Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est heureux ! Bienheureux salariés !
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Cette possibilité de réversibilité est une garantie importante : en effet, si le travail dominical peut convenir à certaines étapes de la vie, par exemple pour quelqu’un qui poursuit des études et recherche un emploi à temps partiel,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr ! C’est le lot commun !
Mme Isabelle Debré, rapporteur. … il peut, en revanche, se révéler très contraignant à d’autres périodes, par exemple pour un jeune couple qui souhaite passer du temps avec ses enfants en bas âge.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très bien !
Mme Isabelle Debré, rapporteur. La troisième mesure proposée dans le texte est plus ponctuelle : elle consiste à autoriser les commerces de détail alimentaire à ouvrir jusqu’à treize heures au lieu de midi. Cet ajustement me semble conforme à l’évolution des modes de vie des Français.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Jusqu’à quatorze heures !
Mme Isabelle Debré, rapporteur. La commission a estimé que le texte élaboré par l’Assemblée nationale était équilibré et l’a donc adopté sans modification, à l’issue d’un débat dont je tiens à souligner la qualité et qui a permis à chacun d’exprimer ses convictions.
Pour évaluer la portée du texte, un comité de suivi composé de six parlementaires, issus pour moitié de la majorité et pour moitié de l’opposition, va être mis en place. Dans un an, il remettra un rapport qui dressera un premier bilan et il nous appartiendra d’en tirer les conséquences et d’apporter, le cas échéant, les correctifs nécessaires.
J’estime, sincèrement, que l’on ne se trompe jamais à donner plus de liberté à nos concitoyens (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.-Applaudissements sur les travées de l’UMP.),…
M. Dominique Braye. Très bien ! Bravo !
Mme Annie David. M. Braye est égal à lui-même !
Mme Isabelle Debré, rapporteur. … à condition que, de par la loi, soit fixé un cadre précis qui permette d’éviter les dérives et les abus.
Selon moi, le texte, mûrement réfléchi, qui nous est soumis, répond à ces critères. Je vous propose donc, mes chers collègues, de l’adopter, afin de mieux répondre aux attentes de nombreux consommateurs et de certains salariés, et de soutenir le secteur du commerce, déjà bien malmené par la crise. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Organisation de la discussion
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Avec l’autorisation de la commission et pour clarifier nos débats, je souhaite la disjonction de la discussion commune des amendements de suppression partielle de l’article 2, à savoir, tout d’abord, celle de l’amendement n° 9 de Mme Raymonde Le Texier, qui vise à supprimer le paragraphe II de cet article, et qui est en discussion commune avec quatre-vingt-cinq amendements, ensuite, celle des amendements nos 25 et 99, déposés respectivement par le groupe socialiste et le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, qui tendent également à supprimer le II de l’article 2 et avec lesquels cinquante-trois amendements sont en discussion commune.
Pour une meilleure compréhension de nos débats, il paraît préférable de discuter de séries plus réduites d’amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que cette demande est fondée sur l’article 49-2 de notre nouveau règlement.
Je mets aux voix cette demande de disjonction.
(La disjonction est ordonnée.)
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Mme Raymonde Le Texier d’avoir eu la gentillesse d’accepter que l’ordre de passage des orateurs à la tribune soit modifié.
Que de précautions dans l’intitulé de cette proposition de loi, des précautions bien compréhensibles, quand on sait à quel point le débat a jusqu’ici été passionnel ! Cependant, cette passion, à mon avis, ne se justifie pas, ou, en tout cas, ne se justifie plus.
La grogne qu’ont manifestée certains, dans un premier temps, nous paraît en décalage avec la nature éminemment technique, et bien peu révolutionnaire, de cette proposition de loi. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh, alors !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Nicolas About. Mes chers collègues, dépassionnons le débat et regardons en face ce qui nous est proposé !
Ce texte n’est ni la panacée promise ni le poison dénoncé par les uns ou les autres.
Que nous propose-t-on au juste ?
