M. Alain Gournac. Quelle organisation !
M. Michel Billout. Cette mesure est en discussion, notamment avec la Commission européenne, car son aspect contraignant, coûteux et difficile à réaliser pour les très courtes missions a été pointé du doigt.
Pourtant les avantages qu’elle apporterait sont également très nombreux.
Elle serait de nature à faire disparaître un certain nombre de fraudes, permettrait de vérifier que l’entreprise à l’origine du détachement a bien une existence réelle et qu’il s’agit bien d’une entreprise européenne. Il s’agirait ainsi de lutter contre les entreprises « boites aux lettres ».
Elle obligerait les entreprises qui détachent des salariés à prendre la mesure de la prestation en venant sur place et à véritablement informer leurs collaborateurs.
Le salarié détaché devrait systématiquement se voir remis, lors de son arrivée, des documents écrits dans sa langue natale, l’informant du droit du travail en vigueur et de ses droits en tant que salarié détaché.
Enfin, suivant en cela la Confédération européenne des syndicats, nous appelons à la création d’une structure européenne permanente de coordination et d’information qu’Annie David évoquera à l’occasion de la présentation du prochain amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc Laménie, rapporteur. Monsieur Billout, j’ai bien compris le sens de votre amendement. Je sais que vous êtes très attaché aux droits des travailleurs. Les membres de la commission le sont également !
Sur cet amendement, qui tend à proposer un certain nombre de mesures destinées à améliorer l’information des salariés sur leurs droits, je ferai une réponse similaire à celle que j’ai donnée lors de l’examen de l’amendement précédent.
En effet, j’avais proposé à la commission d’émettre un avis défavorable, car, par sa précision, cet amendement ne m’était pas apparu tout à fait conforme à l’esprit du droit communautaire.
Nombre d’intervenants ont rappelé cette notion de droit communautaire. En principe, les directives fixent les objectifs à atteindre et laissent aux États membres le soin d’adopter les mesures nécessaires. En outre, la multiplication des formalités et des contraintes applicables en cas de détachement de travailleurs – nous en avons également beaucoup parlé –risquerait d’être considérée par la Cour de justice de l’Union européenne comme une atteinte excessive à la libre prestation de services.
Néanmoins, lors du vote en commission, un avis favorable sur cet amendement a été émis.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. La France a soutenu la démarche initiée en 2008 par la Commission européenne et plusieurs États membres, qui a conduit à l’adoption de la recommandation de la Commission du 31 mars 2008 relative à l’amélioration de la coopération administrative dans le contexte du détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
Ce texte répond à vos attentes, monsieur Billout, puisque, dans son premier chapitre de recommandations, il enjoint à tous les États membres de développer une coopération administrative, fondée notamment sur un système d’information électronique.
Il prévoit également, dans son deuxième chapitre de recommandations, que les États membres accroissent leurs efforts pour améliorer l’accès à l’information et s’assurent que leurs bureaux de liaison sont en mesure de mener à bien leur mission. À cet égard, la France a beaucoup progressé, comme je l’ai indiqué précédemment.
Enfin, cette recommandation invite aussi à identifier et échanger systématiquement les bonnes pratiques. Sans doute la France aura-t-elle, sur ce chapitre et en toute modestie, quelques informations à partager.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Est évoqué ici un des points importants soulevés par notre proposition de résolution. Je crois d’ailleurs qu’il a été reconnu par toutes les institutions qui se sont penchées sur le dossier, qu’il s’agisse de la Commission européenne ou du Parlement européen.
Il y a un manque drastique d’informations sur ces questions de détachement et ce manque affecte autant les travailleurs détachés – Quels sont leurs droits ? Quels sont leurs devoirs ? À qui doivent-ils d’adresser ? – qu’un certain nombre d’employeurs et les États chargés de suivre le détachement.
