M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. L’article 1er prévoit de consacrer par la loi le principe de la séparation comptable entre la gestion de l’infrastructure et l’exploitation des services de transport, contre lequel nous nous sommes toujours élevés.
En d’autres termes, la loi du 13 février 1997 qui a créé Réseau ferré de France avait surtout pour objet de supprimer la dette de la SNCF et de la faire porter au nouvel établissement. C’est pourquoi, à notre sens, il était indispensable de dissocier l’examen du présent texte du débat sur le système ferroviaire français en général, et sur le bilan négatif de la réforme de 1997 en particulier. Le problème est que nous n’avons jamais eu ce débat, le Gouvernement l’ayant complètement éludé.
Il serait pourtant possible de faire de RFF une filiale de la SNCF : en Allemagne, le gestionnaire du réseau, DB Netz, appartient à 100 % à la Deutsche Bahn AG, société dont le capital est détenu par l’État.
Un tel scénario est possible, et il serait d’autant plus envisageable que le schéma qui avait été imaginé en l’absence de toute autorité indépendante de régulation devient obsolète le jour de la création d’une telle autorité. Aucun obstacle juridique ne s’opposerait aujourd’hui à une filialisation de RFF. Reste que les esprits sont marqués par les relations très compliquées entre RFF et son gestionnaire délégué.
Aux termes de l’article 1er de la loi de 1997, « au plus tard le 31 décembre 2008 et tous les deux ans, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur l’évolution des relations entre Réseau ferré de France et le gestionnaire d’infrastructures délégué ».
À ce jour, aucun rapport n’a été diffusé – monsieur le secrétaire d’État, a-t-il même été rédigé ? –, lequel devrait forcer le Gouvernement à se prononcer sur une situation qu’il a lui-même créée et dont il ne parvient pas à sortir !
M. Guy Fischer. Nous attendons ce rapport !
M. Michel Teston. Pourtant, en la matière, les idées ne manquent pas. Notre collègue Hubert Haenel a rendu un rapport dans lequel il propose de créer une nouvelle entreprise qui exercerait les missions dévolues à RFF et effectuées par des agents SNCF : l’ENCF.
Tel n’est pas notre avis. Il nous semble d’ailleurs que M. Haenel contourne le problème : il propose la création d’une filiale non pour répondre à une stratégie industrielle cohérente, mais dans une logique d’évitement des conflits sociaux susceptibles de survenir en cas de changement. Cela étant, ce dispositif rendrait encore plus complexe le fonctionnement du système ferroviaire français. Nous sommes favorables à une autre solution, celle que j’ai décrite précédemment.
En matière sociale, et à l’exception de la mesure adoptée sur notre proposition et visant à créer un « permis de conduire » les trains, disposition toutefois amoindrie à l’Assemblée nationale, ce texte, à notre sens, prépare clairement un nivellement par le bas.
En outre, je rappelle que nous sommes opposés à l’ouverture à la concurrence des services internationaux de transport de voyageurs, parce que le cabotage, c’est-à-dire la possibilité pour les entreprises ferroviaires exploitant un service international de transport de voyageurs d’assurer des dessertes intérieures, nous paraît insuffisamment encadré. À cet égard, ce dispositif a été encore moins encadré à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
Telles sont les nombreuses raisons pour lesquelles nous sommes contre cet article.
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite, par cette intervention, poser une nouvelle fois la question du wagon isolé.
En effet, que ce soit lors de la première lecture de ce texte ou au moment de l’examen de l’article 10 du projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, j’avais défendu deux amendements sur ce thème.
D’abord, j’avais proposé d’inscrire à l’article 10 de ce texte que le transport de marchandises participe de l’intérêt général et revêt un caractère prioritaire, relayant ainsi une partie des conclusions du Grenelle de l’environnement qui prévoit sans aucune ambigüité que le développement du fret ferré, maritime et fluvial est déclaré d’intérêt général et inscrit dans la loi d’orientation des transports intérieurs.