Il nous est proposé, d’une part, d’assouplir les conditions d’octroi de l’une des dérogations déjà existantes au repos dominical, celle qui est relative à certaines communes et zones touristiques ou thermales, et, d’autre part, de créer une nouvelle possibilité de dérogation au repos dominical au sein des unités urbaines de plus d’un million d’habitants.
La première de ces dispositions est destinée à soutenir la croissance et l’emploi dans le secteur du tourisme, un secteur pour lequel il n’est ni contesté, ni contestable, que des gains sont possibles.
La France n’est-elle pas, comme chacun le sait, le pays qui accueille le plus de touristes ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On verra !
M. Nicolas About. Effectivement, nous verrons !
S’agissant maintenant de la création des fameux PUCE, disons les choses clairement : il est essentiellement question de régulariser des anomalies existantes.
M. Dominique Braye. Tout à fait !
MM. Jean-Pierre Michel et David Assouline. Des infractions !
M. Nicolas About. On peut le voir ainsi, et nous en reparlerons.
On a évoqué le cas de Plan-de-Campagne, dans les Bouches-du-Rhône, ou d’Éragny, dans le Val-d’Oise.
Plus anecdotique, aux termes de ce texte, les commerces de détail alimentaires sont autorisés à ouvrir jusqu’à treize heures, au lieu de midi,…
M. Jacques Mahéas. Heure d’été, heure d’hiver !
M. Nicolas About. … et ce afin d’adapter la dérogation de droit au mode de vie actuel.
En effet, comme M. le ministre l’affirmait tout à l’heure, il faut prendre en compte la façon dont évolue le quotidien de nos concitoyens.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Moi, je déjeune à quatorze heures !
M. Nicolas About. Dans ce texte est réaffirmé le principe du repos dominical, mais cette réaffirmation ne change rien au droit positif, chacun en a bien conscience.
S’il s’agit d’un texte de simplification, c’est uniquement en tant qu’il permettra de régulariser et d’aplanir un certain nombre de situations.
Aussi, quelles sont les véritables interrogations posées ?
Elles sont, à nos yeux, au nombre de trois.
La première interrogation majeure posée par le texte est la suivante : après son adoption, que deviendra le champ des dérogations au repos dominical ? C’est l’argument le plus fort pour ceux qui, pour s’y opposer, évoquent toujours le fameux argument de la pente glissante : cette proposition de loi ouvrirait une brèche qui conduirait, de fait, la dérogation à devenir la règle et le principe, l’exception.
M. Jean-Jacques Mirassou. Il y a des pressions !
M. Nicolas About. Il y a là une peur qui nous paraît, en l’occurrence, irrationnelle. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Nicolas About. Les PUCE ne concerneront qu’un très petit nombre de secteurs bien identifiés.
Quant à la mesure proposée à l’article L. 3132-25 du code du travail, le Gouvernement a donné de sérieux gages qu’elle ne s’appliquerait qu’à un nombre restreint de communes touristiques, ce qui est confirmé dans le texte même, tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Les communes concernées ne seront pas toutes les communes visées par le code du tourisme – M. le ministre l’a rappelé –, mais celles qui sont désignées par le code du travail et qualifiées de communes « d’intérêt touristique ». La différence est de taille. Dans ces conditions, l’effet de contagion est hautement improbable.
J’en viens à la deuxième question clef soulevée à la lecture de la proposition de loi : quelles seront les compensations au travail dominical ?
Dans le code du travail n’est posé aucun principe de compensation d’ordre public qui s’appliquerait à toutes les dérogations. Ce vide législatif conduit à un état du droit extrêmement disparate.
Les compensations auxquelles les salariés ont droit peuvent varier du tout au tout en fonction de la dérogation dont bénéficie leur employeur. Tout dépend des dispositions législatives et conventions collectives applicables.
Cependant, force est de constater que le texte vise à améliorer le régime des compensations, sans le chambouler, surtout tel qu’il ressort des travaux des députés.
Tout d’abord, chacun peut constater que l’article 1er tend à garantir de bien meilleures compensations que celles qui existent jusqu’ici pour les cinq dimanches dont le maire autorise l’ouverture.
