Article 1er
La sixième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° Le premier alinéa de l'article L. 6111-1 est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Elle vise à permettre à chaque personne, indépendamment de son statut, d'acquérir et d'actualiser des connaissances et des compétences favorisant son évolution professionnelle, ainsi que de progresser d'au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle. Une stratégie nationale coordonnée est définie et mise en œuvre par l'État, les régions et les partenaires sociaux. » ;
2° Au premier alinéa de l'article L. 6311-1, après les mots : « économique et culturel », sont insérés les mots : «, à la sécurisation des parcours professionnels » ;
3° L'article L. 6123-1 est ainsi rédigé :
«Art. L. 6123-1. - Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie est chargé :
« 1° De favoriser, au plan national, la concertation entre l'État, les régions, les partenaires sociaux et les autres acteurs pour la définition, dans un cadre pluriannuel, des orientations prioritaires des politiques de formation professionnelle initiale et continue, ainsi que pour la conception et le suivi de la mise en œuvre de ces politiques ;
« 2° D'évaluer les politiques de formation professionnelle initiale et continue aux niveaux national et régional, sectoriel et interprofessionnel ;
« 3° D'émettre un avis sur les projets de lois, d'ordonnances et de dispositions réglementaires en matière de formation professionnelle initiale et continue ;
« 4° De contribuer à l'animation du débat public sur l'organisation du système de formation professionnelle et ses évolutions.
« Les administrations et les établissements publics de l'État, les conseils régionaux, les organismes consulaires et les organismes paritaires intéressés à la formation professionnelle sont tenus de communiquer au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie les éléments d'information et les études dont ils disposent et qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions.
« Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'État. » ;
4° L'article L. 6123-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 6123-2. - Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie est placé auprès du Premier ministre. Son président est nommé en conseil des ministres. Il comprend des représentants élus des conseils régionaux, des représentants de l'État et du Parlement, des représentants des organisations professionnelles et syndicales intéressées et des personnes qualifiées en matière de formation professionnelle. » ;
5° (Supprimé)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Je profite de l’examen de l’article 1er, qui vise à fixer les grandes orientations en matière de formation professionnelle, pour évoquer les oubliés de ce projet de loi, à savoir les Français de l’étranger.
On recense 2,5 millions de Français à l’étranger, dont 250 000 enfants scolarisés. Tous ne préparent pas l’École normale supérieure ou l’École polytechnique, et quelque 20 000 ou 30 000 enfants français sont en réalité laissés à l’abandon, livrés à eux-mêmes.
Année après année, le système français de formation à l’étranger s’est réduit. Si le ministère des affaires étrangères souffre sur le plan budgétaire, que dire des crédits affectés au domaine social, à la formation professionnelle et à l’emploi ! Alors qu’ils atteignaient 2,5 millions d’euros en 1999, ils ne s’élèvent plus, dans le budget de cette année, qu’à 600 000 euros, dont 130 000 euros seulement sont destinés à la formation professionnelle.
L’État s’est progressivement désengagé du financement des centres d’apprentissage qu’il subventionnait auparavant, laissant à des acteurs locaux le soin de les reprendre, ce qui n’a pas toujours été le cas. Je pense notamment au centre de mécanique de Tananarive, à Madagascar.
La situation est donc tout à fait désastreuse. Certes, les enfants français vivant dans des pays développés peuvent bénéficier du système de formation local. Cela est même recommandé ! Mais pensez, mes chers collègues, à ce qui se passe dans les pays où une telle possibilité n’existe pas, par exemple dans une large partie de l’Afrique et de l’Amérique latine : dans ces pays, aucune solution n’est proposée aux enfants français. Cela n’est pas acceptable, car ces derniers, souvent binationaux et qui vivent parfois dans des conditions précaires, vont partir à la dérive.
On nous répond que l’AFPA internationale assure certaines formations. J’ai le plus grand respect pour cet organisme, mais son action est sans doute entravée par le manque d’argent.
