M. Jean-Louis Carrère. Et le bouclier fiscal ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Lorsque nous mettons en place, ce mois-ci, le revenu de solidarité active, et que nous anticipons cette mise en place avec la prime de solidarité active qui a été versée le 15 avril dernier, nous prenons une mesure ciblée en faveur des 4 millions de foyer les plus modestes.
M. Jean-Louis Carrère. C’est incroyable !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Face à la crise, nous avons donc fait, pour l’industrie, le choix stratégique de miser sur l’investissement plutôt que sur une relance de la consommation.
Le troisième niveau de réponse du Gouvernement à la crise consiste en un accompagnement social en cas de restructurations industrielles, notamment. Nous avons pris un certain nombre de mesures pour amortir le choc et faire en sorte que le licenciement et la fermeture de sites soient vraiment l’ultime recours des entreprises et que l’on maintienne coûte que coûte, en vue du moment où la croissance reviendra, ce capital à la fois industriel et humain, l’industrie française étant forte d’un considérable savoir-faire qui impose de préserver sa main-d’œuvre qualifiée.
Ces orientations ont guidé les mesures de renforcement des quotas d’heures de chômage partiel dans les secteurs les plus fragilisés par la crise ; je songe évidemment au secteur automobile. C’est aussi cela qui a guidé la volonté d’augmenter la rémunération des salariés dans le cadre de l’indemnisation du chômage partiel et, au sein de cette rémunération, la part payée par l’État, afin d’alléger la facture des entreprises et leur permettre d’amortir le choc. C’est encore cela qui nous guide au moment de mettre en place le prêt de main-d’œuvre interentreprises, pour disposer d’une certaine souplesse et bénéficier, là où l’activité repart, …
M. Jean-Louis Carrère. Où la voyez-vous repartir ?
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. … des compétences de salariés qui, de ce fait, ne seront pas licenciées dans une autre entreprise.
C’est toujours cela qui nous a guidés lorsque nous avons utilisé la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et mis en place la charte automobile, signée par l’État, les organisations professionnelles de formation et les syndicats ; nous avons mis sur la table trois fois 50 millions d’euros, soit un total de 150 millions d’euros, pour financer la reconversion ou l’anticipation de mutation de salariés.
Un volet de l’accompagnement des restructurations concerne également les cas où l’on n’a pas pu prévenir des catastrophes. Nous avons considérablement dopé notre dispositif en créant une cellule dédiée spécifiquement aux restructurations industrielles et en installant effectivement, monsieur Bourquin, des commissaires à la réindustrialisation, au nombre de dix à ce jour ; leur mission en fera de véritables acteurs, non des spectateurs. Une feuille de route extrêmement précise leur a été donnée, fixée par Hubert Falco et moi-même, et leurs lettres de mission sont adaptées à la problématique de chaque région en matière industrielle.
Leur rôle sera à la fois d’anticiper des situations difficiles à venir dans l’industrie, d’accompagner les restructurations qui n’auront pas pu être évitées, de chercher toute solution alternative aux licenciements secs et de revitaliser les territoires qui auront pu être affectés par des fermetures d’usines ou des licenciements.
Nous avons également pu et su régler au cas par cas un certain nombre de dossiers délicats et douloureux. L’accord signé il y a quelques jours entre l’entreprise et les salariés de l’usine Continental est assez révélateur d’un dossier extrêmement difficile, avec une direction qui n’avait sans doute pas anticipé la situation et des représentants des salariés qui n’avaient pas forcément mis d’emblée tous les atouts de leur côté pour obtenir un traitement apaisé de la situation. Grâce à la médiation des pouvoirs publics, un accord a été conclu.
Je voudrais également évoquer deux autres cas sur lesquels vous m’avez interrogé.
S’agissant tout d’abord de l’entreprise Heuliez, monsieur Bourquin, la date limite de dépôt des dossiers de reprise auprès du liquidateur judiciaire avait été fixée à ce soir. Je dois vous indiquer qu’au moins un dossier de reprise globale de l’activité d’Heuliez, et non de reprise de la seule activité véhicules électriques, a été déposé ; c’est une bonne nouvelle, l’activité véhicules électriques ne concernant que 45 des 1 000 emplois. Je veux bien que l’on fasse tout pour l’électrique – et nous faisons naturellement preuve d’un fort volontarisme dans ce domaine –, mais il faut également penser aux autres salariés, travaillant dans le domaine de l’emboutissage, activité plus traditionnelle d’Heuliez.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, l’État, à travers le Fonds stratégique d’investissement, sera présent dans le futur tour de table pour la reprise de l’activité d’Heuliez, au moins à hauteur de 10 millions d’euros.
