M. Jacques Blanc. Ce n’est pas vrai !
Mme Évelyne Didier. …l’aide apportée atteignant péniblement 900 euros.
Ce que vous nommez donc pudiquement « partenariat », nous appelons cela du racket ! Cette logique est assumée par la direction de La Poste, qui estime que la transformation de cinq cents bureaux de poste par an en agences communales ou en relais poste pourrait permettre de ramener le surcoût généré par cette mission d’aménagement du territoire à 260 millions d’euros en 2011. Il s’agit donc bien de réduire la présence postale.
Une telle logique fait craindre le pire pour la mission de service public liée à l’accessibilité bancaire, qui n’est pour sa part assortie d’aucune obligation territoriale.
Pour remplir les obligations en termes d’aménagement du territoire, la loi relative à la régulation des activités postales a instauré un fonds de péréquation de la présence postale. La Commission supérieure du service public des postes et télécommunications a regretté que les modalités de financement de ce dernier n’aient pas été précisées. Quant à ses moyens, ils restent à la fois insuffisants et incertains, ce fonds étant en effet abondé par l’exonération de la taxe professionnelle – cela vous dit quelque chose, mes chers collègues ? (Sourires.) –, dont La Poste bénéficie à hauteur de 85 %, et même à 100 % désormais, grâce au travail de la commission.
M. le président. Veuillez conclure, madame Didier.
Mme Évelyne Didier. Alors que cette taxe est appelée à disparaître dans la prochaine loi de finances, on ne sait toujours pas comment ce fonds sera alimenté à l’avenir. Les directives européennes n’interdisaient pas de faire supporter aux opérateurs une obligation de desserte de l’ensemble du territoire. Pourquoi ne pas avoir choisi cette voie ?
Par ailleurs, les directives n’imposaient nullement un changement de statut. La définition des normes de qualité de service et des règles d’accessibilité des bureaux demeure également une prérogative nationale.
Nous ne voulons pas d’une telle « modernisation ». Les exemples montrant que l’ouverture à la concurrence, cumulée au changement de statut, se traduit par une dégradation des services sont aujourd’hui trop nombreux en Europe. En Suède, notamment, on parle couramment de la « règle du tiers », la libéralisation ayant en effet entraîné la suppression d’un tiers du personnel et d’un tiers des bureaux de poste, sans parler du prix du timbre, qui a augmenté de 40 % pour l’usager, et diminué de 30 % pour les entreprises. Voilà la « modernisation » que vous nous proposez ! La logique est donc toujours la même : le désengagement de l’État.
Pour toutes ces raisons, nous serons des opposants déterminés à ce texte, qui sonne le glas des missions de service public confiées à La Poste, mettant de fait en péril la cohésion nationale et le pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Gouvernement présente ce projet de loi dans un contexte particulier. L’inquiétude de la société française est palpable : inquiétude face aux politiques de libéralisation menées tambour battant par votre gouvernement, inquiétude en raison de la précarité montante, inquiétude liée au sentiment de déclassement, inquiétude pour l’avenir de la nouvelle génération, inquiétude pour le devenir du territoire. Ce qui était assuré hier est aujourd’hui susceptible d’être remis en cause à tout moment.
On peut voir dans le délitement du lien social l’émergence de l’individualisme et le recul des solidarités traditionnelles ; pour ma part, j’impute plutôt cette dissolution au libéralisme non tempéré que vous appliquez à tous les pans de notre économie : la généralisation et la banalisation du travail dominical fragilisent les familles ; le paquet fiscal, contesté jusque dans vos rangs, privilégie les plus aisés et reporte la fiscalité sur les ménages de la classe moyenne.
Parallèlement à ces dérégulations qui précarisent chaque jour davantage nos concitoyens, brouillent leurs repères et dégradent leur vie quotidienne, vous menez une politique qui se résume à l’affaiblissement des solidarités collectives issues du programme du Conseil national de la Résistance, que vous détricotez avec constance. Votre cible principale, c’est notre système de protection sociale et le service public. Non seulement le périmètre de ce dernier s’est réduit comme peau de chagrin, mais, là où il est irremplaçable, indispensable, comme dans les domaines de la santé et de l’éducation, vous ne lui donnez plus les moyens d’être un service de qualité.