On propose également aux enfants concernés de suivre des cours par correspondance, mais ce n’est guère utile quand il s’agit d’apprendre les métiers de l’hôtellerie et de la restauration ou la mécanique ! Plus paradoxalement, on offre à un tout petit nombre d’entre eux des stages en France, alors que, précisément, il ne faut pas déraciner ces enfants pour les plonger dans une société qu’ils ne connaissent pas. De surcroît, cela coûte évidemment très cher.
Les sénateurs représentant les Français établis hors de France ont exploré d’autres voies. Nous avons notamment réfléchi à l’instauration d’un système qui permettrait aux entreprises implantées à l’étranger de consacrer une partie des sommes allouées à la formation professionnelle à un fonds destiné à financer des actions de formation hors du territoire national. Cette initiative n’ayant pu déboucher, je me tourne donc vers le Gouvernement pour souligner la gravité de la situation. Il est urgent d’agir dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz, sur l'article.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet article, qui a trait aux objectifs et aux principes de la formation professionnelle, vise à donner un accès prioritaire aux personnes sans premier niveau de qualification ni baccalauréat. Il répond donc à un souci que nous partageons, celui de réorienter la formation professionnelle vers ceux qui en ont le plus besoin.
Il manque cependant un principe important, celui du droit à la formation initiale différée, mis en avant dans l’accord signé par les partenaires sociaux au début de l’année. Ce principe figurait déjà, d’ailleurs, dans l’accord national interprofessionnel de 2003. Il s’agit, en quelque sorte, d’un droit à la deuxième chance.
En effet, notre système de formation initiale est ainsi fait que toute sortie est perçue comme définitive et vécue comme un échec : à juste titre, car les jeunes sortis de l’école sans diplôme ont plus de mal à s’insérer dans le monde professionnel que les autres.
Il convient donc de dédramatiser la sortie du système scolaire en facilitant une reprise d’études immédiate, comme c’est le cas chez nos voisins européens, où les difficultés rencontrées par les jeunes sur le marché du travail sont moindres.
Ensuite, en dépit du fait que la sécurisation des parcours professionnels figure dorénavant parmi les finalités de la formation, nous restons dubitatifs quant aux moyens que vous vous donnez, monsieur le secrétaire d’État, pour atteindre cet objectif important, inscrit au début du préambule de l’accord national interprofessionnel.
En effet, la principale mesure est la création d’un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, dont le fonctionnement sera d’une extrême complexité et le financement pour le moins opaque.
Mais qu’en est-il de la responsabilité des entreprises ? Mon département, comme beaucoup d’autres malheureusement, est durement frappé par la crise, et les fermetures d’usines se multiplient. La cokerie de Carling, où 450 personnes vont être licenciées, en constitue le dernier exemple en date. Ce qu’il faut, dans ces cas-là, c’est que les salariés ne soient jamais licenciés, mais se forment à d’autres métiers au sein même de leur entreprise. Cela passe par une forte implication des employeurs, mesure que ne prévoit pas ce texte. En définitive, ce dernier reste loin de jeter les bases d’une véritable sécurité sociale professionnelle, pourtant promise par le Président de la République et à laquelle aspirent nos concitoyens, notamment en cette période de crise.
En ce qui concerne le handicap, l’Assemblée nationale a ajouté une disposition importante, absente de la rédaction initiale du texte, visant à « évaluer les politiques de formation professionnelle menées en faveur des travailleurs handicapés ». C’est une très bonne chose. Nous le savons, l’insertion des personnes handicapées est difficile et leur taux de chômage beaucoup plus élevé que celui du reste de la population. Après avoir eu du mal à trouver une activité professionnelle, ces personnes rencontrent aussi beaucoup de difficultés pour accéder à la formation professionnelle. Nous devons prêter une attention particulière à ce problème, et l’un de nos amendements visera d’ailleurs à aller plus loin en faveur de ce public.
