M. le président. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’état, mes chers collègues, la réforme de la taxe professionnelle n’est sans doute pas, dans le contexte actuel, un choix facile, mais elle a, entre autres, l’avantage de nous inviter à dresser l’état des lieux. On ne peut, en effet, réformer sans évaluer la marge de manœuvre. Aussi, je vous propose de visiter la maison « fiscalité locale », pour examiner ensuite l’état de la réflexion et les alternatives.
Nous voyons aujourd'hui la conjonction de trois phénomènes qui nous appellent à l’action et qui constituent à n’en point douter une occasion historique.
Oui, la taxe professionnelle est devenue un impôt obsolète et nocif.
Si, dans les années soixante-dix, un tel impôt sur les moyens de production a pu être valablement retenu comme financement localisable pour les collectivités, force est de constater que, malgré la suppression de la part salaires en 1999, il est devenu un impôt anti-économique : son assiette est trop étroite et elle est limitée par les exonérations ; son poids est inégal selon les secteurs d’activité et selon la localisation géographique ; il est sans rapport avec la capacité contributive des entreprises ; la taxe professionnelle constitue un frein à l’investissement ; pis, de nos jours, elle est aussi devenue un obstacle à l’implantation nouvelle, voire un facteur de délocalisation, car l’investissement est infiniment plus volatil que le personnel.
Il convenait donc de songer à réformer profondément cet impôt emblématique, tant sur le plan de ses effets réels que quant à la manière dont il est ressenti par les entreprises nationales ainsi que par les investisseurs internationaux.
À cet instant, je crois utile d’évoquer l’état actuel de la fiscalité locale.
Par le biais des dégrèvements fiscaux et des compensations, l’État prend en charge environ 35 % du produit fiscal dû aux collectivités. Au seul titre de la taxe professionnelle, en 2008, sur un produit perçu de l’ordre de 30 milliards d’euros, l’État a versé près de 13 milliards d’euros, sans compter les compensations de la part salaires, qui sont intégrées dans la dotation globale de fonctionnement et qui se montent à 10 milliards d’euros.
Le système a perdu toute lisibilité, à tel point que l’on ne sait plus qui paie quoi. Dans certaines villes, dont je tairai le nom, l’État contribue en quasi-totalité au paiement de certains impôts locaux.
Sur le plan des dotations, nous sommes désormais soumis à une enveloppe à géométrie variable, dont l’État s’évertue à estomper les contours. L’inclusion du FCTVA n’est qu’un épisode, et je crains que, demain, nous ne devions affronter une nouvelle proposition alambiquée, tant les contraintes budgétaires se resserrent, sans compter que la modification de la taxe professionnelle aura des conséquences sur le potentiel fiscal et sur l’ensemble des dotations qui en dépendent.
Par ailleurs, le vaste mouvement de décentralisation que nous venons de vivre a fait supporter à l’assiette d’impôts qui n’étaient pas conçus pour cela une forte pression, pour les porter à des rendements anormaux. La part de la dépense des collectivités locales dans le PIB s’est, en effet, accrue de 35 % en vingt-cinq ans, sans pour autant que de nouvelles assiettes d’impôt fussent proposées à due concurrence.
Nous devons, à cet égard, renouer avec la clarté, mais aussi avec la responsabilité dans la prise en charge de décisions, en matière de dégrèvement et d’exonération. Il est patent que le système fiscal des collectivités locales est à bout de souffle et que nous devons le refonder, sans oublier de réfléchir à sa gouvernance.
Il devient urgent d’examiner de plus près la manière dont les pays qui nous entourent ont établi un pacte de stabilité interne entre l’État et les collectivités locales.
Je n’entrerai pas ici plus en avant dans ce sujet, mais je vous demanderai de convenir avec moi que la réforme de la taxe professionnelle nous conduit inéluctablement à la réforme complète de la fiscalité locale.
Mme Jacqueline Gourault. C’est sûr !
M. Charles Guené. Je dirai maintenant un mot d’un troisième phénomène qui vient affecter notre doctrine fiscale et qui, à n’en point douter, constitue une petite révolution, à l’instar de ce que fut la réforme Caillaux au début du xxe siècle, avec l’institution de l’impôt progressif.
M. Jean-Michel Baylet. Encore les radicaux ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault. Cela s’est mal terminé ! (Nouveaux sourires.)
