M. Jean Desessard. Ça m’étonnerait !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le dernier exemple est la proposition de loi facilitant l’égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller général, qui a été adoptée moins d’un mois avant les élections cantonales ; je ne suis pas sûr que vous vous y soyez opposé…
M. Bernard Frimat. Nous avons introduit un recours !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui, et vous avez perdu !
Cet argument n’a donc pas de valeur constitutionnelle. En fait, il s’agit simplement d’une tradition.
Vous soutenez par ailleurs, monsieur Desessard, qu’il faut soumettre une telle proposition à l’Assemblée de Corse, et c’est tout à fait exact. En l’occurrence, elle s’est autosaisie, mais j’aurais préféré qu’on lui soumette effectivement une proposition. En tout état de cause, quel que soit l’avis rendu par l’Assemblée de Corse, le Parlement reste ensuite maître de sa décision, et il serait curieux qu’il en aille autrement.
Dans le cas d’espèce, l’Assemblée de Corse a été consultée – car on ne va évidemment pas la consulter à l’issue de chaque lecture dans chaque chambre ! – et elle a rendu un avis qui, sauf erreur de ma part, va dans le sens d’une prime de neuf sièges. Maintenant, le Parlement vote la loi !
La commission est également défavorable à l’amendement no 2 parce qu’elle considère qu’une prime de neuf sièges est de nature à contribuer à la stabilité de l’Assemblée de Corse.
M. Jean Desessard. Vous aviez opté pour six sièges en première lecture !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Desessard, la commission des lois n’est pas dogmatique. Elle écoute les uns et les autres. Fort heureusement, les débats successifs sont sources de progrès. La position de la majorité de l’Assemblée de Corse nous a éclairés. Il ne nous paraît pas opportun, aujourd’hui, de revenir sur la décision de l’Assemblée nationale. Une prime de neuf sièges semble constituer un bon équilibre.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le Gouvernement est également défavorable à ces deux amendements, pour des identiques à celles que vient d’exposer M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.
M. Nicolas Alfonsi. Mes chers collègues, je crois nécessaire de tordre définitivement le cou à quelques idées perverses.
On prétend que le pluralisme ne serait pas respecté. Cette idée a déjà été exprimée voilà une vingtaine d’années, lorsqu’il s’agissait de faciliter l’émergence des nationalistes. Aujourd’hui, ils sont à 20 %. Il serait humiliant pour eux qu’on imagine un seul instant qu’ils puissent passer en dessous de ce seuil !
On a aussi évoqué la stabilité institutionnelle au sein de l’Assemblée de Corse. Je représente une sensibilité qui est dans l’opposition et qui fait régulièrement des efforts sur elle-même pour maintenir cette stabilité : si elle votait contre le budget, celui-ci ne serait jamais adopté ! Tous ceux qui sont à notre gauche excipent de nos votes pour nous accuser de trahison. Et ensuite, non sans un certain humour, ils se félicitent de cette stabilité qui n’existe que grâce à notre abstention !
Malheureusement, monsieur Desessard, de temps en temps, survient un accident. Ainsi, le projet de PADDUC a été retiré par la majorité tout simplement parce que nous y avions manifesté notre opposition : faute de majorité suffisante, il n’y a plus de PADDUC ! C’est bien la démonstration éclatante qu’il n’y a pas de réelle majorité à l’Assemblée de Corse.
M. Jean Desessard. Justement, c’est plutôt une bonne chose !
M. Nicolas Alfonsi. Le hasard du calendrier parlementaire a voulu que la cour administrative de Marseille annule aujourd’hui le budget de 2007. Voilà la prétendue stabilité sur laquelle vous vous appuyez pour justifier votre souhait de ne rien changer !
Il faut remettre toutes les pendules à l’heure. Je l’ai déjà dit, on ne sait pas à qui profitera cette modification du scrutin, mais ce qui est sûr, c’est qu’il faut le modifier.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.
