M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le ministre, je ne peux qu’être en accord avec les propos de M. Aymeri de Montesquiou sur le Gers. Néanmoins, le Gers ne saurait à lui seul représenter la diversité de la ruralité.
Monsieur le ministre, vous venez d’organiser les assises des territoires ruraux, dont vous nous rendrez compte en janvier 2010. Nous y travaillons. Si les territoires ruraux ont besoin d’aides, ils ont surtout besoin – cela a été dit à de nombreuses reprises – de considération et de solidarité.
Nous reconnaissons l’ampleur de votre tâche. Il n’est certes pas aisé d’impulser des politiques de correction des disparités et de péréquation, de préserver la notion d’équité chère à tous les élus, surtout ruraux.
Les crédits de cette mission sont insuffisants. Toutefois, depuis votre prise de fonction, vous avez envoyé des signaux très forts. Je veux parler des pôles d’excellence rurale, que de nombreux intervenants ont évoqués avant moi. Je remercie MM. Jean-Paul Emorine et Rémy Pointereau qui ont, comme moi, apporté leur contribution au groupe de travail du Sénat.
Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir retenu au moins deux thèmes essentiels de la contribution de ce groupe de travail.
Tout d’abord, vous avez accepté d’intégrer la notion de contractualisation, de labellisation des territoires pour des projets de sauvegarde des services au public. L’État pourra passer une convention avec les territoires labellisés pour assurer le maintien d’une offre minimale de service public. Il me paraît intéressant de le souligner.
Ensuite, vous avez intégré la volonté d’encourager des filières courtes de productions locales, agricoles en particulier. Cela suscite dans nos territoires, en particulier dans le Gers, espoir et mobilisation.
Toutefois, ces thèmes nouveaux vont vous amener à rechercher le soutien financier d’autres ministères, ce qui n’ira pas sans difficultés. Il est vrai que certaines observations sur les pôles d’excellence rurale de précédente génération n’ont peut-être pas été intégrées dans votre nouveau cahier des charges.
Les pôles de nouvelle génération auront la possibilité, pour réaliser leurs projets d’ingénierie, d’utiliser les fonds du programme Leader. Il s’agit certes d’une avancée, mais il faut aller plus loin.
Les thèmes que vous avez retenus, l’encouragement aux productions locales en particulier, peuvent et doivent s’inscrire dans le cadre du FEADER. Monsieur le ministre, allez-vous demander à M. Bruno Le Maire d’abonder ces projets ? Leur nombre sera sans doute très élevé, il faut donc s’y préparer.
À défaut de trouver tous les financements nécessaires, il reviendra aux préfets de région d’arbitrer, de décider in fine de l’éligibilité des dossiers. Nous devrons alors les défendre en nous engageant dans des processus qui sont difficilement accessibles pour ne pas dire inaccessibles à la ruralité.
Enfin, je voudrais attirer votre attention sur le fait que les précédents programmes Leader disposaient d’une enveloppe dédiée aux opérations de coopération et aux actions transfrontalières.
Nous avons, faute de mobilisation de ces crédits d’ingénierie, rétrocédé environ 30 millions d’euros, ce qui est regrettable.
Or, vous le savez, la nouvelle génération des programmes Leader nous obligera, pour financer des actions de coopération, à puiser dans l’enveloppe initiale qui est prévue pour le développement rural.
S’agissant des territoires, je rappellerai que la nouvelle génération de PER ou la première, s’ils ont atteint le niveau requis, peuvent engager des coopérations européennes. À cet égard, je souhaite que vous puissiez accompagner ces démarches difficiles d’accès à des fonds INTERREG ou transfrontaliers susceptibles de financer ces coopérations. Sinon, ces projets de coopération ne verront pas le jour.
Concernant la problématique de la ruralité, qui a été évoquée, les collectivités territoriales devront faire des efforts pour accompagner les projets, que ce soit à travers les pôles d’excellence rurale ou, conformément à la volonté que vous avez intégrée dans le nouveau cahier des charges, la contractualisation avec ces pôles de compétitivité, laquelle a également été évoquée.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Vall.