M. Charles Guené. À l’origine collecteur de ressources, l’impôt devint alors un élément de redistribution, ajoutant au rôle de collecte celui de correcteur social.
Si, depuis un quart de siècle, nous nous interrogeons sur la pertinence de préserver notre planète, les magnifiques images proposées par Yann Arthus-Bertrand dans Home, voilà quelques jours, et l’analyse des résultats des dernières élections européennes nous indiquent que nous venons indubitablement de franchir un cap.
Nos concitoyens l’ont compris : demain, et pour la première fois, la fiscalité va devenir environnementale. En bref, cela signifie qu’elle devra déclencher un « signal prix » en fonction de l’intensité carbone des produits concernés pour faire évoluer notre comportement.
Par conséquent, outre son rôle de collecte et de redistribution, elle devra conduire à une réduction des consommations fossiles pour éviter ou amortir le choc de la transition énergétique que nous devons nous préparer à subir.
Au passage, je précise que cette nouvelle fiscalité devra s’opérer à prélèvement global constant, et que la fiscalité écologique n’étant pas, par nature, sociale, il conviendra d’en corriger les effets par des redistributions, ces deux contraintes étant toutefois rendues surmontables par l’effet d’un double dividende : d’une part, la réduction du dommage lié à la pollution, d’autre part, l’apport de recettes nouvelles.
Si l’on prend en compte ces trois facteurs, à savoir la nécessité d’une réforme de la taxe professionnelle, l’obsolescence du système fiscal et l’émergence de la fiscalité environnementale, il faudrait être aveugle pour ne pas dire, comme Mme Lepetit, directrice de la législation fiscale, lors de la dernière réunion du comité des finances locales : « Nous avons là une chance historique de reformer la fiscalité locale, ne la laissons pas échapper ! »
Pour y parvenir, nous devrons ensemble, à travers la réforme de la taxe professionnelle, poser les bases d’une réforme globale de la fiscalité locale. Il est, à cet égard, indispensable que nous nous débarrassions des préjugés qui encombrent le débat public en profitant de cet instant charnière. Je me contenterai, ici, d’en citer les quelques fondements.
Il faut considérer que la dépense locale est, pour l’essentiel, une dépense maîtrisable et faire en sorte de figer le périmètre de nos dépenses transférées pour délimiter la part contrainte des collectivités par rapport à celle où nous disposons de latitudes.
À partir de ces nouveaux espaces, il importe que les limites de l’autonomie fiscale, à laquelle bon nombre d’entre nous sont attachés, soient clairement établies par rapport à l’autonomie financière que nous avons constitutionnellement définie.
Dès lors, nous pourrons « dé-corréler », si je puis me permettre cette expression, les ressources des collectivités locales, notamment en matière économique, de l’impôt prélevé, et cela nous permettra de trouver les bonnes assiettes.
Il conviendra également de fonder une nouvelle gouvernance qui permettra l’encadrement des dépenses et des taux d’imposition, dans le cadre d’un pacte négocié entre l’État et les collectivités.
Nous pourrons ainsi disposer de prélèvements nationaux, que nous pourrons affecter en conservant les liens avec le territoire.
Nous devrons aussi distinguer les impôts fondés sur les flux de ceux qui sont fondés sur les coûts, afin de corriger la distinction factice, à mon sens, entre fiscalité des ménages et fiscalité des entreprises, et qui anime le seul débat public franco-français.
Nous devrons utiliser les possibilités offertes par la fiscalité environnementale pour compléter les ressources fiscales de l’État, obérées par ces rééquilibrages, mais aussi pour en corriger les inéluctables dérives sociales.
Nous devrons, enfin, refonder aussi le système de péréquation républicaine, qui devra sans aucun doute être beaucoup plus étroitement confié au contrôle du Parlement.
C’est en appliquant déjà quelques-uns de ces principes que la réforme de la taxe professionnelle a progressé, et c’est à leur lumière qu’il faut en lire la position actuelle, que je vais exposer à présent.
La réforme actuelle de la taxe professionnelle porte sur la suppression de la part investissements.
Les entreprises ne verseraient plus que la part correspondant à la base foncière, soit 5,8 milliards d’euros, à savoir environ 20 % du montant total, et la part de la taxe professionnelle relative aux investissements serait supprimée pour être remplacée, pour partie, par une taxation assise sur la valeur ajoutée.
