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Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense
Discussion générale (suite)

Programmation militaire pour les années 2009 à 2014

Discussion d'un projet de loi

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense (projet n° 462, texte de la commission n° 514, rapport n° 513).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au lendemain de notre fête nationale, alors que nous venons de célébrer le lien qui unit la nation et ses armées, le présent projet de loi de programmation militaire témoigne de la priorité que le Gouvernement et le Président de la République accordent à la défense.

Vous le savez, voilà deux ans, nous avons lancé le mouvement de transformation le plus important que la défense ait connu depuis la professionnalisation des armées : nouvelle gouvernance, carte militaire, rationalisation de l’administration et du soutien, création de bases de défense afin d’avoir un meilleur ratio entre fonctionnement et investissement, développement durable – j’y reviendrai , mais je précise d’emblée que 100 millions d’euros sont prévus pour lancer une filière de déconstruction du matériel militaire –, soutien aux exportations, modification des procédures – il faut aujourd’hui moins de 40 jours pour obtenir un agrément, contre 80 en 2007 –, politique intégrant le mouvement de notre société, avec un plan d’égalité des chances qui permet à 450 jeunes issus de milieux défavorisés de bénéficier des infrastructures des lycées de la défense, ou encore un plan en faveur du handicap ; je signale à cet égard que le ministère de la défense, qui employait moins de 5 % de personnes handicapées, en compte aujourd’hui plus de 6 % et que nous atteindrons une proportion de 7 % à la fin de l’année prochaine.

M. Nicolas About. Très bien !

M. Hervé Morin, ministre. Depuis deux ans, nous adaptons notre stratégie, notre fonctionnement, notre organisation aux réalités du monde. Le projet de loi de programmation militaire est la clef de voûte de ce changement.

Avant de vous la présenter en détail, je souhaite remercier particulièrement le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Josselin de Rohan, également rapporteur du projet de loi, les membres de la commission, ainsi que les rapporteurs pour avis de la commission des finances et de la commission des lois, de leur implication et de l’esprit constructif avec lequel ils ont préparé les débats.

Ce texte est particulièrement ambitieux. C’est la première étape d’un effort de 377 milliards d’euros pour la défense d’ici à 2020. Sur la période 2009-2014, 186 milliards d’euros seront affectés à la mission « Défense », dont 102 milliards pour l’équipement des forces. En 2009, ce sont 18 milliards d’euros qui seront consacrés à ce secteur, contre 15 milliards d’euros en 2007.

Ce texte est équilibré, notamment pour ce qui concerne la protection du secret de la défense nationale. Sur ce point, le travail et les débats menés avec les parlementaires ont permis d’élaborer un texte qui, tout en renforçant le rôle de la Commission consultative du secret de la défense nationale, la CCSDN, et de son président, respecte les prérogatives de l’autorité judiciaire et la sécurité juridique des investigations menées par les magistrats.

Enfin, ce texte est cohérent en ce qu’il traduit notre nouvelle vision globale de la défense, issue du Libre blanc.

Ce Libre blanc constitue notre feuille de route.

La dissuasion reste « l’assurance vie » de la nation : nous poursuivons sa modernisation et nous la renforçons avec le développement d’un programme d’alerte avancée, qui sera pleinement opérationnel en 2020.

Face aux nouvelles menaces comme le terrorisme, la prolifération ou les cyber-attaques, le renseignement est notre première protection. Nous allons donc développer la nouvelle fonction stratégique « connaissance-anticipation » avec, notamment, la création de 700 postes dans les services de renseignement, la mise en œuvre du programme MUSIS, qui remplacera le programme HELIOS, ou le lancement du satellite d’écoute électromagnétique CERES, ainsi que le développement du drone MALE, moyenne altitude longue endurance.

Le Livre blanc identifie par ailleurs un nouvel arc de crise, allant de l’océan Atlantique à l’océan Indien, pour lequel nous allons renforcer nos capacités d’intervention.

Nous avons commandé 60 exemplaires du Rafale dans sa version F3, et l’admission au service actif de deux frégates Horizon en 2009 et 2010 et des frégates multi-missions, les FREMM, à partir du 2012 nous permettra de disposer, à terme, d’un parc de 18 frégates de premier rang.