M. Raymond Vall. Vous connaissez ma tristesse devant le traitement qui est infligé aux pays. J’espère, à l’issue de la commission qui s’est réunie cet après-midi, que nous pourrons au moins sauver ceux qui existent, car ils sont indispensables au conventionnement avec les pôles de compétitivité.
Cela étant dit, monsieur le ministre, je voudrais simplement vous remercier de l’écoute dont vous avez fait preuve concernant les suggestions du groupe de travail du Sénat. Même si nous estimons que ces crédits ne sont pas suffisants, la majorité de notre groupe s’interroge. Et si vous voulez bien entendre certaines de nos propositions, nous ferons certainement un effort concernant votre budget. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Mayet.
M. Jean-François Mayet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’Indre, mon département, est un département rural, qui a vu disparaître avec la confection, la SEITA, la sous-traitance automobile, entre autres domaines, des pans entiers de son industrie.
Après avoir battu des records de chômage – 11% en 2001 – et de perte de population, la situation a été redressée entre 2001 et 2007. Le chômage est tombé à 5,6 % et le nombre d’habitants a cessé de diminuer. Telle était la situation de l’Indre en juin 2008.
Depuis, comme partout ailleurs, le ciel nous est tombé sur la tête, et nous allons en plus devoir amortir dans les prochains trente-six mois le plus grand choc économique et social des quarante-cinq dernières années : le départ de 1 100 militaires et des civils employés par le 517e régiment du train. À cela s’ajoutent, bien sûr, les salaires des fournisseurs et des sous-traitants. Au total, 1 000 familles vont partir et 1 500 emplois vont disparaître. Nous allons nous battre, mais nous n’avons pas les mêmes outils que les autres pour le faire.
L’Indre, monsieur le ministre, c’est le sud de la région Centre et le nord de la région Limousin. Il y a une vingtaine d’années, les politiques et les dirigeants de la SNCF lui avaient attribué un joli nom, très technique, « la patate vide », autrement dit un territoire sans projet ni perspectives ferroviaires.
Je passe sur l’épisode du « pendulaire » permettant d’augmenter sensiblement la vitesse sur la ligne actuelle Paris-Toulouse. Ce fut un projet mort-né.
Lassé de cette situation, le Limousin a répondu au chant des sirènes du Poitou, croyant trouver son salut dans le raccordement grande vitesse de Limoges à Poitiers, c’est-à-dire au TGV Ouest Paris-Poitiers-Bordeaux-Espagne.
La patate vide serait amputée de sa partie sud, mais à quel prix ? Tout d’abord, l’isolement définitif de la partie nord que nous sommes avec le nord du Limousin et la Creuse, mais aussi le pompage injustifié vers Poitiers des clients SNCF du centre et du sud de la France, avec pour conséquence la saturation de la ligne à grande vitesse Paris-Ouest-Espagne, déjà encombrée, et de la Gare Montparnasse, aujourd’hui surchargée.
Il y a un espoir : le futur Paris-Lyon incurvé vers le Centre, qui concerne officiellement Orléans, Vierzon, Bourges et Clermont-Ferrand. Mais l’Indre et Châteauroux ne figurent pas à ce jour dans le projet.
Plutôt qu’un Limoges-Poitiers, considéré aujourd’hui comme une faute technique, économique et financière, y compris par les responsables SNCF qui osent s’exprimer à ce sujet – vous pouvez vérifier ! –, pourquoi pas un Limoges-Bourges ou un Limoges-Vierzon, connecté au nouveau Paris-Lyon et desservant naturellement l’Indre, Châteauroux et la Creuse ?
Cette solution permettrait aux voyageurs du sud du Massif central d’être plus rapidement à Paris, et de ne pas avoir à s’y rendre pour aller vers Clermont-Ferrand, Lyon et le sud-est de la France, ce qui est très important pour éviter la saturation des gares parisiennes. Cela éviterait aussi une faute grave d’aménagement du territoire dont nous serons définitivement victimes.
Monsieur le ministre, je vous affirme qu’il est très difficile de vendre un territoire à des investisseurs créateurs d’emplois sans leur assurer la perspective d’une ligne à grande vitesse à quinze ans. Et tant que ce projet de liaison « monovoie » Limoges-Poitiers existera, même si beaucoup pensent qu’il n’ira pas jusqu’à son terme, nous nous trouverons déclassés. Ce n’est pas acceptable !
