M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Raymond Vall.
M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mesdames les secrétaires d’État, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part de ma modeste expérience dans ce domaine en tant qu’élu de terrain, à l’instar d’un grand nombre d’entre vous.
Le Grenelle I a permis de recueillir un consensus historique, qui est intervenu au bon moment. Parfois, on observe un décalage entre la prise de conscience de nos concitoyens et les décisions des hommes politiques. Il ne faudrait pas que les espoirs placés dans le Grenelle II soient déçus. Cette formidable boîte à outils, que je ne remets pas en cause – il n’est pas question, compte tenu des enjeux, de rejeter le projet de loi –, nécessitera discussions et enrichissements, afin, surtout, de déterminer les moyens qui pourront être mis en œuvre.
Monsieur le ministre d’État, vous avez fait référence, tout à l’heure, à un futur déplacement dans le Grand Sud-Ouest, dont je suis l’un des élus. Or je suis un peu surpris du manque de cohérence de ce deuxième plan de relance avec le Grenelle II. Vous avez évoqué la problématique des transports. Dans cette région, les collectivités ont dû déployer des efforts démesurés pour faire circuler les trains qu’elles avaient achetés. La plupart des réticences que vous allez rencontrer en milieu rural, notamment à propos de la taxe carbone, sont liées au fait que nous avons des voies ferrées sur lesquelles les trains ne peuvent plus circuler.
Sans doute pourrions-nous tenter, en discutant des mesures proposées, de tenir compte des dispositifs existants, afin de les mobiliser. Nous vous aiderons en ce sens !
Je prendrai l’exemple de l’aménagement du territoire et des pôles de compétitivité, qui sont au nombre de trois en région Midi-Pyrénées. Savez-vous, monsieur le ministre d’État, qu’il aura fallu attendre cinq ans pour prendre la décision de créer, au sein du pôle de compétitivité mondial Aéronautique, espace et systèmes embarqués, un DAS, domaine d’activité stratégique, « développement durable » ? Or pour mettre en œuvre le Grenelle II sur un territoire, où puiserez-vous l’innovation indispensable à une agriculture de précision, qui permette de limiter les intrants et de gérer l’eau en repérant les fuites par satellite, sinon dans ces pôles de compétitivité ? Mais rien n’est prévu pour instaurer une telle coopération !
Je me suis beaucoup investi, avec l’aide du président de la commission Jean-Paul Emorine, au sein du groupe de travail sur les pôles d’excellence rurale, les PER, afin que soient introduites des mesures en ce sens. Dans les dix propositions du rapport rendu par ce groupe de travail, vous retrouverez cette volonté, qui recevra, je l’espère, votre soutien. Lors du prochain appel d’offres des pôles d’excellence rurale, on pourrait imaginer la possibilité de faire en sorte qu’au moins un pôle par département concerne le Grenelle II, ce qui n’était pas le cas avec le Grenelle I.
Finalement, le département que je représente est le seul à avoir créé un pôle d’excellence rurale, nommé PATS, pôle d’application des techniques satellitaires. Mais à quel prix ? Les rapports de force sont insurmontables !
La proposition de donner aux territoires environ 1 million d’euros doit être soutenue par vos différents services ministériels afin que puisse être déclinée cette innovation sans laquelle nous ne pourrons rien faire.
Je reviens d’un congrès de scientifiques. Depuis vingt ans, nous organisons, avec Hubert Reeves, des rencontres européennes sur l’astrophysique et l’astronomie. Ces disciplines permettent de dire d’où vient la vie et l’écologie de la sauver.
Notre prise de conscience ne pourra être efficace que si l’on crée des passerelles entre les hommes politiques et les scientifiques, qui désespèrent aujourd’hui de se faire entendre par ceux-ci ! Ces passerelles sont indispensables.
Enfin, je souhaite rappeler que les pôles d’excellence rurale dégagent une dynamique territoriale qui concerne de nombreux domaines ; vous les avez évoqués. Ainsi, les problèmes agricoles peuvent sans doute trouver aujourd’hui, au travers d’un certain nombre d’initiatives, des réponses tout à fait concrètes.