Si la valeur ajoutée est un critère imparfait, elle reste la moins mauvaise des assiettes car, par son amplitude, elle nivelle les distorsions et permet l’application d’un taux faible.
Cette réduction sera intégralement compensée pour les collectivités locales, ainsi que l’a confirmé par deux fois le Gouvernement. Cela est déterminant, et vous ne manquerez pas d’y être sensibles, mes chers collègues.
Par ailleurs, il faut noter qu’aujourd’hui 56 % de la taxe professionnelle prélevée correspond déjà à la valeur ajoutée, par le biais de plafonnements et de la cotisation minimale.
Par l’application mécanique de la cotisation minimale, et grâce au retour, certes hypothétique, via l’impôt sur les sociétés, il en coûterait environ 8 milliards d’euros à l’État.
Les collectivités locales pourraient ainsi être satisfaites en disposant d’un impôt économique reposant, d’une part, sur le foncier avec faculté d’action sur le taux, et, d’autre part, sur la valeur ajoutée, avec un taux national mais avec une dynamique réelle, et dont la répartition comporterait un lien fort avec le territoire. La valeur ajoutée d’une entreprise peut, en effet, être répartie par établissement sur la base d’une clef comportant le nombre de salariés et les surfaces occupées, par exemple.
Néanmoins, au stade actuel de la réflexion, plusieurs alternatives demeurent et un certain nombre de difficultés subsistent.
Les entreprises souhaiteraient limiter le taux national de la valeur ajoutée à 1,5 % et imputer la partie foncière sur le montant de la taxation de la valeur ajoutée, alors que les collectivités souhaiteraient atteindre 2 % avec une petite faculté de variation locale et découpler les deux parts de la taxe professionnelle ainsi rénovée.
À cet égard, l’exigence de pouvoir faire varier le taux sur la valeur ajoutée ne semble pas constituer un casus belli.
En revanche, il paraît délicat de dépasser le seuil de 1,5 % à l’occasion d’une réforme visant à baisser la taxe professionnelle, et le plafonnement envisagé pèsera d’autant plus sur le budget de l’État. Il pourrait en être différemment si un autre plafonnement était imaginé, sur la base du cumul des deux nouvelles parts de la taxe professionnelle. Le débat semble progresser à ce sujet.
Une telle modification suppose également le transfert de la partie départementale et régionale des impôts « ménages » au couple communes-communautés de communes, et son remplacement par des impôts nationaux au profit des départements et des régions.
Ces derniers craignent que les impôts transférés ne soient aussi volatils que les précédents, qui ne leur permettent pas d’assumer les transferts en cours. Il en serait autrement s’ils pouvaient bénéficier de parts des grands impôts nationaux, plus stables et plus dynamiques, de type contribution sociale généralisée ou impôt sur le revenu. Nous rejoignons là la problématique de la réforme globale de la fiscalité locale.
Par ailleurs, la généralisation de la valeur ajoutée pose deux problèmes au monde économique, lesquels doivent être examinés avec circonspection.
Tout d’abord, à l’instar du projet Fouquet, le nouveau système envisagé tend à reporter une partie non négligeable de la charge des entreprises d’industries lourdes sur les entreprises du tertiaire, lesquelles avaient, certes, largement bénéficié de la suppression de la part salaires, mais on comprend qu’il n’y aura pas que des gagnants.
Ensuite, il subsiste tout un réseau de petits et moyens contribuables sur lequel nous ne nous sommes pas encore prononcés.
Enfin, un mouvement fiscal de cette ampleur exige la mise en place de puissants mécanismes de péréquation horizontaux et d’une gouvernance. L’intercommunalité, qui a été l’un des plus grands facteurs de modernisation de la gestion de ces dernières décennies, doit pouvoir bénéficier de perspectives dans le cadre de l’évolution de la taxe professionnelle unique.
Pour terminer, il ne me paraît pas indécent de vous inviter, monsieur le secrétaire d'État, à étudier les incidences d’une telle réforme sur le budget de l’État.
Du taux retenu sur la valeur ajoutée dépendra largement le coût budgétaire de la réforme, dont le montant provisoire est fixé aux alentours de 8 milliards d’euros.
