Mme Annie David. Eh oui !
M. Guy Fischer. … en supposant d’ailleurs que l’ensemble des salariés de notre pays aient acquis l’intégralité de leurs droits à formation, soit 120 heures, et qu’ils demandent à en bénéficier tous en même temps, ce qui est irréaliste. Cette précision éclairera celles et ceux de nos collègues qui seraient tentés d’accorder du crédit à des déclarations destinées à effrayer et à freiner une évolution souhaitable de la portabilité des droits. Une question est pourtant d’actualité : pourquoi, à ce jour, les entreprises de notre pays n’ont-elles pas provisionné ces sommes ?
Toutefois, au-delà de la seule question du financement du DIF, c’est l’ensemble du financement de la formation professionnelle qui nous inquiète. En effet, celui-ci est assis sur la masse salariale brute des entreprises. La crise systémique qui touche de plein fouet notre pays a entraîné, depuis l’année dernière, une hausse du chômage de 25,6 %, les demandeurs d’emploi de catégorie A étant désormais plus de 2,5 millions. Dans ces conditions, comment dégager des financements suffisants pour assurer le même volume de formation, alors que, parallèlement, la demande de formation s’accroîtra ? Nous pensons, pour notre part, qu’il aurait fallu revoir le mode de financement de la formation professionnelle, en abrogeant, par exemple, les ordonnances Villepin visant à relever le seuil de 10 à 20 salariés. Au lieu de cela, vous instaurez un nouveau seuil.
Nous sommes également convaincus qu’il fallait impérativement renforcer la solidarité nationale, en prévoyant notamment que la convention conclue entre l’État et le Fonds de péréquation et de sécurisation des parcours professionnels devrait clairement préciser les engagements financiers de l’État. Votre rejet de ces dispositions nous fait craindre que vous ne fassiez une nouvelle fois porter aux régions le poids de l’effort de solidarité nationale.
De même, nous regrettons que vous ayez refusé, monsieur le secrétaire d'État, d’inscrire dans le projet de loi une disposition prévue par l’ANI du 7 janvier 2009 et attendue par de nombreux salariés, à savoir la création d’un droit à la formation initiale différée, seule véritable seconde chance pour celles et ceux de nos concitoyens qui sont sortis du système scolaire sans que celui-ci ait accompli à leur égard sa mission majeure, qui est de permettre à chaque jeune de sortir du système scolaire avec au moins un diplôme de cycle supérieur. Mais je ne reprendrai pas ici l’excellente argumentation de mon amie Brigitte Gonthier-Maurin, d’autant que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de nos débats.
Dans un tel contexte d’explosion des attentes et des besoins, nous ne pouvons accepter que vous procédiez, petit à petit, à la casse de l’AFPA, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, en commençant par le transfert des personnels.
En effet, le transfert de 75 % des personnels de l’AFPA chargés du conseil et de l’orientation ne sera pas sans conséquences sur l’accomplissement de l’une des missions capitales de celle-ci, à savoir l’ingénierie du titre, les compétences des uns – ceux que vous entendez transférer au Pôle emploi – nourrissant les connaissances des autres. Cette décision s’accompagnera inévitablement d’une diminution des compétences particulières des ingénieurs, dont la lecture de ce projet de loi nous apprend que vous entendez les transférer, par convention directe avec l’État, aux opérateurs privés de placement.
Pourtant, disons-le clairement, rien, pas même les règles européennes, ne justifie ce transfert. Monsieur le secrétaire d'État, si ces dernières vous contraignaient réellement à opérer un tel transfert – mais nous ferons la démonstration que tel n’est pas le cas –, il vous aurait alors appartenu de peser de toutes vos forces pour que la formation professionnelle soit exclue du secteur marchand. En effet, vous ne pouvez pas accompagner toutes les dérégulations et soutenir les plus libéraux à Bruxelles tout en déplorant, en France, une situation dont vos amis et vous êtes responsables !
Pour notre part, nous sommes convaincus que la France n’est tenue, en la matière, par aucune règle européenne, l’éducation et la formation professionnelle demeurant de la compétence exclusive des États en vertu du traité instituant l’Union européenne.
Quant au Conseil de la concurrence, il ne reproche pas à l’État, dans sa décision, de privilégier l’AFPA, y compris par le biais du versement de subventions, mais considère qu’il aurait été nécessaire de reconnaître les missions exercées par cet organisme comme relevant véritablement d’un service public qui aurait pu être organisé sous forme de régie ou de délégation de service public. Vous avez délibérément écarté cette solution, privilégiant le démantèlement de l’AFPA, sans doute pour amoindrir le titre au profit des certifications !