Pour dissiper ce climat anxiogène et occulter les vraies difficultés sociales et économiques, votre gouvernement nous propose comme remède un débat sur l’identité nationale. Les Français ont bien compris que le tempo était choisi à dessein : il s’agit, d’une part, d’une manœuvre de diversion face aux problèmes quotidiens, notamment la dégradation de l’emploi, et, d’autre part, de visées électoralistes qui ne trompent personne.
Dans ce débat sur l’identité, il apparaîtra sans doute que l’attachement au service public, notamment à La Poste, est l’une des composantes forte de cette identité. Le lien affectif des Français avec La Poste et son personnel excède en effet largement son rôle économique, tant son rôle social est important. Vous avez les yeux rivés sur un tableau de bord, vous contentant de mesurer les performances financières, les coûts et les surcoûts, sans vraiment prendre la mesure de l’attachement de nos concitoyens à leur Poste.
C’est pourquoi la votation citoyenne a rencontré un si fort écho dans la population. Sur ce plan, vous avez commis une erreur d’appréciation, suivie d’une faute : votre erreur d’appréciation est de ne pas avoir anticipé une telle mobilisation ; votre faute est de l’avoir discréditée en l’assimilant à une mascarade et en la dénonçant comme une manipulation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Hervé Maurey. Une mascarade, c’est le mot !
Mme Bariza Khiari. Comment un gouvernement issu d’un mouvement dit populaire peut-il à ce point mépriser une expression populaire d’une telle ampleur ? À la lecture de l’ouvrage Facteurs en France, on s’aperçoit que les 100 000 facteurs qui sillonnent la France six jours sur sept contribuent à tisser un lien social fort, que leur passage quotidien représente un rythme important pour nombre de nos concitoyens et qu’ils contribuent à incarner, chaque jour, l’égalité républicaine et l’unité du territoire. À l’instar des « hussards noirs de la République », le postier est l’image de la République.
Le titre Ier de ce projet de loi, consacré au changement de statut, tout comme son titre II, qui transcrit la dernière directive postale, représentent une menace forte sur les missions de service public dévolues à La Poste. Le Gouvernement nous assure qu’il n’est pas question d’ouvrir à des actionnaires privés le capital de l’entreprise. Les expériences récentes nous montrent qu’un changement de statut est bien l’antichambre de la privatisation.
M. Roland Courteau. C’est évident !
Mme Bariza Khiari. D’ailleurs, un proche conseiller du Président de la République déclarait ce matin, au sujet de La Poste, que le verrou du service public à caractère national ne constituait pas une garantie éternelle.
Le financement des missions de service public de La Poste est compromis, notamment celui de la présence postale. Même en portant à 100 % l’abattement de la taxe professionnelle et la future cotisation complémentaire, comme l’a proposé M. le rapporteur, le fonds de péréquation assurant la présence postale demeurerait sous-alimenté.
Le titre II de ce projet de loi, en entérinant la fin du secteur réservé, fragilise le principe de péréquation tarifaire, instrument essentiel de l’égalité républicaine. La création d’un fonds de compensation, abondé par les nouveaux entrants sur la base du volume d’activité ou du chiffre d’affaires, n’y changera rien. À court terme, l’un des derniers services publics de proximité est voué à disparaître de nos territoires les plus fragiles, c’est-à-dire les moins rentables.
Mes collègues ont évoqué le rôle essentiel de la présence postale dans les zones rurales ; pour ma part, j’aimerais insister sur la présence postale à Paris et dans les zones urbaines sensibles. En 1998, dans un rapport baptisé Demain, la ville, notre collègue Jean-Pierre Sueur s’alarmait déjà. Alors que les 315 000 employés de La Poste permettaient à l’époque d’assurer un ratio d’un employé postal pour 180 habitants, les habitants des zones urbaines sensibles voyaient ce ratio passer à un pour 670 habitants. De surcroît, 40 % des zones urbaines sensibles ne comportaient aucun bureau de poste, alors qu’elles représentaient une population de plus de 4 millions de personnes. Aujourd’hui, on compte un bureau de poste pour 15 000 habitants en Seine-Saint-Denis. C’est catastrophique !