Nos capacités de projection seront également renforcées avec l’entrée en service, à partir de 2017, du Barracuda, équipé du missile de croisière naval. Dans le domaine aéroterrestre, 24 Cougar et 23 hélicoptères NH 90 en version terrestre seront livrés entre 2011 et 2014. Enfin, vous avez vu défiler hier les premiers véhicules blindés de combat d’infanterie, les VBCI : nos troupes en recevront plus de 550 au cours de la même période.

Clé de notre efficacité opérationnelle et du moral de nos armées, le maintien en condition opérationnelle, ou MCO, nécessite un effort financier soutenu et régulier.

La loi de finances initiale augmente la ressource consacrée à l’entretien programmé des matériels de 8 % par rapport à 2008, la portant de 2,7 milliards d’euros à 2,9 milliards d’euros, hors dissuasion. Pendant la durée de la loi de programmation militaire, la dotation se stabilisera en volume autour de 3 milliards d’euros, alors même que le format de nos armées se réduira : plus d’argent avec un format moins important, cela signifie plus pour chaque unité.

Nos matériels sont très sollicités, certains vieillissent, devenant de plus en plus difficiles à entretenir, tandis que les plus récents sont nettement plus coûteux : par exemple, l’heure de vol du Tigre est dix fois plus chère que celle de la Gazelle.

Mais la problématique du maintien en condition opérationnelle, ce n’est pas seulement une question d’argent. La preuve en est que nous avons ajouté en volume cumulé, dans la précédente loi de programmation militaire, plus de 1,5 milliard d’euros pour le financement du MCO, mais que la disponibilité n’est pas encore satisfaisante. Il reste que la situation, qui était dramatique en 2002, s’est tout de même arrangée.

Améliorer la disponibilité des matériels, cela passe aussi par une réforme d’organisation et de structure du maintien en condition opérationnelle, qui implique : la montée en puissance du service industriel de l’aéronautique, créé au début de 2008 ; une nouvelle politique d’emploi et de gestion des parcs au sein de l’armée de terre ; la création, au début de 2010, d’un service de soutien responsable de la coordination du MCO pour l’ensemble du matériel terrestre des armées et services ; l’extension des nouveaux modes de contractualisation avec les industriels de défense ; enfin, le développement du contrôle de gestion sur toute la filière.

Cette question du maintien en condition opérationnelle est d’une importance capitale pour l’avenir de nos forces armées.

Enfin, le Livre blanc rappelle que, pour répondre aux nouveaux défis, nos armées sont amenées à intervenir le plus souvent en coalition, ce qui impose de renforcer notre interopérabilité avec nos alliés au sein de l’Alliance atlantique ou avec nos partenaires européens ; nous avons déjà eu ce débat. De manière complémentaire à notre engagement au sein de l’OTAN, la construction de l’Europe de la défense doit nous permettre de mener, dans les mois et les années qui viennent, des opérations militaires autonomes, d’envergure significative.

Mesdames, messieurs les sénateurs, de ces nouvelles priorités découle une nouvelle organisation du ministère.

La gouvernance du ministère a été profondément renouvelée. Un nouveau décret d’organisation, se substituant aux décrets de 2005, a été adopté lundi dernier en conseil des ministres. Il permettra un fonctionnement plus intégré en consolidant, sous l’autorité du ministre, les responsabilités du chef d’état-major des armées vis-à-vis des trois armées. Désormais, le chef d’état-major des armées aura l’entière responsabilité de la planification, de la programmation et de la budgétisation.

Le Sénat voudra bien me pardonner ce recours à la langue anglaise : la présente loi de programmation militaire est la première à ne pas être bottom up, c'est-à-dire résultant de l’addition de toutes les demandes exprimées par les états-majors, mais au contraire top down, c'est-à-dire définie en fonction de nos besoins en termes de capacités militaires, avec une déclinaison armée par armée.

Symbole de cette nouvelle gouvernance, les états-majors et les directions d’administration centrale seront regroupés en 2014 sur un site unique, à Balard.

De plus, les soutiens et l’administration générale sont en cours de rationalisation. Dans ce but, nous avons lancé trente-huit chantiers, comme la réforme des achats – bien que nous ayons plusieurs centaines d’acheteurs, elle devrait nous permettre d’économiser de 50 millions à 100 millions d’euros par an –, la modernisation des structures de paye des personnels, l’externalisation mesurée d’un certain nombre de fonctions de soutien, la simplification et la réduction des échelons intermédiaires, la création d’une agence interarmées de reconversion du personnel ou encore la réunification des centres de recrutement, qui est déjà effectuée.