Mon statut de maire de Châteauroux et de parlementaire de l’Indre me commande de vous demander, à vous, monsieur le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, de corriger cette grave erreur qui se traduira par une injustice flagrante. Et le plus tôt serait bien sûr le mieux. Pourquoi pas en 2010 ? Cela ne coûterait rien et permettrait même de faire l’économie des études de ce funeste projet.
Monsieur le ministre, je vous le dis respectueusement mais solennellement, c’est une bataille que nous, élus de l’Indre, de la Creuse et d’une partie de la Haute-Vienne, devons mener jusqu’au bout, car il y va de notre redressement, de notre développement et de notre équilibre.
L’intérêt général peut et doit l’emporter, avec une connexion à la future ligne Paris-Lyon plus directe, plus rapide et plus efficace pour tous les territoires concernés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Jean-Jacques Lozach applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les 385 millions d’euros que comporte votre budget et qui sont, pour l’essentiel, les crédits de la DATAR ne reflètent bien évidemment pas l’effort financier complet que réalise l’État en faveur de l’aménagement du territoire, tant il est vrai qu’il reste encore beaucoup à faire afin de réduire les criantes inégalités entre les territoires privilégiés et ceux qui manquent encore de l’essentiel.
J’ai souvent fait le parallèle avec l’effort tout à fait méritoire réalisé par l’État en faveur des pôles de compétitivité, qui mobilise sur la durée plus de 1,5 milliard d’euros, dont 831 millions d’euros de crédits d’État. En regard, les 235 millions d’euros affectés aux pôles d’excellence rurale font un peu pâle figure, mais nous sommes heureux d’avoir pu en profiter et prêts à ouvrir les bras à un nouveau dispositif. Les différences sont là, et nous nous devons de les souligner, mais l’expérience des PER mérite d’être renouvelée.
Permettez-moi à nouveau d’insister sur la disparité entre les crédits de la DSU et ceux de la DSR, qui sont inférieurs de 30 %. Vous savez bien que la DSU est versée seulement à quelques dizaines de villes, alors que la DSR concerne plus de 20 000 communes. Une telle dispersion n’est sans doute pas un gage de très grande efficacité.
Il convient également de citer les zones franches urbaines et les zones de revitalisation rurale. Les premières s’en sortent plutôt bien et créent des emplois ; les ZRR, de leur côté, ne connaissent pas le même dynamisme.
J’ai demandé, dans une proposition de loi, que l’on autorise les élus de communes situées en ZRR à créer des zones franches rurales. J’ai d’ailleurs renouvelé récemment cette démarche, car ce serait une solution satisfaisante.
Mais l’aménagement du territoire passe aussi par des infrastructures de transports qui irriguent l’ensemble du territoire, y compris les territoires ruraux. Vous savez que le Sénat a publié deux rapports sur ce sujet, l’un sur les infrastructures de transport, l’autre sur le désenclavement rural. J’ai été associé à l’un d’entre eux ; espérons que le débat s’instaurera à l’Assemblée nationale.
Monsieur le ministre, vous vous êtes inspiré de la démarche entreprise depuis plusieurs années entre les élus et le groupe La Poste, et vous avez établi un certain nombre de parallèles qui pourraient, selon nous, ouvrir des voies nouvelles. Vous avez notamment cité l’accès aux soins, l’éducation, l’emploi, les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les NTIC.
S’agissant des NTIC, un indéniable effort a été réalisé dans nos départements pour développer la téléphonie mobile, mais nous sommes toujours très en retard, et des secteurs entiers ne sont pas couverts, y compris mon bureau personnel.
À peine voit-on le bout du tunnel en ce qui concerne le haut débit, qu’est déjà évoqué le très haut débit. Le développement de celui-ci coûtant, nous le savons, quinze fois plus cher en milieu rural qu’en milieu urbain, il faudra peut-être prévoir une mutualisation des moyens. Une proposition de loi a été votée en ce sens par le Sénat.