Par conséquent, la mise en place d’un système aussi souple et léger que possible de suivi des détachements est un des progrès importants qui doivent être faits dans un avenir proche. Ainsi, par exemple, l’inspection du travail, l’organe de suivi pour la France, pourra savoir qu’un chantier donné accueille un groupe de trente Lettons. Elle connaîtra la durée du séjour, passé et à venir, de ces salariés et les circonstances dans lesquelles ils travaillent. Ces informations permettront d’agir si nécessaire.
C’est donc bien un des points importants et, sous l’angle de la philosophie générale, je comprends l’amendement.
Cela étant dit, j’émettrai deux importantes réserves.
La première porte sur « l’existence d’un représentant permanent du salarié détaché dans le pays de détachement, parlant la même langue que lui ». S’il s’agit d’un représentant syndical, c’est concevable. Mais, s’il s’agit d’un membre de la direction, bien que je ne sois pas un adepte forcené de la lutte des classes,…
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. Nous voilà rassurés !
M. Richard Yung. … je dois avouer que cela m’étonne !
Ma seconde réserve a trait à la « création d’une structure européenne permanente de coordination dont le but serait d’améliorer l’échange d’informations et de données entre les administrations des pays membres ».
D’abord, une structure supplémentaire serait d’une grande lourdeur.
Ensuite, j’estime que l’on doit s’appuyer sur l’existant, c'est-à-dire sur l’inspection du travail et les administrations équivalentes dont, sans bien connaître les législations de tous les pays membres, je présume que chacun de nos partenaires dispose, et développer – ce qui implique sans doute le recours à un système informatique – la mise en réseau de ces différentes administrations.
Il ne faut en effet pas créer une instance européenne qui, outre qu’elle serait lourde et coûteuse, dédouanerait les États membres de leur responsabilité.
Pour ces deux raisons, qui valent d’ailleurs également pour l’amendement suivant, nous nous abstiendrons sur l’amendement n° 4.
M. Alain Gournac. Il est très mauvais !
Mme la présidente. L'amendement n° 5, présenté par Mme David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 33
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
Ce renforcement des contrôles pourrait être obtenu par la création d'une structure européenne permanente de coordination dont le but serait d'améliorer l'échange d'informations et de données notamment entre les différentes inspections du travail ou leur équivalent des États membres.
Cette structure pourrait être dotée d'un droit de communication de documents, d'un droit de visite sur place et d'un droit de sanctions en cas de violation des obligations pesants sur les différents acteurs du détachement.
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Ce dernier amendement est inspiré par le même esprit que l’amendement précédent : il nous semble que la circulation des informations entre les différents acteurs du détachement parcourt des circuits trop hétérogènes et lacunaires, ce qu’a rappelé, malgré les réserves qu’il a émises, Richard Yung.
Les lacunes et les complexités du système ont été constatées non pas seulement par les travailleurs en détachement ou par les membres de la Confédération européenne des syndicats, mais aussi par les entreprises, dans toute l’Union européenne, et tous ces acteurs de terrain ont proposé des solutions.
L’une des solutions qui émergent au fil des ans est la création d’une structure européenne permanente, chargée d’assurer la centralisation, la coordination et la circulation de cette information parmi les différents acteurs.
Cette structure serait en quelque sorte un observatoire des pratiques doté de compétences propres. Son rôle serait majeur pour améliorer l’information et faciliter le travail des milliers d’inspecteurs du travail et de leurs équivalents en Europe, conformément bien sûr aux législations en vigueur dans chaque pays.
Actuellement, les États membres doivent négocier l’échange d’information et de données, concernant les entreprises et les législations du travail, par le biais d’accords bilatéraux : chacun des vingt-sept États membres devant donc signer un accord bilatéral avec ses vingt-six partenaires, cela représente au total 682 accords bilatéraux !
Cet observatoire pourrait apporter un peu de clarté dans ce maquis juridique en assurant une uniformisation progressive des textes et la mise à jour des traductions des documents.
Centralisant le maximum d’informations sur les entreprises européennes et sur les législations en cours, il veillerait à ce que chaque salarié détaché soit bien informé à son arrivée et dans sa langue de la législation en vigueur dans son pays d’arrivée et de ses droits.
Pour qu’il puisse correctement accomplir cette mission, l’observatoire serait doté de compétences propres.