En conclusion, le groupe du RDSE sera très attentif aux modifications qui seront apportées à ce texte, dont le cadre général est incontestable. Nous souhaitons tous qu’il soit enrichi, car les mesures prévues sont insuffisantes au regard de l’enjeu et de la démarche souhaitée ; nous pourrons en rediscuter. Bien évidemment, le groupe du RDSE participera à l’enrichissement de la boîte à outils que constitue ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, très peu de temps après l’adoption du Grenelle I – rappelez-vous, c’était le 23 juillet dernier, juste avant que les lumières de cet hémicycle s’éteignent –, nous abordons l’examen du fameux Grenelle II, objet de tant de discussions, d’articles de presse, d’interprétations, voire de fantasmes.
Au-delà de cette actualité, c’est bien avec l’objectif de modifier les comportements que mon groupe et moi-même avons travaillé en commission, et que nous allons aborder cette dernière phase du travail législatif.
Pour autant – j’allais dire une fois de plus –, le calendrier législatif manque de cohérence, et je regrette, à ce titre, l’absence de M. de Raincourt. Nous aurions dû discuter d’abord des compétences des collectivités locales – elles seront les principaux acteurs de cette évolution, sinon de cette révolution, dans le domaine de l’environnement –, ensuite de la réforme de la fiscalité, en particulier de celle de la taxe professionnelle, au cours de laquelle il sera question des « quatre vieilles » et dont on peine à connaître l’affectation, enfin de la fameuse taxe carbone, dont tout le monde parle sans en connaître ni l’assiette ni la redistribution. Quoi qu’il en soit, je trouve anormal que le Parlement ne soit pas saisi. En effet, comment aborder les questions environnementales et déterminer les acteurs qui devront les mettre en œuvre si l’on ignore le contenu de la réforme des collectivités ? Autrement dit : qui fait quoi ?
Nous travaillons avec un logiciel qui sera obsolète dans quelques mois. Pourquoi utiliser la procédure accélérée alors qu’une deuxième lecture de ce projet de loi après la réforme des collectivités nous aurait permis de savoir exactement quelles sont les compétences respectives des différentes collectivités ? Quelles compétences les collectivités devront-elles se partager ? Qui sera le chef de file sur les thématiques environnementales ? Ce sont autant de questions auxquelles nous n’avons pas de réponses à ce jour.
Nous nous interrogeons également sur les moyens dont disposeront les collectivités pour la mise en œuvre de ces politiques, alors que nous sommes dans le flou total en matière de réforme de la fiscalité locale. Et ce n’est pas l’audition de Mme Lagarde, ni celle de M. Marleix, mercredi dernier, qui nous ont éclairés. Je crois d’ailleurs que ce sentiment est partagé sur l’ensemble des travées.
Vous avez évoqué, monsieur le ministre d’État, des « définitions budgétaires ». Je dois vous avouer que je ne les ai pas très bien comprises. D’ailleurs, où se trouvent-elles ?
Nous devons également parler de la taxe carbone. Si sa nécessité fait consensus, bien des questions subsistent, tant sur son assiette que sur l’affectation de son produit. Pour ma part, je considère que seule une partie des contributions aux émissions de gaz à effet de serre est taxée, alors que nous consommons tous des biens qui ont un bilan carbone bien plus négatif que le chauffage et le transport, sans parler des produits importés, dont le bilan social et environnemental est catastrophique. Je citerai simplement l’exemple des produits bruns et blancs, que nous avons tous chez nous, et celui des fameux panneaux photovoltaïques, dont le bilan carbone est négatif.
Après une riche préparation en commission, qui s’est déroulée dans un climat fort agréable avec les rapporteurs, et qui a été marquée par la présence continue de madame la secrétaire d’État, nos échanges en séance s’inscrivent dans le contexte politique que l’on connaît, dans un contexte social et sociologique pressant et, enfin, dans un contexte environnemental qui s’impose de lui-même.