Les effectifs sont également faibles, ce qui explique que le moindre incident vienne perturber l’ensemble du trafic. Les non-remplacements de personnels absents se traduisent ainsi par une ou plusieurs journées sans distribution dans certains secteurs de la première couronne, laquelle compte pourtant un grand nombre d’entreprises contribuant à la vitalité économique de l’Île-de-France. Certains courriers, considérés comme non prioritaires, sont distribués de manière aléatoire et différée, et les temps d’attente aux guichets sont de plus en plus importants.
Alors que les quartiers sensibles souffrent déjà de malaises économiques et sociaux et d’une relégation par rapport à d’autres territoires de la République, va-t-on leur imposer un recul supplémentaire en limitant leur accès aux services postaux ?
C’est bien la question, car en prenant le chemin d’une limitation progressive de l’implication de l’État dans l’entreprise « Poste », on se prive d’un outil fondamental et nécessaire pour aider certaines zones, et l’on renonce à vouloir reconquérir les territoires « perdus » de la République. La convention signée en 2007 entre l’Agence nationale pour le renouvellement urbain, l’ANRU, et La Poste soulignait pourtant le rôle de cette dernière vis-à-vis des zones urbaines sensibles : elle améliorait l’accessibilité des services postaux aux populations de ces quartiers et favorisait une desserte de qualité et un travail de proximité.
Lorsque des logiques de rentabilité seront au cœur du fonctionnement de l’entreprise, comment pourra-t-on envisager des politiques d’aménagement du territoire vraiment efficaces ? Cela aura-t-il un sens ? Ne nous privons pas d’un instrument efficace pour aller vers ces quartiers.
Le service public est consubstantiel à notre modèle social, modèle auquel nous sommes attachés, d’une part, parce qu’il est porteur de valeurs de solidarité, d’autre part, parce qu’il constitue un amortisseur social en temps de crise pour les plus défavorisés. Par conséquent, le groupe socialiste s’opposera résolument à ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous avons entamé hier la discussion a déjà fait couler beaucoup d’encre et a subi un travail de sape constant de la part de certains syndicats et partis politiques d’opposition.
Au regard des enjeux auxquels La Poste devra faire face à compter du 1er janvier 2011, il faudrait être aveuglé par je ne sais quel dogme, ou tout simplement inconscient, pour ne pas comprendre qu’il faille lui faire bénéficier d’une plus grande liberté de manœuvre. Aussi, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de votre implication personnelle dans cette réforme. Vous avez souhaité un débat parlementaire le plus ouvert possible, et je tiens à vous renouveler tout mon soutien pour faire aboutir cette nécessaire réforme de La Poste, afin de garantir sa compétitivité face aux nouveaux défis.
À la lecture du compte rendu de l’audition de Christian Estrosi devant la commission de l’économie, je souhaite attirer votre attention sur deux problématiques figurant dans le projet de loi : d’une part, la détention du capital de La Poste ; d’autre part, le rôle de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
L’article 1er du projet de loi tend à faire évoluer le statut juridique de La Poste en la transformant à compter du 1er janvier 2010 en société anonyme. Suivant la volonté exprimée par la Président de la République en décembre 2008, le Gouvernement s’était engagé à ce que le capital de La Poste reste détenu à 100 % par l’État ou par d’autres personnes morales appartenant au secteur public. Je me félicite que les débats en commission aient substantiellement amélioré la rédaction de l’article 1er, et je tiens ici à saluer l’initiative de notre rapporteur, Pierre Hérisson, qui a souhaité que le capital soit détenu à 100 % par l’État « et » par d’autres personnes morales de droit public.
Cependant, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer que le capital de La Poste soit détenu par l’État et la Caisse des dépôts et consignations, plutôt que par d’autres acteurs institutionnels publics dont les intérêts pourraient fluctuer en fonction des desiderata de leurs actionnaires privés.
Souhaitant donc aller plus loin, l’amendement que je présenterai visera à garantir qu’au-delà de l’État seules des institutions financières publiques françaises exerçant des activités d’intérêt général pour le compte de l’État puissent entrer au capital de La Poste.