Il pourrait, dans un premier temps, demander à se faire communiquer des documents, par les États membres, bien entendu, mais surtout par les entreprises qui détachent des personnels, ce droit de communication étant, on l’a vu, primordial.
En cas de difficultés ou de résistance de la part d’une entreprise, il pourrait envoyer un de ses représentants sur place pour encourager cette dernière à respecter ses obligations et pour vérifier les aspects juridiques.
M. Alain Gournac. Ce serait une usine à gaz !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc Laménie, rapporteur. Nos collègues du groupe CRC-SPG souhaitent la création d’une structure européenne dont la mission serait d’améliorer l’échange d’informations entre États membres.
Vous avez évoqué un « maquis juridique », madame David, et chacun connaît votre attachement au droit du travail, mais il n’est pas sûr cependant que la création d’une telle structure, par laquelle transiteraient les informations, améliorerait la communication entre États membres. Il est à craindre, au contraire, qu’elle ne la ralentisse !
Par ailleurs, cette structure aurait le pouvoir de se substituer aux administrations nationales pour contrôler, sur place, le respect de la législation du travail. Elle empiéterait ainsi sur les compétences des États membres d’une manière qui serait tout à fait contraire au principe de subsidiarité.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Alors que votre assemblée va prochainement examiner, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi de simplification et d’amélioration du droit déposée par M. Warsmann,…
Mme Catherine Tasca. Déposée par un cabinet d’études !
M. Richard Yung. Cela va être un grand moment !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. … je ne suis pas sûre que la création d’un corps paneuropéen de contrôle du travail détaché, doté de droits spécifiques de visite et de pouvoirs particuliers de sanction, doive être envisagée.
Je veux au contraire saluer le travail réalisé par les inspecteurs du travail et l’ensemble des corps de contrôle intervenant sur ces sujets, pourtant éminemment complexes, d’un point de vue tant technique que linguistique.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 5.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Explications de vote
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix la proposition de résolution, je donne la parole à M. le rapporteur pour avis.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. J’aimerais qu’au moment où nous arrivons au terme de ce débat, nous ne restions pas sur un goût d’inachevé. Nous avons beaucoup, et bien, travaillé : d’abord vous, les auteurs de la proposition de résolution ; nous, au sein de la commission des affaires européennes ; vous, au sein de la commission des affaires sociales.
Nous sommes très près d’un consensus, lequel donnerait tellement de poids à une prise de position de notre assemblée ! Nous sommes en effet d’accord sur le fond, mais nous divergeons sur les moyens…
Nous parlons, depuis le début de ce débat, de hiérarchies, certains voulant hiérarchiser les objectifs sociaux et économiques. Pour ma part, j’estime qu’une hiérarchie s’impose, toujours et partout : la hiérarchie entre la fin et les moyens.
À cet égard, modifier la directive est un moyen. Ne subordonnons donc pas les chances de succès sur le fond à la satisfaction d’avoir tenté de faire adopter par tous les Parlements nationaux de l’Union européenne la même résolution en vue de la révision de la directive, alors que nous devons pouvoir nous retrouver sur l’idée qu’un règlement d’interprétation et d’application de la directive est une voie praticable, rapide, sûre et qui expose le moins notre système social.
Mes chers collègues auteurs de la proposition de résolution, ne pouvez-vous pas mobiliser votre énergie et votre détermination, que nous savons grandes, pour obtenir du PSE qu’il sollicite de l’ensemble des Parlements nationaux sur qu’ils s’engagent sur cette voie de la mise en place d’un règlement plutôt que sur celle de la modification de la directive ?
Là, nous aurions vraiment fait œuvre utile, là, tout le travail qui a été fait au cours des derniers jours et des dernières semaines serait un bon investissement ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Le débat arrive à sa fin.
M. Dominique Braye. Il était temps !
M. Richard Yung. Il a porté sur des questions que je crois importantes. Deux commissions ont examiné la proposition de résolution, ce qui démontre que la prise de conscience quant à la nécessité de fixer les choses a progressé.