En raison de ce démantèlement de l’AFPA, des attaques portées contre le paritarisme, particulièrement à l’article 9, du refus de renforcer les formations professionnelles durant le temps de travail, congé individuel de formation compris, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui ne pourra être l’outil nécessaire à nos concitoyens.
Depuis 1996, les élus, tant locaux que nationaux, du parti dont je suis membre ont développé des pistes de réflexion en vue de sécuriser l’emploi des salariés. Leurs propositions, excellemment présentées par Mme David, sont à l’opposé de celles qui sont contenues dans le présent projet de loi, et pour cause ! Pour permettre une véritable sécurisation des parcours professionnels, il est selon nous nécessaire de créer des outils permettant de rompre avec l’insécurité permanente propre au marché du travail et avec le libéralisme. En effet, il ne peut y avoir de sécurité, pour les salariés, que dans une société qui décide collectivement de renforcer les droits de celles et de ceux qui les représentent. À quoi bon une sécurisation des parcours professionnels si les employeurs peuvent encore, à leur guise, sans se soucier des intérêts collectifs, fermer des usines et procéder à des licenciements boursiers dont le seul objet est d’accroître la rentabilité d’actions détenues par une minorité de personnes ? C’est pourtant ce que nous vivons aujourd’hui !
Mme Annie David. Oh oui !
M. Guy Fischer. Peut-on parler de sécurisation des parcours professionnels quand les entreprises et les élus de la majorité parlementaire refusent l’émergence d’une responsabilité sociale de l’entreprise et ne permettent pas aux salariés, au travers de leurs représentants, de jouer pleinement leur rôle ? Pour notre part, nous plaidons pour un renforcement des droits des salariés.
Mme Annie David. Tout à fait !
M. Guy Fischer. Ces derniers doivent être étroitement associés aux décisions stratégiques des entreprises. Cela passe, par exemple, par un renforcement des droits des représentants du personnel au sein des instances de direction des établissements, à commencer par le conseil d’administration.
À ce propos, nous relevons un paradoxe : dans un souci de transparence, vous autorisez la participation de personnalités extérieures au conseil d’administration des organismes collecteurs paritaires agréés, mais vous refusez encore de doter les salariés d’un droit de vote au sein du conseil d’administration de leur entreprise.
Comment sécuriser les parcours professionnels quand les gouvernements de droite n’ont de cesse, projet de loi après projet de loi, d’amoindrir les droits des salariés et de les assujettir toujours davantage à des contrats de travail précaires qui n’ont pour seul intérêt que de diminuer le coût du travail ? Contrats à durée déterminée, contrats d’intérim, contrats de professionnalisation pour les bénéficiaires du revenu de solidarité active, contrats d’insertion : autant de dispositifs qui pèsent sur les salariés, les privent de toute possibilité de se projeter dans le futur et donc de se construire un avenir. L’accumulation de ces facteurs de précarité conduit à fragiliser les salariés, les réduit à survivre à la limite de la pauvreté et rend impossible toute mobilité choisie, tout en permettant d’imposer celle que les marchés exigent.
Aussi proposons-nous, comme pour le contrat première embauche, de transformer progressivement tous les contrats de travail précaires en de véritables contrats de travail à durée indéterminée, ce qui permettrait à chacun de nos compatriotes de construire véritablement sa vie. D’ailleurs, tous les observateurs, à commencer par la Cour des comptes, le reconnaissent : les contrats précaires, parce qu’ils s’accompagnent d’exonérations sociales et fiscales, sont de véritables trappes à bas salaires. La précarité appelle donc la précarité : c’est de cette logique qu’il faut sortir pour que les salariés de notre pays puissent être libres de choisir leur parcours professionnel.
Comment garantir la sécurisation des parcours professionnels quand personne, à l’exception de ceux qui les détiennent, ne connaît réellement l’utilisation des capitaux et les chemins qu’ils suivent ? Nous entendons renforcer le contrôle des entreprises qui bénéficient d’aides publiques.