S’agissant de Molex, monsieur Mirassou, nous avons beaucoup anticipé. J’ai effectivement fait recevoir, hier, par mon directeur-adjoint de cabinet, les représentants des salariés, mais je les avais déjà reçus moi-même ; j’ai d’ailleurs reçu l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse des représentants des salariés, des représentants de la direction ou des élus locaux. La vérité est qu’il n’y avait, jusqu’à présent, ni volonté de cession de la part de l’entreprise ni repreneur : il est évidemment difficile, dans de telles conditions, de bâtir un projet de reprise d’activité !
Nous travaillons donc avec l’ensemble des acteurs – je note que l’entreprise fait preuve d’un peu plus d’ouverture qu’il y a quelque temps – et notre commissaire à la réindustrialisation est totalement mobilisé sur ce dossier.
Le pacte automobile que plusieurs d’entre vous ont évoqué, est finalement, en quelque sorte, la concrétisation et l’illustration de la façon dont le Gouvernement gère cette crise dans l’industrie, répondant à l’urgence, faisant un choix stratégique fondé sur l’investissement et prenant des mesures d’accompagnement dans le domaine social.
L’une des mesures qui ont sans doute eu le plus d’impact – M. Longuet en a parlé – est la prime à la casse.
Force est de constater que, cinq mois après le début de cette crise, le marché automobile français résiste beaucoup mieux que ses voisins européens puisque l’activité se situe sensiblement au même niveau que l’année dernière : la diminution des ventes n’est que de 1,4 %, alors que l’ensemble du marché européen recule de 18 % – et le marché espagnol, de 40 % ! J’ajoute que les usines des constructeurs automobiles français vont reprendre, à partir du mois de juillet, des cadences comparables à celles de juillet 2008 et à la moyenne des cinq années précédentes. On le voit bien, la mesure de soutien à la demande a eu un réel impact pour amortir le choc de la crise.
M. Jean-Louis Carrère. Là, justement, ce n’est pas du soutien à l’investissement !
M. Luc Chatel, secrétaire d'État. Naturellement, le dispositif prendra fin un jour. La date prévue est celle du 31 décembre prochain. Il nous appartient d’y réfléchir d’ores et déjà, avec l’ensemble des acteurs, pour éviter le trou d’air que l’on a pu constater lorsque la même mesure avait été appliquée, à deux reprises, au cours des années 90, et dont on peut craindre qu’il ne se reproduise après le 31 décembre.
Bien entendu, mesdames, messieurs les sénateurs, tant les mesures structurelles destinées à restaurer la compétitivité de nos entreprises industrielles que celles que nous avons prises face à la crise nous amènent à nous poser à nouveau un certain nombre de questions et à redéfinir le rôle de l’État pour ce qui concerne le soutien à l’industrie. Je suis convaincu que l’État a un triple rôle à jouer.
Il doit d’abord avoir un rôle de fédérateur et rassembler sur une thématique donnée l’ensemble des acteurs d’une filière.
Lorsque j’ai installé le comité stratégique pour l’avenir de l’automobile, c’était la première fois que tous les acteurs de la filière, depuis les donneurs d’ordre jusqu’aux salariés en passant par les sous-traitants et les pôles de compétitivité, se retrouvaient pour échanger sur l’avenir de ce secteur. Jusque-là, ils ne se rencontraient que pour évoquer les produits, les prix ou pour négocier dans le cadre d’un rapport de force.
Nous avons également mis en place un comité stratégique des éco-industries voilà plus d’un an. Une fois par mois, tous les acteurs de la filière se réunissent.
Nous avons par ailleurs créé le forum des services mobiles sans contact pour définir les solutions technologiques du futur sur ce créneau dans lequel la France se doit d’être présente.
L’État doit jouer aussi un rôle d’investisseur. J’ai tout à l’heure indiqué qu’il pouvait se réserver la possibilité de prendre des participations, certes minoritaires, mais permettant de susciter la constitution d’un tour de table et de donner une visibilité à certaines entreprises.