Je sais que vous avez décidé, monsieur le ministre, de lancer des assises des territoires ruraux, et j’aurai le plaisir de vous recevoir tout à l’heure dans mon département de la Meuse. Des voies nouvelles ne manqueront certainement pas d’apparaître.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Claude Biwer. Je n’oublie pas le laboratoire de Bure, dans mon département, et la question des déchets nucléaires. J’ose espérer que tout cela permettra un bon emploi des crédits qui nous seront affectés.
Enfin, compte tenu de ces réflexions que je me suis permis de livrer à votre sagacité, je considère que nous devons soutenir vos efforts, monsieur le ministre, en faveur de l’aménagement du territoire et vous suivre dans la voie que vous avez commencé à tracer. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos concernera essentiellement la notion de péréquation, et plus encore l’application de cette notion.
La mission « Politique des territoires » s’inscrit dans une continuité avec la loi de finances initiale de 2009, que ce soit en termes d’organisation de ses deux programmes, par rapport à la nature des actions engagées ou au regard du niveau de ses crédits.
Cette mission, située au cœur de l’aménagement du territoire, représente une fraction de la politique menée dans un domaine par essence transversal.
Le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire » est géré par la DATAR. Ses crédits doivent être employés au financement de dispositifs divers : contrats de projets État-régions, prime d’aménagement du territoire, plan d’accompagnement du redéploiement des armées, pôles de compétitivité et pôles d’excellence rurale.
Le 21 octobre dernier, le Sénat a débattu des PER. Ainsi une nouvelle génération de pôles est-elle envisagée. Mais les collectivités territoriales pourront-elles continuer à les financer ? Sans cette contrepartie locale, sans leur concours, l’application de cette nouvelle série de pôles s’avérera très compromise, sans oublier les faiblesses d’ingénierie de certains territoires qui ne peuvent participer à ces appels à projets, ou y participent avec beaucoup de difficulté.
Qu’entendons-nous par cohésion territoriale ?
Son principe est simple : sur un territoire donné, il ne faut pas qu’un élément soit oublié. La France ne doit pas être un archipel de pôles d’excellence qui s’organiseraient sur des espaces abandonnés. « En Limousin, on ne peut pas se contenter de dire : "les villes de Brive et Limoges vont bien, tant pis pour l’est de la région". » Cette phrase est de Robert Savy, l’un des pères de la péréquation nationale et de la prise en compte de la cohésion territoriale comme priorité communautaire. À l’évidence, cette citation traduit une réalité transposable à toutes les régions de France.
Depuis l’adoption de la loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République, la Constitution précise : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation, destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ».
Le rapport d’information sénatorial élaboré au printemps dernier au nom de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, présidée par notre collègue Claude Belot, mettait en avant la nécessité de « passer à l’acte » en la matière, d’améliorer la péréquation tant verticale – par un renforcement des dotations péréquatrices de l’État – qu’horizontale – avec une péréquation forte et mieux ciblée –, permettant non seulement d’éviter le creusement des inégalités, mais aussi de corriger les déséquilibres entre les territoires.
Nous connaissons tous l’ampleur de ces inégalités. Si l’on prend en compte l’ensemble des communes de métropole, le potentiel fiscal par habitant grimpe jusqu’à plus de 30 000 euros, alors que la moyenne est de l’ordre de 500 euros par habitant.
En ce qui concerne les départements, le potentiel fiscal par habitant s’échelonne de 232 euros pour le département de la Creuse à 991 euros pour celui des Hauts-de-Seine, la moyenne s’établissant à environ 400 euros par habitant.
Dans le cas des régions, le potentiel fiscal va de 67 euros en Corse à 111 euros pour la Haute-Normandie. Bref, les moyens de rendre le service public local sont très inégalement répartis ; les écarts à la moyenne sont considérables.
Les critères actuels de la péréquation nous paraissent totalement inadaptés. C’est à vos décisions visant à les modifier ou non que nous jugerons, monsieur le ministre, votre volonté de réduire des injustices territoriales dont l’aggravation nuit profondément à la cohésion nationale.
Par ailleurs, dans les territoires ruraux, le département était jusqu’à présent un acteur essentiel du développement et du soutien à la ruralité par son rôle de péréquation financière et sa connaissance fine du territoire. Le projet de réforme territoriale le fragilise considérablement en l’appauvrissant et en créant la confusion des responsabilités via l’instauration des futurs conseillers territoriaux.