L’État devra disposer de plusieurs années pour résorber le manque à gagner, compte tenu de la conjoncture difficile.
La taxe carbone pourra être partiellement utilisée dans le cadre de son deuxième dividende, mais cela doit être entendu comme une ressource budgétaire et non comme une ressource des collectivités locales.
La résorption des niches d’impôt sur les sociétés devra également contribuer à l’équilibre, et on peut imaginer que, dans un avenir plus radieux, la partie valeur ajoutée puisse venir s’imputer progressivement sur l’impôt sur les sociétés, afin de parvenir à la neutralité fiscale qui conviendrait à la compétitivité de nos entreprises.
Tel est, brossé en quelques traits, le point d’étape auquel nous sommes parvenus, et qui devrait nous permettre, au terme de quelques entretiens complémentaires, de parvenir à une réforme de la taxe professionnelle supprimant la part des équipements et biens immobiliers, sans effet pour les collectivités locales.
Je pense avoir ouvert très largement le champ des incidences, sur le plan tant de la réforme de la taxe professionnelle elle-même que de la fiscalité tout entière, pour que, monsieur le secrétaire d'État, vous puissiez mesurer l’étendue des opportunités qui s’offrent au Parlement de mettre en œuvre une fiscalité moderne et la gouvernance qui doit l’accompagner.
Nos concitoyens attendent, au terme de la concertation ouverte et de qualité que le Gouvernement a bien voulu engager, que le Sénat y contribue à la mesure des pouvoirs particuliers qui lui ont été confiés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avec une soudaineté qui ne nous étonne plus, le Président de la République a annoncé, le 5 février dernier, la suppression de la taxe professionnelle à compter de 2010. Depuis, de très nombreux élus et responsables de collectivités ont exprimé, avec raison, leurs inquiétudes et leurs réserves face à un tel projet. Il est en effet inconcevable de prendre unilatéralement une décision aussi importante, qui, de surcroît, heurte plusieurs principes fondamentaux.
Le premier est d’ordre constitutionnel. La suppression de la taxe professionnelle violerait l’article 72-2 de la Constitution, introduit par la réforme du 28 mars 2003, qui consacre le principe d’autonomie financière des collectivités locales. Point n’est besoin de vous rappeler, monsieur le secrétaire d'État, que cette réforme est issue de vos rangs !
En effet, l’article 72-2, en son troisième alinéa, précise notamment : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ». Le niveau de cette fameuse part prépondérante, difficile à définir, a toutefois été fixé par la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l’article 72-2 de la Constitution relatif à l’autonomie financière des collectivités territoriales : elle ne peut être inférieure au niveau constaté en 2003, soit 60,8 % pour les communes et leurs groupements, 58,6 % pour les départements et 41,7 % pour les régions. Autant dire que la suppression de la taxe professionnelle, qui concentre, sachons-le, 44 % de la fiscalité locale, anéantirait ce principe constitutionnel.
Une telle réforme conduirait également à contredire le principe, déjà malmené par les dernières lois de finances, de la libre administration des collectivités locales. En effet, la multiplication des dotations, au-delà du fait qu’elle opère une recentralisation, porte atteinte au pouvoir fondamental des collectivités de fixer et de prélever librement l’impôt.
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Jean-Michel Baylet. Cela entraînerait une rupture du lien contractuel entre les citoyens et leurs collectivités. La centralisation des impôts nuit au pacte, ô combien important, qui soude les individus et leurs territoires. En l’occurrence, la suppression de la taxe professionnelle briserait le lien fiscal entre les entreprises et la collectivité.
Par ailleurs, mes chers collègues, la suppression de recettes dynamiques – les dotations n’étant pas des recettes actives – priverait les collectivités de leviers fiscaux utiles pour impulser des actions économiques locales.
M. Yvon Collin. Ce serait démotivant !
M. Jean-Michel Baylet. Enfin, le caractère figé de la dotation limiterait les capacités budgétaires des collectivités. Or, dans le même temps – nous le savons, nous en discutons souvent, notamment ici même, dans cet hémicycle –, l’État ne se prive pas de transférer régulièrement aux collectivités de nouvelles charges, et non des moindres, ayant de graves incidences financières, en particulier pour les départements.