Le 29 janvier 2009, en séance publique, le Gouvernement et la commission des affaires économiques avaient émis des avis défavorables sur ces amendements au motif que ceux-ci concernaient les wagons isolés dont nous discuterions une semaine plus tard dans le cadre du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires.
Malheureusement, posant cette question lors de la première lecture, aucune réponse ne m’a été apportée. Le Gouvernement a eu beau nous expliquer que l’intérêt général n’était pas un concept assez précis, je continue pour ma part de penser – et je ne suis pas la seule – que la notion d’intérêt général constitue le socle du pacte social et que sa définition relève purement et simplement de la puissance publique.
Ensuite, j’avais demandé que l’on insère, toujours à l’article 10 du projet de loi de programmation, que la SNCF reste engagée sur le trafic ferroviaire de wagons isolés. Je vous l’ai dit maintes fois, sur un territoire comme l’Auvergne, par exemple, l’état catastrophique du réseau annihile complètement toute initiative privée. Or ce trafic de wagons isolés est souvent primordial pour l’aménagement du territoire et nos entreprises locales. Il faut créer des obligations de service public pour offrir aux utilisateurs du fret et au grand public des possibilités de déplacement qui n’existeraient pas sans ces services publics.
J’avais donc défendu l’idée du maintien de la SNCF sur ce réseau afin que la création d’opérateurs ferroviaires de proximité n’entraîne pas corrélativement le désengagement de la SNCF sur une telle activité.
Cet amendement partait aussi d’un constat clair : la SNCF est aujourd’hui la seule entreprise à conserver une activité pour le trafic de wagons isolés. Ses concurrents ne se positionnent pas sur ce créneau, préférant bien évidemment se concentrer sur des activités plus rentables.
Le Gouvernement n’a donc cessé, sur cette question, de « botter en touche », renvoyant à plus tard toute prise de position sur le wagon isolé. Or nous voyons aujourd’hui, avec le plan Fret d’avenir, que ce que vous envisagez, c’est l’abandon pur et simple du wagon isolé !
Il s’agit là, comme je vous le disais au cours de la discussion générale, d’un mépris total des élus, des territoires et de l’environnement. La politique du Gouvernement a pour conséquence de remettre des millions de camions sur les routes. En 2000, la part modale du fret était de 20 % ; aujourd’hui, elle est malheureusement de 11 %. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. le président. Sur cet article, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Le vote est réservé.
articles 1er bis et 1er ter
M. le président. Sur ces articles, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Le vote est réservé.
Article 2
M. Claude Jeannerot. Monsieur le secrétaire d’État, dans cet article 2, vous nous avez proposé de créer les opérateurs de proximité.
Si nous convenons avec vous qu’il est urgent de redresser la situation du fret, largement sinistrée en France, les solutions que vous nous suggérez ne nous semblent pas à la hauteur des enjeux.
Vous avez récemment annoncé un nouveau plan fret. Combien en avons-nous vu passer depuis dix ans ? Au-delà des bonnes intentions consensuelles, ce plan, comme tous les autres, manque de moyens et reste très flou sur l’origine des financements.
Il s’inscrit par ailleurs dans une logique uniquement comptable et aura des effets pervers. L’abandon programmé de 70 % de l’activité « wagon isolé », qui permet de collecter le fret au plus près des utilisateurs, au bénéfice exclusif de ses activités « trains entiers » et de transport combiné, va contribuer à diminuer le périmètre du fret ferroviaire au profit de la desserte routière.
Ce plan marque enfin la stratégie non avouée de la SNCF d’abandonner la petite maille pour privilégier les axes lourds et rentables. Mais sans le maillage qui permet d’alimenter les gares de triage, point d’axes lourds efficaces.