Je rappelle ici que, devant l’augmentation constante de leurs dépenses sociales obligatoires et face au désengagement financier continu de l’État, les départements revendiquent le financement par la solidarité nationale des prestations sociales universelles – allocation personnalisée d’autonomie, revenu de solidarité active, prestation de compensation du handicap – qu’ils mettent en œuvre au nom de cette même solidarité nationale.
La lutte contre les inégalités des territoires est-elle au cœur de la politique du Gouvernement ?
Du fait de la réduction d’impôt au profit des entreprises – la fin de la taxe professionnelle –, les collectivités territoriales auront de grandes difficultés à poursuivre l’investissement pourtant nécessaire à l’équipement de la nation. Des dotations de compensation seront attribuées ; or, aujourd’hui, rien n’est envisagé pour garantir une péréquation plus efficace. L’État fige les inégalités financières et, dans le même temps, met en difficulté les collectivités, à commencer par les plus démunies.
Avec l’autonomie des collectivités et la compensation intégrale des transferts de charges, la péréquation doit constituer le troisième pilier de toute réforme de l’organisation territoriale de la République.
Demain, l’ensemble des ressources publiques disponibles sera sérieusement amoindri par la suppression de la TP. On appellera abusivement « péréquation » des mécanismes baroques dans lesquels ce ne sont pas les plus riches qui seront appelés à être solidaires. S’instaurera un véritable « bouclier territorial » dont bénéficieront les espaces qui sont déjà les plus prospères. Dans ces conditions, la péréquation deviendra mécaniquement une question annexe, voire l’expression dérisoire de la simple mauvaise conscience.
Renforcer l’attractivité économique et la compétitivité des territoires tout en veillant à assurer leur cohésion, tel est l’objectif assigné à la politique des territoires. Pour citer un article récent du rapporteur spécial François Marc, il faut « envisager de ventiler la péréquation sur la masse de la DGF et plus seulement sur son reliquat ».
La création d’un ministère de plein exercice dédié à l’espace rural et à l’aménagement du territoire doit évidemment être saluée. Les assises des territoires ruraux, au succès bien mitigé, ne seront utiles que si le Gouvernement consent à remettre les espaces fragiles au cœur des politiques publiques. Cependant, après les cartes judiciaire et militaire, la carte scolaire et la carte hospitalière sont aujourd’hui gravement menacées. La RGPP fait des ravages et traduit la recentralisation infrarégionale de nombreuses fonctions. Par ailleurs, l’avenir du monde agricole reste très aléatoire.
Ce n’est qu’à terme que nous mesurerons les incidences du grand emprunt national sur la ruralité. Ainsi, n’est-il pas urgent de créer effectivement un fonds national de solidarité numérique pour l’espace rural, à l’image de celui qui fut créé dans les années trente pour l’électrification ?
La décision de rendre à la DIACT son appellation de DATAR pourrait annoncer de grandes ambitions, de grands desseins pour les territoires. Or, la dynamisation de la ruralité et le maintien des services publics de proximité se trouvent fortement compromis par les décisions et projets abrupts du chef de l’État en matière de services déconcentrés, d’organisation territoriale, de « révision générale » des ressources des collectivités et du nombre d’élus. La proximité, chère à nos concitoyens, en sera profondément affectée.
Une reprise ambitieuse de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux…
M. Jean-Paul Emorine. Voilà une bonne loi !
M. Jean-Jacques Lozach. … se révèle particulièrement nécessaire aujourd’hui, à un moment où jamais le « désir de campagne » n’a été aussi élevé chez les urbains, selon toutes les études d’opinion.
La première mission de l’État aménageur est d’instaurer une solidarité réelle à l’égard des territoires. Cette mission d’équité est de plus en plus défaillante. Les territoires sont ainsi précipités dans une course à handicap déstructurante, bien peu conforme à la Constitution de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’aménagement du territoire est la préoccupation constante de tous les élus que nous sommes, on peut le constater ce soir. Bien conduit, il est le gage du maintien de l’emploi et de bonnes conditions de vie, propres à animer nos territoires ruraux.