Ainsi, le RMI, dont la gestion est désormais combinée à celle du RSA, a entraîné un milliard d’euros supplémentaires de dépenses entre 2003 et 2007. Quant à l’allocation personnalisée d’autonomie, dont la charge financière progresse de 8 % par an, elle devait être cofinancée par l’État à hauteur de 50 % : aujourd'hui, sept ans après sa création, la participation de l’État plafonne à 30 %, les 70 % restants étant donc supportés par les collectivités.
Monsieur le secrétaire d'État, les conseils généraux, loin de se défausser, font face à leurs responsabilités. En retour, il leur est indispensable de conserver une visibilité financière et une autonomie, ainsi que de recevoir de véritables compensations à l’euro près, conformément à ce qui a été promis par M. Copé devant l’Association des petites villes de France.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Enfin, mes chers collègues, la suppression de la taxe professionnelle est aussi un coup porté à une valeur qui fonde l’esprit républicain. Je pense au principe d’égalité devant les charges publiques inscrit à l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : ce dernier dispose ainsi qu’une « contribution commune est indispensable » et qu’elle « doit être équitablement répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
M. Yvon Collin. Voilà !
M. Jean-Michel Baylet. Or, le risque est grand de ne pas trouver une recette de substitution suffisamment dynamique pour compenser la disparition de la taxe professionnelle.
Les collectivités, qui devront faire face à de fortes charges publiques, feront naturellement, faute d’autres moyens, peser l’effort sur les ménages, au travers de la taxe d’habitation et de la taxe sur le foncier bâti, ce qui sera totalement inéquitable.
Par ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, au-delà des difficultés structurelles qu’impliquerait cette réforme, on peut se demander s’il est raisonnable de s’attaquer maintenant, dans le contexte actuel de crise économique, à ce chantier.
Les collectivités locales assument toute leur part dans la lutte contre la crise. Elles ont été associées au plan de relance et ont, la plupart du temps, répondu présent. Elles apportent, dans la mesure de leurs moyens, un soutien à l’économie locale. En réalisant 73 % des investissements publics, elles alimentent l’activité du secteur privé, en particulier dans le bâtiment. Dans le même temps, elles font bien évidemment face à l’accroissement de la demande d’aide sociale liée à la conjoncture actuelle.
Alors que les économistes peinent à dater la sortie de crise, pourquoi les déstabiliser avec une annonce qui porte tout de même sur presque la moitié du produit de la fiscalité locale ?
Loin d’apporter une simplification, le projet de suppression de la taxe professionnelle risque de bloquer les marges de manœuvre des collectivités au moment où elles ont besoin de latitude pour remplir leurs missions. Vous connaissez les réticences des élus et les difficultés que rencontrent nos concitoyens. L’heure n’est pas aux réformes hâtives et, disons-le, contre-productives.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, les radicaux de gauche, soucieux du respect des différents principes que j’ai évoqués, sont fermement opposés à toute suppression de la taxe professionnelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Jacqueline Gourault et M. Jean-Pierre Fourcade applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger.
M. Yves Krattinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour illustrer mon propos, je commencerai par vous relater un événement auquel j’ai participé lundi dernier.
Ce jour-là, en effet, était inauguré dans un bourg-centre de mon département un hôtel d’entreprises construit par la société d’économie mixte chargée du développement économique de notre territoire. En plus du département, qui en détient 75 % du capital, les autres actionnaires de cette société sont la Caisse des dépôts et consignations, les différentes chambres consulaires et les banques.
Cet hôtel d’entreprises est situé sur une zone d’activité labellisée dans le cadre d’un schéma départemental, lui-même élaboré par la société d’économie mixte en réponse à une commande du conseil général, financeur du projet. Elle est située à proximité d’une route classée « grande liaison d’aménagement du territoire », qui a nécessité des travaux financés à 100 % par le conseil général. Sur cette route, circulent chaque jour plus de mille camions, dont sept cents sont issus du centre mondial des pièces détachées du groupe PSA, implanté dans le chef-lieu du département.
On accède à la zone d’activité, d’une surface de vingt hectares conforme aux normes du label, par un échangeur construit il y a deux ans et financé en totalité par…
Mme Jacqueline Gourault. Le département !