Parallèlement, nous avons lancé un nouveau chantier majeur avec la réforme des systèmes d’information et le regroupement, sous une autorité unique, de l’ensemble du budget de la fonction informatique. Voilà quelque chose dont on ne se préoccupe jamais ; pourtant, le ministère de la défense consacre 1,3 milliard d’euros à l’ensemble des systèmes d’information et de communication ! Nous avons donc décidé de regrouper les systèmes sous une seule direction, avec un seul ordonnateur, et nous espérons, à terme, être en mesure de réaliser jusqu’à 300 millions d’euros d’économies.

La nouvelle carte militaire qui a été présentée l’été dernier, fruit d’une formidable concertation à laquelle je tiens à rendre hommage, est la conséquence de cette nouvelle organisation, de cette mise en commun de l’ensemble des fonctions d’administration et de soutien.

Les 11 bases de défense expérimentales créées au début de 2009 regroupent au total 50 000 personnes, dont le soutien est assuré aujourd’hui par 6 000 civils et militaires. Quelques mois d’expérimentation et de tâtonnement confirment que les gains issus de la mutualisation du soutien sont potentiellement très importants. Nous pensons que, pour être le plus efficaces possible, nous devrons faire passer le nombre des bases de défense de 90 à 60 ou 70.

Depuis un an, les mentalités ont profondément évolué, ce qui nous permet d’accélérer le calendrier de mise en œuvre d’un certain nombre de chantiers : la fusion des commissariats d’armées sera finalement réalisée au début de 2010, et la généralisation des bases de défense aura lieu en 2011.

Cet immense mouvement, j’en suis conscient, représente un effort extrêmement important pour la défense et pour les hommes et les femmes qui la servent. Il est donc assorti d’un plan massif d’accompagnement de 140 millions d’euros par an. Je vous rappelle que nous avons quatre fois plus de demandes de pécule de départ que nous ne pouvons en satisfaire. C’est bien la preuve que ce plan fonctionne.

M. Didier Boulaud. C’est plutôt inquiétant !

M. Hervé Morin, ministre. Aujourd’hui, 96 % des personnels concernés par les restructurations de 2010 ont trouvé une nouvelle affectation. Pour la seule fonction publique, nous avions prévu 1 100 reclassements, nous en sommes à plus de 1 350.

Vous le savez, tous les systèmes d’armes que nous développons ne vaudront, selon la formule consacrée, que par le « système d’hommes » qui les sert. Nous avons donc revalorisé la fonction militaire à travers la réévaluation des grilles indiciaires, qui permettra, à partir des conclusions du rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire de 2007, de consacrer plus de 300 millions d’euros à la promotion interne et à l’amélioration des soldes indiciaires.

Parallèlement, nous avons consolidé la place des civils dans notre outil de défense : ainsi, un nombre significatif d’entre eux pourront diriger un groupement de soutien des bases de défense.

Enfin, nous avons fait un effort important pour le logement, notamment en renégociant notre contrat avec la Société nationale immobilière, la SNI. Nous avons ainsi récupéré 240 millions d’euros, que nous avons réinvestis dans un vaste programme de logement : entre 2009 et 2011, nous pourrons offrir aux militaires 7 000 logements supplémentaires, surtout dans le sud de la France et en région parisienne, où la pression immobilière est forte.

Enfin, j’ai voulu une défense pleinement intégrée à la vie de la cité.

S’agissant de la vie économique, je n’évoquerai pas le plan de relance, puisque nous avons déjà eu l’occasion d’en parler. Permettez-moi de vous signaler simplement que, sur les 1,7 milliard d’euros du plan de relance au titre de la défense, nous avons à ce jour engagé 1,3 milliard d’euros et que certaines entreprises ont d’ores et déjà été payées. Par exemple, STX Saint-Nazaire a reçu ses premiers paiements, de l’ordre de 60 millions d’euros, sur le troisième BPC, bâtiment de protection et de commandement. Grâce à cette seule mesure, 25 % du plan de charge des chantiers de Saint-Nazaire ont été assurés.

Nous avons aussi fait un effort pour développer le commerce extérieur. Je vous rappelle que, au titre de la défense, les chiffres du commerce extérieur pour 2008 sont les meilleurs depuis 2000 : 6,4 milliards d’euros à l’exportation, contre 5,7 milliards d’euros en 2007. L’objectif de 6 milliards d’euros a été dépassé, et j’espère que nous ferons encore mieux en 2009.