Comment sécuriser les parcours professionnels et la formation des salariés quand ces derniers ne savent rien de la situation réelle de leur entreprise ? Nous considérons que les plans de formation doivent être décidés en association avec les salariés, car ils sont censés permettre à ceux-ci de s’adapter aux mutations économiques ; cela implique de donner aux intéressés l’ensemble des outils nécessaires pour connaître l’entreprise, la situation du marché du travail ou encore les perspectives économiques.
Comment sécuriser les parcours professionnels et garantir l’efficacité des formations alors que, année après année, on ne cesse de réduire les moyens accordés à l’enseignement public et que, en imposant l’émergence d’un socle commun de connaissances et de compétences, on entend contrecarrer la formation d’un élève citoyen, capable de mobilisation et de révolte ?
Parce que nous ne pouvons nous satisfaire que quelque 120 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification, nous proposons de rendre la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans. Parce que nous ne pouvons accepter qu’un nombre trop important de jeunes échouent à l’université du fait qu’ils sont obligés de cumuler travail et études, nous proposons l’instauration d’une véritable allocation d’autonomie jeunesse.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour nous, c’est d’un tout autre projet de loi qu’ont besoin les salariés. Son élaboration suppose un changement radical, une renonciation à la culture du marché, à la mise en concurrence permanente, à la précarisation !
Mes chers collègues, nous vous invitons à voter en faveur de cette motion tendant à opposer la question préalable. Nous aurions aimé discuter d’un texte permettant de protéger les parcours de vie, mais nous sommes convaincus que ce projet de loi, malgré quelques avancées obtenues en commission et parce que le Gouvernement a contourné certaines dispositions de l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, ne permettra en définitive de sécuriser qu’une seule chose : la flexibilité dont les salariés sont victimes ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission spéciale. Nos collègues communistes, par la voix du président Fischer, proposent de rejeter ce projet de loi sans même en débattre. Cette position m’étonne quelque peu, car rejeter ce texte revient à rejeter l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 signé par l’ensemble des partenaires sociaux.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ce projet de loi comporte pourtant nombre d’avancées, avec la portabilité du droit individuel à la formation, l’institution du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, des mesures pour réduire le chômage des jeunes, trop élevé dans notre pays, d’autres en faveur des « décrocheurs » qui, après avoir quitté le système scolaire, ne sont pris en charge par personne et vivent une année de carence se transformant très souvent en une année d’errance. Le texte permet également de s’appuyer sur le partenariat pour entrer dans une logique de compétences partagées.
Soucieux que la formation profite à celles et à ceux qui en ont le plus besoin, je ne peux émettre qu’un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 20, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Fichet, Mme Demontès, M. Jeannerot, Mmes Blondin, Printz, Le Texier, Schillinger et Bourzai, MM. Patriat, Desessard, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 130.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission spéciale le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (n° 619, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Jean-Luc Fichet, auteur de la motion.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, bien des raisons, tant de forme que de fond, justifient le renvoi à la commission du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.
Sur la forme, les conditions dans lesquelles ce projet de loi a été examiné ne sont pas acceptables. La révision constitutionnelle visait pourtant à renforcer le rôle du Parlement, notamment celui de l’opposition.
Dès lors, comment se satisfaire qu’un texte aussi important soit examiné dans la précipitation, en session extraordinaire, qui plus est au retour des congés ? Les auditions ont eu lieu alors que le Sénat n’avait pas repris ses travaux. De nombreux parlementaires n’ont pas même été avertis de leur tenue, à une période où peu de réunions étaient possibles au sein des groupes politiques.
Par ailleurs, les amendements, dont nous n’avons eu connaissance qu’au dernier moment, ont été examinés dans des conditions difficiles. On est bien loin de ce que l’on attend du Parlement d’une démocratie moderne ! Où est le sérieux ? Si c’est là ce que l’on appelle renforcer les droits du Parlement, je ne comprends pas l’exercice !
C’est une première raison pour renvoyer ce texte à la commission. Cela aurait au moins le mérite de nous permettre de poursuivre sereinement un travail de fond. Ce projet de loi étant très technique, la moindre des choses serait de laisser aux parlementaires le temps de se l’approprier. Son examen nécessite du temps. Ce ne sont d’ailleurs pas mes collègues de la majorité qui me contrediront ! En commission, plusieurs d’entre eux se sont en effet émus d’un travail bâclé et de la brièveté des délais impartis. Une sénatrice a exprimé très clairement son mécontentement devant le manque de temps pour approfondir l’étude des amendements, reçus la veille. Depuis le début de la discussion générale, tous les intervenants, y compris le rapporteur, se sont prononcés en ce sens !
