PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Conférence des présidents
M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :
SESSION EXTRAORDINAIRE 2008-2009
Jeudi 16 juillet 2009
À 9 heures 30 :
1°) Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense (texte de la commission, n° 514, 2008-2009) ;
À 15 heures et le soir :
2°) Questions d’actualité au Gouvernement ;
(L’inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant onze heures) ;
3°) Discours du président du Sénat ;
4°) Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’orientation des finances publiques pour 2010 ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à dix minutes le temps réservé respectivement au président et au rapporteur général de la commission des finances, ainsi qu’au président et au rapporteur de la commission des affaires sociales sur l’état des comptes de la sécurité sociale ;
- à cinq minutes le temps réservé à chacun des présidents des autres commissions permanentes intéressées ;
- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe).
Le délai limite pour les inscriptions de parole est expiré ;
5°) Éventuellement, suite du projet de loi relatif à la programmation militaire.
Lundi 20 juillet 2009
À 16 heures et le soir :
1°) Projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur les gains en capital (texte de la commission, n° 521, 2008-2009) ;
2°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (Procédure accélérée) (texte de la commission, n° 523, 2008-2009) ;
3°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Belgique tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative et juridique réciproque en matière d’impôts sur les revenus (Procédure accélérée) (texte de la commission, n° 525, 2008-2009) ;
4°) Projet de loi autorisant la ratification de l’accord entre l’Irlande, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume d’Espagne, la République italienne, la République portugaise, la République française et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, établissant un centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (texte de la commission, n° 529, 2008-2009) ;
5°) Projet de loi autorisant l’approbation de la convention de partenariat entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire (texte de la commission, n° 539, 2008-2009) ;
6°) Projet de loi autorisant l’approbation du protocole relatif à la gestion intégrée des zones côtières (GIZC) de la Méditerranée (texte de la commission, n° 527, 2008 2009) ;
7°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de la République d’Albanie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (texte de la commission, n° 495, 2008 2009) ;
8°) Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne visant à compléter l’accord relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (texte de la commission, n° 497, 2008-2009) ;
9°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation internationale de la Francophonie relative à la mise à disposition de locaux pour installer la Maison de la francophonie à Paris (texte de la commission, n° 541, 2008-2009) ;
(Pour les neuf projets de loi ci-dessus, la conférence des présidents a décidé de recourir à la procédure simplifiée.
Un groupe politique peut demander, au plus tard le vendredi dix-sept juillet 2009, à dix-sept heures qu’un projet de loi soit débattu en séance selon la procédure habituelle) ;
10°) Projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, prorogeant le mandat des membres du Conseil économique, social et environnemental (texte de la commission, n° 536, 2008-2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le vendredi dix-sept juillet 2009) ;
- au jeudi 16 juillet 2009, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
La commission des lois se réunira pour examiner les amendements de séance le lundi 20 juillet 2009, à quinze heures trente) ;
11°) Proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique, présentée par M. Xavier Pintat (texte de la commission, n° 560, 2008-2009) ;
(La conférence des présidents a fixé :
- à une heure la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le vendredi dix-sept juillet 2009) ;
- au vendredi dix-sept juillet 2009, à douze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire se réunira pour examiner les amendements de séance le lundi 20 juillet 2009, à quinze heures).
Mardi 21 juillet 2009
À 15 heures et le soir :
1°) Sous réserve de la transmission du projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, examen de la proposition du président du Sénat tendant à la création d’une commission spéciale sur ce projet de loi et nomination des membres de cette commission spéciale ;
(Le délai limite pour de dépôt des candidatures à cette commission spéciale est fixé au mardi 21 juillet 2009, à quatorze heures trente) ;
2°) Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires (n° 557, 2008 2009) ;
(La commission des affaires sociales se réunira pour le rapport le jeudi 16 juillet 2009, à neuf heures).