Je l’ai dit, j’ai lancé une vaste réforme du contrôle et du soutien en matière d’exportations : alors qu’il fallait en moyenne 80 jours pour traiter un dossier d’exportation, il en faut désormais moins de 40 ; nous avions 30 % de dossiers ajournés, nous n’en avons plus que 7 % ; enfin, nous avons lancé les procédures globales d’autorisation.

Par ailleurs, nous venons de publier le décret qui adopte la liste militaire de l’Union européenne. Ainsi, nos entreprises sont à égalité avec leurs concurrentes européennes. Cela faisait vingt ans que nous devions adapter les listes d’équipements soumis à autorisation d’exportation en vertu des directives européennes. C’est désormais chose faite.

Nous avons en outre lancé un plan ambitieux en faveur des petites et moyennes entreprises, qui sont le substrat de l’industrie de défense ; elles recèlent, vous le savez, des trésors de technologie et d’inventivité. La délégation générale pour l’armement, la DGA, a créé un service particulier pour les PME. Cette mesure, qui peut paraître anodine, est pourtant très importante dans un monde confus où règnent les grands donneurs d’ordre : les PME pourront désormais s’adresser à la DGA grâce à un guichet unique.

Nous avons fait en sorte que les PME puissent bénéficier de programmes d’étude amont et de crédits de recherche et développement, et j’ai inséré une clause favorisant la sous-traitance aux PME dans les cahiers des charges des marchés publics d’armement.

De plus, voilà deux mois, j’ai lancé en Aquitaine un régime d’appui aux PME pour l’innovation duale, doté de 10 millions d’euros. Certains programmes de recherche de nos petites entreprises civiles peuvent en effet intéresser l’industrie de défense et entrer dans nos armements futurs.

J’ai enfin voulu que la défense ne soit pas éloignée des préoccupations de nos compatriotes.

Je citerai le plan handicap du ministère : à mon arrivée, nous étions à moins de 5 % pour le taux d’emploi des travailleurs handicapés, et nous sommes aujourd’hui à 6 %. Nous avons recruté 250 personnes handicapées en 2009 ; nous en recruterons 340 entre 2010 et 2011.

Cette ouverture sur la société se traduit également par un plan pour l’égalité des chances. Désormais, 170 jeunes issus de familles de condition modeste sont scolarisés dans les collèges et lycées de la défense, bénéficiant ainsi d’un niveau d’encadrement que l’on ne retrouve malheureusement pas toujours dans les établissements qu’ils devraient théoriquement fréquenter. Ils seront 380 à la rentrée prochaine et 450 en 2010.

Dans le cadre de ce dispositif, nous avons ouvert des « classes tampons » pour les jeunes attirés par les grandes écoles militaires. Après leur baccalauréat, ils pourront acquérir les connaissances, les codes et la culture qui leur permettront d’être, dans les classes préparatoires, au moment du concours, à armes égales avec les jeunes de milieux plus favorisés.

Ainsi, nos armées seront à l’image de la République. Elles l’étaient pour les militaires du rang et les sous-officiers, elles le seront désormais aussi chez les officiers.

Par ailleurs, je serai heureux, à la rentrée prochaine, de rouvrir l’école des Mousses, fermée voilà quelques années ; elle pourra accueillir 150 jeunes.

En outre, le ministère de la défense s’est engagé dans un plan de développement durable.

Je ne citerai pas l’ensemble du dispositif adopté, qui comprend notamment un bilan carbone et quatre unités menant une action de développement durable totale – une unité de l’armée de l’air, une unité de l’armée de terre et une unité de la marine ainsi qu’une école. Par exemple, nous inaugurerons dans quelques semaines un vaste investissement en panneaux solaires sur la base d’Istres. Nous participons ainsi au développement de la filière éco-industrielle.

Comme le demandaient nombre de parlementaires, j’ai inscrit dans la loi de programmation militaire 100 millions d’euros dédiés au lancement d’une filière de démantèlement et de déconstruction des équipements militaires réformés. Et si des crédits complémentaires s’avéraient nécessaires, ce secteur pourrait être rattaché au grand emprunt national.

Je souhaite également créer un grand pôle universitaire et scientifique pour donner à la recherche française sur les questions de défense une qualité et une visibilité qui soient à la hauteur de la réputation de nos armées. C’est aussi cela, faire entendre la voix de la France dans les choix internationaux.