Ce projet de loi est examiné selon la procédure accélérée. L’urgence est devenue tellement ordinaire que c’est la procédure ordinaire qui devient extraordinaire ! Dois-je citer tous les textes fondamentaux dont l’examen dans ces conditions montre que le Sénat devient lui aussi adepte du taylorisme ? Les sénateurs de la majorité craignent-ils une délocalisation à l’Élysée s’ils ralentissent la cadence ? Actuellement, la procédure accélérée ou l’urgence a été retenue pour douze textes ! Il en est ainsi, par exemple, du projet de loi pénitentiaire, du projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet, du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports, de la proposition de loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires et du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
Encore une fois, les droits du Parlement sont bafoués. Si l’on veut que le Sénat puisse travailler sérieusement sur le fond, un renvoi de ce texte à la commission est nécessaire. Les acteurs de la formation professionnelle attendent une réforme, mais pas une loi bâclée votée dans l’urgence. Une telle procédure est en tout point ennemie de l’excellence.
Le Gouvernement n’avait pourtant pas ménagé ses effets d’annonce sur le projet de loi qui nous occupe. M. Nicolas Sarkozy lui-même avait, le 3 mars dernier, à Alixan dans la Drôme, vanté la réforme dans un discours qui, comme à l’habitude, n’était qu’affichage. Quand on le relit, on ne peut pas être opposé aux conceptions développées :
« Il n’y a aucune honte à démarrer en bas de l’échelle. Le drame, en revanche, c’est de se dire qu’on n’a d’autre perspective que d’y rester toute sa vie. […] La formation professionnelle : une meilleure sécurité et la possibilité d’un nouveau départ. » Comment rejeter de tels propos ?
Le Président de la République avait annoncé l’ouverture de plusieurs chantiers : la lutte contre les « inégalités d’accès à la formation » et le « maquis inextricable des formations », ou encore la réduction des coûts de gestion, trop importants à l’heure actuelle, des OPCA, les organismes paritaires collecteurs agréés.
Je félicite le Président de la République !
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Jean-Luc Fichet. J’applaudis des deux mains ses constats et ses bonnes intentions.
M. Alain Gournac. Merci beaucoup !
M. Jean-Luc Fichet. Le renvoi à la commission du texte nous permettrait sûrement de faire en sorte qu’il corresponde véritablement à sa volonté !
Où en est-on sur le fond ? Pour les Françaises et les Français, que représente la formation professionnelle, initiale ou continue ? Il s’agit d’un moyen d’envisager sereinement sa vie, de construire son avenir en toute confiance. La formation professionnelle représente un équivalent du CDI. Elle permet à chacun de se rattraper après avoir « manqué une marche », et ce quels que soient les échecs subis. C’est une chance pour tous ! À l’heure où un prix Nobel, M. Joseph Stiglitz, nous vante le BIB, le bonheur intérieur brut, ce n’est pas rien !
Nous devons nous interroger sur la nécessité d’apporter à chacun cette sécurité professionnelle, levier essentiel pour réussir sa vie et ne pas craindre les lendemains. À l’heure où les plans sociaux se multiplient, la crise servant parfois de prétexte, la formation professionnelle est un vrai moyen de répondre aux attentes et aux craintes des Français.
Or le fond de ce dossier essentiel pour l’avenir de nos concitoyens n’est malheureusement pas abordé dans ce projet de loi. C’est un rendez-vous manqué avec l’histoire sociale de notre pays. Le Président de la République nous a annoncé une réforme importante, et nous avons aujourd’hui devant nous un texte superficiel, qui n’aborde pas les véritables enjeux de la formation professionnelle et ne trace aucun cap. Voilà pourquoi il me semble essentiel, au regard des enjeux de la formation professionnelle, de renvoyer ce texte à la commission spéciale.
Même l’accord historique signé entre les partenaires sociaux le 7 janvier dernier y est dévoyé. D’ailleurs, l’ensemble de ces derniers n’a pas voté ce projet de loi lorsqu’il a été soumis au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, le 14 avril dernier. Les représentants de l’État l’ont voté, et on les comprend ! Avec la cosignature du plan régional de développement des formations par le préfet et l’autorité académique, c’est une recentralisation de la formation professionnelle qui s’opère, et en toute opacité.