Il peut également investir dans des secteurs à fort potentiel pour fixer le cap et le pérenniser. Ainsi, à Crolles, près de Grenoble, il a affecté 450 millions d’euros au secteur des micro et nanotechnologies, considéré comme l’un des plus prometteurs. Il a créé un « fonds démonstrateur » pour expérimenter le captage de CO2 ou l’énergie solaire, à hauteur de 400 millions d’euros. Il a aussi orienté les recherches du CEA vers les biocarburants.
Monsieur Patriat, dans le domaine du nucléaire, l’État a créé l’Agence France nucléaire international pour donner toutes leurs chances à nos exportations, aux solutions industrielles nucléaires françaises, si importantes non seulement pour les grands groupes nationaux – Areva, EDF, etc. –, mais aussi pour les PME sous-traitantes de premier et deuxième rangs de ce secteur, entreprises particulièrement présentes dans votre région comme dans la mienne, réunies autour du pôle technologique que le président de votre commission des affaires économiques, M. Emorine, connaît bien également.
L’État a enfin un rôle de détonateur. Il doit être capable de créer les conditions d’existence économique et juridique d’un marché, parfois par le biais d’une commande publique. Ainsi, nous avons demandé à La Poste de fédérer l’ensemble des grandes entreprises qui pourraient faire une commande groupée de véhicules électriques.
Nous pouvons aussi agir dans ce sens par le biais de la fiscalité ou de la réglementation. J’ai installé un groupe de travail avec les Allemands sur la normalisation européenne relative au futur véhicule électrique pour que nous soyons capables de peser sur les choix européens futurs.
Vous le voyez, monsieur Bourquin, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement croit en l’avenir de l’industrie française, qui constitue un réservoir d’emplois important. C’est la raison pour laquelle j’ai créé voilà quelques jours un comité stratégique pour les marchés porteurs. La sortie de crise passera aussi par notre capacité à investir dans les marchés du futur, autrement dit les marchés offrant d’importantes perspectives de croissance, sur lesquels notre pays dispose d’acteurs particulièrement compétitifs, des multinationales aux PME, et sur lesquels l’action de l’État peut, en ayant un véritable effet de levier, s’avérer décisive.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère vous avoir convaincus de la détermination du Gouvernement à soutenir l’industrie de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. le président. En application de la décision de la conférence des présidents, la parole est à M. Martial Bourquin, auteur de la question, qui dispose de cinq minutes pour répondre au Gouvernement.
M. Martial Bourquin. Monsieur le secrétaire d’État, je me permettrai de vous faire remarquer que les différentes interventions dans ce débat ont été positives : elles ont montré que nous partagions tous le souci de voir une réelle politique industrielle mise en œuvre. Nous voulons tous faire en sorte que soient trouvées les solutions les plus adaptées à la situation actuelle, particulièrement grave et difficile.
De ce point de vue, le capital humain est l’atout fondamental. Une politique industrielle nécessite donc une formation initiale de qualité, l’assurance d’une formation tout au long de la vie, un effort résolu de recherche et développement.
Je reviendrai brièvement sur deux points.
Aujourd’hui, des entreprises connaissent des difficultés ; le cas de la société Molex, notamment, a été évoqué. Ne conviendrait-il pas que des salariés dont l’entreprise subit des pertes de marché puissent suivre une formation tout en conservant leur salaire et leur statut, puis la réintègrent lorsqu’elle retrouve meilleure fortune, au lieu d’être licenciés ou même de bénéficier d’un contrat de transition professionnelle ?
La flexisécurité à la danoise est fréquemment vantée. La solution que je préconise en matière de formation et de protection des salariés constituerait, dans cette optique, une importante avancée.
Le deuxième point a trait à la mutation écologique. Combien de téléviseurs à écran plat sont fabriqués dans notre pays ? Si, pour faire face aux défis énergétique et climatique, dans le cadre de la « révolution verte », nous multiplions les capteurs photovoltaïques sans, dès aujourd'hui, avoir l’intelligence de susciter, dans les territoires, le développement d’entreprises susceptibles de les fabriquer, il en ira des capteurs solaires comme il en est allé des écrans plats. Cela s’appelle de la prospective !
