômage de longue durée et est, pour les plus de cinquante ans, la plupart du temps, synonyme de perte définitive d’un emploi salarié.

La question de la pénibilité, de l’emploi des seniors et de leur départ à la retraite n’est donc pas réglée.

Dans ces conditions, mon questionnement est le suivant : monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, que compte faire le Gouvernement pour contraindre le patronat à participer d’une manière responsable au dispositif de compensation de la pénibilité du travail dans le cadre des départs à la retraite ? Quelles mesures entend-il prendre pour mettre un terme au paradoxe généré par son discours récurrent demandant que nos concitoyens travaillent plus longtemps, alors qu’il laisse les entreprises, y compris les plus prospères, licencier sans vergogne ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Xavier Darcos, ministre. Vous le savez, la question de la pénibilité a été clairement évoquée par le Président de la République dans son discours devant le Congrès. Il a nettement indiqué qu’il souhaitait que celle-ci soit prise en compte lorsque nous discuterons des retraites. Nous ne voulons évidemment pas esquiver ce sujet.

Cela dit, la sauvegarde du régime de retraites exigera des efforts de notre part à tous, ce qui ne veut pas dire que les mêmes efforts seront demandés à tout le monde : c’est tout l’enjeu de la pénibilité.

Je ne me résous pas au constat d’échec dressé par les partenaires sociaux sur ce dossier en juillet 2008 après trois ans de négociation. L’État prendra donc ses responsabilités.

Trois idées clés peuvent être avancées à ce sujet.

La première idée revient à dire que la pénibilité ne doit pas seulement être compensée, il faut évidemment agir en amont. Il faut prévenir la pénibilité, c’est une dimension essentielle.

Voilà pourquoi j’ai réuni cette semaine même le conseil d’orientation sur les conditions de travail, le COCT, pour présenter le deuxième plan santé au travail, qui permettra de faire le point sur l’élaboration d’un plan de prévention. C’est aussi un élément qui se trouvera dans l’accord que nous aurons à prendre en faveur de l’emploi des seniors.

La deuxième idée consiste à ne pas inclure trop d’éléments dans la définition de la pénibilité. Il ne faut pas qu’elle soit une notion attrape-tout.

La troisième idée, enfin, pose que la cessation d’activité ne constitue pas la seule réponse possible au problème de la pénibilité au travail. Des aménagements de poste, le passage au temps partiel peuvent être envisagés. L’exploitation de compétences acquises par les seniors sous forme de tutorat peut également être utilisée. Nous avons toutes sortes de pistes à explorer.

M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour la réplique.

M. Jacky Le Menn. Monsieur le ministre, je mentirais si je disais que vous m’avez complètement convaincu.

Je tiens à insister sur la nécessité de voir défini juridiquement, dans le code du travail, d’une manière précise et sans ambiguïté, le concept de pénibilité. Cela permettrait peut-être de faire progresser la réflexion sur la liaison entre métiers pénibles, exercés pendant une longue période de vie active, et âge de départ à la retraite avec attribution d’une pension à taux plein d’un niveau décent.

En outre, je souhaite affirmer mon opposition à une logique de réparation en matière de pénibilité et mon soutien à une logique de compensation, plus juste pour l’ensemble des personnes ayant exécuté la même activité pénible pendant la plus grande partie de leur vie active. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.