M. le président. Mes chers collègues, je déclare clos le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nos travaux parlementaires se sont achevés le 23 juillet dernier avec l’adoption du projet de loi de programmation relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dit « Grenelle I ». Il s’agissait de conférer une valeur législative aux objectifs et aux orientations du Grenelle de l’environnement, ainsi que d’associer le Parlement, par la rédaction d’une véritable loi de programmation, à l’élaboration du droit de l’environnement. La trêve estivale a révélé chaque jour une nouvelle dimension du combat à mener pour améliorer la situation. Il est vrai que la tâche est complexe et que les thèmes sont nombreux.
Le Grenelle II, qui nous est aujourd'hui soumis, doit permettre de dresser une nouvelle grille de lecture. Il nous faut agir afin de ne pas laisser aux générations futures l’héritage de nos excès, mais sans tourner le dos au progrès.
Le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, avec sept titres et 104 articles, est un nouveau texte d’ampleur, à la hauteur de la densité du thème abordé.
Mes chers collègues, l’examen de ce texte a démontré, s’il en était besoin, notre implication. Il a révélé ou confirmé l’endurance des parlementaires face à une nouvelle procédure législative à peine éprouvée et à un calendrier chargé, comportant des réunions de commissions en pleine saison estivale. Lors de séances-marathons, pas moins de trois commissions ont épluché 1 089 amendements, dont 349 ont été adoptés pour aboutir au texte qui nous est présenté aujourd'hui.
La plupart des articles de ce projet de loi ont pour objet principal une réduction de notre consommation d’énergie, l’enjeu prioritaire étant certainement de nous désintoxiquer de l’or noir. Cependant, pour la première fois, l’ensemble des secteurs ont été abordés de front au cours d’une même négociation, qu’il s’agisse du bâtiment, des transports, de l’agriculture.
Le présent texte doit nous préparer à l’économie de l’après-pétrole. À l’instar de ses partenaires européens, la France s’est engagée à réaliser 20 % d’économies d’énergie d’ici à 2020 et, dans le cadre du plan climat, à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre. L’article 2 du Grenelle I dispose que le volume d’émissions de CO2 devra être inférieur à 140 millions de tonnes par an.
Au regard d’un tel engagement, comment évoquer la réduction de la consommation d’énergie sans mentionner la taxe carbone ?
Je tiens tout d’abord à saluer la réflexion engagée et la pugnacité démontrée dans ce dossier. En effet, dans un contexte de crise, la perspective d’une réconciliation entre croissance économique et soutenabilité environnementale est remise en cause. Les efforts en matière de prévention environnementale passent après la réponse aux besoins de première nécessité. Entre l’impératif d’efficacité environnementale et l’acceptabilité sociale des mesures, les arbitrages sont difficiles. Si nous voulons tenir nos engagements, l’incitation doit être encore plus forte : elle doit être juste, mais forte.
Par conséquent, une telle fiscalité paraît indispensable. La France se targue d’être à la pointe dans ce domaine, mais tournons-nous vers nos voisins, qui ont déjà pris cette initiative.
Le texte présenté aujourd’hui est, dans son intégralité, très important. Je veux croire que notre débat sera objectif et que les divergences liées aux ajustements de la taxe carbone ne viendront pas complètement l’éclipser. C’est pourquoi je ne reviendrai sur les conséquences de la mise en place d’une telle taxation pour les collectivités qu’au terme de mon propos.
Dans le combat pour la réduction de la consommation d’énergie, le projet de loi prévoit notamment l’instauration des schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie et l’encadrement des technologies de captage et de stockage du CO2. Il tend à imposer aux entreprises de plus de 500 salariés et aux collectivités de plus de 500 000 habitants l’établissement d’un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre. La mise en place de la taxe carbone et des dispositions du texte devra s’accompagner d’une exemplarité sans faille de l’État et de ses institutions. Au titre de la gouvernance, le projet de loi prévoit l’obligation progressive de l’affichage du « prix carbone », afin d’informer le consommateur sur les émissions de gaz à effet de serre associées aux différentes phases de vie du produit. Les procédures d’enquête publique et d’étude d’impact sont réformées afin de clarifier les champs d’application.