M. le président. Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi est la bienvenue.
Elle permettra d’améliorer le mode de scrutin de l’Assemblée de Corse qui, dans sa forme actuelle, favorise l’éclatement des listes et, de ce fait, rend difficile la constitution de majorités stables et fortes.
Nous partageons pleinement l’idée qu’il convient de corriger les deux points qui, dans le mode de scrutin actuel, soulèvent des difficultés : d’une part, l’insuffisance de la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête et, d’autre part, l’absence de seuil pour pouvoir fusionner avec une autre liste au second tour.
Ainsi, l’article 1er de la proposition de loi vise à porter de trois à neuf sièges la prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête.
Dans le même esprit, ce texte relève le seuil à partir duquel une liste peut se maintenir au second tour de 5 % à 7 % des suffrages exprimés.
Enfin, il crée un seuil de 5 % en deçà duquel une liste ne peut être admise à fusionner au second tour. En effet, aujourd’hui, aussi invraisemblable que cela puisse paraître, il n’existe aucun seuil, ce qui permet naturellement la multiplication des listes au premier tour.
Des aménagements techniques sont également introduits pour faciliter la constitution du conseil exécutif de Corse.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP adoptera cette proposition de loi dont l’objectif ultime est de trouver un juste équilibre entre la recherche d’une assemblée fidèle à la composition politique de l’île et l’exigence d’une proximité avec l’électeur.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. J’ai déjà longuement exprimé notre position. Je tiens simplement à rappeler que les sénatrices et sénateurs Verts voteront contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Pour les raisons que j’ai développées lors de la discussion générale, les socialistes s’abstiendront sur cette proposition de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est définitivement adoptée.)
6
Restitution par la France des têtes maories
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories, présentée par Mme Catherine Morin-Desailly et plusieurs de ses collègues (nos 215, 483, 482).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, auteur de la proposition de loi.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le ministre, je voudrais tout d’abord vous féliciter de votre nomination et vous souhaiter la bienvenue au Sénat, cet autre palais italien, à vous qui, voilà quelques semaines, accueilliez si chaleureusement à la Villa Médicis une délégation du groupe d’amitié France-Italie de notre assemblée, dont plusieurs membres, également membres de la commission des affaires culturelles, sont aujourd’hui présents.
« L’expérience nous prouve malheureusement combien il faut de temps avant que nous considérions comme nos semblables les hommes qui diffèrent de nous par leur aspect extérieur et par leurs coutumes. » Ainsi s’exprimait Charles Darwin en 1871 et, malheureusement, ce constat semble aujourd’hui toujours pertinent, comme le prouve l’histoire de la restitution d’une tête maorie par la ville de Rouen.
La proposition de loi que j’ai déposée et qui a été cosignée par une soixantaine de mes collègues est assez inhabituelle : elle vise à permettre la restitution à leur pays d’origine de toutes les têtes maories qui sont actuellement détenues dans les collections des musées français.
Membre du groupe d’amitié France–Nouvelle-Zélande de notre Haute Assemblée, je me suis en effet passionnée pour l’histoire de ces têtes lorsque, adjointe à la culture à l’époque où Pierre Albertini était maire de Rouen, je travaillais à la réouverture du Muséum d’histoire naturelle de la ville, qui avait été fermé pendant près de dix ans pour des raisons de sécurité, mais qui est, par la richesse et la diversité des collections, le deuxième de France après celui de Paris.
Avec la nouvelle équipe scientifique recrutée pour mettre en œuvre le nouveau projet alors défini pour le Muséum, nous avons en effet répondu à la demande de la Nouvelle-Zélande de lui restituer une tête humaine tatouée et momifiée, conservée depuis 1875. Don ou dépôt d’un certain M. Drouet, pour on ne sait quel motif, elle dormait cachée depuis le xixe siècle dans les réserves et collections non inventoriées du Muséum.