S’agissant tout d’abord du contexte politique, l’idée même d’un Grenelle de l’environnement est apparue au grand public à l’occasion de la campagne présidentielle de 2007, au cours de laquelle tous les candidats s’étaient engagés en faveur de ce projet en signant le fameux texte que l’on connaît. Depuis, il y a eu le résultat des élections européennes. Ce contexte politique ne doit ni orienter ni désorienter nos débats ; il doit au contraire nous éclairer sur les volontés réelles de nos concitoyens, même si elles sont parfois contradictoires.
La prise de conscience est donc bien réelle et concerne tant les catégories socioprofessionnelles que le lieu et le type d’habitations.
Cela est d’autant plus vrai que le contexte environnemental s’impose à nous : je pense, bien sûr, à la réalité de l’état de santé de la planète et à la manière dont, d’un côté, nous exploitons ses ressources et, de l’autre, nous handicapons sa capacité à les renouveler.
Les enjeux sont à la hauteur de ce contexte à multifacettes et les mesures à prendre doivent l’être dans un discours de vérité, qui dépasse l’invocation stérile.
Je regrette vivement que bon nombre de dispositions ne soient au final qu’incitatives. Ainsi, des sociétés sont seulement tenues d’inscrire dans leur rapport de gestion la manière dont elles tiennent compte ou non des impacts sociaux et environnementaux de leur activité.
À l’instar de nombreux économistes – notamment un lauréat du prix Nobel d’économie, dont les propos étaient rapportés dans un quotidien que je lisais ce matin –, nous sommes persuadés que le capitalisme et le marché n’ont pas vocation à être vertueux.
C’est donc bien par la contrainte mesurée et équilibrée, autrement dit par la régulation, que nous pourrons faire évoluer les comportements, notamment ceux des grands groupes.
À l’évidence, nous ne pouvons que nous féliciter du fait que nous allions vers davantage de transparence dans la présentation des portefeuilles boursiers. Mais, là encore, nous atteignons les limites des dispositions incitatives, lesquelles ne sont pas assez contraignantes à mon sens.
Je souhaite aussi aborder, dans la continuité de mes propos sur le contexte politique et sociétal, la problématique des effets de communication. À l’occasion du Grenelle de l’environnement, toute une série d’annonces, plus spectaculaires les unes que les autres, avaient vu le jour, particulièrement sur les transports : taxe poids lourds, euro-vignette, bonus-malus écologique pour les voitures, kilomètres supplémentaires de TGV et de TCSP, ou transports en commun en site propre, autoroutes, fret maritime et ferroviaire, etc.
Malgré les avancées obtenues sur ces sujets lors du travail parlementaire du Grenelle I, nous devons nous saisir pleinement de ce texte pour renforcer ces orientations et essayer de trouver les moyens de les mettre en œuvre.
Vice-président d’une agglomération qui est actuellement en plein chantier de tramway, le retour au financement par l’État des transports en commun en site propre, après la suppression de la ligne budgétaire en 2003, me paraît évidemment positif. Pour autant, la méthode d’attribution des aides devra, elle aussi, être plus transparente et assurer un équilibre, pour ne pas dire une équité, entre les territoires. Aujourd’hui, les TCSP représentent un enjeu pour toutes les collectivités, et non plus uniquement pour les grandes métropoles.
Mais ce n’est pas à l’occasion d’une réforme de la fiscalité locale, dont je n’ose croire qu’elle aura un effet positif sur les ressources des communes et de leurs EPCI, que le Gouvernement doit faire porter sur les collectivités les conséquences budgétaires des engagements qu’il a pris dans cette loi. Certes, je comprends et je soutiens ces derniers, mais j’aimerais que l’État trouve ailleurs les moyens nécessaires à leur mise en œuvre.
Notre assemblée a toujours été la garante de lois pragmatiques, volontaires, équilibrées et applicables. Le groupe socialiste s’efforcera de faire valoir cette méthode dans nos débats. Il nous arrive même d’écouter les éminents rapporteurs de la majorité ! (Sourires.) Une chose est certaine : ce texte se situe en retrait eu égard aux conclusions du Grenelle de l’environnement. Je reprendrai une phrase célèbre : « Pour nous, le compte n’y est pas ! »
Certes, les objectifs sont partagés, les thèmes abordés se situent au cœur du sujet, des avancées sont présentes. Toutefois, la copie que vous nous présentez n’est pas à la hauteur des enjeux : vous n’êtes pas hors-sujet, mais, après un développement cohérent, il manque une vraie conclusion, qui permettrait à l’ensemble des acteurs d’avoir des éléments de réponse à l’urgence écologique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mesdames, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement nous avait laissé une impression mitigée entre, d’un côté, le sentiment d’une réelle bonne intention dans les objectifs exprimés et, de l’autre, des doutes quant aux moyens dévolus à la réalisation de ces objectifs.