Il faut en outre espérer que toutes les propositions d’amélioration du texte, d’où qu’elles viennent, seront entendues, et ce sur l’ensemble des autres chapitres du projet de loi.
Qu’il s’agisse du logement, des transports, de l’agriculture ou de la santé, le Grenelle II rompt avec l’idée selon laquelle le progrès technologique permettra indéfiniment à l’homme de vivre sans se soucier des limites de la nature. Nous avons réalisé ce constat : notre modèle d’organisation sociale doit être en phase avec les limites de notre planète. Je n’utiliserai pas le terme d’« urgence écologique », car l’urgence ne favorise pas la sérénité de la réflexion que nous engageons aujourd’hui.
Le projet de loi portant engagement national pour l’environnement est un texte essentiel. Selon les termes de M. le ministre d’État, il constitue la « boîte à outils » du Grenelle de l’environnement, en particulier dans les domaines des bâtiments et de l’urbanisme, puisqu’il vise à améliorer la performance énergétique des bâtiments et à modifier le code de l’urbanisme en tant qu’instrument au service de l’aménagement durable des territoires.
Il faut saluer le « verdissement » des outils d’aménagement, comme la directive territoriale d’aménagement, la DTA, le schéma de cohérence territoriale, le SCOT, ou le plan local d’urbanisme, le PLU. Mais attention : le Grenelle ne doit pas se résumer à une série d’aménagements législatifs destinés à répondre à des situations de blocage ou aux doléances de certains lobbies.
Il faut également accueillir favorablement la prise en compte des transports existants ou de leur planification dans les perspectives d’urbanisation, ainsi que l’élargissement des procédures d’urgence pour la mise en œuvre de transports collectifs.
Sur ce thème, mes chers collègues, reconnaissons l’efficacité technique et le bien-fondé des directives européennes en matière de péages autoroutiers, ainsi que l’existence de délais excessifs pour leur transposition en droit français. La modulation des péages en fonction de leur volume d’émissions de gaz à effet de serre est une mesure verte efficace, qui aurait même gagné à être complétée.
On peut cependant regretter l’absence d’une véritable politique de report modal de la route vers d’autres modes de transport, manifestée par la construction de nouveaux grands axes routiers.
En ce qui concerne le développement des énergies renouvelables, le débat a été dense sur cet enjeu majeur. Je tiens simplement à me réjouir de l’abandon du critère de la commodité du voisinage pour l’élaboration des zones de développement éolien. Il est illusoire de vouloir favoriser l’essor de l’éolien tout en contraignant toujours plus la création de parcs éoliens. D’ailleurs, certains de mes collègues souhaitent dispenser les équipements utilisant l’énergie mécanique du vent de la procédure d’installation classée et redorer ainsi l’image d’une énergie verte que l’on incrimine à tort.
Le paquet constitué des projets de loi Grenelle I et Grenelle II, ainsi que les différentes mesures déjà introduites ou à inscrire dans les lois de finances, doivent permettre d’instaurer un nouveau rapport de l’homme à la nature.
Mes chers collègues, même amélioré par nos travaux, ce texte ne pourra être idéal. Toutefois, il sera le fruit d’un compromis issu de débats qui seront – je n’en doute pas – passionnés.
Il nous faut garder à l’esprit que ce compromis aura des conséquences pratiques non négligeables pour les collectivités.
Je reviendrai un instant sur la contribution « climat énergie ». Les communes seront particulièrement affectées. Cette taxe sera assise sur leurs charges de fonctionnement, comme le chauffage ou le carburant, et la note risque d’être salée, d’autant que sa création est couplée à la suppression de la taxe professionnelle. Or les collectivités ne doivent pas une fois encore être les seules pénalisées, alors que les particuliers et les entreprises bénéficieront respectivement d’un crédit d’impôt et de la suppression de la taxe professionnelle.
Du toilettage du code de l’urbanisme aux transports en passant par l’extension des plans « climat » territoriaux, la préservation de la ressource en eau, la lutte contre les multiples pollutions de l’air ou des sols ou la réforme des procédures d’enquête publique, le projet de loi portant engagement national pour l’environnement prévoit des mesures ambitieuses à l’échelle locale. La nouvelle ressource pourrait être redistribuée intelligemment en fonction des mesures environnementales mises en œuvre : réalisation des plans « climat », rénovation thermique des bâtiments communaux.