Ensuite, il est garanti, aux termes de l’article 2, qu’en l’absence d’accord collectif les salariés dominicaux des PUCE bénéficieront au minimum d’un salaire doublé et d’un repos compensateur.
Enfin – c’est fondamental –, l’Assemblée nationale a posé le principe d’une protection conventionnelle transversale et minimale en imposant aux partenaires sociaux de négocier sur le régime de compensation au travail dominical partout où des dérogations sont applicables.
J’y insiste, en matière de compensation au travail dominical, ce texte n’est pas la panacée, mais il apporte des avancées réelles.
J’en arrive au troisième enjeu sous-jacent au texte, qui est non plus législatif, mais exclusivement gouvernemental, si je puis dire : l’administration se donnera-t-elle les moyens d’assurer l’application de ce texte telle qu’elle le devrait ?
En effet, la contrepartie à la régularisation à laquelle il nous est proposé de procéder doit être un engagement ferme du Gouvernement d’organiser des poursuites systématiques à l’encontre des contrevenants. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je reprends la remarque de M. Jean-Pierre Michel : si l’on régularise aujourd’hui ce que l’on a toléré jusqu’ici, ce n’est pas pour laisser se reconstituer de nouvelles poches d’illégalité.
M. Jean Desessard. C’est ce qui se passera !
M. Nicolas About. Autrement dit, cette régularisation doit être la dernière et, si l’on ouvre les magasins le dimanche, il faudra aussi mettre en place un contrôle par l’inspection du travail le dimanche. (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.) Le parallélisme l’exige.
Monsieur le ministre, pour toutes les raisons que je viens de développer, et sous réserve des assurances que vous pourrez nous fournir en matière d’application de cette proposition de loi, et parce qu’aux termes de cette dernière est déterminé un point d’équilibre acceptable entre ordre et liberté, la majorité des membres du groupe de l’Union centriste est prête à la soutenir. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parfois, la loi va jusqu’à changer fondamentalement le quotidien de nos concitoyens. Ce texte sur le travail le dimanche en est un exemple frappant.
Adoptée à l’Assemblée nationale à une courte majorité mercredi dernier, cette proposition de loi, que nous examinons à partir d’aujourd’hui, n’est pas, comme voudrait le faire croire le Gouvernement, un simple toilettage technique des dérogations autorisant le travail le dimanche. Nous en sommes bien loin, hélas !
En France, le travail dominical est déjà une réalité.
Si l’on additionne les dérogations autorisant le travail le dimanche au titre de l’intérêt général, dans les transports et les hôpitaux, par exemple, les dérogations au motif de l’intérêt économique, dans le secteur touristique, ou encore les dérogations exceptionnelles que les maires peuvent accorder, au nombre de cinq par an, ce sont sept millions et demi de Français qui travaillent déjà le dimanche, soit près d’un salarié sur trois.
En Europe, nous nous situons dans la fourchette haute : nous sommes au troisième rang pour le travail le week-end – qui constitue la moyenne entre le travail du samedi et celui du dimanche – et au premier rang pour le travail le samedi. Nous sommes donc bien loin des stéréotypes selon lesquels les Français travaillent moins que les autres.
Alors, pourquoi ce texte ?
En ces temps de crise, le Gouvernement avance un argument qui résonne dans les esprits : l’extension du travail le dimanche produirait de la croissance et des emplois. En changeant les conditions de l’offre, la systématisation du travail le dimanche devrait libérer une partie de l’épargne jusqu’ici bloquée et l’orienter vers la consommation, produisant ainsi de la richesse et des emplois. Ce raisonnement est séduisant, mais, économiquement, il ne tient pas.
Tout d’abord, pour que l’ouverture des magasins le dimanche génère des bonus de consommation, il faudrait qu’existent actuellement des lacunes dans l’offre, des goulets d’étranglement qui réduiraient notre capacité à consommer. Ce n’est pas le cas. Au contraire, les conditions de l’offre sont excellentes en France. D’ailleurs, trois Français sur quatre considèrent que le temps d’ouverture des magasins est suffisant.