Le Gouvernement nous propose de construire des infrastructures pour le fret de transit : les autoroutes ferroviaires permettront de transporter les conteneurs passant par la France. Mais qu’en sera-t-il des marchandises de moindre volume et de moindre poids ? Et comment des entreprises qui envoient aujourd’hui leurs produits par le rail feront-elles le jour où les voies qu’elles empruntaient n’existeront plus ?
Vous feriez mieux de chercher à rendre le fer rentable, plutôt que de délaisser le réseau en priant le ciel pour que les régions s’en occupent. Ce que le fer perd sur la route, il ne le retrouve jamais ! Le bois et l’eau d’Auvergne sont désormais transportés par la route, du seul fait de la dernière vague de fermetures de gares au wagon isolé !
Vous ne le dites pas, mais vous comptez bien sur les régions pour apporter les financements nécessaires au maintien de dessertes locales pour le fret, dans le cadre de la mise en place des opérateurs de proximité. Alors même que l’État ne donne pas les moyens aux collectivités d’assumer leur compétence pour le transport de voyageurs, une telle orientation signifie, là encore, une forme d’abandon de la part de l’État, d’autant que le Gouvernement continue de ne pas respecter ses engagements envers Réseau ferré de France et envers les régions pour tout ce qui touche à l’entretien et à la modernisation du réseau. On va tout droit à la mort d’un réseau qui fait pourtant aujourd’hui notre force économique !
Mes chers collègues, les régions dessinent une politique alternative à la fois ambitieuse et écologique. Leur action déterminée et efficace en matière de transport régional ainsi que la proposition de réunification du système ferroviaire pour effacer la dette de la SNCF et de RFF représentent les axes d’une véritable politique cohérente du rail aussi bien pour les voyageurs que pour les marchandises.
Le parti socialiste a également proposé récemment un grand « plan de transports carbone zéro » : tous les projets de transports publics seraient financés à moitié par l’État.
Au lieu de refuser au rail les moyens de son développement, le Gouvernement aurait pu s’inspirer de ces politiques et de ces propositions.
Nous sommes résolument déçus de vos propositions, et c’est encore une raison de plus de voter contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Sur cet article, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Le vote est réservé.
Article 2 bis A
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois de plus, le Gouvernement ne respecte pas les droits des collectivités territoriales.
Comme chacun le sait dans cet hémicycle, le présent article 2 bis A est le fruit d’un amendement déposé à la hussarde par le Gouvernement quarante-huit heures avant le début de l’examen de ce projet de loi par nos collègues de l’Assemblée nationale. Outre que l’examen par l’Assemblée nationale de cet amendement extrêmement technique – il ne compte pas moins de sept pages, mes chers collègues ! – s’est déroulé dans des conditions déplorables, le Sénat n’a donc à aucun moment été consulté avant ce jour ni n’a pu donner son avis sur un dispositif qui vient modifier de fond en comble le paysage des transports franciliens par le biais d’une véritable spoliation du STIF au profit de la RATP. J’ajoute qu’à aucun moment le président de la région d’Île-de-France, également président du STIF, ni M. le maire de Paris n’ont été consultés, sur un sujet qui concerne pourtant les transports collectifs de millions de Franciliens !
M. Claude Domeizel. C’est scandaleux !
M. Serge Lagauche. Sur le fond, je l’ai dit et je le répète, cet article, issu de l’amendement déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale et portant le numéro 119 rectifié – il a en effet dû être rectifié à la dernière seconde tant sa technicité est grande ! – ne constitue ni plus ni moins qu’une spoliation ! De quoi s’agit-il ?
Depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, acte II de la décentralisation, le STIF est l’autorité organisatrice des transports franciliens. À ce titre, il finance, de manière directe ou indirecte, l’ensemble du matériel roulant en Île-de-France. Ces investissements se font grâce à deux actions complémentaires : d’une part, le versement par le STIF aux transporteurs d’une contribution annuelle qui couvre toutes les charges liées aux investissements ; d’autre part, le financement direct par le STIF de l’acquisition et de la rénovation de matériels roulants ferrés par le versement de subventions d’investissement aux transporteurs. Pour mener à bien cette démarche, le STIF s’est engagé, par le biais des contrats d’exploitation conclus avec la SNCF et la RATP pour la période 2008-2011, à investir pas moins de 2,5 milliards d’euros !