(La conférence des présidents a fixé :
- à deux heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des groupes ou ne figurant sur la liste d’aucun groupe (les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le lundi 20 juillet 2009) ;
- au lundi 20 juillet 2009, à onze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements ;
La commission des affaires sociales se réunira pour examiner les amendements de séance le mardi 21 juillet 2009, à neuf heures et pendant les suspensions de séance).
Mercredi 22 juillet 2009
À 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :
- Suite de la proposition de loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires.
Jeudi 23 juillet 2009
À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :
1°) Suite de la proposition de loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires ;
2°) Navettes diverses.
Éventuellement, Vendredi 24 juillet 2009
À 9 heures 30 :
- Navettes diverses.
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Ces propositions sont adoptées.
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Programmation militaire pour les années 2009 à 2014
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. André Dulait.
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ce lendemain de fête nationale, qui – chacun s’est plu à le souligner – marque l’intérêt de la nation pour nos forces de défense et de sécurité, nous examinons un projet de loi d’une haute importance, puisqu’il dessinera les armées du futur.
En juin dernier, le Président de la République présentait le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2009-2014, dont nous allons débattre, en est le fruit et la transposition concrète pour nos armées. C’est dans cet esprit que nous devons l’aborder.
L’une des caractéristiques de ce projet de loi de programmation militaire réside dans le fait qu’il vise non seulement à fixer les moyens humains et financiers attribués à notre politique de défense pour les six années à venir, mais aussi à répondre à la nécessaire adaptation de notre outil de défense aux nouveaux défis géostratégiques.
Aujourd’hui, en 2009, la politique de défense se doit de dépasser les choix et les orientations traditionnels.
Elle doit prendre en compte le besoin impératif de protection de la nation face aux nouvelles menaces.
Dès lors, que ce projet de loi de programmation militaire soit empreint d’un nouveau concept, celui de sécurité nationale, n’est ni surprenant ni choquant : demeurer nostalgiques de l’ordonnance de 1959 ne saurait répondre aux nouveaux défis auxquels notre pays doit faire face. C’est de la sécurité de nos concitoyens et de notre territoire qu’il est question.
La fin du monde bipolaire et la multiplication des menaces et leurs difficiles identifications ont profondément bouleversé le paysage international. Il nous faut adopter une approche différente des questions de défense, qui, désormais, ne peuvent plus être appréhendées sans celles qui sont liées à la sécurité de notre nation. Nous ne devons plus poser de barrières entre sécurité intérieure et sécurité extérieure.
Voilà un peu plus de quinze ans et avant le 11 septembre, le sol français a connu la triste réalité des attentats. Avons-nous déjà oublié l’été 1995 ?
Ajouter au concept de défense nationale celui de sécurité nationale, c’est avant tout faire preuve de réalisme ; reconnaître que, de la situation à Kaboul ou à Islamabad, peut dépendre la sécurité de nos concitoyens, c’est faire preuve de responsabilité, c’est anticiper et garantir au mieux la continuité du fonctionnement de notre État et la protection de nos concitoyens, au-delà de la résilience : tel est le propre du politique, qui n’est pas – comme nous avons pu l’entendre – d’attribuer des fonctions de police à nos soldats et de procéder à un mélange des genres.
Rien, dans ce projet de loi de programmation militaire, ne le prévoit, ni ne le laisse présager.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Très bien !
M. André Dulait. Par ailleurs, face aux menaces balistiques, aux menaces NRBC – nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques – et informatiques, nous ne pouvons qu’approuver la priorité attribuée aux fonctions stratégiques telles que la connaissance et l’anticipation.
Il est primordial de renforcer le rôle du renseignement à tous les niveaux, du stratégique au tactique, comme cela est prévu dans ce texte, avec l’instauration du Conseil de défense et de sécurité nationale et la création du Conseil national du renseignement.
Cette synthèse de l’information stratégique et d’arbitrage sur les priorités opérationnelles et budgétaires du renseignement, exercée au plus haut niveau de l’État, permettra la poursuite et l’amélioration de la réforme d’ensemble des services de renseignement.