Ensuite, comme l’ont révélé plusieurs études, l’ouverture le dimanche ne produit pas d’activité économique supplémentaire mais entraîne uniquement un transfert d’activité. Au lieu de consommer en semaine, nous consommerons le dimanche. L’étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, fait apparaître que l’essentiel des ventes réalisées le dimanche correspond au transfert de ventes initialement réalisées les autres jours de la semaine.
Enfin, pour qu’il y ait davantage de consommation, il faut plus d’argent disponible. Mais quand on a un reste à vivre hebdomadaire de cinquante euros, qu’on le dépense en semaine ou le dimanche, on n’a toujours que cinquante euros pour boucler la semaine. De plus, en période de crise, l’épargne tend à se contracter : elle sert non pas à consommer, mais à tenir en cas de coup dur. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait HEC pour comprendre qu’en pleine crise, alors que le chômage explose, les Français ne vont pas casser leur plan épargne et leur CODEVI, ou sacrifier leur bas de laine pour s’acheter une nouvelle télévision simplement parce que Darty sera ouvert le dimanche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Quant à la création d’emplois que l’on nous fait miroiter, c’est une contre-vérité. Si des emplois seront bien créés dans les grands centres commerciaux pour l’ouverture des magasins le dimanche, ils seront moins nombreux que les emplois détruits dans le petit commerce. Dans un article publié voilà quelques mois, une soixantaine de députés de la majorité précisaient que, en matière de travail dominical, pour un emploi créé dans la grande distribution, trois emplois sont détruits dans le commerce de détail.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Raymonde Le Texier. Mieux encore, une autre étude estimait que plus de 200 000 emplois seraient détruits en cas de généralisation de l’ouverture des magasins le dimanche !
Monsieur le ministre, chers collègues, afin d’être tout à fait crédible à vos yeux, je tiens à vous préciser que ces chiffres sans appel sont fournis par votre majorité, puisqu’ils proviennent d’une étude commandée en 2006 par le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales d’alors, Renaud Dutreil.
M. Xavier Darcos, ministre. Ce texte ne concerne pas la généralisation du travail le dimanche ! Cela n’a rien à voir !
Mme Raymonde Le Texier. Puisqu’aucun bénéfice n’est à attendre de l’extension de l’ouverture des magasins le dimanche, tant pour l’économie que pour l’emploi, comment expliquer que ce gouvernement n’ait de cesse de l’instaurer ?
Serait-ce parce qu’il s’agit d’une promesse de campagne du candidat Sarkozy et que le Président de la République refuse de lâcher prise, envers et contre tout bon sens ?
Serait-ce parce qu’il s’agit en fait de légaliser des pratiques illégales et pérennes dans le seul but de satisfaire des intérêts particuliers ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Serait-ce parce qu’il s’agit purement et simplement d’une loi d’amnistie pour les commerces qui ouvrent le dimanche depuis des années, au mépris de l’interdiction ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. C’est exact !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est la raison !
Mme Raymonde Le Texier. Sans doute, un peu de tout cela !
Mais ce texte de lobbying, ce texte d’acharnement idéologique, qui n’était en rien nécessaire, n’a pas pour seul objet de satisfaire quelques intérêts particuliers, en quête de main-d’œuvre moins chère. Il va surtout aggraver la situation des salariés...
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Raymonde Le Texier. ... et rapidement altérer le « vivre-ensemble » des Français.
M. Jacques Mahéas. Très bien !
Mme Raymonde Le Texier. Ce texte va aggraver la situation des salariés, car, pour une large partie d’entre eux, le travail dominical deviendra obligatoire et sans contrepartie !
M. Jacques Mahéas. Très juste !
Mme Raymonde Le Texier. En effet, dans les villes dites « d’intérêt touristique », qui comprennent au minimum toutes les grandes villes de France, c'est-à-dire la majorité des Français, tous les salariés de tous les commerces devront travailler le dimanche. Ce ne sera pas sur la base du volontariat : ce sera une obligation contractuelle, car l’ouverture de ces commerces deviendra de droit !
M. Roland Courteau. C’est clair !
Mme Raymonde Le Texier. Et parce que l’ouverture dominicale y sera de droit, les salariés ne se verront octroyer ni doublement de salaire ni jour de repos compensateur.