M. Yves Krattinger. …des fonds départementaux.
La communauté de communes concernée a aménagé cette zone avec des subventions du conseil général, de la région et de l’État. Je remercie donc le Gouvernement au passage, monsieur le secrétaire d'État ! Grâce à ces aides financières, elle a mis à disposition, dans le cadre d’un bail à construction, le terrain sur lequel est installé l’hôtel d’entreprises et a réalisé la plateforme et les parkings.
Aujourd'hui, deux mois après sa mise en service, deux des quatre cellules de l’hôtel d’entreprises sont occupées, et une troisième le sera dans quelques semaines, par de jeunes entreprises bénéficiant d’un soutien de la région et d’un prêt d’honneur consenti par la plateforme « Haute-Saône initiative ». Il s’agit d’un fonds en faveur des créateurs d’entreprise, qui rassemble l'Europe, l’État, la région, le département, ainsi qu’un certain nombre d’autres partenaires, notamment des banquiers.
À cette inauguration étaient donc évidemment présents l’État, les collectivités territoriales et les chambres consulaires. Chacun s’est félicité du travail commun réalisé en faveur de l’économie et de l’emploi dans un contexte, c’est vrai, de mobilisation générale – le conseil général a d’ailleurs lui-même signé, comme d’autres, la convention relative au FCTVA –, et personne n’a songé à remettre en cause le lien fiscal entre le territoire et les entreprises.
Une telle situation n’est pas du tout spécifique à ce département ou à cette communauté de communes. Au sein de la mission temporaire du Sénat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, nous débattons notamment de la fiscalité locale, sujet ô combien central. Et tous les témoignages que nous avons entendus vont dans ce sens.
C’est pourquoi toute reforme de la taxe professionnelle doit être conduite en ayant à l’esprit que les destins des entreprises et des territoires sont étroitement liés. Couper le lien fiscal qui les unit serait donc, d’après un point de vue assez largement partagé, dangereux pour leur avenir commun.
Or, monsieur le secrétaire d'État, je suis éminemment convaincu qu’une telle réforme sera de toute manière imposée au Parlement à l’automne prochain, à l’occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2010.
Dans ces conditions, je souhaite proposer une solution de remplacement au projet défendu jusqu’à présent par le Gouvernement. À cet égard, un certain nombre de principes doivent nous guider.
Il faut ainsi maintenir un lien fiscal étroit entre l’activité économique et les collectivités territoriales. Le temps des abus, que nous avons effectivement pu connaître autrefois, est désormais révolu. Il n’y a plus de contentieux entre collectivités et entreprises.
Nous sommes favorables à la suppression de l’imposition sur les investissements, mais il nous semble tout à fait possible de maintenir une imposition assise sur la valeur ajoutée, conformément, d’ailleurs, aux orientations retenues par M. Fouquet dans son rapport. Lors de son audition, récente, par la mission sénatoriale, celui-ci nous a brillamment exposé les conclusions du travail qui avait été effectué. À écouter les uns et les autres, j’ai eu l’impression que ses conclusions étaient assez largement partagées.
Il importe également de maintenir le niveau actuel des ressources des collectivités territoriales. Le contexte vient de nous être largement rappelé, celles-ci se sont vu transférer des compétences supplémentaires, de façon plus ou moins officielle, qui sont autant de besoins de financement supplémentaires.
Il convient, en outre, de maintenir et de renforcer l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, inscrite dans notre loi fondamentale.
Il s’agit, encore, de ne pas opérer de transfert de la fiscalité de l’État. Cela reviendrait à l’appauvrir, et, actuellement, il n’a vraiment pas besoin de cela !
Il faut, de plus, supprimer l’interposition permanente entre l’État, les collectivités territoriales et les entreprises dans le paiement, notamment, de la taxe professionnelle, par la suppression des dégrèvements et des compensations. En la matière, d’ailleurs, l’actuel Gouvernement n’est pas le seul responsable, les torts sont partagés.
Il importe, aussi, d’assurer des gains significatifs à l’industrie, secteur le plus soumis à la concurrence internationale, ce qui devrait, à mon sens, recueillir un large consensus.
Enfin, il est primordial de limiter le nombre des perdants dans le mouvement de réforme qui va être engagé. Faut-il le rappeler, d’après le scénario du Gouvernement et les hypothèses annoncées, il y aurait 212 000 perdants, ce qui est loin d’être négligeable !