Le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, ou Grenelle II, confirme nos craintes : malgré des avancées bien réelles dans certains domaines, nous sommes bien loin de la « révolution verte » qu’entendait mettre en œuvre le Grenelle I, et plus loin encore de la refonte complète du système que nécessiterait une véritable révolution écologique.
Nous n’aurons de cesse de souligner le manque d’envergure d’une prétendue révolution écologique – vous avez parlé de mutation, monsieur le ministre d’État – qui ne remettrait pas en cause les fondements du système actuel. L’émergence d’une société réellement soucieuse de son environnement ne peut se contenter de simples marchandages avec les institutions d’un système foncièrement matérialiste et libéral, dont la crise a pourtant largement mis en lumière les défauts et les excès.
Il convient de faire des choix courageux, sans avoir peur de revenir sur certaines valeurs fondatrices de ce système telles que l’obsession de la concurrence libre et non faussée, la recherche du profit maximum, la régulation par le marché, etc., en tant qu’elles sont intrinsèquement incompatibles avec un modèle de développement durable et solidaire.
En l’absence d’une telle orientation radicale et d’un projet construit autour de politiques publiques fortes, accompagnées de financements adaptés, nous déplorons que les bonnes intentions du Grenelle se soient vues exposées à un « rabotage constant », pour reprendre les mots de mon collègue Jacques Muller, de la part des lobbies des entreprises, que ce soit durant toute la durée du débat sur les objectifs du Grenelle I ou dans leur traduction en mesures concrètes dans le Grenelle II.
À ce rythme, on est en droit de se demander ce qu’il restera de toutes ces bonnes intentions après le passage devant l’Assemblée nationale et, surtout, après la rédaction des décrets d’application.
Au final, on se trouve face à un texte qui est loin d’être à la hauteur des enjeux tant il manque d’une dimension sociale pourtant indispensable à l’efficacité d’une politique environnementale de grande ampleur.
Est-il nécessaire de répéter encore que la justice sociale est l’un des trois piliers indissociables du développement durable ? La même critique vaut d’ailleurs pour la taxe carbone, sujet que nous nous devons d’évoquer ici, même s’il n’est pas encore à l’ordre du jour de notre assemblée. Cette taxe devrait s’inscrire dans une remise à plat complète de notre fiscalité, et non pas rester un « bricolage » isolé, un « verdissement » – un coup de peinture, devrait-on dire – des mesures fiscales. Indubitablement nécessaire pour pouvoir atteindre les objectifs que s’est fixés la France en matière de réductions d’émissions, elle n’en est pas moins à la fois improductive et injuste dans la version que nous propose le Gouvernement. Mais sans doute ne s’agit-il pas de la version définitive…
Cette taxe est improductive tant qu’elle reste aussi limitée dans son prix comme dans son assiette. Dans ses termes actuels, la taxe carbone ne permettra jamais de réaliser la division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.
L’exclusion complète de la consommation électrique de l’assiette de la taxe pose deux problèmes : d’une part, cela n’incite pas à réduire la consommation d’électricité, alors que cette dernière pourrait être utilisée pour réduire les émissions dans d’autres secteurs, en particulier dans les transports ; d’autre part, cela renforce l’incitation au choix du chauffage électrique, dont tout le monde sait pourtant qu’il est une aberration énergétique.
Comment réconcilier cette exclusion avec le développement des réseaux de chaleur que prétend encourager le Grenelle II ? Que faut-il voir dans cette contradiction sinon l’influence évidente des grands groupes énergétiques sur les prises de décisions publiques ?