Toutefois, n’oublions pas non plus que d’autres méritent également une attention particulière. Je pense notamment aux personnes détenues, dont il n’est même pas fait mention. Leur ouvrir l’accès à une formation leur permettrait, en particulier, de mieux vivre leur peine et de se réinsérer plus facilement à leur sortie.
De même, il n’est jamais fait référence, dans ce projet de loi, aux organismes de formation, dont on sait pourtant qu’ils peuvent être facilement infiltrés par les sectes, avec les dégâts que cela peut engendrer.
Enfin, si les régions sont mentionnées dans cet article, nous estimons qu’en réalité elles ont été écartées des missions principales. Pourtant, depuis que les lois de décentralisation leur ont donné la compétence en matière de formation professionnelle, elles jouissent d’une certaine expérience dans ce domaine, ainsi que d’une réussite attestée et reconnue. Leur légitimité ne se discute plus : plusieurs rapports ont préconisé de les promouvoir comme pilote unique en matière de formation professionnelle, et non pas comme copilote, ainsi que vous le proposez. Nous pensons que l’hétérogénéité des territoires appelle une politique de formation spécifique et différenciée selon les régions, en liaison avec les objectifs de développement et d’aménagement du territoire que celles-ci se fixent. Nous présenterons donc un amendement visant à renforcer le rôle des régions.
Votre texte manque d’ambition, monsieur le secrétaire d’État, et nous ne le voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean Desessard. Bien dit !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 18, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
I. - Ajouter au début du troisième alinéa de cet article une phrase ainsi rédigée :
Elle constitue un élément déterminant de la sécurisation des parcours professionnels et de la promotion sociale des salariés.
II. - Supprimer le quatrième alinéa (2°) de cet article.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cet amendement, qui peut apparaître comme rédactionnel, est en fait des plus importants, puisqu’il tend à préciser, au premier article du code du travail consacré à la formation professionnelle, que celle-ci « constitue un élément déterminant de la sécurisation des parcours professionnels et de la promotion sociale des salariés ».
La question de l’insertion de cette disposition est très importante puisque les partenaires sociaux ont entendu préciser, dès le préambule de l’accord national interprofessionnel du 7 janvier dernier, que la formation avait pour objectif la sécurisation des parcours professionnels et la promotion sociale des salariés. C’est dire que les dispositifs proposés dans l’ANI visent en réalité à cette fin.
C’est cet équilibre entre la définition des objectifs et la mise en place des outils mis au service de la réalisation de ceux-ci que nous entendons préserver.
Par ailleurs, M. le rapporteur nous ayant fait remarquer, lors des travaux en commission, que notre amendement était en partie satisfait par le 2° de l’article, nous proposons, par cohérence, de supprimer ce dernier.
Cependant, pour reprendre les termes mêmes de M. le rapporteur, notre amendement n’est qu’en partie satisfait, car si la rédaction actuelle fait effectivement référence à la sécurisation des parcours professionnels, elle n’aborde pas la notion, très importante à nos yeux, de « promotion sociale des salariés ». Or, nous en conviendrons tous ici, l’intérêt, pour les salariés, de bénéficier d’une formation choisie et qualifiante est justement de pouvoir s’élever socialement, comme l’atteste l’attachement des salariés de notre pays au congé individuel de formation.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 133, présenté par Mme Demontès, MM. Fichet et Jeannerot, Mmes Blondin, Printz, Le Texier, Schillinger et Bourzai, MM. Patriat, Desessard, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Au début du troisième alinéa de cet article, ajouter une phrase ainsi rédigée :
« Elle constitue un élément déterminant de sécurisation des parcours professionnels et de la promotion des salariés. »
La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. Mon propos sera bref, car je souscris pleinement aux arguments qui viennent d’être développés par ma collègue.