Si cette proposition de loi vise à répondre aux difficultés juridiques rencontrées par la ville de Rouen lorsqu’elle a décidé, en octobre 2007, de remettre aux autorités néo-zélandaises cette tête maorie, après des échanges et une réflexion avec l’équipe scientifique du Muséum, son adoption mettrait surtout la France au diapason de très nombreux autres pays, en restituant finalement et logiquement l’ensemble des têtes maories conservées dans nos musées et dont le nombre est compris entre quinze et vingt : sept ou huit au musée du quai Branly, une au musée de la Charité, une au musée des Beaux-arts de Dunkerque, quatre dans les muséums de Lille, Lyon, Nantes et, bien sûr, Rouen, une au muséum de La Rochelle et deux à l’université de Montpellier.
Un petit retour en arrière est essentiel pour comprendre cette affaire. Tous les Maoris de haut rang, guerriers et chefs de tribus, étaient tatoués selon des motifs rappelant leur tribu. En effet, suivant leurs traditions, la tête est considérée comme la partie sacrée du corps et le tatouage comme une véritable signature sociale et religieuse.
Le peuple maori avait ainsi coutume de conserver les têtes tatouées des guerriers morts au combat et de les exposer dans un endroit consacré à leur mémoire, où chacun pouvait les vénérer jusqu’au moment où ils estimaient que l’âme du défunt était partie. Les têtes étaient alors inhumées près du village.
Au xviiie siècle, lors de la colonisation de la Nouvelle-Zélande, les Européens sont fascinés par les têtes tatouées, qu’ils qualifient d’objets de curiosité et de collection. Les musées et les collectionneurs privés lancent de véritables « chasseurs de tête » à la recherche des plus beaux spécimens. S’ensuit un commerce véritablement barbare : pour répondre à la demande, on se met à tatouer des esclaves, dont on tranche ensuite la tête.
Ce n’est qu’en 1831 que le gouvernement britannique vote une loi interdisant le marché des têtes naturalisées entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie. L’amiral Cécille, grande figure rouennaise qui a exercé un commandement dans le Pacifique, avait dénoncé ce trafic aboutissant à une véritable marchandisation du corps humain. Dans un rapport adressé au ministre de la marine en 1840, il écrivait : « On a vu les têtes néo-zélandaises devenir un objet lucratif d’exportation. Tous les moyens ont été bons pour s’en procurer et des guerres ont été suscitées entre les tribus pour faire baisser le prix de cette marchandise recherchée par les naturalistes. On a vu des individus presser des chefs et leur assurer des présents pour se faire livrer la tête remarquablement tatouée de quelque esclave. »
Le regard que portent aujourd’hui sur ces têtes les Néo-Zélandais – en tout cas, les Maoris – est bien différent du nôtre ; pour eux, ce sont les restes de leurs ancêtres, des éléments du corps humains – d’où leur demande de restitution –, alors que les Occidentaux les considèrent plutôt comme des objets d’art ou de collection.
« Enlevez à des sauvages les os de leurs pères, vous leur enlevez leur histoire, leurs lois, et jusqu’à leurs dieux ; vous ravissez à ces hommes, parmi les générations futures, la preuve de leur existence comme celle de leur néant. » Cette phrase de Chateaubriand, extraite des Mémoires d’outre-tombe, montre combien, pour se construire, pour se forger une identité, les peuples ont besoin de connaître leurs ancêtres.
Comme l’a écrit dans un article récemment publié Jean-Yves Marin, directeur du Musée de Normandie, « un peuple sans histoire ne peut se renouveler et est condamné à disparaître ». Que dirions-nous si les têtes de nos propres ancêtres, de nos arrière-arrière-grands-parents étaient remisées dans les réserves de musées néo-zélandais, ou dans tout autre pays, et que l’on refusait de nous les restituer ?
À la demande de la Nouvelle-Zélande, ces têtes ont d’ailleurs été retirées des expositions au public voilà environ vingt ans. Elles se trouvent aujourd’hui dans les réserves des musées occidentaux, parfois conservées dans des conditions laissant à désirer. C’est d’ailleurs le cas de nombre de restes humains en général, comme l’a établi l’enquête réalisée par Laure Cadot et Hélène Guichard pour le Centre de recherche et de restauration des musées de France.