M. Hervé Morin, ministre. Enfin, il nous revenait de faire preuve de responsabilité.

Après les députés qui l’ont adopté le mois dernier, il vous appartiendra – j’espère à la rentrée prochaine – d’examiner le projet de loi visant à indemniser les victimes des essais nucléaires français.

Ce texte permettra à la France d’être en paix avec elle-même, et d’être au diapason de ce qu’ont déjà fait la Grande-Bretagne et les États-Unis.

Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, j’espère que nous trouverons une fenêtre parlementaire pour aborder cette question car ce texte est attendu par de nombreuses personnes depuis des années.

Vous le voyez, cette loi de programmation militaire s’inscrit dans un vaste mouvement de réforme. Cependant, les fondements de la culture de défense demeurent intangibles : le dévouement, le courage et le sens de l’action collective. Comme vous le savez, notre outil de défense ne serait rien sans la qualité des femmes et des hommes, civils comme militaires, qui le servent quotidiennement. Nous leur avons rendu hommage hier,…

M. Alain Gournac. C’était magnifique !

M. Hervé Morin, ministre. … je veux ici, en votre nom, leur exprimer notre gratitude.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Hervé Morin, ministre. Par leur amour de la France et leur professionnalisme, ils montrent aux Français combien ils peuvent être fiers de leur défense et compter sur leurs armées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette vaste réforme de la défense, c’est un projet qui engage notre responsabilité envers les générations futures : la défense est gardienne de notre héritage et porteuse de nos valeurs. C’est grâce elle que nous construisons l’avenir de notre pays pour qu’il conserve toute sa place parmi les grandes nations et participe aux grands équilibres du monde. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le vote d’une nouvelle loi de programmation militaire marque toujours, pour notre politique de défense, une étape majeure. Il s’agit tout autant d’inscrire cette politique dans une indispensable vision à moyen terme que de chercher à assurer la cohérence entre les objectifs et les moyens humains et financiers, même si ces derniers relèvent en dernier ressort des lois de finances annuelles.

Le texte que nous examinons aujourd’hui répond bien à cette exigence, mais il est d’autant plus important à mes yeux que la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 ne sera pas une simple continuation de la loi précédente.

En effet, ce projet de loi fait suite à la réflexion large et extrêmement approfondie menée durant plusieurs mois, dans un cadre allant pour la première fois très au-delà des seules responsabilités de la défense, et dont a découlé le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

À travers ce Livre blanc et les programmations successives qui devront le mettre en œuvre, nous poursuivons au moins trois ambitions.

La première consiste à adapter notre outil de défense aux évolutions rapides du contexte stratégique. Même si notre programmation n’a jamais été figée et si des ajustements ont constamment été opérés dans les dix ou douze dernières années au « modèle d’armée », il est évident que le cadrage stratégique de notre politique méritait d’être entièrement réactualisé.

Depuis le précédent Livre blanc, la réalité du monde multipolaire s’est affirmée, avec les nouveaux rapports entre États qu’elle implique, mais également les tensions et les crises qu’elle sous-tend.

Il importait de tirer tous les enseignements de nos engagements militaires soutenus dans des opérations de nature très diverses, y compris dans des régions du monde qui n’entraient pas dans notre champ d’intervention traditionnel mais apparaissent aujourd’hui essentielles pour notre sécurité.

Le projet de loi traduit aussi la nécessité de mieux prendre en compte les vulnérabilités nouvelles susceptibles d’affecter directement le territoire et les populations, en dehors de tout affrontement militaire classique. C’est pour cela qu’il met en œuvre une vision plus globale, alliant défense et sécurité et prenant en compte tous les phénomènes, risques et menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation, quelle que soit leur nature, militaire ou non militaire, quelle que soit leur origine, intérieure ou extérieure.

Enfin, il était également important de tenir compte du chemin parcouru et des perspectives en matière de défense européenne. C’est ce qui a été fait à la lumière du développement continu des opérations de l’Union européenne, des résultats significatifs obtenus lors de la présidence française et de la réflexion qui a été menée jusqu’au mois de mars sur la nécessaire articulation entre notre ambition européenne et notre position dans l’Alliance atlantique, à laquelle appartiennent aussi vingt de nos partenaires de l’Union européenne. La consolidation des acquis et la préparation de nouveaux progrès sont à la base de la démarche pragmatique et réaliste, mais également résolue, qui inspire la politique française en matière de défense européenne.