C’est dans ce contexte de dynamisme et de volontarisme dont fait preuve le STIF pour réaliser à l’horizon 2016 le renouvellement et la rénovation de l’ensemble du matériel roulant ferré que, par le biais de cet amendement, le Gouvernement procède en fait au retour en pleine propriété à la RATP de l’ensemble du patrimoine public exceptionnel du STIF, pourtant très largement financé par les collectivités franciliennes ! Le texte tel qu’il nous est proposé est donc d’autant plus inacceptable qu’il constitue un détournement de patrimoine public.
Le second sujet sensible concerne la position dominante conférée à la RATP en matière de maîtrise d’ouvrage et de choix techniques sur les projets. Il est clair, là encore, que le texte dessaisit le STIF de l’ensemble de ses prérogatives de puissance publique au profit d’un opérateur technique, ce qui est absolument inacceptable pour les élus que nous sommes. Un tel schéma conduira inévitablement à un mélange des genres, à une confusion des responsabilités, à un renchérissement des coûts et à une perte de maîtrise des délais, et ce alors même que, dans le cadre du groupe de travail sur le financement des transports en Île-de-France présidé par M. Gilles Carrez, nous nous sommes collégialement efforcés d’agir en sens inverse, bien au-delà des clivages politiques. L’esprit du règlement européen relatif aux obligations de service public, dit « règlement OSP », qui doit entrer en vigueur le 3 décembre 2009 – il y a donc urgence, et vous en tirez argument pour justifier une méthode aussi cavalière, et le mot est faible ! –, n’est donc pas respecté par ce transfert de propriété.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet article subreptice ne nous surprend pas. Nous ne pouvons nous empêcher d’établir un lien entre ce transfert de propriété et la volonté affirmée par le président de la RATP de dégager des bénéfices substantiels pour les mettre à la disposition de sa stratégie de développement.
Vous souhaitez faire de la Régie autonome des transports parisiens une entreprise du champ concurrentiel intervenant, notamment, sur les marchés internationaux. Nous n’acceptons pas que cette évolution se fasse par le détournement des finances publiques locales. Ce détournement n’est pas acceptable.
Enfin, comment être surpris alors que l’État refuse depuis dix-huit mois de valider le schéma directeur de la région d’Île-de-France, le SDRIF ? Le projet de métro automatique Arc Express – il a fait, quant à lui, l’objet d’une concertation – ne semble en effet pas convenir à l’État, celui-ci lui préférant le projet que M. Christian Blanc souhaite mettre en œuvre dans le cadre du projet de loi sur le Grand Paris. De quelle manière ce dernier serait-il réalisé ? Grâce à la création d’une « Société du Grand Paris » à travers laquelle l’État projette de reprendre le contrôle direct de l’organisation des transports. Par l’intermédiaire de cette superstructure supplémentaire, potentiellement compétente à l’échelle de tout le territoire francilien, non seulement le Gouvernement complexifie l’organisation des compétences entre les collectivités, mais en outre il les dessaisit de leur compétence « Transport » au profit d’un État tout-puissant qui décidera de l’avenir de quartiers entiers dans les villes desservies par les nouvelles lignes de transport. Est-ce cela l’acte III de la décentralisation ?