Bien sûr, nous avons à cœur de conserver l’excellence industrielle française, de sauvegarder nos PME, nos TPE. Mais il convient aussi de mener une politique prospective.
Les 600 000 emplois que vient de perdre notre pays constituent une véritable tragédie. Certes, il faut mener une politique de soutien à l’investissement ; mais il faut aussi, monsieur le secrétaire d'État, une politique de soutien à la consommation, aux salaires. Je déplore d’ailleurs qu’aucun « coup de pouce » en faveur du SMIC ne soit prévu. (M. Paul Blanc s’exclame.) Vous avez tenu à affirmer votre volonté de relancer l’économie uniquement par l’offre ; or une relance par la consommation est également nécessaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Réforme de la taxe professionnelle
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 34 de Mme Marie-France Beaufils à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la réforme de la taxe professionnelle.
Cette question est ainsi libellée :
« Mme Marie-France Beaufils attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur les problématiques de la taxe professionnelle.
« Maintes fois, depuis sa création en 1976, la taxe professionnelle a fait l’objet de modifications législatives conduisant à rendre son économie générale de moins en moins évidente et de plus en plus opaque pour les élus locaux.
« La commission Balladur sur la réforme des collectivités territoriales vient d’ajouter, à l’occasion de la publication de ses premières conclusions, à la perplexité et aux interrogations sur le devenir de cette ressource essentielle pour les budgets locaux (plus de 40 % de leurs recettes fiscales propres).
« Les plus récentes déclarations du Président de la République, évoquant la suppression de la taxe professionnelle, ont par ailleurs ajouté à l’inquiétude maintes fois exprimée des associations d’élus locaux.
« Elle l’interroge donc sur le bilan des modifications intervenues, leur impact sur les finances locales et la vie économique, sur les orientations que le Gouvernement entend définir quant au devenir de la taxe professionnelle, à la concertation menée sur ce sujet et aux conséquences de toute évolution sur les futures politiques locales. »
La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la situation économique dans laquelle nous nous trouvons et qui, selon l’INSEE, a commencé à se dégrader dès le premier semestre de 2008, est devenue un nouveau prétexte pour remettre en cause des équilibres sur lesquels la France a bâti son modèle social.
En effet, à écouter le Président de la République, en quête de l’improbable refondation du capitalisme, le moment serait venu, du fait de la crise, de mettre un terme à l’existence de la taxe professionnelle, considérée comme une incongruité juridique et fiscale dont nous serions les derniers dépositaires en Europe.
Il faudrait, sous le prétexte des contraintes de la mondialisation et au nom de la compétitivité de nos entreprises, alléger encore plus la contribution de celles-ci au financement des collectivités locales.
Toutefois, dans ces arguments qui sont assenés, il n’est jamais question des avantages que tirent ces mêmes entreprises de la mondialisation. En fait, on ne se demande jamais qui en bénéficie réellement. Les salariés ? Certainement pas, non plus que l’assise économique de la France ! Non, les véritables bénéficiaires, il faut plutôt les chercher du côté des actionnaires et des dirigeants !
Cette démarche tendant à supprimer la taxe professionnelle accompagne les nombreuses dispositions qui visent à alléger l’impôt sur les sociétés et, par là même, à rendre les entreprises de moins en moins contributrices à la charge commune. Comme si elles n’avaient pas besoin des dépenses collectives pour assurer leur développement !
À dire vrai, tel qu’il est posé, le débat est pour le moins biaisé.
On explique à chacun des habitants de ce pays que, pour sortir de la crise, il faut encore alléger l’imposition des entreprises, au moment même où les ménages constatent, pour leur part, les effets de la modération et de la stagnation salariale, la persistance des prélèvements fiscaux sur la consommation et la hausse des impôts locaux : cela a tout de même de quoi laisser rêveur, mes chers collègues !
Cette mesure a été présentée par le Président de la République comme un outil de relance économique, mais nous nous interrogeons sur son efficacité, sans doute parce que, instruits par l’expérience, nous nourrissons quelques doutes sur les politiques d’allégements fiscaux et sociaux.
Je ne sais ce que le concept d’« entreprise citoyenne » dont on nous rebattait les oreilles il y a quelques années, deviendra dans ce schéma.