À ce jour, seule la Caisse des dépôts et consignations répond à ces critères.
Cela permettrait de ne pas fermer les portes du capital de La Poste à des institutions similaires à la CDC et de maintenir la vigilance à l’égard de ceux qui souhaiteraient y entrer à l’avenir.
Répondant au courrier que je lui ai adressé à ce sujet, Christian Estrosi m’a écrit qu’il partageait mes observations sur le fait que seuls l’État et la Caisse des dépôts et consignations doivent pouvoir détenir le capital de La Poste. Nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion des articles.
Le titre II du projet de loi élargit les missions de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et définit les obligations de La Poste vis-à-vis de celle-ci.
Selon la lecture que l’on pourrait faire des articles de ce titre II, l’Autorité de régulation semblerait n’imposer des contraintes qu’à La Poste, sans que cela concerne les futurs concurrents de cette dernière.
Même s’il est évident, à mes yeux, que les futurs prestataires, titulaires de l’autorisation prévue à l’article L. 3 du code des postes et des communications électroniques, seront soumis aux mêmes obligations que celles qui sont mentionnées à l’article 20 du projet de loi, j’estime nécessaire que le Gouvernement le précise noir sur blanc afin de dissiper tout doute sur ce point.
Dans un contexte où, sur un sujet de cette importance, l’opinion publique a été abreuvée quotidiennement de contrevérités, cela éviterait de faire accroire à un traitement différencié entre La Poste et ses futurs concurrents.
Aussi, monsieur le ministre, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir me confirmer que La Poste et l’ensemble des opérateurs qui officieront sur le territoire national seront traités sur un pied d’égalité par l’Autorité de régulation.
Enfin, monsieur le ministre, le Gouvernement s’est engagé à maintenir et à préserver la présence de La Poste sur l’ensemble du territoire, que ce soit en zone rurale et de montagne ou sur les territoires les plus éloignés.
M. François Patriat. Il croit au père Noël !
M. Christophe-André Frassa. Votre projet de loi garantit pour la première fois les quatre missions de La Poste.
Ainsi, les critères actuels d’accessibilité au réseau des points de contact au titre du service universel seront maintenus et les articles 2 et 3 consacrent et assurent la mission d’aménagement du territoire de La Poste, ce dont je me réjouis.
Vous avez même proposé d’aller au-delà en prenant des engagements en matière de maintien du périmètre de la mission d’aménagement du territoire ou de pérennité de son financement.
Partout où ils sont présents, les agences postales communales et les points-relais commerçants compensent en partie les carences et remplissent particulièrement bien leurs rôles. Leurs premiers résultats sont d’ailleurs significatifs.
Monsieur le ministre, vous avez marqué votre volonté de poursuivre leur développement et je m’en félicite. Cependant, comme l’a si bien souligné notre collègue Jacques Blanc, il serait judicieux de réfléchir dès aujourd’hui à la possibilité de mutualiser les services publics et d’étendre les missions purement postales de ces bureaux très retirés.
Il m’apparaît nécessaire de sortir du schéma classique où seules La Poste et les collectivités territoriales auraient leur mot à dire, schéma qui conduit inéluctablement à ne raisonner qu’en termes de coût financier, avec une Poste qui se désengage de ses bureaux non rentables et des collectivités territoriales qui refusent d’accroître leurs charges et la fiscalité locale.
Offrir sous un même toit une gamme élargie de services débordant largement de ceux qui sont traditionnellement assurés par La Poste et répondant soit à des activités reconnues socialement nécessaires, soit à des services d’intérêt général indispensables aux besoins de nos concitoyens, pourrait être une solution. Ces points d’accueil pourraient assurer la prestation des services publics aujourd’hui absents ou disparus. Ils pourraient offrir par ailleurs toutes formes de conseils, d’expertises et de services dans des domaines aussi variés que l’aide à la personne, la garde d’enfants ou les services à domicile. Ils pourraient enfin aider à la création d’emplois et à l’insertion professionnelle durable.