Depuis, les autorités néo-zélandaises et australiennes ont lancé une campagne de revendication de ces têtes afin de pouvoir les inhumer dans le respect des traditions et rites funéraires de ce peuple autochtone comptant aujourd’hui 600 000 personnes. Le but de ces rapatriements est non pas d’opérer un transfert d’une étagère de musée à un autre, en l’occurrence celui de Te Papa à Wellington, mais de retourner ces têtes à leur communauté d’origine.
La restitution donne lieu à de véritables cérémonies, selon des témoignages qui m’ont été rapportés, et dont certains datent d’à peine quelques jours, cérémonies qui commencent dès le pays de départ des restes humains. Ainsi, les Maoris se sont déplacés à Rouen pour venir honorer la tête de leur ancêtre et lui rendre hommage. La manifestation que nous avons organisée alors à l’hôtel de ville fut, de l’avis de tous les participants, extrêmement émouvante.
La question qui se pose est de savoir si, juridiquement, ces têtes sont des objets d’art, de collections ou des restes humains. En effet, de leur statut juridique dépend le régime qui leur sera appliqué.
En droit français, un objet patrimonial relève du principe d’inaliénabilité, ce qui interdit toute restitution en dehors d’une procédure préalable de déclassement. Ce régime s’applique aux pièces détenues dans les collections publiques.
Au contraire, un reste humain, en application de l’article 16-1 du code civil, ne peut faire l’objet d’un droit patrimonial. Dès lors, il n’entre pas dans la catégorie des biens culturels. Éléments du corps humain, indéniablement, ces têtes tatouées et momifiées, issues d’un trafic barbare durant la période de colonisation, ne peuvent se voir appliquer ce principe d’inaliénabilité. Pour nous, à Rouen, la tête maorie n’était la propriété ni de l’État ni du Muséum. Elle ne figurait d’ailleurs dans aucun inventaire, ce qui rendait le déclassement impossible.
En décidant, par un vote à l’unanimité, de remettre cette tête aux autorités néo-zélandaises, notre conseil municipal a voulu s’inscrire dans une démarche éthique, faisant du Muséum de la ville de Rouen, en ce début de xxie siècle, un muséum responsable, à travers un acte symbolique exprimant le respect des peuples et de leurs croyances. Ne doit-on pas considérer en effet que ces têtes sont partie intégrante du patrimoine non de la nation mais de l’humanité, tel qu’il est défendu par l’UNESCO, comme un acquis irréductible de notre diversité ?
Cependant, sur intervention de l’État, la délibération du conseil municipal a été annulée par le juge administratif au motif que la procédure de déclassement préalable prévue par le code du patrimoine n’avait pas été mise en œuvre et que l’article 16-1 du code civil sur lequel nous nous étions fondés était inapplicable en l’espèce. Soit dit en passant, je doute fort que, si la commission compétente pour le déclassement, alors exclusivement composée de conservateurs, avait été réunie, elle eût donné son accord.
Cet événement a donné lieu, en février 2008, à un colloque international au musée du quai Branly portant sur la conservation, l’exposition et la restitution des restes humains, colloque au cours duquel je suis d’ailleurs intervenue afin de témoigner de l’histoire de la tête maorie de Rouen. Ce jour-là, le commissaire du Gouvernement, présent, m’a signalé que la cour administrative d’appel de Douai avait statué dans le sens de la non-applicabilité de l’article 16-1, mais qu’elle aurait pu tout aussi bien faire le contraire, tant le statut juridique des restes humains demeure flou aujourd’hui : objets de collection et application de la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, avec procédure de déclassement, ou restes humains et application de l’article 16-1 du code civil résultant de la loi du 29 juillet 1994 sur la bioéthique, que le Gouvernement souhaitait d’ailleurs appliquer dans le cas de la « Vénus hottentote » ?