Aussi, aux services de renseignements fait écho la notion de secret-défense.
En ce domaine, les rédacteurs de ce texte font également preuve d’innovation, dans la mesure où celui-ci tend à palier un vide législatif dommageable à nos magistrats.
Loin des fantasmes que peut évoquer la notion même du secret-défense, je souhaite rappeler devant vous que nos magistrats se trouvaient dans une situation paradoxale quand, au cours d’une enquête, ils étaient confrontés à des documents tenus secret-défense.
Les nouvelles dispositions du texte relatives au secret-défense ont pour premier objectif de protéger l’autorité judiciaire. Il me paraît important de le rappeler. L’extension des prérogatives de la Commission consultative du secret de la défense nationale permettra de concilier deux objectifs constitutionnels : poursuivre les auteurs d’infractions pénales et préserver les intérêts fondamentaux de la nation.
M. Josselin de Rohan, rapporteur. Exactement !
M. André Dulait. Nous respectons profondément l’institution militaire, ses missions et ses valeurs. Cette institution est consciente des évolutions géostratégiques. Ce sont les soldats sur le terrain qui nous le rapportent. La « guerre classique » est révolue : aujourd’hui, les conflits sont asymétriques et les menaces de plus en plus diffuses, car non étatiques. Ces mêmes soldats, en OPEX, sont les premiers témoins de ces évolutions et s’y adaptent.
À ce titre, je tiens à saluer l’exemplarité des hommes du ministère de la défense pour cette force d’adaptation permanente, tant sur le terrain, à des milliers de kilomètres, qu’au sein même de leur département ministériel.
Quel corps a su ainsi opérer avec succès sa propre réforme ? Il a réussi à le faire tout d’abord au cours de l’exercice 1997-2002 : l’objectif de la loi de programmation militaire, à l’époque, tenait dans la professionnalisation des armées. Cette réorganisation a modifié le profil et l’essence même de nos armées.
Enfin, dans le cadre de la révision générale des politiques publics, le ministère de la défense a su se réformer jusque dans sa géographie territoriale. Cette rationalisation s’est accompagnée d’une nouvelle gestion.
Le ministère de la défense est parvenu à dégager des économies, à les sanctuariser, et souhaite les réinvestir et les consacrer à l’amélioration des conditions et des équipements de nos soldats. C’est bien là l’objet de ce texte. Pour la première fois, les armées bénéficient de leurs propres économies, issues des restructurations et de réorganisations, notamment pour les fonctions de soutien et d’administration. C’est là un cycle vertueux dont nous pouvons nous réjouir.
Je tiens également à souligner la cohérence de notre politique de défense et de ce projet de loi : il s’inscrit dans une dynamique de complémentarité et d’équilibre entre le Livre blanc et la réforme générale des pouvoirs publics.
Si le projet de loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 arrive tardivement, avec quelques mois de retard, force est de reconnaître que ses rédacteurs parviennent à s’affranchir d’un double exercice : augmenter et pérenniser des moyens financiers dans un contexte économique et financier très douloureux.
Il aurait été facile pour nous, dans ces temps de rigueur, de procéder à des coupes budgétaires en promettant de mieux doter la prochaine loi de programmation militaire. Ce n’est ni notre position, ni notre volonté.
Le projet de loi de programmation militaire se caractérise par une sincérité budgétaire et une trajectoire financière crédible qu’il convient de saluer. Les représentants de la commission des finances l’ont d’ailleurs fait tout à l’heure.
Dans ce projet de loi est prévu un engagement financier important et inédit pour les dix ans à venir : 377 milliards d’euros d’ici à 2020, dont 185 milliards d’euros seront affectés pour la période 2009-2014. Au total, ce seront 200 milliards d’euros qui seront consacrés aux crédits d’équipements.
Les réorganisations ont permis de générer les conditions de ressources exceptionnelles, grâce, notamment, aux cessions immobilières et à la vente des fréquences hertziennes.