Même si cette réflexion sort quelque peu des débats que nous engageons aujourd’hui, vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous ne pourrons aider La Poste à se développer face à ses concurrents sans réfléchir à l’évolution de ces points d’accueil dans les zones les plus retirées de notre pays, et ce dans le cadre de la mission de service public, à laquelle tous nos compatriotes sont très attachés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne le sait que trop, toute réforme structurelle d’une entreprise s’accompagne de casse, tant sociale que des conditions de travail. Aussi, je souhaite vous faire part des craintes importantes des personnels à l’égard de votre réforme.
La Poste, aujourd’hui, tous métiers confondus, ce sont 287 000 salariés, dont 142 000 fonctionnaires et 145 000 salariés de droit privés dits « contractuels », en contrat à durée soit indéterminée, soit déterminée. Ce sont aussi plus de 200 filiales en France et à l’étranger.
On constate la diversité de structures et de situations des salariés, regroupés en de nombreux métiers, parfois très différents, mais tous complémentaires, pour accomplir leurs missions de service public.
Résultat de l’histoire, cette diversité est aussi la conséquence de choix délibérés et constants des pouvoirs publics et des dirigeants de La Poste d’aller à marche forcée vers une société commerciale filialisée.
Déconstruire et diviser par activités, c’est finalement classique, monsieur le ministre ; c’est diviser pour mieux réformer !
L’une des conséquences de la transformation des PTT en deux entités, France Télécom et La Poste, fut le choix donné aux salariés d’être « reclassifiés » ou « reclassés ». Traduisez par « demeurer fonctionnaire ou intégrer la nouvelle structure et devenir un contractuel soumis au droit privé ».
A ainsi été créée une catégorie de salariés que l’on pourrait nommer les « ni ni » : ni tout à fait des salariés de droit privé, car ils n’en ont pas tous les droits, ni tout à fait des fonctionnaires.
Après des années de lutte, ils sont toujours dans une situation de discrimination, dont votre propre rapport, monsieur le président, en soulignait, déjà en 2002, le caractère anormal.
Ainsi coexistent aujourd’hui une multitude de situations salariales et de régimes juridiques hétérogènes et inégalitaires, un « ornithorynque juridique », selon les dires des personnels. Cette superposition de régimes laisse perdurer de nombreuses zones de non-droit.
Après un moins-disant salarial et une aggravation des conditions de travail, votre énième réforme, si elle était adoptée, représenterait en outre un nivellement par le bas des retraites, car elle entraînerait pour ses salariés un passage de l’IRCANTEC vers l’AGIRC, conduisant à une augmentation des cotisations et à une baisse des retraites.
M. Guy Fischer. C’est tout à fait vrai !
Mme Annie David. De même, l’IRCANTEC n’y survivrait pas à terme.
Alerté sur cette question, le ministre Christian Estrosi s’est engagé en commission à trouver une solution qui satisfasse toutes les parties. Sachez que nous serons très vigilants quant aux suites données à ce dossier primordial.
Il en est de même de la proposition d’actions gratuites à destination des salariées. Seuls les cadres pourraient y prétendre. Aussi, nous ne pouvons y souscrire, d’autant qu’un tel dispositif, associé à celui des primes, autre proposition de ce projet de loi que nous contestons, favorise une politique de bas salaire. En outre, cette option n’étant valable que deux ans, cela aboutira, à terme, à des reventes de la part des salariés, avec les risques d’une privatisation indirecte et rampante.
Et vous voudriez nous faire croire que, jamais, La Poste ne sera privatisée ! Avec cette réforme, celle-ci deviendrait une société anonyme, comme France Télécom, toutes deux issues des PTT. L’on ne peut s’empêcher de regarder leur destin parallèle. Ainsi, à France Télécom, nous sommes face à de dramatiques situations humaines et il faut savoir que, à La Poste, énormément de salariés souffrent déjà de cette gestion du personnel pathogène.
Nous ne prônons pas le statu quo en refusant que La Poste devienne une société anonyme. Au contraire, nous appelons de nos vœux une réforme d’envergure qui se traduirait, pour les usagers, par la pérennisation d’un véritable service public de La Poste, et, pour les salariés, par l’acquisition d’un statut juridique unifié, notamment grâce à la convention collective unique comportant des droits pour toutes et tous au moins équivalents à ceux qui sont inscrits dans le code du travail.