Loin d’être purement formel, cet amendement symbolique reprend en fait une formule figurant dans le préambule de l’accord national interprofessionnel, aux termes de laquelle « la formation tout au long de la vie professionnelle contribue à renforcer la compétitivité et la capacité de développement des entreprises et constitue un élément déterminant de la sécurisation des parcours professionnels et de la promotion des salariés ».
À nos yeux, la sécurisation des parcours professionnels constitue une avancée importante, et il convient de placer cette notion en exergue du projet de loi.
M. le président. L'amendement n° 109, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin et Boumediene-Thiery, M. Muller et Mme Voynet, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le quatrième alinéa (2°) de cet article :
2° Au premier alinéa de l'article L. 6311-1, les mots : « économique et culturel et à leur promotion sociale » sont remplacés par les mots : « soutenable de l'économie, à leur émancipation sociale et culturelle et à la sécurisation de leurs parcours professionnels ».
La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. L’objet de cet amendement est de mettre en conformité le code du travail avec les réalités socio-économiques d’aujourd’hui. La crise que nous traversons est, à première vue, une crise économique, et son dépassement passe par la transformation écologique de l’économie.
Il semble désormais acquis que la sobriété et la soutenabilité ne sont pas les ennemies de la prospérité. L’économie ne peut se contenter de croître ad vitam aeternam, ni se développer envers et contre tout. En conformité avec les engagements du Grenelle, il nous faut envisager le développement maîtrisé de l’économie.
Cependant, la crise économique se double d’une crise sociale : c’est la crise d’une société où l’individualisme a atteint son paroxysme, et où les intérêts particuliers prévalent sur l’intérêt général.
Une vie professionnelle épanouissante passe davantage par une émancipation sociale et culturelle et par la stabilité de la vie active que par la recherche de la promotion et le culte de la performance. Voilà pourquoi il me paraît important de réactualiser l’article L. 6311-1 du code du travail.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. L’amendement n° 18 est partiellement satisfait par la mention, déjà présente à l’article L. 6311-1 du code du travail, de l’objectif plus large de promotion sociale des travailleurs, et non des seuls salariés.
Cet article constitue à mon sens un meilleur lieu d’insertion des précisions souhaitées par les auteurs de l’amendement que l’article L. 6111-1 du code du travail, lequel doit préciser un objectif simple et lisible pour la formation initiale et continue, quel que soit le statut des personnes concernées.
En reprenant les dispositions de l’article L. 6311-1, on ouvrirait la porte à l’inscription de la longue énumération qui y figure déjà : insertion et réinsertion professionnelle des travailleurs, maintien dans l’emploi, développement des compétences, accès aux qualifications, développement économique et culturel.
La clarté, la cohérence et la simplicité doivent prévaloir. En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
L’amendement n° 133 étant presque identique à l’amendement n° 18, les deux arguments que je viens d’invoquer restent valables. En conséquence, la commission émet un avis défavorable.
Enfin, en ce qui concerne l’amendement n° 109, la commission souhaite conserver les objectifs inscrits progressivement dans l’article du code du travail visé au fil des négociations entre les partenaires sociaux. Elle est également attachée à la notion de promotion sociale, qui constituait déjà l’un des objectifs fondateurs de la « loi Delors » sur la formation professionnelle. Nous restons attachés à cette notion, qui figure encore au préambule de l’ANI du 7 janvier 2009. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Wauquiez, secrétaire d'État. Le Gouvernement est défavorable aux trois amendements.
Sans reprendre l’ensemble des arguments exposés par M. le rapporteur, je préciserai que les partenaires sociaux ont bien prévu de viser explicitement la notion de sécurisation des parcours professionnels.
En outre, la notion de promotion sociale, que certains des trois amendements visent à réintroduire, figure expressément à l’article L. 6311-1 du code du travail.