Cette taxe n’est pas seulement improductive ; elle est aussi injuste dans son fonctionnement. En effet, au prix de la tonne de carbone proposé, elle aboutira à alourdir la facture des plus modestes sans pour autant dissuader les comportements les plus énergivores de ceux qui ont les moyens de s’en acquitter.
Alors que nous avions là, potentiellement, un formidable outil de justice fiscale par les redistributions de richesses et la prise en compte des externalités négatives liées aux comportements de gaspillage, on ne nous propose qu’une redistribution du produit de cette taxe à l’aide d’un chèque vert.
Le renchérissement des énergies fossiles, dont les objectifs sont à la fois la réduction globale de la dépense d’énergie et le changement de source d’énergie, doit s’accompagner de politiques visant à développer l’offre d’alternatives à la consommation et d’incitations à la transition énergétique, comme le préconisait à juste titre le rapport de Michel Rocard.
L’exclusion de la consommation électrique et l’absence de mesures d’aides aux foyers pour le changement de source d’énergie vont complètement à rebours de ces recommandations.
Comble de l’injustice, on nous demande de taxer les individus alors que l’on a proposé un marché aux entreprises les plus fortement émettrices de gaz à effet de serre. La taxe vise les consommations d’énergie, mais les industries de production d’électricité, ainsi que l’ensemble des installations soumises au système européen de quotas de CO2, sont exemptées afin de leur éviter une prétendue « double peine ».
En réalité, au lieu de s’attaquer directement aux plus gros émetteurs de gaz à effet de serre en leur fixant des objectifs contraignants de réduction de leurs émissions ou en instaurant une taxe sur les activités concernées, on leur permet de spéculer sur le prix de la tonne de carbone, en leur accordant des crédits d’émission gratuits jusqu’en 2013 ! Avec ce système, contraire à la logique, les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre seront soumis aux obligations les moins contraignantes et la fiscalité carbone pèsera essentiellement sur les consommateurs d’énergie finale, sans nullement inciter à la réorientation en amont des modes de production de l’énergie ni permettre, par exemple, le financement d’un fonds en faveur des alternatives énergétiques à l’aide du produit de la taxe sur les grands producteurs d’électricité.
En effet, nous ne nous faisons pas d’illusions sur le marché européen des droits à polluer, dont l’efficacité n’a pas été prouvée à ce jour et qui pourrait bien n’être – comble du paradoxe ! – qu’une immense usine à gaz. Le rapport à mi-parcours de la mission « climat » de la Caisse des dépôts et consignations conclut à une diminution symbolique des émissions de gaz à effet de serre liée au fonctionnement du marché européen des crédits d’émission. Quant au rapport final, prévu pour le début de 2009, il n’a toujours pas été rendu, en tout cas à ma connaissance. C’est bien dommage !
La crise économique aurait pourtant dû dissiper les illusions quant à la régulation par le jeu de l’offre et de la demande, c'est-à-dire par le marché. Elle a démontré les dangers de la sophistication financière et spéculative.
Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à le dire, comme en témoigne la citation suivante : « Depuis plusieurs années, nous nous sommes enfermés dans une logique productiviste et concurrentielle, du fait d’une idéologie jamais remise en question. Si nous continuons sur la voie du dogmatisme ultralibéral, cela aboutira à nous aligner sur les pays en voie de développement, en termes de compétitivité, de coût du travail, d’environnement, de santé. » Qui a tenu récemment ces propos dans L’Express ? Un membre du parti communiste ? (« Non ! » sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) C’est M. Bruno Le Maire, membre du Gouvernement !
Nicolas Sarkozy utilise lui aussi volontiers les thématiques de la gauche pour mieux brouiller les pistes. C’est particulièrement dangereux en période de crise. On ne peut pas dire une chose et faire le contraire, tenir un discours de gauche et mener une politique de droite : finissons-en avec le double langage !
En ce qui concerne le texte qui nous est soumis, nous défendrons un certain nombre d’amendements en séance. À cet égard, je rappelle que le rejet d’un amendement en commission ne rend pas automatiquement illégitime et contestable sa présentation en séance publique. Le fait que, depuis la réforme constitutionnelle, le débat porte sur le texte de la commission n’implique que tout ce qui a été discuté en commission ne puisse plus l’être en séance publique, laquelle reste malgré tout le lieu du débat parlementaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
J’évoquerai maintenant, sans entrer dans le détail, les caractéristiques de ce texte.