Quoi qu'il en soit, une première série de questions mérite d’être posée, et elle est essentielle dans ce débat : les mesures prises depuis vingt ans afin de réduire le poids de la taxe professionnelle dans les comptes des entreprises ont-elles, oui ou non, porté leurs fruits ? Quel bilan, quelle analyse critique ont été réalisés ? Un rapport sur les emplois créés, les investissements supplémentaires réalisés dans ces activités économiques a peut-être échappé à notre attention, mais cela m’étonnerait…
L’une des grandes faiblesses du discours du Président de la République sur la suppression de la taxe professionnelle, c’est qu’il ne tient pas compte de l’histoire.
Avec l’instauration, dans le cadre de la loi de finances pour 1987, de l’allégement transitoire de 16 % sur les bases imposables, nous avons connu le premier moment clef de la mise en cause de l’équilibre de la taxe professionnelle.
Et l’on sait fort bien ce qu’est devenue la dotation destinée à compenser, pour les collectivités locales, les effets de cet allégement dit « transitoire ». L’incidence de ce dernier doit être mesurée de deux manières : à travers son coût pour l’État, en tenant compte bien entendu des sommes qui sont revenues dans ses caisses par le biais de l’impôt sur les sociétés, et à travers son coût pour les collectivités locales, après déduction du montant de la compensation perçue, naturellement.
On peut estimer que, au cours de la période d’existence de l’allégement transitoire, ce dispositif a coûté à l’État de 60 milliards à 80 milliards d’euros, en valeur de 2009. Il faut déduire 20 milliards à 25 milliards d’euros au titre des recettes de l’impôt sur les sociétés, mais ajouter le montant de la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Or celle-ci, comme nous l’observons depuis 1995, sert de variable d’ajustement aux dotations budgétaires, ce qui n’était nullement sa fonction au départ. Je rappellerai que, pour 2009, cette réduction a été portée à 27 %.
Deux chiffres permettent de résumer la situation.
À la fin de 1995, on promulguait une loi de finances prévoyant de consacrer plus de 17,8 milliards de francs, c'est-à-dire, en valeur actuelle, quelque 2,72 milliards d’euros – j’insiste sur ce chiffre ! – à la compensation de la taxe professionnelle. Dans la loi de finances pour 2009, ce montant s’établit à 582 millions d’euros, soit cinq fois moins en euros courants, et la réduction est évidemment encore plus sensible en euros constants ! Cette évolution s’est produite en moins d’une quinzaine d’années, ce qui, bien sûr, n’est pas neutre pour toutes les communes qui ont été privées de cette recette.
Une autre mesure prise au cours de l’histoire de la taxe professionnelle est la suppression de la part imposable des salaires.
On connaît le processus mis en œuvre : suppression progressive par abattement sur la valeur retenue des salaires et compensation quasi intégrale, avant l’intégration de celle-ci dans la dotation globale de fonctionnement.
En 2003, dernière année où la compensation était individualisée, l’État consacrait 9 033 millions d’euros à cette charge. La dotation globale de fonctionnement, pour sa part, représentait un ensemble de 18,9 milliards d’euros. En 2004, la fusion des deux éléments et la création de la dotation globale de fonctionnement des régions permettait de dépasser les 30 milliards d’euros. En 2009, la progression globale de la dotation était fixée aux alentours de 40,8 milliards d’euros, cette évolution générale n’ayant plus aucun lien avec la réalité des bases imposables théoriques.
Depuis 2004, en effet, il est évident que, année après année, le décalage entre la dotation budgétaire perçue et la réalité des produits fiscaux désormais abandonnés s’accroît, ce qui finit par coûter cher et pose une question récurrente : toutes les réformes de la taxe professionnelle, entre changements d’assiette et plafonnements divers, ont-elles atteint les deux impérieux objectifs qu’elles s’étaient fixés, à savoir la relance de l’emploi et celle de l’investissement ?
La réponse à cette question nous est peut-être fournie par M. Jean Philippe Cotis, directeur général de l’INSEE, dans son intéressant rapport sur le partage de la valeur ajoutée, même si, bien évidemment, ce n’était pas l’objet premier de ce document.
Ce rapport rappelle quelques données essentielles.