La deuxième ambition de ce projet de loi est de permettre à la France de continuer à assumer les responsabilités particulières qui sont les siennes en matière de sécurité internationale.

Ces responsabilités entraînent des exigences lourdes : intervenir, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, dans le règlement de crises hors d’Europe, notamment en Afrique et en Asie ; être capable de manifester la solidarité que nous devons à nos alliés de l’Union européenne et de l’Alliance atlantique.

En programmant une accentuation de l’effort de défense au cours des prochaines années, le projet de loi traduit un choix clair et courageux : celui de faire face aux charges qu’implique le maintien de la France parmi les nations dotées d’une réelle capacité d’action militaire sur le plan international.

Enfin, c’est la troisième ambition, le projet de loi entend poursuivre la modernisation de notre outil de défense dans un cadre financièrement soutenable.

À ce sujet, je voudrais le souligner, la loi de programmation qui s’est achevée il y a six mois aura été avant tout une loi de redressement.

Les chiffres sont clairs. Les crédits prévus ont été effectivement mis en place et consommés à près de 98 %. Sur les quatre derniers exercices, nous avons consacré 15,5 milliards d’euros par an aux dépenses d’équipement, soit 30 % de plus qu’au cours de la période 1998-2001.

Parallèlement, la professionnalisation a été consolidée et la capacité opérationnelle des armées a été attestée sur tous les théâtres d’opérations où elles ont été engagées.

Pour autant, nous devons le constater, cette loi de programmation 2003-2008 n’a pas permis de revenir vers l’objectif de réalisation du modèle, dont nous avions sévèrement décroché, et, en dépit d’un effort financier très important, l’écart a continué de se creuser entre ces objectifs et l’avancement des programmes d’équipement.

Nous connaissons les principales causes de cette situation : un surcoût important sur l’entretien des matériels et sur plusieurs programmes, dont certains avaient été sous-évalués ; des difficultés industrielles sur d’autres.

Le glissement des programmes et la réévaluation des coûts d’acquisition et d’entretien rendaient inévitable une remise à plat. C’est l’exercice qui a été mené avec le Livre blanc, en vue de réévaluer nos besoins au regard de l’environnement de sécurité et des hypothèses financières, et en veillant à préserver la cohérence d’ensemble de notre outil de défense.

J’en viens maintenant plus précisément à quelques observations sur le projet de loi.

Signalons tout d’abord que cette loi de programmation s’inscrira dans un cadre plus souple que par le passé, de manière à mieux ajuster les besoins à un environnement réellement très évolutif. L’horizon 2020 fixé par le Livre blanc n’est pas assorti d’un nouveau modèle, qui pourrait se révéler excessivement figé, il est assorti de grands objectifs opérationnels et de capacités susceptibles d’être régulièrement réactualisés. La loi de programmation couvrira six années, mais sera révisée au bout de quatre ans, et entre-temps, en 2010, un point d’étape sera effectué lors de la préparation de la prochaine loi triennale de programmation des finances publiques.

Deuxièmement, le projet de loi de programmation marque très clairement la volonté d’accroître les ressources allouées à la défense.

Il programme une augmentation du budget de la mission « Défense », auquel s’ajoutent en outre les crédits du plan de relance et les recettes exceptionnelles provenant de cessions immobilières et de ventes de fréquences. Au total, c’est une annuité moyenne de 31 milliards d’euros, hors pensions, qui est prévue sur les prochaines années, soit 4,5 % de plus que l’annuité 2008.

Ce projet traduit donc incontestablement la priorité politique et budgétaire accordée à la défense, alors que la règle générale applicable aux autres politiques publiques est celle de la croissance zéro. C’est un point essentiel et extrêmement positif aux yeux de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Une troisième caractéristique du projet de loi réside dans le profond redéploiement de crédits qui s’opérera au sein de cette enveloppe en progression.

Le ministère de la défense n’a cessé de se réformer depuis la professionnalisation, mais cet effort doit être et sera poursuivi en portant prioritairement sur les structures d’administration générale et de soutien. L’objectif retenu est de concentrer sur ces dernières 75 % des réductions d’effectifs. Au cours de la période de programmation, la part des dépenses de personnel et de fonctionnement devrait passer de 50 à 43 % des ressources hors pensions, la part du budget d’équipement augmentant en conséquence.

Les crédits d’équipement représenteront en moyenne 17 milliards d’euros par an, soit 10 % de plus que le niveau atteint en 2008.