Enfin, l’amendement adopté sur l’initiative de M. le rapporteur a déjà permis d’expliciter la notion. Dans ce projet de loi, nous avons par principe voulu fixer des objectifs concrets et éviter les effets d’affichage « gazeux ». C’est ce que permet la rédaction de la commission, en prévoyant des dispositions opérationnelles, et non pas l’octroi de droits fictifs.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 131, présenté par Mme Demontès, MM. Jeannerot et Fichet, Mmes Blondin, Printz, Le Texier, Schillinger et Bourzai, MM. Patriat, Desessard, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Dans le troisième alinéa de cet article, après les mots :
évolution professionnelle,
insérer les mots :
avec un effort particulier en faveur des personnes ayant bénéficié d'une formation initiale courte,
II. - Après le même alinéa, insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Après le premier alinéa de l'article L. 6111-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les salariés qui ont arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l'enseignement supérieur ou qui n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue, et qui souhaitent poursuivre ultérieurement des études en vue d'une promotion sociale, ont un accès prioritaire à une formation diplômante ou qualifiante. »
La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Cet amendement vise à préciser que la formation professionnelle tout au long de la vie doit concerner particulièrement les personnes les moins formées. Il s’agit de freiner la tendance habituelle selon laquelle la formation continue profite aux personnes déjà les plus formées, ce qui n’est pas son objectif initial et peut même s’avérer contre-productif.
La rédaction du paragraphe II de cet amendement correspond précisément à l’article 1.4.3 de l’ANI du 7 janvier 2009, que le projet de loi ne reprend pas. Il pose le principe de l’accès prioritaire des personnes qui n’ont pu bénéficier d’une formation initiale longue ou qui n’ont pas de qualification professionnelle reconnue à une formation diplômante ou qualifiante leur ouvrant une promotion sociale au travers d’une « formation initiale différée ». Faut-il rappeler à nouveau que plus de 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme et sans qualification, avec les conséquences que nous connaissons tous ?
Sur le plan financier, l’ANI préconise d’une part une prise en charge par l’organisme paritaire collecteur agréé compétent pour les actions d’accompagnement, de bilan de compétences et de validation des acquis de l’expérience, d’autre part un abondement des pouvoirs publics correspondant au coût moyen d’une année de formation, pour lequel les partenaires sociaux demandent l’ouverture d’une concertation avec l’État.
On peut comprendre l’émoi du Gouvernement devant une demande de financement aussi claire, dont on ne connaît pas exactement le coût budgétaire, mais cela ne doit pas empêcher d’ouvrir une concertation, d’autant que les partenaires sociaux, la CGT comme le MEDEF, nous ont fait part de leur attachement à cette mesure et ont demandé qu’elle soit rétablie alors qu’elle avait été écartée du texte initial. Cela montre au moins que les partenaires sociaux s’accordent sur le constat d’une formidable déperdition tant pour notre économie que sur le plan humain.
Le Gouvernement, manifestement, compte sur les écoles de la deuxième chance pour répondre à cette demande, comme d’ailleurs le MEDEF le suggérait. Le Gouvernement croit-il réellement que cette réponse est à la mesure du problème ? S’il doit y avoir un maillage complet du territoire, quand pourra-t-il être réalisé et avec quels moyens ? Que pensez-vous de la création de modules permettant d’acquérir une qualification partielle, qui pourrait être ensuite complétée ?
La formation initiale différée restera une nécessité tant que des jeunes sortiront de l’école sans qualification ou sans diplôme. Il est vrai qu’elle pose de nombreuses questions sur lesquelles il est urgent de se concerter, pour trouver une réponse à la hauteur de l’enjeu.
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par Mmes David, Gonthier-Maurin, Pasquet et Hoarau, MM. Autain, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après le troisième alinéa de cet article, insérer deux alinéas ainsi rédigés :
...° Après le deuxième alinéa de l'article L. 6111-1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les salariés qui ont arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l'enseignement supérieur, ou qui n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue, et qui souhaitent poursuivre ultérieurement des études en vue d'une promotion sociale, ont un accès prioritaire à une formation qualifiante ou diplômante. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Cet amendement a pour objet d’insérer, dans l’actuelle rédaction de l’article 1er, un alinéa visant à créer un droit de priorité, dans l’accès à la formation, pour celles et ceux des salariés de notre pays qui ont arrêté leur formation initiale avant le premier cycle de l’enseignement supérieur ou qui n’ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue.