Je regrette cependant que, sur des questions aussi importantes et directes, nous n’ayons pas pu avancer plus loin avec la majorité : cette dernière, et c’est regrettable, s’est réfugiée dans le silence et n’a pas voulu faire face au débat.
On voit, chers collègues de la majorité, que votre engagement est réel, mais il l’est dans la voie, je ne dirai pas de l’ultralibéralisme puisque je sais que c’est un mot qu’il ne faut pas employer,…
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Un gros mot !
M. Richard Yung. … mais de la défense du capitalisme européen.
Pour vous, rien ne doit entraver l’activité des entreprises et, si par hasard des normes sociales venaient brider leur liberté, alors ces normes devraient être rabaissées !
Sur le fond politique, j’estime que vous vous apprêtez à commettre une mauvaise action, car l’idée européenne se heurte à de plus en plus de réticences, de doute, de méfiance de la part des salariés, notamment parce qu’ils assistent jour après jour au démantèlement des services publics. Or, si notre assemblée vote comme annoncé, son vote renforcera cette tendance au lieu d’aller dans le sens d’une réconciliation des travailleurs, en particulier des salariés, avec l’idée européenne.
M. Badré a considéré que nous étions pessimistes, mais, avouez, mon cher collègue, que nous avons des raisons d’être pessimistes !
La politique sociale européenne a été progressivement démantelée au cours des dernières années : plus rien n’est inscrit sur l’agenda social européen, les partenaires sociaux ne négocient plus à l’échelle de l’Union, d’où notre pessimisme !
Et pessimisme aussi, monsieur Badré, à cause du vote que la majorité de notre assemblée s’apprête à émettre. Ce n’est pas le bon message que nous allons ainsi envoyer !
Vous demandiez pourquoi la France devrait conduire cette action alors qu’elle n’est pas le pays le plus concerné puisqu’elle a – ce qui est vrai – des normes de protection sociale relativement élevées.
Mais n’avons-nous pas d’abord une certaine idée de la France ? Notre pays a toujours joué un rôle moteur dans la construction européenne, en particulier dans la partie sociale de cette construction, et elle pouvait encore jouer ce rôle aujourd'hui.
Mme Raymonde Le Texier. Bien sûr !
M. Richard Yung. La France a vocation à pousser un certain nombre d’autres pays qui, pour diverses raisons, manquent d’allant dans le domaine social.
Certes, l’entrée en vigueur de la charte est un grand progrès, et nous nous en félicitons, mais je vous rappelle que plusieurs pays ont obtenu le l’opt outI…
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. C’est bien dommage !
M. Richard Yung. … et qu’ils n’appliqueront donc pas la charte. Très commodément, et pour raisons sociales et pour raisons fiscales, il suffit de passer en Angleterre pour se dispenser d’appliquer les normes de protection sociales !
En outre, on a pu constater que, même quand les normes sociales sont bien affirmées, la Cour de justice des Communautés européennes prend des décisions qui vont dans un autre sens, et c’est la encore une cause de pessimisme, monsieur Badré.
Vous dites, chers collègues de la majorité, que ce n’est pas le bon moment. Cet argument, nous l’avons beaucoup entendu, mais je ne crois pas que ce soit le plus fort, d’autant que je pense que c’est le meilleur moment,…
Mme Raymonde Le Texier. Eh oui !
M. Richard Yung. … précisément parce que la nouvelle Commission qui se met en place va devoir établir son agenda social, puisqu’il n’y a plus rien sur celui-ci, et notre message aurait dû avoir pour objet de lui demander d’inscrire ces questions en haut de cet agenda pour qu’elle ait de quoi réalimenter la « machine » à négocier.
Le vote que notre assemblée va exprimer va exactement dans le sens contraire ; nous avons donc manqué des occasions de dialoguer avec la Commission et de faire enfin jouer notre nouvelle responsabilité de parlement européen dans le domaine du contrôle et d’user de notre pouvoir de proposition en matière de politique européenne à l’égard de la Commission européenne. Sur tous ces points, cela aura été la soirée des dupes… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.- Mme Annie David applaudit également.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la proposition de résolution européenne.