Les gains réalisés en la matière permettront aussi de poursuivre l’amélioration de la condition des personnels, tant militaires que civils, grâce à de nouvelles grilles indiciaires et à des mesures indemnitaires.

Parallèlement, le provisionnement des opérations extérieures, les OPEX, sera porté à 630 millions d’euros en 2011, avec appel à la réserve interministérielle pour financer le complément éventuel. N’oublions pas qu’en 2001 le financement des OPEX en loi de finances initiale n’était que de 24 millions d’euros.

Enfin, il me paraît également important de le souligner, avec cette programmation, de nouveaux équilibres vont s’établir au sein de notre outil de défense.

Les choix effectués permettent à la France de conserver l’éventail de capacités qui en font un acteur militaire majeur, en accord avec ses responsabilités internationales, même si ce sera dans le cadre d’un format resserré et concentré.

Avec le maintien des moyens de la dissuasion et l’accentuation des capacités liées à la fonction « connaissance et anticipation », notamment grâce à la progression du budget spatial militaire qui passera de 500 millions à 800 millions d’euros, ce projet de loi montre que la France entend conserver, et même accentuer, les moyens de son autonomie stratégique, renforçant de ce point de vue sa spécificité en Europe.

C’est sur les moyens d’intervention que les incidences de la contraction du format sont les plus sensibles, particulièrement sur les moyens liés au combat terrestre de haute intensité – artillerie, hélicoptères de combat, blindés lourds – et sur la flotte de surface, avec la diminution du nombre de frégates et le report à 2011-2012 de la décision sur un éventuel second porte-avions, dont le lancement aurait fortement déséquilibré la loi de programmation.

Soulignons toutefois que les matériels de nouvelle génération attendus dans les forces disposeront de capacités opérationnelles considérablement renforcées par rapport à leurs prédécesseurs. Il faut insister sur l’effort très important prévu par le projet de loi sur des programmes sans doute moins emblématiques que ceux qui concernent les grands équipements, mais néanmoins très importants en termes de capacités militaires. Je pense aux nouveaux capteurs optiques ou radars, aux moyens de communication et de transmission de données ainsi qu’aux armements de précision qui doteront les avions de combat, les systèmes terrestres ou les bâtiments de la marine.

En dehors des programmes d’armement, il faut également le noter, les dotations pour l’entretien des matériels, déjà très fortement réévaluées au cours de la précédente loi de programmation, seront majorées.

S’agissant des moyens consacrés à la recherche, ils seront consolidés plus que véritablement augmentés. On peut certes saluer le chemin parcouru depuis le début de la précédente loi de programmation, mais des interrogations subsistent sur le niveau de notre effort de recherche, dans un environnement très concurrentiel où le maintien à moyen terme de notre compétitivité technologique n’est pas garanti. Ce doit être à mes yeux une incitation supplémentaire au développement d’une véritable mutualisation de la recherche européenne, que ce soit dans le cadre de l’Agence européenne de défense ou de projets bilatéraux ou multilatéraux.

Le cadre général de notre politique de défense pour les prochaines années, tel qu’il résulte de ce projet de loi, a recueilli l’approbation de la commission dans sa majorité. Il me paraît néanmoins important d’évoquer un certain nombre de défis auxquels sera confrontée la mise en œuvre de cette loi, et sur lesquels il faudra exercer une vigilance particulière.

Le premier défi est celui de la dégradation du contexte économique et financier et du risque qu’elle fait peser sur l’augmentation programmée des ressources allouées à la défense.

Sur ce point, il faut constater que dans l’immédiat, face à la crise, le Gouvernement a choisi d’accélérer, et non de freiner, la réalisation de la programmation. Les crédits prévus pour 2009 et 2010 ont été majorés par le plan de relance, et les informations dont nous disposons – vous les avez rappelées, monsieur le ministre – montrent qu’aujourd’hui tout est fait pour qu’ils soient effectivement consommés et participent ainsi au soutien d’un secteur très important pour notre économie tout en accélérant un certain nombre de livraisons très utiles pour nos armées.

Nous souhaitons que l’attention particulière portée à la défense soit maintenue lorsque les conditions économiques auront changé, autrement dit que le remboursement des avances obtenues dans le plan de relance s’effectue selon le calendrier prévu, c’est-à-dire de manière échelonnée.

Le deuxième défi est celui des recettes exceptionnelles sur lesquelles repose en partie la majoration de l’effort d’équipement.