En outre, dans le présent projet de loi, la formation professionnelle est abordée sous l’angle financier et sous celui des intérêts bien compris de certains, notamment du patronat. Je pense ici à l’opacité du fonctionnement du nouveau Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, ainsi qu’à la mainmise de l’État sur une partie des 900 millions d’euros de ce fonds.
Pourtant, d’autres voies auraient pu être trouvées pour faire de ce texte un projet ambitieux. Le Livre vert de Martin Hirsch aurait très bien pu constituer un fil conducteur cohérent de la réforme. Pourquoi ne pas avoir repris certaines de ses préconisations, notamment la mise en place d’un réseau d’orientation, la suppression du délai de carence ou l’obligation de formation jusqu’à 18 ans ? Est-ce la peur d’un projet trop ambitieux ? Savez-vous d’ailleurs ce que va devenir le travail de M. Hirsch ? Osons espérer qu’il ne sera pas enterré…
De même, pourquoi tronçonner la formation professionnelle continue et initiale ? Quel est ce message incohérent que le Gouvernement souhaite adresser aux jeunes qui sortent du système scolaire ?
Ce projet de loi comprend de nombreux manques, que seul un renvoi à la commission pourrait nous permettre de combler. Il ne contient absolument rien sur la formation initiale, dont l’importance est pourtant évidente. Il oublie la formation initiale différée destinée aux jeunes sortis du système scolaire sans qualification. Il ne fixe pas comme objectif à la formation tout au long de la vie de permettre la progression d’un niveau de qualification.
La validation des acquis de l’expérience, la VAE, objet d’une réforme essentielle, n’est qu’à peine abordée, alors qu’elle représente un véritable espoir pour les travailleurs. Il est certain qu’elle a besoin d’être améliorée : dès lors, pourquoi ne pas saisir l’occasion de l’examen de ce texte pour y œuvrer ?
Je souhaite cependant souligner un point positif : à la suite de la présentation d’un amendement par le groupe socialiste, le Gouvernement s’est engagé en commission à mettre en place des campagnes d’information sur la VAE. Il est en effet urgent de faire savoir que ce dispositif existe. Il serait en outre nécessaire de le simplifier et de le rendre accessible à tous.
Il faut également s’interroger de nouveau sur la taxe d’apprentissage : quelle est sa destination ? Comment la prélever ? Que penser de l’amendement déposé par M. le rapporteur, visant à diviser par quatre le montant de son produit disponible pour l’enseignement supérieur ? Son adoption serait catastrophique !
En conclusion, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir adopter cette demande de renvoi à la commission. Ce projet de loi ne remplit pas son objectif premier : simplifier et rendre plus transparents les dispositifs de la formation professionnelle. C’est une occasion manquée, puisque, malheureusement, le texte ajoute de la complexité à la complexité.
En adoptant cette motion, mes chers collègues, vous nous assurerez le temps nécessaire pour traiter au fond le sujet de l’orientation et de la formation professionnelle tout au long de la vie. Ce serait une décision utile et intelligente. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Je l’ai dit et je le réaffirme, nous n’avons pu travailler sur ce texte dans les meilleures conditions. La situation aurait d’ailleurs été encore plus difficile sans l’intervention de notre ancien collègue Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement, qui nous a permis de bénéficier d’une semaine supplémentaire par rapport au calendrier initial.
Pour autant, je ne crois pas qu’un renvoi à la commission serait opportun.
D’abord, je le redis, si nous sommes obligés d’aller vite, c’est parce que les partenaires sociaux attendent l’entrée en vigueur de ce texte au 1er janvier 2010. Les décrets d’application devront donc être publiés rapidement.
Ensuite, malgré le peu de temps qui nous était imparti, nous avons procédé à quelque soixante auditions, qui se sont déroulées au total sur plus de cinquante heures. Nous avons ainsi entendu les trois membres du Gouvernement concernés, les partenaires sociaux et l’Association des régions de France. La commission spéciale a donc bien travaillé, même si ce fut dans des circonstances difficiles, et toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour que nous puissions examiner ce texte. Certes, nous aurions sans doute pu faire mieux en disposant de davantage de temps, mais le mieux est souvent l’ennemi du bien !
La commission spéciale émet donc un avis défavorable sur cette demande de renvoi à la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 130, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
TITRE IER
DROIT À L'INFORMATION, À L'ORIENTATION ET À LA QUALIFICATION PROFESSIONNELLES