Les orateurs qui m’ont précédé ont exposé leur foi dans la vie de nos territoires ruraux, mais aussi leur inquiétude pour ces territoires.
Monsieur le ministre, je vous interrogerai sur trois points : les ZRR, le haut débit et la péréquation.
Une évaluation du dispositif des zones de revitalisation rurale, les ZRR, est actuellement menée par la délégation interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité du territoire. Je crois savoir que les résultats en seront connus au début de 2010.
Cette évaluation sera vraiment utile, car nous pouvons tous citer des exemples d’interprétation très restrictive des textes. Ainsi, il suffit qu’un recensement établisse qu’un canton a gagné quelques dizaines d’habitants pour que celui-ci se voie immédiatement exclu de la liste des ZRR : c’est ce qui vient de se produire pour le canton d’Arinthod, dans le Jura. C’est extrêmement pénalisant pour les entreprises déjà installées, et plus encore pour celles qui s’apprêtaient à s’y installer. N’y aurait-il pas lieu d’introduire un peu plus de souplesse dans l’application des seuils ? Au demeurant, quel est l’avenir des ZRR ?
Plusieurs de mes collègues ont déjà évoqué la question du haut débit, deuxième point que je voulais aborder.
Nous connaissons tous l’importance du haut débit, voire du très haut débit, pour les territoires ruraux, pour les entreprises comme pour les habitants. Mais les opérateurs, nous le savons également tous, ne s’y pressent pas. L’extension du réseau ne sera pas possible sans crédits extérieurs. Une péréquation est donc nécessaire. Les territoires ruraux peuvent-ils espérer que le haut débit – qui est attendu partout – bénéficiera d’une péréquation identique à celle qui a été réalisée, par exemple, lors de l’électrification du pays ? Monsieur le ministre, vous avez récemment affirmé, lors d’une réunion qui s’est tenue à l’Assemblée nationale, votre attachement à ce fonds de péréquation. Nous serions sans doute nombreux à apprécier que, ce soir, vous vous engagiez à le mettre en place.
J’en viens enfin à mon troisième point, qui porte également sur une péréquation. Même si cela ne se rapporte pas strictement au projet de budget qui nous est aujourd’hui soumis, je ne peux m’empêcher, comme l’orateur qui m’a précédé à cette tribune, de souligner une fois encore à quel point la différence entre les crédits attribués aux communes rurales et ceux qui sont alloués aux communes urbaines au titre de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, est injuste. Les écarts qui existent entre les dotations des communautés de communes, des communautés d’agglomération et des communautés urbaines sont trop importants. Les communes rurales, les petites communes, reçoivent en moyenne environ 20 euros par habitant, alors que les villes en perçoivent 80, soit quatre fois plus. Comment expliquer une si grande différence ? Si ces chiffres n’étaient pas exacts, monsieur le ministre, je vous serais reconnaissant de les corriger !
Vous connaissez les petites communes, monsieur le ministre, puisque votre propre département comporte certes une grande ville, mais aussi un secteur rural. Aussi, vous savez qu’elles doivent faire face à d’importants travaux concernant la voirie ou les réseaux d’eau potable et d’assainissement, et satisfaire dans le même temps la demande croissante de leurs habitants en matière de crèches, d’équipements sportifs, de médiathèques, et ce, bien sûr, en participant non seulement à leur construction mais aussi à leur fonctionnement. Qui plus est, ces équipements sont souvent implantés dans les bourgs : les villages, outre leurs investissements propres, doivent donc contribuer à ceux des bourgs pour répondre aux attentes de la population en termes de services publics.
Monsieur le ministre, il faut trouver les moyens permettant d’assurer une plus grande péréquation entre nos territoires. Il y va de l’avenir des territoires ruraux, qui, sinon, se trouveront pris dans la spirale de la désertification. J’aimerais connaître vos intentions à ce sujet.
Quoi qu’il en soit, je voterai, bien sûr, les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Louis Pinton.
M. Louis Pinton. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat de ce soir sera pour moi l’occasion d’insister sur une idée à la fois simple et essentielle, à savoir le lien fondamental qui unit l’agriculture et l’aménagement du territoire.