M. Roland Courteau. Voilà !
Mme Raymonde Le Texier. C’est déjà le cas. J’en veux pour preuve un récent arrêt de la Cour de cassation par lequel a été débouté un salarié travaillant le dimanche dans un magasin d’ameublement sans compensation financière. La Cour a estimé que, au motif que le magasin était habituellement ouvert le dimanche, depuis l’introduction de l'amendement Debré dans la loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, le salarié travaillant habituellement le dimanche, le dimanche est un jour comme les autres, qui n’ouvre pas droit à compensation.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. C’est faux !
Mme Raymonde Le Texier. Ne pas annoncer cela clairement au salarié, qui compte sur le travail dominical pour boucler un budget impossible, est une malhonnêteté.
M. Roland Courteau. Oui !
Mme Raymonde Le Texier. Certes, dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE, qui ne concerneront que les grands complexes commerciaux à la périphérie de Paris, de Marseille et de Lille, les salariés seront en droit de refuser de travailler le dimanche. Mais, dans les faits, qui peut croire que ces salariés auront le choix ? Connaissant les rapports de subordination qui régissent le monde du salariat, peut-on croire que ces travailleurs prendront le risque d’aller rejoindre les millions de chômeurs en refusant de travailler le dimanche, quand leur employeur le leur demandera ?
Le Gouvernement présente ce texte comme un texte uniquement technique, qui ne porte que sur des aspects juridiques, car il sait bien que, si ce texte devait se révéler pour ce qu’il est, c’est-à-dire un texte bouleversant de fond en comble notre façon de vivre, il n’aurait aucune chance de passer !
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si nous en examinons la quatrième version présentée au Parlement en un an, les trois premières versions ayant été repoussées fermement.
Ce n’est pas un hasard si ce texte est débattu à la fin du mois de juillet, quand toute la France est en vacances.
M. Roland Courteau. Évidemment !
Mme Raymonde Le Texier. Vous savez pertinemment que, si les Français n’étaient pas à la plage, ils seraient dans la rue !
C’est à raison que nombre de nos collègues de la majorité osent rejeter ce texte publiquement et ceux qui le condamnent en coulisse sont encore plus nombreux. Vous savez bien qu’avec ce texte vous manipulez un bâton de dynamite dont la mèche est d’ores et déjà allumée...
Nous le disons sans détours à chaque parlementaire de la majorité : avec toutes ces nouvelles dérogations au repos dominical, le travail le dimanche sera banalisé. Le dimanche deviendra non seulement un jour travaillé comme les autres, mais « un jour comme les autres » tout court.
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Raymonde Le Texier. Nous le savons, c’est bien là l’enjeu essentiel de ce texte : vous voulez transformer le dimanche en un « jour comme les autres » afin de changer de modèle de société.
Le problème du Gouvernement, c’est que les Français sont contre ce recul, contre cette rétrogradation sociétale, qu’ils ne veulent pas de votre société de la consommation totale et du travail non stop. Des pans entiers de notre façon de vivre, collectivement et individuellement, reposent largement sur ce temps disponible que nous offre le dimanche. Depuis la loi du 13 juillet 1906, le dimanche est au cœur du pacte social national. Le dimanche, c’est ce que les Français ont en commun.
Ce n’est pas non plus un hasard si 85 % des Français estiment aujourd’hui que le dimanche est « un jour fondamental pour la vie de famille, sportive, culturelle ou spirituelle » et que c’est à ce titre qu’il « doit rester un jour de repos pour le plus grand nombre ». Pour 85 % des Français, qu’ils soient de droite ou de gauche, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, croyants ou athées, vivant en couple ou célibataires, la famille, les amis, les loisirs, les activités culturelles, l’engagement associatif, l’épanouissement personnel, le lien social, la transmission entre les générations, le dimanche, c’est d’abord cela ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Priver les Français de ce « moment commun », c’est organiser sciemment le délitement de notre société dans son ensemble et de la cellule familiale en particulier. Aucun de nous, aucun de vous ne peut laisser faire cela.