Ce débat juridique suscité par la décision de la ville de Rouen s’est en effet posé dans des termes quasiment identiques à ceux qui ont été soulevés lors de la restitution par la France à l’Afrique du Sud de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, conservée dans les collections du Musée de l’Homme. Notre collègue Nicolas About était intervenu en faisant voter une loi permettant de sortir la Vénus hottentote des collections publiques. À l’époque, on s’est même interrogé sur l’utilité d’une loi : le Gouvernement considérait alors que le cas de la Vénus hottentote relevait de l’application de l’article 16-1 du code civil, application qu’il conteste aujourd’hui pour les têtes maories.
L’actualité nous rattrape maintenant avec l’annulation de l’exposition contestée Our Body par la cour d’appel de Paris. Celle-ci s’est précisément appuyée sur l’article 16-1-1 du code civil, introduit en décembre 2008 et dont les dispositions sont d’ordre public, qui dispose :
« Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort.
« Les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence ».
Pour fonder sa décision, la cour rappelle, que la protection due aux corps humains vivants et aux dépouilles mortelles, prévue par le législateur, a « un caractère inviolable et digne d’un respect absolu, conformément à un principe fondamental de toute société humaine. »
Cette décision fortement médiatisée a peut-être permis de prendre mieux conscience des problèmes éthiques posés par l’exposition – pour ne pas dire l’exhibition – des corps humains. Donc, la question de l’applicabilité de l’article 16-1 du code civil demeure.
Il apparaît clairement que les restes humains occupent une position charnière sur le plan juridique et que la loi bioéthique de 1994 protège davantage le vivant, notamment au regard du trafic d’organes et des risques liés aux études génétiques. C’est en tout cas ce que, en l’espèce, laisse entendre le juge dans son interprétation. Faut-il pour autant lui laisser à l’avenir le soin de décider ou non, au cas par cas, de l’application de ces dispositions ? Il y a là une vraie question, monsieur le ministre, mes chers collègues, à laquelle, au-delà de cette proposition de loi, il conviendra de répondre.
Considérant l’incertitude dans laquelle nous nous trouvons, j’ai choisi de déposer cette proposition de loi. Si nous l’adoptons aujourd’hui, ce que j’espère vivement, elle permettra de régler le cas des têtes maories. Je suis consciente que la loi n’est pas l’outil le plus approprié pour régler le problème et j’aurais préféré ne pas y avoir recours, mais elle reste la seule solution face à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons et à l’imbroglio juridique qui caractérise actuellement la situation.
J’ai constaté en effet que, si la loi de 2002 invite les responsables des musées à définir des critères pour encadrer d’éventuels déclassements d’œuvres des collections publiques à l’occasion d’une procédure spécifique et après avis conforme de la commission nationale scientifique, elle n’a pu à ce jour être pleinement mise en œuvre. Plus de sept ans après son adoption, les critères qui devraient justement permettre de préciser les conditions dans lesquelles le principe d’aliénabilité pourrait ne pas s’appliquer n’ont toujours pas été définis !
Par ailleurs, en vertu de la loi de 2002, les biens incorporés dans les collections publiques par dons et par legs, tels que la tête maorie de la ville de Rouen et de nombreuses autres têtes en France, ne peuvent faire l’objet d’aucun déclassement, contrairement à ce qui a été soutenu.
Consciente de l’importance et de la difficulté de la question, qui ne saurait être un prétexte pour ouvrir la boîte de Pandore, comme on l’a trop souvent entendu dire, j’ai souhaité m’inspirer, dans la présente proposition de loi, de quatre critères retenus par la ville de Rouen pour motiver sa décision de restitution.
Il faut : premièrement que le pays d’origine d’un peuple contemporain ait formulé la demande de restitution ; deuxièmement, que ce reste humain ne fasse pas l’objet de recherches scientifiques ; troisièmement, qu’il ne soit pas destiné à être exposé ni conservé dans des réserves dans le pays d’origine, mais qu’il soit inhumé ; enfin, quatrièmement, que le reste soit issu d’actes de barbarie ayant entraîné la mort ou de pratiques attentatoires à la dignité humaine. Toutes ces têtes ne sont certes pas forcément des têtes d’esclaves : il y a aussi des têtes de chefs guerriers. Il n’en reste pas moins qu’elles ont été considérées comme des trophées et volées à une époque où les musées occidentaux étaient largement prédateurs.