Tout d'abord, le mouvement de défiscalisation engagé en 1985 et accentué par la désindexation des salaires a conduit à redresser le taux de marge des entreprises et à l’installer durablement autour de 30 %. L’élévation de ce taux masque toutefois certains handicaps pour la progression globale de la valeur ajoutée. En particulier, le développement de l’emploi faiblement rémunéré, souvent précaire et peu qualifié, conduit à réduire la capacité de progression de la valeur ajoutée. A contrario, la part déclinante des emplois qualifiés joue désormais contre la croissance et la qualité de la production comme contre la productivité.
À force de jouer l’incitation aux bas salaires contre le développement de la formation qualifiante, on aboutit à dégrader le tissu économique, ainsi qu’il en va toujours lorsqu’on se contente d’une vision à court terme.
Corrélativement, la part des salaires, cotisations sociales comprises, s’est progressivement réduite dans la valeur ajoutée. Aujourd'hui, la part des cotisations sociales dans la masse salariale globale est de plus en plus marquée, mais celle-ci est au même niveau qu’en 1970 ! Et l’emploi ne s’est pas durablement ni réellement amélioré. Ainsi en est-il dans l’industrie qui, ces dernières années, n’a cessé de perdre des emplois, les entreprises préférant faire appel à des personnels non permanents, par le recours à l’intérim.
Du reste, on voit bien que, dans cette période de crise, les salariés sous contrat d’intérim sont les premières victimes ; ils ne bénéficient aucunement des plans de restructuration engagés.
Enfin, la défiscalisation, marquée par la baisse de la TVA, de l’impôt sur les sociétés ou de la taxe professionnelle a conduit à un accroissement sensible de la part de la richesse créée par le travail, mais consacrée à la rémunération du capital. C’est ce qu’indique très simplement le rapport Cotis quand il précise que la part destinée à la rémunération des actionnaires augmente ces vingt dernières années, tandis que celle qui est dévolue aux investissements diminue, avec tous les risques que cette évolution fait courir au tissu industriel.
L’existence des entreprises installées dans notre pays a ainsi connu, depuis vingt ans, plusieurs phases.
L’apport de la défiscalisation a tout d’abord, parallèlement à un mouvement de réduction des taux d’intérêt, conduit au désendettement et à la reconstitution des fonds propres. Puis, pour financer l’investissement, les entreprises ont fait de plus en plus souvent appel à des capitaux levés sur les marchés, dont la gourmandise est telle que la rémunération des capitaux en question a consommé une part croissante des bénéfices d’exploitation.
Ce processus ne concerne fondamentalement que les entreprises de grande taille, cotées sur les marchés financiers et faisant appel public à l’épargne. Toutefois, il n’épargne pas vraiment les PME, pour lesquelles la période a été marquée par deux processus clefs.
D’une part, l’intégration capitalistique dans des groupes a conduit non seulement à la mise en place des outils juridiques de « remontée financière » des profits des filiales vers la tête des groupes, mais aussi d’exigences de « performance » incompatibles avec le maintien de la rémunération des salariés, qui sont ainsi les premiers à payer le prix de cette évolution.
D’autre part, s’agissant des PME restées indépendantes, l’intégration de plus en plus forte en qualité de sous-traitantes, avec la pratique de contrats aux conditions léonines, a fait, là encore, remonter vers le donneur d’ordre l’essentiel de la valeur ajoutée.
Les résultats, nous les connaissons, mes chers collègues : fragilisation de nos PME et de l’emploi, fuite en avant perpétuelle vers le moins-disant social et fiscal.
Chacun ici sait que les principaux bénéficiaires de la baisse de l’impôt sur les sociétés sont les grands groupes, qui ont fait de l’allégement des cotisations sociales sur les bas salaires un véritable outil de gestion et qui « font leur miel » de la réduction de la taxe professionnelle.
Une éventuelle suppression, unilatérale ou presque, de la taxe professionnelle ne changera rien à cette répartition des avantages fiscaux comparatifs : ce seront les mêmes qui tireront le plus grand profit de ces choix.
Ce qui est nécessaire aujourd’hui, après plus de trente ans de vie de cet impôt, c’est d’en mesurer l’efficacité au vu de l’évolution de l’activité économique depuis 1976, date de sa création. On sait que l’économie, malheureusement, a pris une dimension financière qui était totalement absente des bases de calcul de l’époque.