D’ailleurs, pour ces dernières, même si l’encaissement du produit de la cession, évalué à 600 millions d’euros, est annoncé avec un an de retard – pour des raisons indépendantes du ministère de la défense, il faut le préciser – nous saluons l’annonce de l’avance de trésorerie pour combler ce manque à gagner pour l’exercice 2009.
Une politique de défense, c’est aussi une politique industrielle, comme M. le ministre l’a souligné. Notre défense repose tant sur de grandes industries que sur de petites et moyennes entreprises sous-traitantes qui connaissent de lourdes difficultés dues à la crise.
Ainsi, ce projet de loi bénéficiera du plan de relance de l’économie et verra son enveloppe financière majorée de 1 milliard d’euros : cela démontre la cohérence de la politique menée par le Gouvernement.
Monsieur le ministre, nous formulons bien sûr le vœu que, lorsque notre situation économique redeviendra favorable, la défense n’en pâtira pas et verra ses fonds garantis. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Piras. On peut rêver !
M. André Dulait. Nous le souhaitons ensemble !
Je terminerai mon propos sur la cohérence de ce texte avec nos engagements internationaux et européens.
La réintégration de la France dans les structures militaires de l’OTAN va nous permettre d’assurer des responsabilités à la mesure de nos engagements en moyens humains et financiers ( M. Bernard Piras fait un signe de dénégation) dans les opérations extérieures à travers le monde, sans pour autant remettre en question la politique européenne de défense de notre pays.
M. Didier Boulaud. Il n’en a pas !
M. André Dulait. En effet, quoi que vous puissiez en dire, mon cher collègue, relayer une « sempiternelle opposition » entre Europe de la défense et OTAN serait anachronique.
Aujourd’hui, vingt et un pays de l’Union européenne sont membres de l’OTAN. Les deux politiques sont intrinsèquement liées.
La loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 est adaptée aux évolutions, puisqu’elle prévoit une nouvelle augmentation de la part consacrée au financement des OPEX. En 2011, le coût de celles-ci s’élèvera à 630 millions d'euros.
De plus, ce réajustement est pris en compte par la loi de programmation militaire, qui met l’accent sur la coopération européenne en matière de défense et de sécurité, notamment par la réalisation d’objectifs concrets, afin que l’Union européenne devienne un acteur majeur dans la gestion des crises internationales. Le dispositif mis en place avec les Espagnols dans le golfe d’Aden pour lutter contre la piraterie constitue un très bon exemple.
En conclusion, la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 témoigne de la volonté du Président de la République de tenir ces engagements auprès de nos armées. Directement et logiquement inspirée du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, ladite loi s’inscrit dans un cadre équilibré entre RGPP, besoins de nos armées et protection de nos concitoyens.
Il s’agit de faire preuve de cohérence et d’honnêteté : cette loi de programmation militaire est l’aboutissement de restructurations parfois difficiles, mais génératrices de ressources exceptionnelles garantissant l’amélioration des conditions des armées. Nous devons leur restituer les économies réalisées – c’est l’enjeu de ce texte – et le faire rapidement, car la réalité d’un soldat sur le terrain ne saurait attendre la multiplication des navettes législatives.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Bernard Piras. Qui va croire cela ?
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je partage entièrement, sur un point, l’avis du rapporteur pour avis de la commission des lois : il est regrettable que le secret-défense n’ait pas fait l’objet d’un débat autonome. Il se trouve raccroché à un texte très important, la loi de programmation militaire, dont l’examen a pris du retard, pour des raisons sur lesquelles je ne reviendrai pas. Nous savons qu’il s’agit ici d’expédier la discussion de ce texte, tel qu’il nous parvient de l'Assemblée nationale, car le vote conforme est acquis avant même que les débats aient lieu.