Je voudrais attirer votre attention sur le fait que la France a ratifié la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de septembre 2007 qui, dans ses articles 11 et 12, enjoint aux États d’accorder réparation aux peuples autochtones et dispose que « les États veillent à permettre l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement, par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces, mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés ». Le geste consistant à rendre aujourd’hui les têtes maories s’inscrit pleinement dans le cadre de cette déclaration.
Par ailleurs, le code de déontologie de l’ICOM – International Council of Museums –, qui est l’aboutissement de six années de révision et a été formellement approuvé lors de la vingt et unième assemblée générale, à Séoul, en octobre 2004, a largement abordé la question de ce qu’on appelle encore pudiquement « matériel culturel sensible ».
Pour autant, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite vivement que cette proposition de loi contribue, comme l’avaient voulu mes collègues Nicolas About et Philippe Richert, à travers la proposition de loi autorisant la restitution par la France de la Vénus hottentote à l’Afrique du Sud, à une réflexion plus globale sur la conservation des restes humains dans les musées.
Contrairement à d’autres pays voisins, la France accuse un grand retard sur ces questions, il faut bien le reconnaître. Ossements, préparations anatomiques, momies, reliques diverses : la variété et la quantité des restes humains dans les musées et autres laboratoires sont grandes. La spécificité de ces collections soulève aujourd’hui, quoi qu’on en pense, de nombreuses questions éthiques quant à leur patrimonialisation.
Nos collègues Philippe Nachbar et Philippe Richert ont d’ailleurs publié en juillet 2003 un rapport d’information sur la gestion des collections des musées, dans lequel ils évoquaient déjà la question des réserves et de leur gestion, mais aussi les restes humains détenus dans les collections, notamment au Musée de l’Homme, où ils avaient d’ailleurs constaté un état d’empoussiérage préoccupant.
Sans ce travail préalable indispensable, nous serons toujours contraints de procéder au coup par coup, ce qui n’est guère satisfaisant.
Cette affaire a de nouveau mis en lumière les dysfonctionnements administratifs, le problème de la gestion des collections muséales et les contradictions de la législation française, qui mérite d’être clarifiée une fois pour toutes. Jacques Rigaud, auquel la précédente ministre de la culture avait confié une mission, a noté lui-même « l’inertie manifeste de l’institution muséale ». Les responsables de musée ont trop longtemps esquivé ce débat, témoignant même d’un certain malaise sur un sujet dont ils ne savent comment l’aborder.
Cette affaire a révélé également un certain conservatisme de scientifiques qui, enfoncés dans leur logique et leur regard d’Occidentaux, ont du mal à accepter une autre vision du monde. M. le rapporteur – et je partage pleinement ses préconisations – a d’ailleurs enrichi la proposition de loi de plusieurs articles visant notamment à élargir la composition de la commission de déclassement afin qu’elle comporte, outre des professionnels de la conservation des biens, des personnalités qualifiées.
En effet, si la valeur scientifique des restes humains se présente comme une évidence pour les conservateurs, on ne peut mettre de côté la valeur symbolique et même sacrée dont ils sont investis pour les communautés ou les peuples auxquels ils peuvent être rattachés. Aussi faut-il réfléchir au sens que l’on donne aux collections, la science ne pouvant se passer d’une réflexion éthique au sens premier du terme, qui n’a rien à voir avec la religion. C’est un véritable chantier qu’il nous faut ouvrir, sans tabou.
Bien entendu, il ne s’agit ici nullement de limiter ou de remettre en cause le principe d’inaliénabilité des collections publiques, auquel je suis extrêmement attachée. C’est d’ailleurs l’intérêt des critères que j’ai évoqués précédemment, mais aussi du régime spécifique prévu par la loi de 2002, que notre collègue rapporteur propose de renforcer à cette occasion.