Je suis saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 103 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 333 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 167 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 180 |
Le Sénat n’a pas adopté.
7
Entrées de villes
Discussion d'une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes, présentée par M. Jean-Pierre Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (nos 64, 128, 136).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les entrées de villes sont l’un des grands sinistres urbanistiques des cinquante dernières années.
Toutes nos villes sont belles. Malheureusement, avant d’y pénétrer, et qu’elles soient implantées au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, ou au centre de notre pays, il faut en général franchir une zone appelée « entrée de ville », où, de part et d’autre d’une route nationale, en tout cas d’une voie à grande circulation, c’est le même alignement de cubes, de parallélépipèdes, de boîtes à chaussures en tôle ondulée, le tout agrémenté d’un pullulement de panneaux et d’enseignes, jusqu’à une trentaine parfois sur à peine soixante-quinze mètres !
Quelle image donne-t-on de notre pays à travers ces espaces si particuliers ?
On dit en général que nos villes sont belles parce qu’elles ont une « âme ». On parle même du « cœur » des villes. Ces mots ne sont pas anodins. Dès que l’on quitte le cœur des villes, le mot « âme » apparaît tout à fait hors de propos.
Le laisser-faire, les évolutions spontanées, la loi de la marchandise ont transformé ces espaces en collections d’objets qui prolifèrent sans structure, dans le désordre. On est passé de l’architecture à l’architecture-enseigne ; tel bâtiment correspondant à telle enseigne, quel que soit l’endroit où il sera « posé », devra avoir un toit vert et en pente. Pourquoi cela ? Parce qu’il faut qu’on le reconnaisse de loin ! Les constructeurs et les promoteurs ne se soucient pas de ce qu’il y a à gauche, à droite, devant ou derrière. Ils posent un objet à côté d’un autre : c’est la négation de l’architecture et de l’urbanisme.
Je voudrais citer ici un auteur parfois oublié : Karl Marx. Celui-ci avait prédit qu’un jour viendrait où la loi de la marchandise s’inscrirait dans l’espace réel concret. Eh bien, avec les entrées de villes, nous y sommes ! Nous avons le sentiment que la loi de la marchandise a colonisé l’espace, a envahi le paysage, au détriment de la beauté.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Cette évolution est l’aboutissement d’une longue histoire. La ville qui nous est léguée par le xxe siècle est le fruit de la grande industrie, laquelle a conduit à créer les grands ensembles, parce qu’il fallait loger ceux qui travaillaient dans les usines. Les grands ensembles ont ensuite entraîné la création des grandes surfaces, car il fallait bien que leurs habitants puissent acheter de quoi se nourrir et se procurer divers produits de première nécessité.
La ville du xxe siècle s’est ainsi peu à peu constituée comme un ensemble d’espaces souvent unifonctionnels : le centre-ville ancien, patrimonial, qui relève du ministère de la culture ; les faubourgs ; la périphérie verticale, constituée de barres et de tours essentiellement d’habitation ; la périphérie horizontale, caractérisée par l’étalement pavillonnaire, où l’on ne trouve pas grand-chose d’autre que des pavillons ; les campus universitaires, où il n’y a que l’université ; les parcs d’activité, dédiés exclusivement aux activités économiques ; les technopoles, pour les centres de recherche, les parcs de loisirs, pour les loisirs, etc. Et puis, il y a les entrées de villes, où l’on ne trouve que des espaces commerciaux.
Avec cette proposition de loi, j’entends poser la question suivante : quelle ville voulons-nous pour le futur ? Cette question, très rarement soulevée dans le débat politique, y compris lors des campagnes électorales, est pourtant décisive ! Et elle en entraîne une autre : que faisons-nous pour construire la ville à laquelle nous aspirons ?
Or, selon moi, nous devons, pour l’avenir, penser une ville dont les différents espaces seraient plurifonctionnels, et non plus spécialisés dans le commerce, l’habitat, l’université, le patrimoine… Dans cette ville du futur, tous les espaces auraient un cœur, une âme, le même droit à la beauté, à la dignité, au partage, et tous les habitants seraient des citoyens à part entière.