J’ai donc le sentiment de procéder un peu comme dans un cours à Sciences-Po ou de débattre de façon académique des différentes composantes du secret-défense et de la meilleure des solutions. Quant à l’utilité de ce propos, elle est proche de zéro, puisque rien de ce que je dirai ne sera retenu.
La défense n’est pas une mince question. Comme l’a rappelé le rapporteur, elle pose en elle-même un difficile problème constitutionnel, puisqu’elle est à la croisée de deux impératifs qu’il convient de concilier : d’une part, la protection des intérêts fondamentaux de la nation, et au premier chef le secret militaire, que personne ne saurait remettre en question ; d’autre part, la possibilité pour la justice d’exercer sa mission constitutionnelle, notamment la poursuite des auteurs d’une infraction et la recherche des preuves. Si cette démarche judiciaire est entravée, voire paralysée, par l’existence de certains sanctuaires, que reste-t-il de cette mission constitutionnelle ?
L’impératif moral catégorique et international de lutter contre la corruption nous est constamment rappelé, y compris par les plus hautes autorités de l’État. À ce titre, nous ne pouvons admettre que des personnes se trouvent à l’abri de la justice au motif que leurs agissements délictueux seraient couverts par le secret de la défense nationale.
Le secret-défense a été conçu pour protéger les intérêts vitaux de la nation : il ne saurait être une protection que le pouvoir politique étendrait, pour des raisons multiples, à certains, de façon à arrêter net l’action de la justice.
La lutte contre la corruption est un impératif catégorique de notre temps, notamment – je le précise, s’il en était besoin, à l’attention des membres de la commission des affaires étrangères – dans le cadre international. Il s’agit d’un véritable fléau, dont les effets sont dévastateurs, notamment en Afrique.
Notre pays, si prompt aux déclarations fracassantes dans ce domaine, ne fait pas bonne figure dans le classement international établi chaque année par l’organisation Transparency International. Ainsi, en 2007, il se situait à la dix-huitième place, loin derrière les démocraties du nord de l’Europe, entre le Japon et les États-Unis, ce qui constituait une petite consolation… En 2008, nous avons rétrogradé à la vingt-troisième place, tandis que les États-Unis et le Japon nous distançaient.
Point n’est besoin de rappeler que la France est l’un des premiers pays producteurs d’armements et de haute-technologie militaire dans le monde. C’est très bien ainsi ! Toutefois, c’est dans ce domaine, et surtout dans les affaires internationales, que s’exerce traditionnellement la corruption la plus grande. Il peut arriver – pas toujours et pas facilement ! – que la justice soit saisie de pratiques délictueuses. Mais comment poursuivre les auteurs d’infractions – que la corruption soit active ou passive, peu importe –, y compris s’agissant du versement de commissions occultes, si la justice se voit opposer le secret ?
Je serai clair : oui au secret-défense, non au secret des affaires ! On ne peut pas, au nom de la protection de la haute technologie militaire, considérer que telle société, domiciliée dans un paradis fiscal, par exemple du côté des îles Caïman, pourrait bénéficier, de quelque façon que ce soit, pour des commissions qu’elle aurait perçues, du secret-défense.
C’est autour de cet impératif qu’il faut circonscrire le débat. Or j’ai entendu le satisfecit du rapporteur, ce que je conçois : dans le cas contraire, il lui faudrait accepter des amendements ; or l’injonction du vote conforme est telle qu’il ne saurait en être question.
À l’évidence, des progrès ont été accomplis ; je pense, en particulier, à la création de la Commission consultative du secret de la défense nationale en 1998. Grâce à la résistance très ferme du président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, quelques légers aménagements ont été apportés au secret-défense.