L’ethno-anthropologue spécialiste de l’Océanie que nous avons auditionné, Maurice Godelier, partage cette position, considérant que, si les restes humains ne sont pas des objets de collection comme les autres et doivent être restitués, ces rapatriements doivent être encadrés afin de garder des traces de ces pièces dans les musées français, par numérisation par exemple.
La ville de Rouen a d’ores et déjà réfléchi à la façon dont l’histoire de cette tête pourrait être racontée, car il s’agit non pas de cacher cet épisode de l’histoire du Muséum ni de laisser un « trou » dans sa mémoire, mais au contraire de le valoriser. Ainsi le directeur, Sébastien Minchin, a-t-il engagé un travail de numérisation de la tête et toute une démarche pédagogique à destination des visiteurs.
Quel que soit le moyen par lequel nous procédons pour restituer les têtes maories, je suis persuadée que nous nous accordons tous, sur les travées de cet hémicycle, quant à la légitimité de cette restitution, reconnaissant que la tête est probablement la partie la plus emblématique du corps humain, en tout cas partie la plus sacrée pour les Maoris, afin qu’elles puissent être dignement inhumées.
La grande majorité des personnes auditionnées défendent également cette position et ont admis le bien-fondé de cet acte. À l’époque, Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, avait émis un avis favorable sur cette démarche et le paléoanthropologue Pascal Picq avait, dès le début, pris la tête du comité de soutien alors mis en place, puis avait été rejoint par plusieurs personnalités.
La culture ne peut se passer de la transparence, de la vérité et doit répondre à une éthique irréprochable. On ne peut, sous son couvert, porter atteinte au droit des peuples, et la France, pays des droits des l’homme, se doit d’être exemplaire. De nombreux pays ont déjà remis des têtes. Des musées américains, européens ont répondu favorablement aux demandes de restitution. La Suisse, la Grande-Bretagne, le Danemark, les Pays-Bas, l’Allemagne, mais aussi des pays comme l’Argentine, l’Australie se sont lancés dans de telles opérations. Au total, près de 322 restes humains maoris sur les 500, environ, qui étaient répartis à travers le monde ont déjà été transférés à la Nouvelle-Zélande. La France fait aujourd’hui exception dans ce mouvement général en raison de la question du statut juridique que j’ai évoquée précédemment, et qui est finalement davantage une question de forme que de fond.
Notre pays, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne saurait rester en retrait sur ce sujet par rapport à ses voisins, notamment européens. Un tel geste favorise en outre un travail de mémoire et de cicatrisation, permet de tourner une page de l’histoire française peu glorieuse et d’entamer de nouvelles relations avec la Nouvelle-Zélande.
Au-delà des considérations juridiques, l’impératif éthique doit prévaloir, me semble-t-il. Cette restitution ou plutôt cette renonciation à détenir dans nos collections ces têtes constituera en outre un nouveau départ dans nos relations avec les pays lointains, dans le cadre d’un dialogue interculturel renouvelé. Car il ne saurait s’agir de rendre pour rendre. Le dialogue et l’harmonie entre les peuples impliquent d’entrer en contact avec la civilisation de « l’Autre » et réciproquement.
Aussi, face à ce profond désir de restitution manifesté par la Nouvelle-Zélande, pays démocratique qui travaille précisément aujourd’hui à l’intégration de toutes ses communautés, la France doit apporter une réponse positive.
En conclusion, je voudrais remercier mes collègues qui ont cosigné cette proposition de loi et accompagné ma démarche, ainsi que M. le président de la commission de la culture qui m’a apporté son soutien et, bien sûr, notre rapporteur, Philippe Richert, qui a réalisé un travail approfondi sur la question et avec lequel je dialogue depuis des mois sur ce sujet si sensible, qui, vous l’aurez compris, me tient particulièrement à cœur. (Applaudissements sur toutes les travées.)