L’une des critiques que ses opposants adressent le plus souvent à notre taxe professionnelle, c’est de n’avoir aucun équivalent en Europe, ce qui suffirait pratiquement à la condamner, au nom d’une harmonisation fiscale implicite et qui, d’ailleurs, n’est toujours pas à l’ordre du jour, le sacro-saint principe de subsidiarité laissant chaque État européen maître de la définition de sa fiscalité et des composantes de celle-ci. Que je sache, tout ce que fait l’Europe en la matière, c’est encadrer l’application des droits indirects, et non décider de la liste exhaustive des impositions de toute nature que peuvent instaurer les États. On ne s’attaque pas aux principes ni à l’architecture : on ne fait que limiter l’application de telle ou telle règle fiscale.
Le choix de la France de financer une bonne part de l’action des collectivités territoriales par le biais de l’impôt local n’est pas condamnable en soi, bien au contraire. Je pense même qu’il s’inscrit tout à fait dans l’esprit de nos textes constitutionnels, la Déclaration de 1789 exigeant de chacun qu’il contribue à la dépense publique en fonction de ses capacités.
Ce choix garantit aux collectivités locales une certaine autonomie, laquelle, ne l’oublions pas, a d’ailleurs été consacrée par la révision de la Constitution de 2003. Il leur permet d’assumer les compétences et les missions qui leur sont confiées et dont les entreprises bénéficient, à travers les infrastructures, pour l’essentiel, mais aussi à travers les services de qualité mis à la disposition des salariés et de leurs familles.
D’autres pays, plus décentralisés, ont fait des choix différents, qui passent notamment par le recours au partage du produit des impôts d’État.
Pour en revenir à notre taxe professionnelle, plutôt que de l’attaquer sans rémission, ce qui, à force de correctifs, amènerait l’actuel gouvernement à la réduire quasiment à néant, il nous semble, et c’est l’objet de cette question orale avec débat, qu’il faut plutôt réfléchir à son évolution, à sa modernisation.
Devons-nous, comme le Président de la République semble nous y inviter, procéder à l’exclusion définitive des investissements de l’assiette de cette imposition, ce qui la réduirait à une sorte de taxe foncière sur les activités économiques ?
Faut-il, en ce sens, mettre en avant la taxe carbone, cette imposition indirecte appelée à être essentiellement supportée par le consommateur final, sans lien clairement établi avec le territoire, et en répartir le produit pour compenser la mesure précitée ?
Ou faut-il plutôt réfléchir à l’évolution de l’assiette de la taxe, à l’importance et à la pertinence des correctifs qui y sont apportés, et trouver les voies et moyens d’une réforme participant de deux objectifs, à savoir, d’une part, assurer aux collectivités locales les moyens financiers de leur action et, d’autre part, rétablir entre les entreprises contribuables un traitement équitable au regard de l’impôt ?
Permettez-moi de rappeler que, avant le plafonnement de la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée, les services de l’État nous avaient permis de mesurer – ils répondaient à la sollicitation que je leur avais adressée en tant que rapporteur de la commission des finances – le poids de la taxe professionnelle selon les activités économiques. Nous avions ainsi appris que, en 2004, le secteur financier ne consacrait que 1,7 % de la valeur ajoutée produite pour payer la taxe professionnelle, le BTP 1,9 %, le commerce 2,3 % et l’énergie 5,6 %.
Monsieur le secrétaire d'État, ne pensez-vous pas que l’intégration de la richesse financière dans les bases d’imposition serait efficace non pas seulement pour rétablir l’équité des entreprises face à l’impôt, mais aussi pour améliorer la vie économique elle-même ?
Ne serait-ce pas une bonne façon de combler le besoin de financement des collectivités territoriales pour leur permettre de répondre aux attentes des populations et des activités économiques, et aussi de faire face aux obligations de plus en plus nombreuses qui leur sont transférées ?
Les collectivités locales sont en attente d’une visibilité plus grande quant à leurs ressources. Vous savez, monsieur le secrétaire d'État, que la taxe professionnelle représente une ressource décisive dans leurs budgets. Vous savez également que l’intercommunalité a été essentiellement fondée sur une taxe professionnelle unique pour son financement.
Tels sont les points qui nous semblent être au cœur de ce débat dont nous avons souhaité la tenue, afin de pouvoir avancer sur cette question, primordiale selon nous, pour la vie de nos collectivités. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)