Cela suppose de créer les conditions non seulement d’une mixité fonctionnelle, que je viens d’évoquer, mais aussi d’une mixité sociale : nous devons inventer un véritable droit à la ville permettant à tous les citoyens d’occuper et de s’approprier l’ensemble des espaces urbains. Tel est l’enjeu de ce texte.
La situation actuelle est-elle inéluctable ? Je ne le pense pas.
En 1998, j’avais présenté au gouvernement de l’époque un rapport intitulé Demain la ville et qui comportait – de même que le livre publié en 1999 qui en est issu, Changer la ville – de nombreuses propositions. Je me suis aperçu, en les relisant, que l’une d’elles au moins avait concrètement abouti : celle qui concernait la taxe professionnelle unique. À l’époque, lorsque nous évoquions cette mesure, nous avions l’impression de prêcher dans le désert. Aujourd’hui, elle est devenue une réalité. Il a fallu une décennie – et aussi les lois de 1992 et de 1999 – pour y parvenir. C’est une avancée parce que la perception de la taxe professionnelle commune par commune était un facteur important de dégradation des entrées de villes : chacun voyait alors midi à sa porte, tandis qu’aujourd’hui il est possible d’envisager un plan d’ensemble.
À l’époque, j’avais même évoqué une loi Malraux pour les entrées de villes, comme il existe une loi Malraux pour les centres anciens.
M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. C’est Malraux qui aurait été content d’être associé à des cubes de tôle ondulée !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais, monsieur le rapporteur, si la loi Malraux a constitué une avancée considérable pour la préservation des centres anciens, pour le patrimoine, la reconquête des périphéries et les entrées de villes exige des efforts de même ampleur, sauf à considérer que certains espaces sont pour toujours voués à la laideur, à la médiocrité et à la disharmonie.
Je veux aussi signaler l’avancée que nous devons à notre collègue Ambroise Dupont sur deux points particuliers.
M. Dominique Braye, rapporteur. C’est le Malraux des entrées de villes !
M. Jean-Pierre Sueur. Tout d’abord, mon cher collègue, pour ce qui concerne les enseignes, vous avez présenté encore récemment des amendements importants.
Par ailleurs, je veux souligner le rôle que vous avez joué pour l’instauration d’une « bande » qui fut de cinquante mètres, puis de cent mètres et de soixante-quinze mètres. J’ai constaté avec plaisir que vous saisissiez l’occasion de l’examen de la présente proposition de loi pour poursuivre votre travail. Vos propositions ont été utiles, mais je pense qu’elles ne sont pas suffisantes. En effet, on ne peut se contenter de proscrire la construction sur certains espaces le long des voies routières. Il faut proposer des plans positifs d’aménagement du paysage, d’urbanisme et d’environnement. Tel est d’ailleurs l’objet de la présente proposition de loi.
En la matière, nous préconisons un véritable volontarisme.
Ainsi, nous proposons que, dans les documents d’urbanisme, il soit fait mention de la nécessaire qualité urbaine, architecturale, paysagère, environnementale des entrées de villes.
Nous proposons en outre que, d’ici à 2012, dans toutes les agglomérations françaises, soit élaboré un plan d’aménagement de l’ensemble des entrées de villes. Par conséquent, devront d’abord être définis des périmètres, de manière qu’un plan d’avenir pour ces espaces soit mis en œuvre. Il convient en effet de cesser de les laisser proliférer, puis se dégrader, car c’est malheureusement encore le cas en dépit des efforts que j’ai précédemment soulignés.
Nous proposons également, non pas de retenir une date butoir à laquelle certaines exigences devraient être remplies – ce serait utopique –, mais de faire en sorte que soient respectées les prescriptions du plan d’aménagement chaque fois qu’une réaffectation de l’espace sera envisagée.