C’est à dessein que j’ai voulu m’exprimer sur ce thème dans la discussion des crédits de la politique des territoires plutôt que dans celle du budget de l’agriculture proprement dite.
Pour l’élu d’un département profondément rural, il est facile de constater l’évidente place centrale de l’agriculture dans l’aménagement du territoire. J’irai jusqu’à dire que le second ne se conçoit pas sans la première, dont il est foncièrement tributaire. De fait, agriculture et territoires ne font qu’un.
Presque partout, l’agriculture a imprimé une marque profonde dans l’espace français. Évident, me direz-vous. Pourtant, en avons-nous toujours bien conscience, habitués que nous sommes à trouver « normal », voire « naturel » de traverser sans encombres, lors de nos déplacements, des espaces naturels ouverts, accessibles, harmonieux, entretenus et accueillants ? Cela ne va cependant pas de soi !
L’agriculture façonne et entretient depuis toujours les territoires ruraux. Un document officiel de 2007 consacré à la révision générale des politiques publiques rappelle les sept grandes missions budgétaires assignées au ministère de l’agriculture. Trois d’entre elles mettent en évidence ce lien essentiel, presque organique, entre agriculture et territoires : « assurer la gestion durable des ressources et des territoires et l’adaptation des exploitations et des modes de production », « gérer et préserver la forêt », « coordonner l’évolution et le développement équilibré des territoires ruraux ».
Outre sa fonction de base, la production en quantités suffisantes de denrées alimentaires de qualité, et son rôle éminent dans l’entretien, l’aménagement et l’animation de l’espace, l’agriculture remplit également une fonction essentielle de régulation naturelle et biologique de nos territoires, autrement dit de notre espace vital.
Nos sociétés industrielles, vouées à la modernité technologique, sont marquées par un univers urbain dense et envahissant, souvent oppressant. Cependant, nos territoires agricoles et l’activité naturelle qui en découle remplissent des fonctions biologiques vitales : la fonction chlorophyllienne des végétaux, indispensable piège à gaz carbonique en première ligne dans la lutte contre le changement climatique ; la survie des écosystèmes ; enfin, l’inscription dans l’espace de limites physiques indispensables à une urbanisation galopante.
Une conclusion s’impose ici d’elle-même : une agriculture solide et de bon sens est un agent irremplaçable de vitalité et de qualité pour nos territoires.
Située par définition en amont des filières économiques qu’elle anime, une agriculture dynamique entraîne dans son sillage une multitude d’activités secondaires : transformation et conditionnement sur place des produits agricoles ainsi que leur expédition, qu’ils soient bruts ou transformés ; accueil des citadins en milieu rural, conception, structuration et offre de multiples activités de loisirs et de découverte ; formation et recherche scientifiques liées à l’agronomie.
Autrement dit, à travers l’ensemble de ses activités connexes, l’agriculture peut offrir à des campagnes souvent menacées de désertification des chances immenses de reconversion et de revitalisation – pour peu qu’une politique des territoires éclairée et audacieuse aide à tirer le meilleur parti de ces atouts.
Dans le même ordre d’idée, ceux des citadins, je les ai évoqués, qui sont séduits par l’idée d’aller vivre et travailler en milieu rural ne franchissent le pas que s’ils ont la certitude d’y avoir accès à des services et des infrastructures adéquats. Là encore, la politique des territoires porte une part de responsabilité dans le succès ou l’échec de ces démarches.
En inversant la perspective, on peut même considérer que cette omniprésence de l’agriculture dans la problématique des territoires a pour conséquence immédiate que, au cœur de toute politique des territoires judicieuse et digne de ce nom, il sera nécessaire de trouver une agriculture adaptée. Or, aujourd’hui, elle est en grand danger, et il y a urgence à la sauver.
Deux pistes peuvent être suggérées pour donner corps à cette idée, dont une ne dépend pas de votre ministère, bien entendu.
La première serait une sorte de serment d’Hippocrate agricole : « avant tout ne pas nuire », ce qui signifie en l’occurrence cesser de « pondre de la norme » dans tous les domaines, qu’il s’agisse de normes administratives ou de normes environnementales, qui pénalisent les budgets des agriculteurs.