Dans son discours prononcé devant le Parlement réuni à Versailles, le Président de la République a tenu à s’inscrire dans l’héritage du programme du Conseil national de la résistance, le CNR. C’est pour le moins étonnant.
Alors que le Conseil national de la résistance défendait « le droit au repos », le texte sur le travail du dimanche fait disparaître le repos commun des travailleurs. Alors que le Conseil national de la résistance prônait « la garantie d’un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d’une vie pleinement humaine », ce texte proclame que les Français doivent aller travailler le dimanche pour espérer compenser leur trop faible niveau de salaire.
M. Jean Desessard. Voilà !
Mme Raymonde Le Texier. Alors que le Conseil national de la résistance demandait « la sécurité de l’emploi, la réglementation des conditions d’embauche et de licenciement », ce texte va favoriser la précarité des salariés, qui ne pourront refuser de travailler le dimanche.
M. Jean Desessard. C’est exact !
Mme Raymonde Le Texier. Ce n’est pas nouveau. Denis Kessler, ancien vice-président du MEDEF, grand patron, président du cinquième groupe d’assurance mondiale, déclarait voilà quelque temps dans une interview au magazine Challenges : « Les annonces successives des différentes réformes par le Gouvernement peuvent donner une impression de patchwork […] À y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la résistance ! » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau. Très bien ! C’est exactement cela !
Mme Raymonde Le Texier. Le texte sur le travail dominical est clairement la dernière étape en date de la casse du droit du travail qui est opérée depuis trois ans. Et à force de casser le droit du travail, ce sont les fondements de notre société que l’on détruit.
M. Dominique Braye. Tout en nuances !
Mme Raymonde Le Texier. Le repos du dimanche, comme « moment commun » de tous les Français, est le plus visible de ces fondements. Améliorer les conditions de vie de nos concitoyens est au centre de notre engagement politique. Pour nous, précariser toujours plus les travailleurs ne peut pas être un projet de société.
M. Dominique Braye. Ce sont les travailleurs qui le demandent ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. David Assouline. Arrêtez ! Continuez à dormir !
Mme Raymonde Le Texier. La loi doit s’inscrire dans la défense de l’intérêt général. Ce texte en est l’antithèse parfaite. Les parlementaires socialistes s’y opposeront de toutes leurs forces ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Dominique Braye. C’est bon signe et c’est rassurant pour nous !
M. Jacques Mahéas. Vous tuez le petit commerce !
M. Dominique Braye. On comprend pourquoi vous allez si mal ; continuez, vous travaillez pour nous !
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la procédure utilisée par le Gouvernement pour ce texte sera abordée tout à l’heure par ma collègue Annie David ; aussi, je ne m’y attarderai pas, sinon pour insister sur son caractère inapproprié et, en l’occurrence, uniquement destiné à masquer aux Français, singulièrement aux salariés, les véritables intentions du législateur : la banalisation du travail le dimanche.
Je le sais – qui ne le saurait d’ailleurs pas après une telle campagne de promotion ? –, le seul et unique objectif du Gouvernement, en faisant passer ce texte en plein été, avec la procédure accélérée, est de réaffirmer « le principe du repos dominical ». C’est d’ailleurs le titre même de la proposition de loi déposée par M. Richard Mallié. Il s’agit de la seconde version de ce texte, la première ayant paru tellement radicale, en termes de réponses tant économiques que sociales aux légitimes inquiétudes des Français, que, même au sein de l’UMP, il s’est trouvé des parlementaires, et non des moindres, pour bouder le texte, voire l’hémicycle lui-même.
Si nous nous sommes réjouis que cette première mouture soit « retoquée », nous n’avions guère d’illusions sur l’acharnement du Gouvernement à vouloir de toute urgence réaffirmer le principe du repos dominical, pour mieux le contourner. En effet, il s’agit là d’un véritable enjeu de société, de classes, d’un enjeu pour le modèle social de notre pays et le droit du travail, dont M Sarkozy vante les effets modérateurs sur les conséquences de la crise, mais qu’on nous demande de démanteler au nom d’un libéralisme débridé, de la liberté du renard introduit dans le poulailler.