Pour conclure, à l’heure où l’on commence à mesurer l’étendue et la gravité de la souffrance au travail, ainsi qu’en témoigne la mission parlementaire de la commission des affaires sociales sur le mal-être au travail, à l’heure où certaines entreprises commencent à revenir en arrière et où l’actualité nous rappelle chaque jour les dégâts humains que l’ultralibéralisme engendre, cette réforme est déjà dépassée et n’est plus en phase avec les besoins des populations en ce début de XXIe siècle.
Voilà pourquoi nous voterons contre la transformation de La Poste en société anonyme, laquelle n’est justifiée par aucune nécessité économique, structurelle, salariale, si ce n’est une future privatisation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je formulerai une première remarque, si vous le voulez bien : ce sont les gouvernements de droite qui ont conduit la négociation de la troisième directive postale. Nous sommes d’accord ?...
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
M. Roland Courteau. C’est bien le ministre François Loos qui avait averti que, si la France estimait insuffisantes les garanties concernant le financement du service universel, elle demanderait le maintien du secteur réservé. Nous sommes toujours d’accord ?... (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Cependant, la proposition de directive n’a pas été fondamentalement modifiée. Et pourtant, la France n’a rien demandé et a approuvé le texte européen. Seuls les eurodéputés de gauche s’y sont opposés, et pour une bonne raison : en fait, tout le discours ultralibéral de la Commission européenne se retrouve dans cette directive que le Gouvernement a avalisée.
Deuxième remarque : franchement, monsieur le ministre, à qui voulez-vous faire croire que, pour affronter la concurrence et se moderniser, La Poste est dans l’obligation de changer de statut ? Tout le monde est persuadé qu’il y a véritablement anguille sous roche et que la transformation en société anonyme constitue le premier pas vers la privatisation. Mais oui ! Le précédent de GDF rôde encore ici au-dessus de nos têtes. Nul n’a oublié, dans le pays, que le ministre Nicolas Sarkozy avait promis urbi et orbi de ne pas privatiser Gaz de France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Nous n’avons pas oublié !
M. Roland Courteau. D’ailleurs, instruits par ce précédent et quelques autres, les Français peuvent vous écrire la suite de l’histoire de La Poste si celle-ci devient demain une société anonyme, surtout après les propos qu’a tenus ce matin le conseiller de l’Élysée.
Ainsi, un à un, les piliers du service public à la française tomberont au champ d’honneur.
Quoi que vous nous disiez, vous avez choisi de vous attaquer à l’un des seuls symboles du service public encore debout. Et ce ne sont pas les faux remparts que vous faites mine d’ériger contre la dérive de privatisation ainsi engagée qui rassureront les Français.
Monsieur Teston s’est largement exprimé…
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l’économie. Ça, c’est vrai ! (Sourires.)
M. Roland Courteau. …sur cette digue de papier que pourrait être l’amendement visant à faire de La Poste un service public national.
En vérité, le sort de l’entreprise a été décidé et ficelé depuis longtemps. Le Gouvernement a pioché dans le rapport Ailleret, l’habillage du moment, pour préparer ce qui a toujours été envisagé par la droite, à savoir la privatisation future de La Poste.
C’est votre choix. Assumez-le ! Inutile d’invoquer l’Europe ou des questions de techniques de financement. En fait, ce changement de statut est surtout dogmatique et vous avez décidé d’engager une bataille idéologique contre les services publics. Vous nous trouverez en face de vous, car notre volonté est de sauvegarder une entreprise publique dont l’utilité sociale et économique est reconnue de tous. Ce choix-là, nous l’assumons !
Notez bien que c’est cette même volonté qui s’est affirmée lors de la votation citoyenne, une votation que certains, ici, ont tenté de disqualifier. Je rappelle que cette forme de référendum fut inspirée par celui qui a été mis en œuvre par la Ligue des droits de l’homme.
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Roland Courteau. Il fallait être majeur, présent physiquement et signer une liste d’émargement !
Dans l’Aude, par exemple, 45 000 votants, sur une population de 320 000 habitants, se sont déplacés pour montrer leur attachement à La Poste.