Pour atteindre tous ces objectifs, je propose, et je ne suis pas le seul, de découpler l’assiette actuelle de la taxe professionnelle en deux impositions distinctes.
Il s’agirait, d'une part, d’un impôt assis sur les valeurs locatives foncières des propriétés bâties des entreprises, celles qui sont comprises actuellement dans l’assiette de la taxe professionnelle et que M. Fouquet a proposé de prendre davantage en compte. Des minorations seraient prévues pour l’industrie, pour lui permettre de profiter pleinement de la réforme. Tout le monde, à mon avis, pourrait s’accorder sur ce point.
Il s’agirait, d'autre part, d’un impôt assis sur la valeur ajoutée, avec un taux fixé par les collectivités et encadré par un plancher et un plafond. Le Gouvernement nous propose un taux fixe, ce qui priverait les collectivités territoriales de toute liberté.
Le taux de la cotisation minimale de taxe professionnelle payée par les entreprises est aujourd’hui de 1,5 % pour celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 7,6 millions d'euros. Ce seuil pourrait être ramené à un million d'euros, ce qui permettrait de retrouver des bases beaucoup plus larges et de faire contribuer le maximum d’entreprises. En effet, plus la fiscalité se concentre sur un petit nombre, plus les taux appliqués sont importants et contestés.
En ce qui concerne le partage de cette fiscalité, l’imposition sur les valeurs locatives foncières irait aux communes et aux intercommunalités – d’ailleurs, toutes les impositions foncières, à l’exception de la part départementale, pourraient aller au bloc communal – et l’imposition sur la valeur ajoutée irait aux régions et aux départements. Après calcul, je ne suis pas le seul à le dire, cette réforme serait beaucoup moins coûteuse pour les finances de l’État que celle qui est proposée. Le solde pourrait être compensé, comme certains l’ont suggéré, par une modification supportable de l’impôt sur les sociétés, en particulier de la tranche la plus élevée.
Je veux faire une observation complémentaire.
Les communes et les intercommunalités pourraient modifier l’imposition sur les valeurs locatives foncières en fixant localement les taux. Le bloc communal ne disposerait pas de recettes assises sur la valeur ajoutée, mais l’imposition basée sur le foncier aurait sa propre dynamique, car il y aura toujours des constructions. Ce serait donc, pour le bloc communal – communes et intercommunalités –, une situation plutôt favorable.
Le plafonnement global à 3,5 % de la valeur ajoutée pourrait être maintenu pour les impositions cumulées. Ainsi, une entreprise ne pourrait pas payer, au titre de ces deux impôts, un montant supérieur à 3,5 % de sa valeur ajoutée. Si certaines venaient à payer plus, il pourrait être envisagé, comme c’est le cas actuellement, un remboursement de la part excédant 3,5 %.
L’évolution des taux entre les impositions « ménages » et l’imposition économique sur les valeurs locatives foncières devrait être liée afin d’éviter tout dérapage au profit de l’un et au détriment de l’autre.
Je veux souligner les points les plus positifs de ces propositions.
Tout d’abord, elles sont réellement favorables à l’industrie, alors que le Gouvernement propose de réduire l’imposition de l’ensemble des entreprises au détriment des recettes des collectivités locales, ce qui serait douloureux.
Ensuite, elles sont plus justes pour les entreprises, puisque le nombre supposé de perdants serait inférieur aux hypothèses issues de la réforme gouvernementale.
Par ailleurs, elles favorisent une consolidation de l’autonomie fiscale des collectivités territoriales, puisque le montant des dotations allouées aux collectivités serait beaucoup moindre que dans le projet du Gouvernement.
Enfin, comme beaucoup le souhaitent, l’intervention de l’État dans les recettes des collectivités territoriales serait beaucoup plus réduite qu’aujourd’hui.
Je ne veux pas engager de polémique. Je reconnais que des évolutions dans le calcul et la mise en œuvre de la taxe professionnelle sont indispensables ; elles sont même souhaitées par la quasi-totalité des acteurs. Je vous invite, monsieur le secrétaire d’État, à prendre en compte autant que faire se peut dans les projets que vous avez à l’esprit les propositions que je viens de formuler. Je vous remercie par avance de ce que vous pourrez faire en ce sens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)