Mes chers collègues, comme l’a déclaré le Président de la République jeudi dernier, les Français sont prêts à s’engager dans une modification de leur consommation d’énergie, pourvu que les signaux soient clairs et que le contrat proposé soit juste. C’est pourquoi, conscient que ces mesures auront valeur de test pour le passage à une société plus verte, l’ensemble du groupe du RDSE réserve son vote jusqu’au terme du débat. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Je suis heureux de pouvoir saluer la présence, au banc du Gouvernement, de Mme Létard, de M. Apparu et de notre ancien collègue Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.
Monsieur le président, je m’adresserai tout d’abord à vous pour vous dire qu’aujourd'hui nous sommes tous Marseillais et supporters de l’OM, qui, je l’espère, obtiendra ce soir un bon résultat en coupe d’Europe contre Milan ! (Sourires et applaudissements.)
M. le président. Je vous remercie, mon cher collègue.
M. Didier Guillaume. M. le ministre d’État déclarait tout à l’heure que l’humanité avait rendez-vous avec elle-même.
Mme Odette Terrade. Avec 600 000 personnes le week-end dernier ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. M. Borloo ne parlait pas de la fête de l’Humanité, qui n’a pas forcément été un succès pour tous… (Mêmes mouvements.)
Cela étant, je regrette que Mme Jouanno et lui aient quitté si précocement l’hémicycle. En effet, quand on a rendez-vous avec l’humanité, quand on entend transformer le monde, quand on affirme que le Parlement joue un rôle essentiel et doit aller encore plus loin que ne le veut le Gouvernement, quand on souhaite changer la manière d’appréhender le monde économique, quand on pense que demain ne sera pas comme hier, il faut assister aux débats et entendre les orateurs. Je le dis très tranquillement, étant certain que cette absence n’est pas une marque de désinvolture ou de désintérêt.
En effet, en inscrivant le Grenelle II à l’ordre du jour de cette rentrée parlementaire, le Gouvernement et le président Larcher ont posé un acte fort, montrant à l’opinion et aux élus l’importance particulière qui s’attache à ce projet de loi.
Toutefois, les propos tenus tout à l’heure par M. le ministre d’État ne m’ont pas forcément rassuré quant à l’avenir du texte. Certes, nous aurions pu approuver son discours du début à la fin, tant il était à la fois intéressant et fort, embrassant l’ensemble des sujets de préoccupation de la France, de l’Europe et de la planète. Néanmoins, j’ai eu le sentiment qu’il nous chantait : « Tout va très bien, madame la marquise » et que son intervention était quelque peu déconnectée des réalités et du contexte.
Ce contexte est pourtant connu depuis maintenant quelques années. Ainsi, lors du sommet de Johannesburg, M. Jacques Chirac déclarait : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Plus récemment, dans son merveilleux film Home, Yann Arthus-Bertrand faisait pleurer dans les chaumières en montrant que la vie sur notre planète risquait de disparaître.
Lors des élections européennes, si le grand vainqueur a été l’abstention, avec un taux de plus de 60 %, le très fort vote écologiste a néanmoins constitué un signe adressé aux dirigeants de ce pays.
M. le ministre d’État a affirmé que ce texte était celui des territoires ; les membres du groupe socialiste aimeraient qu’il en soit ainsi, mais comment serait-ce possible quand, parallèlement, on affaiblit ces territoires et on réduit leurs moyens d’action ? La réforme de la fiscalité obligera demain les communautés d’agglomération, privées de la TPU, à alourdir la taxe d’habitation et les taxes foncières, au détriment des ménages.
M. Marc Daunis. Tout à fait !
M. Didier Guillaume. Comment feront demain les départements, qui ne percevront plus que la seule taxe foncière sur les propriétés bâties supportée par les ménages, et non plus l’impôt qui était jusqu’à présent acquitté par les entreprises ? Nous aimerions que les territoires conservent à l’avenir les moyens de se mobiliser, mais nous craignons que la réforme de la fiscalité locale n’aboutisse à étrangler financièrement les communes, les intercommunalités, les départements et les régions et que cela ne les amène finalement à se désintéresser du développement durable et de l’environnement : il serait vraiment dommage d’assister à un tel recul, alors que les collectivités locales ont mis en œuvre des politiques innovantes en la matière. Nous verrons bien si les bonnes nouvelles que semble apporter le Gouvernement se vérifieront demain et si les collectivités locales échapperont ainsi à l’asphyxie financière.