Sur la méthode, le principe de la concertation avec les différents acteurs de la société civile concernés est positif. Toutefois, cette concertation préalable, utile pour prendre le pouls de la situation, ne doit pas servir de prétexte pour éclipser le débat parlementaire. Trop souvent, il nous a été demandé de ne pas « détricoter » le fragile consensus ainsi trouvé, alors que le même « détricotage » opéré par les lobbies industriels ne semble pas poser de problème !
Par ailleurs, dans ce processus consultatif, l’État ne doit pas perdre de vue son rôle de garant ultime de l’intérêt général. Après avoir écouté l’ensemble des acteurs concernés, il doit pouvoir trancher en faveur des mesures les plus efficaces et les plus justes, et non en fonction des rapports de force. La révolution écologique que vous appelez de vos vœux ne pourra pas se faire si l’on prend pour postulat de départ que la réforme ne doit froisser personne, et surtout pas les entreprises. Certes, il est légitime d’écouter celles-ci et de prendre la mesure de leurs contraintes afin de faire en sorte que les réformes, dont l’objectif principal doit être maintenu, leur causent le moins de tort possible, mais ce sont bien les intérêts privés qui doivent plier en dernier ressort devant la nécessité d’une action politique d’intérêt général, et non l’inverse.
En l’absence d’un arbitrage fort de l’État entre les acteurs, on aboutit à un texte trop imprécis qui, in fine, laisse une grande marge d’action au Gouvernement. Mes chers collègues, nous allons faire de la poésie : la loi s’écrira ensuite, par le biais de décrets, bien loin des parlementaires ! D’ailleurs, le présent projet de loi comporte 136 fois le mot « décret », chiffre supérieur au nombre d’articles ! En outre, il prévoit quatorze ordonnances et vingt règlements. Cela ne correspond pas à la vocation assignée au Grenelle II, qui devait présenter des mesures précises de mise en œuvre des objectifs du Grenelle I. La concertation devait permettre de disposer de tous les éléments nécessaires à cette fin. Or il apparaît, en définitive, que chaque mesure, ou presque, fera l’objet d’un décret d’application. Si l’on en croit l’édition de mardi du journal Le Monde, un décret devrait d’ailleurs être pris très prochainement. Cela signifie-t-il que les décrets paraîtront avant même la fin de notre débat ?
Sur le fond, nous déplorons qu’une volonté de recentralisation des processus de décision publique transparaisse tout au long du texte. Un grand nombre d’articles organisent un transfert de pouvoir des collectivités territoriales, surtout des départements et des régions, vers le préfet et l’État central. Cela dénote une défiance certaine à l’égard des collectivités territoriales et des élus locaux ! On remet le pouvoir entre les mains de l’État sous couvert de décentralisation. Faire supporter par les collectivités territoriales, qui ont vu leur dotation de fonctionnement réduite et qui doivent faire face aux incertitudes pesant sur le devenir de leurs finances, le coût de certaines mesures dont les modalités auront été fixées par décret ou par arrêté relève d’une véritable volonté de mise sous tutelle, voire d’asphyxie. Et c’est au Sénat, censé représenter les collectivités territoriales, que l’on demande d’approuver cette orientation ?
Nous pensons au contraire qu’il faut défendre l’action des collectivités territoriales. Celles-ci doivent rester impliquées dans la prise des décisions qui les concernent directement et pour lesquelles leur expertise en matière d’aménagement du territoire est précieuse. Nous devons leur donner les moyens d’une telle implication.
Or, aux termes de la rédaction actuelle du texte, les collectivités territoriales ne seront pas maîtresses de l’élaboration du plan climat-énergie territorial puisque celui-ci sera arrêté par le préfet. L’article 19 du titre II, relatif aux transports, est également symptomatique de cette tendance : les communes seront dépossédées de l’organisation des services d’autopartage et réduites à attribuer des labels à des acteurs privés. Au lieu de cela, on aurait pu trouver des financements dans l’internalisation des coûts de l’utilisation des voies routières, ce qui aurait permis, dans un même mouvement, de favoriser un transfert vers le rail. Je laisserai le soin à ma collègue Mireille Schurch de développer plus avant notre position sur le titre relatif aux transports.