Cette démarche, volontariste, je le répète, n’est est pas moins pragmatique puisqu’il s’agit de favoriser la pluralité fonctionnelle au fur et à mesure que des espaces seront libérés. Cela prendra donc inéluctablement du temps. Raison de plus pour commencer dès maintenant ! En tout cas, il est important d’avoir d’ores et déjà une perspective.
Nous envisageons aussi des proportions.
Nous voudrions que les plans d’aménagement précisent qu’un tiers des surfaces constructibles sera occupé, à terme, par des bâtiments à vocation culturelle, universitaire, sportive ou associative. Il faut instaurer une pluralité là où prévaut aujourd'hui l’unifonctionnalité.
De même, nous prévoyons de consacrer au moins 20 % de la surface des entrées de villes aux espaces verts. De fait, actuellement, lorsque vous franchissez ces zones, vous êtes frappé par leur aspect minéral ou métallique et par la grande rareté, voire l’absence totale de végétaux.
Nous proposons de limiter à 60 % des surfaces commerciales situées aux entrées de villes les surfaces de parking, ce qui est très volontariste. Nous pensons en effet qu’il faut rompre avec ces immenses « nappes » bitumées qui sont en totale contradiction avec les principes prônés actuellement au sommet de Copenhague. Car il est très bien de parler d’environnement et d’écologie, mais alors il faut cesser d’étendre toujours plus les surfaces vouées au stationnement des automobiles.
Il faut d’ailleurs prévoir parallèlement la desserte de ces espaces par les transports en commun. Il est paradoxal de constater que, actuellement, les entrées de villes sont très peu desservies par ce type de transports ; c’est tout simplement qu’elles ont été conçues en vertu du « tout-automobile ». Et c’est une autre incohérence par rapport à nos projets actuels, notamment par rapport aux conclusions du Grenelle de l’environnement.
Préalablement à la construction d’édifices d’une certaine ampleur, des concours d’architecture devront être organisés, de façon que ces édifices s’inscrivent dans le cadre d’un plan urbanistique et paysager, qui pourra lui-même donner lieu à concours. Et les concepteurs, les architectes, les urbanistes sont riches d’idées !
S’agissant de la voirie, monsieur Dupont, il faut non plus se contenter de prendre seulement en considération les espaces situés de part et d’autre des voies, mais se préoccuper de la voirie elle-même.
Comme vous le savez, la voirie est souvent traumatisante. Il est très difficile aux piétons de traverser les routes nationales, les voies express qui desservent les entrées de villes. Nous proposons de les transformer en « voies urbaines », c'est-à-dire en avenues, de manière à y retrouver l’urbanité au sens fort, à rendre ces zones agréables, conviviales. Bien entendu, il faudra envisager les conditions de leur franchissement par les piétons – c’est un des aspects de la question du partage de la voirie –, leur insertion urbaine, leur végétalisation, leur éclairage, etc.
Mes chers collègues, toutes ces questions méritent débat. Je remercie M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l’économie, et M. Ambroise Dupont, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’intérêt qu’ils ont bien voulu porter à cette proposition de loi. Celle-ci, me semble-t-il, répond à un véritable besoin et je présume que les défenseurs du statu quo seront fort peu nombreux. Dès lors, il faut aller de l’avant.
Le débat que nous allons avoir est simple : peut-on se cantonner à des principes généraux ? Nous n’avons rien contre les principes généraux, mais la présente proposition de loi n’aura de sens que si elle va au-delà de l’énoncé de principes et pose des règles afin que les choses changent.
Mes chers collègues, par le biais de ce texte, nous plaidons pour le volontarisme. Il faut reconquérir les espaces dégradés. Les portes des villes, très souvent magnifiées dans le passé, doivent retrouver leur dignité, leur beauté, dans un souci d’harmonie, d’urbanité.
Beaucoup de visiteurs étrangers se demandent pourquoi, dans un pays recelant tant de beautés, les abords immédiats des villes sont ainsi enlaidis. Eh bien, nous pensons que cette situation n’est pas inéluctable. Il s’agit aussi, pour nous, de défendre une certaine idée de notre pays. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)