En proposant au Sénat d’adopter cet amendement, nous entendons permettre réellement aux personnes concernées de bénéficier, si elles le souhaitent, de la possibilité de reprendre des études en vue d’une promotion sociale, alors qu’elles sont déjà entrées dans la vie active et travaillent peut-être depuis plusieurs années.
Cette question de la promotion sociale est au cœur de notre conception de la formation professionnelle, qui est à l’opposé de la conception utilitariste inspirant – je le déplore, monsieur le secrétaire d’État – ce projet de loi.
Au cours de nos travaux en commission spéciale, vous avez affirmé ne pas vouloir créer un nouveau droit opposable qui ne serait pas opérationnel, n’hésitant pas à qualifier un tel droit de « gazeux ».
Pourtant, les partenaires sociaux avaient précisément prévu la création de ce droit dans l’accord national interprofessionnel. La rédaction était sans doute trop insatisfaisante et imparfaite pour être transposée directement dans ce projet de loi, je vous l’accorde, mais nous considérons, comme les partenaires sociaux, qu’il était du devoir du Gouvernement de prendre le temps de transcrire en un langage juridique pertinent les propositions formulées par les organisations représentatives des salariés et des employeurs.
Il est urgent d’agir : le rapport de la Cour des comptes d’octobre 2008 rappelle que 56 % de la population active avait, en 2005, un niveau de formation initiale égal ou inférieur au CAP et au BEP, et que 21 % de la population active n’avait aucun diplôme. Ce même rapport souligne que « les personnes peu formées ou mal qualifiées ne constituent pas les principaux bénéficiaires du système de formation […]. » Si un peu plus d’un titulaire de BTS ou de DUT sur cinq bénéficie d’une formation continue dans les trois ans qui suivent les études, le taux est de un sur quinze pour les non-diplômés et d’un peu plus de un sur dix pour les titulaires de CAP.
Nous avons fait de l’éducation et de la formation une obligation nationale, et nous nous en félicitons. Toutefois, quelle valeur pourrait avoir une obligation nationale si les parlementaires et le Gouvernement ne mettaient pas tout en œuvre pour garantir son respect effectif, au bénéfice de tous ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ces deux amendements ont quasiment le même objet. Je formulerai deux remarques pour étayer l’avis défavorable de la commission.
Tout d’abord, il ne convient pas de cibler un public spécifique au sein d’une définition des objectifs généraux de la formation professionnelle tout au long de la vie. De plus, c’est faire porter à la formation professionnelle une responsabilité particulière, sans préciser parallèlement les devoirs de l’éducation nationale. On ne saurait demander à la formation professionnelle de se substituer à l’éducation nationale : ce serait tout aussi illusoire, voire dangereux, que de demander à l’éducation nationale de se substituer à la famille.
M. Jean Desessard. Que faites-vous des 150 000 jeunes qui sortent sans diplôme du système scolaire ?
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Par ailleurs, le dispositif présenté tend à créer un nouveau droit opposable à la formation différée sans prévoir ni son instrumentation ni les conditions de sa mise en œuvre effective – durée de reprise des études, modalités d’accès prioritaire et financement.
Cette question importante ne peut être traitée aujourd'hui sans une réflexion préalable sur les conséquences de l’instauration d’un droit à la formation différée pour l’organisation du système.
Ce texte est une étape importante, mais ce n’est qu’une étape. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'État, qu’il soit suivi d’autres avancées, en particulier en matière de formation différée. J’ai ainsi suggéré, dans mon rapport, la mise en place d’un compte épargne formation qui pourrait être mis en place dès la sortie du système scolaire.