M. Bernard Frimat. Elles sont lynchées !
M. Didier Guillaume. Une autre inquiétude tient au grand emprunt national annoncé : en l’état actuel des finances de notre pays, comment pourra-t-il permettre de stimuler l’investissement dans l’économie de demain et en faveur du développement durable ? Ce sont nos enfants qui en supporteront le remboursement, assurons-nous donc au moins qu’il servira à financer des secteurs d’avenir, et non des dépenses de fonctionnement.
Après avoir parlé du contexte, j’évoquerai maintenant le texte.
Notre groupe a présenté 250 amendements, dont 25 ont été acceptés par la commission. Ce n’est pas mal, mais j’ignore si le taux d’amendements retenus varie selon l’effectif du groupe, sa place dans l’hémicycle ou l’intérêt de ses propositions… La révision de la Constitution a accordé une importance accrue au travail en commission. Tous les groupes doivent pouvoir améliorer le texte : c’est aussi cela, la coproduction législative ! Il nous semble, en tout cas, qu’un peu plus de 10 % de nos amendements méritaient d’être acceptés, c’est pourquoi nous en représenterons certains en séance publique.
On entend faire de la multimodalité un axe majeur de notre politique des transports et développer le fret ferroviaire, mais la SNCF annonce la suppression des wagons isolés de transport de marchandises. Si une telle mesure, absolument anormale, devait effectivement être mise en œuvre, il appartiendrait au Gouvernement d’intervenir auprès de la SNCF, afin d’éviter un report du fret vers la route. En effet, de grandes entreprises de ma région m’ont indiqué qu’elles renonceraient au transport de marchandises par le rail si la possibilité de recourir à des wagons isolés disparaissait. Il s’agit là d’une question importante.
Nous évoquerons ultérieurement l’urbanisme et l’agriculture, sujets sur lesquels nous avons des propositions à faire.
Après le contexte et le texte, j’aborderai enfin la question du financement.
Nous craignons fortement que le Grenelle II n’offre pas des moyens à la hauteur de l’ambition d’un nouveau modèle de société affirmée au travers du Grenelle I, qui avait mobilisé de nombreuses associations et l’ensemble de nos compatriotes. Malgré le discours enflammé de M. le ministre d’État sur l’avenir de l’humanité, nous redoutons que le Grenelle II ne reste une loi ordinaire, faute de financements suffisants. Les sénateurs du groupe socialiste et apparentés souhaitent la réussite de ce projet, pour laquelle ils sont prêts à œuvrer, dans l’intérêt de nos concitoyens. Ce nouveau modèle de société doit toutefois prendre en compte l’ensemble des dimensions du développement durable – économiques, sociales et environnementales –, sans en négliger aucune.
Le Grenelle II est à nos yeux un texte essentiel. Nous demandons une clarification du contexte dans lequel il s’inscrit. Nous essaierons, pour notre part, d’améliorer ce projet de loi, en espérant que le Gouvernement assurera le financement de ses dispositions, car sinon la déception sera grande parmi les élus et les associations qui se sont mobilisés. M. le ministre d’État ayant affirmé qu’il n’était pas concevable de manquer ce rendez-vous avec l’histoire, nous voulons croire que les moyens engagés seront à la hauteur de l’intérêt que semble manifester le Gouvernement pour cette question ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacky Le Menn. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, comme l’ont souligné les rapporteurs de la commission de l’économie, dont je salue le travail, ce projet de loi est un texte d’une ampleur inhabituelle, à la fois par sa taille et par la diversité des thèmes qu’il aborde.
Sur un plan général, notre groupe se félicite de ce que le Président de la République et le Gouvernement aient pris l’initiative du Grenelle de l’environnement. Aujourd’hui, c’est à nous, parlementaires, qu’il appartient d’examiner certains points sensibles du texte, en faisant preuve de rigueur et de pragmatisme. Ainsi, je souhaite évoquer devant le Sénat trois sujets principaux : le droit à construire en milieu rural, l’implantation des trames verte et bleue, l’agriculture.