Nous constatons que, au nom de la révision générale des politiques publiques, on ne cesse d’introduire partout des méthodes de management venues du secteur privé, comme c’est malheureusement aussi le cas dans d’autres domaines. Ainsi, alors qu’auparavant les ministères étaient dotés de moyens propres, en matière d’expertise notamment, le choix a été fait, au détour de plusieurs textes, d’externaliser ces compétences. Nous ne pouvons souscrire à cette mise sur le marché de pans entiers du service public. Partout il s’agit de casser tout ce qui ne permet pas la souplesse afin de faciliter les réformes et de favoriser la soumission au marché. Depuis 2002, tous les textes de loi s’inscrivent dans ce plan d’ensemble.
En ce qui concerne le bâtiment, une des dispositions les plus contestables à nos yeux de ce texte, insérée par la commission, revient à faire supporter pour moitié au locataire le financement des travaux d’amélioration du logement qu’il occupe. Cette disposition permettra au propriétaire de majorer le loyer à concurrence de l’équivalent de 50 % de la baisse des charges mensuelles consécutive à la réalisation de ces travaux, alors même qu’il pourra bénéficier, à ce titre, de prêts à taux avantageux et de réductions fiscales. C’est inadmissible ! Quelle est la logique dans tout cela ? Comment peut-on nous affirmer que ce texte est équitable alors que l’application d’une telle disposition pourrait, à terme, aboutir à restreindre encore plus l’accès au logement pour les catégories les plus défavorisées, en contradiction avec les ambitions affichées dans la loi Boutin ?
Nous relevons parfois de réelles avancées dans ce texte, notamment en matière d’engagement de la responsabilité environnementale des entreprises. Cependant, le récent désastre écologique consécutif à la fuite d’un pipeline dans la plaine de la Crau illustre la nécessité d’inscrire dans la législation la notion de préjudice écologique. À cet égard, nous nous félicitons de la volonté exprimée par Mme la secrétaire d’État de mettre rapidement en place une telle législation, tout comme d’ailleurs de certaines de ses propositions concernant la protection de la biodiversité et de son intention d’en faire un « enjeu populaire », en associant à ce combat les communes et les citoyens. Cela nous semble aller tout à fait dans le bon sens.
À l’inverse, la proposition de mettre en place une nouvelle certification haute qualité environnementale pour les produits agricoles nous paraît de nature à susciter la confusion avec les produits bio parmi les consommateurs. De même, les dispositions relatives à la protection des trames verte et bleue pèchent par une rédaction parfois trop lâche, marquée trop souvent par la crainte d’entraver le développement économique.
Cela étant, sur le fond de ce texte, nous critiquons principalement le report constant de la responsabilité sur l’individu, sur le consommateur. Les mesures du titre VI du projet de loi sont symptomatiques d’un système qui désigne toujours le consommateur comme le pollueur et qui tend à le rendre seul responsable, alors que c’est à la collectivité qu’il revient de prendre les mesures nécessaires pour agir à la source – à cet égard, je partage tout à fait le point de vue de M. Dominique Braye au sujet des déchets –, sur les modes de production, en imposant aux entreprises des pratiques plus respectueuses de l’environnement et plus économes en énergie.
Prenons l’exemple de l’étiquetage carbone. Tandis que les gaz à effet de serre sont émis, pour près de 50 %, lors de la production, de la distribution et de l’élimination des biens, produits ou services, l’émission des 50 % restants se répartissant entre consommation d’énergie à domicile et transports individuels, on demande au consommateur d’être vertueux – en supposant qu’il peut se repérer dans la jungle des informations relatives à la consommation –, mais l’on n’agit pas à la source, auprès du producteur. Ces mesures relèvent de la même démarche que les campagnes de prévention sur l’alimentation, qui ne sont accompagnées d’aucune régulation de l’industrie agro-alimentaire. Le poids des décisions vertueuses repose entièrement sur les individus, alors que ce qu’ont exprimé les Français à l’occasion de leur vote lors des élections européennes, c’est le souhait que l’État prenne les mesures nécessaires pour remédier à la situation. D’après une étude menée en juin 2009, pour 74 % de nos compatriotes, l’enjeu est non plus de les convaincre de l’importance du sujet, mais de leur donner les moyens d’agir. Va-t-on réellement en ce sens en ne leur proposant que de l’information et pas d’alternative réelle ?