Non, vraiment, nous ne sommes pas surpris d’une telle méthode. Vous affaiblissez le STIF en détournant son patrimoine public, vous organisez la privatisation rampante de la RATP et, en fin de compte, vous nous apprenez à lire entre les lignes des discours du Président de la République, qui déclarait le 29 avril dernier à Chaillot : « Le Grand Paris, […] c’est l’État qui donne l’impulsion nécessaire mais qui n’impose pas d’en haut un projet qui ne peut réussir que s’il est partagé par tous. »
Non, vraiment nous ne sommes pas surpris : scandalisés par de telles méthodes, oui, mais pas surpris…
Étant donné la gravité et l’importance des questions soulevées par cet article 2 bis A pour l’organisation des transports collectifs de 11 millions de Franciliens, rien ne peut justifier l’absence de débat approfondi au Sénat sur ce point.
J’en appelle au courage de nos collègues de la majorité, car ce seul article, sur la forme et sur le fond, justifie à lui seul le rejet de l’ensemble du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Guy Fischer. Bravo !
5
Souhaits de bienvenue à une délégation de maires maliens
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence dans nos tribunes d’une délégation de maires maliens du cercle de Yélimané, invités par notre collègue Mme Dominique Voynet. (M. le secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
6
Organisation et régulation des transports ferroviaires et guidés
Suite de la discussion et adoption des conclusions du rapport d’une commission mixte paritaire
M. le président. Nous reprenons l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports.
Article 2 bis A (suite)
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, encore une fois, nous souhaitons nous élever contre ce projet de loi, en particulier contre une disposition scélérate adoptée par l’Assemblée nationale, à la demande du Gouvernement, sans que le Sénat ait pu l’examiner.
L’amendement dont l’adoption a eu pour effet d’insérer l’article 2 bis A pose la question des libertés que prend le Gouvernement avec les textes, en l’occurrence avec le règlement européen relatif aux obligations de service public.
L’article 2 bis A, nouveau, du projet de loi dont nous discutons aujourd’hui procède au dessaisissement du STIF au profit de l’État et crée une situation délicate pour la RATP au regard du règlement relatif aux obligations de service public.
Je ferai un petit rappel. La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU, avait marqué le commencement de la déspécialisation de la RATP. Pour pouvoir conquérir des marchés en dehors de Paris et de sa région, la régie devait s’inscrire dans un processus de transformation radicale pour, à terme, pouvoir répondre aux appels d’offres et faire face à la concurrence. Alors que le processus est largement engagé dans les autres régions et que la SNCF se prépare à la mise en concurrence, l’Île-de-France est très en retard.
Pourtant, loin d’aider à la transition, l’amendement du Gouvernement procède en fait à l’arrêt brutal de ce processus : il transforme de facto l’État en autorité organisatrice et la RATP en régie d’État, et ce jusqu’en 2039.
Attention : nous ne critiquons pas, en soi, cette prolongation de monopole ! En revanche, nous nous opposons fermement à ce que, cinq ans seulement après la décentralisation, le STIF perde au profit de l’État son statut d’autorité organisatrice.
Vous le savez comme moi : de manière insidieuse, vous avez vidé le STIF de sa substance juridique d’autorité organisatrice. Mais il y a plus grave ! En transférant à la régie le patrimoine et les infrastructures appartenant au STIF, l’État est en train de constituer une entité sans séparation fonctionnelle, en situation exorbitante du droit commun à l’égard de Réseau ferré de France, RFF. En effet, dans la situation que vous avez aménagée pour la RATP, celle-ci ne serait pas obligée de s’acquitter des péages dus à Réseau ferré de France puisqu’elle serait propriétaire de ses infrastructures. Vous avouerez qu’il est curieux de tenter de trouver une solution au cas difficile de la SNC, d’un côté, et de faire tout le contraire pour la RATP, de l’autre côté !
Ne nous méprenons pas : il serait dangereux de méconnaître à quel point ce cadeau est empoisonné pour la régie, notamment parce qu’elle risque des mesures de rétorsion en provenance de l’extérieur.
Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures dans un même secteur : si la SNCF doit procéder à une séparation fonctionnelle et faire face à la libéralisation forcenée, je ne comprends pas par quel miracle la RATP pourrait bénéficier de la préservation de son monopole tout en profitant de l’occasion pour, en plus, consolider son bilan comptable au détriment du contribuable !
La perspective probable de cette opération est une privatisation ; nous voyons mal, en effet, comment vous pourriez longtemps nous faire croire que le Gouvernement auquel vous appartenez est favorable aux services publics aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. « Privatisation », quel gros mot !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, vous permettrez que les sénateurs socialistes franciliens mènent, au travers de ce débat sur le texte issu de la CMP, leur baroud d’honneur sur l’affaire du STIF.
J’ai récemment eu l’occasion d’interpeller le secrétaire d'État chargé des transports, lors d’un débat européen, sur la compatibilité de la situation de la RATP avec les règles européennes. Dans sa réponse, il avait évoqué le STIF. Aujourd’hui, c’est sur ce dernier que je me concentrerai.
Je voudrais rappeler à nos collègues que, dans le cadre de la décentralisation, l’Île-de-France ne s’est vu confier la compétence des transports qu’en 2006. Ce fut l’occasion de débats nourris au Parlement, au Sénat notamment, sur la compensation et sur les transferts. Il a même fallu demander l’arbitrage du comité des finances locales. Cela a duré plusieurs mois : nous n’avons pas été forcément satisfaits du résultat, mais le débat a eu lieu.
Je prends à témoin tous les collègues de l’hémicycle : serait-il normal d’expliquer aux élus de l’agglomération toulousaine, de l’agglomération bisontine …
M. le président. À ceux de l’agglomération marseillaise… (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Bien sûr, monsieur le président, mais je n’osais la citer ! (Nouveaux sourires.)
Mme Nicole Bricq. Bref, serait-il normal d’expliquer aux élus de toutes les agglomérations qui exercent enfin la compétence des transports que les choses ne vont plus être ainsi ?
Il s’agit d’une compétence territoriale par excellence ! Pour ma part, confiante dans l’engagement qu’avait pris notre président, M. Larcher, je pensais que tous les textes concernant les collectivités territoriales seraient d’abord examinés par le Sénat.
M. David Assouline. Exactement !
Mme Nicole Bricq. Non seulement ce n’est pas le cas, mais, quand a eu lieu ici le débat sur les transports ferroviaires, il n’a pas du tout été question de ce sujet, ni en février ni en mars : il a fallu attendre septembre et les débats de l’Assemblée nationale.
Aujourd’hui, j’entends le secrétaire d’État, j’entends le rapporteur évoquer une répartition qui vise à mettre à disposition des moyens compatibles avec l’ouverture à la concurrence, ou encore une répartition des actifs équilibrée.
M. Guy Fischer. Ce n’est pas vrai, cela !
Mme Nicole Bricq. Cela n’a rien d’équilibré !
Je veux rappeler un autre élément du contexte du débat qui nous réunit aujourd’hui. Mon collègue Serge Lagauche et moi-même, en compagnie notamment de notre collègue de Seine-et-Marne Michel Houel, avons participé aux discussions du groupe de travail présidé par notre collègue député Gilles Carrez, qui avait précisément reçu mission du Premier ministre de trouver les moyens d’assurer des transports corrects en Île-de-France dans les vingt années qui viennent. Nous avons donc aussi entendu le STIF, et nous avons imaginé des solutions. Or à aucun moment, alors que nous avons débattu tout l’été, à aucun moment nous n’avons eu sous les yeux le dispositif contenu à l’article 2 bis A
D’un côté, on organise une concertation à la demande du Premier ministre ; de l’autre, on voudrait que nous votions un texte qui ampute le STIF. Vous direz ce que vous voudrez, mais, quand vous allez chez votre banquier pour faire un emprunt, il regarde les garanties que vous apportez, et ce d’autant plus par les temps qui courent, qui sont difficiles. Il en ira de même pour le STIF ! En amputant le STIF au travers de cet amendement du Gouvernement, on le prive de sa capacité d’emprunt, et vous ne pouvez pas le nier ! Ma collègue Bariza Khiari a donc tout à fait raison quand elle qualifie cet amendement de scélérat.