Lors de l’examen en commission du titre Ier, mes collègues de l’Union centriste et moi-même avons manifesté de fortes inquiétudes quant à l’incidence de ses dispositions sur les communes rurales et l’avenir de la ruralité. Ce texte, à nos yeux, conduira fatalement au renforcement du développement des zones déjà fortement urbanisées, au détriment d’un monde rural en perte de vitesse.
Nous avons pourtant besoin d’un monde rural dynamique, animé par des responsables efficaces et des associations vivantes. Cependant, ces acteurs – ces aménageurs, devrais-je dire –, pour remplir leurs missions, pour aller de l’avant, doivent pouvoir créer des logements, de petites zones commerciales ou artisanales, des structures sportives et culturelles, des équipements touristiques, etc. Il n’y a pas de développement rural sans possibilité de construire !
Vous l’aurez compris, à mes yeux, c’est la ruralité qui est ici au cœur du débat. Nos zones rurales, ne l’oublions pas, constituent un lieu de vie, qui doit être agréable et attractif, et ne se résument pas à un ensemble de « beaux paysages » à protéger. Notre société perdrait beaucoup si le monde rural était tout à coup privé de son attractivité.
Or le projet de loi prévoit d’imposer pour les schémas de cohérence territoriale un objectif de « diminution […] des obligations de déplacement » et de conditionner l’implantation de nouvelles zones à urbaniser à leur desserte par les transports collectifs. De telles dispositions me semblent complètement inadaptées aux territoires ruraux, car elles ne tiennent pas compte, en particulier, des progrès technologiques du secteur automobile. Lorsque l’on connaît bien le secteur rural et que l’on sait combien les élus, communaux ou départementaux, se battent pour le développement local, il paraît tout à fait anormal de lier la création d’un petit lotissement ou l’implantation d’une activité artisanale à une desserte par des transports collectifs !
Il convient aujourd'hui de comparer les coûts réels, tant environnementaux que financiers, induits par les différents modes de vie. Sont-ils plus faibles pour un citadin, qui utilise de nombreux services tels que le RER, le métro ou le bus, en plus de sa voiture personnelle, que pour un habitant de zone rurale, qui roule quelques kilomètres pour se rendre à son chef-lieu de canton ? Eu égard aux problèmes que connaissent les villes et les banlieues, ainsi qu’à l’ampleur des financements nécessaires pour essayer de les régler, il me semble que la priorité n’est pas d’attirer à tout prix les populations vers les grandes agglomérations urbaines.
Un autre point important, pour la ruralité, sera la mise en place sur le terrain des trames verte et bleue, avec éventuellement remise en état ou implantation de corridors écologiques. Comment définir de manière précise les espaces concernés ? Quelles procédures devront être appliquées pour enregistrer juridiquement ce qui deviendra une véritable servitude ?
L’implantation de ces trames pourra dans certains cas n’engendrer aucune gêne, et donc être supportable par le propriétaire ou l’exploitant, mais dans d’autres, n’en doutons pas, elle nuira à la bonne exploitation d’un terrain agricole ou autre, voire l’empêchera. La valeur d’un bien constructible pourra s’en trouver tout à coup gravement affectée. Il conviendra donc de préciser très clairement, au travers d’un décret en Conseil d’État, la procédure qui aboutira à la mise en place d’un tel maillage écologique. Ce décret devra également définir les corridors écologiques, qui, à l’évidence, traverseront des zones naturelles et semi-naturelles. Comment être efficaces sans paralyser un milieu ? Comment, concrètement, allons-nous imposer des servitudes qui ne seront pas minces, puisqu’elles pourront aller jusqu’à une remise en état des continuités écologiques ? À mon sens, il ne pourra s’agir que de décisions contractuelles ayant recueilli l’accord des communes et des personnes concernées, une procédure d’appel devant permettre de régler les problèmes éventuels. J’aimerais être rassuré sur ce point. En tant que membre de la Conférence de la ruralité, je demande que cette organisation soit associée à la rédaction du décret, afin que les questions qui se posent puissent être examinées avec la compétence et l’attention qu’elles méritent.