Il en est de même pour les prêts à taux zéro, présentés comme la solution miracle et qui ressortissent au même mécanisme : l’État se défausse de ses responsabilités et de sa mission de protection de l’intérêt général sur les foyers, sur l’individu, sur le consommateur.
Madame la secrétaire d’État, vous avez dit que nous devions remettre en cause notre mode de consommation en faisant confiance, pour cela, à l’intelligence du consommateur. Je ne suis pas complètement d’accord avec vous : l’intérêt des consommateurs ne peut pas remplacer l’intérêt général, qui va bien au-delà et ne peut être défendu dans le cadre d’une économie libéralisée à outrance. À cet égard, vous avez parlé d’ « économie administrée », caricaturant ainsi la nécessaire régulation. Il est vrai qu’agir à la source demande une certaine indépendance à l’égard des intérêts des industriels et impose de prendre du recul par rapport à l’obsession de la compétitivité économique.
L’article 82 du projet de loi est révélateur de l’incapacité du Gouvernement à prendre le taureau par les cornes en matière de régulation des activités économiques et financières. Obligation sera faite aux sociétés d’investissement et de gestion de faire mention, dans leur rapport annuel, des modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des « critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux ou de qualité de gouvernance ». Est-ce réellement là le maximum que vous puissiez faire en matière d’orientation de l’activité financière vers les objectifs de protection de l’environnement, madame la secrétaire d’État ? Pensez-vous réellement qu’une telle disposition sera de nature à faire bouger les choses ? Permettez-moi d’en douter !
À ce stade de la discussion, le groupe CRC-SPG réserve son vote, qui dépendra de l’évolution du texte au cours du débat et de la prise en compte de ses propositions, mais il est certain que, en l’état, nous ne pouvons y souscrire tant les incohérences sont nombreuses.
Que penser du cynisme – je pèse mes mots ! – qui entoure ces annonces en grande pompe d’une « révolution verte » ? Quel crédit accorder aux bonnes intentions affichées quand Bernard Kouchner déclare, à propos des négociations internationales sur le changement climatique, que les pays en développement se méfient de nous et qu’ils ont raison de le faire ? Qu’est-ce que cela signifie ? La cacophonie règne dans les discours tenus par les membres du Gouvernement ! Suivant les conseils de M. Kouchner, nous nous méfions de ces révolutions en trompe-l’œil qui, sous couvert de transformer nos modes de vie, n’ont en réalité pour objet que de pérenniser le déséquilibre des rapports de force, au détriment des pays en développement ou des classes sociales les plus fragiles.
Ce constat vient confirmer le décalage profond qui existe entre les objectifs affichés du Grenelle et le projet de société porté par le Président de la République et l’UMP, qui vise à « décomplexer » les Français en matière de richesse et de profit personnel, qui prône le « toujours plus » – « travailler plus » et « gagner plus » pour pouvoir « consommer plus » –, au rebours de la promotion d’une société solidaire, soucieuse avant tout de sa survie collective au sein d’un environnement préservé.
Nous dénonçons la récupération des thématiques écologiques par la droite ; nous dénonçons la discordance entre le discours et les actes ; nous dénonçons enfin le simple maquillage du système existant, qui transformerait comme par magie les excès du libéralisme en une vertueuse « croissance verte ».
Ce que nous affirmons aujourd’hui, c’est que la nécessaire « révolution écologique » passe par l’avènement d’une société plus solidaire, moins encline à la recherche du profit à court terme et au gaspillage, et d’un État fort et performant, seul à même d’assurer une gestion maîtrisée des ressources. Une occasion unique nous est offerte de proposer une véritable révolution, bien plus ambitieuse que la réforme par trop cosmétique que vous nous présentez. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)