Désormais, mes chers collègues de la majorité, vous savez ce que vous faites : vous amputez de sa capacité à emprunter une autorité organisatrice qui a la compétence d’organiser le transport sur son territoire. C’est cela que vise l’article 2 bis A ! Alors permettez que nous estimions que c’est là – le mot est peut-être fort, mais je crois qu’il est juste – une scélératesse, que c’est là une forfaiture ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut bien dire que cet article est tout à fait symbolique de votre vision du débat parlementaire.
À la dernière minute, lors du débat en commission à l’Assemblée nationale, le Gouvernement, sans mener aucune concertation avec les personnalités concernées, a transféré le patrimoine du STIF à la RATP.
Sans revenir sur le fait que ce patrimoine n’a fait l’objet d’aucune estimation – on évoque aujourd’hui des sommes allant de 1,5 milliard d’euros à 8 milliards d’euros ! –, nous estimons que les sénateurs doivent se prononcer non en quelques instants durant ce débat, mais en disposant de l’ensemble des éléments nécessaires à la formation de leur jugement.
Cette attitude démontre un mépris total de nos institutions. C’est le fait du prince qui s’exprime. Vous demandez à votre majorité d’approuver et de ne rien dire.
Vous utilisez les parlementaires, à quelques mois des élections régionales, pour mener une attaque en règle contre la majorité de gauche du conseil régional d’Île-de-France.
Sous couvert de mise en œuvre du règlement relatif aux obligations de service public, vous spoliez le STIF, qui, grâce aux contribuables de l’Île-de-de France, a investi dans les transports collectifs.
C’est une double peine que vous infligez au STIF et à la région d’Île-de-de France : non seulement ils doivent investir dans les transports pour garantir le droit à la mobilité, mais ils perdent leur patrimoine, et donc leur capacité à emprunter.
Un amendement d’une telle importance ne peut être adopté à la hussarde. Mais nous commençons à en avoir l’habitude. J’ai souvenir d’un autre débat sur le ferroviaire où la même méthode avait été employée, pour reprendre au STIF la responsabilité du projet Charles-de-gaulle Express, appelé CDG Express.
Lors du débat sur le Grenelle de l’environnement, vous avez également modifié le processus de révision du SDRIF afin de renforcer les pouvoirs du préfet qui dispose maintenant d’un véritable pouvoir de substitution en cas de non-respect d’un projet d’intérêt général, pris sur les fondements d’une directive territoriale d’aménagement conçue par l’État. On peut donc facilement voir les dérives qu’une telle disposition permet.
Cet acharnement contre la région d’Île-de-France est un déni de démocratie. Il faut respecter le vote des Franciliens.
Cette région, comme toutes les autres, va être également durement touchée par la réforme de la taxe professionnelle. C’est encore une fois la double peine !
Par ailleurs, cet article établit un échéancier concernant la mise en concurrence des différents types de transports de la région d’Île-de-France.
Or, ce sont aux autorités organisatrices de définir si elles souhaitent ou non ouvrir à la concurrence.
Bref, rien n’indique que l’autorité organisatrice des transports en Île-de-France va faire le choix d’ouvrir à la concurrence plutôt que de faire appel à des entreprises en régie. En outre, donner un calendrier mentionnant des dates comme 2039 paraît absolument délirant, si je peux m’exprimer ainsi. Comment prendre des engagements pour 2039 alors même que nous n’avons aucune idée de ce que sera la société française dans trente ans ?
Cette absurdité est le fruit d’un acharnement contre la région d’Île-de-France. Ces pratiques ne vous honorent pas, et nous considérons que cet article ne peut être voté. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)