Concernant les dispositions relatives à l’agriculture, deux sujets retiennent particulièrement mon attention : les produits phytosanitaires et l’eau.
En matière de produits phytosanitaires, le projet de loi s’inscrit dans la droite ligne des orientations fixées à l’échelon européen et dans le plan « Écophyto 2018 » afin de réduire et de sécuriser leur utilisation. J’ai eu l’occasion de présenter un amendement, qui a été adopté par le Parlement, visant à exclure l’interdiction d’un produit indispensable avant qu’une molécule de substitution ait été trouvée. J’ajouterai que cet encadrement doit rester souple et permettre aux utilisateurs de s’adapter progressivement aux nouvelles mesures.
Il est important, également, de rappeler l’intérêt d’une modulation pour la réduction des intrants dans les filières de production dites « mineures ». Le plus souvent, elles ne disposent pas encore de molécules pouvant se substituer aux produits interdits ou destinés à l’être prochainement.
Enfin, pour rester cohérents en ce qui concerne l’usage des produits phytosanitaires, nous devons veiller à ce que les autres pays ne nous inondent pas de productions agricoles ne répondant pas aux mêmes exigences que les nôtres.
Je conclurai ces remarques concernant l’agriculture en abordant le problème du stockage de l’eau.
Me souvenant de discussions que nous avons eues sur l’effacement des barrages, je voudrais, au terme de cette période estivale, poser la question suivante : une rivière à sec correspond-elle davantage à la notion d’environnement de qualité qu’un cours d’eau vivant, alimenté par des lacs artificiels ? Ceux qui refusent la réalisation de retenues, de lacs de réalimentation, ou qui voudraient même démolir les barrages pour que les poissons puissent circuler méconnaissent complètement nos régions du grand Sud ! D’ores et déjà, dans mon département, qui n’est pas un cas unique, si la réalisation de lacs de retenue n’est pas interdite, on n’accorde plus d’autorisations…
M. Gérard César. Exact !
M. Daniel Soulage. À mon sens, cette politique est catastrophique pour la santé publique, l’agriculture et les paysages, sans parler de l’activité touristique.
J’évoquerai enfin l’assainissement non collectif, question dont on ne se soucie pas assez à mon avis, alors qu’elle concerne pourtant 5,2 millions de foyers, soit 13 millions de Français.
Aujourd’hui, 60 % des installations contrôlées sont jugées non conformes. Un tiers de ces installations sont qualifiées de « points noirs » pour l’environnement et la santé publique. Je défendrai en séance publique un amendement visant à éliminer ces « points noirs », grâce à l’instauration d’un crédit d’impôt qui inciterait les particuliers concernés à se mettre en conformité avec la réglementation.
En effet, si l’éco-prêt à taux zéro est aujourd’hui une mesure efficace pour favoriser les économies d’énergie dans les maisons individuelles, il ne rencontre pas le succès espéré en matière d’assainissement non collectif. Compte tenu de la complexité des dossiers et du coût d’une réhabilitation, une centaine de prêts seulement ont pu être accordés. Saisissons donc l’occasion de relever le défi de l’assainissement non collectif, en adoptant une mesure incitative forte !
Pour conclure, je rappellerai que, sur la question des déchets, chère à notre rapporteur Dominique Braye, président du groupe d’étude sur la gestion des déchets, les interrogations techniques et économiques sont nombreuses. J’ai déjà évoqué ce problème dans l’hémicycle, notamment lors de la seconde lecture du projet de loi Grenelle I. La mission d’information sur l’évaluation des différents modes de traitement des ordures ménagères dont j’ai demandé la constitution au nom de mon groupe apportera dans les prochains mois, je l’espère, des éclaircissements en la matière.
M. Nicolas About. Grâce à vous !
M. Daniel Soulage. Je souhaite d’ailleurs, madame, messieurs les secrétaires d’État, collaborer avec vous sur ces nombreuses questions, car le Gouvernement et les élus, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, doivent avoir une vision claire et à long terme sur ce dossier, afin que les responsables des collectivités puissent prendre leurs décisions en toute connaissance de cause. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)