Le texte qui nous est soumis aurait pour objet, nous dit-on, de répondre aux préoccupations du Conseil d’État. Certes, le dispositif prévu assure la protection des magistrats lors des opérations de perquisition, afin d’éviter que ceux-ci ne tombent sous le coup des dispositions du code pénal. C’est bien le moins ! Mais j’ai lu attentivement l’avis du Conseil d’État : nulle part il n’est suggéré de créer des lieux protégés. C’est une innovation du projet de loi : sont concernés non plus des documents ou des données, mais des lieux ! Je n’entrerai pas dans le détail, car nous aurons l’occasion d’y revenir. Je laisserai de côté la question des lieux ouverts : si le magistrat trouve un document classifié, il doit le placer sous scellés sans en prendre connaissance et l’adresser au président de la Commission consultative du secret de la défense nationale ; cela va de soi ! La véritable innovation, c’est la création, d’une part, de lieux considérés comme « abritant » des secrets de la défense nationale et, d’autre part, de lieux classifiés en eux-mêmes.
Pourquoi aboutissons-nous à un tel paradoxe ? Parce que, pour surmonter cette opposition entre le magistrat qui souhaite saisir les documents et l’autorité qui lui oppose le secret, il faudrait qu’existe, comme dans tout conflit, une autorité tierce pour trancher. Nous ne sommes pas capables, semble-t-il, d’aller si loin, et cette critique ne vaut pas que pour ce gouvernement. Si nous étions dans un véritable État de droit comme celui auquel nous aspirons, une telle autorité serait mise en place : ce pourrait être, d’ailleurs, la Commission consultative du secret de la défense nationale elle-même, telle qu’elle est composée, à condition que le Parlement intervienne, au cours de l’examen de la loi organique, dans la désignation de ses membres. De deux choses l’une : ou bien nous avons confiance en cette instance ou bien nous n’avons pas confiance ! Pourquoi ne pas lui faire confiance dans certains cas ?
Qui décidera que le secret-défense s’applique ? Ce ne sera pas la commission consultative, qui se contentera d’émettre un avis. On nous dit que celui-ci sera volontiers suivi. Certes, mais la décision reviendra in fine à l’autorité administrative, en particulier au ministre.
Non seulement la liste des lieux abritant des secrets de la défense nationale ne sera pas publiée, mais la commission consultative ne sera pas consultée auparavant. La liste sera établie par arrêté du Premier ministre et c’est seulement après, au coup par coup, dans le cadre du processus de déclassification de tel ou tel document, que l’avis de la commission sera demandé.
Les lieux classifiés seront, quant à eux, « top secret », selon l’anglomanie sévissante. On me rétorquera que leur nombre serait peu important : j’ai entendu là trente, j’ai lu ici dix-sept, peut-être moins. Les magistrats qui seront convaincus que ces lieux renferment des éléments de preuve leur permettant de confondre les bénéficiaires ou les auteurs actifs d’une corruption de grande échelle ne pourront y accéder. Qui décidera de la déclassification de ces lieux ? Une autorité administrative indépendante ?... On aurait pu songer à créer, pour des cas légitimes, une autorité ad hoc, une sorte de voie de recours composée des trois plus hauts magistrats de France. On peut tout imaginer. Mais l’on s’en garde ! En définitive, c’est le pouvoir exécutif qui décidera seul d’ouvrir ou de ne pas ouvrir ces lieux classifiés, qui seront considérés comme sanctuarisés.
La situation est donc la suivante : aucun amendement ne sera adopté et des sanctuaires seront créés, en dépit des propos fermes qu’a tenus le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, dont je comprends l’indignation. Ses observations reflètent tout à fait ma position : « Je souligne évidemment l’immense danger qu’il y aurait à définir sur notre territoire des lieux où les magistrats ne pourraient plus se rendre. » Or, dans la mesure où les magistrats devront recueillir l’autorisation de l’autorité administrative, ils ne pourront se rendre dans ces lieux. C’est faire échec à l’État de droit !
Pour ma part, je considère que nous jouons – j’utilise à dessein le pluriel – depuis trop longtemps à ce petit jeu qui consiste à fabriquer des garanties en trompe-l’œil. À scruter attentivement celles-ci, on constate qu’en définitive, lorsque la raison d’État le commande, l’État de droit cesse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)